Home

Méditations

1. compagnons habitu s rester tranquillement ensemble Certains commentateurs ne voient cependant pas ces neuf approches comme tant lin aires mais comme autant d approches de la pratique que tout un chacun traverse l 2 Reposer l esprit il s agit de placer son esprit dans une immobilit qui permet de se poser Le repos l esprit est sujet tant d excitations que l attention est plus souvent distraite de la respiration qu elle ne r ussit se lier elle Cependant par moments le m ditant fait l exp rience de br ves p riodes de continuit dans la pr sence attentive pendant une deux minutes La pratique se fait ici par de courtes sessions r p t es Le r ajustement la pr sence attentive se porte sur la respiration de mani re plus continue mais a besoin d tre constamment rappel e de fa on r p t e Il s agit ici d apprendre ramener simplement l esprit nouveau Le repos au plus pr s la pr sence attentive est stabilis e au point que le m ditant ne se disperse pas compl tement au sein de la dur e enti re d une session Il remarque les plus fines oscillations de pens e L apprivoisement le m ditant apprend ne pas r agir avec agression ne pas se traiter brutalement cesser de se bl mer L apaisement le m ditant est pr sent au surgissement de la torpeur et de l agitation m me dans leurs formes subtiles et peut ainsi maintenir son attent
2. p n trer plus avant la caract ristique de la souffrance et en particulier celle qu occasionnent de longues pratiques et demande donc un effort tr s soutenu Telle fut par exemple l approche de Sun Lun Sayadaw 1920 2013 Enfin la tradition du theravada met aussi parfois l accent sur la pratique des jhana pali tats soutenus d absorption o le pratiquant s abstrait du monde des sens puis des ph nom nes mentaux habituels Entrer dans ces tats est pour certains ma tres une tape tr s importante du chemin pour d autres ils risquent d garer le pratiquant III Vipassana Si le terme pali vipassana d signe la quintessence de la pratique de la m ditation bouddhique elle est devenue le nom sp cifique de l approche d velopp e par Goenka qui attire des milliers de gens de par le monde Bien que n dans une famille hindoue tr s orthodoxe S N Goenka a grandi en Birmanie Il y rencontra 31 ans le grand ma tre U Ba Khin 1899 1971 qui lui apprit la technique de vipassana Ce fut pour lui une r volution On ne lui disait pas seulement de faire ceci ou cela d essayer d tre bon d tre sans aversion ou avidit mais on lui montrait un chemin pour y arriver Ce fut un profond soulagement Apr s avoir tudi pendant quatorze ans aupr s de lui S N Goenka s installa en P et commen a y enseigner son tour Il est devenu un grand diffuseur de cette approche qu il a pr sen
3. 1 Bouddhisme et m ditation La place de la m ditation au sein du bouddhisme est tout fait singuli re Dans le Mahaparanibbana Sutta le texte qui consigne les derniers enseignements du Bouddha celui ci pr sente ce qu il a d couvert et enseign durant quarante cinq ans Or au lieu d exposer un certain nombre de doctrines de v rit s d actes de foi il d crit des pratiques et les qualit s qu elles lui ont permis de d velopper C est l un ph nom ne saisissant le bouddhisme met d abord l accent sur une exp rience qu il cherche transmettre plus qu tablir une orthodoxie doctrinaire ou fonder une secte ou une glise Comme le souligne Ajahn Brahm dans le bouddhisme il n y a pas de textes sacr s c est la m ditation qui en tient lieu 1 Et en effet le geste inaugural de l enseignement du Bouddha Sakyamuni Vesi cle av J C est d avoir pris ses distances par rapport la tradition qu il re ut et invit un examen de premi re main Ce geste n est pas sans rapport avec celui de Socrate comme le souligna Husserl 2 On m dite peu en Asie Ceci reconnu il faut aussi comprendre que la m ditation s est au sein du bouddhisme pens e en relation tout un ensemble de doctrines et de rites qui ont parfois fim par faire passer au second plan l imm diatet de la pratique Il y a donc une certaine na vet identifier comme nous le faisons spontan ment m ditati
4. LA M DITATION Fabrice Midal QUE SAIS JE La m ditation FABRICE MIDAL Introduction I Le succ s de l implantation des pratiques m ditatives La place accord e la m ditation en Occident ne peut que surprendre Un temps identifi e l Orient r serv e quelques personnes cherchant r pondre au probl me du sens de la vie humaine la m ditation est pr sent pratiqu e dans toutes les strates de la soci t Elle est transmise dans les prisons les coles les entreprises et m me aux tats Unis dans l arm e L bas un magazine lui est d di Mindful ainsi qu une cha ne de t l vision sur le Web La prestigieuse universit de Harvard propose un cours de m ditation pour les managers et les leaders elle est enseign e par un ing nieur de chez Google Un s nateur am ricain Tim Ryan a d taill dans son ouvrage 4 Mindful Nation 1 la somme des apports de la m ditation pour son pays Il conclut m me son tude par l id e que c est elle qui va per mettre de renouer avec l esprit des fondateurs de 1 Am rique Loin d tre une id e gadget son analyse vient d une r flexion de fond sur les d fis que son pays doit traverser pour permettre chacun de trouver sa place sur cette terre et s y panouir Le ph nom ne est saisissant la m ditation n est plus d abord pr sent e comme une voie d veil mais comme une technique tudi e dans les plus grands
5. condamn es elles ont t peu peu oubli es L int r t pour la m ditation d origine bouddhiste tient en partie cet abandon Il est en ce sens important d voquer le chemin de Thomas Merton un des moines paradigmatiques du XXesi cle Apr s une conversion au catholicisme dont il t moigne dans La Nuit priv e d toiles The Seven Storey Mountain 1948 et son entr e dans un monast re trappiste il s inqui ta de trouver si peu d appui spirituel et constata un grand dess chement Au nom de l amour du prochain explique t il on a mis de c t l amour de Dieu au nom de l action on a perdu le sens profond de la contemplation On a sacrifi l int r t collectif et ce qu il avait de plus m diocre le sel propre de la foi chr tienne Si bien que la doctrine chr tienne est devenue trop abstraite il lui manque la dimension de chemin concret C est pour le retrouver qu il se tourne vers l Orient Il entre en dialogue avec plusieurs personnalit s de tout premier plan dont D T Suzuki Thich Nhat Hanh le Dala Lama et Ch gyam Trungpa et d couvre avec un enthousiasme profond la m ditation Dans son Journal d Asie il souligne Il m appara t que les bouddhistes tib tains sont les seuls qui jusqu pr sent rassemblent un nombre assez consid rable de personnes ayant acc d des sommets extraordinaires de m ditation et de contemplation 12 Sa conviction est que la m ditation pe
6. est d couvrir comment nous sommes souvent englu s dans une quotidiennet terne et inauthentique c est rencontrer le d fi d avoir tre ce que nous sommes responsables devant l humanit tout enti re Il faut et c est essentiel pr server la dimension critique propre la m ditation Car en effet elle lib re nos sens asservis par une raison d figur e et triqu e exp rience dont t moigne la grande po sie de William Blake et Arthur Rimbaud Paul Celan et E E Cummings Elle fait jaillir une pens e conjugu e au pr sent et non perdue dans la nostalgie ou la fascination d un avenir r v Elle ouvre ainsi une br che salutaire dans nos sch mas de pens es et de comportements habituels Notes 1 Jack Kornfield Dharma Vivant op cit p 71 2 Alan W Watts Beat Zen Square Zen et Zen op cit 3 Thomas Merton La Nuit priv e d toiles suivie de La Paix monastique Albin Michel 2005 p 405 Chapitre V Comment comprendre la m ditation partir de l occident psychologie ph nom nologie et po sie I La psychologie Les premiers Occidentaux qui se sont tourn s vers la m ditation taient pour une grande part des psychoth rapeutes La m ditation leur est apparue comme une mani re de se relier la souffrance non par une compr hension exclusivement intellectuelle mais de mani re directe en visant l apaiser Et cette gu rison laquelle vise la m ditation ne pass
7. est la torpeur Ou encore il ne tient pas en place et ne reste pas pos sur le souffle et c est l agitation Pour viter ces deux cueils le pratiquant doit trouver un quilibre sans cesse reprendre entre la n cessit de se d tendre et celle de maintenir une observation tenue C est l le sens de la c l bre analogie du Bouddha si la corde est trop tendue elle casse si elle est trop l che elle ne sonne pas D couvrir l attention L essentiel de la m ditation consiste apprendre le sens de l attention juste Pour viter tout malentendu 1l importe de lever d s pr sent deux contresens Le premier croire que l attention est une tension et implique une crispation C est le sens du terme dans le panneau Attention chien m chant Or le sens de l attention propre la m ditation consiste tre pleinement d tendu et ouvert ce qui est tel qu il est et nullement se contracter Seconde difficult l attention consiste tre pleinement un avec ce qui est non d en tre conscient Comme le pr cise Walpola Rahula D s que vous pensez je fais ceci vous devenez conscient de vous m me et alors vous ne vivez pas dans votre acte mais dans l id e je suis En cons quence votre travail est g ch 5 La m ditation en marchant c t de la m ditation assise la plupart des coles ont d velopp des formes de m ditation en marchant Au lieu de me
8. N en 1940 Ch gyam Trungpa dut fuir son pays natal en 1959 Apr s avoir v cu quelques ann es en Inde puis en Angleterre o il tudia Oxford il s est engag partir de 1970 dans un travail de fond pour transmettre la pratique de la m ditation aux tats Unis o il s est install d finitivement Il a commenc par rompre avec l aspect culturel et religieux tib tain qui selon lui entravait la compr hension de la m ditation faisant confondre la pratique et un ensemble de coutumes de croyances ou d usages Il refuse de porter la robe de moine d employer un jargon tib tain de r p ter des rituels et des c r monials religieux et cherche dans la culture occidentale des appuis permettant d incorporer la m ditation Il souhaite ainsi qu elle soit int gr e la vie quotidienne de tout un chacun Il veut parler directement de c ur c ur et pour cela 1l revient la source de la m ditation Dans cet effort il s appuie sur les autres traditions m ditatives bouddhiques et en particulier le theravada et le zen dont il favorise les rencontres Il tente aussi partir de 1976 de pr senter la pratique de la m ditation sans employer aucune r f rence au bouddhisme Il veut alors la penser partir de la figure du guerrier on dirait en Occident du chevalier c est dire de celui qui travaille courageusement sur les situations de conflits qui existent en lui et dans le monde 23 Il fut ainsi le p
9. On peut en s asseyant sur un coussin prendre la position du lotus padmasana le pied droit reposant sur la cuisse gauche et le pied gauche sur la cuisse droite Comme l explique Shunryu Suzuki Lorsque nous croisons nos jambes de cette mani re nous avons bien une jambe droite et une jambe gauche mais elles font maintenant un Cette position exprime l unit de la dualit ni deux ni un Notre corps et notre esprit ne sont ni deux ni un Si vous pensez que votre corps et votre esprit font deux c est faux si vous pensez qu ils font un c est faux aussi 3 L importance accord e cette posture du lotus d pend beaucoup des coles qui lui donnent un sens plus ou moins capital Les pr sentations plus occidentales de la pratique conseillent de croiser simplement les jambes voire de pratiquer assis sur une chaise les pieds touchant simplement le sol Les yeux sont de pr f rence ouverts ou plus exactement mi clos comme on le voit sur la plupart des repr sentations du Bouddha Le regard est dirig vers le bas environ un m tre cinquante devant soi la t te restant droite dans l axe du corps Ainsi pos le regard est d tendu Il ne fixe rien Il est simplement ouvert Dans le zen le pratiquant tend pratiquer face un mur dans certaines m ditations de la tradition tib taine 1l est conseill de pratiquer au sommet d une mon tagne en regardant l espace ouvert du ciel Certaines instructions invit
10. agitation M diter c est d couvrir que nous pouvons faire quelque chose Nous pouvons prendre notre existence en main et contrairement une id e souvent inconsciente selon laquelle on est comme on est changer est tout fait possible 3 Rentrer la maison Nous sommes souvent en exil perdus dans un monde insens sans coh rence et qui nous appara t comme inhumain M diter nous ram ne en notre demeure nous fait toucher la racine m me de notre tre Nous cultivons ainsi un sens de familiarit de plus en plus grand avec nous m mes et le fait d tre tout simplement Or c est l et l seulement qu il est possible de savoir ce que nous voulons faire ce qui nous importe ce que nous aimons En ce sens la m ditation nous permet ainsi de prendre des d cisions justes sans tre d pendants des demandes des uns et des autres ou des manipulations diverses un niveau plus profond en m ditant nous d couvrons la grandeur silencieuse de notre tre qui n a pas besoin de preuves Comme le souligne Alan W Watts dans une formule magnifique Plus j avance profond ment en moi et plus je m loigne de moi sans cesser pour autant d atteindre mon propre c ur 2 Magnifique mani re de souligner combien l exp rience m ditative nous permet de rentrer la maison sans nous fixer sur une identit un moi ou un ego 4 tre libre Des enqu tes diverses montrent que contrairement l imaginaire
11. ou de paix de le mettre dans une attitude de repos Cette phase est parfois d crite comme l attitude que nous avons lorsque nous devons passer un fil dans le chas d une aiguille Dans le Visuddhimagga Le Chemin de la puret sont d crits 40 objets possibles qui peuvent servir de support la flamme d une bougie une image un cercle de terre un disque de couleur ou un bol d eau On retrouve cette perspective jusqu aux enseignements du Dzogchen souvent consid r comme le sommet de l enseignement m ditatif au Tibet o la pratique se fait en adoptant comme support la lettre tib taine A qui est plac e 30 ou 45 cm du nez Mais le plus courant et sans doute le plus fertile support est la respiration anapana Elle a comme premier atout d tre naturelle toujours en mouvement et d viter ainsi de devenir l objet d une fixation En posant ainsi l esprit sur un point donn Shamatha vise dissoudre temporairement la confusion les tourments motionnels et le bavardage mental et conduit ainsi une forme de tranquillit pouvant tre tr s profonde 1 Diverses conceptions de vipashyana Vipa shyana est la vision claire ou le discernement permettant de voir les choses telles qu elles sont Un tel regard direct se distingue du raisonnement intellectuel avec lequel nous sommes plus familiers Vipashyana ne d signe pas la r flexion mais le fait de voir clairement ce qui est en question et pour sign
12. psychologie exp rimentale linguistique intelligence artificielle et pratiquants bouddhistes C tait l une id e tout fait r volutionnaire La m ditation vient du bouddhisme qui m me s il n est pas au sens strict une religion partage n anmoins avec le christianisme ou l islam de nombreux traits communs Il n allait donc pas du tout de soi qu une rencontre entre le bouddhisme et le monde occidental ait lieu sur ce terrain de la recherche scientifique religion et science tant vues comme oppos es Mais la m ditation en tant qu examen scrupuleux de l exp rience humaine ne reposant sur aucun pr suppos pr alable aucune r v lation divine offrait un terrain propice pour une telle rencontre Cette attitude a t incarn e par le XIVe dala lama qui a affirm de nombreuses reprises que le bouddhisme ne devait pas s enfermer dans des croyances si elles ne peuvent pas tre scientifiquement cr dibles En novembre 2005 dans le discours d ouverture des Rencontres de la Soci t des neurosciences Washington rassemblant pas moins de 37 000 scientifiques il a affirm que si les connaissances acquises par la science contredisaient certains crits anciens du bouddhisme dans le domaine de la cosmologie par exemple leur contenu devait tre consid r comme caduc C est l une attitude sp cifique au bouddhisme inimaginable pour un responsable religieux chr tien juif ou musulman qui est am
13. que Dieu qui de mani re plus profonde signifie il n est de r alit que Dieu le R el et pour l orthodoxie la pratique de philocalie du c ur d velopp e originairement par les P res du d sert Ce chemin d crit l exp rience m ditative comme une descente de l intelligence dans le c ur une exp rience de dessaisissement et d illumination de l esprit 26 Les R cits d un p lerin russe texte anonyme crit au XIXesi cle ont donn par leur impact consid rable une immense popularit cette pratique Cet ouvrage montrait de mani re tr s directe combien cette pratique de pr sence permet un homme de trouver la paix et d tre en harmonie avec le monde 27 La m ditation dans le monde indien et particuli rement dans le Vedanta joue aussi un r le majeur Dans le Vedanta en effet la lib ration ne s obtient pas par les rituels les actions les devoirs accomplis ou la charit mais par la reconnaissance du Soi qui se d ploie par del l illusion en sanscrit Maya du monde et de notre propre mental 28 Quelles que soient les diff rences entre les traditions spirituelles toute m ditation vise en effet dissoudre l oubli qui nous aveugle et nous tient distance de notre tre propre En outre comme nous l avons vu en sanscrit le terme que nous traduisons par attention smriti d signe pr cis ment le fait de se souvenir de ce que nous sommes d en g
14. re s par de la vie une recherche du chef d uvre fait par une sorte de g nie singulier D autre part au lieu de viser une uvre imposante un tel art s efface devant ce qu il montre et donne l espace une place inconnue dans l art occidental Peindre c est tout autant peindre les fruits sur la table les montagnes et le ruisseau que l espace o ils se tiennent et partir duquel ils peuvent se montrer Ce fut l pour l Occident deux apports consid rables d couvrir une unit profonde de l art et de la vie qui a entre autres nourri l inspiration de Fluxus Beuys et Filliou se tournant de mani re tr s radicale vers l Orient et un espace plus vaste tel qu il a t pressenti par C zanne 13 Nous le savons mal tant le ph nom ne est peu d crit mais la rencontre entre la modernit et l esprit de la m ditation a jou un r le majeur Parmi de nombreux vecteurs qui ont favoris cette rencontre le r le jou par D T Suzuki est particuli rement heureux et ce alors m me qu il tait improbable Ce penseur Japonais tait connu dans le monde entier comme auteur traducteur et porte parole du zen Ses Essais sur le bouddhisme zen furent r dig s partir de 1923 traduits en anglais en 1927 et en fran ais en 1940 Aujourd hui son uvre est critiqu e par de nombreux universitaires mais D T Suzuki ne jouait pas le jeu des sp cialistes Il essaya selon les termes du philosophe Osamu N
15. Le terme m ditation d signe un nombre d approches tr s diff rentes et les groupes tudi s sont trop souvent restreints pour permettre avec rigueur de tirer des conclusions d finitives 2 On peut cependant noter que la m ditation a t tudi e avec des r sultats probants dans les cas suivants pr vention des troubles cardio vasculaires r duction de l hypertension am lioration des fonctions cognitives et du sommeil concentration favoris e attention plus soutenue renforcement du syst me immunitaire Des enqu tes tr s pouss es ont t effectu es sur les effets de la pratique de la bienveillance aimante sur les zones du cerveau associ la r gulation motionnelle et comportement social avec des r sultats eux aussi convaincants 3 III Une difficult fondamentale Cet apport est aujourd hui bien tabli Mais que fait on de ces r sultats La science peut certes l gitimer la m ditation et par l faire son office politique rassurer et convaincre l opinion publique Mais elle ne nous apprend en rien mieux m diter La science n a nullement voir avec la m ditation elle tudie un cerveau de m ditant et m me pas un cerveau mais des diagrammes qui mesurent une activit c r brale Le risque est de s en tenir des mesures au lieu d essayer de mieux comprendre les d fis qu il nous faut relever pour int grer la m ditation notre vie quotidienne Le travail initial de Francisc
16. Les Deux R alit s Bruxelles Kunchab 2010 et M ditation sur la vacuit Saint L on sur V z re Dzambala 1994 Jean Marc Vivenza N g rjuna et la doctrine de la vacuit Albin Michel 2009 Tout est conscience une voie d veil bouddhiste Albin Michel 2010 T R V Murti Central Philosophy of Buddhism Study of Madhyamika System Abm Komers 2003 Gadjin Nagao Madhyamika and Yogacara Study of Mahayana Philosophies State University of New York Press 1991 8 Entretien de Lin Tsi trad Paul Demi ville Fayard 1972 p 74 91 Alan W Watts Beat Zen Square Zen et Zen Paris P J Oswald 1977 p 12 10 Kunzang P ma Namgy l L Escalier de cristal t 1 La Boulaye ditions Marpa 1998 p 106 11 Karme Chagme A Supplication to The Mother Machig Labdr n Cupertino Marpa Foundation 1996 p 3 12 Fabrice Midal Introduction au tantra bouddhique L incandescence de l amour Fayard 2008 U3 Voir aussi Fabrice Midal M ditations sur l amour bienveillant Audiolib 2013 Chapitre III A la d couverte des textes racines I La m ditation en sa v rit interne Pour comprendre ce qu est la pratique de la m ditation il faut lever un certain nombre d quivoques d gager sa place au sein du bouddhisme penser son articulation avec l thique et la connaissance et viter de la concevoir sans m me nous en rendre compte partir de notre conception anachronique de la pratique
