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1. Article La lettre h bra que un premier souvenir en sept versions Philippe Lejeune tudes litt raires vol 23 n 1 2 1990 p 121 133 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 500931ar DOI 10 7202 500931ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudlit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 07 58 LA LETTRE H BRA QUE UN PREMIER SOU VENIR EN SEPT VERSIONS Philippe Lejeune M Dans le chapitre IV de W ou le souvenir d en fance Georges Perec met en sc ne de mani re autocritique ses deux premiers souvenirs d en fance une lettre h bra que d chiffr e l ge de trois ans et une cl en or que lui aurait donn e son p2. Tout a t obnubil Vers 15h au moment de la grande explication entre Wotan et Fricka il crit tout de m me quelques lignes sur le souvenir de la lettre Version 6 souvenirs de la rue Vilin Ai je vraiment appris lire dans des journaux yiddish la lettre U quelque chose comme gimmel Toute ma famille m aurait entour admirative En 1973 Perec a pris tant de retard avec Lieux qu il d cide d assainir la situation en prenant une UN PREMIER SOUVENIR EN SEPT VERSIONS ann e sabbatique De fait l interruption durera plus d un an et demi Il ne se remettra s rieuse ment Lieux que fin octobre 1974 Entre temps il a crit le texte d finitif de W ou le souvenir d en fance y compris une nouvelle version la plus d velopp e de toutes du premier souvenir Compar e la version 6 la version 7 que je ne reproduis pas ici puisqu elle figure n extenso au d but de cette tude appara t comme une amplification assez ludique o Perec semble bro der pour se regarder broder Il n a pas sous les yeux les versions ant rieures les a sans doute oubli es puisque pour accomplir sa fonction le souvenir doit effacer au fur et mesure la m moire de ses transformations Les textes ci dessus en particulier les versions 1 et 2 n ont donc pas vraiment le statut d avant texte Mais depuis le d but on l a vu Perec est per suad que ce souvenir est en grande partie invent Faute de pouvo
3. quelque chose comme tout enti re par son th me sa douceur sa lumi re res semble pour moi un tableau peut tre de Rembrandt ou peut tre invent qui se nomme rait J sus en face des y Docteurs Sans doute faut il que le souvenir ait ainsi pris une certaine consistance affective ait pris l unit d un tableau pour que dans un second temps il puisse tre soumis un examen critique qui va le dissoudre Ce second temps est diff r Le lec teur n aura pas remarqu deux minuscules appels de note Il lira donc la suite le second souvenir avec ses variations burlesques Puis il se trouvera en face de deux notes imprim es dans le m me corps que le texte et qui mettent en pi ces ce trop beau souvenir Nous ne sommes plus devant une analyse structurale des variantes d un mythe mais devant une critique philologique ou une enqu te polici re qui oppose au texte les faits qui le contredisent et le d nonce donc comme fiction 1 C est ce surcro t de pr cision qui suffit ruiner le souvenir ou en tout cas le charge d une lettre qu il n avait pas Il existe en effet une lettre nomm e Gimmel dont je me plais croire qu elle pourrait tre l initiale de mon pr nom elle ne ressemble absolument pas au signe que j ai trac et qui pourrait la rigueur passer pour un men ou M Esther ma tante m a racont r cemment qu en 1939 j avais alors trois ans ma tante Fanny la j
4. ai jamais dout de mon intelligence mais que ce souvenir ne correspond rien le lieu n existe pas non seulement il est en d mo lition mais je ne l ai jamais habit la lettre n existe pas je ne l ai jamais employ e Ces deux premi res versions de 1969 et 1970 sont avec la derni re les plus d velopp es Entre 125 1969 et 1970 la m moire a ferment En 1970 on trouve aussi trace de ce premier souvenir dans les avant textes de W ou le souvenir d enfance Le 3 mars dans une premi re et br ve liste de sou venirs mettre dans la partie souvenir d enfance on peut lire lecture d un journal Yiddisch 3 ans r invent Et le 8 septembre dans un plan plus d taill ceci qui constituera ici mal gr sa bri vet la frozsi me version Version 3 1 souvenir l arri re magasin ou la pi ce d habitation Les journaux h breux La lettre gamaih ou gamelle Puis non dat e l encre noire sur le bas d une feuille une s rie d essais graphiques autour de la figure de la lettre Sur la m me feuille au feutre vert un sch ma des quatre villages de la colonie olympique qui doit dater de la fin de 1969 ce sch ma ressemble d ailleurs trange ment au carr s miotique greimassien comme ceux qui figurent les permutations des marchan dises de Mme Marcia dans 4 Vie mode d emploi p 139 La feuille a t reprise sans doute l automne 1970 et porte l encre noir
