Brochure 10 ans Chroniques
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1. LIBRAIRIE CHRONIQUES CR TEIL CONSIDERATIONS EGOTISTES INSPIREES PAR LES MARQUE PAGES Sur mon bureau dans ie porte lettre aux c t s des cartes de visite et des enveloppes se trouve un paquet de marque pages Chroni ques Ce sont de longues bandes de carton clair rappelant la raison sociale de la librairie susdite et orn es d un livre anthropomorphe Il en existe plusieurs mod les l g rement diff rents J avoue d ailleurs un certain agacement devant les variations qui perturbent la belle ordonnance de ce paquet Que le dessin du personnage volue ne me g ne pas cest m me une fantaisie de bon ton qui n alt re en rien l homog n it du rangement mais quand la taille change que le blanc devient cr me et le carton papier fort c est tout un ordre qui s en trouve modifi Pourtant je n imagine plus de m en passer Il faut une circonstance exceptionnelle voyage lointain tornade lecture d un ouvrage reli avec signet int gr pour que j utilise d autres moyens de marquer le point o j interromps ma lecture Il n en fut pas toujours ainsi Oserais je avouer qu encore adoles cent je cornais les pages Plus tard j agis sans r gle avec une fantaisie d brid e qui m tonne moi m me aujourd hui mais me permets de porter un regard objectif voire scientifique sur l volu tion d une partie de ma vie En effet relisant ou simplement feuille tant des livres retrouve parfois2. offrir Je l avais dans mon sac lors de ce d jeuner rat quand 81 voqu timidement son histoire et la tentation a t grande de le donner cet homme trangement assis en face de moi dans le restaurant de cet h tel pr s du lac Mais je voulais d abord le lire Puis l crire C est presque fait Quelques pages qui parlent de quelques pages qui parlent de l criture mais aussi de la difficult d tre et de son expression Et Charrue qui avait t longtemps sous mes yeux port e de la main et du c ur fut un jour plac dans l tag re avec d autres papiers souvenirs Je le relis aujourd hui la recherche d une phrase pour quelqu un d autre et je revois avec d autres yeux cette soir e grise de juillet o j tais all e la librairie Chroniques accompagnant une amie qui cherchait une id e de cadeau J ai devant moi tous les livres h ros de cette histoire Je suis m me 17 retourn e r cemment la librairie pour acheter Graal Flibuste et v rifier le nom de la sorci re la fr missante chasseuse d amour Je l entrouvre Je suis pr te succomber Un ivrogne est assis une table et plus loin Elle 8 mis ses belles chaussures en peau de requin et sa robe d aigue marine et encore Des animaux bizarres passent sur un pont Il est trois heures ou presque Belle lumi re d apr s midi Des dindons phoques et des oiseaux lyres sanglotent tout fait comme
3. Depuis la rentr e je ne suis pas retourn e une seule fois Chroni ques Un dimanche tr s froid de janvier sortant de chez des amis 16 la nuit tomb e je d cidai de m y prendre pour choisir avec mon fils une carte qui remercierait les grands parents de leur ch que pour les sports d hiver Et le charme op ra La boutique lumineuse et chaude plant e dans la neige comme une illustration de No l La libraire qui me raconte passionn ment Le livre des nuits de Sylvie Germain ses terribles et fascinantes paires de jumeaux et puis Charrue sa place sur le rayon Je l achetai Si ce n est pas pour lui ce sera pour moi d autant plus que la premi re phrase celle de la page de garde r pond bien mes pr occupations du moment L art de dire Beau casse t te J emportai le petit livre chez moi comme un tr sor longuement convoit ce jour je dois bien le dire je ne l ai pas encore lu en entier Il tra ne toujours sur la table basse du salon Fut rang quand je sus que son destinataire devait passer Il n aurait plus manqu qu il le d couvre et s tonne je ne partageais pas sa passion de Robert Pinget m me si je garde pour Graal Flibuste et la sorci re Vaoua une tendresse tr s sentimentale qui ne tient pas qu au texte le feuillette quel sacril ge Je lai promen avec moi Je lai m me recouvert d un papier blanc de peur qu il ne s ab me au cas o je finirais par l