17. accent est mis sur la pratique de la m ditation et le c r monial est tout entier construit autour de la pratique de l assise dans la tradition tib taine la pratique de l assise est g n ralement un moment occasionnel int gr un ensemble c r monial Lorsque le bouddhisme tib tain est arriv en Occident 1l a donc tout naturellement tr s peu mis l accent sur la pratique de la m ditation Je me souviens il y a vingt ans tre all accompagner un enseignant qui pr sentait la m ditation assise dans un des grands centres tib tains fran ais Cela semblait tout fait exotique et provocant L essentiel de la vie de la communaut consistait dans des rituels complexes et des pratiques d votionnelles Pourtant dans le bouddhisme au Tibet il existe des traditions de pratique de la m ditation d une grande finesse mais il est consid r qu il faut s adonner de longs pr alables pour pr tendre s y consacrer La m ditation est con ue comme un accomplissement plut t qu un point de d part L accent y est alors mis sur l ouverture inconditionnelle reconnue comme l tat de la plus haute simplicit que nous manquons en nous tenant trop loin de la source Tel est le sens du Mahamudra le Grand sceau ou du Maha Ati en tib tain Dzogchen Grande compl tude qu il n est pas n cessaire dans un ouvrage grand public de distinguer Essayons plut t d en voir l unit Ce sont des pratiques sans suppor
18. attendre On abandonne la fois le bavardage intellectuel et l id e d un but atteindre f t ce le paradis L un des textes les plus extraordinaires de cette approche est celui de Jeanne Guyon le Moyen court et tr s facile de faire oraison L auteur y expose deux principes fondamentaux au c ur de la d couverte de la m ditation elle est simple et elle repose sur l abandon de la volont propre La dimension mystique n est pas r serv e des moines ou des ermites d exception mais peut tre pratiqu e dans la vie quotidienne par tout un chacun Ce fut l un des engagements de Jeanne Guyon de le montrer Son texte claire le sens profond de l oraison qui consiste se poser dans le silence en cessant de se disperser et de s oublier dans les activit s ext rieures Pour y arriver 1l est important de renoncer obtenir quoi que ce soit afin de laisser la pure pr sence se d ployer d elle m me Jeanne Guyon pr cise en ce sens Laisser le pass dans l oubli l avenir la providence et donner le pr sent Dieu 9 Une telle perspective a suscit une r action d une violence inou e conduisant Jeanne Guyon tre condamn e par le pape et enferm e la Bastille La perspective d un amour pur gratuit d sint ress g n reux et libre dont Jeanne Guyon fut le h raut est apparue comme dangereuse car elle mena ait la fois les sacrements et le pouvoir de l glise 10 et l
19. c est dire libre de toute saisie Techniquement les textes d crivent ces m ditations comme tant constitu es d une phase de g n ration utpatikrama o s labore la mise en pr sence de la d it qui doit tre suivie d une phase de perfection sampanakrama o tout effort est abandonn Sans plus aucun point de rep re l esprit alors reste ouvert et d gag VII Les pratiques de amour bienveillant Il serait possible de consacrer ce volume aux diverses pratiques bouddhiques il en existe en effet un grand nombre Le theravada a d velopp par exemple une m ditation sur les 32 parties du corps qui comprennent poils peau os c ur entrailles sueur et glaire et dont la finalit est de couper le d sir sensuel que l on pourrait avoir pour un corps humain Mais l essentiel est de comprendre que la m ditation est l union de se poser shamatha et du discernement vipashyana N anmoins il est important d voquer la m ditation qui favorise l amour bienveillant pali metta sanscrit maitri Si pour la plupart des Occidentaux la m ditation est identifi e la pratique de la pr sence attentive ce recueillement de notre tre dans la simplicit et la clart la plupart des coles ont cependant d velopp une m ditation visant faire cro tre l amour bienveillant et la compassion Le fait est important mais rarement consid r sa juste mesure La majorit des ouvr
20. donc chercher en faire l preuve Dire qu il est un tat d tre c est d j le manquer La transmission ne peut qu tre imm diate et pourtant rien ne peut tre transmis Autrement dit on ne peut pas s approprier l espace de la pure pr sence Il surgit sa guise quand rien ne le cache ni ne le recouvre Le chemin est en ce sens un non chemin Il n y a rien atteindre Rien faire Tout effort nous loigne de ce que nous cherchons L veil n est pas ailleurs qu ici m me Kamalashila emporta la victoire et donna figure au bouddhisme du Tibet Il exposa que la voie progressive est bien moins fig e que la voie subite puisqu elle pense le chemin comme un continuel d passement de l esprit par lui m me Le point aveugle des subitistes chinois est de croire qu il y a une sorte d tat irr ductible qui s appellerait l veil dans lequel on sauterait pieds joints Selon la perspective progressive il y a l une forme de fixation inutile qui peut m me devenir une forme d idol trie de l veil Si Kamalashila parle d tapes elles ne sont pas pens es de fa on rigide mais comme des moments dans la vie du pratiquant Cette approche concr te s accorde avec l exp rience la plus humaine et commune de dessaisissement Ce conflit n a plus cess de hanter le Pays des Neiges Les coles du mahamudra et du dzogchen qui pr sentent bien des similitudes avec la perspective du tchan furent accus es
21. e de scientifiques travaillant dans ce domaine il en existe maintenant plus d une centaine Si bien qu il est aujourd hui possible pour un tudiant en psychologie ou en science cognitive d tudier la pratique de la m ditation travail impossible il y a seulement une dizaine d ann es Aujourd hui une grande part de la recherche ne se penche plus seulement sur la pratique de la pr sence attentive mais aussi sur celles li es la bienveillance aimante et la compassion au point que la c l bre Stanford University s engage dans des recherches de pointe sur ces th mes On peut ainsi comprendre comment la pratique de la m ditation permet de transformer l esprit humain et peut agir de mani re directe et profonde sur nombre de nos affections angoisse d pression stress sentiment d tre isol ou malheureux On a aussi pu prouver que l esprit humain a la capacit par une s rie d apprentissages de changer Comme le souligne le professeur Richard Davidson Cela d montre que le cerveau peut tre entra n et modifi physiquement d une mani re que peu de personnes pouvaient imaginer 1 Et cette capacit n est pas r serv e comme on l a cru dans un premier temps au m ditant bien exp riment mais m me celui qui s y engage pendant vingt minutes par jour Apr s trois mois d une pratique r guli re on a pu mesurer que la facult d attention des participants s tait consid rable
22. en joindre un autre la m ditation est pratiqu e par des Occidentaux depuis plus d un demi si cle Quelques uns parmi ces derniers ont eu le courage de l enseigner non plus en r p tant les textes orientaux ou ce qu ils avaient appris mais en s appuyant sur une exp rience directe et personnelle marqu e par la connaissance des grands champs du savoir occidental Leur enseignement a permis d implanter la m ditation d une mani re qui est m me de r pondre aux d fis propres notre temps Ils n ont pas cherch rejeter les notions de karma de renaissance et de nirvana ni la doctrine bouddhique mais avec honn tet ils ont constat que l ne reposait pas pour eux l l ment de transmission le plus percutant Ils se sont donc recentr s sur l exp rience m ditative elle m me qui leur a sembl l h ritage le plus pr cieux qu ils avaient re u de leurs ma tres Il ne s agit pas d un refus de la tradition mais d une mani re de l interroger en la questionnant sa source C est en suivant leur exemple que j ai d cid pour ma part de l enseigner il y a une quinzaine d ann es et c est dans cette perspective que j ai crit cet ouvrage Nous verrons cependant que ce rapport la tradition bouddhique pose nombre de questions et de d fis Faut il que la m ditation s en d tache enti rement pour tre pleinement int gr e l Occident Ne risque t elle pas alors de devenir un simpl
23. et la solidit de notre esprit La respiration Pour habiter ce pr sent le pratiquant prend appui sur sa respiration Elle est un point de rep re qui lui permet de savoir s il est ou non pr sent En effet quand il n est plus en train de suivre le cours de sa respiration il a quitt l attitude m ditative et il sait qu il lui faut donc simplement revenir Il ne s agit pas pour le m ditant de faire un exercice de respiration mais simplement de respirer dans une attitude de pleine attention Peu importe du reste que la respiration soit longue ou courte Il suffit de faire corps avec ce mouvement de flux et reflux de se laisser aller en lui La respiration est particuli rement un bon support l attention car elle est un pur mouvement qu il n est pas possible de figer Une fois que nous avons expir nous inspirons Cela se fait tout seul Aucun effort ne nous est n cessaire Ce mouvement nous apprend que la pr sence ne peut tre saisie Impossible de s y installer Le souffle va et vient En d veloppant ainsi une attention la respiration le pratiquant synchronise progressivement son esprit et son Corps L esprit Tout m ditant rencontre deux obstacles principaux l agitation l esprit est trop tendu et la torpeur l esprit est trop rel ch Au lieu de rester pr sent en lui m me l esprit s absente ou se trouble Il devient vague pouvant m me glisser vers un tat l thargique et c
24. finalit s la m ditation en voici quelques unes un peu plus cons quentes qu tre zen et moins stress Elles sont en v rit non des buts qu il faut atteindre mais autant de d ploiements de notre propre humanit 1 tre pr sent Nous passons la plupart de notre existence vivre c t de nous sans vraiment appr cier ce que nous avons La multiplication de ce que l on nomme les moyens de communication le fait d tre connect en permanence le r gne de l urgence qui en d coule ne font que renforcer cette agitation perp tuelle Le premier fruit de la pratique est d tre pleinement l o nous sommes de ne plus vivre dans sa t te comme on le dit couramment et par l d arr ter cette fr n sie aveugle Un m ditant aguerri apporte une pr cision particuli re toutes ses actions quotidiennes et apprend ainsi mieux appr cier la r alit Dans cette perspective la m ditation n est pas une activit sp ciale Elle consiste simplement tre pr sent tout ce qui advient 2 Un entra nement pour se lib rer de nos sch mas habituels il est possible de changer La m ditation nous fait d couvrir qu il est possible d entra ner notre esprit et notre c ur Trop souvent notre esprit est emport par des sch mas habituels nous voici pris par la comp tition l avidit l orgueil l angoisse le sentiment de ne pas tre la hauteur la frustration ou l
25. l encontre de ces pseudo questions qui se propageant de g n ration en g n ration viennent souvent prendre leurs aises titre de probl mes 18 Cette invitation faire droit l exp rience avant toute doctrine conduit renoncer un usage inv rifi de connaissances ainsi qu faire peser dans la balance l autorit des grands penseurs Si plusieurs auteurs dont Francisco Varela ont cherch s appuyer sur la lecture d Husserl pour penser la m ditation dans son ampleur 1l faut mon sens se tourner vers Heidegger pour deux raisons d cisives D une part Heidegger pense la ph nom nologie hors de la sph re th or tique Heidegger place le fait d tre au monde au c ur de ce qui fait d sormais question prenant un d cisif recul par rapport aux pr suppos s de la tradition m taphysique occidentale et au premier chef de ce primat du th or tique dont Husserl reste prisonnier 19 Heidegger voque la sph re a th or tique ou pr th or tique non comme quelque chose d inf rieur ou de pr alable au th or tique mais comme ce qui ouvre un rapport imm diat au monde Une chaise c est l o l on peut s asseoir et non un syst me d esquisse ce syst me construit par Husserl dans d es directrices pour une ph nom nologie Ideen I 1913 pour rendre raison d un acte perceptif Heidegger est en ce sens le premier penseur de la quotidiennet ouvrant comme le sou
26. me et encore moi de ses illusions et de ses r ves En ce sens la vie spirituelle n est nullement une fuite devant les r alit s de la souffrance mais l effort courageux pour les reconna tre les comprendre et dessiner un chemin qui puisse y faire face II La m ditation dans les grandes traditions spirituelles de l humanit La pratique de la m ditation comprise dans cette derni re acception peut aider comprendre les religions en permettant de retrouver la dimension spirituelle qui les anime ou qui les a anim es Ce fut d embl e l intuition de Ch gyam Trungpa la m ditation crit il ne consiste pas seulement ne rien faire mais aussi faire rayonner son ouverture au monde Les traditions contemplatives juda ques et chr tiennes notamment la tradition juive du hassidisme et celle de la pri re du c ur des chr tiens orthodoxes semblent tre le terrain permettant d unir les philosophies occidentales et orientales Il ne s agit pas au fond de dogme c est une question de c ur voil o r side le terrain 3 Et en effet c est dans la rencontre entre pratiquants de diverses religions particuli rement moines chr tiens et moines bouddhistes qu ont lieu les changes les plus profonds et f conds Certes la religion dans son visage le plus cl rical s est oppos e et s oppose toute forme de m ditation Et nous avons ici une ligne de tension qui traverse tou
27. n h site donc pas entre plusieurs choix C est en ce sens que Dogen voque l exp rience de non pens e ce qui ne signifie pas l absence voire le d ni de la pens e Dogen insiste la m ditation n est ni penser ni ne pas penser elle est le non pens Ce point est souvent mal compris car on veut r duire le non pens au fait de ne pas penser C est une profonde erreur La non pens e est la pens e non produite non fabriqu e qui ne d pend d aucune conception ou jugement mais aucunement un tat l thargique Le Shobogenzo est aujourd hui l une des uvres les plus comment es au del du cercle des personnes tudiant le bouddhisme Or trangement elle a longtemps t ignor e m me parmi les moines S t entre 1400 et 1700 Il n y a pas de commentaires du Shobogenzo cette poque et si certains de ces crits taient recopi s ils l taient par une toute petite minorit de moines de l cole S t C est au d but du XXesi cle que se situe la v ritable red couverte de cet ouvrage et au premier chef gr ce Watsu i Tetsuro 1889 1960 Il fut l un de ces penseurs japonais qui d cida d apprendre la philosophie occidentale Il se sp cialisa dans l tude de l uvre de Nietzsche et de Kierkegaard qu il contribua introduire dans son pays avant d aller tudier aupr s de Heidegger Cherchant si la culture japonaise avait un penseur de l envergure des phi
28. nos ordinateurs et marqu s par une longue histoire qui a d chir le corps et l esprit consid rant le premier comme inf rieur et mat riel et le second comme sup rieur et spirituel Or ce cadre emp che toute possibilit de comprendre la m ditation Nous croyons parfois que le sens du chemin serait de nous lib rer du corps mais ce dont nous avons besoin est de nous lib rer du mental C est lui et non le corps qui nous encombre et nous entrave Le corps est cet ancrage qui permet de cesser de se perdre dans le souvenir ou dans l avenir pour se rassembler dans le pr sent Lorsque la pr sence au corps s intensifie le m ditant prend conscience des tensions qui le coupent ordinairement de son exp rience imm diate ce qui lui permet de les rel cher et par l de retrouver son int grit 2 Le chemin ne consiste donc nullement mieux utiliser son corps en avoir meilleur usage comme nous y invite la conception habituelle du sport mais de d couvrir comment en tant notre corps nous sommes pleinement pr sents 3 IV La bienveillance aimante La transmission de la m ditation a peu mis l accent sur la bienveillance les ma tres orientaux ne se doutant pas que l r siderait un des graves probl mes que nous allions rencontrer En effet la m ditation a trop souvent t comprise comme visant un plus grand contr le sur nous m mes ou encore comme visant nous faire entrer dans l veil con u de man
29. prendre les pens es qui vont et viennent pour r elles C est pourquoi leur d nomination d trang res est heureuse Il ne s agit pas de s en d barrasser mais d ouvrir un autre rapport elles en comprenant plus finement leur nature propre Si au moment o l homme prie une pens e mauvaise ou trang re na t dans son esprit elle vient l homme afin que celui ci la d livre et lui fasse prendre son essor 25 cette premi re diff rence entre la m ditation bouddhique et juive portant sur la place accord e l ampleur du monde spirituel s en ajoute une autre la m ditation juive est un art de l extase c est dire au sens propre de la sortie de soi Or la tradition bouddhique met moins directement l accent sur une telle exp rience Cependant cette diff rence n est pas aussi radicale qu il y para t au premier abord Car cette exp rience d extase n est pas une l vation d sincarn e un d laissement du monde mais implique au contraire d apprendre mieux y vivre Le sens si profond du geste et du rite et plus largement le souci d une sacralisation de tous les actes de la vie au premier chef de l umon conjugale en t moignent C est l le g nie du hassidisme qui a si profond ment branl toute sa vie le philosophe Martin Buber soucieux de r alisation concr te et se m fiant d une religion rabbinique et rationaliste p trifi e dans ses institutions Ces de
30. puret d velopp e pendant la retraite est partag e avec tous les tres 5 IV Le tchan et le zen Lun des plus importants ph nom nes de l histoire du bouddhisme est son implantation en Chine 6 De cette implantation sont n es quatre grandes coles le huayan le tienta le jingtu et enfin le tchan C est dans le tchan que la m ditation a t le plus amplement repens e et pour preuve ce mot vient de l indien dhyana qui est un autre nom sanscrit d signant la m ditation 1 Bodhidharma et l esprit originel Le tchan est n vers la fin du Vesi cle par l entremise de Bodhidharma sans doute un moine indien Son enseignement aurait consist abandonner toutes les critures et tous les efforts intellectuels pour revenir simplement la simplicit de la m ditation selon la c l bre formule Une transmission directe en dehors des critures ne pas tre assujetti aux textes r v ler directement chaque homme son esprit originel contempler son propre esprit et r aliser la bouddh it Ce sera l un des principes de base du tchan la compr hension de la m ditation ne peut pas faire l objet d une tude intellectuelle elle ne peut pas tre communiqu e Elle doit tre prouv e de mani re directe par notre tre tout entier pens e et sentiment corps et esprit Et cette preuve a lieu dans la rencontre avec un ma tre qui vite ainsi tout assujettissement Il faut cepen
31. sans le reje ter sans l valuer Apprends d abord tre 3 R pondre la crise du savoir La m ditation est aussi venue r pondre la crise de la transmission qui signe notre temps De fa on remarquable les grands introducteurs de la m ditation en Occident Taisen Deshimaru 1914 1982 Shunryu Suzuki 1904 1971 ou Ch gyam Trungpa 1939 1987 ont insist sur l importance fondamentale de la pratique pour entrer dans un rapport de connaissance plus directe et vivante au monde Leur message d tonna et frappa nombre de jeunes gens qui sortis de leurs coles et universit s se sentaient priv s d une v ritable connaissance diff rente des simples informations r p ter Ils d couvraient aupr s de ces hommes venus d Orient un autre rapport la v rit qui ne passe pas par l apprentissage de connaissances livresques mais par une pratique tr s simple et directe Shunryu Suzuki ne cessait de mettre ses tudiants en garde contre la connaissance intellectuelle invitant par la pratique ce que Taisen Deshimaru nommait une pens e du corps 5 Il tait possible de surmonter les oppositions entre la th orie et la pratique le corps et l esprit le savoir et la vie 4 Redonner droit l exp rience propre chacun Walter Benjamin dans un texte qui a fait date souligne que le cours de l exp rience a chut au long du XXesi cle et plus particuli rement partir de l une des plus
32. transformation personnelle et spirituelle La Table ronde 2003 p 17 Il faut souligner 1c1 le r le que joua le Journal of Transpersonal Psychology qui fond en 1969 s ouvrit l exploration de la m ditation dans une perspective psychoth rapeutique 5 Eugene Gendlin Focusing au centre de soi une porte ouverte sur le langage du corps Pocket 2010 Bernadette Blin et Brigitte Chavas Manuel de psychoth rapie transpersonnelle Inter ditions 2012 6 Jacques Lacan Acte de fondation in Autres crits Le Seuil 2001 p 237 71 Jacques Lacan Le S minaire Livre X L angoisse 2004 p 257 8 Michel Cazenave Jung revisit IT Entrelacs 2012 p 111 9 Carl Gustav Jung Ma vie souvenirs r ves et pens es Gallimard 1966 10 http www association mindfulness org mbcet php Zindel V Segal J Mark G Williams John D Teasdale La Th rapie cognitive bas e sur la pleine conscience pour la d pression une nouvelle approche pour pr venir la rechute Bruxelles De Boeck 2006 11 Jon Kabat Zinn L veil des sens vivre l instant pr sent gr ce la pleine conscience Les Ar nes 2009 p 29 12 Henri Matisse crits et Propos sur l art Hermann 1972 p 167 131 Voir Fabrice Midal Comprendre l art moderne Pocket coll Agora 2010 141 Voir Arthur C Danto Upper West Side Buddhism in Buddha Mind in Contemporary Art Jacquelynn Baas ed Universtiy of California Press
