Médée d`Euripide de Jacques Lassalle : entre ici et ailleurs
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1. de Jean Quentin Chatelain Lorsque Jean Quentin Chatelain entre son tour sur sc ne c est par une barque men par un serviteur du palais Il revient probablement du palais royal pour rejoindre M d e et s entretenir sur les raisons de son mariage avec la fille du roi Cr on Au milieu de la sc ne il y a une tendue d eau qui s pare c t jardin la grotte d o est sortit M d e au d but du spectacle et le palais royal c t cour repr sent par les remparts de la Cour d Honneur Cette tendue d eau il la traverse Il me semble que comme la grotte repr sentant le passage vers les t n bres l tendue d eau repr sente le passage vers un au del un ailleurs comme le Styx un des cinq fleuves s parant le monde terrestre des Enfers qui tait emprunt par les d funts pour rejoindre le royaume des morts Dans la mythologie grecque chacune de ces rivi res incarnent un l ment ou un ressentiment l Ach ron fleuve du chagrin le Phl g thon rivi re de flammes le Cocyte torrent des lamentations le L th ruisseau de l oubli et le Styx affluent de la haine Chacune de ces rivi res pourraient dans son interpr tation correspondre l tendue d eau dans le spectacle de M d e Mais le fleuve de la haine corrobore v ritablement avec la haine de M d e pour Jason lorsqu elle hurle la mort dans sa grotte au d but de la pi ce avant qu elle n arrive sur sc ne L ent2. 10 03 2013 28 s appr te d j a passer l acte Elle leur dit adieu d clare qu ils vivront pour toujours priv s de leur m re En parlant avec eux elle envisage le meurtre comme unique solution Puis elle se ressaisit et hurle au crime Elle h site cartel e entre les forces du bien et du mal Epargner ses enfants ou les an antir Comme si sa parole faisait cho la confession des meurtriers avant leur mise mort ce moment l la transgression de l infanticide est son apog e Elle l a d clar un peu avant dans le spectacle et semble maintenant mesurer l infanticide comme salvateur Elle emm ne ses enfants sur un ponton qui enjambe l tendue d eau les mets dessus puis s agenouille devant eux Ses mains cachant moiti son visage elle semble prier Demander pardon Comme si M d e l assassine confessait ses futurs victimes le crime qu elle va commettre sur eux En les faisant sur ce ponton comparable un chafaud elle est la fois la victime et le bourreau La d claration de M d e en pleurs r sonne alors comme l cho d un aveu blasph matoire Elle ne peut sortir de la trag die qu en l accomplissant jusqu au bout Ce qui sauve M d e c est ce qui la tue Au c ur et distance de son drame elle dit aux spectateurs qu elle ne peut se r soudre les tuer et pourtant elle le fait irr vocablement Le mal m a vaincue Je mesure parfaitement la cruaut de
3. d e et Jason leur propre incertitude face au texte leur activit dans la d clamation du texte et l activit du texte en eux dans leur parole et dans leur corps La tension entre la vie de l acteur et celle du personnage permet de faire surgir le drame celui de M d e faisant rejouer aux acteurs l irr soluble le doute et l incompr hension de l histoire De l int rieur l ext rieur les acteurs sont travers s visc ralement par leur personnage agissent et se laissent agir par lui le mythe advient travers eux Il prend vie devant les spectateurs pour faire rappeler que le temps de la trag die n est pas si loin 2 1 M d e le mythe Les origines et les parcours des figures mythologiques sont assez complexes dont l arbre g n alogique est incertain et tr s vaste m langeant le sang des mortels et des divinit s M d e est la fois d ascendance divine et mortelle elle est la fille ru roi de 15 Colchide et de l oc anide Idye et la petite fille du dieu Soleil M d e est une savante magicienne et voue un culte H cate d esse de la fertilit et de la mort magicienne et compagne des Erinyes personnification des remords de conscience M d e rencontre Jason en Colchide o il est venu pour r cup rer la Toison d Or Elle s prend de lui et d cide de l aider dans cette t che Elle fuit avec lui assassinant notamment son propre fr re et tous les ennemis qui font obstacle son
4. http www youtube com watch v sJTmoa_Yi30 entretien avec Jacques Lassalle l occasion de la parution de son ouvrage ci moins qu ailleurs page consult e le 7 d cembre 2012 http www ina fr video CAB00037116 entretien avec Isabelle Huppert en duplex du festival d Avignon par Claude S rillon au Journal de France 2 le 10 juillet 2000 page consult e le 8 d cembre 2012 Sites Internet DARGE Fabienne Claude R gy J ai t happ par l imaginaire Le Monde le 3 octobre 2012 http www lemonde fr culture article 2012 10 03 claude regy j ai ete happe par l imaginaire_1769309_3246 html page consult e le 5 octobre 2012 VAN HAESEBROECK Elise Claude R gy un th tre au bord du silence Loxias n 33 le 15 juin 2011 http revel unice fr loxias index html id 6708 page consult e le 14 novembre 2012 VAN HAESEBROECK Elise Comme un chant de David de Claude R gy rendre le corps l tat de brume Synergies Pays Riverains de la Baltique n 8 2011 pp 77 84 http ressources cla univ fcomte fr gerflint France8 haesebroeck pdf page consult e le 14 novembre 2012 37 38 Annexes 39 Annexe 1 Entretien avec Jacques Lassalle par Alexandre Demidoff Entretien Lassalle un th tre intimiste pour tous Le Temps le 10 f vrier 2001 40 41 42 43 Annexe 2 Entretien avec Isabelle Huppert par Brigitte Salino Le s r chemin d sabel
5. re entre les deux acteurs car il s agit aussi de leur faire prouver ce d chirement Sous les yeux des spectateurs l enjeu tragique du d pit amoureux travers toute l histoire du th tre rejoint celle de toute l humanit La fiction rejoint le r el Didier Mereuze Isabelle Huppert sous le ciel noir d Euripide La Croix 9 janvier 2001 annexe 7 p 61 27 3 3 La Cour d Honneur du Palais des Papes un lieu de transmutation Les acteurs transfigurent les personnages Personnages et acteurs ne font pus qu un Mais ce qui est le plus frappant quand je regarde la captation vid o du spectacle c est que le mythique op re aussi gr ce et par l incroyable force du lieu de la repr sentation Avignon et sa Cour d Honneur rel ve tout simplement du mythe C est une salle en plein air qui accueille deux mille spectateurs Les spectacles se jouent g n ralement la tomb e de la nuit Cette cour se situe dans l enceinte du Palais des Papes Plus qu une glise c est une forteresse et une r sidence qui a abrit pendant le XIV si cle la chr tient occidentale Il est ce jour la plus grande construction gothique du Moyen Age La Cour ciel ouvert encastr e dans les murs du palais invite le spectateur se rendre dans un tat de recueillement Que l on soit croyant ou non le ph nom ne qui se produit lorsque l on rentre dans une glise nous saisit tous On p n tre un endroit sacr d
6. adopter pour tenter de se d douaner un ton petit bourgeois vaguement beauf qui laisse perplexe Mais en face M d e garde dans la folie comme dans la froideur dans la duplicit comme dans l motion qui un temps fait craquer presque sa d termination une noblesse bless e qui est bien celle d une trag dienne Le contraste des registres tragique et comique que portent les acteurs en eux et qui est voulu par Lassalle recr et renforce la trag die de l histoire d Euripide en la rapprochant des spectateurs par la quotidiennet Le spectateur ne voit plus deux figures antiques mais bien deux acteurs sur sc ne qui se parlent qui se touchent qui se frappent et curieusement le mythe na t par la rencontre sur sc ne de ces deux acteurs 31 Une passionnante ambigu t Les Echos 9 janvier 2001 annexe 6 p 58 26 Dans le temps de la repr sentation le spectateur assiste la mort du mythe antique et la r surrection du mythe travers la banalit du corps et de la parole des acteurs Comme il est dit ci dessus la retraduction du texte original men e par Myrto Gondicas et Pierre Judet de la Combe renforce l actualit du drame privil giant le fond plut t que la forme du texte recr ant les m taphores et expressions d Euripide adapt es au langage d aujourd hui La traduction qui ne fait pas l unanimit de la presse lors des premi res repr sentations sert n anmoins le jeu des act
7. ce que je vais faire mais l ardeur l emporte sur ma raison Elle est la cause des plus grands malheurs chez les hommes A ciel ouvert dans un lieu sacr comme celui du Palais des Papes lieu de recueillement pour les vivants lieu d ternit pour les morts elle transforme le crime en rituel M d e parle au nom des d mons souterrains qui habitent aupr s d Hades dieu des Enfers Elle fait loi de sa propre croyance elle est l humaine qui pleure la mort de ses enfants et la divinit qui ex cute le sacrifice pour imposer le malheur Jason La Cour d Honneur devient la cour de M d e le sacrifice de ses enfants devient son honneur Elle fabrique son temple son lieu de recueillement La dimension religieuse et sacr e du lieu rejoint celle du personnage 4 M d e d Euripide trad Pierre Judet de La Combe et Myrto Gondicas Paris Les Belles Lettres 2012 p 99 29 3 4 La mort comme empreinte Dans le spectacle l infanticide ne sera pas montr aux spectateurs M d e ira rejoindre sa grotte pour tuer ses enfants Comme le monstre qu elle a enfant dans les profondeurs elle y retournera pour le tuer et accomplir ainsi la proph tie Lassalle choisit de respecter le texte d Euripide car dans sa trag die ce qui compte ne r side pas dans la monstration de l acte criminel de M d e mais dans le commentaire et l analyse qu elle en fait tout au long de la pi ce Avant de s ex cuter elle s ar
