LLE TEXTE ÉTRANGER - Université Paris 8
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1. un texte qui affirme alors de plus belle l cart infranchissable qui le s pare de quiconque chercherait le com prendre le saisir arr ter sur un quelconque sens ou sa propre v rit Le t lescope ici ne fait que mine de la r duire cette distance pourtant plus que jamais maintenue entre le sujet qu on imagine confortablement assis et son objet qui poursuit inlassablement sa route d vastatrice Le c ur gauchit tout ce qui l entoure Or d faut de pouvoir saisir l essence de ce c ur ou ce qui revient au m me de pouvoir dire la v rit du texte le discours critique coup s r ne peut que sonner faux tenu inexorablement l cart ou en coulisses C est peut tre aussi en ce sens qu Imogen dans la nouvelle suivante prend des notes de lecture Reading Notes au sujet de l uf 2 l have given my life to observing the hearts Observing of course is the wrong word for the patient cultivation of blind spots for trying to understand by the ways in which yes do not understand what the heart is In this investigation invisibility is evidence blindness the closest may come to insight the particular shape and tenor of ignorance a clue and a scripture When can no longer see anything will know am face to faceless with the heart What sit at my telescope straining my neck my fingers numb claws in hopes of catching sight of nothing at all Yes wil2. l une des nouvelles d autant de 24 What s divine is disappearance and don t mean a running takeoff or a big flap flap mean a spasm of absence absolute Almost atomic Only take away the mushroom clouds and shadows too and the spectator s silly sunglasses Leave nothing Really nothing p 414 personnages sur lesquels on a pris l habitude de fermer les yeux qu on ne voit pas qu on ne veut pas ou plus voir et qui comme cette informatrice anonyme dans Blood qui jadis nettoyait les art res de Londres s emplissant intervalles r guliers mensuellement menstruellement de sang ne veulent pas ou plus se laisser voir choisissant une disparition radicale la fin du texte Voil mon histoire et je vous en dirais sic pas plus Au revoir Monsieur et bonne chance avec votre livre 25 elle laisse le journaliste qui elle se confiait seul face son texte texte qu il n crira pas vraiment puisque seule s offre la lecture la retranscription des propos tenus par l informatrice confinant la voix auctoriale dans les marges du texte I n y a par cons quent rien de surprenant encore ce que Half Life doive son titre au calcul de la d croissance radioactive ce qu on appelle la demi vie d finie comme le temps n cessaire la moiti des atomes d une substance radioactive pour se d sint grer Demi vie le temps n cessaire la moiti des atomes dan
3. tre au fond qu un leurre un exc s s rement une omission qui s omet dans un texte qui en rien jamais n offre son lecteur la garantie que ce qui est lu puisse l tre ou demeure lisible au contraire le lisible serait sans doute chercher dans l espacement m me du texte c est dire dans ce qui sans cesse s tire se retire Ce livre a t tellement effac que sa majeure partie comme celle d un iceberg demeure invisible Je commence me dire que le vrai livre c est celui l Les mots que vous lisez en ce moment sont comme un effacement effac une omission soigneusement omise 8 Or si le propre de l esth tique dans sa dimension politique est pour Ranci re de donner une visibilit ce qui tait invisible ce qui dans un premier temps pourrait tre le cas dans The Melancholy of Anatomy on pourra se demander ce qu il en est et de l esth tique et de la politique jacksonniennes qui en quelque sorte renversent ici la probl matique puisque l criture de Shelley Jackson intime et politique la fois en un sens qui suivant la logique d finie par Micha l F ssel dans La Privation de l intime nest pas contradictoire s acharne au contraire mettre en lumi re et non rendre visible Il existe une sorte de c cit de visibilit Lorsque tout re oit une lumi re gale les distinctions disparaissent Le fond et la forme sont indissociables Vous ne pouvez distinguer