33. une ouverture pleine d gard au monde 1 Le coup de g nie du Bouddha r side dans cette d couverte La m ditation de shamatha n est pas purement bouddhique elle existait avant lui et se retrouve sous des formes diverses dans presque toutes les civilisations Le Bouddha a montr que shamatha permet au mieux de demeurer heureux en cette existence Elle n octroie aucune r alisation sagesse ou clart Seul vipashyana le permet En ce sens comme l expose Ch gyam Trungpa la m ditation est une fa on de nous d masquer de nous d pouiller de toutes nos illusions et c est aussi une fa on de mettre au jour les subtilit s de l intelligence qui existe en nous 2 et nullement de nous donner une sorte de calme ou de d tente qui ne peut tre au mieux qu une tape 2 Un chemin progressif de l un l autre ou un accord plus fondamental Selon les coles et plus encore les lign es et les ma tres ces deux modalit s de la pratique sont pr sent es soit comme tant progressives on commence par demeurer paisiblement dans la grande tranquillit pour ensuite rencontrer la clart soit comme tant ins parables C est alors leur harmonie que travaille d embl e le pratiquant 3 Articuler ces deux pratiques est la question la plus importante II Le theravada et les moines de la for t Essayons pr sent d analyser quelques unes des grandes approches de la pratique de la m
34. vise nous apprendre dire non quand il le faut 5 La bont primordiale et l entente du mal Nous posant dans le pr sent nous d couvrons la bont du c ur humain Il ne s agit pas d une croyance ou d une conviction mais d une exp rience que chacun peut faire Notre c ur est tendre Nous sommes sensibles la douleur du monde C est souvent l une des d couvertes que les pratiquants font lors d une retraite cons quente La m ditation les rend bien plus ouverts et sensibles la r alit aux liens qui les relient aux autres et au monde Cependant cette ouverture de notre c ur n est pas une exp rience confortable La bont n a rien voir avec les images douce tres auxquelles elle est assimil e C est pourquoi la m ditation est essentielle elle permet de reconna tre la blessure de notre propre c ur et de la soutenir Nous pouvons par cette preuve mieux comprendre le sens du mal qui est le refus d lib r qui nous menace tous de l insoutenable fragilit de l tre 6 Ne plus avoir peur Nous avons tendance vouloir fuir toutes les exp riences qui ne sont pas confortables l ins curit le sentiment d tre inad quat une sorte de peur latente Nombre de nos activit s engagements et d cisions loin de reposer sur un choix conscient reposent en v rit sur une fuite aveugle sans que nous nous en rendions toujours compte Nous nous garons dans maintes formes de div
35. wou tchou cet interstice entre le moment o une pens e s teint et celui o une autre para t Cette absence de toute saisie ne doit cependant pas donner naissance un attachement au vide que d nonce aussi Hui Neng C est une erreur redoutable Nombre de pratiquants encore aujourd hui sont fascin s et m me aveugl s par leur conception de la vacuit Mais comme le souligne Hui Neng Quand vous m entendez parler du vide je vous prie de ne pas vous attacher au terme vide Il est essentiel de ne pas s attacher au vide car si vous vous asseyez en m ditation l esprit vide vous tomberez dans une morne apathie Et en effet le vide n est pas une doctrine mais l exp rience ouverte o il n y a plus quelqu un qui regarde quelque chose 7 Bhavanakrama Les tapes de la m ditation de Kamalashila 713 763 Kamalashila fut l un des grands ma tres du bouddhisme indien des VIIIe IXesi cles Il se rendit au Tibet et composa trois trait s r unis sous le titre Les tapes de la m ditation Bhavanakrama Cet ouvrage est un expos tr s coh rent du calme continu de l esprit shamatha et de la vision p n trante vipashyana Cet ouvrage court mais d une extr me densit est le socle de la transmission de la m ditation pour toutes les coles du monde tib tain A Les six obstacles et les huit antidotes L auteur d finit la pratique de shamatha comme ce qui donne naissance un tat d es
36. 2004 Kay Larson Where The Heart Beats John Cage Zen Buddhism and The Inner Lives of Artists New York Penguin 2012 15 Henri Matisse op cit p 128 16 Sogyal Rinpoch Le Livre tib tain de la vie et de la mort op cit chap V 17 Henri Matisse crits et Propos sur l art op cit p 50 181 Martin Heidegger tre et T emps trad Fran ois Vezin Gallimard 1986 191 Voir Fabrice Midal Quel bouddhisme pour l Occident Le Seuil 2006 Conf rences de Tokyo Martin Heidegger et la pens e bouddhique Le Cerf 2011 20 Pierre Jacerme La quotidiennet comme lieu de rencontre du bouddhisme et de la ph nom nologie in Les Cahiers bouddhiques n 3 Universit bouddhique europ enne 2006 p 119 21 Martin Heidegger Terre et ciel de H lderlin in Approche de H lderlin Gallimard p 208 221 Philippe Arjakovsky Fran ois F dier Hadrien France Lanord dir Dictionnaire Martin Heidegger vocabulaire polyphonique de sa pens e Le Cerf 2013 p 1145 Chapitre VI M ditation science et neuroscience I Une rencontre inattendue et fertile En 1979 eut lieu l Institut Naropa fond trois ans auparavant par Ch gyam Trungpa une rencontre r unissant 25 chercheurs connus d institutions nord am ricaines sous le titre Approches comparatives de la cognition l occidentale et la bouddhiste Il s agissait de confronter philosophes sciences cognitives neuro sciences
37. a discursivit En effet si claires que soient les raisons d aimer on n aime jamais que dans la nuit du discours 11 Ce qui fut attaqu dans ces doctrines et pratiques tait ce qu on a d nomm qui tisme Et aujourd hui encore ce terme est accept partout comme une critique l gitime l encontre de voies penseurs et courants Or personne ne fut ni n est qui tiste s enfermant dans un repos quies ferm sur lui m me et l thargique si ce n est peut tre les productions de l industrie de divertissement de masse Le qui tisme est une tiquette employ e par le parti intellectuel afin de d nigrer la dimension m ditative le pur amour et la libert humaine En v rit la dimension authentique de qui tude entendue comme le fait de se poser en silence traverse toute l histoire du christianisme o elle a re u les noms de divines t n bres nuage de l inconnaissance docte ignorance nuit de l esprit ce qui implique la d couverte d une autre dimension d action en nous que celle de la volont Comme l crit Henri Bremond 1855 1933 l auteur du monumental L Histoire litt raire du sentiment religieux en France sa condamnation signe l oubli occidental de la dimension profond ment spirituelle qui le constituait 6 Quelques autres visages de m ditation chr tienne Dans le monde occidental les diverses pratiques de m ditation ayant t
38. a est un monument une sorte de pr sentation compl te de la voie m ditative que reprendra son compte le theravada huit si cles plus tard Son auteur Buddhaghosa est n au Vesi cle dans une famille de brahmanes dans la r gion de Bodh Gaya l o le Bouddha a atteint l veil D abord duqu dans le cadre de la pens e brahmanique il tudia les Vedas les grands textes de la tradition indienne la grammaire et les autres savoirs d volus sa caste Il devint assez jeune un contradicteur renomm et voyagea travers PPE pour participer aux nombreux d bats qui opposaient les tenants de diff rents courants de pens e C est lors d une de ces disputes qu il rencontra le moine bouddhiste Revata Ce dernier l emporta sur lui en d montrant la sup riorit de la pens e d ploy e dans l abhidharma Tr s impressionn Buddhaghosa devint moine et se mit tudier la Voie Voulant poursuivre sa recherche 1l partit pour le Sri Lanka o nombre des commentaires anciens perdus par la tradition orale indienne avaient t mis par crit Mais lorsqu il y arriva et qu il demanda aux v n rables du Mahavihara d avoir acc s la biblioth que du monast re ceux ci voulant juger le s rieux de ce moine indien lui demand rent de commenter des phrases tir es des sutta pali En guise de r ponse Buddhaghosa composa dit on le Visuddhimagga L e Visuddhimagga constitue le manuel parfait du bon m ditant Il expose
39. actement ne plus rien consid rer partir de l tre mais toujours partir d autres choses et au premier chef le besoin de domination Or au lieu de participer cette volont de tout contr ler la m ditation nous apprend nous en d prendre r pondant ainsi l appel de Nietzsche de Bergson ou de Husserl En effet m diter c est revenir dans le pr sent vivant en s inscrivant dans un corps et une me et redonner ainsi droit l tre comme ce qui est irr ductible du calculable mais doit tre prouv dans lici et maintenant Le ph nom ne est d autant plus d cisif que les notions m mes de sens et de valeur avec ses d riv s valoriser valuer valuation qui sont cens es nous permettre de surmonter le nihilisme ne font en r alit que le perp tuer Toute valeur implique une chelle de valeurs une institution des valeurs dont le fondement n est en aucun cas une pens e vivante qui regarde en direction des choses comme elles sont mais une id ologie o la question de la v rit n a plus aucune place L o il y a valeur nous sommes au plus loin de l exp rience des choses sans rapport r el quoi que ce soit Or justement dans la m ditation je n value plus je rencontre ce qui est partir de lui m me C est l m me l instruction de base regarde ce qui advient dans ton exp rience exactement tel qu il se manifeste sans l accepter
40. ages de vulgarisation du bouddhisme explique qu il existe deux courants principaux le theravada d velopp dans l Asie du Sud Est o la perspective est la paix individuelle et le mahayana o le pratiquant s emploie la lib ration de tous les tres Mais cette distinction est par trop sommaire et du coup nous gare La pratique de l amour bienveillant loin d tre une pratique li e au seul mahayana joue un r le crucial au sein du theravada et t moigne qu il n existe pas de m ditation qui ne se d ploie pas en pure bont Le ph nom ne est tout simple en pacifiant l esprit l amour se d ploie spontan ment en se posant dans l amour l esprit se pacifie et devient plus clair En ce sens la pratique de shamatha vipashyana est intrins quement li e celle de la bienveillance aimante La m ditation de la pr sence attentive est d j une pratique de bienveillance car lorsqu une pens e ou une motion de haine surgit dans notre esprit nous ne la condamnons pas nous n entrons pas en guerre contre elle Nous nous relions elle de fa on directe et claire Tel est le sens de la voie qu a d crite le Bouddha La haine ne s apaise jamais par la haine dans ce monde Elle est apais e par Pamour Cela est une loi ternelle Dhammapada stance 5 Les pratiques de l amour bienveillant pour leur part posent profond ment l esprit du pratiquant dans le moment pr sent Ma conviction jy
41. aler cette imm diatet le terme est souvent traduit en anglais par insight et en fran ais de mani re toutefois moins pr cise par intuition La mani re de pratiquer vipashyana diff re grandement selon les coles Dans le theravada comme dans certaines coles du bouddhisme au Tibet il s agit d une observation pr cise de divers facteurs qui constituent la nature m me de la r alit souffrance impermanence non 1dentit non fixation Dans d autres coles du bouddhisme vipashyana correspond au mouvement par lequel on rel che son attention pour laisser flotter une forme d ouverture vigilante Il s agit l d une capacit naturelle de l esprit humain celle qui nous permet par exemple de savoir que nous ne dormons pas Le m ditant tant capable de se poser pleinement shamatha il r alise qu il n a plus besoin de d velopper une attention soutenue cette derni re na t spontan ment en lui Cet l ment de reconnaissance d un tat naturel d attention est ce que l on appelle alors la vision p n trante vipashyana En langue anglaise le terme a t traduit de mani re magnifique par awareness une vigilance primordiale Le po te Georges Oppen qui joue sur l homophonie entre awareness et awe en pr sente une tr s belle description Je suppose que c est presque un sentiment de crainte sacr e awe de sentir simplement que la chose est l et qu il y a l sacr ment voir C est
42. am Trungpa Regard sur l abhidharma Toulon sur Arroux d Yiga Tcheu Dzinn 1981 15 Voir la pr sentation qu en propose Francisco Varela L Inscription corporelle de l esprit Le Seuil 1993 16 P Demi ville Le Concile de Lhassa Institut des hautes tudes chinoises 1987 17 Cit dans Le Trait de Bodhidharma traduit et comment par Bernard Faure Le Seuil 2000 p 60 trad modifi e 18 J Krishnamurti R ponses sur l ducation Stock 1982 191 Il existe de nombreuses traductions et commentaires de cette uvre Yoko Orimo travaille traduire l uvre compl te et a d j publi six volumes aux ditions Sully Vera Linhartova a traduit La Pr sence au monde Le promeneur Gallimard 1999 Janine Coursin Instruction au cuisinier zen Le promeneur Gallimard 1994 Corps et Esprit Le promeneur Gallimard 1998 Charles Vacher a traduit cinq volumes aux ditions Encre marine Parmi les analyses importantes de son uvre Pierre Nakimovitch Dogen et les Paradoxes de la bouddh it Droz 1999 ainsi que Hoang Thi Bich tude et traduction du Gakudoyojin Shu recueil de l application de l esprit l tude de la voie Droz 1973 201 D gen Sh b genz Zazenshin ou le c ur de la m ditation assise t I d Sully 2005 p 25 Le bouddhisme Mahayana qui met l accent sur l union de la vacuit et de la compassion consid re que les coles qui refusent cet enseignement du Bouddha constitue l
43. ance d une vidence non un effort Du coup pour Dogen la pratique n est pas seulement la m ditation assise mais toute activit faire la cuisine Dogen y consacre un ouvrage les Instructions au cuisinier zen balayer la cour servir le th couper du bois Dogen a ainsi radicalis la d couverte de l instant pr sent propre la m ditation chaque instant est instant de pl nitude et court circuite notre conception habituelle du temps L instant pr sent ne peut pas tre per u objectiv pens on ne peut qu y tre sans m diation Comme l crit Charles Vacher L 1l de la vision juste ne voit pas il illumine et embrasse tout le r el sans la moindre dualit C est l 1l qui est non plus vision mais la Lumi re elle m me 21 L o nombre de m ditants ont au cours de l histoire du bouddhisme mis d abord l accent sur la d couverte de la relativit de toute chose ou de l interd pendance pour favoriser un dessaisissement Dogen pense une instantan it qui d sar onne exp rience o l on voit le monde comme pour la premi re fois Cette entente de la m ditation d bouche sur une c l bration neuve d un tat spontan et naturel La conscience de soi nous dissocie je fais quelque chose et dans le m me temps je m admire me juge cherche me contr ler Entrer dans l instant pr sent doit nous permettre de d couvrir une sinc rit de l esprit non d chir et qui
44. ans mon ge avanc Lao Tseu est l exemple d un homme d une sagesse sup rieure qui a vu et fait l exp rience de la valeur et de la non valeur et qui la fin de sa vie souhaite s en retourner dans son tre propre dans le sens ternel inconnaissable 9 Jung rejoint ici tous les textes d crivant la m ditation comme l preuve d une absence de sens connaissable l abandon de toute position et de toute affirmation tranch e 4 Donner droit aux exp riences b n fiques et influencer pour le meilleur l esprit la psychologie positive La psychologie positive est n e du constat fait par Martin Seligman dans les ann es 1990 que la psychologie avait pris l habitude de se concentrer exclusivement sur la souffrance devenant ainsi une science de la gu rison Presque tous les articles scientifiques en psychologie qui taient alors publi s taient consacr s aux troubles comme l angoisse et la d pression L individu dans cette perspective est con u comme d pendant de conflits plus ou moins r solus li s son enfance d instincts malsains plus ou moins jugul s et de forces biologiques qu il ne contr le pas Se fondant sur des recherches pointues et des tudes pr cises qui vont donner aux intuitions de Seligman une solide assise la psychologie positive s est tourn e vers ce qui rend les gens plus panouis ce qui leur permet de mieux aimer et d tre aim Elle montre sur cette base comment c
45. arder m moire Notes 1 Natalie Depraz Francisco Varela Pierre Vermesch l preuve de l exp rience op cit p 292 2 Ibid p 14 3 Ch gyam Trungpa Le C ur du sujet op cit p 268 4 Voir Jacques Breton L Itin raire singulier d un pr tre catholique la travers e de l obscur L Harmattan 2011 5 Jean Paul H Entrez dans l esp rance Pocket 2003 p 141 sq Lettre de la Congr gation pour la doctrine de la foi http www vatican va roman curia congregations cfaith documents re con cfaith doc 19891015 _ m cristiana fr html 6 Voir Fabrice Midal l coute du ciel ce qui rapproche les religions et ce qui les s pare Albin Michel 2012 o j aborde en d tail cette question 7 Voir Michel Laroche La Voie du silence dans la tradition des P res du d sert Albin Michel 2010 Thomas Merton La Sagesse du d sert aphorismes des P res du d sert Albin Michel 1967 8 Daisetz Teitaro Suzuki Mysticism Christian and Buddhist Mineola NY Dover Publications 2002 9 Joseph Beaude Henri Bourgeois Marie Cariouet al Madame Guyon Grenoble J r me Millon 1997 p 75 10 Voir Fabrice Midal Existe t il un pur amour in Et si de l amour on ne savait rien Albin Michel 2010 11 Jean Duchesne d Henri Bremond Histoire litt raire du sentiment religieux en France Presses de la Renaissance 2008 p 826 12 Thomas Merton Mystique et Zen suivi de Journal d As
46. autre c t le travail th urgique propre au juda sme implique de d passer le moi moi m me et encore moi sans quoi elle ne serait qu une simple forme de magie que les textes d noncent Parmi les nombreux termes h breux qui t moignent de l exp rience m ditative celui de hitbod dout est particuli rement pr sent 22 Le mot signifie se retirer pour tre seul C est ainsi que le grand kabbaliste rabbi Ha m Vital 1543 1620 voque cette retraite en affirmant qu il faut se retirer hitbod d soi m me de ses pens es jusqu au degr ultime Les r cits hassidiques sont emplis de conseils pour aider chacun purer l esprit de toutes ing rences parasites 23 et ainsi parvenir une r alisation profonde C est l l importance de cette tradition qui a le g nie des conseils directs et concrets Les textes du fondateur du hassidisme le rabbi Baal Chem Tov insistent par exemple sur la n cessit de se d prendre des pens es trang res l heure de l tude et de la pri re il n y a pas de voile de s paration entre l homme et son dieu M me si de nombreuses pens es trang res surgissent en toi ce ne sont l que v tements et couvertures derri re lesquels se cache le Saint b ni soit Il et si tu sais cela alors ce qui le rendait invisible dispara t 24 Nous sommes ici devant une pens e tr s subtile et concr te qui permet de se relier son esprit et de ne pas
47. conviction des autres et ce en d pit de tout bon sens 6 Comment croire que les millions de bouddhistes depuis deux mille cinq cents ans se sont engag s vouloir devenir indiff rents La m ditation dans le cadre bouddhique repose sur des attentes et une perspective tout autres que celles qui animent le christianisme et chercher la lire partir d elles ne peut qu garer Mais cette premi re objection il faut en Joindre une autre plus d cisive portant sur le fond m me de cette critique faite la m ditation qui ne repose sur aucun l ment r el e La m ditation n est pas un exploit prom th en Elle est au contraire un geste d abandon et d ouverture tr s radical e Elle n est pas une plong e dans les profondeurs de notre int riorit psychique une exaltation du moi mais au contraire la reconnaissance de la dimension relationnelle de notre existence Dans la m ditation je d couvre que loin d tre le centre du monde j y suis d embl e reli et responsable C est l l une des premi res d couvertes de vipashyana sur laquelle insistent tous les textes de la tradition bouddhique e La m ditation ne vise en aucun cas atteindre des tats modifi s de conscience qui sont d crits comme des pi ges mais mieux voir la r alit telle qu elle est et mieux aimer tous les tres Remarquons enfin que cette critique n est pas r cente ni m me exclusivement li e la m dita
48. core travers la conception que j en ai Je ne le rencontre pas C est en ce sens que Rimbaud peut voquer de mani re si lumineuse la n cessit d un long immense et raisonn d r glement de tous les sens par lequel le po te se fait voyant Or voil exactement l o se retrouvent l art et la m ditation nous rendre voyant c est dire rendre la sensibilit son pouvoir d imagination Je ne suis plus s par de l arbre il commence me regarder lui aussi C est pourquoi l artiste qui peint un arbre n en repr sente pas l image mais laisse l esprit de l arbre maner du pinceau C est ce que d couvre par exemple Matisse On ma racont que les professeurs chinois disaient leurs l ves Quand vous dessinez un arbre ayez la sensation de monter avec lui quand vous commencez par le bas 12 2 En Orient La m ditation particuli rement en Chine en Cor e puis au Japon a donn naissance un ensemble de traditions artistiques po mes dont les c l bres ha kus arrangements floraux ikebana calligraphies jardins Ce ph nom ne nous surprend pour deux raisons D une part on n y retrouve pas la hi rarchie des genres propre la culture occidentale Faire un arrangement de fleurs offrir une tasse de th faire une peinture crire un po me sont consid r s comme des gestes identiques et demandent la m me asc se m ditative L art n y est en aucune mani