4. habitude Ayant b ti pierre pierre sa biblioth que il en connaissait tous les poids C tait pourtant bien les livres Il les s para Les soupesa L un apr s l autre Les livres avaient perdu du poids depuis le dernier remaniement Il incrimina la s cheresse de l air mais depuis plusieurs jours la chaleur orageuse avait imprim aux tranches la houle r guli re de humidit 11 examina attentivement la premi re et la quatri me de couverture Tout y tait Les caract res blancs sur bleu blancs et rouges sur vert avaient pourtant perdu de leur nettet Il s allongea sur la moquette et commen a feuilleter le premier Puis le deuxi me Sur les pages tant de fois lues et annot es l encre avait p li tait devenue dans les chapitres les plus lourds peine perceptible L usure La lecture use t elle l criture K se releva brutalement Saisit une vieille dition bilingue d Euri pide aux pages moiti coup es Le symptome tait moins net mais d j perceptible Sarmant d un coupe papier K se mit en mesure de couper les pages La typographie d Ion grisait H rakl s noir encore Les livres s usaient et le processus semblait proportionnel leur int gration dans la propre m moire de K Un un K d molit le mur de livres et constata l pid mie Celan agonisait Althusser vide A quelle rapidit voluait la maladie 2 Un diagnostic K s empara de Beuys Il ne put que feuilleter e
5. ans le contenu des ouvrages Absurdit th tre de l Absurde Ionesco pourtant absent de ces planches la lettre K bien que proche n tait pas impliqu e pourtant Kafka voire m me Kun dera et 1 qui se promenait l Irving un suspect de taille Que faisiez vous dans la nuit du 21 au 22 juin J estimais que le dernier m fait avait eu lieu cette nuit l Des alt res Toute la nuit 2 gt Oui 11 n tait pas exclu que cela fut vrai et Irving avait v cu assez de drames pour ne pas le m ler celui ci Parmi les H et les J je surveillais Huxley et Jouhandeau Bref je confrontais tous les t moins n gligeant les principaux int ress s proc dure contestable j en conviens Pour finir je les convoquais PALMIER Sur Marcuse PAVESE Le bel t Avant que le coq chante Le m tier de vivre tomes 1 et 2 PEREC La vie mode d emploi PERROS Papiers coll s PERREIN Les cotonniers de Bassalane PILARA L uf de la Passion PROUST Contre Sainte Beuve Manifestement les quatre Pavese constituaient une bande bien que deux d entre eux soient rest s en place Lesquels Quant aux autres tous suspects PALMIER J M s int resse Marcuse philosophe largement respon 10 sable des d sordres de 68 et justement l exemplaire datait de 1968 La dimension historique et r volutionnaire de ce proc s m effrayait en attente PEREC G une vie mode d emploi crite l ai
6. ant le vieux monsieur savait parfaitement vous aiguiller vers l une ou l autre des piles Si la Madeleine de Proust a fait l objet de tant d tudes psychanaly tiques l odeur des livres qui me revient aujourd hui doit tre prise sans ambigu t aucune Combien d apr s midi ai je pass s l respirer feuilleter toucher On pouvait alors acheter un livre pour cinq francs et le troquer ensuite contre un nouveau livre C tait mon argent de poche qui passait ainsi mais quel plaisir de poss der enfin un livre Je me souviens aussi de la petite biblioth que du quartier son parquet cir qui craquait au moindre pas les tag res sur lesquelles il n tait pas besoin de faire de la place la ma tresse des lieux enfin qui recouvrait scrupuleusement les ouvrages de plastique transparent 22 ou de papier kraft selon les moyens Pas de nouveaut s dans ce lieu mais des romans classiques tant lus et relus qu ils en gardaient l empreinte Ah Les Eygleti res le Jeune homme vert comme je vous enviais de vivre une vie si diff rente de la mienne Aujourd hui je ne fr quente que tr s rarement les biblioth ques Bien achaland es modernes claires moquett es silencieuses elles ne sentent plus le livre elles ne me donnent plus envie de r ver Les tables en contre plaqu blanc sont r guli rement nettoy es et assepti s es les all es silencieuses soigneusement balis es La ma tresse des li