4. ce qui est proche de 27 am forgetting what cannot be erased the spaces An eraser wielded against a blank page does not further whiten whiteness but leave sic a mark p 355 28 This book has been so much erased that its larger part like an iceberg s is invisible begin to feel that that is the real book The words you are actually reading are just a sort of erased erasing a cautiously omitted omission p 355 ce qui est loin tout au loin 2 l invisibilit m me dans le visible et non selon la pens e de Ranci re rendre visible ce qui pour des raisons politiques tait maintenu dans l invisibilit Ainsi il ne s agirait peut tre plus tant sur les traces du modernisme de donner lire l illisibilit mais plut t de d jouer d lire le lisible ou ce qui se donne comme tel ce que nous lisons ne nous regarde pas peut tre parce que ce qui nous regarde est d j ailleurs jamais l o on le regarde Il y a une certaine assurance et une certaine facilit dans la lecture qui toujours part du principe qu il y a quelque chose lire Ces pages que je tiens en mains sont ce que je lis et ma lecture en tire profit On pourrait cet gard citer et paraphraser Georges Didi Huberman qui au d but de Ce que nous voyons ce qui nous regarde crit Bien s r l exp rience famili re de ce que nous voyons semble le plus souvent donner lieu un avoir en Voyant quelque chose
5. contraire un mouvement d ext riorisation du discours narratif ce que sugg re la particule dans l expression anglaise cross out Or c est pr cis ment ce qu est encore cet incipit dont Nora revenant sur les raisons qui ont pouss e crire ce texte la fin de la deuxi me partie du roman dira qu il n a d existence que dans ou sous la rature Blanche crivis je Sombre jour de ma nuit claire Puis je le raturai et recommen ai J crivais ce livre 23 chaque mot encr sur la page correspondrait un blanc une absence une pouss e vers l invisible ou l illisible sans lesquels le sens 21 Ibid p 86 22 On pourrait cet gard envisager un autre diagramme de Venn form par les deux cercles de l intime et du politique pour repr senter l criture de Jackson 23 Blanche I wrote Dark day of my bright night Then crossed that out and started over I was writing this book p 335 ne peut se faire jour de fa on significative seule une page sur deux du roman est num rot e l autre r v lant la blancheur de la page C est en quelque sorte un texte sous rature qui se donne lire ou plus pr cis ment ne pas lire un texte qui litt ralement s absente se retranche se retire s intime donc dans ses blancs dans ses trou es sa b ance constitutive ce qui est divin c est la disparition et je ne parle pas d un d collage plein ga
6. le moi individuel du nous collectif est minemment poreuse et r versible le garant de l intime est d j la marque du politique et inversement Au moment o et alors m me sans doute que la parole cherche se faire authentique dans le sens o toute l entreprise narrative de Nora consiste se d finir contre sa s ur jumelle celle ci est en fin de compte minemment politique ma parole est toujours d j plurielle et plus encore sans doute lorsqu elle se couche sur le papier prise en charge confi e lue et repr sent e par un autre en mon absence parole incarn e d doubl e politis e donc mais aussi et surtout dans son absence m me on ne peut plus intime puisque d s lors retranch e de la sph re sociale d un change possible d une conversation parole lettre morte pourtant pourtant rendue accessible dans son inaccessibilit m me gr ce cette m diation noir sur blanc devenue le signe tangible de cette relation dont parle Micha l F ssel lorsqu il fait de l intime un concept relationnel 2 relation dans laquelle litt ralement je suis chez moi dans l autre ce que pr cis ment Nora dans Half Life ne parviendra pas tre toujours une autre 19 Vladimir Nabokov Lolita 1955 Harmondsworth Penguin Classics 2000 Lolita light of my life fire of my loins My sin my soul Lo lee ta the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to ta
