DE LA FICTION COMME METHODE DE RECHERCHE LEGITIME
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1. convaincre les autres p 88 La dichotomie entre pens e rationnelle et pens e cr atrice a marqu et marque encore profond ment la th orie des organisations A ce titre la fiction a t souvent renvoy e une dimension purement symbolique motionnelle Pourtant le sens l esth tique ne sont pas des fa ons de conna tre moins l gitimes que la science d s lors qu elles v hiculent une vision affirment un point de vue sur le monde Dans cet esprit Oswick et al 2002 invitent les chercheurs en th orie des organisations d passer les conventions d criture dominant la production acad mique pour investir des figures de style g n ralement d consid r es en gestion l ironie la satire le singulier Ils y voient un moyen de revisiter les paradigmes dominants et de renforcer la production de nouvelles connaissances Naturellement il ne s agit pas d affirmer ici un imp rialisme ou une sup riorit du recours la fiction comme fa on d appr hender l analyse des organisations L ambition est plus modeste il Sagit de montrer comment les caract ristiques m mes de la fiction narrative autorisent un renouvellement du regard port sur les organisations et les dynamiques qui les traversent Notre approche de ce point de vue marque une filiation avec le courant anglo saxon et un certain nombre de travaux prenant la fiction narrative comme point d ancrage pour d velopper une r flexion sur la fonction2. la peine capitale 3 l histoire du Christ La fiction fait galement justice de cette id e selon laquelle nos sch mes d interpr tation et d action sont ins parables du contexte Le cin ma a pu user de ce proc d qui consiste montrer l incidence d une variation infime du contexte sur la destin e des personnages A Resnais dans Smoking No smoking montre ainsi comment un v nement en apparence anodin le fait de fumer ou non peut impacter radicalement le cours de l intrigue R Darnton 1983 dans son analyse du c l bre conte Le petit chaperon rouge montre que de multiples interpr tations peuvent en tre d velopp es selon le contexte et l poque Si les versions contemporaines rappellent la n cessit pour les enfants d ob ir leurs parents le conte dans le contexte du XVIII me si cle r v le beaucoup des mentalit s paysannes de l poque l angoisse de la famine l ins curit li e au banditisme un environnement mental marqu par une extr me s dentarit Fiction imagination et action manag riale L o le discours scientifique exprime des pens es la fiction les fait r sonner les incarne litt ralement en les faisant vivre dans des personnages des lieux une intrigue Ceci n est pas sans rappeler le principe des exp riences de pens e thought experiments par lequel on exp rimente dans la fiction des hypoth ses th oriques Les historiens recourent ainsi la fiction
3. Il y voit surtout un risque d ordre politique par lequel la fiction en flattant les passions humaines d tourne de la raison C est ce qui am ne le l gislateur de la R publique prononcer l exclusion des po tes de la Cit Pourtant l histoire des sciences est jalonn e de th ories ou d inventions majeures dans lesquelles l intuition la r verie l imagination voire le mysticisme prirent plus que leur part La fiction appara t ainsi comme un moyen pour le chercheur de n gocier son rapport au r el et au monde Interrogeant la dimension pist mologique de la fiction Searle 1982 attribue cette derni re une capacit whiculer une vision un discours sur le monde Ce r le de la fiction comme op rateur cognitif susceptible d tre int gr dans un processus de connaissance suppose pour Schaeffer 1999 une d finition extensive de la fiction L auteur refuse ainsi de la restreindre au texte litt raire pour consid rer galement l espace du th tre de l uvre cin matographique voire du jeu d enfant D s lors il convient d abandonner l id e selon laquelle la fiction chercherait noncer des v rit s dans un sens comparable a la d marche scientifique Le rapport de la fiction la connaissance ne peut ainsi s tablir dans les dimensions du vrai et du faux Lamarque et Olsen 1994 Si l on s en tient une version pragmatique de la fiction Schaeffer 1999 sa force r side non
4. La recherche empirique est essentiellement une forme de narration certes quelque peu sot rique Comme tous les conteurs d histoires nous avons besoin de mat riaux autour desquels construire nos r cits le mat riau empirique jouant ce r le Nous ne cr ons pas les th ories dans le vide L activit manag riale sert de catalyseur la pens e cr atrice Le mat riau empirique sert de pr texte au travail th orique mais le discours ainsi produit est essentiellement de la fiction Astley et Zammuto p 499 notre traduction Dans le m me ordre d id e Van Maanen 1995 observe que la rh torique est partie int grante de la recherche gestion et en th orie des organisations a fortiori si celle ci entend s inscrire dans la soci t Affirmer une position th orique est in vitablement un acte rh torique La th orie est affaire de mots non d objets r v ler de cartes non de territoires de repr sentations non de r alit s A l appui de cette hypoth se d autres ont montr comment le travail scientifique engage un processus o le chercheur alterne en permanence les postures de lecteur et d auteur Latour et Woolgar 1988 dans leur tude d un laboratoire californien de neuroendocrinologie notent qu en d pit d une inclinaison des chercheurs se pr senter comme des scientifiques d couvreurs de faits ces derniers sont fondamentalement des crivains et des lecteurs qui cherchent se convaincre et
5. elle autorise un d crochage momentan du r el ou qu elle hypertrophie les tensions qui le traversent permet de mieux y revenir par la suite Mitroff et 14 Kilmann 1975 voient dans le recours la fiction un moyen pour saisir ce qui fonde le caract re unique distinctif d une organisation Leur d marche consiste demander aux managers de partager des r cits sur leur vision de l organisation id ale puis les confronter d autres r cits sur l organisation actuelle La fiction dans ce cadre est simultan ment une fa on d expliciter les sch mes d action et d interpr tation des managers tout en les sensibilisant l existence de r alit s alternatives De la m me fa on que le droit a recours aux fictions l gales la fiction dans le champ des organisations est un moyen de donner du sens et de traiter l quivocit d une situation Elle donne voir la diversit et l infinie richesse des perceptions et motivations qui sont le quotidien de la vie organisationnelle Le court roman d Alfred Jarry L amour absolu 1899 illustre merveille cette multiplicit de sujets de voix de regards qu autorise la fiction Dans ce texte de cinquante pages on peut en effet lire trois histoires diff rentes selon le point de vue adopt 1 la veill e d un condamn mort dans sa celle la nuit pr c dant son ex cution 2 le monologue d un insomniaque qui dans son demi sommeil r ve qu on le condamne
6. tre trac entre cet usage p dagogique de la fiction et la critique f roce op r e par Mintzberg 2004 de l enseignement dispens en MBA Mintzberg souligne que la connaissance manag riale n est pas r ductible aux cat gories formelles dans lesquelles on l enferme trop souvent Il d nonce en particulier l usage ritualis de la m thode des cas qui consacre le primat de la raison analytique privil gie le raisonnement d ductif la disjonction sur la synth se Il souligne que la m thode des cas ne peut restituer un aspect fondamental la connaissance intime tacite de la situation que d veloppent les managers Mintzberg en appelle l mergence de modes de repr sentation de la connaissance alternatifs mieux m me de saisir la complexit de l activit manag riale La fiction peut pr cis ment constituer selon nous une fa on alternative d appr hender la complexit organisationnelle En effet les romanciers et les dramaturges ont cette capacit d crire l homme aux prises avec ses incoh rences La fiction a ceci d int ressant qu elle n impose pas un sens de la cl ture et des modes d interpr tation univoques du texte ainsi produit Un texte litt raire peut m ler plusieurs voix plusieurs points de vue sur une m me r alit chaque point de vue pouvant tre symbolis par un personnage La fiction rappelle Philips 1995 fait une large place l ambigu t au doute l quivocit au para