5. fl chir la mani re dont le fantasme s est form Le premier souvenir lui est pr sent selon un syst me diam tralement oppos Une seule ver sion complaisamment d velopp e Le doute est l sous la forme du conditionnel ou d une paren th se en forme de clin d il mais de telles pr cautions oratoires sont habituelles dans les r cits d enfance C est le mouvement lyrique qui domine Chacun des deux paragraphes apr s l expos assez pr cis des faits tente de sugg rer par diff rents moyens amplification comparai son l atmosph re du souvenir Le premier souvenir aurait pour cadre l arri re boutique de ma grand m re J ai trois ans Je suis assis au centre de la pi ce au milieu des journaux yiddish parpill s Le cercle de famille m entoure compl tement cette sen sation d encerclement ne s accompagne pour moi d aucun sentiment d crasement ou de menace au contraire elle est protection chaleureuse amour toute la famille la totalit l int gralit de la famille est l r unie autour de l enfant qui vient de na tre n ai je pourtant pas dit il y a un instant que j avais trois ans comme un rempart infranchissable Tout le monde s extasie devant le fait que j ai d sign une lettre h bra que en l identifiant le signe aurait eu 122 T AUTOMNE 1990 la forme d un carr ouvert son angle inf rieur gauche D et son nom aurait t gammeth ou gammel l La sc ne
6. grec de prolif rer alors m me que Perec sait que sa lettre ne ressemble pas du tout la lettre gzmmel Il y a bien s r une part de jeu il s esclaffe en pensant gam te on se demande s il est s rieux en hasardant gamelle et le redoublement du m dans la version finale fait penser gam m e de m me que l toile juive peut tre pro duite partir de la croix gamm e comme il est d montr plus loin dans W ou le souvenir d en fance Les autres noms de lettres voqu s de lettres qui n ont d ailleurs aucune ressemblance avec sa lettre sont moins riches de m tamor 129 phoses Daleth ou dalaith dont le nom a videmment rapport avec le delta grec voqu au d but pour sa forme Et yod qui vient en troisi me position en 1969 s impose en 1970 puis dispara t totalement semble tre l pour g n rer un jeu de mots youd renfor ant les effets d identit juive qui sont li s dans cette anecdote au topos de la vocation d crivain La ligne g n rale d volution est la m me que pour la forme au d but h sitation entre trois noms version 1 puis entre deux version 2 qui n ont absolument aucun rapport puis un choix se fait gmmel triomphe sous l une ou l autre de ses formes alors m me que Perec sait que c est une erreur H sitations sur la forme et sur le nom Tiraillements entre la forme et le nom Le souvenir r s
7. pas Il ne les ouvre pas non plus quand le projet est abandonn Elles ne seront ouvertes qu apr s sa mort En 1974 il crit donc le sou venir tel qu il le voit ce moment l constitu dans sa m moire et il en critique la constitution quelque peu factice Il suffirait qu il ouvre les enveloppes pour voir comment le souvenir s tait constitu au cours des ann es pr c dentes Certainement si l entreprise avait t men e son terme il aurait tir parti de ces textes qui donnent une preuve clatante de la f condit de cette r gle du jeu Mon r le va donc tre ici sim plement de les diter Je ferai les remarques cri tiques qu impose l observation mais m abstien drai si je le puis d interpr ter J isolerai dans ces textes le premier souvenir Le second n y est gu re pr sent Il n appara t que deux fois en 1969 et en 1971 de mani re suc TUDES LITT RAIRES VOLUME 2 N 1 2 cincte On comprend assez bien pourquoi en lisant le texte de 1969 Mon p re est ouvrier serrurier Il revient un soir de son travail et me donne une cl on sait au moins de ce souvenir qu il fut n cessaire ment invent puisque mon p re n a Jamais t ouvrier serrurier encore qu il soit exact qu il fut un moment tourneur sur m taux Son vocation et son d veloppe ment constitu rent un des pivots de ma psychanalyse ce qui n a rien d tonnant mais ce fut je crois un pivot assez pauvre Lieu