8. dans le contr le et dans la perte de contr le pr sent et absent conscient et inconscient Il est la fois acteur de son propre outils de travail puisque c est partir de sa voix et de son corps que les mots prennent vie et observateur de ce qu il cr de ce que le personnage lui fait faire Ce qui rend l art de l acteur insaisissable c est le paradoxe qui le constitue entre ce qu il est et ce qu il fait entre ce qu il est et ce qu il joue Entre lui et son personnage Le r le de l acteur est d investir et de se laisser investir par son r le Ce double mouvement se fait dans un double lieu en lui et autour de lui Son espace int rieur est vaste et chaque personnage y laisse une trace L acteur les accumule il grandit avec Un grand acteur est peut tre celui qui d ann es en ann es d exp riences en exp riences se laisse m tamorphoser par les personnages qu il interpr te alt rant l g rement son apparence physique D une fa on trange les empreintes que laissent les travers es de r les semblent non pas marquer physiquement l acteur mais en flouter ses propres traits et contours physiques On dit que l acteur n est pas celui qui travaille le texte mais qui 32 se laisse travailler par lui Sur scene au coeur de la plus grande concentration l acteur gagne peut tre acqu rir une plus grande transparence physique c est dire avoir la capacit de s extraire de lu
9. de vraisemblance au sens rationnel du terme que d veloppe Aristote et dont les pi ces classiques se r f rent dans la structure du r cit Le personnage se situe entre l ensemble des signes couch s sur le papier fournis par l auteur et les circonstances de l acteur s emparant de ces signes sur une sc ne de th tre pour les rendre charnels Sans le vraisemblable le personnage se retrouve fig dans sa propre poque le com dien devient comme une statue dans la vitrine d un mus e dans l incapacit de faire na tre le personnage travers lui priv de la libert du r el C est bien dans cette tension entre les signes de la fiction de l auteur et des signes circonstanciels et tangibles de la sc ne que le personnage appara t travers l acteur Le personnage en fonction de son interpr te devient polys mique Robert Abirached La crise du personnage dans le th tre moderne Paris Gallimard 1994 p 8 12 La tension dont parle Abirached et plus exactement le phenomene de triangulation qui constitue le th tre entre personnage acteur et spectateur se fait par l acteur donnant signification et mat rialit aux signes descriptions et actions qui caract risent le personnage Le personnage est selon lui le lieu de l interpr tation le th tre est le lieu de la repr sentation Il ajoute Nous sommes conduits reconna tre dans la structure du personnage th tral une tension fondamental
10. hension et son incompr hension du monde Parce que le monde est par nature ind finissable et impr visible pour l homme l acteur sur sc ne est son image Lassalle emploie comme R gy le mot incertitude Selon Lassalle elle se traduit par la propre incertitude de l acteur sur ce qu il pense et prouve sur sc ne L acteur est mu par une parole dont le sens des mots reste ouvert suspendu et plurivoque Il est non pas inconscient de ce qu il prouve mais irr solu quant privil gier telles ou telles motions se laissant l espace int rieur de faire circuler tout ce que lui voque les mots qu il dit Conscient de la r versibilit que les mots produisent sur sa pens e il se laisse saisir par l inattendu il est la fois acteur et spectateur de son propre jeu Dans l action et dans l coute de cette action Comme l acteur de R gy conscient de sa pr sence et de son absence l acteur de Lassalle est un double mouvement il met en tension ce qu il prouve au moment de la repr sentation th trale et ce qu il exprime travers son personnage Le th tre de R gy et de Lassalle se rencontre donc sur un point le territoire des incertitudes Le no man s land dans lequel les antagonismes se retrouvent et s unissent Un espace d exp rimentation o la subversion serait le ma tre mot bouleverser les savoirs l ordre tabli les signifi s proclam s d apparence vidents qui emp chent le
11. montant sur sc ne je r alise un acte qui rel ve de la mort Si j existe en tant qu acteur je me dois d tre un passeur un transmetteur qui ouvre la bouche pour parler en public de la vie de la mort de la condition humaine De l humanit en somme parce que je suis moi m me un tre humain mortel Val re Novarina dit que l entr e en sc ne pour un acteur est un suicide Il s agit d un acte qui tend percer un pourquoi un cri d expression un saut dans le vide Venir sur sc ne mais pourquoi dire Comment oser venir prendre la parole en public Les intervenants avec lesquels j ai pu travailler sur ces questions au gr des diff rents stages ont dit de moi que j tais inquiet Le mot inquiet est revenu ponctuellement dans mes valuations il revient m me encore aujourd hui En me penchant plus avant sur le sens de ces appr ciations ext rieures et en faisant Claude R gy Espaces perdus Besan on Les solitaires intempestifs 1998 p 35 Jacques Lassalle et Jean Loup Rivi re Conversations sur la formation de l acteur Arles Actes Sud papiers CNS AD 2004 p 78 gt Val re Novarina Le th tre des paroles Paris P O L 2007 p 28 l introspection de ce qui m anime en tant qu individu j ai pu constater que cette inqui tude est constitutive de mes d sirs de th tre Elle fait partie de moi sans que je puisse en dire quoique ce soit Selon Le petit Robert la d
12. ne des montagnes en r ponse la pression m diatique et l attente des spectateurs sur sa prestation et Jean Quentin Chatelain refusant la ris e du public mais parfois la provoquant pour voler la vedette l actrice Cela peut ressembler un combat d go o le plaisir de jouer l un avec l autre peut aussi se transformer en souffrance Amour haine coexiste Le conflit des acteurs rejoint celui des personnages Lassalle choisit d enr ler ces deux acteurs pour rapprocher le mythe des spectateurs Il choisit volontairement de prendre deux acteurs singuliers et surtout diff rents l un de l autre pour renforcer le drame Il change les figures mythiques des personnages en figures famili res en unissant deux acteurs contraires Huppert actrice qui rel ve du mythe dans son emploi de r les de destructrices et Chatelain acteur qui prend en charge la com die travers une voix et une diction cynique trange et m lodieuse A travers la trag die antique le spectateur assiste un couple en plein sc ne de m nage La nouvelle traduction voulue par le metteur en sc ne se permet des privaut s contemporaines un peu tonnantes Salaud lance M d e Jason Salet lui r pond il plus loin et accentue dans les dialogues avec Jason le c t boulevardier de la sc ne de m nage D ailleurs la salle rit D autant que Jean Quentin Chatelain grand com dien interpr te ici de l poux infid le n h site pas
13. nique La force du mythe de M d e op rerait donc dans l actrice elle m me travers l imaginaire commun Dans un entretien l actrice dit l Entretien avec Jacques Lassalle par Alexandre Demidoff Entretien Lassalle un th tre intimiste pour tous Le Temps le 10 f vrier 2001 annexe 1 p 40 20 au sujet du r le Tout l int r t est que M d e ne fasse pas peur qu elle soit reconnaissable en chacun On sait tous qu on n est pas loin du passage l acte Ce qui est myst rieux dans l infanticide ce n est pas le pourquoi mais le comment Comment y arrive t on Comment fait on le geste En parlant de ses r le l actrice d clare galement qu elle aime d gager ce qui peut y avoir de contradictoire et d humain dans des r les qui priori ne sont pas faits pour attirer la sympathie ye Isabelle Huppert serait l all gorie du monstre qu enfante la M d e d Euripide Elle serait l actrice qui transfigure le mythe elle le ferait sien en l incorporant son propre mythe d actrice En la choisissant Lassalle fait travailler la m moire des spectateurs et sa propre m moire dans l empreinte la trace que l actrice laisse dans l imaginaire Comme la trag die de M d e est la trag die de toutes les femmes le r le de M d e pour Huppert est la trag die de tous les personnages qu elle a travers s par le pass La mythologie du personnage mythique rejo
