Untitled - Peter Lang
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1. L individu qui traverse les p riph ries des villes se trouve sans cesse interpel par des syntagmes des phrases voire des textes dont l nonciateur impersonnel n est autre qu une per sonne morale ou une institution Tout se passe comme si le monde planifi et standar dis des banlieues compensait une absence de relations humaines par une volont ef fr n e de communication Jean Rolin rel ve l absurdit de cette mise en demeure de communiquer qui touche aussi bien les h tels bas de gamme vantant leur sens de l hospitalit que le m tro parlant dans le vide et remerciant les usagers de leur vi site comme pour fid liser une client le mue par la seule n cessit Les crans sur lesquels d filent texte et image les panneaux publicitaires lumineux clignotant ou non font partie int grante du paysage ils v hiculent des slogans d une vacuit totale cherchent communiquer mais n ont rien dire proviennent d metteurs impersonnels et ne s adressent v ritablement personne comme si leur raison d tre se limitait leur simple pr sence Le monde en bordure des villes semble voluer dans une sorte de cauchemar de Mc Luhan o le m dium triomphant a com pl tement radiqu tout message toute possibilit de cr ation d un sens 22 VASSET cit 99 9 AUG op cit 121 16 COMPAR A ISON 1 2008 Je ne rapporte ces d tails que parce que d s2. proximit Si Rolin emprunte sa forme au r cit de voyage Vasset cherche d passer le support traditionnel de l criture en d tournant une technologie jusqu ici employ e es sentiellement dans la publicit C est ainsi qu il faut entendre sans doute cette saturation de l espace par le texte souhait e dans Un livre blanc tout en conservant ses supports originaux il faut substituer l usage standardis et insignifiant du langage par la publi cit une parole v ritablement signifiante et riche celle de la litt rature Vitesse et vertige de la liste Faute de moyens le projet d criture informatique envahissante ou diffuse ne verra pas le jour Mais d faut d habiter l espace il faut chercher le donner voir Le r cit p riur bain tend vers une criture spatialis e capable de d crire ces lieux fragment s et c est chez Philippe Vasset que la qu te d un proc d visant largir les moyens limit s dont dispose la langue pour dire l espace est la plus explicite Cette qu te passe par plusieurs proc d s dont une tentative de fusion entre la carte et l criture les signes cartographiques 3 VASSET cit 104 3 Ibidem 93 18 COMPAR A ISON 1 2008 tant remplac s par leur quivalent en langage et les syntagmes nominaux dispos s sur l espace de la page comme sur une carte Toutefois la monotonie de cette tentative d puisement d un lieu l aide d
3. COMPAR A ISON 1 2008 25 bombe de peinture surtout lorsqu elles ne correspondent plus aux fronti res r elles de la friche L exploration des zones oubli es de la banlieue persuade Vasset de la n cessit d inventer de nouveaux l ments de l gendes pour signaler les bidonvilles squats rendez vous de motards etc Les symboles des l gendes d signent le plus souvent des l ments durables p rennes ils se trouvent d munis face au pr caire au fugace et a fortiori d s qu ils s agit des signes de l activit humaine Les habitations provisoires bidonvilles ou squats les lieux de r union ph m res toutes ces traces d une activit humaine et d une vie sociale qui fa onnent le paysage ne peuvent tre repr sent es par la carte Face ces pr sences humaines marginales et t nues ce n est pas seulement la car tographie mais les sciences humaines et sociales qui se trouvent singuli rement prises au d pourvu Les r cits de Bon Vasset et Rolin non seulement explorent les limites du monde urbain mais en r v lent aussi un envers Il est significatif de relever que Paysage fer et Un livre blanc se positionnent tous deux face la g ographie j avais l impression crit Vasset de faire de la g ographie parall le alternative rebours de la science offi cielle forc ment impersonnelle et r ductrice En se tournant vers les franges inexplo r es du monde la litt rature entre en dialogu
4. 7 Bon 2000 op cit 50 8 Ibidem 52 9 Ibid 37 8 COMPAR A ISON 1 2008 la cinquantaine de zones blanches figurant sur la carte n 2314 de l Institut g o graphique national qui couvre Paris et sa banlieue C est visite syst matique de ces sites qui va constituer la mati re principale du r cit Tout comme Bon pour qui l effort de vision et de m moire iconique que n cessite la contemplation du paysage du train op re une forme de r v lation de l environnement p riurbain Vasset attend de son projet initial un v ritable d voilement de la ville J ai pour ma part longtemps cherch le point de vue qui r v lerait la ville J ai cru le trouver dans le canyon par o s vacuent les voies de la gare Saint Lazare et sur les bas c t s de l A6 quand elle traverse le Kremlin Bic tre entre deux falaises de b ton noircies par les fum es d chappement Du fond de ces tranch es je voyais la ville s loigner tandis qu apparaissaient hangars postes d urgence quais de d chargement tunnel d vacuation wagons abandonn s et passerelles m talliques toute une ville parall le qui s enfon ait chaque jour un peu plus profond dans terre pour que s difient par dessus r sidences et gale ries commerciales Si la r v lation n a pas lieu sa qu te passe n anmoins par une situation un point de vue particulier qui g n re une exp rience in dite de l espace urbain Un
5. En montrant la fois le paysage et les mani res dont il se constitue dans le langage le r cit appara t comme un exercice de connaissance et d appropriation 53 VASSET cit 53 5 Ibidem 35 36 55 Bon 2000 op cit 23 26 COMPAR A ISON 1 2008 du monde l auteur fait sien le r el qu il nomme et le transmet au lecteur En restituant la banlieue les mots dont elle est priv e la litt rature cherche la rendre habitable restaurer un lien entre les hommes et le territoire qu ils peuplent En envisageant son dehors le r cit invite l action incite s emparer nouveau de l espace p riurbain par une pratique d ambulatoire Substituer un discours impersonnel une parole litt raire investie et signifiante investir des territoires oubli s transformer le non lieu en espace relationnel et le r inscrire dans une dimension temporelle telles sont quelques unes des vis es du r cit p riurbain Universit de Gen ve 1 2008 27
6. dition Folio Gallimard 2004 29 30 12 COMPAR A ISON 1 2008 de m sozo ques taupes avaient t l ch es folles lier sur ce terrain offrent un spectacle qui invite se demander en effet comment des gens habitant un tel merdier des jeunes en particulier peuvent envisager la soci t autrement que comme une foire d empoigne et l existence elle m me autrement que comme une v ritable purge dont tout est bon pour faire passer le go t Derri re l humour et l ironie dont fait preuve Rolin imaginant que la terre remu e par les chantiers est le r sultat de la folle action de taupes pr historiques se dessine l id e que le paysage des banlieues m le la fois les derniers avatars du modernisme architectural les barres d immeuble et la violence de secondaire c est dire d une poque bien ant rieure l apparition des premiers hominiens Le d cor p riur bain que contemple l auteur semble peu propice au d veloppement de l tre humain et encore moins celle d une forme de vie sociale Pour mieux comprendre cela il faut revenir la notion de lieu anthropologique et son oppos celle de non lieu Selon Marc Aug le lieu anthropologique pos s de une triple caract ristique il est identitaire relationnel et historique La notion de non lieu dont la fortune en critique litt raire est consid rable ces derni res ann es se d finit avant tout n gativement com