7. comme processus narratif et fictionnel strat gie de recherche et ou d intervention sur le r el mat riau empirique potentiel modalit alternative d criture des travaux de recherche 2 Nous revenons alors en synth se sur les contributions potentielles de la fiction tant a la pratique de recherche qu a la pratique manag riale en gestion des ressources humaines La prise en compte plus aigu des aspects symboliques de la vie organisationnelle la contribution a la construction du sens l accroissement de la facult d improvisation sont parmi les principaux arguments voqu s 3 L ensemble de la r flexion mobilise des travaux de recherche faisant un usage explicite de la fiction dans le traitement de probl matiques ressources humaines tude des discriminations au travail analyse de la culture organisationnelle conduite du changement rapport la r gle et au travail prescrit etc Mots cl s Fiction approche narrative pratique manag riale recherche en GRH Introduction L id e selon laquelle la production scientifique acad mique et la fiction notamment la litt rature g n rale auraient bien plus en commun qu on ne le suppose habituellement n est en soi ni particuli rement originale ni nouvelle La fin des ann es 1970 est ainsi marqu e par un tournant linguistique dans les sciences sociales dont on trouve l cho dans de multiples disciplines qu il s agisse de l analyse rh torique en sciences c
8. de l activit pr gnance d un mo d le objectivant des ressources humaines contr le du r seau de franchis s etc 7 Cr en 1971 Grimace est le compagnon le plus loyal et na f de Ronald Repr sent sous forme de milk shake pourvu de deux bras il est le seul membre du gang de McDonaldland ne pas arborer de M Il symbolise donc l tranger le regard ext rieur faussement candide port sur l univers d une multinationale La narration dans la recherche en gestion et en th orie des organisations trouve s incarner dans des formes multiples analyse de contenu appliqu e au discours des acteurs organisationnels technique des r cits de vie recherche par tudes de cas ou analyses longitudinales d bouchant le plus souvent sur la production de monographies c est a dire de narrations descriptives des ph nom nes tudi s Cette capacit de la narration rendre compte de la dimension subjective tacite des comportements organisationnels a pu tre int gr e par certains chercheurs dans leur approche de l intervention en organisation Argyris 1995 l un des fondateurs de l Action Science et auteur d une th orie de r f rence sur apprentissage organisationnel n h site pas appuyer ses modes d intervention sur l usage extensif de courts r cits autobiographiques Une tape importante dans la d marche d intervention d Argyris et dans son travail d lucidation des routines d
9. direct Mintzberg 2004 p 56 Figure 2 Le paradigme narratif en th orie des organisations Un mode d entr e privil gi pour analyser la culture les mythes gestionnaires les processus de socialisation au travail Un vecteur de changement une lecture prospective et r trospective de l organisation Une fa on de rendre compte de la polyphonie dans l organisation Un vecteur de mutualisation des savoir faire Un vecteur d engagement dans l action et de construction du sens L approche narrative d veloppe une th orie des organisations comme se constituant au travers des conversations et narrations de ses membres Boje 1991 L mergence du ancept de culture organisationnelle dans la litt rature en management n est sans doute pas trang re cette attention port e au r le des r cits dans les dynamiques organisationnelles Plus largement la narration qu elle mette en jeu des r cits r els ou fictifs semble jouer un r le majeur dans de nombreux ph nom nes int ressant directement la fonction ressources humaines Elle appara t ainsi jouer un r le fondamental dans la socialisation des nouveaux membres dans l organisation Brown 1982 montre le r le minent que joue la narration dans le processus de socialisation d employ s de cr ches en ce qu elle leur permet de faire sens des v nements qui traversent l organisation Le degr de familiarit des
10. en France le r cit de vie r sulte d une forme particuli re d entretien l entretien narratif au cours duquel le chercheur demande un acteur de lui raconter toute ou partie de son exp rience v cue L avantage du recours la m thode des r cits de vie est de rendre intelligible des trajectoires par l analyse diachronique d clairer les rationalit s qui les sous tendent de rendre compte des contextes dans lesquels s inscrivent les pratiques sociales 19 Argyris demande en l occurrence aux managers d crire deux histoires la premi re d crit de fa on la plus neutre possible l incident et ce que les acteurs ont dit cette occasion la seconde exprime les sentiments du manager et ce qu il a pens cette occasion La fiction comme mat riau empirique Le recours direct la fiction comme mat riau empirique dans la recherche en gestion appara t relativement marginal Paradoxalement l univers des organisations le monde des affaires ont t souvent voqu s par la litt rature Que l on songe simplement au B cher des vanit s de Tom Wolfe description acerbe du milieu de la finance ou bien encore Mort d un commis voyageur d Arthur Miller remarquable vocation de l organisation du travail dans les ann es 1940 Incorpor e dans le champ de la th orie des organisations la fiction peut pourtant s affirmer la fois comme mat riau empirique potentiel et source d inspiration m me de faci
11. fensives des managers consiste demander ces derniers d crire des r cits retra ant des incidents ou des blocages dans le processus d apprentissage l Le statut de ces m thodes de recherche est mi chemin entre le fait et la fiction dans la mesure ot les discours r cits narrations labor es sont le fruit d un double travail d interpr tation et de construction par les acteurs qui les verbalisent par le chercheur qui les met en forme et ou les conceptualise Envisag e comme d marche d intervention la fiction autorise ainsi simultan ment une prise de conscience des blocages l apprentissage organisationnel et de la diversit irr ductible des interpr tations dans l organisation Elle peut galement s affirmer comme vecteur de changement en aidant la construction des futurs possibles Un exemple plus direct de l int gration d un mat riau fictif dans une strat gie d intervention peut tre trouv chez Czaniarwska 2006 Dans la tradition des recherches f ministes critiques l auteur voit ainsi dans le recours la fiction litt raire un moyen de saisir les m canismes de discrimination l encontre des femmes Les m thodes de recherche conventionnelles prouvent en effet de s rieuses difficult s tudier la discrimination en pratique La r alisation d entretiens avec des salari s victimes de discrimination suppose des comp tences th rapeutiques que tout chercheur ne poss d
12. maticien cossais John Neper 1550 1617 inventeur des logarithmes cr a cette m thode pour l interpr tation num rologique de la Bible et en particulier le calcul de la date de la fin du monde voit ainsi un moyen d explorer l existence humaine d une fa on qui invite la polyphonie au doute au sens critique La production acad mique une forme de fiction Ainsi si l on abandonne le scientisme et une rationalit instrumentale dominante ne doit on pas admettre que la fronti re entre savoir narratif sous forme de mythes et d histoires et connaissance scientifique les faits est plus perm able qu il n y para t Cette capacit de l imaginaire symbolique inspirer les th ories scientifiques a bien t mise en vidence par l anthropologue G Durand 1979 L auteur souligne que toute d marche heuristique suit un plan ou une vis e imaginaire Il montre comment la grande r volution pist mologique du XX me si cle proc de d une tentative de rapprochement de deux d marches jusqu alors dissoci es le logos qui consacre le primat de la logique de la raison analytique et le mythos qui s enracine dans le mythe la fiction l irrationnel De fait c est c der la caricature que d op rer une dichotomie tranch e entre l hypoth se raisonnable et la fiction fantaisiste La science n est elle pas pr cis ment le lieu o la fiction fait la preuve de son efficacit donner au chercheur
13. pas dans sa capacit dire le r el mais en proposer une re description cr ative De fait dans une fiction les faits ne sont jamais pr sent s en eux m mes mais selon un certain point de vue une certaine optique Cette capacit de la fiction ordonner les v nements dans une trame signifiante en les clairant r trospectivement en fait un formidable levier de construction du sens Weick 1995 D un point de vue cognitif les travaux des psychologues ont montr que le recours la fiction tait une fa on pour l individu de n gocier son rapport au monde de sorte que les interactions futures avec ce dernier soient davantage adapt es Les jeux fictionnels ne jouent ils pas un r le central dans la maturation cognitive de l enfant et sa ma trise progressive du r el Ainsi c est dans la tension qui s instaure entre r el et imaginaire dans le refus de la vision directe dans cette capacit d crocher momentan ment du r el pour mieux y revenir par la suite que r side la v ritable force de la fiction Le romancier italien Italo Calvino 1989 a magnifiquement incarn cette id e en reprenant le mythe de Pers e affrontant la Gorgone Pour transformer la t te de M duse sans s exposer devenir Pierre Pers e prend appui sur ce qu il y a de plus l ger les nuages et le vent et son regard se pose sur ce qu une vision indirecte est seule en mesure de lui r v ler c est dire une image cap