14. 6 que je suis morte Retour mes racines Et M d e retourne ses racines justement Dans sa grotte L o tout a commenc o ses enfants sont n s o son crime est n Elle y est sortit pour parler au monde de ce qui la tue Et que pour se sauver elle doit tuer elle n a pas le choix Tuer ses enfants et donc se tuer elle m me Parce que Jason a bafou le pass et l amour qui 35 Ibid p 109 36 4 48 psychose Sarah Kane Paris L Arche 2009 p 19 30 l unissait elle M d e choisit de supprimer toute forme de vie de bonheur future Par l an antissement et le meurtre elle arr te et scelle la vie de Jason et sa propre vie 4 48 psychose est la derni re pi ce de th tre de Sarah Kane C est une uvre posthume qui t moigne comme un journal intime des derni res heures de sa vie l h pital psychiatrique dans lequel elle est soign e Du d but la fin Sarah Kane oscille entre po sie recueillement criture automatique et parle de son d sir de mourir sa souffrance d tre en vie dans un monde o elle ne s est jamais aim e ni reconnue Tout comme M d e 4 48 psychose traite de la mort comme solution finale Elle est annonc e et souhait e d s le d but l uvre r side dans le d roulement l analyse et le commentaire de ce d sir irr vocable de mort en conjonction avec la pulsion d instinct de survie L une philosophique l autre po tique les deux pi ces m
15. La Manufacture Haute Ecole de Suisse Romande Medee d Euripide de Jacques Lassalle entre ici et ailleurs Jason Tommaso Ragno dans Medee Miracle de Tonino de Bernardi 2007 Baba Yaga Films Travail de Bachelor M moire crit J r me DENIS Mai 2013 Ainsi la vie n est que le reve d un reve Mais l tat de veille est ailleurs Rainer Maria Rilke Les mots ne servent qu lib rer une mati re silencieuse qui est bien plus vaste que les mots Nathalie Sarraute Resume Ce m moire tente d tablir un lien entre les crits de Claude R gy sur l art de l acteur et la mise en sc ne de M d e d Euripide de Jacques Lassalle en interrogeant mon propre regard et ma propre exp rience Dans une premi re partie plus th orique J interroge l tat de l acteur permettant dans le temps et l espace de la repr sentation th trale d investir le temps et l espace de la fiction De voir comment le moment sc nique de l acteur est un moment de passage qui consiste faire correspondre ce qui est l int rieur et l ext rieur de lui Dans cet tat j essaie de percevoir comment l individu acteur par le corps et par la parole fait exister l entit personnage dans le temps de la repr sentation La deuxi me partie de mon m moire se focalise autour de la mise en sc ne de M d e de Lassalle Je tente de r pondre ces interrogations travers le jeu des acteurs Isabelle Huppert et J
16. a pens e de l acteur sur ce qu il dit et l action de ce qu il dit sur sa pens e Je me pose alors les questions suivantes La transparence dont parle Vassiliev permet t elle l acteur d avoir conscience de ce qu il dit Quelle est la marge de man uvre que l acteur a au moment o il parle Doit il s appuyer sur le sens du texte et le restituer tel quel en ne s appuyant pas sur ses propres motions ou se laisse t il la possibilit de laisser s exprimer ses motions que le texte produit en lui La transparence veut elle dire pour l acteur un vide une disparition La matit dont parle Lassalle signifie t elle l inverse de la transparence un tat o l acteur laisse exprimer ses motions sur qu il dit Laquelle choisit il d exprimer Est ce un choix pr alable dans le travail des r p titions ou s agit il d une motion instantan e La mise en sc ne de M d e d Euripide de Jacques Lassalle est pour moi l objet th tral qui r unit toutes ces questions Le jeu d Isabelle Huppert et Jean Quentin Chatelain ne rel ve plus de la simple interpr tation d un texte ponctu par des motions des larmes du rire mais d une exp rience d un tat d acteur qui se cr dans la rencontre entre repr sentation et fiction Ils transfigurent et sont transfigur s par les mots d Euripide et ce faisant ne sont anim s que par ce qu ils disent Les personnages de M d e et Jason prennen
17. a repr sentation se confond s tire et se diluer dans le temps de la fiction le personnage apparait a travers l actrice Je vois Isabelle Huppert et pourtant j ai la sensation d entendre quelqu un d autre J ai le sentiment qu elle s adresse au del des spectateurs de la Cour Sa parole vient me percuter de plein fouet moi qui regarde la captation sur mon ordinateur Je vois sa m choire s articuler et s ouvrir comme un animal Elle brise le quatri me mur litt ralement elle s adresse frontalement aux spectateurs et au del d eux elle semble parler des entit s pr sentes dans la salle aux fant mes du ch ur d autrefois peut tre et tous les fant mes pr sents dans la Cour L actrice fait coexister le temps de la vie celle de la repr sentation et celui de la mort celui du mythe elle effectue le lien le passage entre son propre temps celui de son corps de sa respiration de sa vie et le temps de la fiction situ e dans les mots le temps d outre tombe du mythe A travers elle le personnage advient il prend travers le corps de l actrice Je suis en train de voir la solitude de cette derni re rejoindre celle du personnage Elles ne font plus 5 Dictionnaire psychanalytique http tristan moir free fr dicoreve symboleshtml interpretation des reves dictionnaire php lettre G amp commentaire Grotte page consult e le 20 02 2013 18 qu une Une solitude un vide un abysse qui v
18. chemin R fugi e en terre de Corinthe barbare elle est trahie par Jason qui d sire pouser la fille de Cr on roi du pays et rejoindre ainsi le rang royal Abandonn e M d e d cide de se venger en machinant une ruse des plus meurtri res supprimer toux ceux qui sont chers Jason Euripide s empare du mythe de M d e et crit sa trag die en 431 avant J sus Christ Jusque l la figure de M d e tait emprunt e dans la mythologie grecque et la d crivait comme une puissante magicienne et criminelle Lorsqu il crit sa pi ce de th tre Euripide rajoute M d e le crime ultime dans sa vengeance de Jason l infanticide 2 2 M d e d Euripide n tre qu une femme Lors de sa premi re apparition sur sc ne et jusqu la fin de la pi ce M d e oscille entre d sir de vengeance d sir de mourir d sespoir raisonnement et folie La M d e d Euripide fabrique sa propre trag die au d but de la pi ce r fugi e dans sa maison cach e elle lance de violentes impr cations contre son mari et annonce de terribles repr sailles Elle prend la place de la divinit charg e dans les trag dies classiques de fabriquer le sort dramatique des humains en les punissant Puis arriv e sur la sc ne publique elle n articulera son discours qu partir de sa condition de femme et pleurera sa situation Elle parlera en tant que femme et au nom de toutes les femmes en comparant scrupuleusement le sort de
19. d cidable du monde L insoluble l irr solution l ind cision l incertitude ces mots r sonnent en moi Bien que diam tralement diff rents je m aper ois que les propos de R gy et de Lassalle converge sur le jeu de l acteur Jacques Lassalle parle de la matit du jeu de l acteur et pr cise que pour lui la matit propos du jeu de l acteur c est la fronti re entre le dit et le tu le gard pour soi la lumi re et l obscurit C est le refus du pl onasme du trop d homog n it des signes et de l absence de tension de contradictions entre les l ments de la repr sentation L acteur mat serait donc l acteur qui sugg re plus qu il n affirme ce serait celui qui dans son interpr tation aurait toujours un regard r versible sur ce qu il dit celui qui en tant au c ur de qu il dit et ce qu il prouve au moment o il le dit atteindrait un espace de doute un espace r versible Jacques Lassalle et Jean Loup Rivi re Conversations sur la formation de l acteur Arles Actes Sud papiers CNS AD 2004 p 69 Ibidem p 78 Il porterait en lui toute une humanit charg de son histoire et de sa propre histoire il serait le d codeur et le messager du monde du genre humain Sur scene il aurait la capacit tre conscient la fois du texte de ses partenaires de la lumi re du public et de ses propres sensations pour parvenir faire entendre la fois sa compr
20. d e d multipli e La Tribune le 11 janvier 2001 DEMIDOFF Alexandre T te t te tragique entretien avec Jean Quentin Chatelain Le Temps le 1 juillet 2000 DEMIDOFF Alexandre Lassalle un th tre intimiste pour tous entretien avec Jacques Lassalle Le Temps le 10 f vrier 2001 FERNEY Fr d ric Sc ne de m nage Corinthe Le Figaro le 16 juillet 2000 MACABRU Pierre Isabelle Huppert un monstre froid Le Figaro le 27 janvier 2001 MEREUZE Didier Isabelle Huppert sous le ciel noir d Euripide La Croix le 9 janvier 2001 SALINO Brigitte Le s r chemin d Isabelle Huppert vers l amour du th tre entretien avec Isabelle Huppert Le Monde le 05 janvier 2001 SALINO Brigitte Isabelle Huppert entre dans la mythologie d Avignon Le Monde le 14 juillet 2000 THEBAUD Marion Chatelain en baroudeur royal entretien avec Jean Quentin Chatelain Le Figaro le 3 janvier 2001 VAVASSEUR Philippe Huppert magistrale dans M d e Le Parisien le 14 juillet 2000 36 Supports audio et vid o Par les abimes http www youtube com watch v TaXV9eN6VVo entretien avec Claude R gy par Alexandre Barry page consult e le 1 octobre 2012 La Br lure du monde entretien avec Claude R gy par Alexandre Barry dvd de l ouvrage La br lure du monde Paris Les solitaires intempestifs 2011 Ici moins qu ailleurs jouer mettre en sc ne