8. re Ces deux souvenirs sont situ s rue Vilin Paris 20 o Perec a v cu ses six premi res ann es 1936 1942 Avant m me de les racon ter il en annonce le caract re fabul Mes deux premiers souvenirs ne sont pas enti rement invraisemblables m me s il est vident que les nom breuses variantes et pseudo pr cisions que j ai introduites dans les relations parl es ou crites que j en ai fait sic les ont profond ment alt r s sinon compl tement d natur s p 22 La strat gie utilis e pour mettre en sc ne cette invraisemblance la rendre sensible au lecteur est diff rente dans chaque cas Pour le second sou venir celui de la cl le jeu est celui de la super position rapide de quatre variantes exprim es de la mani re la plus sch matique possible Ni fio ritures ni pr cisions Cela va si vite que l on a le tournis En m me temps on sourit des cascades de transformations des d placements des com binaisons progressives On est moins devant une analyse structurale l vi straussienne d un mythe travers ses variantes que devant une sorte de burlesque freudien saccad un Charlot du stade anal Le second souvenir est plus bref il ressemble davantage un r ve il me semble encore plus videmment fabul que le premier il en existe plusieurs variantes qui en se superposant tendent le rendre de plus en plus illusoire Son nonc le plus simple serait mon p re rentre de
9. ressaisir le pass de son enfance Perec a d cid de prendre au pi ge les transfor mations de ses r cits autobiographiques la meil leure mani re d attraper le pass tant encore de le saisir dans son pr sent au moment o il se forme TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 T AUTOMNE 1990 Bibliographie I Textes de Georges Perec W ou le souvenir d enfance Paris Deno l 1975 Avant textes de W ox le souvenir d enfance voir mon tude sur la Gen se de W ox le souvenir d enfance dans les Cabiers Georges Perec 2 Textuel Universit de Paris VII n 21 1988 p 119 155 et la reproduction du Petit Carnet norr p 159 169 la version 3 est la p 163 La version 4 est in dite Archives Perec Esp ces d espaces Paris Galil e 1974 l Espace critique Lieux in dit Archives Perec Les fragments cit s sont reproduits avec l autorisation d Ela Bienenfeld II Critiques ayant comment ce premier souvenir BENABOU Marcel Perec et la jud it dans les Cahiers Georges Pere 1 Paris PO L 1985 p 15 30 en particulier p 19 BURGELIN Claude Georges Perec Paris Seuil 1988 les Contemporains p 165 166 MAGN Bernard le Puzzle mode d emploi Petite prop deutique une lecture m tatextuelle de la Vie mode d emploi de Georges Perec dans Perecollages 1981 1988 Toulouse Presses Universitaires du Mirail 1989 les Cahiers de Litt ratures p 33 59 en particulier p 48 49 su
10. absente l enfant tait entour d tres sans visages comme des person nages de Chirico Ce sont ces personnages l identit perdue qui formaient dans la premi re version le public admiratif Dans la seconde ils commencent se particulariser se familiariser Ce n est pas encore la famille mais d j des voi sins Et une parenth se rajoute titre d hypo th se la grand m re Dans la version 6 plus d inconnus plus de voisins mais toute la famille M me volution pour la position cen trale de l enfant elle est absente de la version 1 l id e d tre au milieu de quelque chose appa ra t dans la version 2 mais il ne s agit encore que d tre au milieu d un tas de journaux yiddish Dans la version 6 toute sa famille l entoure La ver sion finale de 1974 est essentiellement consacr e d velopper cette indication tardive absente des premi res versions Pourquoi Exercice pour se doter d un de ces beaux souvenirs d enfance qui lui manquent W p 70 comme on en voit dans les livres de classe p 95 Oui pourquoi pas D sir aussi de compl ter une structure symbo lique bauch e par les jeux sur la lettre au carr ouvert br ch b ant s oppose le cercle ferm qui forme rempart Le lecteur de 4 Disparition et de la d dicace de W ou le souvenir d enfance est 130 T AUTOMNE 1990 habitu voir ainsi associer lettre et famille On comprend aussi par li
11. cherche qui je voudrais ici continuer Ou plut t c est cette recherche que Georges Perec va ici continuer Je me contenterai d tre son interpr te ou son secr taire D ouvrir ses enveloppes de faire suivre son courrier Le texte que je viens de pr senter rapidement a t crit en 1974 dans le cadre d un projet con u en 1969 Or en 1969 Georges Perec avait galement commenc r aliser un autre projet autobiographique Lieux dont l une des r gles tait de mettre sa m moire sous enveloppe Chaque ann e pendant douze ans douze lieux 123 parisiens li s son histoire devaient faire l objet d une description et d une anamn se Cette r gle du jeu qu il a d crite dans Esp ces d espaces il l a pratiqu e plus ou moins r guli rement jusqu en septembre 1975 Les textes produits taient imm diatement mis sous enveloppe scell e la cire et ne devaient tre ouverts qu au terme des douze ans Alors il aurait d cid ce qu il y avait lieu d en faire publier trier commenter L id e de cette bombe du temps comme il l appelle tait d observer un triple vieillisse ment celui des lieux eux m mes celui de son criture celui de sa m moire Parmi ces douze lieux la rue Vilin Quand il r dige en 1974 le chapitre IV de W ou le souvenir d enfance existent quatre enveloppes scell es contenant la m moire de la rue Vilin depuis 1969 Il ne doit pas les ouvrir il ne les ouvre