7. nous avons en g n ral l impression de gagner quelque chose Mais la modalit du visible devient in luctable c est dire vou e une question d tre quand voir c est sentir que quelque chose in luctablement nous chappe autrement dit quand voir c est perdre Tout est l 5 Tout est l aussi chez Jackson ce que nous lisons nous chappe in luctablement Ces corps proprement parler monstrueux que dessine l criture ne sont plus tout fait les n tres Sont ils autres ou diff rents pour autant Quand lire c est perdre quand lire c est faire l exp rience d une d possession d possession du propre et de la propri t en m me temps que tombent les fronti res les garantissant celles l m mes qui tiennent distance l un de l autre en respect les discours trangers C est ainsi un cart infranchissable 2 There is a kind of blindness of visibility When everything is spotlit equally distinctions disappear Figure and ground are soldered together You can t tell what is close from what is far far away p 379 30 Georges Didi Huberman Ce que nous voyons ce qui nous regarde Paris ditions de Minuit 1992 p 14 entre le texte et sa critique qui se dessine ou s efface s espace encore un peu plus dans l criture de Shelley Jackson Invalide t elle pour autant sa critique Non sans doute peut tre au contraire la rend elle urgente comme elle rend urg
8. LE TEXTE TRANGER 8 L INTIME ET LE POLITIQUE DANS LA LITT RATURE ET LES ARTS CONTEMPORAINS Num ro coordonn par Florence Baillet et Arnaud Regnauld Universit Paris 8 POUR CITER CET ARTICLE St phane Vanderhaeghe Ce que nous lisons ce qui ne nous regarde pas lectures intimes de Shelley Jackson Le Texte tranger en ligne n 8 mise en ligne janvier 2011 URL http www univ paris8 fr dela etranger pages 8 vanderhaeghe html CE QUE NOUS LISONS CE QUI NE NOUS REGARDE PAS LECTURES INTIMES DE SHELLEY JACKSON St phane Vanderhaeghe UNIVERSIT DE CERGY PONTOISE P ubli en 2002 The Melancholy of Anatomy de Shelley Jackson ouvrage mi chemin entre le recueil de nouvelles et le roman s ouvre sur un texte qui pourrait se lire comme le mode d emploi du livre que le lecteur tient entre les mains Il y est question d un c ur aux dimensions cosmiques c ur noir l aff t duquel la voix narrative a d cid de se mettre pour en d couvrir le sens et la port e trange t che s il en est que de se mettre en qu te de l invisible que de vouloir d chiffrer l illisible Car ce c ur pr cise t elle ne se rend Visible que sous la forme d une tache aveugle d un angle mort a blind spot ce c ur prend corps dans son absence m me allant jusqu perforer le n ant J ai consacr ma vie l observation des c urs L observation naturellement n est pas le terme correc
9. e Or si u n partage du sensible fixe en m me temps un commun partag et des parts exclusives il semblerait que le commun partag soit chez Jackson r duit au maximum le texte jacksonien paradant ainsi ses parts exclusives intimes et secr tes secr tes du moins en apparence car en fin de compte il n y a gu re de secret dans l intime et c est peut tre ce qui en fait la force sur le plan politique comme l crit Micha l F ssel o n pense souvent que l intime est le cach nous pr f rons dire qu il permet de suspendre tout jugement ext rieur sur ce qui s y trouve labor 6 Car tout est bien l en 4 http collection eliterature org 1 works jackson__my_body_a_wunderkammer html 5 Jacques Ranci re Le Partage du sensible Esth tique et politique Paris La Fabrique 2000 p 12 6 Micha l F ssel La Privation de l intime Paris Seuil 2008 p 16 effet encr noir sur blanc tal au regard parfois jusqu l obsc ne l image de ces sculptures de phlegme produits d une relation intime entre amants qu il conviendrait d taler la vue de tous ce que ne peut se r soudre de faire la narratrice de Phlegme dans La M lancolie de l anatomie mais pour ainsi dire en retrait comme soustrait et inaccessible dans cette mise en suspens voire le refus pur et simple d un quelconque jugement critique qui viendrait du dehors du texte Le tex
10. ente la red finition de ses enjeux Refuser l acc s au texte comme semble le faire l uvre de Shelley Jackson en s ouvrant de fa on parfois radicale sur un ailleurs un en retrait du texte c est peut tre redonner tout son pouvoir la critique en lui m nageant de nouveaux espaces de lecture qui demeurent encore et toujours re conqu rir dans le jeu de ses propres fronti res BIBLIOGRAPHIE DIDI HUBERMAN Georges Ce que nous voyons ce qui nous regarde Paris Editions de Minuit 1992 F SSEL Micha l La Privation de l intime Paris Editions du Seuil 2008 JACKSON Shelley The Melancholy of Anatomy New York Anchor Books 2002 JACKSON Shelley La M lancolie de l anatomie trad Bernard Hoepffner Paris Corti 2010 JACKSON Shelley Half Life 2006 New York Harper Perennial 2007 LYOTARD Jean Fran ois Le Diff rend 1983 Paris Editions de Minuit 2001 RANCI RE Jacques Le Partage du sensible Esth tique et politique Paris La Fabrique 2000 RANCI RE Jacques Politique de la litt rature Paris Galil e 2007