14. r gulation autonome qui ob it diff rentes logiques a une logique d efficacit qui investit les failles les limites les incoh rences des r gles prescrites b une logique de d fense d int r ts particuliers ou cat goriels c une logique identitaire par laquelle l acteur en s appropriant la r gle lui donne sens Dans l pisode Une Belle Simpsonnerie Code 8F04 1991 Homer qui s tait assoupi en salle de commandes est r veill en sursaut par une alarme annon ant le d clenchement imminent du processus de fusion nucl aire Homer par ailleurs contr leur s curit de la centrale a d abord le r flexe d utiliser le manuel d instructions sp cifiant les actions a engager en cas d incident il songe donc dans un premier temps se conformer la r gulation de controle Apr s avoir compuls fr n tiquement a plusieurs reprises le manuel et c dant la panique Homer constate que les instructions ne lui sont d aucune utilit En effet le temps d absorber le manuel qui commence par un historique de 200 pages sur l histoire de la centrale la fission nucl aire aura largement eu le temps de se d clencher la r gulation de contr le la prescription ne sont efficaces que si l acteur leur donne sens les investit de son exp rience les adapte aux contraintes de la situation En d sespoir de cause et faute de ma triser les savoirs tacites n cessaires l interpr tation du man
15. une crise organisationnelle une plaisanterie circulant au bureau ces histoires s inscrivant elles m mes dans des enres narratifs diff rents la trag die l pop e le r cit romantique ironique L auteur distingue quatre modes de subjectivit l uvre dans l organisation s incarnant dans autant de figures arch typiques celle du h ros du survivant de la victime ou de l objet d affection 13 socio politiques acteurs et coalitions d veloppant des strat gies rh toriques diff rentes selon les parties prenantes en cause Une contribution la construction du sens Par contraste avec le mode logico scientifique de pens e qui tente d expliquer les v nements comme l instanciation d une loi g n rale le mode narratif interpr te les v nements l aune des intentions et motivations humaines Tsoukas et Hatch 2001 Ainsi la fiction plus que les m thodes conventionnelles de recherche est mieux m me de rendre compte des m canismes de construction du sens comme nous le rappelle K Weick 1995 Si l exactitude est belle mais non n cessaire dans le processus de construction du sens alors qu est ce qui est n cessaire La r ponse est quelque chose de plausible et coh rent quelque chose de raisonnable et de m morable quelque chose qui embrasse les exp riences pass es et les espoirs futurs quelque chose qui entre en r sonance avec autrui quelque chose qui capture simult
16. une vue prise sur le r el M me les sciences les plus strictes l instar de la physique th orique usent de la fiction La physique galil enne par exemple a construit son triomphe sur la loi de la chute des corps Mais cette loi repose sur une fiction elle n est valable que dans le vide elle nous dit comment la pierre tomberait si la r sistance de I air tait supprim e Physicien et pist mologue L vy Leblond 2004 compare ainsi les dispositifs exp rimentaux des chercheurs avec des machines fictionnelles soit une fa on d obliger la nature nous raconter des histoires neuves Il distingue dans cette optique deux modes de fiction op rant au c ur de la science 1 la fiction par restriction qui proc de par simplification du r el donne voir des mod les r duits du monde des cas Imite 2 la fiction par extension qui investit le monde sur un mode beaucoup plus imaginatif tente d inventer des mondes totalement autres de rompre avec nos conceptions de dessiner des figures in dites Sym triquement la recherche en gestion m me dans sa conception la plus traditionnelle ne se r sume t elle pas in vitablement une fiction Astley et Zammuto 1992 soulignent que la fronti re entre savoir narratif sous forme de mythes et d histoires et connaissance scientifique les faits est artificielle car la connaissance scientifique ne peut tre repr sent e que sous une forme narrative
17. DE LA FICTION COMME METHODE DE RECHERCHE LEGITIME EN GESTION DES RESSOURCES HUMAINES Amaury GRIMAND Maitre de conf rences HDR COACTIS EA 41 61 Universit Jean Monnet Saint Etienne 6 rue Basse des Rives 42023 Saint Etienne C dex 2 Amaury Grimand univ st etienne fr grimand romero wanadoo fr Tel 04 77 42 13 91 Fax 04 77 42 13 90 R sum Le recours la fiction n a pas toujours loin s en faut eu bonne presse dans la production acad mique en gestion De fait elle a souvent t confin e dans un r le strictement p dagogique sans envisager qu elle puisse s rieusement tre int gr e dans une strat gie de recherche et contribuer ainsi l effort de th orisation Cet article invite pr cis ment envisager les modes d usages possibles de la fiction en sciences de gestion et plus pr cis ment dans la recherche en gestion des ressources humaines La fiction apparait en effet comme un vecteur puissant de mise en d bat des pratiques organisationnelles Nous explorons dans cette optique la nature des relations entre fiction et recherche en sciences sociales en montrant que la fronti re entre la fiction fantaisiste et l hypoth se r aliste est beaucoup plus t nue qu il n y parait 1 Ce d veloppement liminaire permet alors d envisager une large diversit d usages de la fiction en gestion des ressources humaines comme modalit p dagogique fa on d appr hender la vie organisationnelle
18. acteurs avec les r cits organisationnels dominants devient dans ce cadre un indice de leur niveau d implication organisationnelle Le r cit appara t ainsi simultan ment comme une source de construction du sens et un vecteur identitaire La psychologie narrative Sarbin 1986 envisage de fait l identit personnelle comme I articulation de diff rents r cits L approche narrative alimente ainsi une perspective centr e sur le r le de la narration comme vecteur de construction du sens dont K Weick 1995 constitue l un des repr sentants les plus minents Pour Weick les r cits sont tout la fois un moyen de favoriser l engagement dans l action de r duire la complexit organisationnelle par l laboration r trospective du sens d accro tre la r silience de faciliter l expression et le partage des savoirs tacites La th orie des communaut s de pratique Wenger 1998 se centre pr cis ment sur le r le des r cits qu ils reposent sur des faits r els ou invent s dans la mutualisation des savoir faire la construction d un imaginaire collectif L laboration via les r cits d un r pertoire d exp riences et de solutions partag es permet ainsi une meilleure prise en charge des situations dysfonctionnelles On songe ici naturellement la c l bre tude de Julian Orr 1996 qui montre comment les techniciens de maintenance de Xerox construisent leur comp tence et une m moire organisationnelle par
19. action des plans strat giques donne lieu un vrai travail d criture au sens litt raire du terme leur restitution aupr s des managers prenant la forme du Storytelling G Shaw directeur de la planification et de l international 3M justifie en premier lieu le recours la narration partir d une critique de la forme usuelle de la planification strat gique et de sa figure arch typique les listes d objectifs Il en d nonce le caract re d sincarn et leur incapacit r v ler les logiques profondes qui gouvernent les choix strat giques La narration en introduisant une certaine dramaturgie est de ce point de vue mieux m me de cr er un sens de l urgence n cessaire au changement strat gique Tout en articulant les bribes du r el dans un ensemble signifiant elle peut en approfondissant sa nature fictive contribuer la cr ation du futur d sir et en rep rer les points de tension probables Par dessus tout de m me qu un roman peut tre consid r comme une co cr ation entre l auteur et le lecteur elle autorise une co production des textes strat giques contribuant ainsi favoriser leur appropriation La fiction comme mode d approche de la complexit organisationnelle Le recours la fiction aide saisir la pr sence simultan e dans la r alit organisationnelle de niveaux d interpr tation et de rationalit s multiples Barry et Elmes 1997 Comme le rel ve Kahane 2005 la fiction qu
20. agement sous le feu des projecteurs La pratique manag riale contest e en tant que processus relationnel Actes de la XVII me nf rence de l AIMS Nice 28 31 Mai Lamarque P et S H Olsen Truth Fiction and Literature Clarendon Press Oxford 1994 Latour B et S Woolgar 1988 La vie de laboratoire Paris La D couverte Lorino P 2005 Contr le de gestion et mise en intrigue de l action collective Revue Fran aise de Gestion num ro sp cial R cits et management n 159 p 189 212 P Lorino 2002 Vers une th orie pragmatique et s miotique des outils appliqu es aux instruments de gestion Essec Research Center DR 02015 2002 19 Lyotard J F 1979 La condition post moderne rapport sur le savoir Paris Les ditions de Minuit March J G et T Weil 2003 Le leadership dans les organisations Un cours de James March Presses de l Ecole des Mines de Paris McCloskey D N 1986 The rhetoric of economics Madison University of Wisconsin Press Mintzberg H 2004 Des managers des vrais Pas des MBA Un regard critique sur le management et son enseignement Paris Editions d organisation I I Mitroff et R H Kilmann 1975 Stories Managers Tell a New Tool for Organizational Problem Solving Management Review p 18 22 Orr J E 1996 Talking About Machines An Ethnography of a Modern Job Cornell University Press Ithaca Oswick C Keenoy T and D Grant 2002 Metaphors a