12. citer il pense aux menottes un cro chet ferm ou ouvert comme le delta et aux notes de musique Il dit n avoir jamais v rifi si un tel graphisme existait Il semble avoir proc d une v rification plus tard au moment ou il couvre un bas de page de treize essais de sa lettre version 4 Mais la v rification est une op ration secondaire Quand on regarde ces treize trac s tous l g re ment diff rents on voit bien qu il cherche cer ner une figure qui est au fond de sa m moire ou de son imagination Il t tonne autour d une forme id ale Change l paisseur du trait Varie la forme du c t inf rieur ouvert la d sarticule en deux ou m me trois segments diff remment orient s Met un point au centre du carr Essaie d ouvrir le c t droit plut t que le c t inf rieur Etc Les autres graphismes semblent li s quelque rapide consultation ami dictionnaire pour s initier un alphabet qu il ignorait totale ment Ce n est plus de l h breu carr mais de la cursive En haut les premi res lettres de l alpha bet barr es d un trait Puis deux suites de cinq lettres formant deux mots passablement obscurs ce que m a dit un ami h bra sant qu mon tour j ai consult Puis en bas une esp ce de conclu sion touchant son probl me Gimrmel Mem existent pas les autres Cela a beau tre crit en fran ais ce n est pas tr s clair non plus quelles autres les s
13. dans l oubli des textes ant rieurs produits sans souci de la confrontation ult rieure D tour pour prendre le temps au pi ge Pour observer ce que de l criture on ne voit jamais D o la seconde raison de ma fascination Ce dispositif d observation permet de voir ce qui 131 chappe aux autobiographes eux m mes En 1974 Perec fait tout son possible pour d montrer la fausset de son souvenir mais il a visiblement oubli le d tail de son premier r cit de 1969 Du coup il est oblig de forcer un peu sur l artifice pour rendre plus clatante sa d mystification Mais les enveloppes sont l irr futables Peut tre s il avait men l entreprise son terme aurait il t tent de construire un r cit autobio graphique st r oscopique dont le montage ci dessus donne les l ments mettant en sc ne la m tamorphose de l criture du pass En g n ral ce sont les rudits qui apr s coup fouillant dans les avant textes ou dans des crits de jeu nesse d couvrent des contradictions entre les versions successives dun m me r cit Les crivains qui aujourd hui portent le soup on sur le r cit des souvenirs d enfance soup on qui vrai dire p se sur le genre depuis bien long temps ne se sont jamais donn la peine d exami ner comment travaillaient eur m moire et leur criture Le soup on affich mais paresseux r p te la m connaissance du pass d faut de pouvoir jamais
14. e deux essais qui semblent contemporains un som maire de chapitres possibles pour la troisi me s rie Critique envisag e alors pour accompa gner le feuilleton W et les souvenirs d enfance et ces essais graphiques autour de la lettre h bra que Ma datation n est qu une hypoth se En tout cas ces essais sont fatalement post rieurs au texte du 21 juillet 1970 version 2 puisqu il y tait dit que Jamais Perec n avait v rifi l existence de la lettre Les voici TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 Version 4 A S aze w gt nef nn a A a gA Di an y a SE kats a TT OM Men i Cm 2 Ox alel ltn ln auli L entreprise de Lzeux a connu des hauts et des bas Commenc e dans l enthousiasme en 1969 et 1970 branl e par une crise affective violente en 1971 elle fut poursuivie tant bien que mal plu t t mal que bien entre 1972 et 1975 Pour l an n e 1971 la rue Vilin devait voir ses souvenirs voqu s au mois de d cembre Or c est le 3 jan vier 1972 18h que Perec s attable au bar du Pont Royal pour rattraper son retard faire son devoir Il racle le fond de sa m moire pour trou ver des souvenirs de la rue Vilin qu il n aurait pas eus Jusqu ici Il ne trouve pas grand chose Il y avait des pav s de bois rue Vilin en ce temps l mais aussit t il trouve deux sources possibles qui laissent penser que ce souvenir est fabul Il serait revenu rue Vilin apr s la guerr