21. e entre le r el et l imaginaire loin de s attenuer en acc dant l espace de la sc ne elle se crispe et s accentue dans une oscillation continue Le corps du com dien superpos et r clam par le personnage s absente lui m me en se pretant lui et d un autre c t le personnage devenu mati re visible s extrait de la r alit et fonctionne comme une image de chair hi roglyphe sonore et mouvant dans l espace o il s installe Il nous explique que le personnage th tral repose sur la mise en relation entre l imaginaire du texte des mots de la recette qui compose le personnage et le r el de Pindividu acteur qui s approprie cette recette et la fabrique int rieurement pour faire appara tre le personnage travers lui Il s agit simultan ment d un tat de possession de l acteur par le personnage et d un tat de possession du personnage par l acteur Cette simultan it et cette contradiction est intrins que au personnage th tral qui ne peut se r soudre vivre sur du papier Il est r gi par un ensemble de codes d actions d informations dont l acteur se sert comme balises Le personnage ne peut exister et appara tre en chair et en os que par l empreinte du r el le corps et la voix de l acteur et les circonstances r elles o l acteur joue le personnage le public la lumi re le temps les odeurs Le personnage th tral traverse le temps l acteur non Le perso
22. e semblent correspondre entre elle dans le basculement de l tat de vie l tat de mort Dans le spectacle de Lassalle en voyant Huppert dire les mots d Euripide Saisis l p e saisis la va vers le but lugubre de ta vie je crois entendre en sous texte les mots de Kane dans le spectacle de R gy Rappelle toi la lumi re et crois la lumi re Un instant de clart avant la nuit ternelle il ne faut pas que j oublie gt L empreinte imaginaire qu a laiss e l actrice dans le travail avec R gy rejoint l empreinte qu elle est en train de laisser en moi dans son r le de M d e Elle devient finalement peut tre le passeur d une parole en de des mots o Euripide et Sarah Kane se rencontrent Isabelle Huppert a travaill avec Jacques Lassalle sur M d e avant Claude R gy sur 4 48 psychose Elle avait par ailleurs d j travaill avec ce dernier sur Jeanne au B cher de Paul Claudel en 1992 Orlando de Virginia Woolf mis en sc ne par Bob Wilson en 1993 s est jou l ann e d apr s donc M d e la meurtri re meurtrie Jeanne la passionn e br l e vive Orlando le passage de l homme la femme Entre Woolf Claudel Kane et Euripide l actrice est peut tre le lien qui relie les auteurs aux metteurs en sc ne vectrice d une parole qui serait celle de toutes les femmes et sans doute de tous les hommes 7 Ibid p 10 31 Conclusion Au cours de mes recherches je me suis r
23. e son mariage royal Les deux personnages s affrontent dans deux puissants et longs monologues d exposition des faits M d e invoque la trahison l abandon de son mari pour qui elle a tout fait notamment pour qui elle a tu jusqu son propre fr re Elle d veloppe tout le parcours qu eux deux ont effectu depuis le vol de la Toison d Or jusqu leur arriv e en terre de Corinthe Jason quant lui explique qu il ne s agit en aucun cas d amour mais bien d int r ts mat riels et financiers s il a d cid de se marier la fille du roi Cr on c est pour le bien de ses enfants car en se liant la famille 2 Entretien avec Jean Quentin Chatelain par Alexandre Demidoff T te t te tragique Le Temps 1 juillet 2000 annexe 3 p 48 23 royale il assure la protection de sa famille il n est plus le fugitif et l exil mais le futur roi du pays Ils ne parviennent pas se mettre d accord le face face se termine par l vocation directe de M d e Jason de sa future vengeance Dans cette sc ne les deux acteurs se disputent violemment Il me semble qu au del de leurs personnages les acteurs se confrontent eux m mes Ils sont respectivement dans deux interpr tations totalement diff rentes voire oppos es Isabelle Huppert fr le l hyst rie dans son interpr tation notamment dans sa parole Jean Quentin Chatelain lui est la limite du registre comique dans une paro
24. ean Quentin Chatelain de voir comment le metteur en sc ne tue le mythe en apparence pour le restituer dans les acteurs et comment par eux il rapproche la figure quotidienne de la figure mythologique Remerciements Par cette modeste ligne je tiens remercier Rita Freda pour son coute son pragmatisme son regard et son int r t pour mon travail Christian Geffroy Schlittler pour sa lecture et ses suggestions et C dric Leproust pour les discussions et les cigarettes partag es tard le soir Sommaire E A datinns sennie eei isterani senise ea eea pe oea 6 1 Entre le mot du personnage et le corps de l acteur 12 2 Laisser entrer l autre ou ressusciter le mythe 15 2 1 M d e le mythes A AA TEE A AR 15 2 2 M d e d Euripide n tre qu une femme a 16 2 3 L entr e en sc ne la naissance du monstre 17 3 Friction entre ici Ct ailleurs sus 20 3 1 Isabelle Huppert la transfiguration du mythe 20 3 2 L arriere pays de Jean Quentin Chatelain 22 3 3 La dispute ou la confrontation des sexes 23 3 4 La Cour d honneur du Palais des Papes un lieu de transmutation 27 3 5 La mort comme empreinte sie ati dessa earned ri 29 Consors nissan sois anses nee ae cio 33 SAA denses
25. endu compte qu il m tait impossible de choisir une fa on d envisager le jeu de l acteur ni de donner raison de fa on radicale une p dagogie A chaque fois j en reconnais pour chacune d elle des justesses des pertinences et des v rit s Tous les th oriciens et praticiens qui ont crit sur le jeu de l acteur d veloppent des notions relatives leur propre d marche artistique elles sont ni justes ni fausses elles existent Mais on ne saurait cloisonner l acteur dans un type de jeu et un mode d emploi unique car ce qui le caract rise c est justement d emprunter toutes les cat gories et de se reconna tre dans toutes les d finitions de d velopper sa propre d finition d individu acteur de cr er un savoir faire qui lui est propre et de d velopper et d enrichir le plus possible son artisanat En faisant le lien avec ma formation d acteur l cole je m aper ois que ce qui caract rise l art de l acteur est de r unir les contraires Par contraires j entends le refus de l univocit L acteur est plurivoque dans sa d finition c est un individu qui sur sc ne est appel repr senter le monde et l envers du monde Il se situe au point de rencontre entre l interpr tation et l observation Lorsque je travaille un personnage je compose partir de ce que je suis tout en suivant la parole et les actions du personnage J agis sur lui et il agit sur moi L acteur est la fois
26. et la monstruosit du mythe et de rendre les enjeux et propos du drame dans une dimension actuelle Lassalle a choisi une actrice Isabelle Huppert qui incarne travers sa filmographie la figure du monstre et du criminel Dans sa collaboration avec Claude Chabrol Violette Nozi re o elle empoisonne ses parents La c r monie o elle abat toute une famille Merci pour le chocolat o elle supprime ses proches elle incarne toute une s rie de femmes meurtri res Tout au long de sa carri re elle se fabriquera et travaillera un r pertoire de personnages en proie la folie aux n vroses et pulsions morbide En interrogeant la figure du mythe de M d e il prend le pari d interroger la carri re mythique d Isabelle Huppert et qui fait d elle une actrice que les spectateurs et les metteurs en sc ne associent l actrice du double celle qui parvient faire exister des sentiments et motions tr s intenses dans une totale impassibilit Dans sa volont de mettre en sc ne un texte antique et de le rendre contemporain Lassalle choisit une actrice qui est sujet au mythe en ayant bas e sa carri re d actrice travers ses r les de femmes bafou es tromp es n vros es criminelles A ce sujet il d clare Engager une star c est lui emprunter un imaginaire une mythologie dont le spectacle doit b n ficier Lorsque j enr le Huppert j injecte l aura d une com dienne mythique dans la trag die hell
27. eurs dans la prise en charge de la trag die La traduction de Myrto Gondicas et Pierre Judet de La Combe rend la langue d Euripide sa v rit brute sauvage voire triviale sans jamais pourtant en perdre la po sie Certains s en offusquent comme d autres se sont offusqu s jadis des traductions nouvelles de Shakespeare par Jean Michel D prats ou de Tchekhov par Andr Markowicz Le temps a montr combien leur travail tait juste Il en sera de m me pour cette traduction du texte d Euripide que l on aura rarement entendu aussi fort aussi clair Ramenant par del la grandeur des rois et des reines la douleur toute humble de la simple humanit Le spectateur est certes saisi par l trange actualit du langage voir choqu par la d sacralisation du texte antique mais il est avant tout happ par l incroyable brutalit et virtuosit de la parole des deux acteurs Cela ne brise pas la trag die au contraire elle la renforce car si Gondicas et Judet de La Combe r adaptent totalement le texte original c est dans le but de remplir les objectifs que Lassalle s est pos d s le d part rendre contemporain la violence acerbe et l intelligence de la rh torique du texte d Euripide interroger la figure du monstre que chacun porte en soi et le basculement au passage l acte A travers le drame de l histoire Lassalle parvient cr er le d chirement d un homme et d une femme travers la friction qui op