7. 11 La r p tition du trajet train toujours m me heure restitue l exp rience du pay sage sa dimension temporelle le texte s crit dans une temporalit multiple celle dura tive du train la maison vide intervient quarante secondes apr s la ruelle d serte celle it rative du souvenir de trajets pr c dents dans ce qu on se souvient et celle imm diate de l instant de l nonciation La phrase rejoue cette exp rience du temps elle en tra ne n cessairement une dur e de par la lin arit de sa cha ne signifiante elle mime l accumulation des souvenirs par sa tendance la rupture et la digression et surtout elle donne l absence d tre humain dans le paysage aper u la force d un v nement En ef fet finale et personne qui cl t brutalement une longue phrase sur un seul syntagme nominal met en relief le caract re d peupl de l espace per u La s che resse la concision de la phrase nominale et n gative accentue ce contraste entre un envi ronnement con u et travaill par l homme maisons champs labour s et son absence paradoxale tout au long du trajet en train comme si jamais humain ici ne paraissait conclut l auteur l ellipse de l article donnant l expression un caract re gnomique Chez Rolin et Vasset la banlieue offre galement un spectacle partiellement d shumanis ou r duit l humanit marginale et clande
8. errante et margina lis e aussi peu consid r e que les zones interstitielles qu elles occupent L extr me pauvret et pr carit laquelle l auteur se trouve confront lui voquent des photo graphies du bidonville de Nanterre pendant la guerre d Alg rie souvenir de ses livres d histoire Ainsi donc nul vestige d un pass imm diat sur ces espaces vierges mais une terrible vocation d un temps trop vite tenu pour historique et r volu les signes d un retour des bidonvilles aux portes de la capitale L analogie avec les bidonvilles de Nanterre fait ressurgir une dimension historique du paysage p riurbain et conf re aux zones blanches une paisseur temporelle jusqu ici cart e par Vasset afin d viter d apprivoiser paysages et constructions coups de dates et d anecdotes je n tudiais pas l histoire des sites ne m autorisant d autre docu mentation que ma carte et un plan de Paris et de sa proche banlieue Adoptant une d marche presque ph nom nologique Vasset fait v u de non savoir se refusant toute information autre que topographique sur les terrains en friche qu il explore Mais si la dimension historique des sites visit s ne manque pas de le rattraper c est 45 1995 cit 101 4 VASSET cit 18 47 Ibidem 34 1 2008 23 parce que le paysage n cessairement voir avec une exp rience du temps et que la question
9. riurbain les textes de Bon Rolin et Vasset participent d une anthropologie du proche ou d une tude de l endotique que Perec appelait de ses v ux dialoguent avec des savoirs g ographiques ou sociologiques et se situent donc un point de convergence entre la litt rature et les sciences humaines Plus encore il me semble que de ces textes se d gage un savoir proprement litt raire qu il me faudra mettre en lumi re Mais s il existe un savoir de la litt rature il ne peut se manifester qu travers une forme sensible Se pose d s lors la question de la forme propre dire la banlieue pallier ce d faut de repr sentation qui touche les zones p riurbaines Comment rendre compte de ce monde fractionn d sorganis de cet environnement 1 fois s par de l tre et de la parole humaine Exploitant l analogie mise en vidence par Michel de Certeau entre structures narratives et d placements dans l espace ces r cits se pr sentent comme des parcours qui organisent des lieux les relient entre eux et fondent des itin raires Ils ne proposent pas tant une cartographie ou un tat des lieux qu une s rie de trajets dynamiques et de pratiques urbaines dans lesquels s inscrit le corps du sujet nonciateur L criture se trouve tendue entre une double exigence de saisie du paysage et de prise en compte de la vitesse et du mouvement J tudierai quelques unes des strat gies scripturales adopt es
10. sence des autoroutes et voies de RER qui fragmentent le paysage et entravent les d placements des individus Tout concourt faire de la banlieue un lieu de transit o les itin raires singuliers la fl nerie mais aussi les croisements et rassemblements se raient d sormais impossibles Jusqu aux giratoires et changeurs qui ont les faveurs des urbanistes et semblent intimer l automobiliste un ordre tr s clair circulez rien voir la libert du fl neur le non lieu p riurbain oppose le caract re transi toire et contraint du passager L homme se trouve alors au milieu de rien prisonnier d un n ud de voies ra pides qui ne lui laissent que peu d espoir d atteindre quoi que ce soit pas plus la rive droite de la Seine pourtant toute proche que les voies ferr es de cette arri re boutique de la gare de Lyon qui est d sign e sur les plans comme la gare sup rieure de Rap e Or au milieu de ce dispositif si violemment hostile la fl nerie et comme insularis par lui il demeure pourtant tout un pan des anciennes fortifs avec ses murs perc s de quelques meurtri res et ses glacis herbeux plant s de grands arbres et dans l ombre de ses arbres on remarque une demi douzaine de corps allong s m me le sol d chauss s environn s de sacs en plastique comme rompus d sarticul s par la mis re 23 RoLIN 1995 cit 154 4 Jbidem 69 70 je souligne 14 COMPAR A ISON
11. est mort ici d un coup estime l auteur qui assiste au devenir spectral d un ge auquel 1 pourtant appartenu Bon d couvre une civilisation morte subite ment fig e et comme recouverte des cendres non pas d un volcan mais des chemi n es d usines teintes C est un paysage hant qu il per oit du train peupl de fan t mes industriels rythm par les cimeti res et zones de cr mation auxquels r pondent les usines vides et mortes et les casses de vieilles voitures Le constat est le m me chez Rolin et Vasset c est en dehors des villes que sont perceptibles les mutations que subissent le paysage et la soci t dans les marges que coexistent projets constructions en cours et vestiges de temps d j consid r s comme anciens Mais si Rolin note sur un mode plut t pittoresque ces traces d un pass r cent tel un caf caract ristique d un monde en train de dispara tre il en va tout autrement de Vasset L exploration des zones blanches de la carte en qu te d un merveilleux urbain d un double fond de la ville charg de myst res et d enchante ments va tr s rapidement aboutir au d senchantement et l effroi peine entam e mon exp dition s loignait du chemin trac en lieu et place des myst res esp r s je ne trouvais qu une mis re odieuse et anachronique un bidonville cach aux portes de Paris Les friches abritent en r alit une population mis reuse