49. d tre Il ne s agit nullement d un effort corporel comme nous le pensons spontan ment pris bien malgr nous dans les rets de la m taphysique mais d une pr sence qui d embl e nous accorde au monde Rien en effet dans l exp rience ne se montre comme ce corps m canique que nous avons fabriqu l aide de repr sentations Mais faute de nous accorder ce ph nom ne il nous chappe et la m ditation appara t comme un exercice La posture se d ploie d abord en s asseyant sur la terre qui est la solidit m me qui nous porte C est pourquoi il ne s agit pas dans la m ditation de maintenir notre posture co te que co te mais de garder l intimit de notre rapport la terre comme si la terre elle m me nous octroyait la tenue et au premier chef parce qu elle est celle qui nous abrite partir de la terre nous pouvons nous riger vers le ciel Car en effet la terre n est terre que comme terre du ciel qui n est lui m me ciel qu en uvrant vers le bas sur la terre 21 M diter c est permettre ce dialogue dans l exp rience chaque fois nouvelle propre chacun L attention la respiration Pr tant attention au souffle et par l au moment pr sent j en prends garde Autrement dit m diter c est recueillir le souffle partir de lui m me sans le d figurer par une saisie quel conque sans l objectiver L ici et maintenant En Occident l ici et main
50. dant nuancer cette approche car les textes attribu s Bodhidharma sont fortement influenc s par le Lankavatarasutra Le sutra de la descente Lanka qu il cite abondamment et qui a servi ensuite de socle l enseignement de nombre de ma tres de la tradition du tchan En ce sens le tchan tient une position paradoxale pourfendre l intellectualisme mais en donnant naissance un travail intense de la pens e notamment par l tude de quelques textes majeurs de la tradition Le tchan est travaill par un autre conflit entre deux attitudes qui ne sont peut tre pas aussi antipodiques qu il n y para t Faut il trancher toute affirmation toute conception pour permettre la m ditation d tre absolument libre de toute saisie madkyamata Ou faut il s appuyer sur l ouverture vivante et chaleureuse que l on d couvre une fois le voile des motions touffantes et des fausses notions dissip yogacana Faut il que la m ditation soit un geste d annihilation radicale ou de d couverte directe de la nature du c ur Ce conflit travaille non seulement le tchan expliquant la c l bre distinction entre coles du Nord et coles du Sud mais aussi une grande partie des coles de m ditation d Asie 7 2 L homme ordinaire Alors qu en Inde l id al du m ditant est d crit comme une sorte de surhomme poss dant une parfaite ma trise gale voire sup rieure aux dieux dans le tchan il est l homme tout fa
51. de la m ditation de pouvoir penser plus avant notre monde et donc aussi bien l conomie la politique la po sie que les relations internationales La m ditation doit nous permettre de donner naissance une pens e autre II Pr cision et compr hension Pour examiner les d fis que rencontre la pr sentation de la m ditation dans le monde moderne nous pouvons pr sent nous tourner vers une histoire longue d un peu plus de cinquante ans Il faut partir de cet examen avoir le courage de se demander ce qui concr tement a port ses fruits mais aussi pourquoi tant de pratiquants ont le sentiment d avoir perdu le chemin de s tre embourb s en cours de route De nombreux t moins et enseignants particuli rement aux tats Unis s engagent dans cette voie crivant une nouvelle page de l histoire de la m ditation Le premier constat est qu il est impossible de transmettre aujourd hui la pratique de la m ditation comme cela tait autrefois l usage en Orient Dans les premi res ann es la plupart des enseignants orientaux ont tent de transmettre la m ditation en Occident de cette mani re en donnant des instructions minimales On demandait aux tudiants de s asseoir et le reste viendrait Mais il n est pas souvent venu Il faut comprendre ici qu il existe une diff rence radicale de conception de l ducation La tradition orientale se transmet au premier chef par l exemple Un ma tre
52. de promouvoir la perspective de Heshang et furent pour cette raison condamn es par de nombreux ma tres Au Japon ce conflit se retrouve dans l opposition entre Dahui Zongkao de la lign e Rinza qui s opposa au zen S t la qualifiant de zen erron de l illumination silencieuse En condamnant ainsi le zen S t Dahui Zongkao voulait faire pr valoir la pratique des koans pour construire un chemin coh rent et progressif Ce fut l occasion pour Hongzhi 1091 1157 de d fendre le recueillement de l veil silencieux dans son po me Chant sur le silence et la clart et par l de revitaliser l cole S t en chinois caodong Il n est cependant pas certain qu il faille opposer de fa on trop crisp e ces deux approches Elles ont chacune leur raison d tre l une vitant que l autre ne se referme La voie abrupte vite de faire de la m ditation une sorte de gymnastique et la voie progressive permet d viter un discours trop tranch qui nie la n cessit de transitions et d une assiduit sans finalit dans la discipline Krishnamurti L analyse de Krishnamurti 1895 1986 si f roce contre les pr sentations courantes de la m ditation l id e de cheminement de ma tre et de conseils se comprend mieux si l on se souvient du sens de ce conflit Il se situe de mani re tr s radicale certains pourraient m me dire crisp e du c t de la perspective subitiste La compr h
53. der son exp rience telle qu elle est D autre part la m ditation appara t comme un judicieux examen de l esprit humain En se posant dans le pr sent le m ditant donne naissance un esprit plus clair m me de discerner l origine de ses pens es sensations et motions et de comprendre sa psych Il cesse de vivre avec lui comme un tranger 3 A chappatoire spirituelle Les psychologues ont cependant forts de leur exp rience clinique per u un danger la pratique de la m ditation Si elle est pr sent e comme une voie visant au calme mental l apport th rapeutique est manqu et elle risque alors de devenir une simple chappatoire spirituelle On se r fugie dans une exp rience artificielle de paix pour fuir les difficult s du quotidien les angoisses profondes les tensions inh rentes toute relation au lieu pr cis ment de nous y confronter Il importe de pr senter la m ditation de mani re rigoureuse et honn te pour viter cette grave d formation La m ditation ne doit pas nous emp cher de rencontrer le chaos et la douleur mais nous aider nous y relier avec courage et pr sence B Int gration de la m ditation et de la psychoth rapie En s engageant dans la pratique de nombreux th rapeutes ont aussi compris le danger inh rent la psychologie s enfermer dans la perspective d tablir un diagnostic laborer des proc dures donner des rem des en oubliant la relat
54. ditation qui pr sentent toute une interpr tation de l union de shamatha et vipashyana L approche d velopp e dans le theravada est surtout l apanage des moines dits de la for t parce qu ils vivent de mani re frugale en petites communaut s en dehors des villes L accent est mis sur une attention scrupuleuse accompagn e d un examen pr cis des divers ph nom nes mentaux pour en s en d tachant remonter la racine m me de l esprit La m ditation implique donc de nettoyer la pens e des irritants psychiques fkilesa tels que la convoitise la haine et la jalousie pour acc der un plan de tranquillit et de claire perception 4 Pour se garder des diversions le m ditant garde les portes des sens 1l observe avec circonspection sa relation avec le per u afin qu il ne d clenche pas les r actions habituelles de d sir d aversion ou de haine En effet comme le constate le pratiquant engag en un tel chemin attraction aversion et aveuglement se tiennent embusqu s dans la vision l odorat et les autres sens faisant ainsi na tre des tats douloureux Un esprit non gard par l attention s il entre en contact avec un objet d sagr able sera tout naturellement envahi par l aversion Il en sera agit prononcera des paroles dures voire agira avec violence Le m ditant est donc invit contr ler les sens se tenir sur ses gardes Pour cette raison durant les retraites le
55. e petit v hicule o l accent n est mis que sur la lib ration individuelle et non le souci de d livrer tous les tres des tourments de la souffrance 21 Charles Vacher in Dogen Shogobogenzo in mo a Encre marine 2005 p 20 22 Une dition de cet ouvrage comment e par Steve Bein existe en anglais Purifying Zen Honolulu University of Hawa1 1 Press 2011 23 Ch gyam Trungpa Shambhala la voie sacr du guerrier Le Seuil 1990 Fabrice Midal La Voie du Chevalier Payot 2009 241 Voir Sakyong Mipham Turning The Mind Into An Ally New York City Riverhead 2004 Chapitre IV Le malentendu de la pr sentation de la m ditation comme outil de bien tre ou comment pr senter la m ditation au grand public sans le tromper Pendant plusieurs d cennies la pratique de la m ditation fut pr sent e tort comme une forme d vasion permettant de se tenir l cart de la soci t voire de la rejeter Ce fut le temps du New Age de la fascination pour l aust rit du zen ou pour le mysticisme tib tain autant de fa ons de manquer ce que l on cherchait pourtant d couvrir Aujourd hui le principal malentendu consiste vouloir faire de la m ditation un outil de bien tre valid par des recherches scientifiques qui permettrait tout un chacun d tre sans trop d efforts moins stress Cette pr sentation qui semble convaincante est en r alit profond ment trompeuse et dangere
56. e Le mot vient du latin meditari d riv de mederi qui signifie prendre soin et que l on retrouve dans notre mot m decin Or dans la m ditation telle que l entend la tradition bouddhique il s agit bien de prendre soin Comment Par un souci d attention Le mouvement de la m ditation repose sur le constat que au moment o Je porte attention une exp rience ou un ph nom ne il est pris en garde recueilli Si je suis attentif ce que quelqu un me dit j abrite dans mon coute ce qui est dit J en prends soin Alors qu au contraire si je ne suis pas attentif les propos prononc s sont vite oubli s En outre le terme m ditation contient dans son tymologie un l ment d attention On retrouve en effet la racine med dans le mot m duse cette cr ature qui fascine ce point l attention qu elle p trifie Si l on tudie plus avant la racine med son usage pour d signer le ph nom ne propre de la m ditation semble d autant mieux appropri Car de fa on tr s frappante elle est distincte de la racine men qui d signe l activit mentale ou la r flexion et n a donc pas le sens de penser mais renvoie comme nous venons de le voir au soin et de mani re plus originaire encore la mesure Non videmment au sens de ce qui est mesur m triquement mais au sens plus existentiel de prendre pleinement la mesure se mettre directement en rapport la mani r
57. e dont les choses sont Lorsque quelqu un dit en effet je prends la mesure de tes propos il signifie bien qu il entre pleinement en rapport ce qui est dit Tel est le c ur du mouvement de la m ditation On retrouve justement cette racine med dans notre mot mode c est dire la mani re d tre M diter c est se disposer de telle sorte que nous trouvions la juste mani re d tre par le soin que porte l attention juste Comment cette exp rience m ditative est elle nomm e dans les langues bouddhiques En sanscrit elle se nomme bhavana Le terme est usit dans le langage de l agriculture pour d signer le fait de cultiver la terre Il d signe par extension la culture de l esprit c est dire lib rer celui ci de ses impuret s et de ce qui le trouble Mais essayons d aller plus loin Bhava est un nom possible de l tre que l on retrouve par exemple dans l anglais to be tre et dans allemand ich bin je suis Il d signe le sens de l tre lorsqu il se d ploie en existence Bhava ne d signe pas un simple tat mais cette activit tout fait singuli re qu on appelle exister ou m me vivre Certains sanscritistes tablissent un rapport tymologique possible entre le grec bios vie et le sanscrit bhava M diter compris partir de bhavana signifie habiter pleinement sa vie cr er un lien de familiarisation avec son tre cultiver son existence Il existe en
58. e ni par un acte de foi ni par l absorption de m dicaments mais par une analyse subtile de l esprit humain qui leur est apparue pr senter de nombreux points de rencontre avec la psychologie Ils ont consid r que la m ditation pourrait enrichir leur propre travail et rencontrer si ce n est m me orienter l tablissement d une nouvelle psychologie dont notre monde besoin 1 C est ainsi que Jung explique dans une lettre de septembre 1933 au penseur japonais Daisetz Teitaro Suzuki 1870 1966 que la philosophie tant devenue trang re la vie ceux qui veulent s occuper de l me humaine doivent inventer leurs propres outils et pr cise son propre parcours ma connaissance des uvres classiques de l Extr me Orient ma norm ment aid dans mes travaux psychologiques 2 1 Prendre soin de soi explorer ses motions chercher un apaisement la psychologie Deux caract ristiques ont plus particuli rement marqu les psychologues et psychoth rapeutes qui se sont pench s sur la m ditation D une part comme la psychologie la m ditation explore l esprit humain avec ses peurs angoisses motions sans avoir leur gard de jugement M ditation et psychologie se rejoignent ici en invitant ne pas critiquer ce que nous prouvons selon des normes sociales ou morales mais d abord les examiner telles qu elles sont Au lieu de se r f rer un syst me de croyances chacun est amen regar
59. e outil de d veloppement personnel parmi tant d autres Faut il nier ou affirmer la dimension spirituelle de la m ditation Que signifie garder un lien la tradition bouddhique S agit 1l de conserver la dimension religieuse avec ses rites et ses croyances avec son organisation cl ricale ou encore pr server un rapport des textes nombreux qui d crivent et analysent la pratique de la m ditation avec une finesse sans gale Avant de r pondre ces questions 1l faut comprendre que la m ditation que nous connaissons aujourd hui si elle est un ph nom ne tr s ancien est aussi le fruit d un ensemble d analyses de d cisions et de r flexions de quelques ma tres orientaux d exception et de deux g n rations d Occidentaux passionn s II Le terme de m ditation Le choix du mot m ditation dans les langues occidentales est premi re vue d concertant Il fait d embl e penser un exercice intellectuel ou mieux philosophique comme en t moignent les c l bres M ditations de Descartes Or la m ditation dont il est ici question n est pas du tout une r flexion sur un th me donn mais un exercice d lib r d attention ce qui se passe moment apr s moment dans le pr sent vivant sans aucune attente ou conception Il s agit simplement de s ouvrir ce qui est en le laissant tre tel qu il est trangement l tymologie du terme m ditation fait cho cette exp rienc
60. e sont pas fond es dissimulant un projet qui tient au premier chef du marketing et de la conqu te de parts de march Il existe enfin une approche spirituelle de la m ditation Elle consid re qu il serait irrationnel de se priver de la connaissance accumul e par ces traditions qui pratiquent une observation ph nom nologique en acte pour reprendre l analyse de Francisco Varela 1 Elle cherche lire les grands textes de la tradition non comme des documents religieux mais comme pouvant expliciter l exp rience m ditative Cet effort de lecture la conduit souvent penser rationnellement la m ditation afin de mieux la comprendre et la transmettre Le terme de spiritualit pr te cependant malentendu et demande tre pr cis tant il est associ tout un en semble de connotations floues irrationnelles et confuses Dans l esprit du grand public l id e de spiritualit est en effet associ e une sortie du monde mat riel et tient d une forme de sagesse de r ve ou encore de paix th r e Le contresens est complet Car on croit alors que la spiritualit vise l expansion de notre moi en le lib rant des contingences ordinaires voire de la mort C est l une vision na ve visant se prot ger des atteintes de la vie sous son aspect cru brut et impr visible 2 En v rit le sens authentique de la spiritualit vise d livrer l tre humain de l emprise du moi moi m
61. effroyables exp riences de l histoire universelle la guerre de 1914 1918 Les gens explique t il sont revenus muets des champs de bataille Non pas plus riches mais plus pauvres en exp rience communicable Jamais exp riences acquises n ont t aussi radicalement d menties que l exp rience strat gique par la guerre de position l exp rience conomique par l inflation l exp rience corporelle par l preuve de la faim l exp rience morale par les man uvres des gouvernants Nous nous cachons derri re des id es toute faites quand nous ne nous abritons pas dans des r ves Notre h ros explique Benjamin c est Mickey Mouse Or en perdant ainsi le sens de l exp rience nous avons sacrifi bout apr s bout le patrimoine de l humanit souvent pour un centi me de sa valeur nous avons d le mettre en d p t au mont de pi t pour recevoir en change la petite monnaie de l actuel 6 Sacrifiant le sens de l exp rience nous avons aussi cart ce dont il faut garder m moire nous condamnant l actuel d embl e d mod par la nouveaut Terrible situation impossible de revenir aux temps anciens mais impossible aussi d accepter la violence de l actuel par d finition amn sique et sans grandeur Or de fa on d cisive la m ditation r pond cette perte qu analyse Benjamin Sans aucune nostalgie elle nous invite nous ancrer dans l ici et mainte nant qu
62. egger On ne conna t l agir que comme la production d un effet dont la r alit est appr ci e suivant l utilit qu il offre La Lettre sur l humanisme in Question II Gallimard 1966 p 27 10 Nyanaponika Thera Safipatthana le c ur de la m ditation bouddhiste l art de cultiver l harmonie et l quilibre de l esprit Jean Maisonneuve 1994 voir aussi Thich Nhat Hanh Transformation et gu rison le Soutra des quatre tablissements de l attention Albin Michel 1997 Bhante Gunaratana The Four Foundations of Mindfulness in Plain English Somerville MA tats Unis Wisdom Publications 2012 Bhikkhu Alalayo Satipatthana The Direct Path to Realization Cambridge Windhorse Publications 1994 Venerable U Silananda The Four Fondations of Mindfulness Somerville MA tats Unis Wisdom Publications 2002 11 Voir par exemple l tonnante lecture qu en propose Ch gyam Trungpa Les quatre fondements de l attention Le C ur du sujet Le Seuil 1993 U2 Voir Thich Nhat Hanh La Respiration essentielle Albin Michel 1996 Larry Rosenberg Breath by Breath The Liberating Practice of Insight Meditation Boston Shambhala 2004 Buddhasa Bhikkhu Mindfulness with Breathing Manual for Serious Beginners Somerville MA tats Unis Wisdom Publications 1988 13 Natalie Depraz Francisco Varela Pierre Vermesch op cit 141 Lun des plus extraordinaires commentaires sur l abhidhama Ch gy
63. emble des r gles s adressant aux moines et en abhidharma Cet ensemble de textes est un t moignage de premi re main de la structure essentielle de l exp rience qui constitue comme le souligne Francisco Varela une psychologie ph nom nologique descriptive de tout premier plan 13 Pune des plus c l bres pr sentations synth tiques de l abhidharma est l abhidharmakosa de Vasubhandhu Elle est d une grande complexit et n cessite un commentaire oral m me de donner vie aux cat gories multiples qu il pr sente L abdhidharma expose comment un moment pr sent est saisi travers divers agr gats les cinq skandhas une forme duelle une tonalit motionnelle une action perception un assemblage conceptuel et une apparence d un espace unifi en une conscience close 14 L abhidharma pr sente aussi une analyse d cisive de la mani re dont les v nements mentaux se solidifient et donnent naissance la torpeur et l agitation et par l toutes les formes de confusion d illusion et de souffrance Un tel processus d identification commence avec n importe quelle rencontre et se d veloppe par le biais d une cha ne causale d v ne ments cognitifs appel nidanas 15 La grande difficult est de ne pas tudier ces textes comme un nouveau cat chisme mais comme une carte de g ographie qui peut nous guider dans notre pratique 4 Le Visuddhimagsa un manuel complet Le Visuddhimagg
64. ension habituelle de la m ditation dit il gare les hommes Ils cherchent contr ler leur pens e Mais c est l une impasse car ils ne font alors qu tablir un contr leur qui contr le Loin de les lib rer la m ditation les enferme La seule m ditation v ritable explique ainsi Krishnamurti consiste observer ses pens es sans s y attacher Observez ce que vous pensez de vos pens es mais n intervenez pas ne retenez aucune pens e laissez les passer 18 Krishnamurti se bat ainsi pour tablir une bonne d finition de la m ditation en laissant peut tre trop de c t le fait qu avant d tre une d finition la m ditation est un chemin Mais Krishnamurti en voulant s affranchir de toute inscription traditionnelle refuse l id e m me de voie Or l r side mon sens le g nie bouddhiste chercher tout ramener dans l horizon d un chemin concret Penser un tel chemin n est pas du tout oppos la d nonciation de tout objectif et le sutra de Hui Neng suffit en t moigner Le sens m me du chemin implique pr cis ment l absence de toute recherche d un but puisqu il faut pour le suivre tre pr t partir l aventure 9 Shobogenzo Tr sor de l il de la vraie loi Dogen 1200 1253 Le Shobogenzo Tr sor de l il de la vraie loi est l uvre de Dogen le fondateur du zen S t 191 Son livre qui contient selon les ditions un ensemble de 75 95 text
65. ent jouer sur l inclinaison du regard Quand votre esprit est tr s agit il vaut mieux regarder vers le bas quand il est morne ou somnolent dirigez plut t votre regard vers le haut 4 Enfin quelques rares coles conseillent de fermer les yeux Mais la pratique devient alors un exercice qui tient plus de la concentration et de la d tente l o les garder ouverts permet d tre en rapport au monde Pourquoi y a t 1l une telle insistance sur la posture La chose d concerte en effet car nous hommes et femmes vivant au XXIesi cle faisons tr s peu attention notre posture moins d avoir des douleurs particuli res Nous vivons comme si notre corps tait un instrument l usage de notre esprit Nous voulons qu il nous serve au mieux sans vraiment entrer en rapport avec lui Et le culte du corps loin de d mentir ce constat le renforce car il s agit d un usage du corps non d une mani re de l tre La pratique de la m ditation dans une tout autre perspective consiste synchroniser le corps et l esprit condition indispensable tout ancrage r el et solide dans le pr sent Comme le soulignait le ma tre zen Deshimaru la posture exclut l imposture Et en effet notre corps cout proprement est d j parole et conditionne notre mani re d tre Autrement dit la posture en nous aidant entrer en rapport notre corps dans sa droiture et sa dignit favorise la clart