21. an ment les motions et la pens e quelque chose dont il soit amusant de prendre le contrepoint En r sum ce qui est n cessaire dans le processus de construction du sens c est une bonne histoire p 60 61 notre traduction En contribuant la construction du sens l usage de la fiction participe aussi de la recherche de v rit condition toutefois qu on ne fasse pas reposer les fondements de celle ci sur une dichotomie entre le vrai et le faux De fait pour Weick la narration est une ressource fondamentale dans le processus de Sensemaking D ailleurs l incapacit produire une narration propos d une situation de gestion n est elle pas le sympt me d une perte de sens Selon l auteur un syst me organisationnel qui valorise les histoires et le fait de raconter des histoires sera plus fiable parce que les individus connaitront mieux leur environnement et les erreurs susceptibles de s y produire L exemple de la soci t 3 M Shaw et al 1998 montre comment la narration et la fiction peuvent favoriser l appropriation des plans strat giques et les m canismes de construction du sens La soci t 3M a une longue tradition dans l usage de la narration et de la fiction comme mode d appr hension privil gi de la r alit organisationnelle Les commerciaux sont ainsi form s dessiner des histoires repr sentant les b n fices que les clients peuvent attendre des produits 3M Mieux encore la r d
22. comme la somme de ses versions suppose d abandonner la posture externaliste qui postule l existence d une r alit objective ind pendante de l observateur Comme le rappelle Fischer 1987 le monde que nous connaissons n est il pas un ensemble d histoires parmi lesquelles il nous faut choisir 17 R f rences Affergan F 1983 Anthropologie la Martinique Paris Presses de la fondation nationale des sciences politiques N Alter 2003 L Innovation ordinaire Paris PUF Argyris C 1995 Savoir pour agir Surmonter les obstacles l apprentissage organisationnel Paris Inter ditions Astley W G et R Zammuto 1992 Organization Science Managers and Language Games Organization Science Vol 3 p 443 460 Babeau O et J F Chanlat 2007 La transgression une dimension oubli e de l organisation Les pratiques transgressives comme m diatrices des contradictions organisationnelles Actes de la XVI me Conf rence de AIMS Montr al 6 9 Juin Barry D et M Elmes 1997 Strategy Retold Toward a Narrative View of Strategic Discourse Academy of Management Review Vol 22 n 2 p 429 452 Beech N 2000 Narrative Styles of Managers and Workers Journal of Applied Behavioral Science Vol 36 n 2 p 210 228 Becker H S 2002 Les ficelles du m tier Paris La D couverte Boje D Driver M et Y Cai 2005 Fiction and Humor n Transforming McDonald s Narrative Strategies Cu
23. comme une r flexion collective M Godet 2000 souligne que son appropriation suppose d articuler raison et motion la dimension intellectuelle et affective pour que l anticipation puisse se cristalliser en action efficace Fiction th ories critiques et de l mancipation Parce qu elle autorise une large diversit de regards de perspectives de points de vue sur le monde par sa capacit exacerber le r el pour mieux y revenir par la suite la fiction peut sans doute aider les acteurs d velopper une distance r flexive sur leur propre pratique L exemple pr c demment voqu de l tude par Czaniarwska 2006 de la discrimination au travail l encontre des femmes proc de de cette d marche Le recours la fiction par effet miroir peut ici aider les acteurs d velopper une r flexivit sur leur propre situation la verbaliser questionner leur rapport au travail autrui l organisation Il y a l sans doute des perspectives fructueuses pour l tude de ph nom nes comme les discriminations le harc lement la souffrance et le stress au travail et plus largement l identit professionnelle En t moigne une production cin matographique abondante qui ces derni res ann es a fait du travail et des formes d ali nation qui le traversent un objet d investigation central Un parall le peut ici tre tabli entre cette filmographie et le courant critique Critical Studies en gestion L
24. complex practice The case for a narrative approach b organizational complexity Human Relations Vol 54 n 8 p 979 1013 Vaara E 2002 On the discursive construction of sucess failure in narratives of post merger integration Organization Studies Vol 23 n 2 p 211 248 Van Maanen J 1995 Style as Theory Organization Science Vol 6 n 1 Weick K E 1995 Sensemaking in organizations Thousand Oaks CA Sage Wenger E 1998 Communities of Practice Learning Meaning and Identity New York Cambridge University Press 21
25. consiste extraire la connaissance pour l emprisonner dans une r gle aussi exhaustive soit elle Or il n est pas acquis que cette conception soit la garante d une plus grande efficacit Que l on songe ici simplement la c l bre fiction de Borges narrant la fabrication d une carte dont on augmente progressivement l chelle jusqu ce qu elle soit strictement quivalente au territoire qu elle est cens e repr senter soit une chelle de 1 A cette chelle non seulement la carte n est d aucune utilit mais elle ne repr sente pas davantage la r alit elle ne peut tre confondue avec le territoire La fiction comme modalit alternative d criture des travaux de recherche La fiction enfin peut tre appr hend e comme une modalit alternative d criture des travaux de recherche qui fasse contrepoids aux conventions d criture dominant la production acad mique Depuis quelques ann es les chercheurs en sciences humaines s interrogent explicitement sur l criture de leurs travaux Pour l anthropologue fran ais Affergan 1983 cette r flexion n est pas une simple affaire de conventions linguistiques elle renvoie une interrogation fondamentale sur le statut du chercheur et son rapport au terrain Nous n avons pas affaire un univers de production de propositions vraies ou fausses mais un monde ou les hommes s obligent se convainquent s utilisent se doivent de s en
26. de gestion De fait l approche narrative a t souvent utilis e pour analyser les processus de changement qu il s agisse d tudier le r le de la narration dans l appropriation de la strat gie par les diff rentes parties prenantes Barry et Hmes 1997 l int gration post fusion Vaara 2002 ou bien de fa on plus large son impact sur le contenu et les processus de formation des strat gies Giroux 2000 Sur un plan th orique la narration a pu ainsi tre appr hend e simultan ment comme une fa on d approfondir la compr hension des normes organisationnelles l uvre dans la dynamique du changement un outil rh torique de mobilisation des acteurs une fa on de r guler la tension entre l expression d un futur souhaitable et les interpr tations du pass Cette place de la fiction dans la gestion du changement est particuli rement mise en vidence par Boje et al 2005 dans leur c l bre analyse du cas de Mac Donald D cryptant l humour grotesque l uvre dans l univers fictionnel de Ronald McDonald ils montrent combien cette voix ne se r sume pas une posture ironique mais est un levier important de renouvellement des discours et r cits strat giques dominants dans l organisation A partir d une analyse des vid os de McDonaldland Boje et al montrent comment la fiction grotesque carnivalesque qui les infuse ach ve simultan ment la mort symbolique de l ancien mod le McDonald pass de
27. de recherche Un usage p dagogique une fa on de repenser l enseignement de la GRH Envisag e dans un registre p dagogique la fiction s affirme comme une fa on de repenser l enseignement du management via le recours la m taphore et au d tour litt raire James March March et Weil 2003 constitue une figure embl matique de cet usage p dagogique ainsi qu en t moigne l omnipr sence de la fiction litt raire dans son c l bre cours sur le leadership March utilise ainsi la fiction de Don Quichotte pour poser trois grandes questions sur le leadership Qu est ce qui motive et justifie les grandes actions Quel r le joue la vision Quel r le jouent les plaisirs prouv s en cours d action La folie de Don Quichotte consiste vivre dans un monde qu il se cr e et ne pas voir en fonction des cons quences de son action De fait tout v nement survenant dans l univers de Don Quichotte est interpr t l aune de sa volont d accomplir son destin de chevalier Comme Don Quichotte le leader est confront des choix permanents entre logique de l identit et logique de la r alit La logique de l identit consiste agir en fonction de la conception que l on a de sot m me l action n tant plus justifi e par les cons quences que l on peut en attendre Or vouloir imposer sa volont la r alit le leader l affranchit de tout contr le social et pratique Un parall le peut ici