12. la fois immobile et en d placement permanent il r alise concr tement l exp rience de l il en mouvement soumis l impermanence des choses un jeu d appa rition et de disparition soi m me front contre la vitre immobile devant projection d images dans leur temps brutal de surgissement et la fuite oblique la disparition m me si rapide Le dispositif optique fait du passager le spectateur d une sorte de film en acc l r qui projetterait plus d images par seconde que l il ne peut en traiter Mais le train qui passe souvent en bordure des villes satisfait aussi une pulsion sco pique en mettant le sujet en situation de voyeurisme Clette fascination m me que voir depuis le train provoque par les effets de compression et de vitesse par cette illusion surtout d un monde dont on est le provisoire voyeur d une intimit par l arri re offerte surgirait simplement le vieux r ve d une proximit de la repr sentation mentale aux choses proximit peut tre amplifi e par le fait m me que cesse si vite le rapport visuel qu on en qu il faut retenir qu on vu si peu le d tail mais qu on t aspir soi dans cette envie de mieux voir envie de retenir et le prodigieux sentiment d vidence quoi atteint ce monde qui ne vous demande rien vous laisse si t t repartir 4 Fran ois BON Dehors est la ville Edward Hopper Flohic col Mus es secrets Charenton 1998 1
13. qu on se fait d en dresser l inventaire 5 3 Jean Zones Gallimard Paris 1995 35 14 Ph VASSET cit 24 15 Bon 2000 op cit 34 11 20 24 10 COMPAR A ISON 1 2008 comme s il s agissait d instructions destin es au lecteur L auteur appelle de ses v ux plus de listes et d inventaires qu il n en r alise effectivement le texte envisage donc son dehors et incite sa r alisation Le r cit se pr sente comme un objet ouvert et programmatique Pour Vasset la publication d Un livre blanc doit s accompagner de circuits organis s sur les zones blanches le prolongement id al du livre serait la cr a tion d une petite communaut humaine qui continuerait les explorations de l auteur Il s agirait davantage de proposer des nonc s r aliser sur le mode de l art conceptuel de fonder une pratique relay e par d autres que d tre simplement lu l uvre elle m me tant cette oscillation ce pr caire quilibre au seuil de 9 La brique le b ton et le verre Nous avons nous dire des routes et des parkings des coquilles de m tal et des cubes de b ton arm et les enseignes pauvres des galeries commer antes Dans une formule assez perecquienne Fran ois Bon fixe une des t ches majeures du r cit p riurbain appr hender la banlieue en comprendre le fonctionnement passe par une tentative de description de son paysage L enjeu est d
14. s impose comme le seul autre de l environnement urbain digne d int r t Mais au cours des derni res d cennies merge l id e que la banlieue repr sente ga lement un envers de la ville et se d veloppe un attrait pour le p riurbain la marge et la friche comme paysage La photographie principalement am ricaine s en empare d s les ann es 1970 notamment avec l exposition New Topographics la George Eastman House 1975 ou un peu plus tard avec les travaux de Camilo Vergara en litt rature fran aise il faut attendre les ann es 1980 et a fortiori la d cennie suivante pour assister un renversement qui fait de la marge le centre d une attention esth tique particuli re et l apparition d un sous genre particulier que j appellerai r cit p riurbain Ces textes qui peuvent se revendiquer aussi bien de la fl nerie baudelairienne ou de d rive situationniste que de l infra ordinaire perecquien et de la contrainte ouli pienne ont en commun une approche non fictionnelle empirique et subjective de la banlieue souvent men e la premi re personne Je m int resserai cette forme partir des ouvrages de trois auteurs qui me semblent la fois fonder et renouveler la 1 Michael L mergence du paysage Infolio Gollion 2007 7 1 2008 5 pratique de ce sous genre Paysage fer de Fran ois Bon Zones de Jean Rolin avec contrepoint La cl ture du m me a
15. temporelle s inscrit au c ur du r cit p riurbain Les projets qui pr sident l criture ont tous des bornes temporelles pr cises et associent dur e et r currences le voyage de Rolin et les explorations hebdomadaires de Vasset s tendent sur un an et incluent le retour sur certains sites tandis que les trajets en train de Bon ont lieu chaque jeudi pendant un hiver Cette double dimension durative et it rative permet au sujet de mesurer l action du temps et ses effets sur le paysage p riurbain ce titre les espaces suppos ment vierges visit s par Vasset sont particuli rement chan geants mouvants L apparence et la taille des zones blanches semblaient varier avec le temps sur certains sites la d saffection gagnait sur le voisinage comme par capil larit D une exploration l autre certains sites se sont transform s soit que la reconstruction soit achev e soit que la friche ait gagn du terrain sur son environne ment Dans ces lieux parfois ind finissables se joue une trange bataille entre la ville et une nature sauvage qui reprend ses droits flore arbre papillons ambroisies orties et chardonnerets et faune lapins canards grenouilles rats et renards se d veloppent mesure que le b ton tombe en ruines Les zones blanches sont des interstices au sens spatial et temporel c est dire des terrains non identifi s topographiquement dont la seule caract ristique est d tre situ s ent
16. une spatialisation des mots sur la page pousse l auteur dans d autres directions La description traditionnelle qui organise l espace le hi rar chise et le quadrille ne peut restituer le d sordre urbain de ces zones en friche En re vanche c est dans l num ration l inventaire ou la liste que Vasset va trouver le proc d qui se rapproche le plus de son id al de spatialisation de l criture ou de saturation du lieu par le texte les num rations d cousues introduisent dans le texte l ind cision et l ten due et rendent un instant perceptible ce que serait une criture compl tement spatialis e ou l inverse un espace int gralement recouvert par la langue Cette tendance la liste l inventaire se retrouve aussi bien dans les r cits de Rolin que dans Paysage fer de Fran ois Bon A la d sagr gation des paysages de banlieue cor respond travers la juxtaposition de syntagmes nominaux une forme de d litement syntaxique Le spectateur se refuse organiser l espace qu il contemple mais cherche au contraire lui restituer son caract re h t roclite et foisonnant rendre visible malgr la lin arit de l criture la simultan it des objets qui le composent Le r cit p riurbain se signale donc par son go t pour l num ration pour la coalescence des l ments dispa rates du paysage de banlieue Rolin en fait singuli rement l exp rience gr ce G ode du parc de la Vill
17. 1 2008 Plus qu un autre de la ville qu un simple envers du d cor les paysages d crits dans ces r cits op rent une reconfiguration compl te des rapports entre l espace urbain et la population En entravant la marche en restreignant les d placements la cit planifi e par le discours urbanistique met fin toute une s rie de pratiques humaines d exp riences concr tes et individuelles de la ville dont la marche tait pr cis ment la forme l mentaire Pour Michel de Certeau le marcheur manifeste sa libert ruse avec le pouvoir organisateur et se r approprie l espace urbain Chaque itin raire contribue tracer un texte se d tache de celui pr vu par les urbanistes selon lui une ville trans humante s insinuerait ainsi dans le texte clair et lisible de la ville planifi e Face aux approches urbanistique ou politique de la ville essentiellement quantitatives le pas du marcheur rel ve du qualitatif il est un style d appr hension tactile et d appropriation kin sique De Certeau tablit un parall le entre la parole et la marche cette derni re poss de une triple fonction nonciative En effet le pi ton s approprie le syst me topographique comme le locuteur la langue il proc de une r alisation spatiale du lieu tout comme la parole est une r alisation concr te de la langue et enfin ses mou vements tablissent des relations entre des positions diff renci es comme l no