11. eux me d faire de cette impression que quelqu un lit par dessus mon paule 4 Or pr cis ment d s lors que Blanche sournoisement commence sortir de sa torpeur r veill e semble t il par les souvenirs que sa s ur fait progressivement remonter la surface de la 13 Micha l F ssel La Privation de l intime p 13 voir note 3 14 can t shake the feeling that someone s reading over my shoulder Half Life p 347 page m moire d s lors que Blanche r clamant silencieusement un droit de regard sur le texte de sa s ur r affirme ce faisant la pr sence de ce blanc invisible qui sans cesse chappe la vue mais sans lequel la noirceur du texte ne parviendrait pas se d tacher d s lors o et comment tracer la fronti re entre Nora et Blanche je et elle je et nous l intime et le politique indissolublement li s et pourtant constamment retranch s l un de l autre l un l autre J ai pass ma vie enti re chercher ne faire qu une histoire l o il y en avait deux ma parole contre celle de Blanche Mais nous ne sommes antith tiques que comme peuvent l tre cette encre et cette page Ces lettres sont elles signifiantes ou est ce plut t l espace qui les entoure Ni l un ni les autres nous ne lisons que leur diff rence s Half Life uvre ainsi pour une lecture qu on pourrait qualifier d indiff rentielle lecture qui sache la fois lire la diff re
12. hh 8 17 And is the copulative conjunction the vaginal cock the phallic cunt It is the hearing mouth the speaking ear It is the wound that cures and the cure that wounds I am an other within black the germ of white Within white an inkling of black And is the pain that causes not the flaw in not that permits xor the compassion that brokers xor s truce in or the love of or for or that ends in and Half Life p 386 18 Blanche white night of my dark day My sister my self Blanche a cry building behind sealed lips then blowing through First the pout then the plosive the meow of the vowel then the fricative sound of silence Shhhh p 5 Cet incipit si l on exclut le formulaire de renonciation plac en exergue sign par Nora est exemplaire plus d un titre car s il ouvre le premier chapitre intitul Personal Statement comme pour illustrer l intimit qui cherche s y exprimer il est d j doublement empreint d une voix autre puisque y r sonne d abord louverture c l bre du roman de Nabokov Lolita elle m me parcourue d chos intertextuels en hommage Poe Lolita lumi re de ma vie feu de mes reins Mon p ch mon me Lo lee ta le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper trois reprises contre les dents Lo Lee Ta 1 Ce que tend ainsi d montrer cette ouverture est que la fronti re s parant l intime du politique
13. i se jouer dans cette situation narrative de d part comme une all gorie des rapports de l intime au politique s il est vrai selon F ssel que I intime d signe l ensemble des liens qu un individu d cide de retrancher de l espace social des changes pour s en pr server et laborer son exp rience l abri des regards Il r sulte donc d un acte par lequel un sujet d cide de soustraire une part de lui m me et des relations du domaine de la visibilit commune 3 C est peut tre m me gr ce cet acte de scission ou de s cession rendu on ne peut plus litt ral dans Half Life que le sujet s arrogeant le droit de dire je donnant sa voix au chapitre devient v ritablement sujet et que l intime se fait politique Il n est cet gard gu re anodin que Nora cherchant divorcer de sa s ur Blanche The Divorce titre d un chapitre du roman d signe l op ration chirurgicale visant restaurer l unicit du des patient s se voie m l e des r seaux souterrains et dissidents contraints de se rendre invisibles pour chapper au politiquement correct des discours pr construits vantant tous tant bien que mal les m rites de la diff rence et allant jusqu riger les twofers comme ils s appellent en parangons de normalit C est cette m me recherche de l invisibilit qui pr occupe Nora soucieuse de soustraire son texte aux regards indiscrets Je ne p