66. ent un mode d emploi pour la mise au point d une exp rience 7 Autrement dit la th orie ne s oppose nullement la pratique mais en est la manifestation la plus parfaite et la plus compl te son mode le plus lev 8 Cependant l histoire de la m taphysique a mis en place une distinction entre praxis et theoria qui annonce celle devenue aujourd hui commune entre pratique et th orique et que l on retrouve par exemple chez Kant entre la critique de la raison pure th orique et celle de la raison pratique comme dans celle entre vie active et vie contemplative Par cette distinction l Occident a r duit l action au fait de faire quelque chose de produire 9 Ce cadre qui est d sormais le n tre est tout fait inapte rendre compte de l exp rience m ditative En effet m diter ne consiste en aucun cas produire quelque chose et surtout pas des tats de conscience particuliers Et pourtant il ne s agit pas d une forme de passivit mais d une des formes les plus hautes d action La pratique consiste rester activement en repos dans une attention ouverte et vive De plus la m ditation ne s pare pas pratique et th orique M diter c est faire la libre preuve de la vue claire Telle est exactement l exp rience qu Aristote pense comme tant celle de la theoria le rapport le plus pur c est dire sans filtre aux choses comme elles sont En toute rigueur voir les choses com
67. ertissement esp rant ainsi tromper notre mal tre Or il est n cessaire de s y confronter pour apprendre tre un peu plus libre et un peu moins l che La m ditation est cet exercice de confrontation tr s directe notre propre c ur notre propre esprit et la peur Elle nous permet d en reconna tre la racine l loignement de notre propre tre la coupure entre notre corps et notre esprit 7 D couvrir la paix Nombre d enseignements sur la m ditation la pr sentent comme une mani re d atteindre la paix C est essentiel si nous ne nous garons pas sur le sens du terme En effet comme le souligne Thomas Merton 1915 1968 la paix n est pas celle de l innocence qui n a jamais p ch ni celle de l esp rance pu rile qui n a jamais connu la tentation du d sespoir C est au contraire la paix de celui qui a appris garder son me sereine au milieu des flammes 3 La distinction est primordiale La paix que favorise la m ditation n est pas une absence de conflits de tensions de douleurs mais un autre rapport libre et courageux eux Nous nous leurrons en esp rant que nous atteindrons la paix soit dans un r ve politique soit dans un projet spirituel Nous r vons alors d un monde id al que nous nommons nirvana paradis la soci t sans classe et nous sommes pr ts entrer en guerre pour l atteindre Autrement dit un tel espoir ne fait que per
68. es est l un des premiers grands ouvrages crits directement en Japonais Ces textes divers abordant de nombreux sujets t moignent d une grande id e il faut juste s asseoir shikantaza seulement s asseoir sans chercher r soudre un koan sans chercher obtenir quoi que ce soit et surtout pas l veil Dogen a ainsi rompu avec la compr hension du bouddhisme de son temps qui mettait l accent sur l analyse de doctrines complexes et l accomplissement de rituels sot riques Il d non a aussi avec une grande finesse l espoir que la pratique produise un r sultat Voici ce que disent les laxistes fautifs de nos jours la pratique de la m ditation assise n a pour but que d obtenir la paix int rieure c est dire l tat de qui tude Cette opinion ne vaut m me pas les savants du Petit V hicule elle est encore inf rieure aux v hicules des hommes et des dieux Comment pourrait on consid rer ces gens l comme des gaillards qui tudient la Loi de l veill 20 La d couverte majeure de Dogen est que pratique et r alisation ne sont pas distinctes Zazen ne permet pas d atteindre l veil c est l veil lui m me Il n est pas un moyen en vue d une fin C est l une mani re profonde de r soudre l opposition entre approches subitiste et progressive Il p existe plus de s paration entre m ditation et non m ditation La m ditation est simplement la reconnaiss
69. es mais leur faire aussi sentir que la bont n est pas une fiction En ce sens la m ditation est un travail sur la r alit Elle n est pas un m dicament visant fabriquer artificiellement des tats de conscience d connect s de toute v rit Elle ne gu rit pas du r el mais elle apprend se lier plus sainement lui 5 Les th rapies comportementales et cognitives et leur usage pour pr venir les rechutes dans la d pression Les th rapies comportementales et cognitives TCC ont int gr la m ditation un travail th rapeutique Si bien qu aujourd hui de nombreux praticiens ajoutent la m ditation leur travail et en retour la m ditation appara t gr ce la lecture qu ils en font comme une mani re simple et concr te d aider chacun aller mieux L apport principal de la m ditation dans cette perspective est de d couvrir que le tumulte mental qui joue un r le p nible pour les patients prisonniers de leurs motions ou qui sont d prim s n est qu une succession d v nements mentaux Au lieu de vouloir les supprimer les dominer il faut entrer en rapport avec eux L un des apports les plus remarqu s est la MBCT Mindfulness Based Cognitive Therapy qui vise viter la rechute de la d pression Les cognitivistes qui ont labor ce programme Zindel Segal John Teasdale et Mark Williams ont montr comment la d pression tait perp tu e par des ruminations incessantes reposan
70. ession que la m ditation est un monde unitaire Or elle vient en r alit de sources diverses en particulier des moines de la for t du nord de la Tha lande des dojos zen du Japon ou encore de la perspective si souvent scolastique des universit s monastiques du Tibet Ces approches ont toutes leur singularit et unit Elles ont aussi une base commune la m ditation y est l union de l attention et de la vigilance discriminante Ces deux dimensions se nomment en sanscrit shamatha et vipashyana en pali samatha et vipassana en chinois zhi et guan et en tib tain shin et Lhagtong Selon les coles et les textes il est possible de parler de l union du recueillement et de la connaissance de la fixation unificatrice de l esprit et de l observation vigilante du calme et de la vision p n trante de la pacification et de la vision profonde du se poser et du voir autant de mani res de nommer le m me ph nom ne Pourtant en Occident m me encore aujourd hui tr s peu de gens identifient la m ditation l accord harmonieux de ces deux ressources C est l pourtant tout le g nie et la profondeur de la pratique de la m ditation Et c est par l qu il nous faut l explorer si nous voulons r ellement la comprendre I Shamatha vipashyana se poser et voir clairement ce qui est Shamatha consiste poser son esprit sur un point pr cis sans le faire vaciller afin de lui procurer un sens de tranquillit
71. est la disposition de notre tre tout entier le rayonnement de la pr sence 5 Comprendre le lien intrins que entre la pr sence attentive et la bienveillance aimante est donc indispensable et la seule mani re de nous faire d couvrir la v rit profonde de la m ditation V La libert l ge de la mentalit de masse Le dernier grand chantier est celui de la libert Le d fi est immense Le champ de notre libert s est restreint car tre libre c est nullement pouvoir choisir entre un ceci ou un cela Ce qui r gne aujourd hui et que nous prenons pour libert est en r alit une libert d indiff rence que Descartes condamnait pour tre le plus bas degr de la libert celle de l ne face un baquet d eau et une botte de foin Et si encore l ne doit choisir entre deux choses bien distinctes dans notre soci t industrielle extr me nous n avons plus que des produits issus du marketing ce qui nous prive de tout rapport r el notre libert Ce qui aujourd hui nous menace n est plus comme au temps du Bouddha le syst me des castes mais la soci t de masse la pens e pr fabriqu e soumise l conomie l uniformisation plan taire qui chaque jour devient plus totalitaire imposant son r gne partout Pr tendre que la m ditation est une r ponse cette crise ne va pas de soi car elle est aujourd hui pr sent e soit comme un outil de bien tre qui promet au mieux un confor
72. fin une autre acception de bhava bhavam kri qui veut dire prouver faire l preuve de quelque chose Or tel est bien le c ur m me de la m ditation qui consiste faire l preuve de la v rit de notre tre Cette diversit d acceptions va dans le m me sens bhavana est l preuve qui nous place au c ur de l existence Aujourd hui la m ditation est parfois d sign e sous le terme de pleine conscience voire de l anglicisme mindfulness En anglais en effet on d signe parfois la m ditation par le tr s beau terme de mindfulness c est dire l esprit pleinement pr sent Le terme de pleine conscience qui cherche le traduire en fran ais est malheureux car le terme de conscience fait directement r f rence la facult repr sentative de l esprit Or voil exactement ce dont la m ditation nous lib re en nous donnant acc s un mode d tre plus originaire de l esprit Il serait beaucoup plus appropri de le traduire par pr sence attentive ou pleine pr sence I Pourquoi la m ditation s implante t elle aussi profond ment en Occident Pour r pondre cette question on peut tenter quelques analyses sociologiques ou journalistiques La plus r pandue souligne qu apr s avoir pens la sant comme le fait d tre libre de toute maladie nous comprenons d sormais qu elle implique un sens de bien tre g n ral La m ditation est l esprit ce
73. fond sensuel de l homme 151 dans l espace ouvert dans le jeu du rythme Cette confiance se distingue par le refus de s appuyer sur les concepts une forme pr tablie ou m me un sens fixe L art moderne se diff rencie en ce sens de l art classique qui se d ploie partir d un socle conceptuel un tableau repr sente quelque chose se plie un code social un en semble de contraintes L art moderne tente d habiter l espace m me de la pr sence non une fleur une maison une sc ne de chasse mais la pr sence m me partir de laquelle tout ceci se montre t moignant d une exp rience m ditative profonde o pour reprendre l une des formulations du zen l int rieur et l ext rieur ne font plus qu une surface lisse 4 La r alisation L exp rience ultime de la m ditation est souvent d crite par les ma tres de la tradition bouddhique comme une r alisation profonde Pour la comprendre imaginez expliquait Dudjom Rinpoch un homme qui rentre chez lui apr s une longue et dure journ e de labeur aux champs 1l s assied dans son si ge pr f r devant le feu Il a travaill toute la journ e et sait qu il a accompli ce qu il d sirait accomplir Il n a plus aucune pr occupation car tout est achev Il peut compl tement abandonner soucis et pr occupations dans le simple contentement d tre 16 Or on trouve une formulation semblable chez Henri Matisse Ce que je
74. formes de m ditation qui existent en Occident Il est juste possible d en souligner certaines et donner quelques indications au lecteur pour aller plus loin C est un champ d exploration inou Au fur et mesure que l implantation de la m ditation s intensifie des rapprochements pertinents sont faits Lune des traditions m ditatives les plus riches est celle des P res du d sert Au IVesi cle apr J C au moment m me o le christianisme est devenu religion d tat et s est institutionnalis sont apparus les premiers ermites chr tiens qui fuyant le monde sont partis vivre dans les d serts d gypte d Arabie ou de Perse Ils d cid rent de ne plus s identifier au moi superficiel transitoire social pour d couvrir cette r alit cach e en eux l o ils pouvaient rencontrer Dieu c t d activit s alimentaires et de la pri re ils se consacraient la m ditation nomm e en grec hesychia le doux repos Il pouvait s agir de la r p tition d une phrase isol e de l criture comme la c l bre pri re Seigneur J sus Christ Fils de Dieu ayez piti de moi parce que je suis p cheur devenue sous une forme abr g e Seigneur ayez piti Kyrie eleison que les P res r p taient int rieurement jusqu ce qu elle dev nt aussi spontan e que la respiration Parmi les nombreux aphorismes que nous avons d eux il en est un que cite Thomas Merton qui p
75. i re tr s abstraite Lorsque Sharon Salzberg s est consacr e l criture d un livre sur la pratique de la bienveillance aimante la plupart de ses coll gues consid r rent qu elle s tait gar e 4 La m ditation est la recherche d une sagesse ultime et celui qui s y engage devait tudier non un sentiment comme lamour bienveillant mais la sa gesse et plus particuli rement la vacuit Ce fut une grave erreur Car faute de bienveillance la conception que nous avons de la vacuit bouddhique est presque toujours illusoire Cela se comprend nous consid rons que le fleuve cet arbre cette vache n ont pas d tre qu ils ne sont que des stocks disponibles qu il faut g rer au mieux Nous sommes si embourb s dans le nihilisme qu il nous est bien difficile de discerner que la vacuit est l entente de l tre comme ce qui n est pas g rable comme ce qui refuse toute mainmise comme ce qui est pur don Le contresens est total En v rit la m ditation nous fait d couvrir que l tre est la fois ce qui ne peut tre saisi et ce qui rayonne de bont La d couverte de la bienveillance aimante est donc la reconnaissance de cette possibilit d tre pleinement et la seule fa on pour nous Occidentaux de r aliser ce qu en Orient on nomme vacuit En ce sens la bienveillance aimante que la m ditation nous fait d couvrir n a rien d un sentiment ou d un devoir moral elle
76. i s en Occident La m ditation la discipline pratiqu e par la plupart des patriarches avant et apr s leur veil n a jamais t populaire dans aucun pays bouddhiste 6 En ce sens l engouement pour la m ditation n est pas tant un go t pour l Asie qw aurait l Occident qu un mouvement historique bien plus profond qu il n y para t qui traverse le monde entier touchant au premier chef l Orient puis sa suite 1 Occident 2 M ditation thique et connaissance shila samadhi et prajna Au sein du bouddhisme la m ditation prend place dans une tripartition tr s clairante entre ce que les textes nomment shila samadhi et prajna Shila que l on pourrait traduire par discipline la conduite la mani re de se tenir constitue le pr requis toute pratique m ditative Les textes insistent sur le fait que shila m nage les justes circonstances favorables au d ploiement de la pratique Par exemple se garder de l affairement d velopper une attention la mani re dont nous mangeons dormons vivons Autrement dit shila nous dispose accorder la vie quotidienne la vie m ditative Samadhi est l un des fruits de la pratique de la m ditation et en constitue donc l accomplissement En effet m diter c est cultiver l tat de samadhi c est dire une unit profonde et non fabriqu e qui constitue une authentique exp rience de paix Mais la m ditation ne trouve son plein sens
77. i toujours garde amplement ce qui doit l tre Pour le comprendre 1l faut se m fier de l ambigu t de l expression ici et maintenant qui est non un r tr cissement de la r alit en un point minuscule la ponctualit oublieuse du temps mais la lib ration de l ampleur de ce qui dans le pr sent se donne nous En v rit toute uvre v ritable un temple grec ou une cath drale un po me de Sapho ou de Baudelaire un tableau de Giotto ou de C zanne est au pr sent et nous parle au pr sent La m ditation qui nous permet d en faire l exp rience est pour cette raison une cole pour habiter pleinement aussi bien dans le monde que dans l histoire nous permettant ainsi de surmonter la d shumanisation de notre temps Notes U Carlsbad CA Hay House 2013 21 Henri Bergson La Pens e et le Mouvant Puf 2003 p 99 31 Henri Bergson L volution cr atrice Felix Alcan 1909 p 31 4 Edmund Husserl La Crise des sciences europ ennes et la Ph nom nologie transcendantale Gallimard 2004 p 382 5 Taisen Deshimaru Le Rugissement du lion d du Rocher 1994 p 171 61 Walter Benjamin Exp rience et Pauvret 1933 Payot 2011 p 48 Chapitre I Comment pratiquer la m ditation Quelques points de rep re Prenant place sur un si ge confortable le m ditant adoptera la posture du lotus de Vairocana ou le demi lotus les yeux ni trop ouverts ni trop ferm s
78. ie 1972 Albin Michel 1995 p 315 131 Voir Mosh Idel L Exp rience mystique d Abraham Aboulafia Le Cerf 1989 Elliot Wolfson Abraham Aboulafia cabaliste et proph te ditions de l clat 2000 14 Mosh Idel op cit Dov Baer de Loubavitch Lettre aux Hassidim sur l extase Fayard 1975 15 Gershom Sholem La Kabbale et sa Symbolique Payot 1966 La Kaballe Le Cerf 1998 16 La religosit est chez l homme ce sens toujours renouvel de l merveillement et de l adoration qui cherche sans cesse une expression une formulation nouvelles le sentiment qw au dessus de sa conditionnalit et ext rieure elle mais aussi jaillissant en son centre il existe une inconditionnalit in Juda sme Verdier 1982 p 93 U7 bid p 106 U8 Charles Mopsik La Cabale Grancher 1988 p 46 19 Pour une pr sentation simple des trois kayas voir Fabrice Midal Introduction au tantra bouddhique Fayard 2008 20 Charles Mopsik Les Grands Textes de la cabale les rites qui font Dieu Verdier 2002 21 Charles Mopsik La Cabale op cit p 56 22 Voir Aryeh Kaplan M ditation juive Gen ve ditions MJR 1995 La M ditation et la Bible Albin Michel 1993 23 Charles Mopsik La Cabale op cit p 100 24 Martin Buber d Vivre en bonne entente avec Dieu Baal Shem Tov Le Seuil 1995 p 89 25 Ibid p 91 26 Hi roth e Vlachos Entretiens avec un ermite de la sainte M
79. ien davantage identitaire et orthodoxe qu authentiquement mystique comme le furent pourtant ses grands pionniers Si bien que la m ditation n a plus vraiment de place aujourd hui au sein du juda sme C est particuli rement dommage car la m ditation dans la Kabbale et le hassidisme est d une extraordinaire richesse et subtilit Elle pr sente un ensemble de m diations subtiles entre l ici bas et l au del que l on pourrait nommer les intermondes C est ainsi que se comprennent les dix nergies divines primordiales ou sefirot qui sont autant d manations proc dant de l Origine ou de l En Sof infini et qui expriment la structure du Dieu manifest en une articulation qui rejoint les analyses du bouddhisme tantrique sur les trois kayas 19 Se trouve l un espace profond de r alisation o le monde concret est spiritualis en une exp rience imm diate surmontant la distinction entre sacr et profane corps et me mati re et esprit Une telle approche tient tout autant d une th urgie que d une herm neutique Le terme th urgie sur lequel insiste de mani re clairante Charles Mopsik d signe un acc s au divin par des pratiques mentales verbales ou gestuelles 20 Ce terme emprunt aux crits des derniers n oplatoniciens se dit en h breu yihoud union unification figoun instauration restauration ou hit orerout veil mise en branle et souligne la dimension profond ment m ditative de
80. ieux aimer en surmontant les concepts et appr hensions gocentriques qui l entravent et d couvrir qu tre pr sent c est habiter pleinement l amour bienveillant Notes 1 L S Dembo and George Oppen Contemporary Literature vol X n 2 University of Wisconsin Press 1969 p 164 21 Ch gyam Trungpa Le chemin est le but Le Seuil 2005 p 15 3 Pour l articulation de ses deux pratiques au sein de la tradition tib taine Kh nchen Thrangu La M ditation bouddhique tib taine Pratique du calme mental et de la vision p n trante Escalquens Dangles 1996 4 Voir H n pola Gunaratana M diter au quotidien Marabout 2007 Sur l approche du theravada dans la m ditation Sayadaw U Pandita Dans cette vie m me Adyar 2003 Ajahn Brahm Manuel de m ditation selon le bouddhisme Theravada Almora 2011 5 Voir Satya Narayan Goenka Trois enseignements sur la m ditation Vipassana Le Seuil coll Points Sagesses 2009 61 Voir l ouvrage collectif 7ch an Zen racines et floraisons Herm s n 4 Deux oc ans 1970 Thomas Hoover L Exp rience du zen l volution historique du Chan et du Zen travers les vies et les enseignements de ses plus grands ma tres Albin Michel 1989 Nancy Wilson Ross Le Monde du zen anthologie du bouddhisme zen Stock 1976 71 Sur le conflit entre les coles du Madhyamaka Praj aparamita et du Yogacara Lankavatara voir Khenpo Tsultrim Gyamtso
81. ion avec joie et contentement La pacification m me le rel chement subtil est limin L esprit peut demeurer dans une stabilit et une vivacit compl te et ce pendant de longues p riodes En un seul point l esprit n est plus distrait et le m ditant est tabli en cet tat La parfaite quanimit ou le maintien de l galit la pr sence attentive survient sans aucun effort de fa on ininterrompue laissant l esprit tre tel qu il est Il est alors possible de laisser l quilibre naturel de l esprit se maintenir sans interf rences Comprendre ces tapes comme une sorte d invitation un contr le sur l esprit une sorte d acrobatie mentale serait un complet contresens Il s agit plut t d apercevoir la capacit de pr sence attentive l uvre et comment elle donne spontan ment naissance vipashyana 8 Le concile de Lhassa et le grand conflit Une confrontation historique opposa Kamalashila au ma tre chinois Heshang Mahayana lors du c l bre concile de Lhassa qui eut probablement lieu vers 780 D un c t Kamalashila repr sentait la compr hension indienne mettant l accent sur un chemin graduel fait d tapes r pertori es De l autre tait pr sent e l approche chinoise du tchan affirmant l existence d un veil soudain Ce conflit d cisif traverse en fait d une mani re ou d une autre toute l histoire de la transmission de la m ditation et ne peut man