7. ches devant lui non non M sieur le psychanalyste j ai rien dit Et le fait que la derni re fois que je l ai rencontr il mait sugg r la lecture de livres rotiques arabes ne laisse rien pr sumer de sa perversit ou de la mienne je fus aussi rassur e que le Petit Poucet devant l Ogre Parce qu l Ogre il lui ressemble Un ogre gourmet Et moi je suis persuad e d tre tr s app tissante Alors le jour o la sentence est tomb e Quand on veut on a toujours le temps j ai compris c tait une menace Si je ne lisais pas je finirai en amuse gueule avant une livresque d voration Depuis je lis Tout ce qu il me conseille Tout ce qu il me conseille en se l chant les babines oui oui je lai vu souvenir du plaisir de la lecture ou avant go t de l amuse gueule tout ce qu il me conseille en m en lisant des passages l eau la bouche Me voil oblig e d aller dans sa librairie pour lui montrer que je lis et lis encore je sais tout du narrateur de secours dans l histoire de Marie Julie Anastasie je sais que les petites filles respirent le m me air que nous que les grosses r vent aussi que lamour peut tre pur n en d plaise au P re Guimera que Ruth avait de si beaux yeux noirs que son p re pleure sa lumi re Je lui ai pas dit Gargantua que j arrivais plus mettre 18 main chez moi sur les histoires d Hortense et que la cinquantaine Saint Quentin
8. de ces marques improvis es Certaines ne t moignent que de l endroit o j entrepris ma lecture ainsi en est il de ces petits morceaux de papier color ouatin parfois parfum D autres marquent une vidente ascension sociale du ticket de m tro de 2 classe la carte d embarquement D autres encore sont plus int ressantes surtout si on les couple avec des informations compl mentaires Le classement chronologique des billets de cin ma fossiles correspond des s ries homog nes d ouvrages et de quartiers de Paris On observe d abord la symbiose des cin mas des Champs Elys es et d ouvrages classiques de l adolescence comme 1984 Dracula Les infortunes de la vertu ou en fouillant les strates les plus anciennes Chiens perdus sans collier Le Quartier latin est associ plut t des ouvrages universitaires ou philosophiques avec m me un ticket du Saint Andr des Arts dans un Teilhard de Chardin t moi gnage d une intense phase mystique La p riode suivante celle de Montparnasse montre un souci plus litt raire et clectique de Foucault aux romans chinois en passant par la psychosociologie les r cits de voyages anciens ou les trait s de botanique Cette diversit tient la fois une disponibilit toute nouvelle suite la fin de mes tudes et une consommation abusive du Nouvel Observateur Il est parfois des marques qui rendent nostalgique cartes postales photographies lettres d amis
9. de d un ordinateur trouva le moyen de s chapper dans la mort condamn par contu mace PERROS G notant son mal tre sur des papiers coll s ce qui fait forc ment d sordre mort lui aussi il n emp che appel comparaf tre PERREIN M aucune charge contre elle d autant qu elle est du Sud Ouest acquitt e PROUST M juif dandy s acharnant contre ce pauvre Sainte Beuve tripotant ses moments perdus le temps appel la barre PILARA N Br silienne une sensualit excessive faussement exoti que un lyrisme artificiel extradition Et enfin Pavese PAVESE C ressortissant d un pays fabriquant autant d anarchistes de terroristes que de spaghetti suicide Turin Les quatre ouvrages deux recueils de Nouvelles genre perni cieux un Journal en deux tomes qui enl verait toute envie de vivre si la vie n tait pas tant difficile et si l angoisse de l un n apaisait l angoisse de l autre garde vue Je les relus tous sauf la Br silienne guettant attentivement les pages conviction 115596 de cette instruction je tenais le coupable Pavese Seule la preuve manquait Les charges retenues taient accablantes La plus grave po te Bien qu il mait pas utilis ici cette arme redoutable les aveux truffaient son Journal Au hasard Plus pense et plus me para t remarquable la facture hom rique du livre unit un stade que tout devrai
10. des personnes mais on ne voit pas pourquoi La magie recommence Les mots forts de Pinget me surprennent m tonnent me s duisent J avais oubli Les livres sont l et leur pouvoir vocateur intact La librairie aussi qui n a rien perdu de son charme ni de son clat Dix ans d j Bon anniversaire Chroniques ANNE BERRUET 18 ARMOIRES LIVRES ET TROUS RATS Umberto Eco l avait bien dit Ce qui est fascinant lorsque vous entrez dans une biblioth que ce n est pas de trouver le livre que vous cherchiez mais de repartir avec celui qui se trouvait c t Ma libraire ne pourra pas dire le contraire je ne peux quitter les lieux que deux ou trois livres la main Faire autrement me semblerait une injure Compte tenu de certaines factures exorbitantes et des cris que poussait mon mari en me voyant rentrer O trouveras tu le temps de les lire 2 j avais pens me faire interdire de lecture fra che comme d autres se font interdire de jeu Pareille pens e ne dura que le temps de la dire J avais imagin galement un syst me de pr l ve ment automatique mais frissonnais tout aussit t Quoi Assimiler mes frais de librairie aux d penses d assurance sur la vie la retraite le caveau familial Ma librairie est un clo tre l autel de la m moire le labyrinthe de nos fantaisies Mes deniers seront une offrande Mon mari surench rit Rien de plus sinistre et de plus froid qu u
