l`industrie du g”nial (corr)
Contents
1. R GIS DEBRAY 1999 TOUS DROITS R SERV S 1 Texte publi dans Marianne n299 15 mars 1999 l occasion de l exposition Hockney pr sent e conjointement au Centre Pompidou au mus e Picasso et la Maison Europ enne de la Photographie L industrie du g nial le cas Hockney Imagier omnisupports David Hockney est la vedette de trois institutions majeures et majorantes de la sc ne parisienne Centre Pompidou Mus e Picasso et Maison Europ enne de la photographie Plus qu un succ s un sacre Exp di vivant au Panth on du si cle on nous invite m me le voir dialoguer avec Picasso d gal gal Sa place est donc la premi re c est vident Trop b otien pour oser un jugement de go t mais sensible une certaine disproportion entre l uvre et sa r putation le m diologue tonn se sent tenu d aviser tout d abord les proc dures mat rielles du faire croire La valeur d une uvre d art ou sa cote a toujours t fiduciaire C est un acte de foi un pari mutuel urbain un bien n est d sirable que s il est d sir par d autres o chacun s accote l avis de son voisin pour aller faire la queue deux heures sur une piazza glaciale Hockney Paris nous rappelle que le march de l art est par sa nature pid mique un march de notori t la rubrique construction de la croyance ou conomie sociale des vidences la lecture de l argus est une le on de2. arpenter et condenser l histoire de l art Le la mani re de est un jeu de princes traditionnel Picasso a jou avec Velasquez Ingres Delacroix Pourquoi pas Hockney avec Picasso L exhaussement est de bonne guerre et le bluff astucieux la mondialisation du march de l art se payant d un raccourcissement des cycles les notori t s se d font aussi vite qu elles se construisent chaque talent a int r t passer au niveau sup rieur l o a ne bouge plus Mais transformer ces clins d il anodins ou gentils en dialogue avec pour se faufiler aupr s des monstres sacr s les intouchables marque le moment o l hubris de l auto promotion tourne l ind cence Une saison chez eut t plus exact mais moins vendeurs Reste qu un g nie starifi sur le tard par les m dias dont le malague o sut jouer tr s habilement ne fait pas sym trie avec une star pr coce dont les m dias font sur le tard un g nie L auteur de Guernica a peint les quatre saisons de l homme et le tragique de la vie Celui du Bigger Splash son t seul et le sourire des choses Pas de vies parall les possibles Un microcosme qui sans ironie aucune peut mettre au coude coude le tour op rator et l aventurier le l nifiant et le d rangeant le fantaisiste et l acrobate le d corateur et le d couvreur a perdu la boule et la pudeur Vaches folles images folles Un conseil aux R GIS DEBRAY 19
3. 99 TOUS DROITS R SERV S 5 communicants apprenez jusqu o aller trop loin si vous voulez qu on vous croie encore un peu
4. choses Premier constat partout le m me article La m me interview exclusive du peintre Lib Monde Figaro faite en s rie et pr c d e du m me chapeau la star fuit toutes les interviews Mim tisme des admirateurs ou m canisation de l admirable L usinage la cha ne s claire si on remonte la source un excellent dossier de presse distribu en amont aux m diateurs Tout y est du plus exot rique chronologie liste des uvres communiqu s au plus sot rique extraits d essais et citations d auteurs Deuxi me constat l impeccable d clinaison du produit de la presse sp cialis e jusqu la presse gay en passant par la s rieuse la mode et la people Troisi me constat l unisson du dithyrambe sans fausses notes sauf un l ger b mol dans Le Monde On le savait d j le discours de c l bration n a pas de go t pour le discursif Aux consid rations comparatives donc subjectives du critique d art l ancienne fid le au vieux sentir c est comparer succ de le superlatif de la sid ration sans r plique prescrire c est s exclamer Exemples de titres Le Mus e Picasso expose le peintre le plus connu du monde Le dernier g ant de la peinture figurative Hockney l Anglais qui croit encore la peinture Si C zanne revenait sur terre c est cela qu il ferait Il rayonne avec insolence sur l art contemporain Quatri me constat la