28. finition du mot inqui tude au sens courant est l tat p nible trouble d termin par l attente d un v nement d une souffrance que l on appr hende par l incertitude l irr solution o l on est Selon le m me dictionnaire 1 irr solution est un tat qui a peine se r soudre se d terminer V incertain h sitant ind cis Rester en suspens Rester sans solution L inqui tude et l incertitude semblent donc li es travers des l ments de leur d finition Il s agirait aussi bien pour l une que pour l autre d un tat transitoire dans lequel une personne se trouve sans pouvoir de fa on explicite et affirmative se r soudre Pour l acteur il s agirait selon R gy d un tat qui laisse entrevoir ses propres contradictions avec lesquelles jouer Non pas avec la volont d agir sur elles mais bien plut t de se laisser traverser par elles Il s agirait aussi d un tat d ouverture et d coute totale privil giant la passivit plut t que l activit de l acteur R gy propose comme un paradoxe l acteur est tymologiquement quelqu un de l action qui agit sur son environnement Or il s agirait justement de ne rien faire De laisser faire De traverser cet tat de non choix sans prendre part R gy dit Dans le travail on est A 4 effroyablement seul Le travail c est surtout savoir capter ce qui a envie de se faire L hum
29. gnostic des sc nes qui ont attir es mon attention savoir l entr e en sc ne de M d e la premi re sc ne entre M d e et Jason et la derni re sc ne celle de l infanticide 11 Chapitre I Entre le mot du personnage et le corps de l acteur Entre le mot et le corps entre la puissance et l acte entre le songe et le reel il ne suffit pas de dire que le personnage de the tre est Ecartele Cette tension constitue tres exactement l originalite de son tat c est un fant me provisoire que l auteur a cr et d lib r ment place en position d attente dans une zone interm diaire Comme rel ve Robert Abirached dans son ouvrage La Crise du personnage dans le th tre moderne la question du personnage de th tre a subi depuis le th tre antique bon nombre d assauts diff rents et contraires quant sa d finition Cette crise est l image de toutes les poques qui ont travers es notre soci t occidentale Le th tre est un art qui ne peut se substituer au monde Il en est forc ment le r flecteur et vit les fluctuations tant sociales politiques qu conomiques A partir de l le personnage au th tre est le miroir de l Homme travers l Histoire Si cles apr s si cles g n rations apr s g n rations il traverse le temps couch sur du papier et attend patiemment la chair de l homme pour prendre vie Abirached parle de l empreinte du r el c est dire du principe
30. i m me pour faire appara tre son espace int rieur son espace vide Plus le vide en lui est dense plus sa pr sence est consistante Il me semble que par l exp rience l acteur gagne se servir de ses empreintes qu ont laiss es les personnages ant rieurs pour d ployer et ouvrir les limites de l espace en lui et par cons quent de l espace autour de lui celui de la sc ne Dans l une de mes derni res valuations j ai pu lire ceci J r me s absente encore trop souvent et par cons quent le corps et la pr sence deviennent comme transparents Sans trop saisir de suite le sens de cette remarque je me dis aujourd hui que mon travail et ma recherche artistique dans l cole me permettent de faire le lien avec ce qu est la formation d acteur celle d apprendre d sapprendre et curieusement ouvrir les portes d un savoir que je croyais acquis pour finalement d passer les limites de ce savoir et d explorer des territoires inconnus des territoires incertains C est un peu comme dans la vie car de fait la vie est incertaine et irr soluble pour reprendre les mots de Jacques Lassalle Elle nous est donn e pour un temps Il est important de consid rer ce temps pas seulement comme une limite mais aussi comme une ouverture Dans la vie ce qui nous chappe nous fait peur alors on cherche saisir rationnaliser comprendre ce qui nous arrive pour avoir l impression que nous cont
31. ient dire la n cessit et l urgence de faire entendre la parole de M d e Immobile et expos e de son plein gr l actrice d clame les mots d Euripide Quand elle parle elle laisse ses phrases ouvertes suspendues comme de grands points d exclamation Sa voix semble traverser tous les temps tous les espaces elle parle au del du coryph e au del des spectateurs elle parle entre ciel et terre Je suis sci en deux Jamais je n ai vu ou entendu un acteur aussi transi sur sc ne J ai la sensation qu on me parle pour me purifier me purger de mes propres motions de mes angoisses de mes fantasmes Je me sens concern et d concert par la violence extr me de cette actrice cet tre ce monstre sur sc ne J ai envie d en voir plus je suis comme scotch J ai le sentiment que les temps et les poques se t lescopent le temps des spectateurs et le temps de la trag die antique Je ressens le besoin de voir plus avant le travail de l actrice et du personnage Jusqu o M d e ira dans la machine de son meurtre Jusqu o l actrice fera vivre le mythe Jusqu o la fiction rejoindra le r el 19 Chapitre III Friction entre ici et ailleurs 3 1 Isabelle Huppert la transfiguration du mythe Si Jacques Lassalle a choisi Isabelle Huppert et Jean Quentin Chatelain pour interpr ter les personnages de M d e et Jason ce n est pas un hasard Dans sa volont d interroger la violence
32. ilit et la solitude seraient selon ce metteur en sc ne les capitaux premiers du com dien En tant qu acteur quand je suis sur sc ne je reconnais lorsque ma volont d interpr ter est trop grande que je ne suis plus reli au v ritable tre sur sc ne car je suis alors reli mon envie ou ma peur d agir et de montrer que j agis En croyant ouvrir les portes des possibles par un sentiment de transcendance du texte en moi je les ferme car j impose un sens unilat ral dans mon interpr tation Je suis dans l exc s du volontarisme Par contre si je ne fais rien mais observe et coute ce d sir d agir il me semble que mes yeux regardent non pas depuis l ext rieur mais depuis l int rieur de moi Je m aper ois alors que l activit est d j pr sente mais imperceptible ma respiration mon souffle les battements de mon corps le contact de l air sur ma peau le clignement de mes yeux au contact de l air les mouvements de mon corps que produisent ces micros actions Il y a bien action et pourtant je n ai ni parl ni boug Entrer sur sc ne s y tenir et y rester c est regarder et tre regard Si je suis sur sc ne j accepte d en prouver l acte Si je d sire prendre la parole sur sc ne face ceux qui Claude R gy La br lure du monde Besan on Les solitaires intempestifs 2011 p 24 sont venus m couter je dois suffisamment en mesurer l importance et le vertige Pour
33. int la mythologie de l actrice Le temps pass devient pr sent Le choix de l actrice va avec le choix du texte La pi ce d Euripide tait propice raconter aujourd hui le basculement d une femme qui par trahison de son mari bascule vers la folie et l infanticide L encore pour rapprocher le mythe du temps pr sent Pour permettre la correspondance avec les faits divers actuels notamment les infanticides commis par des m res qui par exemple en viennent tuer leurs enfants la suite du d part de leur conjoint et qui se retrouvent seule dans la pr carit On a pu voir ces cas de femmes qui se retrouvent venues dans un pays tranger sont la rue sans papiers sans famille En racontant l infanticide de M d e Lassalle enl ve au personnage le poids de son mythe et le fait correspondre notre poque en interrogeant le fait divers la figure quotidienne Lassalle tue en apparence d s le d but du spectacle et le d place ailleurs chez l acteur 17 Entretien avec Isabelle Huppert par Brigitte Salino Le s r chemin d Isabelle Huppert vers l amour du th tre Le Monde 5 janvier 2001 annexe 2 p 44 Entretien avec Isabelle Huppert au journal t l vis de France 2 le 10 juillet 2000 http www ina fr art et culture arts du spectacle video CAB00037116 plateau invite interview d isabelle huppert depuis avignon fr html page consult e le 08 12 2012 21 3 2 L arri re pays