15. e avec sa tante et aurait jou avec un gar on grassouillet avec lequel il aurait d j jou avant guerre Maigre butin Alors il dresse vite une liste qu il intitule Souvenirs rappels o il indique som mairement les quatre souvenirs suivants l ours la d gradation la cl d or la lettre Table des mati res au demeurant tr s lacunaire qui montre son peu de motivation Si le but est d ob server la m moire pourquoi ne les raconte t 1l T AUTOMNE 1990 pas nouveau Il constate lui m me C est peu et en reste l Voici la lettre Version 5 La lettre je reconnais une lettre sur un journal en yid dish daleth L ann e suivante 1972 les souvenirs de la rue Vilin doivent tre voqu s au mois de novembre Perec est encore en retard de quelques jours Il s ex cute le 2 d cembre dans un contexte appa remment trange 10h30 il commence une exp rience d audition int grale du Ring des Nibelungen L exp rience s ach vera sur un chec 17h30 nous avions encore couter 20 faces de Siegfried et du Cr puscule De toute fa on je ne crois pas que nous aurions tenu le coup Mais il a profit de ce bain de musique pour noter ses souvenirs de la rue Vilin en coutant la 3 face la 4 la 8 et la 11 Ces notations sont par fois pessimistes Peut tre n y a t il pas de sou venirs m me pas rafistol s rien qui rattache une histoire r elle v cue
16. eune s ur de ma m re m amenait parfois de Belleville jusqu chez elle Esther habitait alors rue des Eaux tout pr s de l avenue de Versailles Nous allions jouer au bord de la Seine tout pr s des grands tas de sable un de mes jeux consistait d chiffrer avec UN PREMIER SOUVENIR EN SEPT VERSIONS Fanny des lettres dans des journaux non pas yiddish mais fran ais 2 Dans ce souvenir ou pseudo souvenir J sus est un nouveau n entour de vieillards bienveillants Tous les tableaux intitul s J sus au milieu des Docteurs le repr sentent adulte Le tableau auquel je me r f re s il existe est beaucoup plus vraisemblablement une Pr sentation au Temple p 23 24 Voil le souvenir en miettes Mais le voil en m me temps pourvu d une histoire Il s est parpill mais n a pas disparu On d couvre un fond de v rit le go t du d chiffrement des lettres les journaux Et en m me temps une erreur ce n tait pas une lettre h bra que la lettre du souvenir d ailleurs n existe pas qui renvoie la v rit d un autre moment celui o le souvenir a t construit par un adolescent ou un adulte qui savait mal l h breu la recherche de son identit Je me plais croire qu elle pour rait tre l initiale de mon pr nom de sa juda t qu il tente de nouer ainsi sa vocation d crivain Les notes amorcent donc une recherche sur l his toire du souvenir C est cette re
17. iennes Le probl me est il celui de l existence ou de la ressemblance Il semble en tout cas que cette v rification faite en 1970 refaite ou retrouv e en 1974 ait ins pir la r daction de la note 1 de la version finale sa lettre ne ressemble pas du tout gim mel mais plut t mem du moins au mem non final on pourra s en rendre UN PREMIER SOUVENIR EN SEPT VERSIONS compte en consultant l alphabet h breu reproduit en annexe Mais les m tamorphoses de la lettre ne sont pas termin es en 1972 version 6 peut tre sous l influence de Wagner le carr ne s ouvre plus au m me angle c est maintenant le c t gauche qui b ille d ailleurs sans s carter Enfin en 1974 le trac est la fois d crit la forme d un carr ouvert son angle inf rieur gauche et ex cut L alphabet h breu poss de une nou velle lettre Puisqu elle n existe pas il restera aux critiques de Perec trouver d o elle vient et o elle va Le nom de la lettre Gimmel gemeth gam te gamaih gamelle gameth ou gammel c est la s rie de transformations la plus riche qui fait penser aux diff rentes versions du nom de Cinoc dans a Vie mode d emploi Le curieux c est peut tre que le nom Juste ait t donn au d but qu on le retrouve dans la version 4 apr s v rification et dans la version 6 et que cela n emp che nullement les noms fantaisistes visiblement inspir s du gamma
18. ir le prouver en confron tant les variantes sous enveloppe ila la ressource de continuer inventer se donnant ainsi le plaisir de r diger de mani re presque scolaire un char mant souvenir d enfance s curisant proph tique plein d harmoniques culturelles pour se donner ensuite les gants de le faire clater en une gerbe de notes critiques C est le bouquet comme au feu d artifice Une apoth ose un clatement une retomb e Une fin Le 31 d cembre 1974 il boucle la h te l ann e 1974 de Lzeux il rattrape ses derniers retards il crit un bref texte comm morant la mort de sa tante Esther cela tiendra lieu du souvenir de la rue de l Assomption qu il aurait d crire en avril et pour le souvenir de la rue Vilin qu il aurait d crire en octobre il note ceci Lieux n 115 127 Il en va de la rue Vilin comme de la rue de l Assomption cette ann e je n ai pas envie de m en souvenir sans doute parce que cette ann e j ai crit W Il faut pourtant que je note ce vrai ou faux souvenir retrouv le matin j allais dans le lit de mes parents ma m re se levait mais mon p re qui avait t aux Halles dans la nuit somnolait encore Mon jeu favori consistait plon ger enti rement sous les draps et aller toucher les pieds de mon p re chaque fois avec de grands clats de rire Je n ai pas envie de m en souvenir Parce qu il vient d crire et va publier W ou le souvenir d enfance Pub