5. est ringard mais y son double tr s en pointe Pour faire rentrer le profane dans le circuit et dans les files d attente le premier cercle clair doit se faire claireur renoncer son autarcie et faire partager au tout venant ses crit res de s lection D o na t un dispositif trois chelons l arri re retranch s dans un catalogue tut laire et magique talisman rarement ouvert les lourds bataillons de la glose savante unit s de r serve philosophiques qui couvrent les divisions de l avant que sont les journaux de r f rence vous pouvez y aller l encaisse conceptuelle est l en cas de r sistance on pilonne Ce deuxi me chelon la presse autoris e couvrant son tour les flanc garde de province et les voltigeurs du people Le compact offre au l ger la garantie morale pas frileux pas moisi du s rieux et l cho des p riph ries d mocratise en retour le privil ge des in siders Si la bonne strat gie de vente en mati re post moderne consiste rendre l trange familier ou l opaque transparent autant que possible la difficult dans le cas Hockney r sidait dans sa transparence m me La notori t tait l mais un peu trop l La piscine bleu cobalt Un logo des sixties d fra chi L artiste Un visuel de magazine cheveux d color s lunettes rondes chaussettes rouges chemise ray e Restait donc rendre le galvaud trange paissir un clich et non clai
6. illeur parti de chaque proc d de reproduction C sar avait l instinct du mat riau Hockney a celui des gadgets Il a le don de s en merveiller et le courage de leur ouvrir le ventre comme C sar face au d chet industriel ou au polyur thane Cette mise en sc ne d un vrai bonheur technique par une pie voleuse et gaie fait du californien fantasque comme du ni ois des compressions un contemporain par vocation En quoi cet artiste hors norme est strictement aux normes de l poque Il avait jadis transpos sur toile l intimit de l image t l visuelle l oc an Pacifique comme sc ne d int rieur Avec ses photocollages ses marqueteries blanc cadr es de joiners ses montages de Polaroids ses amis de synth se align s en R GIS DEBRAY 1999 TOUS DROITS R SERV S 4 rang voici qu il attrape le Zeitgeist au vol et en plein c ur la fragmentation Le Narcisse post moderne s approprie le monde en le brisant par petits bouts Ce discontinu ce composite qui sont la marque de notre temps ce n est pas nous qui en d cidons mais nos machines Elles sont ainsi faites et nous leur embo tons le pas Nous int riorisons leur fonctionnement objectif en profession de foi Et nous appelons artiste l veilleur appareill qui a le toupet de ses proth ses le go t d en exhiber les rouages le processus de fabrication comme work in progress et le culot de signer la petite surprise finale Cette effronterie souven
7. preuve par l arithm tique la d mesure des chiffres attestant le monument vivant 400 uvres en 40 ans 30 000 photos en 10 ans 60 toiles pour un Grand Canyon de 7 m tres sur 2 80 lignes de fuite dans un seul tableau 635 000 pour Berlin a souvenir Confusion des grandeurs et de la valeur du prix et de l appr ciation o s annonce la fusion de la critique et de la com des Beaux Arts et du showbiz Pour reprendre le mot d Yves Michaud les commissaires de l art qui R GIS DEBRAY 1999 TOUS DROITS R SERV S 2 commandaient aux communicants via le dossier de presse tendent en devenir d autres La pond ration r fl chie d une uvre s aligne sur la mont e en neige de l v nement Le management culturel qui tourne l industrie ajoute l accr ditation institutionnelle le Mus e valant label de qualit les moyens lourds de la promo invitation en night club conf rence de presse merchandising sponsoring etc Examinons cette prouesse de pr s Pas facile de passer du connaisseur expert la lectrice de Elle ou de l espace polyfocal avec perspective invers e Bleu comme Hockney bient t l t Le milieu de l art c est connu ne donne pas ses raisons Il fonctionne l implicite au a va de soi la connivence le sourire p remptoire On en devient membre quand on ne se donne plus la peine d argumenter ce qui va sans dire que x
8. rer de l obscur gommer le c t clair et chic swinging London et beach boys du plus californien des peintres anglais C est le reclus myst rieux qui en appelle aux d chiffrements d envergure Notre golden boy l anti Balthus vient du pop art coloriage superficiel d ic nes interchangeables o chaque spectateur reconna t d embl e son monde familier Valeur d exceptionnalit faible Et puis en art le bonheur ne paye pas et nuit la l gende La m tamorphose mythique pr f re l effac au clinquant et fait son miel des maudits Van Gogh Gauguin de Sta l La transfiguration d une vedette en demi dieu exigeait ici de tenir les deux bouts de la cha ne l herm neutique et l idyllique en vitant le court circuit assurer la haute tenue intellectuelle c t taste makers pour densifier la chronique mondaine en path tiser le cool parents pauvres peines de c ur surdit croissante afin que chacun puisse mesurer au del du Bigger Splash de 1967 l importance de cette oeuvre dans l histoire de la peinture contemporaine mais sans renoncer c t Californie bronz e aux prestiges mode du papier glac qui rabat l uvre sur le personnage et les lauriers d Apollon sur une success story Conceptualiser et papoter sans que l art en profondeur nuise la vie en rose Pari tenu quel prix R GIS DEBRAY 1999 TOUS DROITS R SERV S 3 Diderot Baudelaire Breton ne portraituraient pa