11. e Ils vont m entendre chez Chroniques Nous n avons pas l ambition de passer chez Pivot et bla bla bla M me New York est au courant Me voil prise au pi ge de mon statut social pas moyen d y chapper Quelle d ch ance si je n tais pas s lectionn e Je serais d shonor e dans le monde entier Me voil prise de panique comme tant d autres si c l bres devant ma page pardon mon cran blanc Quand j avais treize ans non je ne 1 81 pas tu e mais quand m me 81 crit mon premier roman Trois cahiers de brouillon bien remplis minutieusement crits Chaque jour j crivais j crivais Devant mon bureau en d sordre mes personnages se mettaient en mouvement la petite Sashiko rescap e du Vietnam nous tions dans les ann es soixante dix son charmant fianc en rupture de famille et de soci t merci mai 68 peintre sur la Butte Montmartre provinciale je ne connaissais de Paris que les sites touristiques et toute une grappe de personnages tous plus st r otyp s les uns que les autres Tous prenaient vie sous mon stylo bic tous s inscrivaient 21 dans l Histoire en m me temps que dans ma propre histoire J tais magicienne je les faisais chanter souffrir rire aimer mourir aussi Mon stylo tait le chef d orchestre Moi je ne connaissais que quelques partitions lui semblait poss der toute la symphonie Dr le de gestation d enfant Tout le monde respectai
12. e je l appelais Gargantua Oui Gargantua Parce que aux Chroniques quand on se trouvait ses pieds non que je m y jetasse en un geste de v n ration par humilit ou pour me faire pardonner quelque crime de l se livre mauvais go t ou manque d app tit ou dans quelque autre but inavouable mais on tait face lui comme aux pieds d un Hercule du Colosse de Rhodes des Pyramides d Egypte en plus rond quand on tait ses pieds donc on se sentait simples soldats de Picrochole parisiens compiss s par le g ant et noy s p lerins mang s comme limaces dans la salade D ailleurs le regarder de plus pr s on lui soup onnait un app tit pantagru lique et on ne sait quelle difficult faire une nette distinction entre nourritures de l esprit et nourritures tr s terrestres Preuve s il en est il semble qu il soit absolument incapable mais n en est il pas de m me chez Gargantua qui lecture estoit faicte pendant son repas de parler de litt rature avec ses amis et alli s sans jeter terre tous les livres de dessus ses tables pour les remplacer par force force assiettes et avec une d iectation non dissimul e force verres 15 d but moi je ne m tais pas m fi e La r alit s est fait jour quand ce tra tre de a Moi Surmoi enfin le truc qu on tale sur le divan du psychanalyste me fit un Jour me retrouver comme en jupette pliss e et socquettes blan
13. et m me une enveloppe cachet e et affranchie oubli e la trenti me page d un vague pr cis de philoso phie orientale Cette derni re d couverte me fit comprendre 8 posteriori les raisons d une rupture jusque l obscure et les dangers de la philosophie soporifique Cette volution de la marque des pages vers une uniformisation que certains qualifieront de rigidit et que je pr f re appeler rigueur ne fut pas pleinement lin aire en effet je dois confesser une p riode boulimique pendant laquelle je ne pouvais abandonner un livre avant d en avoir fini la lecture On comprendra ais ment que cette poque fut celle d un extr me d pouillement au niveau du marque page Je constate un changement parall le dans mes positions de lecture Je ne parle pas videmment de la lecture dans les lieux publics notamment les transports en commun o les contraintes physiques s imposent chacun Je pense la lecture en priv quand on peut se livrer en toute qui tude ce qui est peut tre le seul vrai plaisir solitaire enfin presque le seul Plus jeune je lisais surtout des livres de poche allong voire avachi sur le lit ou sur la moquette Ce rel chement ne m est plus gu re familier je n utilise d sormais la position horizontale que pour la consultation d ouvrages dont la taille 6 ou le poids rendent la manipulation difficile Le plaisir de lire est devenu plus complexe au bonheur du texte se sont ajout es des sen