18. 9 5 Fran ois Bon Paysage fer Verdier Lagrasse 2000 19 6 Ibidem 84 1 2008 7 du regard travers la vitre provoque une v ritable piphanie le sujet est pris tout entier dans l activit visuelle et d couvre un rapport d imm diatet et de proximit aux choses S par du paysage qu il contemple par la vitre pris dans un mouvement qui fait de tout l ment de ce paysage une apparition fugace r duit au seul constat perceptif le sujet fait pourtant l exp rience d une proximit paradoxale des choses r duites leur tre l ou plut t leur seul avoir t l puisqu elles disparaissent sit t aper ues Par la double tension qu il instaure entre un dedans et un dehors et entre l extr me mobilit d un flux continu d images et l immobilit du spec tateur le compartiment de train est souvent li au d veloppement des pens es du voyageur en monologue int rieur ou courant de conscience comme chez Butor ou Larbaud Chez Bon le flux r tinien se substitue au flux de pens es et constitue une forme de monologue optique dans lequel l criture s attache non pas la succession des pens es mais celle des images des dix mille milliards de photons par seconde capt s par l il A nsi le paysage fer du titre appara t surtout comme un paysage ferroviaire Ce dispositif impose la m morisation imm diate et la notation de ce
19. COMPAR A ISON An International Journal of Comparative Literature Nouveaux territoires Peter Lang 2006 ON 15 International Journal of Comparative Literature Nouveaux territoires Peter Lang 1 2003 15 International Journal of Comparative Literature Nouveaux territoires Peter Lang 1 2003 Fr d ric Martin Achard Des promenades dans cette paisseur de choses reconstruites Introduction au r cit p riurbain Bon Rolin Vasset Pauvre banlieue parisienne devant la ville o chacun s essuie les pieds crache un bon coup passe qui songe elle Personne Louis Ferdinand C line Chanter Bezons voici l preuve 1944 Le paysage merge dans la conscience de citadins en tant qu autre de la ville Selon Michael Jakob la notion de paysage est li e au d veloppement des milieux urbains et d signe l origine qui n est pas la ville un site naturel d s lors qu il fait l objet d une exp rience esth tique Pendant plusieurs si cles la nature m me fa onn e par l homme
20. COMPAR A ISON 1 2008 15 tures et des pancartes indiquant que leur protection est confi e une soci t priv e La configuration de l environnement p riurbain et en particulier de ces espaces friche fait obstacle la d ambulation et menace de faire dispara tre la figure du fl neur es sentielle dans l histoire des repr sentations urbaines La d rive et la fl nerie sont rem plac es chez Vasset par une d marche la fois volontariste et arbitraire l auteur qui avoue s tre forg un petit personnage de touriste p riurbain est en r alit un ar penteur bien d cid jouer l arbitraire contre la planification des urbanistes pour r introduire une pratique libre de l espace l o tout est dirig et contraint Sa d marche vise r investir des lieux abandonn s y constituer de nouveaux itin raires premi re forme spatiale caract ristique du lieu anthropologique et donc leur rendre une pr sence humaine on voit qu elle passe n cessairement par la description du paysage par la d couverte de points de vue non autoris s Le champ des signes Une autre particularit des non lieux selon Marc Aug est qu ils se d finissent aussi par les mots ou les textes qu ils nous proposent leur mode d emploi en somme qui recours tant t des id ogrammes plus ou moins explicites et codifi s ceux du code de la route ou des guides touristiques tant t la langue naturelle
21. Le sujet de l nonciation s efface davantage chez Bon que chez Rolin donnant entendre la litanie form e par l num ration des noms d entreprise mais aussi voir comment ces signes visuels se d tachent aussi bien de page par l omnipr sence de la majuscule que du paysage par les couleurs et la luminosit dont ils se parent La position de Vasset est la fois proche de celle de Rolin et plus complexe Moi je venais sur les friches non pas pour vider mon sac mais plus fonda mentalement parce que j assimilais dans les bouches sur les crans le mot la parole au d chet G n r automatiquement prolif rant le texte tait ce nuage toxique qui nimbait les villes et noircissait les monuments et dont je souhaitais confus ment tendre l emprise jusqu obtenir un r el satur de sens iris et lourd comme ces flaques de d tergent dans lesquelles je mettais r guli rement les pieds 30 RoLIN 1995 op cit 95 1 Jbidem 29 32 VASSET cit 59 60 1 2008 17 Dans les deux cas on retrouve l id e d une prolif ration de ces textes vides de sens assi mil e dans un cas la multiplication de cellules canc reuses et dans l autre un nuage polluant qui s tendrait sur toute la ville Pour l crivain il s agit de savoir comment parler d un monde qui rel gue la parole l tat de d chet o le texte est polluant ou morbide Mais tandis
22. Pascal Qui gnard in Litt rature 153 mars 2009 86 102 COMPAR A ISON 1 2008 21 mule le nom d une ville ou d un village c est aussi collecter ce qui tend dispara tre r unir qui demeure d un monde en train de s effriter Le paysage p riurbain perp tuellement mouvant o les projets de d veloppement en tous genres cohabitent avec les zones en friche et les ruines de l re industrielle t moigne de ce moment charni re pour la modernit Ainsi c est une forme de basculement civilisationnel que Fran ois Bon per oit de la vitre du TGV La voiture que souvent elles portent au travers comme si tout ce ventre sur l eau ne servait qu d placer qui vous emm nera promener ou rattachera le vieux canal en vert et gris sous les arbres aux supermarch s criards les couleurs r cur rentes sur cubes des Leclerc et Intermarch au bord des pistes bleues de sortie de ville avec camions eux aussi en rouge et blanc grosses lettres par quoi un monde a cras l autre Tout au long du trajet reliant Paris Nancy l auteur cesse de constater l uniformi sation du monde et ses cons quences paysag res notamment travers l omnipr sence des grandes enseignes commerciales standardis es Points n vralgiques d sormais des banlieues les supermarch s toujours identiques imposent une normalisation du pay sage le r gne de la m met Ce monde des entreprises transnationales et du cap
23. autant plus crucial que le pay sage p riurbain enti rement fa onn par l intervention humaine appara t trange ment d shumanis L tre humain a constitu un espace dont il s est totalement exclu Ainsi la ligne Paris Nancy r v le un spectacle d usines d saffect es de maisons in habit es de parkings vides de bo tes de nuit ferm es et de rues d sertes La grande maison inhabit e trois tages et dix huit fen tres apr s Vitry le Fran ois Revigny justement quarante secondes environ apr s la rue d serte perpendiculaire la gare minuscule Ailleurs cette d coupe sur une colline de dix arbres dans l hiver comme peints de Chine et se d tachant du ciel uniform ment gris dans ce qu on se souvient et maintenant l instant m me si on l ve le regard travers la fen tre du train c est soudain des chancrures violentes dans les nuages et des accumulations presque noires sur l horizon qu ici on domine sur seulement l tendue moutonn e de champs immens ment labour s et personne 16 VASSET cit 54 Paysage fer et Un livre blanc ont tous deux t suivis d un prolongement concret le premier sous la forme d un film r alis par Fabrice Cazeneuve le second d un site www unsiteblanc com sous l gide de l Atelier de g ographie alternative 17 Fran ois Bon Parking Minuit Paris 1996 43 44 18 Bon 2000 cit 11 12 COMPAR A ISON 1 2008