82. ion de l tre humain sa propre exp rience Comme l crit John Welwood Nous sommes n s avec cet organe incroyable appel esprit qui peut tre au diapason avec le paradis l enfer et tout ce qu il y a entre les deux mais personne ne nous donne jamais le mode d emploi indiquant comment l utiliser ou quoi faire avec La m ditation offre un moyen de regarder de fa on active la nature et l activit de cet esprit 4 C est ainsi que la m ditation a renouvel en profondeur nombre d approches th rapeutiques qui l ont int gr e ou au moins ont pris en compte des l ments venant directement de sa mani re de se relier l exp rience humaine Il faut ainsi souligner parmi d autres les liens qui existent entre la m ditation et le focusing la psychoth rapie transpersonnelle l cole de Palo Alto ou la Gestalt th rapie 5 2 Se lib rer du principe de m connaissance du moi la psychanalyse La psychanalyse actuelle ne se tourne pas vers la m ditation elle est bien trop souvent occup e voire enferm e dans son propre corpus Pourtant l analyse de l illusion qu offre la m ditation pr sente des points de convergences profonds avec la constitution de la psychanalyse et aurait pu donner naissance une rencontre fertile Les grands textes bouddhiques insistent en effet sur le fait que l ignorance est tout autant n gation d l ments de la r alit que projection sur le monde d l
83. iration qui sont r parties en quatre groupes de quatre qui constitue un pr cieux chemin Les quatre premi res pratiques concernent l attention que nous pouvons pr ter la manifestation corporelle du souffle Nous observons que notre respiration peut tre courte longue insistante ou l g re Nous voyons ensuite la mani re dont notre respiration a un effet sur notre esprit et comment notre esprit exerce aussi une influence sur notre respiration L esprit et la respiration deviennent un Voici par exemple la troisi me pratique Sensible mon corps tout entier j inspire Sensible mon corps tout entier j expire Les quatre pratiques suivantes portent sur la sensation c est dire tout ce que nous percevons par nos sens qui est agr able d sagr able ou neutre et ce afin de les apaiser Voici une pratique J inspire et je me sens joyeux J expire et je me sens Joyeux La troisi me porte sur l esprit sur les formations mentales et les motions qui viennent se surimposer nos sensations Certaines coles les ont d nombr es et en fixent le nombre 51 Enfin le dernier groupe de pratiques concerne vipashyana qui voit la nature de la r alit En voici une J inspire et je contemple le l cher prise J expire et je contemple le l cher prise 3 L abhidharma une g ographie de l esprit humain Les propos du Bouddha furent class s en sutra ses enseignements en vinaya l ens
84. ishitani d assumer la t che de repenser de r affirmer et de recomposer le bouddhisme traditionnel afin de le transmettre aux Occidentaux ainsi qu aux Orientaux Or cet homme courageux en 1950 alors qu il tait g de 80 ans se rendit pour la premi re fois New York Entre 1952 et 1957 il donna un enseignement l Universit Columbia qui bouleversa toute une g n ration en particulier de nombreux artistes Il eut par l une influence consid rable John Cage Agn s Martin Philip Guston Allen Ginsberg Jack Kerouac mais aussi Salinger ou Arthur Danto ont t profond ment marqu s par cet enseignement qui allait changer leur propre rapport l art et ouvrir de nouveaux chemins la modernit 14 3 L art moderne De fa on frappante le terme moderne qui rejoint si profond ment la dimension m ditative est une d couverte des po tes et au premier chef d H lderlin Baudelaire et Rimbaud Ils comprirent qu il tait inutile de copier une fois de plus les Grecs et de vivre dans la nostalgie d un monde pass Il fallait assumer notre propre Ils s engag rent alors dans une profonde analyse de notre monde en soulignant qu il tait entre autres marqu par l absence d un ordre connu de fond et de fondement Or cette absence de points de rep re fixes peut tre une chance car elle est la d couverte d une confiance neuve dans l exp rience nue dans la couleur qui remue le
85. it ordinaire sans affaire Le c t surnaturel de l veil est pour le tchan une vue tout ext rieure l exp rience r elle de la m ditation qui tient davantage selon eux d un geste de d tente et de confiance en notre tre v ritable Lin Tsi le grand ma tre du tchan peut ainsi crire Ce qui est obtenir on l obtient sans passer de temps sans qu il faille ni cultiver des pratiques ni en prouver les fruits sans qu il y ait d obtention ni de perte En tout temps il ny a jamais eu rien d autre et s il y a quelque chose de plus je la d clare pareille au r ve pareille une m tamorphose Voil tout ce que j ai dire moi le moine de la montagne 8 3 La rupture zen Le zen vient en droite ligne du tchan on y retrouve le m me rapport la m ditation nue et sans artifice Mais deux diff rences importantes s parent ces deux coles Alors que le tchan insiste sur une d tente toute naturelle le zen japonais r investit le sens de l effort qu il pense comme d passement n cessaire des limites Il met l accent sur un ensemble de formes strictes qu il faut suivre scrupuleusement et sur une grande aust rit De plus historiquement l volution des deux courants les s pare Le tchan a peu peu perdu son unit tombant l poque des Ming 1368 1644 dans une forme de syncr tisme alliant des l ments de tao sme au bouddhisme de la Terre pure Jingtu au point de dispa
86. ituation est le danger des dangers qui p se sur l Europe et qui engendre la grande lassitude Il nous faut dit 1l sortir du brasier nihiliste du feu roulant du d sespoir qui doute de la vocation spirituelle de l Occident 4 dans une formulation qui voque celle de Nietzsche sur le nihilisme europ en La m ditation dans sa v rit interne vient r pondre cette crise majeure Elle permet celui qui s y engage de se lib rer de la peur d exister lui permettant de retrouver un rapport r el c est dire vivant aux choses m mes En effet m diter c est entrer dans un rapport sa propre vie qui ne passe pas par l abstraction d un discours mais nous met en contact avec ce que Bergson nomme la vie int rieure 2 Sortir du nihilisme Il faut faire un pas de plus Cette situation de crise propre notre temps doit tre comprise comme mhilisme situation o l homme devenu seigneur de la Terre et du monde confront au fait que d sormais pour lui tout est possible se retrouve dans l impossibilit de pr server un rapport r el et vivant quoi que ce soit Tout que ce soit un arbre une vache un saumon un fleuve et d sormais un tre humain ne sont plus pour lui que des entit s calculables qu il faut g rer au mieux Autrement dit ils n ont plus d tre propre Telle est la situation de nihilisme consid rer que plus rien n a d tre ou plus ex
87. ivre rouge L Iconoclaste 2011 impressionnante preuve hors des fronti res du bien connu dans lequel le psychanalyste a not entre 1914 et 1920 ses r ves visions et fantasmes Or la m ditation dans ses perspectives les plus vi vantes est de cet ordre non pas nous octroyer un calme convenu mais nous faire entrer dans l aventure qu implique l exploration de l esprit humain et de la r alit Et nombre de pratiquants dans l histoire ont crit des textes aussi singuliers et tranges que ceux de Jung portant leur existence une incandescence passionnante Jung articule ensemble l exploration de l esprit humain la n cessit de rencontrer l ombre ce qui nous effraie et que nous cherchons fuir et le processus d individuation o il s agit de devenir pleinement celui ou celle que nous sommes L individuation ce mouvement par lequel une personne se met en route vers son enti ret n a comme le souligne tr s justement Jung rien voir avec la construction du moi qu il faudrait d signer comme enfermement dans le moi moi m me et encore moi L individuation est au contraire la lib ration du moi dans le risque constant d tre expos l inconnu Jung pressent ici que la t che qui nous choit ne consiste pas tre en paix mais comme il l crit la fin de Ma vie Quand Lao Tseu dit tous les tres sont clairs moi seul suis trouble il exprime ce que Je ressens d
88. la Kabbale cette dimension la Kabbale adjoint une herm neutique un art de la lecture sans pareil Le sens n est pas d avance donn mais doit tre d couvert Ainsi par exemple les lettres de la Torah ne sont qu accessoirement des signes linguistiques elles sont d abord des flammes divines Lire c est laisser l me entrer en r sonance avec le texte cesser de le tenir distance La lecture devient une forme tout fait particuli re de m ditation o le pratiquant entre dans le texte le laisse agir en lui devient le texte dans une exp rience profonde de non dualit Th urgique et herm neutique la tradition juive ne commence donc pas par penser le fait de poser l esprit et de donner naissance une clart m me de discerner shamatha vipashyana mais sur l ouverture au d ploiement rythm et la diff renciation en mille couleurs d une lumi re unique 21 c est dire dans l espace symbolique et symphonique des mondes qui n est autre que la pr sence de Dieu Cette diff rence n est me semble t il qu une diff rence d accentuation Car la m ditation telle que nous l avons d crite ici ne cherche certes pas au premier chef nous faire habiter dans cet espace d di une spiritualisation de la mati re et une mat rialisation de l esprit mais elle nous fait n anmoins d couvrir un monde o le jeu du vide et de la manifestation transforme tout De l
89. la Transmission des Quatre Samadhi Mohe Zhiguan de Zhiyi v ritable guide de la m ditation Parall lement ces crits fondateurs se sont d velopp s des modes de pr sentation originaux de la m ditation comme le libre dialogue entre ma tre et disciple Ces entretiens comme ceux des ma tres Mazu Huangbo ou Lin Tsi mettent l accent sur la transmission directe d esprit esprit De ces dialogues les compilateurs ont extrait les c l bres koans ces formules nigmatiques qui visent faire d railler l esprit habituel Les koans sont des interrogations o la r ponse consiste introduire un grain de sable dans la m canique par trop huil e de l esprit confus afin de lui permettre d entrer directement dans la pr sence non fabriqu e Ces koans furent recueillis dans des ouvrages comme le Recueil de la Falaise verte Biyan lu la Barri re sans porte Wumenguan ou dans les uvres du ma tre zen Hakuin 1686 1769 Autre invention chinoise une po sie m ditative de premier plan manifeste dans les uvres de po tes comme Hanshan VIlel VIIlesi cle ou Wang Wei 701 761 pour la Chine est celle du ha ku au Japon dont Sokan 1465 1553 Basho 1644 1694 Ryokan 1758 1831 ou Kenshin 1961 1987 sont les fleurons Le ha ku parle partir de la pr sence des choses et non pas des choses elles m mes Il est tr s important de comprendre que tout autant qu un sutra complexe cette po sie claire le sens profo
90. la condition de toute activit possible Nous pouvons la rigueur envisager le non agir mais simplement comme l envers de cet effort Penser hors de cette dimension tel est le geste h ro que que fait Heidegger qui permet de comprendre plus avant l effort propre la m ditation Dans tre et Temps Heidegger pour penser cet effort qui n est en rien volont parle de la r solution Entschlossenheit le fait de faire face Or comme le pr cise Fran ois F dier Cette r solution est ainsi une r ponse la r ponse de l tre humain quand il est face ce qui lui donne libert 22 Ceci constitue le c ur de l exp rience m ditative dite d une mani re particuli rement parlante m diter c est faire face ce qui donne libert Notes U Voir le document historique Daisetz Teitaro Suzuki Richard de Martino et Erich Fromm dir Bouddhisme Zen et Psychanalyse 1971 Puf 2011 Gardner Murphy Lois B Murphy Asian Psychology New York City Basic Books 1968 21 Carl Gustav Jung Le Divin dans l homme lettres sur les religions Albin Michel 1999 p 255 31 Voir Mark Epstein Pens es sans penseur une psychoth rapie dans une perspective bouddhiste Calmann L vy 1995 Encountering Buddhism Western Psychology and Buddhist Teachings Seth Robert Segall editor State University of New York Press 2003 4 John Welwood Pour une psychologie de l veil bouddhisme psychoth rapie et chemin de
91. laboratoires et universit s Des recherches en sciences sociales et en sciences cognitives veulent expliquer comment elle agit et tablir sur des bases scientifiques les bienfaits qu elle engendre Pr sent e comme un rem de simple et gratuit qui permet de r duire stress et anxi t d am liorer le sommeil de prot ger le c ur de d velopper l empathie de favoriser l apprentissage et la cr ativit son usage ne cesse de cro tre justifiant l existence d un tel ouvrage Mais qu est ce que la m ditation Comment s y engage t on D o vient elle Pourquoi conna t elle cette croissance sans pr c dent non seulement en Occident mais dans le monde tout entier N est elle qu un simple outil de gestion du stress ou r pond elle une aspiration plus profonde Paradoxale source bouddhique Commen ons par la base La m ditation que nous connaissons aujourd hui vient d Orient et plus particuli rement du bouddhisme Cela ne signifie nullement que n ont pas exist des formes de m ditation dans de nombreuses autres cultures par exemple au sein des trois religions r v l es Mais c est ainsi que l Occident d couvre ou red couvre la pratique de la m ditation C est par ce chemin que nombre de chr tiens ou de juifs se sont tourn s vers des aspects contemplatifs souvent oubli s de leur propre tradition qu ils ont su ainsi revivifier C est aussi dans cette voie que les enseignants qui
92. ligne Pierre Jacerme l espace d une rencontre entre la possibilit ph nom nologique et la possibilit m ditative 20 Car la m ditation est d abord une pratique une mani re de se tenir Mais de plus Heidegger conteste que la r gion conscience soit le terme ultime de la r duction qu implique l exercice rigoureux de la r flexion ph nom nologique retrouvant ainsi un des aspects de la m ditation En effet Husserl invite une r duction une poch attitude par laquelle le sujet suspend son jugement Mais comme le souligne Heidegger cette poch se fait sans remettre en question la conscience dont nous avons montr la restriction consid rable qu elle impose l exp rience Je ne vois pas cet arbre dans ma conscience mais dans le jardin La restriction que fait peser le primat du th or tique sur l exp rience est ins parable de celle que fait peser la notion de conscience sur l esprit humain Pr senter une ph nom nologie de la m ditation partir du chemin qu ouvre Martin Heidegger en nous d lestant de l attitude naturelle et na ve mais tout autant de la notion de conscience ainsi que du primat du th or tique demanderait un long travail que j esp re pouvoir un jour mener bien mais dont voici pr sent quelques pistes La posture la terre et le ciel Prendre la posture de la m ditation c est hors de tout cadre th orique entrer dans une mani re
93. losophes occidentaux il d couvrit Dogen et s y consacra le r int grant comme figure de proue de la culture japonaise Il publia en 1926 une s rie d essais intitul s Le Moine Dogen dans lesquels il chercha montrer combien le Shobogenzo avait une signification universelle 22 En ce sens la red couverte de Dogen est paradoxalement pass e par la confrontation avec la philosophie occidentale car c est partir d elle que Tetsuro a pu prendre la mesure de cette uvre qui d passait le cadre convenu du religieux L tranget de cette uvre si originale et d concertante lui apparut la faveur de ce d tour par l Occident comme le signe m me que Dogen sans tre philosophe au sens que ce terme a en Occident n en est pas moins un ma tre de la pens e 10 Collected Works Ch gyam Trungpa 1939 1987 S 1l existe nombre de ma tres exceptionnels au XXesi cle Ch gyam Trungpa est l un des rares avoir laiss une uvre cons quente repensant enti rement le sens de la pratique de la m ditation Ont t publi s en 2004 The Collected Works huit volumes faisant chacun entre 500 et 800 pages En 2013 trois nouveaux volumes ont paru pr sentant le chemin bouddhique les commentaires des sutras et autres textes cardinaux de la tradition dont le plus important fait 900 pages Cette ampleur quantitative n est que le signe externe du travail intense de Trungpa pour repenser int gralement la tradition
94. me de la m ditation vient de la d couverte qu il n est pas possible de d cider volontairement de rester tranquille de ne pas se mettre en col re ou encore de ne pas tre malheureux La voie qu elle propose consiste entrer en rapport direct avec ce qui se passe apprendre le regarder l observer avec une bienveillante neutralit Comme le disait le grand ma tre tha landais Ajahn Chah 1918 1992 Tu peux essayer tant que tu veux pratiquer ardemment nuit et jour mais si tu gardes en t te le d sir d accomplir quelque chose tu ne trouveras jamais la paix 1 La m ditation pourrait certes en ce sens avoir un effet sur le stress mais uniquement si elle n tait pas pr sent e comme une m thode pour le combattre mais plut t comme une fa on d entrer avec pr cision et clart en rapport avec lui Enfin la m ditation n a jamais eu pour finalit le bien tre le calme ou l estime de soi mais seulement d entrer en rapport avec un tat d ouverture primordial II quoi sert la pratique de la m ditation La m ditation n tant pas un outil non seulement elle ne sert rien mais surtout elle nous lib re du r gne de l utilit Elle nous rappelle qu un tre humain est d autant plus reconnu dans son tre et sa dignit qu il n est pas un moyen en vue d une fin En ce sens la m ditation pr serve l humanit qui est en chacun de nous Mais si nous voulons trouver des
95. me elles sont vipashyana se dirait en grec fheorein Il Les grands textes Pour d couvrir l histoire et la richesse de la m ditation rien de plus clairant que d tudier les grands textes de la tradition bouddhique Dans le cadre de ce volume il n est possible que d en pr senter que quelques uns Ce choix n implique aucune chelle de valeurs parmi les nombreux textes de cette tradition Car en un sens tous les textes bouddhiques pr sentent une entente possible ou un biais permettant de mieux saisir le sens de la pratique Pour prendre un exemple Le Trait du milieu grand texte sur la vacuit du moine bouddhiste indien Nagarjuna Ile ITlesi cle d termine la signification de la pratique de la m ditation d une mani re d cisive m me si tel n est pas premi re vue son sujet 1 Satipatthana Sutta la d couverte de l attention et les quatre fa ons de l tablir 10 Ce sutta sanscrit sutra est l un des textes fondamentaux du Bouddha pour apprendre m diter Il figure aussi bien dans les canons pali chinois et tib tain et c est l un des plus comment s Il expose ce sur quoi doit porter l attention du m ditant durant une session de pratique Le terme pour attention en pali est sati sanscrit smriti qui signifie le fait de se souvenir de se rappeler soi m me et par extension se garder pr sent En effet l esprit a la curieuse facult d oublier l o il est o
96. ment am lior e l arri re plan de ces rencontres r side l id e que nous vivons dans un monde o la science est le paradigme dominant pour comprendre la nature de la r alit et qu elle concourt de mani re significative am liorer la vie humaine Ces tudes ont permis de rassurer la communaut m dicale qui mesurant les effets physiologiques de la m ditation et les valuant positivement a d cid de l int grer Le ph nom ne est saisissant Puisque la science dit que la m ditation a des effets b n fiques il n est plus possible de la contester Et c est sur cette base que pr s de 200 h pitaux am ricains proposent les pra tiques de m ditation leurs patients ainsi que de nombreuses coles et entreprises D sormais le seul espace de l gitimation est la science l interrogation proprement philosophique l coute de la psych humaine par la psychoth rapie la dimension proph tique de la po sie l effort de penser n ont plus de cr dit II M ditation et sant La recherche sur les divers effets de la pratique de la m ditation a certes produit des r sultats Mais si l on ne veut pas s en tenir des effets d annonce 1l importe d examiner pr cis ment les protocoles mis en place et le type de m ditation tudi e Quelle pratique faite par qui dans quel cadre pendant quelle dur e la lecture des tudes on se rend compte que peu sont r ellement satisfaisantes
97. ments qui ne s y trouvent pas et cela en raison d une croyance illusoire en l identit claire et disponible de soi comme du monde Or telle est aussi l une des d couvertes centrales de la psychanalyse La notion d inconscient r v le que le moi n est pas cette instance qui peut d cider et s engager librement sa guise Ici l analyse de Lacan qui s est lanc surtout partir de 1953 dans un immense combat pour d gager les th ories de Freud d une r gression achev e un psychologisme pur et simple 6 est d cisive En effet explique Lacan le pi ge de la psychologie si envahissante est de tout ramener au plan du moi or le moi crit il est un principe de m connaissance C est l l exp rience cardinale que fait tout pratiquant s rieux de la m ditation M diter ce n est pas calmer le moi mais d couvrir qu il n y a l qu un leurre qui nous gare sur la v rit de notre tre et de notre responsabilit Lacan consacre par ailleurs des pages d une tr s haute tenue sur l exp rience m ditative Apr s un voyage au Japon en 1963 Lacan intitule une le on de son S minaire Les paupi res de Bouddha Il y voque la statue du Bodhisattva Miroku du temple Ch g j1 Kyoto et convoquant l tude qu il avait faite du livre Le Sutra du lotus avec le grand sp cialiste du tchan Paul D mi ville 1894 1979 il note Vous avez regard cette stat