34. ivin dans des murs charg s du pass et de l histoire du monde Depuis l Antiquit le th tre a toujours eu un lien avec le divin Apr s la disparition du th tre antique en Occident il r appara t au Moyen ge dans des glises Il tait compos de com diens mimes et d un orateur repr sentant tous les personnages la fable tait alors racont e par une seule voix Comme pour la r surrection du Christ travers les pri res des croyants le th tre appelait aussi cet acte joignant le monde des vivants et le monde des morts La religion dans sa premi re et courante d finition est l ensemble d termin de croyances et de dogmes d finissant le rapport de l homme avec le sacr La religion serait donc un lien pas le seul entre ces deux r alit s la vie et la mort Le th tre serait un autre lien qui comme la religion servirait de lien et donc de passage pour tablir un contact entre l homme et le divin o la vie et la mort se rencontrent et se superposent Dans le spectacle de Lassalle le lieu religieux et le lieu th trale que repr sente la Cour d Honneur ne font qu un le lieu de passage et de transmutation Dans le spectacle lorsque M d e se retrouve seule avec ses enfants apr s avoir appris qu elle devait se s parer de ses enfants autoris s eux rester dans le pays elle 33 D finition sur http www larousse fr dictionnaires francais religion 67904 page consult e le
35. l acteur cet acte rel ve de l exposition tangible un humain fait de chair et de sang face ses pairs et il ne peut se vivre cet acte que s il accepte d tre d muni et de s en r jouir Incertain envers et contre tout Je m tonne aujourd hui de trouver un point de convergence entre Jacques Lassalle et Claude R gy Pourtant ce qui m anime et me touche dans les crits de R gy je le retrouve dans la mise en scene de M d e d Euripide de Jacques Lassalle Ce spectacle m a saisi de mani re foudroyante d s la premi re fois que je l ai vu gr ce au film r alis par Don Kent pour Arte lorsque j tais en premi re ann e de ma formation Il s est inscrit dans ma m moire d s ce moment l Ce n est qu en allant plus avant dans ma r flexion sur l tat d incertitude de l acteur et de ma propre inqui tude que j ai saisi les liens qu il y avait entre mes pr occupations et cet objet th tral Il m est apparut vident qu il fallait mettre en corr lation ce que j ai v cu comme deux r volutions la d couverte de M d e dans la mise en sc ne de Lassalle et la d couverte des crits de R gy Dans ses conversations sur la formation de l acteur Lassalle parle d un th tre qui serait r versible et opaque dans les sens et les images qu il produit le th tre a toujours affaire avec l insoluble l irr ductible d une r alit La matit consiste pr server le confus et l in
36. la formation de l acteur Arles Actes Sud papiers CNSAD 2004 LUPO St phanie Anatoli Vassiliev au c ur de la p dagogie th trale Anarchie et rigueur Vic la Gardiole L Entretemps 2006 pp 140 149 REGY Claude Dans le d sordre Arles Actes sud 2011 REGY Claude La Br lure du monde Besan on Les solitaires intempestifs 2011 REGY Claude Espaces perdus Besan on Les solitaires intempestifs 1998 REGY Claude L Etat d incertitude Besan on Les solitaires intempestifs 2002 RILKE Rainer Maria Lettres un jeune po te et autres lettres traduction de Claude Porcell Paris Flammarion 1994 Articles et revues BONFANTI Marie Luce et MITTELSTEINER Crista L apocalypse ici et maintenant dans Alternatives th trales n 99 Bruxelles Alternatives th trales octobre 2008 pp 52 81 GUIDICELLI Carole et PLASSARD Didier La place du mort sur la sc ne th trale contemporaine dans Alternatives th trales n 99 Bruxelles Alternatives th trales octobre 2008 pp 3 50 35 LAMBERT Stephane LASSALLE Jacques REGY Claude MARLEAU Denis Jon Fosse dans Alternatives th trales n 106 107 Bruxelles Alternatives th trales octobre 2010 pp 90 105 Revue de presse Sorci re plein de gr ce Isabelle Huppert fait beau sort M d e Le Temps le 14 juillet 2000 Une passionnante ambigu t Les Echos le 9 janvier 2001 Huppert en M
37. le Huppert vers l amour du th tre Le Monde 5 janvier 2001 44 45 46 47 Annexe 3 Entretien avec Jean Quentin Chatelain par Alexandre Demidoff T te t te tragique Le Temps 1 juillet 2000 48 49 50 51 Annexe 4 Huppert en M d e d multipli e La Tribune 11 janvier 2001 52 53 54 Annexe 5 Entretien avec Jean Quentin Chatelain par Marion Thebaud Chatelain le baroudeur royal Le Figaro 3 janvier 2001 55 56 57 Annexe 6 Une passionnante ambigu t Les Echos 9 janvier 2001 58 59 60 Annexe 7 Didier Mereuze Isabelle Huppert sous le ciel noir d Euripide La Croix 9 janvier 2001 61
38. le musicale et scand e On a l impression dans ces deux incarnations oppos es que l un se moque de l autre et inversement fr lant parfois la caricature Huppert hurle telle une furie tandis que Chatelain semble relativement serein Les deux acteurs semblent aussi furieux que fougueux Huppert finit par en venir aux mains ou plut t au ventre puisqu elle vient cogner son propre ventre violemment contre celui de Chatelain geste aussi loufoque que violent faisant penser aux combats de lutte ou un combat primitif entre deux animaux sauvages Dans la mise en sc ne de Lassalle Huppert semble tre dans l intonation exclamative dans la d ploration et l accusation et Chatelain dans l intonation affirmative dans le calme et la temp rance Huppert clame le texte Chatelain le chante Comme s ils parlaient tous les deux une autre langue ne se comprenant pas et se d menant encore plus dans l envie de se faire comprendre Par son c t absurde cette sc ne appuie davantage l incompr hension de l homme et de la femme sur ce qu est la notion de trahison et d adult re Ils tentent de s accorder sur la d finition de ces mots mais ils n y parviennent pas Ce qui est grave et offensant pour l un ne l est pas pour l autre Acteur et personnage ne font qu un La fiction am ne les deux acteurs une hyst rie d bordante dans la parole et dans le corps Je m aper ois que c est un combat qui se joue entre
39. les deux acteurs comment jouer ensemble quand on ne se comprend pas Mais est ce un jeu D invectives en invectives les acteurs semblent se provoquer se mettre l preuve pour savoir qui va remporter le combat J assiste un match entre deux monstres qui va dominer l autre Qui va exister sur sc ne plus que l autre Est ce plus le combat des acteurs ou celui des personnages A Avignon ainsi qu la reprise du spectacle l Od on cinq mois plus tard la presse a salu unanimement la prestation d Isabelle Huppert dans le r le de M d e 24 Isabelle Huppert entre dans la mythologie d Avignon Huppert magistrale dans M d e et encore Sorci re plein de gr ce Isabelle Huppert fait beau sort M d e Elle a cependant d plor celle de Jean Quentin Chatelain Parmi les nombreuses critiques de la presse l issue du spectacle j ai pu lire beaucoup d articles assez implacables dans la r ception du jeu de l acteur chez les spectateurs Notamment Dans Jason en revanche Jean Quentin Chatelain a conserv cette diction d cal e qui suscitait l hilarit du public en juillet dernier J avoue ne pas comprendre comment et pourquoi cet excellent com dien s est fourvoy ou Impayable Jean Quentin Chatelain dans le r le du parfait cr tin droit dans ses bottes aid et non desservi par son accent suisse qui en rajoute dans la pesanteur ou enco
40. me de courage une derni re fois D termin e et bout de force elle s avance vers les spectateurs en se frappant la poitrine plus pr cis ment le c ur tout en se rappelant l amour qu elle a pour ses enfants Oublie tes fils pendant la petite dur e de ce jour et puis pleure Car m me si tu les tues ce sont tes amours Et je suis une femme qui n a pas de chance Ce moment du spectacle me fait penser 4 48 psychose de Sarah Kane M me si je n ai pas vu le spectacle je pense Isabelle Huppert qui a jou ce texte dans une mise en sc ne de Claude R gy Les convergences reviennent malgr moi Je suis happ par l trange lien que j tablis entre ce moment du spectacle de Lassalle et celui de Claude R gy La lenteur du phras de l actrice le calme qui r gne sur sc ne dans une semi p nombre me troublent Si encore une fois Lassalle et R gy sont des metteurs en sc ne que rien ne rapproche dans le travail ils ont travaill avec les m mes acteurs Huppert et Chatelain M me si je n ai rien vu l empreinte imaginaire que portent les acteurs dans mon esprit se r v le ce moment pr cis Et je pense aux lignes de Sarah Kane dans sa pi ce Apr s 4h48 je ne parlerai plus Je suis arriv e la fin de cette effrayante de cette r pugnante histoire d une conscience intern e dans une carcasse trang re et cr tinis e par l esprit malveillant de la majorit morale Il y a longtemps TE x 3
41. nam Abirached met en corr lation ces deux espaces oppos s par nature l un temporel l autre intemporel en faisant de l acteur le lien quasi spirituel entre vie et mort L empreinte du r el et la tension entre le mot et le corps dont il parle est significative de la tension qui op re pr cis ment dans la mise en sc ne de M d e d Euripide de Jacques Lassalle tout au long du spectacle chez les acteurs principaux 14 Chapitre II Laisser entrer l autre ou ressusciter le mythe Le spectacle de Lassalle s est jou pour la premi re fois au festival d Avignon le 12 juillet 2000 dans la Cour du Palais des Papes Il a fait l objet d une captation vid o r alis e par Don Kent pour Arte France Dans cette mise en sc ne les deux acteurs principaux Isabelle Huppert interpr tant le r le ponyme et Jean Quentin Chatelain celui de Jason m apparaissent tre dans cet espace situ entre un ici et un ailleurs C est ce point de contact de friction entre la vie de la repr sentation la vie des acteurs et la mort des mythes l ailleurs des personnages que r alise Lassalle dans sa mise en sc ne et qui donne re naissance de la trag die Les deux acteurs principaux Isabelle Huppert et Jean Quentin Chatelain ressuscitent le mythe en jouant dans un ternel double mouvement ce qu ils sont en tant qu acteur et ce qu ils incarnent en tant que personnage leur propre respiration m lang e celle de M