14. eux se perd consciencieusement dans son ordinateur Elle pourrait bien vous guider vous conseiller elle a tant faire Tout ici est tudi pour le confort du lecteur mais que reste t il du plaisir que reste t il de la sensualit o est l odeur Il est vrai que pour compenser une jeunesse sans livres j ai depuis longtemps pr f r acheter qu emprunter Cependant l aussi quelle amertume quelle d ception Certes depuis vingt cinq ans la culture a progress et le livre est la port e et au go t de tous Mais je suis incapable d affronter ces supermarch s de la litt rature Je ne suis ni assez cultiv e ni assez autonome pour me diriger dans tous ces rayons et j en repars souvent le c ur et les mains vides Pourtant un jour au hasard d une promenade 81 d couvert la boutique de ma jeunesse et mon pass m est soudain remont la gorge Non les livres n y sont pas en vrac m me le sol non le sol ne craque pas sous vos pieds et le patron ne fume pas la pipe votre nez Mais quand m me a sent l odeur de mon enfance a sent le livre et le vieux monsieur lunettes qui vous accueille sait lui aussi vous diriger d une pile une autre Aujourd hui je n ai plus honte de ne pas accompagner mon fils la biblioth que r guli rement Il vient de d couvrir une vraie librairie une librairie l ancienne dit on et j esp re bien qu un jour lui aussi y sera fier d y
15. impossible de r sister une fois que le libraire meut convaincue de le lire La premi re phrase entrevue me laissa pr sager de futurs d lices et emporta ma d cision Pour des raisons qui tombent sous le sens j aurai t le premier d couvrir que ce livre non seulement ne para t pas ce qu il veut tre mais para t souvent ce qu il ne veut pas tre et c est ainsi que les tenants de la r alit en litt rature vont le trouver quelque peu fantastique tandis que les mordus de 18 litt rature de fiction d ploreront son alliance d lib r e avec l histoire de nos jours Changeons de lieu Je suis en Bretagne dans une petite boutique que j affectionne face la rivi re Charrue m obs de La date de l anniversaire se rapproche et je suis encore dans les temps pour confectionner un paquet cadeau mettre le livre si peu pais dans une enveloppe avec un petit mot neutre de pr f rence imaginer la surprise peut tre l motion de celui qui le recevra Je me d cide 51 Charrue est l je l envoie jur promis Si 51 Et puis non R fl chissons encore Je ne suis pas s re d avoir envie de briser la glace entre nous Je n ai peut tre pas envie d tre gentille Ou bien j ai peur de faire un pas vers celui qui est parti et qu il n y ait rien en change ou bien Avec tout a les jours passent Il est trop tard pour l anniversaire Et les jours continuent de passer Nous sommes bient t en hiver
16. ise La cuisine La collection de recettes des grands chefs fran ais constituait une protection sans questions Le bureau Calme et s curit Cinq m tres sur deux m tres dix de rayonnages Il y avait bien quelques faiblesses dans les couleurs et quelques br ches dues la taille des livres Une concession lui avait permis un colmatage en livres couch s L ensemble tait solide Il allait pouvoir commencer une journ e de vacance ordinaire L inspection termin e K alluma sous la bouilloire Disposa un bol Quatre tranches de pain bis Sortit le beurre du r frig rateur Et mi superstition mi inqui tude refit en sens inverse les pas qui le 26 s paraient du bureau K posa son regard sur les dos Eut l intention un instant d intervertir quelques ouvrages L homog n it esth tique est le premier gage de solidit avant m me 18 taille condition de ne pas affaiblir l difice en dispersant les contenus K ouvrit les volets Simmel constituait un point faible Lev e h t roclite du livre de poche aux tr s s rieuses couvertures des presses universitaires 11 avait tent une fois par simple d rision de ranger les volumes de poche avec son homonyme Le caviar et 18 modernit Les clowns et 18 trag die de la culture Personne pas m me T ou N traversant le boyau n avait per u la ponctuation Il retira les deux volumes sur la sociologie du rayon Ils lui sembl rent beaucoup plus l gers qu l