28. doxe autant d aspects essentiels du fonctionnement des organisations qui sont parfois occult s par les d marches de recherche conventionnelles et la conception rationaliste qui a longtemps domin la th orie des organisations Cet aspect semble d autant plus sensible dans la recherche en gestion des ressources humaines longtemps soumise l emprise du mod le instrumental en GRH Brabet 1993 postulat d une convergence d int r ts entre acteurs d une homologie entre les buts de l organisation et les buts individuels outils de gestion appr hend s comme des vecteurs de prescription des comportements minorant ainsi les capacit s d interpr tation et d innovation des acteurs La vie organisationnelle comme processus narratif et fictionnel En sciences de gestion la perspective consistant appr hender la vie organisationnelle comme un processus narratif et fictionnel pr figurerait l av nement d un paradigme narratif pour tudier l organisation Giroux et Maroquin 2005 Ce paradigme loin d tre unifi embrasse une vari t d approches et de perspectives th oriques qui sont autant de regards port s sur le r le du r cit dans les dynamiques organisationnelles gt Les dirigeants efficaces font davantage que parler convaincre et prendre des d cisions ils cr ent des v nements en sortant de leur bureau en s impliquant en stimulant les autres ils voient sentent vivent et testent en
29. e pas n cessairement les donn es secondaires permettant de documenter le ph nom ne font le plus souvent d faut l observation participante d bouche parfois sur des interpr tations divergentes du ph nom ne entre le chercheur et les autres acteurs organisationnels La litt rature polici re constitue cet gard un moyen de d passer ces biais pour donner voir la discrimination l uvre et les m canismes qu elle met en jeu L auteur observe d ailleurs que les romans policiers s inscrivant dans la tradition r aliste n ont rien envier a certains travaux acad miques en termes de pr cision ethnographique Elle sugg re de confronter les victimes suppos es de discrimination la lecture d extraits de ces romans afin par effet miroir 1 de les amener d velopper leur interpr tation de la situation de discrimination 2 de favoriser dans une vis e mancipatrice une prise de conscience de leur propre statut de victime L auteur sugg re enfin que le recours la fiction puisse tre un moyen de d gager des facteurs de contingence culturels dans les pratiques de discrimination 8 L analyse de contenu est susceptible de s appliquer indiff remment des mat riaux constitu s de communications orales entretiens individuels ou de groupe ou crits rapports annuels d activit s plans strat giques lettres aux actionnaires Pour Bertaux 1997 l un des principaux repr sentants de cette m thodologie
30. ellement symbolique des pratiques organisationnelles autorisant une supr matie temporaire des motions sur la rationalit Ces micro fictions note Gabriel ne sont pas la simple retranscription des v nements pass s mais une fa on de les retranscrire po tiquement de leur donner sens contribuant ainsi la construction de la subjectivit dans l organisation Ce mat riau fictionnel n est pas confin l espace de l organisation clandestine mais est susceptible de traverser l espace de l organisation formelle pour se cristalliser tant t en mythes gestionnaires et conforter les routines existantes ou l inverse les subvertir Dans le m me ordre d id e Beech 2000 montre comment le changement dans un centre hospitalier articule une vari t de prises de parole et autant de styles narratifs l pop e qui consacre la figure h ro que des dirigeants le style romantique qui exprime les contradictions dans lesquelles se d bat l encadrement interm diaire la trag die qui signale le d sarroi des ouvriers qualifi s face au changement l ironie enfin qui marque la lassitude des ressources humaines face la non prise en compte de leurs interventions Cette pluralit cette flexibilit interpr tative des r cits qui traversent l organisation en font l instrument naturel de jeux Celles ci selon les cas de figure proc dent de l vocation d v nements divers la mort d un employ
31. es approches critiques en effet tout en d non ant la naturalisation des ph nom nes sociaux et les m canismes de perp tuation de l ordre tabli ont galement une vis e d mancipation par laquelle l individu prend conscience de sa condition de sujet Ce courant du cin ma social partage ainsi avec les approches critiques nombre de postulats majeurs 14 Pour autant on prendra acte de ce que la fiction ne saurait se substituer l exp rience des situations v cues par lesquelles les dirigeants efficaces font davantage que parler convaincre et prendre des d cisions ils cr ent des v nements en sortant de leur bureau en s impliquant en stimulant les autres ils voient sentent vivent et testent en direct Mintzberg 2005 p 56 15 Herbert Simon dans son ouvrage Les sciences de l artificiel 1969 fait de la conception design le trait central de ce qu il d nomme les sciences artificielles vocable qu il applique des disciplines comme l architecture l ing nierie et le management La conception est ici d finie comme une action humaine destin e cr er ou modifier quelque chose 16 Outre l exemple d j cit de Violence des changes en milieu temp r on peut voquer Ressources Humaines de Laurent Cantet Rosetta des fr res Dardenne Le Direktor de Lars Von Trier The Navigators de Ken Loach ou bien encore La M thode de Marcelo Pineiro confirmant ainsi l mergence en Europe du t
32. flexive sur sa propre pratique capacit a saisir les situations dans leur complexit et quivocit capacit nourrir une vision 15 anticiper les cons quences de ses choix renouveler les routines organisationnelles Cette capacit de la fiction nourrir la r flexivit n est pas assimilable la r verie ou la d sinvolture elle facilite le questionnement la mise jour de relations nouvelles les synth ses originales En second lieu le recours la fiction permet aux managers de se projeter dans diff rents types de r les ou postures manag riales Weick 1995 a montr combien cette capacit changer de r le de r gime d action tait cruciale en situation de crise de m me que l aptitude du manager comprendre les syst mes de r les dans lesquels s inscrit autrui La fiction par sa capacit varier les contextes inscrire les personnages dans une infinie diversit de situations peut aider travailler cette diversit de r les et faciliter leur appropriation La fiction nous pousse ainsi explorer le champ des possibles tout en invitant davantage de r flexivit sur nos propres pratiques Si l on reconna t pour caract ristique essentielle aux sciences de gestion d tre sciences de conception consistant imaginer les trajectoires dans lesquelles un collectif pourrait s engager alors le recours la fiction prend ici tout son sens Pr sentant la prospective
33. gagent qu ils appartiennent la soci t tudi e ou qu ils fassent partie de la communaut des anthropologues pour peu qu on admette qu aucune observation ne s labore sans r ciprocit p 22 A Sol 2007 d veloppe une critique acerbe des normes d criture dominant la production acad mique en gestion Il voit dans le style impersonnel qui la caract rise la marque du scientisme cette croyance dogmatique qui am ne les chercheurs pratiquer l imitation servile de la m thode et du langage de la science p 287 Cette posture proc de selon l auteur d une double mystification celle qui tend faire dispara tre toute trace d auteur du texte comme s il s agissait d escamoter les convictions doutes impressions ayant jalonn le processus de recherche celle qui donne a voir un processus de recherche maitris rationnel une s quence logique qui articule cadres th oriques et m thodes suffisamment l gitimes avec l expos de faits jug s probants Cette reconstruction a posteriori de son travail par le chercheur ne rend pas compte des bifurcations et contingences qui le jalonnent pas davantage qu il ne restitue les pratiques ou ficelles du m tier que le chercheur utilise en situation Becker 2002 Rhodes et Brown 2005 pour leur part contestent l id e que le recours la fiction conduise un relativisme absolu Ils y voient l inverse le moyen d imprimer au chercheur u