14. ier de Skin demeure strictement confidentiel et par cons quent rel ve d une forme d illisibilit Par ailleurs le tatouage souvent ne s offre au regard que si on le montre ou l exhibe 9 Ibid p 94 lecteurs scripteurs ce qui se voit ainsi bousculer n est autre au fond que la fronti re s parant criture et lecture la lecture que l on placerait g n ralement du c t de l intime se politise en donnant corps son corps au texte m me qui d s lors se met circuler s incarner au sein d une m me communaut au moment o il en op re le d coupage Or en d pit de sa soustraction programmatique toute lecture classique dans son refus de la publication au sens conventionnel du terme Skin reste un texte qui doit son existence la publicit et fait par cons quent irruption dans la sph re du collectif la fronti re s parant l individu du collectif l intime du politique s effondre alors dans cet exhibitionnisme tout en retenu ou r serve qui semble d finir ce corps texte intime et collectif la fois 1 Dans tous les cas la pratique textuelle de Shelley Jackson n a de cesse de rappeler quiconque s y aventure que ce que nous y lisons ne nous regarde pas C est ainsi que comme pour mieux l affirmer encore le texte chez Jackson finit par migrer par quitter la page du livre imprim virtuellement ou r ellement dans le cas des hypertextes Patchwork Girl my b
15. it se structure sur le mod le d un diagramme de Venn auquel donnent forme les quatre op rateurs bool ens pour ainsi se clore sur un and final qui red ploie la course narrative l tirant l infini visuellement le diagramme ressemble au signe de l infini And est la conjonction copulative la queue vaginale le con phallique C est la bouche qui entend l oreille qui parle C est la blessure qui gu rit et le rem de qui blesse Je suis un autre dans le noir un germe de blanc Dans le blanc un soup on de noir And est la douleur qui cause not le d faut dans not qui rend xor possible la compassion qui change la tr ve de xor en or lamour d or pour or qui s ach ve en and Il s agirait donc l pour le lecteur de Half Life dans cette lecture indiff rentielle d adopter sur le texte un regard intime puisque retranch ou en retrait du texte et politique la fois car il lui faut prendre en compte dans la parole m me du texte une parole autre qui jamais ne se dit une parole silence dont elle se tisse une parole blanche en quelque sorte qui traverse le texte de part en part comme le laissent entendre d j les premi res lignes du roman Blanche nuit blanche de ma sombre journ e Ma s ur mon tre Blanche un cri prenant corps derri re des l vres scell es avant de les percer La moue d abord la plosive ensuite le miaulement de la voyelle puis la fricative du silence Chh
16. l know it when I don t see it The Melancholy of Anatomy p 4 La M lancolie de l anatomie p 11 3 The Melancholy of Anatomy p 4 La M lancolie de l anatomie p 11 qu elle avait au coin de l il et qui ne cesse de grossir et qu elle aimerait bien comprendre pour pouvoir ne plus faire qu un avec lui Mais ses notes de lecture se voient constamment d tach es du texte comme maintenues distance d une narration qui jamais ne pourra les int grer ou les dig rer L uf quant lui conduira la pauvre Imogen L uvre de Shelley Jackson est une uvre intime son intimit qui se voit en partie r fl chie dans les th mes qu elle aborde touchant de pr s ou de loin au corps et allant dans l hypertexte my body a Wunderkammer jusqu mettre en sc ne le corps de l crivain de fa on pseudo autobiographique est peut tre pr cis ment l dans la mise distance programm e de sa propre lecture dans la r serve inaccessible de sa parole au moment m me o paradoxalement elle semble se donner L uvre de Shelley Jackson est donc aussi une uvre minemment politique puisque en cherchant co te que co te se rendre exclusive refusant en quelque sorte tout apport ou toute greffe critiques elle redessine textuellement les contours du collectif elle op re pour le dire dans les termes de Jacques Ranci re et si radical qu il puisse tre ici un nouveau partage du sensibl
17. nce et les diff rends au sens o Jean Fran ois Lyotard emploie ce mot qui la sous tendent et qui font du texte le lieu privil gi d un dissensus autant que l espace d une souffrance voire par cons quent d une certaine diff rance lire la diff rence donc sous toutes ses formes tout en sachant s y rendre indiff rent sans chercher la r soudre ne pas tenter de faire une seule histoire lorsqu in vitablement il y en a deux comme s en rend compte Nora semble t il car l identit de la voix narrative le lecteur en prend conscience aux derniers mots du roman se fait de plus en plus incertaine tout se d double sans cesse au contraire se laisser porter par le mouvement