17. la recomposais par ordre alphab tique Mes bouquins favoris disparurent dans la masse de l alphabet Qu im porte l essentiel est d tre entour de livres et de pouvoir tendre la main vers eux chaque fois que n cessaire D sormais la recherche d un auteur tait ais e d cal au pire par rapport la deuxi me ou troisi me lettre du nom Par contre lorsque j voquais le contenu d un livre sans que l auteur me revienne en m moire ph nom ne fr quent pour les essais la t che se r v lait ardue Je m accrochais au souvenir de la couverture fouillant les rayonnages pour en extraire trois centim tres de rouge ou deux de leu Ni la taille de ma biblioth que en absolu ni la qualit des reliures 9 qu elle contenait ne justifieraient ces remarques si je n avais d cou vert un jour les P entre les H et les J Comme d autres je faisais parfois d filer tout l alphabet pour retrouver l ordre idoine mais de l escamoter d un coup les lettres KLMN Je tais le L puisqu un L s y glissait Je repla ais tout en bon ordre Quelque temps plus tard voulant faire le point des livres lire ou relire je d nichais de nouveau les P entre les H et les J Je les rangeais me fixant comme objectif de surveiller ce secteur Puis j oubliais jusqu au moment o de nouveau je constatais le m me enchev trement Je cherchais en d pit de l absurdit de cette d marche une explication d
18. laisser son premier argent de poche Allo New York J ai fini mon article pour Chroniques Je n ai malheureusement pas respect la date limite Tant pis ce sera pour le prochain anniversaire CHANTAL CADORET 23 UNE VIE DE LIVRE Samedi 13 juillet Six heures trente cinq K glissa un bras hors de la couette D une main inqui te il t tonna la pile de livres pos e sur le sol Il les bouscula doucement et les compta Sept Depuis neuf ans il ne pouvait plus se coucher sans cette barri re ces milliers de signes qui l cartaient du monde Il y joignait m me les soirs de grande fatigue quatre cinq albums de bandes dessin es Voil neuf ans qu avant chacun de ses voyages il se rendait la librairie acheter un viatique dont il tapissait le fond de sa valise Trois chemises deux cravates un pantalon quelques sous v tements une trousse de toilette En cl ture un roman un policier un recueil de po mes et un guide touristique dans la poche de sa veste un journal Dans sa chambre d h tel il bouclait le territoire Trois piles d cal es savamment sur la table de nuit ou sur le sol Au plus pr s du lit le guide Puis le roman et les po mes Au del la sociologie et la philosophie Il refermait la valise sur les v tements Posait sur le couvercle le journal et le plan de la ville achet l a roport Alors seulement il pouvait prendre une douche et organiser son programme T l phone
19. ne biblioth que Cela sent la poussi re et les toiles d araign e Tu ne crois pas si bien dire mon Ch ri Les livres tissent entre eux des liens qui multiplient l existence la transgressent J aime penser que je suis le troisi me personnage de la cr ation que d une certaine mani re j en suis l aval et l crivain l amont D ailleurs ne sommes nous pas de la m ne eau J ai une pr dilection pour le r cit 19 picaresque quand semblable au h ros en qu te d une identit perdue je cherche l instant magique o les mots de l autre deviennent un fragment de moi m me Je connais par c ur la place de chacun de mes livres m me si au gr d un d poussi rage printanier ils grimpent d un rayon comme d autres montent d un chelon Mon mari pr dit l croulement prochain d une des tag res Ma passion d vorante qui m a voulu le doux surnom de rat ira t elle jusque l 2 moins que ce ne soit les mots eux m mes qui sortis de ces armoires livres ou de ces trous rats subrepticement me mangent SABINE ADLER 20 CONCOURS CHRONIQUES Allo ne quittez pas on vous passe New York Allo Chantal 81 le New York Times sous les yeux il para t que Chroniques lance un concours pour f ter leur dixi me anniver saire Tu devrais crire un article tu sais crire toi et puis les livres a te conna t puisque tu es prof de Fran ais A e A e A