42. ne vengeance perverse et radicale plut t que de le tuer de ses mains elle choisit de tuer les tres chers qui composent son entourage et de lui ter ainsi toute raison de vivre Elle scelle sa destin e malheureuse celle de son mari par le meurtre de ses fils 2 4 L entr e en sc ne la naissance du monstre Dans la mise en sc ne de Lassalle M d e entre pour la premiere fois sur scene en sortant de chez elle pour venir parler au coryph e Sa maison est repr sent e par une petite grotte situ e cour de la sc ne au pied de la fa ade de la Cour d Honneur M d e sort de cette grotte comme si elle sortait d un monde souterrain l Enfer tout en hurlant ses mal dictions pour rejoindre les humains La grotte symbolise le passage de la naissance a la mort de l ombre a la lumiere C est l endroit de la renaissance de initiation et de la m tamorphose Dans les diff rentes interpr tations de la grotte donn e dans le dictionnaire des r ves sont mis en avant les id es de refuge et de d fense roe 14 en cas de dangers ext rieurs mais aussi celles de l isolement et de la solitude Dans 13 M d e d Euripide trad Pierre Judet de La Combe et Myrto Gondicas Paris Les Belles Lettres 2012 p 85 Dictionnaire des r ves http www dictionnaire reve com interpretation reve 9 13 reve de grotte html page consult e le 20 02 2013 17 son interpr tation psychanalytique la grotte est le s
43. nnage P A x 2 1 3 y 7 A pr existe l acteur qui l exprime dit Abirached Ainsi chaque acteur jouera d une fa on toujours diff rente Hamlet ou M d e et tant qu existent des interpr tes pour les incarner Hamlet et M d e sont vou s r p ter leur drame et faire entendre chaque fois diff remment l intemporalit et l universalit de leur propos Comment restituer l imaginaire du personnage th tral par le r el de la chair et du sang de l acteur Comment incarner la fiction dans le r el L ici et l ailleurs se confondent ils coexistent l ici qu est l acteur l ailleurs qu est le personnage Leurs r les sont interchangeables le passeur et le pass Un point de rencontre existe la sc ne le lieu du passage L acteur comme le personnage est la recherche d une v rit travers les poques Celle du monde de l existence de la vie 10 Robert Abirached La crise du personnage dans le th tre moderne Paris Gallimard 1994 p 70 11 y Ibid p 11 13 L acteur est le passeur qui permet de faire coexister deux temps le temps de la repr sentation th trale le temps r el donc et le temps latent de l histoire raconter le temps de la fiction Ce temps latent est plus qu un temps pass temps o l auteur a crit la pi ce de th tre il s agit d un autre temps une intemporalit qui permet de r p ter l histoire ad vitam aeter
44. ographique que mythique peut tre L acteur cite par ailleurs Val re Novarina auteur et metteur en sc ne franco suisse et se reconna t compl tement dans la d finition qu a ce dernier de l acteur les acteurs sont des tubes dans lesquels on introduit des mots et des messages Je me retrouve totalement dans cette image la parole d un auteur tombe en moi et Je lui donne une r sonnance gt Acteur mat acteur tube ou acteur transparent Jean Quentin Chatelain apparait dans le spectacle de Lassalle comme emprunt de son ailleurs lui En r unissant les deux acteurs Lassalle permet de faire exister un autre ailleurs dans la repr sentation th trale l ailleurs de deux acteurs Il me semble qu en les voyant se rencontrer sur sc ne je vois un autre point de friction se d velopper au c ur de la repr sentation th trale une autre mise en tension que celle de l acteur et de son personnage la rencontre de deux solitudes deux forces contraires l affrontement des deux figures mythiques l affrontement de deux monstres 3 3 La dispute ou la confrontation des sexes Dans la sc ne de confrontation entre M d e et Jason la premi re sc ne o les deux personnages se rencontrent Lassalle pr sente deux acteurs au c ur du drame amoureux l in galit et les divergences qui r sident entre l homme et la femme Dans la sc ne Jason vient M d e pour s expliquer sur les raisons et motivations d
45. r e de Jason en opposition celle de M d e semble se faire sereinement Il se dirige vers M d e d tendu et vivace puis vient parler Ce n est pas la premi re fois bien souvent j ai constat que l agressivit est un mal intraitable Il vient r pondre aux cris lanc s de M d e et vient expliquer les raisons et les motivations de ses agissements Jason comme M d e est un personnage qui use avant tout de la rh torique et ne basant son discours que sur l argumentation et le raisonnement Dans un entretien l acteur dit qu il adore d fendre des salauds Peut tre parce qu il y a chez les crapules une part d ombre qui concerne chacun II dit aussi que Lassalle l a choisit pour interpr ter Jason pour son arri re pays pour l ailleurs Entretien avec Jean Quentin Chatelain par Alexandre Demidoff T te t te tragique Le temps 1 juillet 2000 annexe 3 p 48 2 http fr wikipedia org wiki Enfers_grecs page consult e le 02 03 2013 2 M d e d Euripide trad Pierre Judet de La Combe et Myrto Gondicas Paris Les Belles Lettres 2012 p 41 Entretien avec Jean Quentin Chatelain par Alexandre Demidoff T te t te tragique Le temps 1 juillet 2000 annexe 3 p 48 22 qu il poss de la fois dans les r les qu il a travaill s et la particularit de son phrase lent et musical parfois chante et de ses origines helvetiques Un ailleurs plus g
46. r lons nos vies Et bien s r pour nous rassurer Le savoir est pour moi un leurre au sens o on l entend habituellement car il enferme plus qu il ne lib re Pour l acteur il s agit de d passer les limites de son savoir D interroger ce qu il croit savoir de le d verrouiller de le remettre en question et de composer avec les r ponses plurivoques qui en d coulent Pour moi il s agit de ne pas avoir peur de l incertitude mais de m en r jouir d avancer sur le plateau comme dans la vie calme et serein et certain de ma propre incertitude Les empreintes qu ont laiss es tous les stages que j ai travers s durant ces trois ann es de formation me permettent de dire que je sais encore moins que ce que je savais mon admission dans cette cole Si l art de l acteur est de toujours pr server un je ne sais quoi de suspendu dans la clart du sens et l prouv de l motion selon Jacques Lassalle je per ois mon futur m tier d acteur comme le passeur d une parole qui va au del des spectateurs d une salle de th tre d une parole qu il contr le et qui le d passe la fois L acteur est celui qui comme Isabelle Huppert 33 et Jean Quentin Chatelain parvient faire entendre le temps de la fiction dans le temps de la repr sentation th trale C est un acte qui ne peut se faire que dans la corr lation entre ces deux temps l ici et l ailleurs L tat d incertit
47. re Avec Jason Jacques Lassalle commet une erreur il tire Jean Quentin Chatelain excellent com dien vers le comique Il en fait un macho go ste un gros bonhomme qui ne comprend rien rien une brute pataude un pauvre diable un homme dirait une f ministe enrag e Il semble que la critique ne saisit pas le choix de Lassalle quant au r le de Jason Effectivement en tant que spectateur on peut se poser la question de la volont consciente de Lassalle d avoir enr l amp Chatelain dans le r le de Jason pour sa dissonance et souligner le ridicule du personnage af n de rendre encore plus fort l issue du personnage la fin de la pi ce Car les critiques le disent Huppert transfigure la trag die elle excelle dans son interpretation elle coupe le souffle aux spectateurs et Chatelain semble faire dissoner la trag die de la pi ce faire t che et ne faire que provoquer rires et moqueries chez les spectateurs Dans un entretien l acteur d clare Les rires m ont d stabilis Le texte est crit avec humour mais je ne m attendais pas d clencher autant de comique Certains soirs le public me huait parce que le personnage est antipathique D autres soirs j tais siffl parce que le public d testait mon approche du r le En vingt ans de m tier je n avais jamais connu un tel malentendu L acteur para t tre dans l ombre l instar de l actrice star qui elle attire toute la lumi