d un texte qui l instar d une narratrice qui progressivement chemine vers 15 have spent my whole life trying to make one story out of two my word against Blanche s But we are only as antithetical as this ink and this page Do these letters have meaning or the space around them Neither It s their difference we read Half Life p 433 16 Dans les deux sens du terme pour Lyotard en effet le diff rend est pr cis ment le signe d un langage en souffrance Le diff rend est l tat instable et l instant du langage o quelque chose qui doit pouvoir tre mis en phrases ne peut pas l tre encore Le Diff rend 1983 Paris Editions de Minuit 2001 p 29 l indiff rence seule garante de son intim
18. ody The Doll Games ou de la nouvelle Skin la laissant sa blancheur mat rielle seule rescap e de la politique de l criture jacksonienne Dans Half Life Shelley Jackson remet en sc ne cette m me intimit politique allant jusqu lincarner dans un personnage d doubl divis celui qu est contrainte de partager Nora la narratrice avec Blanche sa jumelle siamoise plong e dans un profond sommeil la suite d un incident traumatique deux t tes sur un m me et unique corps ou comment l intime est d j politique le 10 Le projet de Jackson fut abondamment relay par la presse du New York Times USA Today en passant par Newsweek The London Observer ou Village Voice entre autres 11 Chaque mot du texte n est valid qu apr s que l auteur terme qu il conviendrait sans doute d interroger en a re u la photographie permettant ainsi de l authentifier en quelque sorte Du reste la nature m me du tatouage semble m ler l intime et le politique dans le d coupage des communaut s qu il op re 12 Shelley Jackson Half Life 2006 New York Harper Perennial 2007 Les citations ont t traduites par mes soins lieu m me litt ralement de ce partage du sensible et des tensions qui l animent entre commun partag et parts exclusives C est pour Nora une intimit qu il lui faut conqu rir un je faire na tre apr s l avoir soustrait au nous originel Semble ains
19. p at three on the teeth Lo Lee Ta Traduction de Maurice Couturier 20 La Privation de l intime p 12 chez elle relation o s exprime cette indiff rence aux diff rences qui fait que je suis un autre sous rature autant que la rature de l autre indiff remment moi e s t l autre Lire crire c est d j en ce sens faire travailler l intime et le politique les frottant l un contre l autre jusqu ce que chacun s impr gne de l autre qu il est d j Ma parole crite d abord lue ensuite est donc toujours d j plurielle et politis e au c ur m me de son intimit travers e qu elle est toujours par la parole de l autre qui d j lui fait cho et pour ainsi dire lui donne corps et la fa onne ne serait ce ici dans la r f rence intertextuelle Nabokov que rythmiquement Mais le je u litt ralement entre intime et politique22 de l incipit de Half Life ne s arr te pas l car pour tre authentiquement de l ordre de l intime la parole doit tre retranch e retir e L intertextualit invite ici jouer avec les mots et on pourrait s aventurer dire qu une parole intime dans ce qu elle a de politique est en quelque sorte une parole extraite une parole autre ou la parole d un autre qu on s approprie une citation en somme un mouvement du texte non pas dans ce qu il aurait de secret ou vers l int rieur la fausse intimit mais au
20. s une substance radioactive pour se d sint grer Plus la demi vie est courte plus la substance est radioactive La demi vie de l uranium 235 est de quatre cent cinquante millions d ann es J estime la n tre vingt neuf ans 5 Il semblerait pourtant que math matiquement le calcul de la demi vie ne puisse jamais tre nul toujours subsiste un reste et ce spasme d absence absolue dont r ve Nora ne peut demeurer qu au titre de fantasme Voir qu il ny a rien voir rel ve encore de la vision de m me que lire qu il n y a rien lire rel ve encore de la lecture M me lorsqu on ne lit rien on lit encore trop Quand bien m me Nora efface les pages au fur et mesure qu elle les r crit rempla ant un mot 25 La M lancolie de l anatomie p 237 26 Half life the time it takes for half the atoms in a radioactive substance to decay The shorter the half life the more radioactive the substance The half life of uranium 235 is four hundred and fifty million years figure ours at twenty nine pp 314 5 par un autre elle ne peut venir bout de ces blancs qui les s parent et les unissent en m me temps J oublie ce qui ne peut tre effac les espaces Une gomme appliqu e sur une page blanche ne blanchit pas davantage la blancheur mais laisse une marque 2 Le texte qu on lit le texte qui se donne lire le texte qui litt ralement force d tre effac s espace n est peut