34. identit narrative d velopp par Paul Ricoeur souligne quel point le r cit la fiction sont des vecteurs de construction du sens pour l individu Si le tournant linguistique qui merge dans la d cennie 1980 consacre une exploration plus syst matique des liens entre sciences humaines et fiction force est d admettre que cette derni re a rarement eu bonne presse dans le champ acad mique La fiction rel verait ainsi in vitablement d une entreprise de mystification contraire aux principes de la connaissance scientifique En effet toute assertion fictionnelle tant inv rifiable par nature comment pourrait elle relever de la dynamique de l hypoth se La position d Eisenhardt 1991 propos du recours la fiction dans la recherche en gestion est de ce point de vue symptomatique du faible cho de la fiction dans la production acad mique L auteur si elle reconna t la narration une capacit rendre la production acad mique plus attractive lui d nie ainsi toute contribution significative la th orisation L auteur lie ainsi cette derni re l usage d une strat gie de recherche rigoureuse reposant sur l tude comparative de cas De fait il est frappant de constater quel point les arguments contre la fiction n ont gu re vari depuis le Platon de La R publique et sa diatribe contre les po tes de la Cit Platon ne voit dans la fiction que leurres fant mes d tournement de la v rit
35. la narration de faits d armes gt Parrmi ces r cits on distinguera notamment la chronique des v nements qui se sont effectivement produits outside story l histoire intime la fa on dont l individu se repr sente sa vie inside story le r cit de sa vie fait autrui inside out story ou bien encore sa propre vie racont e par autrui avec son propre lot de st r otypes et de clich s outside in story Lorino 2005 op re cet gard une distinction opportune quant la fonction du r cit selon sa nature la perp tuation de r cits anciens jouerait davantage un r le de capitalisation d e xp riences la fiction la cr ation d histoires nouvelles joueraient un r le d anticipation face des situations surprenantes ou impr vues l vocation de la r solution de pannes complexes Plus r cemment la perspective critique fortement inspir e par le courant post moderne s est int ress e aux m canismes par lesquels certains discours deviennent dominants et la fa on dont les managers mettent en sc ne via la narration leurs pr f rences qu il s agisse de culture organisationnelle de syst mes de r les ou de normes de comportement Selon nous la force de l approche narrative tient ce qu elle colle moins au paradigme de la d cision qu elle ne se r f re une th orie de l action collective dans laquelle un nombre croissant de chercheurs reconnaissent la sp cificit des sciences
36. liter le travail de construction th orique Son usage s incarne dans des formes extraordinairement vari es qu il s agisse de la nouvelle Czianarwska Jeorges et Monthoux 1994 du th atre Feldman 2003 de dessins anim s populaires Rhodes 2001 2002 ou bien encore de po sie Weick 1995 Ingersoll et Adams 1986 s appuient ainsi sur le classique Les raisins de la col re de John Steinbeck pour voquer le conflit entre les valeurs de l efficacit conomique et celles du bonheur individuel Nous d veloppons ciapr s deux illustrations du recours la fiction comme mat riau empirique Dans un article r cent Eve Lamendour 2008 analyse la repr sentation de la fonction manag riale travers le cin ma fran ais et notamment le film de Jean Marc Moutout Violence des changes en milieu temp r Posant le management comme un processus d ordre essentiellement relationnel le film questionne la pratique manag riale dans sa dimension manipulatoire comme mode de perp tuation des relations de pouvoir L ceuvre narre ainsi le parcours initiatique d un consultant junior fra chement dipl m confront son pygmalion un partner consultant exp riment et respect qui va le prendre sous son aile A travers cette figure classique de la formation du novice le film donne voir les m canismes par lesquels le d butant finit par se conformer une mission laquelle il se refuse pourtant thiquement l origine e
37. lture and Organization September Vol 11 n 3 p 195 208 Boje D M 1991 The Storytelling Organization A Study of Story Performance in an Office Supply Firm Administrative Science Quaterly Vol 36 p 106 126 Brabet J 1993 Coord Repenser la gestion des ressources humaines Paris Economica Brown M H 1985 That Remind Me of a Story Speech Action in Organizational Socialization Western Journal of Speech Communication n 49 p 27 49 Bruner J 1991 The Narrative Construction of Reality Critical Inquiry Autumn p 1 21 Calvino I 1989 Lecons am ricaines Aide m moire pour le prochain mill naire Paris Gallimard Czaniarwska Joerges B et P G de Monthoux 1994 Good Novels Better Management Reading Organizational Realities in Fiction Switzerland Harwood Czaniarwska B 2006 Doing Gender unto the Other Fiction as a Mode of Studying Gender Discrimination in Organization Gender Worker and Organization Vol 13 n 3 p 234 253 Darnton R 1984 Le Grand Massacre des chats Paris Robert Laffont De Cock C 2000 Reflections on Fiction Representation and Organization Studies An Essay with special reference to the Work of Jorge Luis Borges Organization Studies Vol 21 n 3 p 589 609 18 Dejours C 2007 Le facteur humain Paris PUF Coll Que sais je A ne dition Denison D Hooijberg R et R Quinn Paradox and Performance Toward a Theory of Behavio
38. manag riale Figure embl matique de ce courant Nelson Philips 1995 r sume les arguments plaidant en faveur du recours la fiction dans la recherche en gestion En tant que narration la fiction ouvre un espace au lecteur pour litt ralement entrer dans l histoire et faire l exp rience des v nements d crits elle est par ailleurs extraordinairement flexible permettant ainsi d appr hender l organisation comme un syst me complexe ambigu unique d pendant d un contexte sujet d interpr tations objet de r sistances et d inventions qui caract risent le fonctionnement r el des organisations Philips dans cette optique voit le recours la fiction comme une voie alternative et compl mentaire de recherche il propose sur cette base une typologie de l analyse des organisations selon quatre types d approches la non narrative nonfiction l tude statistique la narrative non fiction l tude de cas la non narrative fiction les concepts th ories et mod les math matiques la narrative fiction du roman la po sie en passant par la fiction cin matographique et les fictions populaires Nous d veloppons crapr s les principaux modes d usage de la fiction narrative dans la recherche en gestion et plus particuli rement dans la recherche en gestion des ressources humaines Cinq modes d usage de la fiction en gestion des ressources humaines Pour notre part la relatio
39. mode et sa renaissance sous une autre forme McDonald a construit en effet son succ s sur un syst me rationnel de gestion des op rations fond sur la standardisation et le contr le Cette philosophie gestionnaire marqu e du sceau de la rationalit prouve ses limites face la mont e en puissance du mouvement alter mondialiste et sa critique de l imp rialisne culturel de McDonald Le personnage de Grimace figure centrale de McDonaldland r sume lui seul la volont actuelle de l entreprise de d passer ce rationalisme troit pour engager un dialogue plus constructif avec les mouvements citoyens La fiction comme strat gie de recherche et ou d intervention La troisi me perspective appr hende la fiction comme une strat gie de recherche part enti re au m me titre que les d marches plus conventionnelles et ou une modalit d intervention sur le r el L appr hension de la fiction comme m thode de recherche l gitime en gestion et vecteur d appropriation des connaissances reste un champ relativement vierge quelques exceptions pr s Philips 1995 De Cock 2000 L acception ancienne du terme de Carnaval procession des dieux morts fait justice de ce r le de la fiction Les traductions en sont multiples syst me de production et de d veloppement produit planification strat gique codification des connaissances et partage des bonnes pratiques culture homog ne proc duralisation
40. n entre fiction et gestion et plus particuli rement entre fiction et gestion des ressources humaines est susceptible de s incarner dans cinq types d usages e Un usage p dagogique une fa on de repenser l enseignement du management via le recours la m taphore et au d tour litt raire e Un usage de la fiction comme mat riau empirique c est dire une fa on de concevoir la vie organisationnelle comme processus narratif et fictionnel Ceci am ne consid rer qu une organisation n est pas faite que de structures proc dures et processus de gestion mais qu elle est aussi travers e de mythes r cits fictions qui la constituent aussi en tant qu organisation e Une strat gie de recherche part enti re au m me titre que les d marches de recherche plus conventionnelles Un mat riau empirique potentiel Une modalit alternative d criture des travaux de recherche qui d passe le style impersonnel dominant la production acad mique et favorise l appropriation des connaissances produites en sciences de gestion Figure 1 5 usages possibles de la fiction en sciences de gestion Un usage p dagogique de la fiction Une fa on de repenser La vie organisationnelle comme processus narratif et fictionnel l enseignement du management La fiction comme strat gie de recherche part enti re La fiction comme mat riau empirique Une modalit alternative d criture des travaux