19. iste tous les d mentis se fraye un chemin vers quelque chose qui l aimante Le sc nario Le parcours est spectaculaire entre la version l et la version 7 Mon propos n est pas de sugg rer que la premi re soit plus proche de la r alit et la dern re totalement fabul e Je le suppose et Perec aussi la seconde partie de la note 1 dans la version 7 propose sur la foi du t moignage de sa tante Esther un sc nario diff rent Mais je n en sais rien et puis seulement mesurer les transformations que J ai sous les yeux Perec propose d abord une version dynamique il joue sa grand m re lui apprend reconna tre une lettre puis entrent dans la pi ce des person nages qui admirent Un apprentissage guid un succ s une reconnaissance D s la version 2 on volue vers un dispositif plus statique lacte d apprentissage dispara t avec l initiatrice la TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 grand m re qui passe dans le rang des specta teurs et les admirateurs n entrent plus ils sont d j l Dans la version 6 en 1972 un pas d cisif est franchi dont la version 7 exploitera toutes les possibilit s Toute ma famille m au rait entour e admirative Le conditionnel est de rigueur On est pass de la sc ne articul e au tableau de genre Un Greuze peut tre En tout cas ce n est plus un Chirico comme le sugg rait la version 1 Il y a eu renversement complet La famille tait
20. lier sa m moire est une mani re de la fixer de s en d barrasser en quelque sorte Exactement le contraire de la strat gie de Lieux qui en proscrivant toute relecture laissait la m moire libre d voluer C est une raison parmi beaucoup d autres pour laquelle Lieux a t aban donn en 1975 Confrontations Le grand tableau double entr e confrontant les l ments des sept versions comprend un cer tain nombre de cases vides Les versions 3 et 5 sont en fait seulement de tr s sommaires argu ments et la version 4 est un travail graphique sur la forme et le nom de la lettre sans r f rence au sc nario Mais le tableau permet de lire en s rie l information et de voir rapidement les pro cessus d laboration Peu de choses remarquer sur l ge il n est mentionn que deux fois La premi re fois c est une hypoth se cavali re j ai 4 ans mettons version 2 la seconde fois une affirmation j ai trois ans version 7 Le lieu est aussi flou mais l encore la ten dance est de passer progressivement de l h sita tion versions 2 et 3 l affirmation version 7 TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 T AUTOMNE 1990 Les journaux sont toujours yiddish la version 1 dit m me des vieux journaux en yiddish sauf dans la version 3 o ils sont dits h breux ce qui revient au m me puisque les journaux en langue yiddish sont imprim s en caract res h breux Les tra
21. nir n est pas utilis au premier degr par Perec pour prouver que la m moire fabule on s en doute le trajet du retour n annule pas celui de l aller mais cr e une vibration autour d un vide car tout UN PREMIER SOUVENIR EN SEPT VERSIONS n est pas faux et la derni re note jette le lecteur dans le vertige J sus au milieu des Docteurs tableau qui pouvait tre le mod le sur lequel le souvenir avait t fantasm est lui m me un fantasme Le relais est pris par une Pr sentation au Temple suivre Quant conclure il n en est pas question J ai voulu simplement ouvrir ce dossier fascinant en donnant tous les l ments pour que les lecteurs de Perec puissent continuer le travail de r flexion et d interpr tation Ma fascination tient essentiel lement deux points D abord au caract re apparemment paradoxal de la contrainte cr atrice dans Lieux La contrainte consiste crire date fixe sur des lieux ou des souvenirs impos s mais elle consiste aussi crire sans contrainte d aucune sorte et surtout sans travail Le texte n est pas relu ne doit pas tre corrig Sa forme est totalement libre On est au plus loin des contraintes formelles et des jeux sur le signifiant auxquels le nom de Perec et celui de l Oulipo sont g n ralement associ s Le sens doit jaillir de la confrontation ult rieure des 288 textes innocemment produits pro duits dans un premier et unique jet produits