24. cit 57 4 Voir Michael Paysage et temps Comment sortir du mus e du paysage contemporain Infolio Gollion 2007 50 VASSET cit 61 24 COMPAR A ISON 1 2008 Si le regard associ la vitesse du train tait chez Fran ois Bon l occasion d une v ri table r v lation de la proximit des choses c est ici le caract re transitoire des zones blanches qui provoque ce que Vasset compare un satori Les choses se manifestent lui dans leur nature fugitive leur pr carit Paradoxalement lorsqu un site est recons truit l auteur int rieurement ne lui reconna t pas d existence r elle C tait chaque fois trange de me promener sur ces sites compl tements reconstruits qui dans mon esprit et sur la carte n existaient pas vraiment D sign es par une absence sur la carte les zones vierges ne peuvent acc der une existence que paradoxale elles sont en quilibre entre un temps r volu dont elles abritent les spectres et un temps leur r habilitation qui n est pas encore sanctionn par la repr sentation topographique Comprendre un peu de son destin propre Repr senter les confins de la ville ou sa p riph rie c est n cessairement entrer en ten sion avec un savoir topographique ou g ographique et en particulier avec la cartogra phie c est opposer l criture de la ville son image Pour Vasset la carte n entretient qu un rapport tr s lointain avec le r
25. d un aiguillage l h tel rouge vendre avec ses moulures baroques l l vation noire encore tout au bout maintenant qu on arrive d un b timent industriel sans toit maintenant d tach de tout ou encore ces jardins ouvriers tout en longueur parce qu accroch s au flanc m me de la voie avec leurs syst mes de t le ondul e pour maintenir en terrasse d troites bandes de terre nue o seuls quelques tuteurs persistent l hiver Dans Paysage fer la liste est sans cesse convoqu e comme mod le de saisie du paysage vu du train exhaustive elle devient une sorte de point asymptotique ce que laisse entendre l usage du conditionnel vers lequel l criture doit tendre infiniment Alors que dans Impatience d j Fran ois Bon proclamait le renoncement au roman et la fiction au profit de l inventaire exact de la son projet subit un l ger d centre ment pour se transformer en inventaire des bordures de ville Les nombreux d ic tiques maintenant et le d monstratif ces utilis de fa on non anaphorique qui jalonnent l num ration ainsi que la chute de l article tour ronde renforcent l id e d une imm diatet de la perception sugg r e par la liste Le sujet qui num re retrouve une appr hension instantan e et spontan e des choses qui l entourent per ception et d signation fusionnent dans un geste quasi originel De m me la disloca tion syntaxique pour quoi se
26. de vue lev qui donnerait v ritablement voir la banlieue Cette l vation il trouve le plus souvent de ses chambres d h tel le texte est ponc tu de vues de sa chambre qui offre une position privil gi e pour observer le paysage p riurbain L aussi la fen tre donne voir des arr ts de bus entr es de bouches de m tro et voies p riph riques c est dire des espaces d shumanis s des zones de tran sit et des lieux de passage Et c est nouveau l observateur immobile qui contemple le monde s couler autour de Le projet de Rolin consiste en un voyage d un au tour de Paris c est dire dans toutes les villes qui forment la p riph rie de la capitale Il re s mantise ainsi le mot zone qui d signe en premier lieu un espace en forme de ceinture sur une surface sph rique Pour ce curieux p riple sans destination voyage circulaire qui se mord la queue l auteur se fixe des contraintes l interdiction de rentrer chez lui dans Paris intra muros et l obligation de n emprunter que les transports publics pour se d placer Le texte couvre une ann e pass e d ambuler autour de la capitale ou plut t p ri ambuler et adopte la forme du carnet de voyages chaque fragment tant dat Les dispositifs et contraintes li s aux projets d criture peuvent galement se modi fier au fil de leur d roulement Ainsi en lieu et place du merveilleux souhait et des myst res d
27. e avec les sciences humaines et sociales et entend revendiquer une forme particuli re de savoir Pour Vasset c est l approche r solument subjective personnelle qui pose les fondements de la connaissance litt raire La fragilit des zones qu il explore et des vies qui s y d ploient chappe aux approches statistiques et quantitatives leur instabilit et leur clandestinit les vouent tre ignor es par les sciences humaines Seule l approche subjective et sensible curieuse et imagina tive et l investissement personnel de l auteur peut d voiler un peu de ce double fond des villes ultramodernes La force de la litt rature r side dans le fait qu elle peut dire non seulement le monde mais aussi comment un individu l appr hende La mathesis litt raire se d ploie partir d une s rie d exp riences individuelles satori devant le caract re transitoire du monde piphanie d une proximit des choses vues du train r v lation du paysage anamorphose que l criture l ve au rang de connaissance g n rale Face l in dit l irrepr sentable le r cit invente des dispositifs et des formes nouvelles dont la valeur heuristique donne toute sa force au savoir litt raire La g ographie estime Fran ois Bon c est ce qu on ne conna t pas parce qu on n en a pas fait pour soi m me territoire les noms ne dessinent rien pas de directions pas de lignes ni possession ils ne sont pas n tres
28. e un effet de simultan it et brise toute 35 Ibid 94 RoLIN 1995 cit 63 64 37 Dans la peinture acad mique le terme d signe les difices et ruines qui entrent dans la com position d un tableau paysager 1 2008 19 composition au tableau le paysage refl t par la G ode appara t comme un conglom rat d l ments disparates bigarr s et mouvants La liste engendre un effet de simultan it par del ou malgr la successivit du discours et rend compte d un paysage tel qu il est per u dans sa complexit son h t rog n it Le recours fr quent la parataxe peut galement tre interpr t comme un refus d organiser logiquement et syntaxiquement la description pour se trouver au plus pr s du chaos qui r gne dans l espace p riurbain et principalement dans les zones friche explor es par Philippe Vasset La langue subit une inflexion vers l informe vers le d sordonn Mais ce ne sont pas les seules fonctions de l num ration dans le r cit p riurbain comme tend le prouver la lecture de Bon chez qui le proc d de liste est le plus fr quemment invoqu et son usage le plus pr gnant Les incongruit s ou ce qu on juge tel la liste exhaustive qu on en voudrait tour ronde mergeant bassement de la rivi re en son milieu muette et sans ou verture trappe m tallique rectangulaire toujours close pour quoi servir la cahute fortifi e 14 18