98. montre une forme que le disciple r p te d abord sans comprendre ce qu il fait Peu peu cependant il int gre l enseignement qui devient ins parable de son propre tre Or voil qui est tranger l histoire de l Occident Pour comprendre cette diff rence pensons la transmission telle que la met en uvre Socrate par exemple dans le M non o il expose pas pas la duplication du carr au petit esclave et celle d esprit esprit entre le cinqui me et le sixi me patriarche chinois voir supra p 49 Il s agit de deux approches radicalement diff rentes En Occident nous avons besoin de comprendre ce que nous faisons pour pouvoir le faire Il est vain de chercher contourner cette aspiration Il faut y r pondre La m ditation doit tre transmise de mani re beaucoup plus d taill e et explicite qu elle ne le fut en Orient et particuli rement en Chine et en Extr me Orient Nous pouvons pour ce faire nous appuyer sur les grands textes de la tradition indienne qui appartenant la m me civilisation que nous est beaucoup plus soucieuse d une logique formelle HI Le corps Deuxi me constat la m ditation a d abord t pr sent e comme un travail sur l esprit voire selon un langage la mode une science de l esprit La pratique s est ainsi souvent d sincarn e La raison est que nous avons perdu un lien naturel notre corps Nous vivons dans des villes riv s
99. n est partout un tre humain est une remarque paresseuse qui ne veut rien dire Car si partout o l homme existe il d ploie son intelligence parle aime il n en est pas moins n cessaire de penser l nigme de son inscription dans l histoire La seconde difficult est de penser que cette inscription implique d adapter l enseignement selon les discours convenus ou la mode et d en faire un outil de plus dans la panoplie des instruments de gestion existants C est une autre tendance qui menace en v rit profond ment le d ploiement r el de la m ditation Qu une telle attitude soit sanctionn e par le succ s m diatique n est en aucun cas le signe d une intelligence du temps ni de l existence d une authentique compassion Nous suivrons peut tre des instructions tr s anciennes ou l inverse nous l adapterons aux idoles que notre monde adore nous ne ferons n anmoins que continuer r ver les yeux ouverts La question de la r alisation est ici d cisive Il ne suffit pas que la m ditation soit connue et promue partout encore faut il qu elle permette aux tres humains d tre plus amplement humains curieux de l nigme qu est pour chacun sa propre existence Il nous faut donc faire de la m ditation l espace d une profonde mise en question des pr suppos s qui menacent notre existence et celle du monde si nous ne voulons pas la trahir I Comprendre notre monde Il est donc vain de
100. nd de ce qui se d couvre dans la m ditation 6 Le Sutra de l estrade de Hui Neng Quand le temps fut venu pour le cinqui me patriarche de transmettre sa charge et sa dignit un successeur il demanda chacun des moines qui aspiraient cette fonction d crire un texte qui attesterait de leur compr hension Le plus minent disciple Chen Hsiu tait consid r par tous comme d sign d avance pour la succession Il fut le seul composer une stance Notre corps est comme l arbre de la Bodhi l veil L esprit est comme le miroir pr cieux Aussi devons nous chaque jour l pousseter Ne voulant pas tre publiquement d cri au cas o son texte ne conviendrait pas il l inscrivit anonymement sur le mur du monast re Hui Neng simple cuisinier illettr apr s en avoir pris connaissance demanda qu on inscrive une autre stance en face d elle Le miroir pr cieux n a pas de forme Tout est rien tout est vide Ou donc la poussi re pourrait elle se d poser Cette stance pourfend la fausse vidence consistant faire de la m ditation une voie conduisant obtenir un r sultat C est au contraire l absence de toute saisie qui est d cisive Il ne s agit en aucun cas de m diter pour obtenir la paix la f licit ou quoi que ce soit mais d tre en une enti re ad quation lici et maintenant L exp rience de la m ditation nous apprend habiter l absence de toute fixation
101. ndant qui n est rien au del de toute entit L homme n a pas prier un tre qui lui serait transcendant mais habiter la pure pr sence d tre car en se d pouillant de lui m me l se trouve la d it Et en effet seule une pr sence sans observateur peut la contempler Le c l bre et extraordinaire sermon d Eckhart sur la pauvret offre un premier acc s cette compr hension de la m ditation comme d gagement le plus entier de tout attachement et la pleine d couverte de la dimension non fabriqu e de la pr sence nue On retrouve de telles analyses dans les pr sentations les plus subtiles de la m ditation aussi bien au sein du theravada du zen que du mahamudra dzogchen 5 Le xviie si cle fran ais et la d couverte de l oraison de simple remise Troisi me champ d tude la grande spiritualit fran aise du XVIIesi cle si mal connue et pourtant si directe simple et profonde Ce qui frappe la lecture des grands auteurs du si cle des saints est la place qu ils donnent l oraison Or contrairement une id e re ue la m ditation ne ressemble nullement la pri re mais l oraison qu elle soit nomm e oraison de simple regard oraison de simplicit oraison du c ur ou encore oraison de simple remise en Dieu Il s agit de suspendre les pri res vo cales pour se tenir comme dans la m ditation en silence dans la pr sence la plus simple sans rien faire esp rer ou
102. nt M diter ne nous rend pas semblable un caillou mais lib re le d sir propre toute vie nous donnant ainsi l audace d tre Simplement peut tre la m ditation nous fait d couvrir que le d sir ne tient pas m me de ce manque que pensa pour l Occident Platon mais d une pauvret premi re en rapport avec un avoir qui n est pas possession qui lib re de l affairement de toute 1 7 x Notes U Voir Evgeny Morozov To Save Everything Click Here The Folly of Technological Solutionism New York City Public Affair 2013 21 Voir Claire Petitmengin L Exp rience intuitive L Harmattan 2001 31 Voir Reginal A Ray Touching Enlightenment Finding Realisatioon in The Body Louisville CO tats Unis Sound True 2008 4 Sharon Salzberg Lovingkindness The Revolutionary Art of Happiness Boston Shambhala Publication 1995 5 Voir Fabrice Midal M ditations sur l amour bienveillant Audiolib 2013
103. o Varela n tait du reste en rien prisonnier de cette vision instrumentale il ouvrait la porte une rencontre profonde qui remettait en question le mat rialisme m canique de la science et incitait un renouveau de la prise en compte de l exp rience humaine Notes U A Lutz L L Greischar N B Rawlings M Ricard et R J Davidson Long term meditators self induce high amplitude gamma synchrony during mental practice PNAS 2004 vol CI no 46 2 En 2007 un rapport d envergure intitul Effectiveness of Meditation in Healthcare a t r alis au Canada l universit de l Alberta Sous l gide des National Institutes of Health NIH des chercheurs ont r alis une revue exhaustive des articles scientifiques publi s sur les effets les m canismes et les b n fices th rapeutiques potentiels des diff rentes techniques de m ditation Apr s avoir pass au crible 2 285 tudes ils en ont retenu 813 qui r pondaient leurs crit res de qualit Les auteurs ont constat que malgr plusieurs r sultats int ressants beaucoup d incertitudes demeuraient BI http scan oxfordjournals org http pss sagepub com content ea rly 2013 05 20 0956797612469537 http wWww ncbi1 nlm nih gov pmc articles PMC3176989 Chapitre VII La m ditation la spiritualit et les traditions religieuses I Pr senter la m ditation d une fa on religieuse mercantile ou spirituelle La m ditati
104. on est aujourd hui pr sent e en Occident de trois mani res Tout d abord comme une pratique appartenant au bouddhisme lui m me compris comme une religion On y trouve alors une hi rarchie cl ricale un en semble de rites et de c r monials l vocation de tout un arri re plan doctrinaire non v rifiable dans l exp rience comme la croyance dans les renaissances ainsi qu un vocabulaire sp cifique et technique Dans cette perspective la m ditation est g n ralement consid r e comme tant d une importance limit e par rapport des rituels des actes de foi des l ments d votionnels ou encore pour reprendre ce qui a longtemps t consid r comme la t che par excellence des la cs la pratique d actes de g n rosit envers la communaut Nombre d ouvrages sur le bouddhisme ne lui accordent ce titre qu une faible place Elle peut m me tre jug e dangereuse pour les d butants car mettant celui ou celle qui s y consacre hors de la l gislature de la religion La m ditation peut ensuite tre pr sent e d une mani re purement factuelle comme un dispositif ayant des vis es mesurables Une telle approche rejette tout rapport avec le bouddhisme et s affirme comme tant non spirituelle Mais ainsi r duite un protocole la m ditation perd sa coh rence Ce qui est alors propag m me si c est au nom de la rationalit est une forme d obscurantisme On affirme et promet des choses qui n
105. on et bouddhisme En Asie le bouddhisme est peu identifi la m ditation et ceux qui s y consacrent sont rares Comme le rappelle Walpola Rahula Ceylan Sri Lanka partir du XVIIIesi cle la m ditation tait r duite un rituel technique consistant r citer des formules et br ler des bougies 3 Parmi les moines bouddhistes eux m mes seul un petit pourcentage peut tre moins de 10 pratique la m ditation Les autres tudient organisent des c r monies et d autres encore se contentent de profiter de ne pas devoir travailler 4 Thich Nhat Hanh qui est aujourd hui l un des principaux propagateurs de la m ditation en Occident s est vigoureusement oppos ce bouddhisme traditionnel Alors qu il tait encore un jeune homme directeur de l Institut sup rieur d tudes bouddhiques Saigon et militant du Mouvement pour la paix il d non a dans son livre Aujourd hui le bouddhisme une religion devenue formaliste rigide doctrinaire et st rile sans impact sur le monde moderne non seulement crit il parce qu elle ignore les r alit s courantes mais surtout parce qu elle ignore l exp rience humaine elle m me 5 Il s est pour cette raison tourn vers les grands sutras enseignements du Bouddha pour ranimer la pratique de la m ditation C est un constat semblable que fit Rind Fujimoto dans son livre La Voie du Zazen qui fut l un des premiers manuels de m ditation publ
106. ons et des visualisations semblent premi re vue complexes et bien loign es de la simplicit de la m ditation ici pr sent e ne le sont en v rit nullement Elles sont toutes l union de la pacification de shamatha et de la vue claire de vipashyana Et en effet elles sont pens es et pratiqu es comme des moyens habiles upaya qui visent permettre au pratiquant d entrer plus avant dans la simplicit de la m ditation Malheureusement cette compr hension fait souvent d faut dans la transmission de ces pratiques particuli rement en Occident et celles ci sont d s lors effectu es plus comme des c r monials et des rituels que comme une mani re d entrer en rapport avec la simplicit de l esprit nu 12 Ces pratiques r pondent une difficult r elle le m ditant risque de croire que la pr sence qu il d couvre par sa pratique est calme et au fond assez neutre Or elle est vivante active pure intelligence compassion chaleureuse Pour viter ce travers ces pratiques ont une grande importance Elles animent profond ment la d couverte de la pr sence et emp chent d en faire un bastion une tour d ivoire contre le chaos En v rit l vocation d une d it courrouc e ou d un mandala aux couleurs intenses ne complexifie rien Ils sont pure simplicit Pour que ce point ne soit pas manqu toute pratique tantrique sadhana s ach ve par la dissolution de la d it dans l espace ouvert
107. ontagne sur la pri re du c ur Le Seuil 1994 p 43 27 R cits d un p lerin russe Le Seuil 1999 28 Voir Dennis Waite L Advaita Ved nta Almora 2011 En guise de conclusion Les cinq d fis de la pr sentation de la m ditation La m ditation s implante en Occident d une mani re frappante Personne n aurait pu envisager un tel ph nom ne il y a seulement un quart de si cle Ce succ s est cependant aussi un d fi comment faire pour que la m ditation nous r ponde pour de bon et pour qu elle aide nos soci t s grandir pour le meilleur Nous avons soulign que la m ditation ne pourra s tablir durablement sans r pondre de mani re profonde ce qui nous treint nous blesse et nous menace Cette t che comporte deux cueils Le premier consiste se contenter de r p ter des usages qui ont exist autrefois en Orient faisant de la m ditation un l ment culturel tranger peu importe qu il nous fascine ou nous r pugne Il faut s y r soudre il n existe pas d homme id al qui soit partout le m me et qui rencontrerait des d fis qui seraient de simples d calques d autres plus anciens Nous vivons une poque du monde qui a sa coh rence propre C est elle qu il faut comprendre Nous ne vivons pas dans le m me monde que celui des hommes et des femmes du Moyen ge ceux de la Chine des Tsong ou du Tibet f odal du XIXesi cle Se r fugier derri re le fait que l tre humai
108. ourrait tre crit par un ma tre zen tant il t moigne d une fine compr hension de la mani re de travailler avec son esprit Un fr re vint trouver l Abb Poemen et lui dit De nombreuses distractions me viennent l esprit et mettent mon salut en p ril Alors l Ancien le poussa Pair libre et lui dit Ouvre tes v tements et retiens le vent qui soufflera sur ta poitrine D autre r pondit C est impossible Alors l Ancien lui dit Tu ne peux pas davantage emp cher les distractions de te traverser l esprit que tu ne peux retenir le vent Ton devoir c est de leur dire Non 7 4 Ma tre Eckhart et les mystiques rh nans Un autre champ qui a t explor est celui des mystiques rh nans D T Suzuki C G Jung ou A Coomaraswamy ont parmi d autres soulign les liens existant entre l uvre de Ma tre Eckhart et la m ditation venue de la tradition bouddhique Au lieu d inviter des formes de pri res mentales de demandes Eckhart invite retrouver par del les limites 11lusoires d un moi individuel sa nature originelle semblable celle de la r alit ultime 8 Eckhart appartient la grande tradition apophatique de l Occident qui de Plotin rig ne pense que de Dieu il est impossible de dire quoi que ce soit Toute formulation propos de Dieu ne fait que le r ifier et constitue donc une forme subtile d idol trie rig ne voque un transce
109. p tuer la violence C est cet espoir qu il faut abandonner 8 Ouvert La m ditation nous fait d couvrir l esprit originel qui sous tend toute pens e Pratiquer c est d couvrir cet esprit vaste qui n a pas de contours de commencement de possibilit de s installer ou de fin HI Sauvegarder la dimension critique propre la m ditation Ces remarques visent montrer qu il est possible de pr senter la m ditation sans chercher dulcorer ou m me travestir l engagement qu elle implique Il est certes important de d mythifier la m ditation de montrer qu elle s adresse tout un chacun qu elle parle du plus concret de l existence qu elle est un chemin que tous peuvent emprunter mais sans en nier le sens la port e et la responsabilit Car en v rit la m ditation est difficile S asseoir sur un coussin sans rien faire en tant juste pr sent ouvert ce qui est est difficile Et ce non parce que la m ditation requiert des qualit s exceptionnelles mais simplement parce que vivre est difficile Nier cette difficult est un mensonge qui ne fait que renforcer le d sespoir de chacun de ne pouvoir correspondre un mod le de comportement et de r alisation absolument fictif La m ditation loin de nier la difficult d tre nous y expose tout en faisant jaillir en nous courage et confiance M diter c est faire face ce qui entrave notre pr sence soi et au monde c
110. pas pas et exhaustivement les tapes du chemin qui m ne la lib ration des peines On commence par r fl chir et appliquer les justes conditions d existence qui permettent de mettre en place une pratique m ditative juste et f conde partir de laquelle se d ploie la vision pure de la r alit telle qu elle est en pali sila samadhi et pa n a 5 Les textes de la tradition chinoise C est en 51 apr J C que la tradition situe l entr e du bouddhisme en Chine Vers l an 65 l empereur Ming des Han envoie une ambassade en gr ce laquelle sont introduits en Chine moines et textes notamment Le Sutra en 42 sections qui est le premier enseignement du Bouddha traduit en Chinois Le bouddhisme reste toutefois tr s confidentiel en Chine jusqu au ITlesi cle Le processus de maturation du bouddhisme chinois s est op r en prenant une autonomie de plus en plus profonde par rapport l Inde Cette autonomisation passa par l apparition de textes originaux L ouvrage le plus exemplaire de ce mouvement est sans doute le Tan Jing ou Sutra de l estrade prononc par Hui Neng 638 713 sixi me patriarche du tchan Le fait que cet enseignement ait pris le nom de Sutra souligne le statut de la parole de ce ma tre consid r e comme ayant la m me port e que celles du Bouddha c t de ce texte majeur il en existe d autres comme les crits sur le Lion d or Jin Shizi Zhang de Fazang et
111. plement renforc e par la mani re dont le dala lama a choisi de pr senter sa tradition au monde occidental Sur cette base furent tablis les dialogues Mind and Life entre le dala lama et des chercheurs occidentaux Ils furent mis en uvre par R Adam Engle un homme d affaires am ricain et Francisco Varela un neuroscientifique n au Chili qui vivait alors en France L intuition de Francisco Varela d j ma tre d uvre de la r union de 1979 tait qu il n tait pas historiquement d cisif de confronter le bouddhisme et la physique comme on le pensait alors mais plut t le bouddhisme et les neurosciences Sur ce terrain une rencontre r elle pourrait avoir lieu Francisco Varela pensait que la m ditation tait un atout pr cieux pour comprendre l esprit humain et que scientifiques et m decins ne pourraient manquer d y trouver un int r t pr cieux La premi re rencontre se d roula en Inde Dha ramsala en 1987 Elles ont t nombreuses depuis Ces changes ont donn naissance des tudes de fond cherchant mesurer l impact de la m ditation sur deux champs les neurosciences et les sciences exp rimentales Il s est d abord agi d tudier les effets de la pra tique de la m ditation sur l esprit puis de comprendre les effets que cette pratique induit sur les comportements ainsi que sur la pr vention et le traitement des maladies Si au d but il n y avait qu une poign
112. pr sentent les versions les plus s culi res ont t form s Si bien que lorsque nous parlons aujourd hui de m ditation il faut comprendre que nous d signons une pratique qui trouve son origine dans la m ditation bouddhique Mais cet ancrage n emp che nullement la m ditation d tre pr sent e de plus en plus souvent d une mani re profond ment la cis e sans m me qu il soit fait r f rence son origine Elle a franchi les barri res culturelles et religieuses pour permettre aux Occidentaux quelles que soient leur confession et leurs aspirations de s y engager Cette d mocratisation de la m ditation est le fruit d un double ph nom ne rarement reconnu Tout d abord le bouddhisme s est implant en Occident dans les ann es 1960 par des ma tres orientaux d exception qui avaient pris leur distance envers le bouddhisme institutionnel et religieux Le bouddhisme qu ils ont transmis a t repens partir d un d sir de r forme qui passait par une mise en avant de la m ditation si souvent rel gu e au second plan en Orient En Asie l accent s tait en effet port au cours des si cles sur des rituels et une institutionnalisation souvent extr mes Pr senter ainsi la m ditation fut une d cision qui reposait sur une analyse critique de la situation que l on retrouve aussi bien dans le theravada dans le zen que dans le bouddhisme tib tain ce premier ph nom ne il faut
113. pr senter la m ditation de s y engager et de la promouvoir sans faire un travail pour mieux entrer en rapport avec la v rit de notre poque qui en un ph nom ne saisissant devient d un bout l autre de la terre identique La Chine du XXIesi cle n est en r alit plus tr s diff rente de l Am rique ou de l Europe Les m mes mesures et les m mes dieux y r gnent la science et la promotion d un monde efficace transparent certain et parfait dont le projet technologique d Internet l informatique est le prototype 1 En ce sens le travail faire pour que quelque chose de l essentiel soit sauvegard voire sauv est le m me Historiquement la m ditation a donn naissance une pens e bouddhique qui n a pas cherch donner des r ponses aux grandes questions de la vie ou dispenser une sagesse qui apaiserait nos angoisses Au contraire elle a invit regarder plus loin mettre en question les r ponses que nous pourrions avoir afin de rencontrer la v rit de l existence humaine d une mani re directe nue et sans l chet C est pourquoi la m ditation pourrait jouer aujourd hui un r le aussi d cisif Nous n avons pas d abord besoin d tre calm s mais veill s En l E et dans tous les pays d Asie la m ditation a toujours repos sur une pens e subtile du monde et de l engagement de l tre humain en son sein Nous avons nous aussi besoin partir
114. pratiquant est g n ralement invit se d placer en maintenant les paupi res baiss es sans chercher regarder quoi que ce soit pour viter de disperser son esprit Cette tradition met un fort accent sur la pr cision Elle distingue par exemple 21 v nements qui se r p tent avec chaque inspiration et expiration En voici quelques uns l inspiration comme l expiration ont un d but un milieu et une fin suivie d une br ve pause Pendant une respiration compl te on peut distinguer un aspect de pression quand les poumons sont emplis d air et un rel chement pendant l expiration une l g re anxi t ou urgence la fin de l expiration quand les poumons sont vides un soulagement en inspirant Le pratiquant est aussi invit noter mentalement la moindre pens e en se r p tant doucement pens e pens e ainsi que tout au long de la journ e la moindre activit de son corps par exemple le fait d tendre ou de replier le bras Cette m me pr cision est apport e tous les v nements mentaux et motions qui surviennent Certains ma tres comme Ajahn Chah 1918 1992 joignent ce contr le des sens l instruction d tre naturel L tude du theravada r v le une grande diversit d approches Certaines coles comme celle d Ajahn Chah insistent sur la pr cision de l attention en invitant faire na tre un sens de d tente d autres au contraire cherchent