20. qu ils fussent totalement rompus apr s avoir t si forts Mais aussit t m en voulant de cet attendrisse ment je me dis qu il ne m ritait pas cette attention Je discutai avec le libraire barbu ami de P rec qui me vanta les charmes de La belle Hortense et quittai la boutique le livre de Roubaud sous le bras avec quand m me un l ger regret pour le petit volume blanc aux armes des Editions de Minuit que je m tais en quelques minutes quasiment appropri 15 Fin juillet chose extraordinaire la m re du p re de mon fils de passage Cr teil voulut d licate attention nous offrir des livres pour les vacances Je l emmenai Chroniques Pendant que l enfant h sitait au milieu d ouvrages que notre efficace libraire avait s lectionn s pour lui je revins insensiblement vers le rayonnage qui m avait retenue ma pr c dente visite Charrue tait toujours l Un tout petit livre si petit Je le tins longtemps dans mes mains presque d cid e me le faire offrir Mais il y aurait eu l un d tournement d objet L ouvrage tant destin quelqu un d autre il resterait paradoxalement sur son tag re Fort heureusement je vis que le troisi me tome de L idiot de la famille de Sartre tait l Cher Flaubert Je n tais pas venue bout des deux premiers mais qu importe C tait pour moi un symbole et comme tel je l emportai additionn du Livre de Manuel de Julio Cortazar auquel il me fut
21. r B Ecrire N et T Se rendre chez W Traverser le pont aux trois arches Se promener dans la Ville de 2 pierre Visiter le Pavillon d Or Se rendre aux thermes ou au Manoir des Immortelles Dans toutes les pi ces de son appartement parisien il avait am nag une biblioth que d angle en contre garde Seules les toilettes et la pi ce principale en taient d pourvues Le s jour salle manger tait le champ des invit s Le glacis du repas o il organisait les contacts les changes depuis la cuisine Souvent il avait pens transformer les toilettes en bastion Juste pour porter quelques revues 11 n tait pas rare apr s l ap ritif et encore la suite du repas qu un coll gue demande aller aux toilettes qu un ami explore ouvrant les portes les unes apr s les autres Il en avait fait le projet Pris les mesures Dans le supermarch de bricolage il avait renonc On se serait dout de quelque chose Ces planches qu allait il en faire 2 Pris de panique il s enfuyait Abandonnait le chariot et les planches d coup es la mesure Il avait ainsi fr quent tous les magasins de bricolage de la banlieue proche K se leva Comme tous les matins Il entreprit d inspecter les murs La chambre 11 lui faudrait bient t rajouter une hauteur Le couloir Trop large Penser couvrir le deuxi me mur Des livres de poche Acc der la salle de bains Aux toilettes Se retourner en cas de surpr
22. sations multiples le grain d une reliure sous la main la blancheur ou lej jaunissement de la page comme la forme des caract res le bruit de la feuille qu on tourne l odeur d encre de cuir voire de poussi re Tout cela participe d une ambiance Bien cal dans mon fauteuil j accompagne Simenon d une bi re Agatha Christie d une tasse de th j vite de trop lire Chandler depuis que je cherche diminuer ma consommation de bourbon Et comment se plonger dans les brumes londoniennes avec Sherlock Holmes ou Harry Dickson sans une bonne pipe Bien entendu port e de ma main droite se trouve mon marque page Au m me titre que l apparition des cheveux blancs il est le r v lateur d une certaine maturit CHRISTIAN FOURNIER LA BIBLIOTHEQUE Le rangement d une biblioth que est chose d licate je classais la mienne par genres sans m immiscer davantage Les po tes fraterni saient entrem lant si cles et rimes les historiens confrontaient v nements arbres g n alogiques sans chronologie aucune les personnages romanesques disposaient de leur destin en fuguant chez le voisin Et au centre port e de main de regard se regroupaient en grand d sordre mes livres pr f r s Mais ma boulimie en la mati re et la fr quentation de quelques bonnes librairies augmentaient un rythme soutenu la quantit d ouvrages et la moindre investigation devenait laborieuse Aussi un matin h ro que je