29. el la fois ic ne et symbole elle r v le un pay sage id al vu de haut dont elle donne une repr sentation totalisante et sans point de vue Son r cit prend naissance pr cis ment l o la carte se heurte impuissante l irre pr sentable reste muette Dans le vide laiss par le plan dans son chec saisir le mouvant l inattendu et l accidentel se d ploie le texte que le relev topographique fige l criture va l animer La carte doit tre imm diatement lisible et r duit de ce fait le r el une s rie limit e de signes conventionnels Si le plan choue repr senter le r el c est parce qu il ne peut en saisir complexit qu il n en transmet qu une image simplificatrice Le monde ne peut se lire comme une carte ses contours n en ont ja mais la nettet et l vidence J imaginais toujours que les zones blanches seraient faciles rep rer leurs li mites clairement visibles sur le fond de la ville Ce n tait bien s r jamais le cas mesure que j approchais la carte cessait brusquement de d crire le r el et devenait un document inutile dont les formes abstraites quel que soit le sens dans lequel on les pla ait ne recouvraient plus le paysage Dans une tentative de r conciliation entre la carte et le territoire l auteur entre prend m me de tracer sur le sol les limites exactes des zones blanches l aide d une 51 Jbidem 63 52 Jbid op cit 91
30. ette dont la sph re argent e refl te en les anamorphosant sans aucun souci de vraisemblance ou d chelle tous les objets qui l entourent Pour rendre ce ph nom ne d anamorphose qui ne fait qu accentuer le d sordre du paysage p riurbain et les modifications de la perception qu il n cessite Rolin opte pour l num ration d cousue lou e par Vasset les fabriques carlates toutes tordues les vertes pelouses et les massifs d un vert plus sombre le chapiteau gris du Z nith les Grands Moulins de Pantin et les les tours et les barres les grues les antennes paraboliques Situ e la limite de la ville intra muros et de la banlieue la Villette est pour Rolin le lieu d une vision o s entre choquent Paris et sa banlieue la salle de spectacle du Z nith face aux grands ensembles de l autre c t du boulevard p riph rique les diff rents ges du d veloppement urbain les Grands Moulins embl me de l industrialisation au si cle aujourd hui r investi par une banque c toient les grands ensembles des ann es 1960 et les grues annon ant les transformations venir la nature domestiqu e et le b ton mais aussi l individu face la collectivit symbolis ici par les antennes paraboliques qui fleurissent sur les immeubles L insistance sur les contrastes de couleur et la r f rence aux fabriques manifestent une volont d hypotypose chez Rolin Mais la liste cr
31. ita lisme postindustriel a cras celui des enseignes r gionales et des anciennes usines de l re industrielle La surmodernit ayant op r une mus ification des centres villes le lieu o se joue ce passage d un monde un autre se trouve tre pr cis ment l espace p riurbain aux marges des villes maison du ma tre de forge aux deux tages avec balcon et perron le bras d eau am nag et lusine tout aupr s lusine qui s tait mise rogner par b ti ments juxtapos s vers la maison du ma tre de forge et puis maintenant des b ti ments sans vitres toits et le parc un fant me de broussailles l eau stagne et les choses de l usine on dirait qu elles vont basculer pour l touffer tout est mort ici d un coup Comprendre qu on est d un monde qui se reconstruit mais c t quand on se d place soi m me d un point l autre on ne s occupe pas des zones mortes que le train continue d exposer c te c te les ma tres inconnus de Tr fileurope b timent neuf n ont plus ch teau c t de leur usine 4 Bon 2000 cit 34 35 4 Ibidem 30 22 COMPAR A ISON 1 2008 Des traces subsistent de mondes partiellement ou enti rement teints ainsi l usine qui avait remplac le ma tre de forge est son tour l abandon Mais ce qui est surpre nant c est la soudainet avec laquelle l re industrielle semble avoir disparu s tre fossilis e tout
32. me ce qui n est ni identitaire relationnel ni historique Le lieu anthropologique contient les conditions de possibilit de la vie en soci t En termes g ographiques on peut l tablir partir des formes l mentaires de l espace social que distingue Aug l itin raire l intersection ou carrefour et le centre Les chemins ou itin raires sont ceux trac s par les hommes les carrefours ou places constituent des lieux de rencontres et d changes conomique social intellectuel tandis que les centres servent la vie religieuse et politique Si l on suit Aug le lieu anthropologique se caract rise d abord par son horizontalit Ou plut t c est l hori zontalit qui y pr domine En effet itin raires et intersections ne sont possibles que sur une surface plane o les l ments peuvent tre reli s entre eux Aug ajoute que c est dans et par le temps que se concr tisent ces formes spatiales l mentaires Inversement le non lieu se met en place hors de tout ancrage historique il est passager provisoire et ph m re Il se constitue en vue d une finalit particuli re et souvent unique trans port transit commerce loisir habitation et implique g n ralement que les individus entretiennent avec lui un rapport de type contractuel Les autoroutes boulevards p ri ph riques et autres lieux de transit qui quadfrillent la banlieue mais aussi les centres commerciaux et parcs de loisirs en b
33. mouvement s empare de la ville le paysage m tallique des friches industrielles semble prendre le pas sur la ville pour dispara tre son tour dans la terre comme une Atlantide chto nienne Ce point de vue qui doit s entendre la fois comme une position spatiale occu p e par l individu et comme une perception subjective de l environnement convoquant ici des imaginaires multiples canyon tranch es ville enfouie r inscrit le paysage dans une dimension historique envisageant le devenir de l espace urbain recul de la ville traditionnelle et avanc e des friches industrielles elles m mes appel es dispa ra tre au profit de lieux fonctionnels et standardis s r sidences et galeries commer ciales Lors d une de ses explorations Vasset d couvre une position qui offre un jeu de miroir avec le dispositif de Fran ois Bon Le sommet des monticules les plus lev s offrait un point de vue unique sur le boulevard p riph rique l int rieur des automo biles et le visage des conducteurs d filaient comme ces appartements rapidement en trevus depuis le train de la ville C est l observateur qui se trouve immobile et voit d filer devant lui les automobiles la vitesse du train A l instar de Vasset Jean 10 Philippe Vasser Un livre blanc Fayard Paris 2007 10 Jbidem 80 81 c est l auteur qui souligne Jbid 17 1 2008 9 Rolin recherche le point
34. nciation verbale est allocution De Certeau parle ainsi d nonciation pi tonni re Si poursuit l analogie les itin raires des pi tons travers la ville forment une multiplicit de paroles qui tracent un texte polyphonique et impr visible Et ce sont pr cis ment ces textes que les cit s concepts avant d tre espaces pratiqu s cherchent rendre impos sibles C est ce type d cueil que se heurte Vasset tout au long de son projet d explo ration des zones blanches des cartes de la banlieue parisienne Les sc nes les plus bizarres apparaissent lorsqu on parvient d jouer les com plexes mises en sc ne des urbanistes Pour y arriver la simple d ambulation curieuse et opini tre la fameuse d rive des situationnistes ne suffit plus les p rim tres sont maintenant s curis s les surfaces vernies et les portes condam n es La seule alternative est de se fixer des itin raires arbitraires qui faussent les points de vue m nag s et taillent la serpe dans l agencement harmonieux des constructions D s le d but de ses recherches Vasset constate que les zones blanches territoires lais s s partiellement en friche ou l abandon font l objet d une surveillance particuli re Ces sites suppos ment vierges sont en fait remarquablement bien gard s par des cl 25 Voir M de CERTEAU Marches dans la ville op cit 172 sqq 26 179 27 VASSET cit 78