41. n l occurrence conduire une restructuration d bouchant sur un plan social Analysant la structure filmique Lamendour montre que ce processus op re en cinq tapes e Le choix d un sujet mall able priv de ressources personnelles familiales ou sociales lui permettant de prendre du recul par rapport une situation e La mise en confiance progressive du d butant par le manager et l exposition ostentatoire des signes et symboles du statut d sir le statut de partner ou d associ tout en montrant le caract re fragile de ce dernier e La mise en situation du jeune cadre et son engagement dans l action mais travers un contrat fondamentalement implicite le manager ne d voilant au d butant les tapes de sa mission que partiellement et progressivement e L mergence d une crise d une d stabilisation le d butant se voit opposer un choix thique entre mener des entretiens d valuation pour s lectionner les salari s qui subiront un plan social et la possibilit de renoncer son poste e L adh sion au statut et l action la fin du processus montre quel point l adh sion au statut aux r gles aux normes du groupe rend quasrirr versible la dynamique d action et engage le personnage bien au del de ce qu il envisageait quand il tait encore d butant Nous avons nous m mes 2008 2009 trouv dans la culture populaire en l occurrence dans la fiction anim e Les Simpsons une o
42. n sens plus aigu de sa responsabilit en tant qu auteur Dans le m me esprit Oswick et al 2002 invitent les chercheurs en th orie des organisations a d passer les conventions d criture dominant la production acad mique pour investir des figures de style g n ralement d consid r es en gestion l ironie la satire le singulier Le recours la fiction comme modalit d criture des travaux de recherche peut de ce point de vue favoriser l exercice de la r flexivit et imprimer au chercheur un sens plus aigu de sa responsabilit en tant qu auteur Montaigne dans ses c l bre Essais revendique ainsi l usage de l exemple fictif comme susceptible de favoriser l criture de soi 12 Les contributions de la fiction la recherche en gestion des ressources humaines Une int gration plus aigu des aspects symboliques de la vie organisationnelle En donnant voir la dimension subjective symbolique de la vie organisationnelle la fiction constitue un contrepoint utile aux m thodes traditionnelles de recherche en gestion Par souci d objectivation celles ci ont en effet souvent tendance tre aveugles aux univers sociaux et symboliques dans lesquels se meuvent les acteurs et se fermer la question de l action et du sens C est la grande force de la fiction cet gard que d aider les acteurs construire la signification de leurs tions se situer dans un rapport eux m mes et au monde
43. nd Analogical Reasoning in Organization Theory Beyond Orthodoxy Academy of Management Review Vol 27 n 2 p 294 303 Piette I et L Rouleau 2008 Le courant discursif en th ories des organisations un tat des lieux Cahiers de recherche du G PS Vol 2 n 2 F vrier Philips N 1995 Telling Organizational Tales On the Role of Narrative Fiction in the Study of Organizations Organization Studies Vol 16 n 4 p 625 649 Reynaud J D 1989 Les r gles du jeu Paris Armand Colin Rhodes C et A D Brown 2005 Writing Responsibly Narrative Fiction and Organization Studies Organization Vol 12 n 4 p 467 491 Rhodes C 2001 D Oh The Simpsons Popular Culture and the Organizational Carnival Journal of Management Inquiry Vol 10 n 4 p 374 383 Ricoeur P 2000 La m moire l oubli l histoire Paris Seuil Schaeffer J M 1999 Pourquoi la fiction Paris Seuil Po tique Sarbin T R Ed 1986 Narrative Psychology The Storied Nature of Human Conduct New York Praeger Searle J 1982 Sens et expression Paris Editions de Minuit Shaw G Brown R et P Bromiley 1998 Strategic Stories How 3M Is Rewriting Business Planning Harvard Business Review May June p 41 50 Sol A 2007 Le chercheur au travail dans A Ch Martinet Coord Epist mique pragmatique et anthropologie Vuibert Fnege p 285 305 20 Tsoukas H et M J Hatch 2001 Complex thinking
44. onomiques McCloskey 1986 des rapports entre anthropologie et th orie litt raire Geertz 1988 ou bien encore du d bat toujours vivace sur l importance du savoir narratif Lyotard 1979 Communaut scientifique et communaut litt raire restent malgr tout s par es par des normes sociales et cette croyance qu il y a une diff rence fondamentale entre la fiction des crivains et les faits r v l s par le discours des scientifiques D s lors qu est ce que la narration la m taphore le d tour litt raire ont nous dire sur la vie des organisations La fiction mensonge utile Emergeant dans la langue fran aise au cours du XII me si cle le terme de fiction issu du latin fingere d crit l activit qui consiste modeler dans l argile sculpter fa onner repr senter faire des figures Ainsi l tymologie n oppose en rien la fiction comme invention cr ation imaginaire et la fiction comme repr sentation mod le L une est l autre ce que l imaginaire est l image un prolongement sans rupture Le d veloppement exponentiel de la fiction depuis la Renaissance et l incroyable profusion de formes qui l accompagne d sormais litt rature cin ma th tre dessins anim s populaires t moignent de la nature profond ment sociale de la fiction L usage de la fiction semble ainsi li l envie universelle de raconter et d couter des histoires Le concept d
45. pour animer leurs r cits ou tenter d prouver la v racit d explications causales avec ce que l on nomme des r cits contrefactuels D un point de vue pragmatique on soulignera l int r t de ce type d exp rimentation pour la recherche en gestion d s lors que les situations auxquelles on s int resse 1 peuvent tre repr sent es mais difficilement r alis es car elles correspondent des cas limite ou des situations id ales 2 sont difficilement r alisables pour des raisons thiques Le recours la fiction pour l tude de ph nom nes comme la souffrance ou la discrimination au travail prend ici tout son sens La fiction instaure ainsi des exp riences de pens e singuli res Elle place des personnages dans des situations hypoth tiques parfois lourdes de cons quences Ce que peut apporter la fiction la pratique manag riale c est une capacit renouveler les cadres d action et d interpr tation qui la fondent anticiper leurs cons quences imaginer des niveaux d analyse insoup onn s Jameson 2001 montre ainsi comment les responsables de succursales d une grande cha ne de restauration am ricaine se servent de r cits fictifs pour anticiper les effets des nouvelles r gles que le si ge entend leur imposer Ce potentiel de la fiction appara t particuli rement en phase avec les caract ristiques du leadership transformationnel telles qu voqu es par Denison et al 1996 distance r
46. pportunit de revisiter la litt rature sur la transgression organisationnelle La s rie v ritable succ s plan taire diffus e pour la premi re fois dans son format actuel sur la cha ne am ricaine Fox en 1989 est con ue comme une repr sentation fid le et humoristique de la famille moyenne am ricaine Les organisations et institutions sont 11 Les r f rences ne sont pas mentionn es en bibliographie afin de respecter l anonymat de l auteur 10 fr quemment le sujet et le contexte des pisodes Ainsi en va t il de la SNPP la centrale nucl aire premier employeur de la ville imaginaire Springfield Homer Simpson star incontest e de ce dessin anim populaire est l un de ses employ s d tenteur de ce record peu enviable qui consiste tre le salari tre rest le plus grand nombre d ann es un niveau d butant La s rie empreinte d un certain degr de r alisme ne vise pas reproduire la r alit en tant que telle mais plut t l amplifier l exacerber afin de mieux la questionner Les normes et conventions sociales notamment celles qui fondent l exp rience du salariat et des liens de subordination sont mises en sc ne exemplifi es pour mieux tre transgress es Les Simpsons par ce m canisme subtil d inversion ou de d tournement des normes mettent ainsi sur le devant de la sc ne une th matique la d viance la transgression peu trait e en gestion De fait si l ergonomie o