23. t cette tocade Tout le monde me voyait d j crivain Pourtant chez nous personne n avait jamais vibr pour un livre Fra chement rapatri s d Alg rie leurs mains en disaient plus long que les mots et ne s arr taient jamais le temps de r ver de vivre Jamais je ne me suis demand pourquoi alors on m apportait le d jeuner ou le diner dans ma chambre au lieu d exiger ma pr sence la table familiale Aujourd hui seulement je r alise que mon roman comblait un manque ou effa ait une certaine honte dans cette famille o la culture ne p n trait que par le biais des ditions Beauval qui avaient cette poque la g n rosit d offrir le premier tome de leurs parutions qui renvoyait le coupon r ponse sans obligation d achat Pas facile n est ce pas de pr tendre un jour gagner ses lettres de noblesse dans le monde de la litt rature Heureusement pour moi il y avait dans cette petite ville de province quasiment rurale des gens qui d siraient largir le sens local du mot culture Je me souviens d un vieux monsieur ses lunettes de myope tombant sur le nez la pipe la bouche Ah ce temps o on pouvait encore fumer partout sans tre imm diatement accus d homicide volontaire Boutique tait un bien grand mot car la sienne n avait ni vitrine ni rayonnages ni tables ni pr sentoirs Tous les livres taient pos s sur le sol en vrac Aucun ordre me semblait il Pourt
24. t faire supposer enclin l uniformit se manifeste au contraire le go t de la tapisserie limit e et bariol e la recherche de l unit diff renci e Surtout ce ne sont pas les hommes du cri brusque et monotone qui jaillit de l esp rance la sous entend et l unifie en une sensation mais les voyants bien disants tout entier choses tranquilles et impassibles promoteurs de la vari t les sournois de l exp rience qui la taillent et la distribuent en figures comme par jeu visant tr s habiles la remplacer Je proc dais une reconstitution afin de d terminer lesquels des 11 quatre livres avaient quitt leur poste comprendre pourquoi les autres crivains avaient suivi Pavese En mat rialisant les d placements je cernais enfin le mobile je me fourvoyais en supposant des complicit s chez les H et les J Irving faisant le gu ces rencontres taient fortuites Les livres coupables Le M tier de Vivre tome 1 et tome 2 bousculaient les autres pour r int grer leur emplacement ancien celui de mes livres d lection Pavese le mal aim Par d rogation je 1 laissais COLETTE BROGNIART 12 CHRONIQUES GARGANTUESQUES Ce n est pas vrai qu on n a pas le temps de lire Quand on veut on trouve toujours le temps La r plique m assomma Je ne montrai rien Pourtant moi je ne lui avais rien fait ce libraire C tait l poque o je ne lui avais pas encore dit qu
25. t feuilleter encore 2 tant ses yeux d rivaient sur les mots accrochaient les phrases heurtaient les images dix heures Beuys commen ait montrer des signes de faiblesse onze heures quarante les actions taient devenues indistinctes Trois heures quinze K rassembla tous ses livres au milieu du s jour Tout au plus quelques milliers de livres d une vie Il b tit un lit d encyclop die Entoura l assise de quatre murs d ouvrages de m me taille et de m me couleur qu il ajusta soigneuse ment Recouvrit le fond de feuilles altern es du Monde et de Lib ration Calmement il se d shabilla S allongea sur le drap de presse Se couvrit le corps des pages du Monde Diplomatique Tira quelques atlas en guise de couverture Il tait dix heures trente Samedi 13 juillet Dimanche 14 juillet Huit heures cinquante cinq K attendait l ouverture de 18 librairie JEAN MARIE BALDNER 28
26. tait Saint Brieuc j esp re que je n oublie personne parce que je voudrais lavoir moi ce prix pas encore identifi mon absolution Mais je lis je lis je lis j en ai plein une besace de livres pour les vacances Je lis je lis je lis mais j vous jure Monsieur Gargantua si parfois vaincue par l pui sement dans mon sommeil je dis Fnac Frac Fnac moi Virgin moi Carrefour je le fais pas expr s Monsieur Gargantua je le fais pas expr s PASCALE FOURIER 14 CHARRUE J tais cette ann e l travers e de sentiments contradictoires l gard d un homme que j avais passionn ment aim h sitant entre la tentation de la tendresse et la col re au fond Par une apr s midi grise de juillet j accompagnai la librairie Chroniques une amie qui partait pour Isra l afin qu elle y choisit quelques ouvrages pour ses h tes Pendant qu elle examinait les derni res parutions j errai devant les rayons sans id e pr cise et tombai en arr t devant les livres de Pinget qui veill rent en moi des souvenirs que pour une fois je ne refoulai pas Je feuilletai Charrue et des phrases piqu es au hasard me s duisirent Parcourant ses notes Un mot revenu du fond de l enfance Pluie et bourrasque continuent Je me dis que ce pourrait tre une id e de cadeau pour l anniver saire de cet ancien mari et que ce serait peut tre une mani re de renouer des liens dont je d plorais
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