9. s les portraitistes chez nos grands patrons pas d entretien pas de biographie la personne des artistes s efface sous leurs travaux D sormais l uvre n importe laquelle est privatis comme Air France et le rail La critique litt raire se fait avec des interviews d crivains avantage pas de risque sous d immenses photos comme le suppl ment Beaux Arts avec des visites l atelier mieux au domicile chambre coucher cuisine closet Le travail d Hockney flamboyante autobiographie rentre merveille dans cette nouvelle rh torique de l intime Amours lubies hobbies dans ses tableaux cet immense artiste raconte sa vie VSD Un oasis donc dans l art dit contemporain Par ce qu il a d exag r ment conceptuel ce dernier ne permet gu re l addition des publics et dissocie en g n ral le snobisme du tourisme nos mus es sp cialis s ont la m lancolie des cath drales abandonn es Ici l tendue de l arc publicitaire alli l ouverture de compas d un dessinateur surdou pinceau polaro d Pompidou MEP est enfin parvenu synth tiser les curiosit s d ordinaire oppos es de l intello et du badaud J e suis un peintre clectique r p te Hockney Au patchwork de ses mosa ques r pond celui de ses publics Un succ s ne se fabrique pas sur commande Chacun doit y mettre du sien En bas comme en haut Si l artiste ab tit le public dit Baudelaire celui ci le lui rend bien Il
10. s sont deux termes corr latifs qui agissent l un sur l autre avec une gale puissance Les interviews d Hockney alignent des platitudes sans pr tention l homme est bon gar on et n en fait pas accroire je n ai pas une trop haute opinion de mon travail Un la beaut n est pas dans les choses mais dans le regard par exemple ferait h siter un l ve de terminale Faut il reproduire ce poncif en lettres d or Les artistes c est leur chance et la n tre ne sont pas ceux qui philosophent le mieux sur leur art sinon ils ne seraient pas artistes mais th oriciens Et pourtant la fabrique sociale de l originalit exige d eux des vues profondes en sorte qu ils ne peuvent plus vendre leurs trouvailles d un jour sans fournir un mode d emploi d finitif et th orique d faut un critique d art ventriloque monte en ligne pour lever la cat gorie de vision du monde longuement m rie ce qu une rencontre de hasard avec telle ou telle machine optique impose l artisan sans pr m ditation les id ologues politiques ont la m me mission aupr s des leaders de masse rationaliser l accidentel De temps en temps une technique me branche C est souvent la technique qui vous contraint changer de mani re Honn te observation et pour le coup profonde Le Polaroid le Pentax la photocopieuse le fax la palette graphique l anglais a saut de l un l autre au petit bonheur tirant le me
11. t f conde et un peu f tichiste c est notre culture vivante s ur jumelle de nos techniques Aux nouveaux moyens de la d construction le jeune Hockney avant de s assombrir ajoutait sa touche propre la fra cheur matinale et quasi matissienne d une perception heureuse Le sensoriel se joignait ainsi l analytique ou l h donisme au bricolage pour accoucher d aimables d compositions acidul es Avec sous le brio une pointe d amertume quand la veine cr atrice s puise on fait rebondir le dessin sur l appareil photo pour voir ce qui sort de l et bonjour l exp rience Fa on de jouer les prolongations Ce qu il avoue sans tricher les nouvelles technologies n apportent pas n cessairement une nouvelle fa on de voir le monde Il a donc l ch le fish eye pour revenir son oeil lui crayon et pinceau L huile et non l acrylique Ce m dium lisse et mat sied aux surfaces polies des villes le verre l eau le carrelage non au brut et l pre aux violentes vastitudes Pour s enfoncer dans le Grand Canyon et caler la tradition dans le format Cin maScope au Centre Pompidou un Hockney m ri plus pompeux et th tral moins convaincant que l apprenti photographe retourne aux vieilles pratiques picturales au paysage comme genre noble C est cependant l h tel de Sal que le revival se corse N y tr ne t il pas en vis vis avec le Catalan Explication tre artiste c est recycler
Download Pdf Manuals
Related Search