47. qui les entoure La fiction offre en effet une palette de techniques qui permettent de rendre compte de la dimension subjective psychologique parfois fantasmatique des situations de gestion et de la fa on dont les acteurs se les approprient Elle nous rend plus sensibles l exp rience de la peur de l humour du plaisir de l envie de l ambition autant d l ments qui orientent le comportement des acteurs organisationnels Philips 1995 Parce qu elle articule le changement et la continuit et qu elle m nage le sentiment de progression vers une fin en d pit des tensions conflits jalonnant l intrigue la fiction est un formidable r v lateur de l identit et des moments charni res qui participent sa construction Gabriel 1995 pour sa part voyant dans le projet de contr le l un des fondements de la th orie des organisations projet dont les origines peuvent tre trac es depuis Taylor et Fayol en passant par les travaux de Weber sur la bureaucratie souligne qu il s appuie sur une th orisation incompl te et discutable de l action collective organis e Incarnation du mythe de la rationalit March 1999 cette th orisation donne voir des acteurs priv s d autonomie cognitive et politique Gabriel constatant la pr sence de multiples mat riaux fictionnels en organisation anecdotes blagues surnoms graffitis histoires y voit non pas l expression d une r sistance mais l indice d un renouv
48. ravail comme genre dramatique part enti re 16 e L organisation n existe pas en apesanteur elle est aussi E reflet de son contexte socio historique La recherche en GRH dans cette optique doit s efforcer d articuler le niveau institutionnel et le niveau organisationnel le niveau macro et le niveau micro des situations de travail e Les dynamiques organisationnelles sont instables incertaines quivoques susceptibles d interpr tations multiples e Les rapports sociaux ne doivent pas tre naturalis s mais sont le fruit de constructions symboliques et discursives produites et reproduites dans les pratiques quotidiennes e L organisation y est pr sent e comme une constellation de micro dispositifs de pouvoir d l ments d oppression et d occasions d mancipation e Le changement organisationnel ne peut se concevoir sans des formes de r sistance et d mancipation des individus Ces derni res pour exister supposent que les individus puissent exercer une distance r flexive sur leur propre action Conclusion La fiction tout en travaillant simultan ment a la th orisation et la pratique manag riale permet galement de travailler l interface entre les deux Elle poss de en effet les caract ristiques essentielles des th ories susceptibles d informer la pratique manag riale Mintzberg 2004 une capacit envisager la pratique sous un jour non conventionnel voire subversif une capaci
49. t varier les contextes et offrir des explications rivales du m me ph nom ne une capacit moins prescrire qu donner du sens Naturellement ce n est pas affirmer un point de vue pist mologiquement neutre que de croire en usage de la fiction comme mat riau empirique ou strat gie de recherche La th orie des organisations reste en effet fortement influenc e par une rationalit instrumentale dominante qui voit la science et les r cits fictionnels comme deux domaines irr conciliables plut t que deux chemins d acc s la connaissance irr m diablement li s Pourtant les th oriciens de l histoire analysant la position des r cits historiques ont bien montr comment l historien mobilisait des dispositifs fictionnels afin d imprimer sens aux v nements d crits Ce statut ambigu des r cits historiques nous est parfaitement restitu par Paul Veynes 1971 Les historiens racontent des intrigues qui sont comme autant d itin raires qu ils tracent leur guise travers le tr s objectif champ v nementiel lequel est divisible l infini et n est pas compos d atomes v nementiels aucun historien ne d crit la totalit de ce champ car un itin raire doit choisir et ne peut passer partout aucun de ces itin raires n est le vrai n est l Histoire p 57 Une telle d marche parce qu elle affirme clairement le statut du chercheur en tant qu auteur parce qu elle appr hende le r el
50. tur e dans un miroir C est toujours le refus de la vision directe qui fait la force de Pers e et non un refus de reconna tre la r alit du monde de monstres parmi lesquels il lui faut vivre p 21 22 Cet apport de la fiction prend un relief particulier dans le champ organisationnel Une organisation se pr sente en effet comme un ensemble de dispositifs sociaux techniques culturels juridiques thiques destin s permettre l action collective en vue d obtenir des r sultats Lorino 2002 Elle engage une double dimension d action et de signification par laquelle les acteurs s efforcent de donner un sens leurs exp riences au flux d v nements dont ils sont partie prenante leur relation autrui et l organisation C est pr cis ment Vapport de la fiction par l infinie vari t des genres et proc d s narratifs qu elle utilise flashbacks exemplification multiplication des points de vue que de permettre une lecture de l action collective qui fasse sens Ainsi la fiction peut elle tre appr hend e comme un moyen de conna tre et comprendre la complexit l ambigu t et l insaisissable de la vie organisationnelle Piette et Rouleau 2008 p 4 Dans le m me temps la richesse de l univers fictionnel tient ce qu il embrasse non pas un seul regard sur le monde mais une profusion de regards de lectures possibles Parlant de fiction romanesque Kundera 1986 y Le math
51. u la psychologie cognitive ont mis en vidence depuis fort longtemps les d calages qui s instaurent entre des prescriptions formelles et des usages en situation force est d admettre que l on peine sortir d une vision de la transgression comme erreur dysfonctionnement co t cach Babeau et Chanlat 2007 Cette conception fiabiliste du facteur humain Dejours 2007 fait de l acteur une source d erreur un agent de fraude La r gle affirme d s lors sa vocation substitutive elle n a plus vocation seulement orienter l action mais pr tend la d terminer dans une d marche qui n chappe pas la fiction de la prescription totale cette croyance en la possibilit de codifier totalement le travail De nombreux pisodes des Simpsons offrent pourtant une lecture bien diff rente de cette conception fiabiliste tout en revisitant le statut de la r gle Toute r gle est n cessairement faillible lacunaire C est pr cis ment dans l incompl tude des r gles prescrites dans les d calages qui s instaurent entre des prescriptions et des usages en situation que viennent se nicher l intelligence pratique et les capacit s d improvisation des acteurs Alter 2003 Le fonctionnement concret de l organisation appara t lui m me comme le r sultat articul de deux types de r gles une r gulation conjointe Reynaud 1989 une r gulation de contr le qui vise normaliser prescrire les comportements et une
52. uel Homer laisse de c t le manuel la r gle qui veut qu on l utilise en toutes circonstances est donc trans gress e et a recours une s rie de comptines pour d cider du bouton sur lequel appuyer L alarme s arr te net Homer est ainsi l origine d une r gulation autonome par laquelle il tente de r pondre aux lacunes de la prescription et d un manuel d instructions bien trop exhaustif Il est permis naturellement de douter de la pertinence de cette r gulation mais c est un autre d bat On apprendra plus tard que l alarme tait d faillante une corneille gar e s tant introduite dans le syst me belle m taphore au passage de la faillibilit de la r gle prescrite 11 De fait ce n est pas la r gle elle m me qui ici est en cause mais la philosophie gestionnaire pr sidant sa conception La tradition rationaliste qui a longtemps domin la th orie des organisations a pu ainsi entretenir une confusion quant au statut m me de la r gle en affirmant sa vocation substitutive La r gle dans ce cadre est envisag e dans un registre exclusif de prescription des comportements son efficacit d pend de son aptitude r pliquer la r alit mimer le r el L acteur lui m me est d peint comme entretenant un rapport d ext riorit la r gle c est un acteur d sincarn sans d sirs strat gies buts ou identit De cette conception on admettra qu elle repose sur un leurre celui qui
53. ural Complexity in Managerial Leadership Organization Science Vol 5 n 5 p 3 22 Durand G 1979 Science de l homme et tradition Paris Albin Michel Eisenhardt K M 1991 Better stories and better constructs the case for rigor and comparative logic Academy of Management Review Vol 16 p 620 627 Feldman S P 2003 Weak Spots in Business Ethics A Psycho Analytic Study of Competition and Memory in Death of a Salesman Journal of Business Ethics Vol 44 p 391 404 Gabriel Y 1995 The Unmanaged Organization Stories Fantasies and Subjectivity Organization Studies Vol 16 n 3 p 477 501 Geertz C 1988 Works and lives The anthropologist as author Stanford CA Stanford University Press Godet M 2001 Manuel de prospective strat gique Dunod Paris 2 dition Giroux N et L Maroquin 2005 L approche narrative des organisations Revue Fran aise de Gestion num ro sp cial R cits et management n 159 p 15 42 Giroux N 2000 L analyse narrative de la strat gie Actes du congr s de l AIMS Montpellier Ingersoll V H et Guy B Adams 1986 Beyond Organizational Boundaries Exploring the Managerial Myth Administration and Society Vol 18 n 3 p 360 381 Jameson D 2001 Narrative Discourse and Management Action The Journal of Business Communication Vol 38 n 4 p 476 511 Kundera M 1986 L art du roman Gallimard Paris Lamendour E 2008 Le man
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