22. nsformations int ressantes portent en fait sur la forme et le nom de la lettre et sur le sc nario La forme de la lettre Il est amusant de voir comment la m moire vous revient Car dans la version 1 tout sim plement Perec n a aucune id e pr cise de la forme de la lettre Il est incapable de la dessiner il y a bien deux dessins mais aucun des deux ne renvoie l alphabet h breu Il est m me inca pable de d finir approximativement son trac puisqu il h site entre deux formes diff rentes l une fond e sur des courbes un crochet proche du delta grec l autre sur des droites deux croches l il ces deux dessins n ont vraiment aucun rapport Seul le second s apparente lal phabet h breu carr effectivement certains caract res h breux de ce type voquent une croche waw ou deux thet ou trois shin Un an plus tard on est tout surpris de le voir dire qu il s obstine tracer la lettre ainsi voir version 2 cette fois il sait il n en d mord pas La lettre h bra que est l un carr ouvert dont le c t inf rieur est atrophi un simple petit crochet gauche On peut y voir comme la syn th se des deux dessins de 1969 la forme du carr ouvert en bas viendrait des deux croches et l id e du crochet ouvert du delta Sans doute a t il oubli ces dessins mais il les retrouve d s qu il cherche les associations d id es qu un tel trac 128 pourrait sus
23. nsistance trange que Perec met souligner que ce cercle west pas crasant et mena ant l ambigu t li e chacune de ces deux formes cercle protection crasement carr ouvert manque libert Mais je m gare voil que j interpr te Que puis je faire d autre Ce souvenir sans vraisem blance est une provocation Et aussi un leurre Dans le second paragraphe Perec introduit une r f rence culturelle laquelle on n aurait peut tre pas pens avec la double aur ole de la Bible et de la peinture quelque J sus en face des Docteurs de Rembrandt Devant ce genre de phrase naturellement on peut se demander si le comparant n est pas en fait le mod le sur lequel a t invent le compar Le jeu humo ristique de Perec consiste afficher cette r f rence improbable dans le second paragraphe alors qu il a pass sous silence dans le premier le mod le litt raire archiconnu dont il fait une r criture Lorsque l enfant para t le cercle de famille Applaudit grands cris es Feuilles d automne XIX R criture invers e puisque chez Hugo l enfant prot ge la famille chez Perec plus classique ment c est le contraire R criture excessive dont il souligne lui m me dans une parenth se narquoise les exc s r unie autour de l enfant qui vient de na tre n ai je pas pourtant dit il y a un instant que j avais trois ans Le jeu de construction destruction du souve
24. peut se mettre bourgeonner Car pourquoi voir forc ment l volution de la m moire sous le signe du vieillissement Voici donc six versions du premier souvenir qui ont pr c d celle que nous trouvons dans W ou le souvenir d enfance Quatre d entre elles viennent de Lzeux les deux autres sont tir es des avant textes de W ou le souvenir d enfance et datent de 1970 Sept versions en tout donc Pour y voir plus clair j avais construit un grand tableau double entr e que je ne saurais reproduire ici et qui distribuait analytiquement la mati re des sept textes ge de l enfant lieu journaux forme de la lettre nom de la lettre acte de recon naissance identit des admirateurs expression de l admiration autres l ments Chacun pourra reconstruire ce tableau partir des textes Je me contenterai apr s avoir pr sent les six premi res versions de signaler les faits les plus saillants La version 1 est tir e de Lzeux n 15 22 ao t 1969 Cinq pages dactylographi es dans les quelles Georges Perec fait un inventaire syst ma tique de tout ce qui concerne son enfance rue Vilin Version 1 il reste inconcevable que je n ai aucun souvenir de la rue Vilin o j ai d pourtant passer l essentiel des sept ou six premi res ann es de ma vie j insiste sur cet aucun cela signifie aucun souvenir des lieux aucun sou venir des visages L num ration qui suit est une num ration de phantasmes pe