35. ordure des villes sont des exemples types de ce que Marc Aug nomme les non lieux De plus le paysage p riurbain se caract rise 21 J RoziN 1995 op cit 171 2 AUG cit 74 COMPAR A ISON 1 2008 13 par sa verticalit comme le constate Rolin d ambulant dans le parc d partemental de Chanteraines Il comporte galement un belv d re extr mement boueux et glissant le jour de ma visite du sommet duquel on d couvre des barres et des tours tant Genne villiers qu Villeneuve la Garenne et en d autres lieux des autoroutes les voies du RER des friches industrielles et des usines en activit des lignes haute tension enfin dans le lointain la silhouette famili re du Sacr C ur Le parc d partemental comporte donc un belv d re lieu traditionnellement situ en hauteur et d volu la contemplation d un paysage remarquable qu il surplombe En d crivant le panorama per u du haut du belv d re Rolin s inscrit dans un dispositif classique de la repr sentation mais le paysage qui s offre lui cr e un effet de d ca lage en lieu et place de la belle nature du locus ou du monument remar quable ce n est que b ton barres d immeubles autoroutes et friches industrielles L environnement semble tre con u pour exclure l tre humain et emp cher la consti tution d un espace social la verticalit des tours et des usines est encore renforc e par la pr
36. ormais c est une des caract ris tiques lancinantes de pseudo ville c est dire en particulier mais pas exclu sivement de la banlieue que cette prolif ration canc reuse des signes ou des messages et donc aussi de supports pour ces signes et pour ces messages qui ne s adressent personne manent on ne sait trop de qui et ne sont porteurs d aucun sens leur seule justification tant peut tre d offrir au vandalisme des cibles dont la destruction ne saurait tre tenue pour un d lit Les trois auteurs se trouvent confront s ces signes vides de sens aux supports mul tiples qui sont pour Aug un embl me des paysages de la surmodernit mais leurs r actions respectives varient Rolin les consid re comme une maladie qui touche en particulier la banlieue parlant de prolif ration canc reuse et voque avec humour et cynisme leur destruction par vandalisme Il s offusque d un usage st r otyp et af fadi du langage hors du sens seule la litt rature semble en mesure de s emparer des mots plus graves et plus fragiles et de proc der une re s mantisation de la langue similaire celle qu il effectue avec le mot zone Fran ois Bon quant lui fait l in ventaire de ces enseignes commerciales qui ont remplac l ancien monde industriel et jalonnent d sormais le d cor p riurbain vu du train Monsieur Meuble Buffalo Grill restaurant C te C te ou Auchan
37. par le r cit p riurbain pour repr senter le 2 Michel CoLLoT Paysage et po sie du romantisme nos jours Corti Paris 2005 17 3 Michel de CERTEAU L invention du quotidien 1 Arts de faire UGE 10 18 Paris 1985 205 sqq 6 COMPAR A ISON 1 2008 chaotique et l ph m re telles que le recours un dispositif sp cifique ou la tendance la liste une po tique num rative Parce que la ville ne peut tre rassembl e qu ainsi prise au d tour non pas dans qui serait fixe et permanent c est fixe et permanent mais dans qui se refait d instantan pour en mouvement l il qui ne peut fixer parce que lui m me ne peut s arr ter Cette exp rience de l il en mouvement captation de l instantan du caract re mouvant et impermanent de la ville que Bon d c le chez Hopper les trois auteurs la transposent dans l criture partir d un dispositif particulier C est par ces dispositifs que je commencerai tracer les contours de cet objet singulier qu est le r cit p riurbain Dispositifs et contraintes Dans Paysage fer c est le train qui introduit la fois le dispositif purement optique et la contrainte chaque jeudi pendant tout un hiver Bon prend le train reliant Paris Nancy et note scrupuleusement ce qu il voit de sa fen tre ajoutant trajet apr s trajet de nouveaux d tails saisis sur le vif Le train place le sujet dans une position de spec tateur
38. que Rolin semble in fine souhaiter la disparition de ces textes du paysage p riurbain Vasset pr ne leur expansion jusqu la saturation La diff rence entre les deux tient peut tre au fait que pour Vasset ces crans lumineux et autres panneaux poss dent tout de m me un sens Son r cit se veut la fois criture de ses explorations des lieux en friche et criture dans ces zones blanches Il s agit de couvrir de signes ces espaces que la carte d signe comme pages blanches de porter le texte 1 o il n a aucune place o il est au mieux incongru d plac et observer ce qui se passe Pour Vasset c est litt ralement qu il faut porter le texte dans les zones blanches Cela passe d abord par la prise de notes sur place la saisie imm diate du d sordre urbain qui y r gne puis par la tentation de laisser le texte sur les lieux de l criture Derri re Un livre blanc se dessine donc l utopie d une forme de litt rature in situ de land writing comme on peut parler de land art Cette criture in situ qui s affranchirait du support livresque pour envahir l espace est rendue possible par une nouvelle technologie l informatique diffuse ou pervasive computing l anglais faisant davantage entendre le caract re envahissant ou omnipr sent de ce nouveau moyen technologique Un texte associ un lieu ex plique Vasset pourrait tre diffus sur les t l phones portables des individus se trouvant
39. re deux espaces singularis s par la carte et des zones laiss es la pure action d un temps ind fini entre deux moments de l am nage ment urbain Elles ne sont pas v ritablement hors du temps et de l espace mais plut t entre interstitielles vacantes Outre qu ils se donnent des bornes temporelles observent l action du temps sur l environnement p riurbain et son inscription dans l histoire les r cits de Bon Rolin et Vasset prouvent la question du temps ce qu ils ont partie li e avec la notion de paysage Selon Michael Jakob l exp rience du paysage poss de une temporalit particuli re celle de l instant de la suspension du temps qui s coule de rencontre d un sujet avec un d j l et de l v nement que constitue cette rencontre c est dire celle de l exp rience esth tique Plus encore que tout autre l instabilit du paysage de banlieue promeut sa contemplation au rang d v nement comme le ressent Philippe Vasset Les sites que je visitais taient instables en proie comme un front de nuages une agitation perp tuelle tout restait fuyant peine entrevu et bien qu immobile j tais chaque fois saisi par le satori du transit qui d robe le monde Ce n est pas se gardant de tout savoir sur les lieux parcourus mais par leur seule contemplation que l auteur atteint cette suspension temporelle qui est la base de l exp rience du paysage 48 VASSET