48. re et visiblement en souffrir Dans le spectacle on assiste la fois l exploit de l interpr tation de la com dienne dans le r le Brigitte Salino Isabelle Huppert entre dans la mythologie d Avignon Le Monde 14 juillet 2000 2 Philippe Vavasseur Huppert magistrale dans M d e Le Parisien 14 juillet 2000 2 Sorci re plein de gr ce Isabelle Huppert fait beau sort M d e Le Temps 14 juillet 2000 2 Fr d ric Ferney Sc ne de m nage Corinthe Le Figaro 16 juillet 2001 2 Huppert en M d e d multipli e La Tribune 11 janvier 2001 annexe 4 p 55 2 Pierre Marcabru Isabelle Huppert un monstre froid Le Figaro 27 janvier 2001 Entretien avec Jean Quentin Chatelain par Marion Thebaud Chatelain le baroudeur royal Le Figaro 3 janvier 2001 annexe 5 p 55 25 titre et l exploit du personnage dans l laboration et l ex cution de sa vengeance meurtri re Par cons quent l acteur comme le personnage se retrouve ultimement seul et vaincu Tout au long de la pi ce je peux voir deux acteurs r ellement en proie ce qu incombe l incarnation de leur personnage et l histoire qu ils racontent ils sont v ritablement en guerre ils se disputent la vedette peut tre mais semblent en tout cas d termin s ne rien c der l autre luttant jusqu au bout dans l hyst rie et le d sespoir le plus total Isabelle Huppert soulevant sur sc
49. s signifiants inverses de s prouver entre eux Les mettre dans un m me lieu et voir ce qui se passe L acteur mis dans ce lieu en serait le cobaye Et se verrait charger de retransmettre cette exp rience par la voix et par le geste Il serait investit d une autre exp rience celle de ses propres incertitudes Georges Braque dit Je ne crois pas aux choses mais aux relations entre les choses Dans son livre sur la p dagogie th trale Anatoli Vassiliev metteur en sc ne et p dagogue russe parle de l acteur r v lateur Il parle d un tat de d pouillement et de transparence tre dans l tat d accueillir le texte le plus proche de soi pour en laisser sortir l id e brute sans interpr tation chez l acteur L acteur prend en charge le mot 7 Peintre et sculpteur fran ais du mouvement cubiste 1882 1963 St phanie Lupo Anatoli Vassiliev au c ur de la p dagogie th trale Anarchie et rigueur Vic la Gardiole L Entretemps 2006 pp 144 149 dans ce qu il veut dire Selon Vassiliev il s agit de faire dispara tre sa personnalit quotidienne l acteur et de le rendre transcripteur du texte Lassalle lui parle de matit Il dit que l acteur mat oppos au transparent est celui qui dans sa parole laisse entrevoir sa propre incertitude sur ce qu il dit habitant sa pens e et la montrant au travail c est un perp tuel va et vient qui s op re entre l action de l
50. s femmes celui des hommes Elle dira d ailleurs Nous sommes nous les femmes la cr ature la plus mis rable M d e se situe entre deux antagonismes la divinit et l humanit forte et rus e comme le divin r solue tuer et faible et victime comme l humain incapable de passer l acte 12 M d e d Euripide trad Pierre Judet de La Combe et Myrto Gondicas Paris Les Belles Lettres 2012 p 23 16 Selon elle le crime ne peut tre solutionn que par le crime et pleure l laboration de sa vengeance venir tout en la d sirant ardemment Sur le sort qui l accable M d e 3 13 d clarera Mais la femme est femme elle est n e pour les larmes Euripide pr sente dans sa pi ce une M d e radicale qui choisit de se servir elle m me d exemple elle met en sc ne son propre malheur et d montre comment elle en est arriv e la et comment la femme ne peut tre que faible face aux hommes que la justice ne peut tre faite que par le sang Elle interroge de fagon philosophique ce qui anime et dirige la vie de l homme dans son existence la faiblesse des hommes soumis ses passions a son goisme et sa soif de pouvoir Elle se retrouve abandonn e par son mari chass e de chez elle Elle interroge sa situation d exclue et crie a l injustice apr s avoir tout donn et tout fait au nom de l amour de Jason Dans le d sir de le faire souffrir le plus possible elle labore u
51. seen en ans dense dater 36 Introduction Les acteurs par leurs intonations devraient pouvoir seulement suggerer Faire penser plusieurs interpretations Ne pas faire de commentaire leur ton ne devrait porter aucun jugement Au del m me de leurs partenaires ils devraient ouvrir le discours vers le public ils devraient parler aux dieux Claude R gy Je n aime rien tant que le polys mique l ambivalent Ce n est pas le je ne sais que penser de cet acteur de cette pi ce de ce spectacle que je recherche C est plut t ce que je comprends ce que j prouve peut tout moment se retourner Rien n est tout fait acquis Aucune conclusion n est possible Dans la clart du sens dans l eprouve de l motion est toujours pr serv un je ne sais quoi de suspendu Rien n est cach Tout pourtant reste ouvert Comme si la plus grande clart tait la condition d une obscurit maintenue Jacques Lassalle Au cours de ma formation j ai d couvert et me suis vivement int ress aux livres qu a crits Claude R gy Sa recherche sur l ouverture d une autre r alit sur une sc ne de th tre en privil giant la lenteur l immobilit et le silence a beaucoup impressionn ma propre recherche d apprenti com dien Je ressens la sc ne comme un vortex un lieu de passage qui d verrouille les portes du temps et de l espace o le voyage est possible Je suis vivant et pourtant j ai la sensation qu en
52. t alors v ritablement corps car les acteurs donnent chair aux mots Sous les yeux des spectateurs ils ressuscitent ces deux figures mythologiques Cet acte rel ve la fois de la vie des acteurs de l ici et de la mort des mythes de l ailleurs A partir de la mise en sc ne de M d e d Euripide de Lassalle j analyserai la tension qui op re entre la repr sentation th trale et la fiction racont e entre l ici et l ailleurs tout cela travers les acteurs principaux Isabelle Huppert et Jean Quentin Chatelain Je verrai comment Lassalle tue le mythe en apparence pour le r injecter dans ses acteurs et ainsi les amener au c ur de la friction entre l ici et l ailleurs Dans une premi re partie je parlerai du rapport entre acteur et personnage en voyant comment l acteur investit et se laisse investir par le texte et comment dans un tat d action et d observation le personnage appara t Tout cela pour introduire dans une deuxi me 10 partie la mise en scene de Medee d Euripide de Jacques Lassalle en parlant d abord du mythe et de ses origines de la novation qu apporte Euripide au mythe en cr ant l infanticide et de l entr e en sc ne de M d e dans le spectacle Enfin j analyserai les raisons pour lesquelles Lassalle enr le Isabelle Huppert et Jean Quentin Chatelain pour les r les de M d e et Jason ainsi que le dispositif sc nique et le lieu de la repr sentation Tout cela dans le dia
53. ude dont parlent R gy et Lassalle et sur lequel j insiste ici dans mon m moire est constitutif du geste de l acteur L acteur parle et se laisse parler par le r le qu il interpr te Sur sc ne il est au c ur et distance de ce qu il dit Il est vivant et pourtant il fait appel au fant me provisoire qu est le personnage pendant la dur e de la repr sentation Il l appelle il ne le cherche pas Ce fant me vient lui mais dans le compromis que cela incombe pr ter sa voix et son corps Le personnage re vit travers l acteur ce dernier est alors sur le seuil de la mort en le laissant entrer travers lui Comme le concept de mort partag e similaire l exp rience de mort imminente EMI Pacteur partage la mort du personnage pendant la dur e du spectacle et visualise le film de sa vie C est peut tre cet instant que l empreinte se forme Une empreinte o la mort s incruste dans la vie 38 https fr wikipedia org wiki Exp C3 A9rience_de_mort_imminente page consult e le 06 04 2013 34 Bibliographie Ouvrages FERAL Josette Les Chemins de l acteur Montr al Qu bec Qu bec Am rique 2001 pp 61 71 FERAL Josette Mise en sc ne et jeu de l acteur tome 1 L espace du texte Montr al Qu bec Editions jeu Editions Lansman 2001 pp 185 199 LASSALLE Jacques ci moins qu ailleurs Paris P O L 2011 LASSALLE Jacques et RIVIERE Jean Loup Conversations sur
54. ymbole ut rin et maternel M d e sort des entrailles de la terre comme un enfant sort du ventre de sa m re Comme si elle avait enfant elle m me son crime dans les profondeurs de la terre par ses impr cations hurl es qu elle avait emprunt la grotte passage ut rin pour accoucher de son crime et venir l annoncer et le pr senter au monde La monstruosit de M d e rel ve de la nature de son acte en hurlant telle une Erinye elle a engendr un monstre qui scelle son destin le crime par le sang est irr vocable Silencieuse an antie transcend e comme en tat de choc M d e entre en sc ne Son regard scrute le public puis toute la Cour puis le Ciel Elle se retourne soudainement vers le coryph e interpr t e par Emmanuelle Riva et prend la parole La force de la premi re phrase est alors puissante la voix rauque abim e et grave d Isabelle Huppert semble venir d ailleurs Femmes de Corinthe je suis sortie de la maison pour que vous ne me fassiez pas de reproches L actrice est comme poss d e Silence des spectateurs Sortie de sa grotte comme sortie des entrailles de la Terre pour arriver sur scene l actrice semble venir d outre tombe comme si elle tait all e chercher son personnage dans la mort et qu elle entrait en sc ne pour le ramener la vie Elle parle et est parl e Elle s adresse aux spectateurs M d e s adresse au ch ur Tout le long de son premier monologue le temps de l
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