25. r la diagonale s nestro descendante Texte d abord publi dans Texie Toronto n 1 1982 MOTTE Jr Warren F Embellir les lettres dans les Cahiers Georges Peru 1 p 110 124 en particulier p 110 111 L auteur y d veloppe des indications donn es dans son livre The Poetics of Experiment A Study of the Work of Georges Perec Lexington Kentucky French Forum 1984 French Forum Monographs 51 RIBI RE Mireille l Autobiographie comme fiction dans les Cahiers Georges Perec 2 p 25 37 en particulier p 28 132 UN PREMIER SOUVENIR EN SEPT VERSIONS ANNEXE ALPHABET H BREU tir du Grand Larousse encyclop dique article h breu tome V 1962 p 816 CURSIVE CRITURE NOMS DES MODERNE CARREE LETTRES TRANSCRIPTION IC N aleph gt esp doux DA 9 3 b t b v d d guimel ggh 717 dalet d dh 2 T h h waw w T zain z n n h t h O D th t t 3 yod y 5 5 2 2 kaf k kh P q kaf final 3 lam d l N A m m m D D m m final j J noun n l noun final 9 D sam kh s y ayin esprit rude 9 0 D 5 p p f f 1 p final 3 Y tsad f Y tsad final p P kof q 7 resh r 0 C bo shin ch s n ar tav t th 133
26. son travail il me donne une cl Dans une variante la cl est en or dans une autre ce n est pas une cl d or mais une pi ce d or dans une autre encore je suis sur le pot Cette tude s inscrit dans un travail d ensemble sur les manuscrits de Lieux Elle sera publi e dans les Actes du s minaire de l I T E M consacr aux Carnets d crivains mars 1989 Tous les graphismes publi s ici sont ceux l m mes que Georges Perec a trac s de sa main reproduits en fac simil Dans la version 7 reproduite en t te de l article j ai plac non pas le signe qui se trouve dans l dition imprim e mais celui qu on trouve dans la dac tylographie d finitive de la main de Georges Perec tudes Litt raires Volume 23 N 1 2 t Automne 1990 TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 quand mon p re rentre du travail dans une autre enfin mon p re me donne une pi ce j avale la pi ce on s affole on la retrouve le lendemain dans mes selles p 23 Je cite en premier expr s ce second souvenir D abord parce qu il est plus facile citer il est d un seul tenant Et puis parce qu il semble d courager l analyse en la parodiant par avance De toute fa on il la rend impossible par manque de mati re Rien qui d passe aucune entr e pos sible dans des r seaux d association Et les variantes pr sent es de mani re logique du simple au complexe chappent toute histori cit rien ne permet de r
27. tites sc nes mi r elles mi invent es ou bien les unes un peu r elles les autres totalement invent es dans lesquelles j apparais comme UN PREMIER SOUVENIR EN SEPT VERSIONS b b bambin enfant sans corps ni visage d finis au milieu d tres sans visages comme des personnages de Chirico je joue dans une arri re cuisine coin sombre je lis des vieux journaux en yiddish Ma grand m re m apprend reconna tre une lettre quelque chose comme dalaith ou gimmel ou yod dont la forme serait soit proche du delta grec soit analogue deux croches fl entr e de personnages s extasiant sur ma facilit appren dre La version 2 appara t un an plus tard toujours dans Lzeux n 37 21 juillet 1970 Version 2 Je me souviens aujourd hui d une sc ne rue Vilin mais je ne sais si c tait chez mes parents ou chez mes grands parents j ai 4 ans mettons je suis assis par terre au milieu d un tas de jnx Yiddish et je reconnais une lettre je m obstine l appeler Yod et la dessiner ainsi sans avoir jamais ni v rifi qu une telle lettre existait ou un tel dessin je pourrais aussi l appeler gameth gam te 2 ni recherch les associations qu un tel dessin menotte notes de musique etc pourrait susciter ou un tel nom yod youd videmment des voisins s exta sient ou ma gd m re sur ma pr cocit Ce qui m tonne c est pas tant que j ai pu tre pr coce je n
28. x n 15 22 ao t 1969 La psychanalyse dont il s agit est celle que Georges Perec a commenc e en 1956 avec Michel de M Uzan Il ne l a jamais mentionn e dans ses crits publi s Pourtant la lecture des Lzeux r v le qu elle a t un tournant capital de sa vie Elle le r v le on peut s en douter elliptiquement Derri re les douze lieux parisiens choisis appara t plusieurs fois l image d un treizi me la villa Seurat pr s d Al sia c est l qu exerce M Uzan lieu qui n a pas t choisi parce que tous les autres y m nent Lieux n 41 2 octobre 1970 Le petit burlesque freudien mont par Perec en 1974 est sans doute un r gle ment de compte dont on trouve l explication dans le texte de 1969 o le souvenir se pr sente sans aucune variante et fait l objet d une critique d ordre strictement historique En 1971 dans une petite liste de souvenirs rappels Perec l voque de mani re plus d taill e La cl d or mon p re me donne une cl d or on la retrouve dans mes selles Mais c est l visiblement un souvenir us Il a t travaill par l analyse en 1956 Il ne suscite plus de d sir On se souvient qu on s est souvenu On fabule un peu sur la mani re dont on a fabul 124 T AUTOMNE 1990 Pas grand chose en tirer Il en va tout autre ment du souvenir de la lettre h bra que pargn par l analyse qui a gard de la fra cheur de l ave nir qui
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