40. rvir est la marque de la torsion inflig e la langue 38 Bon 2000 op cit 20 9 Fran ois BON Impatience Minuit Paris 1998 13 4 Bon 2000 op cit 33 20 COMPAR A ISON 1 2008 pour d crire les l ments incongrus baroques du paysage et l absence quasi totale de liens logiques refl te un r el fragment Mais Bon va plus loin dans l asynd te lorsqu il tablit des listes th matiques liste de noms de lieux Couvrot Entre Deux Voies Poste au gaz Les pinottes cit du Champ de Ma n uvre La Planchotte Les Marvis La Le Parc Bas Village La Citadelle Le Mont Vierge Rome Le D sert La Halte aux Loups Les Indes Saint Charles Le Sentrot Le mont Berjon Le Balossier Les Longues Ra ies La Mounotte Le Champ Margot Frignicourt Le Ru Autier La Fosse Grelon Les Vordelottes et La Voie aux Larrons Comme pour l num ration des enseignes commerciales l criture de Bon se trouve ici au plus pr t la fois de son id al d inventaire exhaustif et des tentatives de Vasset de fusion entre la carte et le langage ceci pr s que les mots chez ce dernier sont dispos s sur la page horizontalement et verticalement comme sur un plan Par mulation de noms l criture se heurte ses limites son caract re fini sugg re un indicible un au del de la liste et entra ne un vertige Mais plus encore la litanie cr e par num ration des noms de lieux le
41. s clats de r el dans le temps de la persistance r tinienne Il implique donc une contrainte qui g n re le texte et sa forme particuli re Se forcer crire dans le temps m me qu on voit et donc ne pas revenir contraindre le r cit parvenir par seule r p tition gagner sur le r el r p t ce qui est et qu on du mal voir et justement parce qu il cesse si vite nous contraindre densifier dans l instant le rapport visuel qu on en a La contrainte ferroviaire n cessite une discipline d criture qui est aussi une discipline du regardet de la m moire petit petit le narrateur organise dans sa m moire le continuum d impressions r tiniennes per oit chaque trajet des d tails suppl men taires qui se d tachent du paysage d sormais connu et parvient crire la vitesse m me des images Cette r gle d criture hebdomadaire la m me que pour le voyage est sous tendue par l id e que le visible est construire et que la r currence l accu mulation des notations agissent comme un processus de r v lation photographique Chez Vasset la contrainte n est pas impos e par des circonstances ext rieures elle na t d un vif int r t pour les cartes g ographiques en g n ral et pour les plans de la r gion parisienne en particulier et du constat qu il y existe des zones vierges laiss es blanches par les cartographes Pendant un an il entreprend donc d explorer
42. s donne entendre dans une pure musicalit La liste de ces noms en grande partie inconnus du lecteur peu familier de la ligne TGV Paris Nancy se transforme une suite de signes o la qualit sonore du signi fiant le dispute au pouvoir vocateur du signifi Rome Le D sert ou La Voie aux Larrons elle est d s lors un proc d po tique qui laisse sourdre toute la richesse onomastique des sites travers s par le train une sorte g nie po tique du lieu Face l impossibilit d puiser le paysage travers face la profusion des lieux innombrables et l exc s des noms la liste perd de son caract re r f rentiel ou pratique et devient scansion po tique qui compte estime Eco c est d tre saisi par le vertige sonore de l num ration Hormis les sonorit s c est aussi un rythme particulier qu intro duit l emploi massif de l asynd te une acc l ration de la phrase similaire la vitesse prise par le train qui provoque le d filement ininterrompu du paysage p riph rique Paysage et exp rience du temps Toutefois le geste num ratif n est pas uniquement po tique et on ne saurait lui ter trop h tivement son caract re r f rentiel Lister faire l inventaire de tout ce que dissi 4 Ibidem 75 2 Umberto Eco Vertige de la liste Flammarion Paris 2009 118 Sur la po tique de la liste voir aussi Gaspard TURIN Entre centre et absence fragmentation et style chez
43. stine des errants et des exclus La porte de Poissonniers marque une seconde rupture dans le paysage du bou levard au del et jusqu aux abords de la porte de la Chapelle la pr sence hu maine se limite le plus souvent celle des putes de quelques toxicomanes et d un anachor te dont la r sidence principale est tablie dans une armoire lectrique ouvrant sur le trottoir C t nord la pr sence humaine est encore plus suc cincte plusieurs reprises des travestis ont tent de s tablir sous le pont du chemin de fer mais il semble que l emplacement se soit r v l peu 20 La p riph rie des villes se trouve peupl e par toutes les populations que la vie citadine a marginalis es rejet es La configuration de ce monde de b ton litt ralement aux portes de la ville d fini avant tout par les boulevards et les autoroutes qui le traversent le rend quasiment inhabitable Contemplant d un parc de l le Saint Denis le spec tacle de d solation offert par les cit s de Villeneuve la Garenne Jean Rolin constate le caract re inhumain de ces grands ensembles Vues du parc situ au nord ouest de l le les cit s b ties sur l autre bord Villeneuve la Garenne que l on aper oit en retrait de la berge derri re les masses de terre soulev es et remu es par de formidables excavation comme si 19 Bon 2000 cit 36 20 Jean La Cl ture P O L Paris 2002 r
44. uteur et Un livre blanc de Philippe Vasset S int resser au paysage c est privil gier une approche subjective du r el face l es d crit par le topographe ou le g ographe un site devient paysage d s lors qu il est per u par un sujet Le r cit investit des lieux abandonn s la s cheresse des donn es statistiques et des relev s topographiques De plus les d marches de Bon Rolin et Vasset pour diff rentes qu elles soient semblent anim es d une pr occupation com mune la restauration d une forme de vivre ensemble Or si l on en croit Michel Collot le paysage permet une articulation entre l individu et la communaut il est la fois un lieu commun qui nous concerne tous et un espace de libert offert sensi bilit et la cr ativit de chacun En quoi il est sans doute un des terrains d entente o l individu peut sans renoncer lui m me entrer en communication authentique avec la communaut et o se joue le devenir d une civilisation qui est une uvre collec tive Refaire de la banlieue une communaut humaine passe donc par la description de son paysage la fois exp rience esth tique et imp ratif thique redonner vie et humanit ces aires abandonn es implique de leur restituer les mots dont elles ont t priv es de se donner pour t che de repr senter ces lieux que d aucuns voudraient rendre invisibles En portant un regard singulier sur le monde p
45. voil s les explorations de Philippe Vasset mettent rapidement au jour une mis re honteuse des taudis inacceptables L auteur d cide d s lors de r orienter son projet vers une forme documentaire beaucoup plus inform e et investie interrogeant des habitants consultant des rapports et des sp cialistes et se positionnant davantage du c t de la sociologie Mais nouveau le documentaire engag choue lorsque j ai voulu synth tiser toutes les informations rassembl es les phrases ont refus de s agencer en argumentaire mes textes n expliquaient rien ne racontaient aucune his toire En commentant son propre texte Vasset illustre une particularit du r cit p riurbain qui fonde sa modernit l abondance du m tadiscours concernant le dispo sitif lui m me Le texte se met en sc ne exhibe son faire comme une machine qui laisserait appara tre son moteur ou ses rouages Pour pasticher la c l bre formule de Ricardou on pourrait dire d Un livre blanc qu il s agit plus de la repr sentation d un dispositif que d un dispositif de repr sentation Dans Paysage fer ce discours de la m thode se confond avec le r cit souvent l infinitif lui donnant un trange caract re prescriptif En effet Bon multiplie les tournures infinitives faire le relev des usines collecter un un les noms mais aussi les traces de souhait ou de volition la liste exhaustive qu on en voudrait la promesse
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