21. t pour la culture patiente des taches aveugles pour tenter de comprendre la fa on dont oui je ne comprends pas ce qu est le c ur Lors de cette investigation l invisibilit est preuve la c cit ce qui tend le plus pour moi vers l intuition la forme et la teneur particuli res de 1 Shelley Jackson The Melancholy of Anatomy New York Anchor Books 2002 Toutes les citations sont tir es de la version fran aise La M lancolie de l anatomie Bernard Hoepffner trad Paris Corti 2010 l ignorance vers un indice et une criture Quand je ne pourrai plus rien voir je saurai que je suis en t te sans t te avec le c ur Quoi je suis l devant mon t lescope le cou tendu mes doigts des griffes engourdies dans l espoir d apercevoir rien du tout Oui Je le reconna trai quand je ne le verrai pas Bien videmment bien videmment il y a ici quelque chose de risible dans la posture du chercheur s obstinant vouloir comprendre ce qui par nature ne peut tre compris et retournant presque dans un lan de mauvaise foi son incapacit son impuissance en but ultime en signe de clairvoyance et de perspi c cit Non vraisemblablement tout ceci n est pas prendre au s rieux sauf admettre s rieusement que toute approche critique est d j en soi condamn e la parodie au sens tymologique du terme la voix critique tant ainsi contrainte chanter c t d
22. te de la nouvelle Skin embl matique cet gard est ainsi tatou mot mot sur la peau de ses intimes lecteurs qui de fait l incarnent ou comment le verbe se fait chair nouveau et ce faisant redessine une v ritable politique de la litt rature selon Ranci re politique intime de la litt rature litt ralement empreinte d une parole crite sur le corps des choses soustraite l app tit des fils et des filles de pl b iens mais aussi une parole qui n est prof r e par personne qui ne r pond aucune volont de signification mais exprime la v rit des choses la mani re dont les fossiles ou les stries de la pierre portent leur histoire crite 7 C est ainsi que le lecteur de Skin porte litt ralement son histoire m me la peau histoire intime en ce sens qu elle est soustraite aux regards et aux changes et politique la fois puisque si l instar de la po tique mallarm enne telle que la d finit Ranci re le verbe jacksonien litt ralement se fait lui m me corps au lieu de d signer les corps ou de mimer leur ressemblance c est aussi et surtout un langage qui est d j en lui m me une puissance de communaut qui ainsi prend corps en donnant corps sa communaut de 7 Jacques Ranci re Politique de la litt rature Paris Galil e 2007 p 23 8 En vertu d un contrat pass entre l auteur et ses mots comme elle les appelle le texte pap
23. z ou d un grand flap flap Je veux dire un spasme d absence absolu Presque atomique Il suffit d enlever les nuages champignons ainsi que les ombres et les lunettes idiotes du spectateur Ne rien laisser Vraiment rien 4 Regarder l absence dans les yeux en t te sans t te disait la voix narrative de Heart dans The Melancholy of Anatomy lire sans lunettes sans t lescope aussi bien sans aucun auxiliaire de vision qui soit Voir qu il n y a vraiment rien voir tre confront dans le voir m me l absence m me du voir lire qu il n y a rien lire que le lisible est toujours de trop que le texte se donne se rend accessible dans ce qu il ne montre pas dans ce qu il soustrait sa propre lecture dans sa propre exclusive D o sans doute l importance accord e dans The Melancholy of Anatomy aux r sidus corporels ces innombrables laiss s pour compte habituels du corps humain le sperme un cheveu le sang ou la graisse Rien de surprenant non plus ce que les personnages peuplant les nouvelles soient eux aussi chacun sa fa on un exclu un paria voire un marginal la plupart du temps incapables de s int grer c est le cas de George dans Nerve au regret d tre compl tement normal lorsqu ils ne sont pas rejet s pour une raison ou une autre comme la narratrice de Fat quitt e par son mari il s agit l instar du cancer donnant son titre
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