115. prit qui est venu bout de la distraction et qui est donc unifi et flexible La pratique consiste au moyen de la corde de la vigilance attacher l l phant de l esprit au tronc qu est l objet d observation Autrement dit gr ce la vigilance l attention l esprit est ramen en lui m me en tant pos de mani re continue par rapport la respiration Malheureusement le m ditant qui s y adonne rencontre de nombreux obstacles Kamalashila propose une description de ces obstacles en six points auxquels r pondent huit antidotes Les six obstacles sont 1 la paresse ou un tat de pesanteur 2 l oubli du support de l attention qui est aussi un tat de d sint ressement 3 l opacit ou la torpeur l esprit et le corps deviennent lourds 4 l agitation c est dire le fait d tre submerg par l activit mentale 5 l inapplication ou la n gligence et enfin 6 l absence de toute coordination Pour contrecarrer la paresse 1l existe quatre anti dotes a la confiance dans la pratique qui na t de l appr ciation de ses bienfaits b l int r t pour la pratique ayant envie de nous y mettre nous n avons pas besoin de nous forcer le faire c l effort d la souplesse qui est une forme de d tente laquelle on acc de par la m ditation et qui permet de se sentir l aise Pour se pr munir de l oubli des instructions 2 l anti dote est de d velopper
116. que la gymnastique fut au d but du XXesi cle pour le corps Tout comme la gymnastique r pondit la s dentarisation massive d une vaste population ayant v cu auparavant au grand air et s adonnant une activit physique r guli re la m ditation constituerait une r ponse hygi nique un mode de vie satur e d informations en tous genres M diter consisterait une poque qui conna t un d ficit structurel d attention entra nant les cons quences que nous connaissons stress d pression hyperactivit tat d angoisse chronique exercer son esprit tre plus pr sent Dans cette perspective la m ditation constituerait une alternative la consommation anarchique d anxiolytiques et de tranquillisants Mais ces analyses si elles ne sont pas fausses restent cependant insuffisantes ou p riph riques Pour entrer au c ur du ph nom ne il faut essayer de comprendre notre situation historique et comment la m ditation vient r pondre un appel de notre poque tout enti re 1 Retrouver le chemin de l existence Une crise sans pr c dent secoue l Occident qu au premier chef Nietzsche 1844 1900 Bergson 1859 1941 et Husserl 1859 1938 ont su diagnostiquer L ampleur de la vie est ab m e et m me violent e par un recours constant l abstraction scientiste Cette abstraction cache explique Nietzsche une peur profonde de la vie m me dont l essentiel chappe toujours no
117. que le cin ma promeut souvent 1l m existe que tr s peu de personnages intrins quement habit s par le mal et d sirant le faire Ils sont et la chose n est pas moins grave et terrible d plac s de leur centre soumis des pressions oublieux d eux m mes pris par un ensemble de m canismes Tel est le sens de la s rie d exp riences du psychologue am ricain Stanley Milgram Croyant participer une exp rience scientifique sur les effets de la punition sur le processus d apprentissage 65 des participants finirent par administrer une d charge lectrique qu ils savaient tre mortelle un cobaye qui est en r alit un acteur simulant l lectrocution Selon Milgram l individu qui entre dans un syst me d autorit ne se consid re plus comme un acteur responsable d actes contraires la morale mais comme un simple agent ex cutant les volont s d autrui Il reporte sa responsabilit sur le d tenteur de l autorit sans accorder aucun cr dit son exp rience et sa pens e propre Ces exp riences reposent sur le pouvoir du scientifique devenu notre nouveau dieu et qui en tant que tel demande ob issance et sacrifice Or la m ditation est une cole pour se retrouver et assumer la n cessit d un discernement fond sur l exp rience directe Elle d nonce nos idoles C est pour cette raison que de nombreux auteurs peuvent expliquer que la m ditation est la vraie pratique de non violence Elle
118. quer d interroger l Occidental du XXlesi cle qui voudrait s y consacrer Demi ville auteur d un important ouvrage sur le concile 16 nomme ces deux courants les gradualistes et les subitistes les premiers affirmant qu il faut se consacrer l tude des textes afin de parfaire son initiation n cessit de frotter le miroir pour le nettoyer de toute poussi re les seconds exhortant au contraire se d barrasser de toute recherche car la connaissance est en nous si nous ne la recouvrons pas par un oc an de fausse science Selon les tenants de la voie gradualiste une progression est n cessaire pour purifier son esprit Les voiles adventices de notre confusion de nos peurs doivent tre peu peu us s et dissip s pour que notre tre originel puisse se d ployer pleinement Huike 487 593 le second patriarche du tchan avait d j en son temps condamn une telle approche C est comme si tu demandais un tailleur de te couper un v tement Il ne pourra commencer couper que lorsque tu lui auras fourni la soie Il ne pourra pas te confectionner un v tement avec du vide Puisque tu ne peux m apporter ton esprit je ne sais quel esprit j apaiserais pour toi Je ne puis vrai dire apaiser l espace 17 Selon les tenants de la voie imm diate notre tre v ritable que la m ditation doit nous faire recouvrer ne peut pas tre fabriqu ni m me tre indiqu Personne ne peut
119. r ve c est un art d quilibre de puret de tranquillit sans sujet inqui tant ou pr occupant qui soit pour tout travailleur c r bral pour l homme d affaires aussi bien que pour l artiste des lettres par exemple un l nifiant un calmant c r bral quelque chose d analogue un bon fauteuil qui le d lasse de ses fatigues physiques 17 On a souvent moqu cette remarque de Matisse la consid rant comme anecdotique et loin d un souci esth tique suffisamment transcendantal Or il faut l entendre partir de la remarque de Dudjom Rinpoch comme l claircissement d une exp rience majeure Nous nous sommes profond ment tromp s en pensant l art par tir de l esth tique et du plaisir qu il peut nous faire ressentir Il ouvre en v rit une exp rience m ditative de pr sence nue d all gement de l inqui tude d ancrage dans l immensit du pr sent cette br che qui fait que l avant ne rime plus avec l apr s Cette rencontre entre l art et la m ditation est d une ampleur extraordinaire et dessine un formidable chemin pour notre temps HI Ph nom nologie la m ditation comme acc s l exp rience humaine la premi re personne En lisant les textes de la tradition bouddhique le lecteur occidental est d concert Ces textes sont elliptiques et d une densit les rendant souvent imp n trables Ils ne ressemblent ni aux textes de la tradition philo
120. r ici tous les courants approches et personnalit s engag s dans un tel chantier qui ne cesse de prendre de l importance 2 Le probl me th ologique Malgr cet essor le christianisme institutionnel tend consid rer que la m ditation n est qu une forme d exercice qui ne d bouche pas sur une dimension proprement spirituelle Cette critique s est par exemple retrouv e sous la plume de Jean Paul IT puis de Beno t XVI qui ont chacun condamn la m ditation 5 Pour eux la m ditation est une technique d int riorisation conduisant une exp rience de son propre psychisme mais en aucun cas elle ne permet une rencontre avec le Tout Autre qui s est fait proche en J sus Christ exp rience qui seule serait authentiquement spirituelle Ainsi la m ditation d boucherait sur une forme de vide la diff rence du christianisme qui s il peut certes passer par une telle exp rience de pauvret le fait afin que Dieu la comble Sans rapport un autre la m ditation explique le pape Jean Paul I conduit une indiff rence totale envers le monde Cette condamnation de la m ditation par le christianisme institutionnel appelle deux r ponses La premi re chaque religion tend refuser d admettre qu une autre tradition spirituelle puisse avoir un acc s la v rit ou qu elle ait une coh rence propre Avec un aplomb et une singuli re intol rance chacune caricature et d nigre par avance la
121. r le chemin de la m ditation consiste lui permettre de se le rappeler Cette capacit n est pas pr sent e comme extraordinaire hors de la port e de tout un chacun elle est toute simple mais doit tre cultiv e Telle est pr cis ment la voie L attention s tablit sur quatre domaines le corps les sensations l esprit et les aspects de l esprit Dans l tablissement de l attention fond e sur le corps le pratiquant est pleinement attentif au souffle et la posture de son corps Dans l tablissement de l attention fond e sur les sensations le pratiquant discerne les sensations agr ables d sagr ables et neutres mesure qu elles apparaissent durent et disparaissent Dans le troisi me tablissement le pratiquant pr te attention tous les tats d esprits tels que le d sir la haine la confusion la concentration Dans le dernier domaine le pratiquant fait attention la nature inconditionnelle de son propre tre Ce texte est d autant plus extraordinaire que les commentaires auxquels il a donn naissance font preuve d une intelligence herm neutique et ph nom nologique exceptionnelle la hauteur de la s cheresse du texte 11 2 Anapanasati Sutta la pleine pr sence la respiration 12 L Anapanasati Sutta qui recoupe sur de nombreux points le Safipatthana Sutta expose la mani re de pratiquer en s appuyant sur la respiration Il distingue 16 modalit s de resp
122. ra tre comme cole singuli re Au Japon au contraire un souci de fid lit cette perspective m ditative lui donne un contour tr s clair mais au prix d une forte institutionnalisation Le zen a d velopp une hi rarchie stricte L exp rience spirituelle doit tre authentifi e par le cachet inka de l autorit tablie des dipl mes s veil D s 1959 dans un texte percutant Alan Watts souligne le ph nom ne et se demande s il faut le conserver En Extr me Orient cette situation de formalisme hi rarchique dure depuis si longtemps qu elle ne se distingue plus du paysage et que ses inconv nients sont partiellement compens s par le fait qu elle semble aller de soi Ici rien d exotique ni de sp cial m me les organisations arrivent se d velopper naturellement Mais la transplantation de ce style de zen en Occident serait me semble t il totalement artificielle Cela produirait tout simplement l une de ces nombreuses organisations religieuses avec leurs pr tentions spirituelles leurs droits sacr s et leurs sectes de disciples 9 La question est toute simple faut il que la qualit de la pratique dans sa radicalit profonde d pende en Occident d une hi rarchie religieuse avec son clerg ses rites et son c r monial En tout tat de cause c est l en tout cas un reniement de la compr hension originaire du tchan V Le mahamudra et le dzogchen Alors que dans le zen l
123. remier ma tre bouddhique pr senter la m ditation d une mani re enti rement s culi re et sans qu il soit n cessaire pour s y engager de vouloir tudier et comprendre la grande tradition bouddhique que pourtant par ailleurs il ne cessait de commenter avec un g nie stup fiant Ce geste pour pr senter la m ditation d une mani re aussi ouverte et radicale est souvent confondu avec celui du relativisme propre la postmodernit o chacun choisit la carte ce qu il souhaite C est une profonde erreur Ch gyam Trungpa n a pas adapt la transmission au go t du jour et aux caprices du temps 1l l a lib r e de ce qui en elle tait enferm et scl ros En ce sens Ch gyam Trungpa tait profond ment traditionnel comme l entendait Ren Gu non c est dire soucieux de la source de l enseignement recouvert et m me rendu illisible par la culture la scolastique et la religiosit Malheureusement son enseignement a t m sur ces deux points capitaux y compris par certains de ses successeurs la libert qui doit remettre en question la crispation religieuse avec son c r monial kitsch et la radicalit abrupte et inconfortable de la m ditation qui n a donc rien voir avec aucune forme de rem de anti stress Si bien qu aujourd hui son enseignement n est plus transmis dans les centres qu il avait fond s son h ritier ayant pris une tout autre direction 24 Ce
124. reviendrai dans la conclusion est que l Occident a un immense besoin de cette pratique y compris pour int grer les le ons de la pr sence attentive L amour bienveillant Le c ur de ces pratiques est de lib rer l amour bienveillant d une part comme accueil entier ce qui est une mani re fondamentale de dire oui la v rit de l tre de chacun d autre part comme chaleur qui r chauffe en soulageant l touffant sentiment d tre isol s par des autres voire abandonn et enfin comme ouverture libre de toute saisie ou crispation 3 Il est recommand de commencer cette pratique par soi car c est partir d un sentiment d amiti envers soi que l amour peut irradier avec justesse et de fa on poignante Il peut alors s adresser nos proches auxquels nous souhaitons d tre heureux satisfait et en paix Le pratiquant diffuse ensuite cet amour tous les tres y compris ceux qui l irritent ou lui ont fait du tort emprisonn s sans doute par l aveuglement et la haine Peu peu un tel amour devient quanime et serein libre des discriminations habituelles Il devient aussi vaste que la Voie lact e Dans certaines coles les pratiques d amour sont plus complexes mais toutes ont en commun la conviction que l amour s apprend que notre c ur doit tre tout autant duqu et lib r que notre esprit Tel est l un des r les de la m ditation entra ner notre c ur m
125. s tentatives de mesures Ainsi au lieu de nous engager pleinement dans cette vie singuli re cette vie qui nous est propre nous voulons l instrumentaliser Or Nietzsche insiste vivre c est vivre intens ment c est dire d passer sans cesse ce qui a d j t acquis Tel est le sens de ce qu 1l nomme la volont de puissance cette tension vers toujours plus d affirmation de puissance Cette notion pr sente de nombreuses consonances avec l analyse de Bergson qui souligne pour sa part que la vie est toujours en train de se faire dans une marche en avant ou encore un lan vital En tant qu lan la vie a certes une direction mais surtout elle est d passement cr ation continue d impr visible nouveaut 2 La vie n est donc pas plus faite d l ments physico chimiques qu une courbe n est compos e de lignes droites 3 Pour Bergson notre scientisme est donc bien un refus de la vie que nous choisissons de filtrer au travers d un prisme qui est fait d espace c est dire le d coupage de la mati re en corps et de langage le d coupage de la pens e en mots tout faits Nous perdons ainsi contact avec l toffe m me de notre vie Husserl comprend cette abstraction scientiste comme une crise de la rationalit qui est aussi une crise de la civilisation europ enne tout enti re En mai 1935 dans sa conf rence La crise de l humanit europ enne et la philosophie il montre que cette s
126. seront dirig s sur la pointe du nez le corps sera droit ni pench vers l avant ni vers l arri re l attention int rioris e les paules gales la t te ni lev e ni baiss e ni inclin e d un c t mais plac e de fa on ce que le nez se trouve dans l alignement du nombril les dents et les l vres sont laiss es dans leur tat naturel la langue touche le palais la respiration est spontan e douce imperceptible sans bruit sans violence sans agitation l inspiration et l expiration sont ais es Kamalashila 713 763 1 Il existe autant de mani res de pratiquer que d coles et de lign es Aussi toute personne qui voudrait s y consacrer est invit e choisir une approche qui lui parle et lui convienne Elles ont chacune leur coh rence Pour permettre cependant au lecteur d appr hender la m ditation voici quelques l ments de base 2 La posture Pour m diter il faut commencer par se poser corporellement Selon les coles la posture qui permet ce geste est plus ou moins stricte La tradition tib taine est par exemple plus d tendue que celle du zen qui est pour sa part davantage soucieuse de la fa on dont le corps se dispose tout en stabilit Le point commun des diverses postures est de se tenir en ayant le dos droit sans aucune tension ni rigidit On donne parfois l image de la colonne vert brale droite et tenue comme une fl che dont la cime est la t te et l encoche le bassin
127. si ordinaire que nous le manquons regardant bien trop au loin cherchant une exp rience particuli re Dans la tradition tib taine la reconnaissance de cet tat de pr sence nue est transmise seulement de ma tre disciple Il s agit d tre introduit ce que nous sommes d j et depuis toujours mais que nous avions comme perdu de vue VI Mantra mandala et mudra les m ditations symboliques Le bouddhisme a donn naissance des pratiques impliquant la r citation d un m me mot ou d un en semble de termes mantra On trouve de telles pratiques d abord dans le tantra qui est aujourd hui pr sent au Japon avec l cole Shingon et dans les pays de l Himalaya mais aussi dans certaines coles du theravada Le terme mantra signifie ce qui prot ge traya l esprit mana De quoi faudrait il prot ger l esprit De la confusion c est dire comme nous l avons d j pr cis de l agitation et de la torpeur ainsi que de l illusion et de l ignorance qui le voile Chaque mantra est li une modalit d tre la tendresse la clart de l intelligence discriminante le courage intr pide l ouverture la plus ultime l quanimit laisser tre Dans le tantra ces modalit s prennent aussi le visage d une d it avec lesquelles le pratiquant entre en pr sence Ces pratiques o l on r cite des mantras o l on fait aussi des gestes mudras des invocati
128. sophique occidentale ni ceux de la th ologie chr tienne Nous aurions int r t les lire comme des textes de ph nom nologie c est dire en assumant leur r le de description de l exp rience de telle fa on que s claire ce qui justement ne se montre pas d embl e Je vois cet arbre ce tableau je cherche dire l amour la justice mais d embl e je n y vois rien La ph nom nologie est cette discipline qui consiste regarder le ph nom ne tel qu il est mais tel qu il ne se montre pas imm diatement L se situe la rencontre historique entre m ditation et ph nom nologie Les textes sur la m ditation nous aident mieux voir ce qu est l aventure d tre un tre humain et que nous manquons le plus souvent De fa on encore plus d cisive m diter est en soi un exercice ph nom nologique C est d couvrir que nous vivons travers un ensemble d habitudes et de pens es toutes faites d illusions et de peurs qui nous emp chent d tre La pratique consiste apprendre voir peu peu sans tre prisonniers de ces filtres Or pour reprendre l analyse que propose Heidegger au para graphe 7 d tre et Temps il nous faut aller l encontre de toute construction chafaud e dans le vide de toute trouvaille faite par hasard aller l encontre de cette habitude qu on a de simplement reprendre son compte des concepts n ayant que l apparence du bien fond aller
129. t e dans le monde entier avec un tr s vif succ s Goenka a mis de c t nombre d l ments bouddhistes et en particulier les rituels divers pour se concentrer sur la pratique de la m ditation Il est en ce sens l un des exemples de ce mouvement de fond consistant repenser tout l enseignement du Bouddha partir de la m ditation La transmission de la m ditation se fait l occasion de cours r sidentiels de dix jours pendant lesquels les participants observent un code de discipline strict Les trois premiers jours de ces retraites sont consacr s fixer son attention sur le flux continuellement changeant de la respiration qui entre et sort par les narines samatha selon la technique de l anapana sati Le quatri me jour l esprit tant plus calme il est m me d entrer dans la pratique de vipassana comprise ici comme le fait d observer le mouvement des sensations travers le corps en remarquant leur nature et en d veloppant envers eux la plus grande quanimit Le socle de la pratique que pr sente Goenka consiste observer les diverses sensations que nous traversons ainsi que les r actions qu elles provoquent en nous sans rien changer accepter ou rejeter M diter en ce sens consiste ne pas rejeter la douleur ni s attacher aux sensations agr ables Enfin le dernier jour les participants apprennent la m ditation de la bonne volont vis vis de tous metta au cours de laquelle la
130. t narcissique soit comme un moyen de sacrifier son individualit de tuer son ego Deux mani res de n tre pas libre Pourtant la m ditation se tient et nous pose hors de ces deux extr mes que sont l enfermement narcissique et la d r liction na ve Elle a t con ue comme un espace de d voilement de la v rit de notre propre existence l cart des syst mes et des institutions qui sans cesse la menacent La m compr hension est ici son comble On pr sente la m ditation comme une fa on de se d barrasser du d sir pour atteindre une sorte d ataraxie et m me d apathie Or rien ne justifie la traduction du terme sanscrit frishna par d sir le mot d signe bien plut t cette soif qui nous tenaille et nous contraint agir aveugl ment et donc sans aucune libert Les publicitaires emploient du reste bien le ressort de la soif pour manipuler les consommateurs Le terme d sir a en Occident un ensemble d acceptions qui ne vont nullement dans le sens de la saisie fam lique que pointe tr s pr cis ment et exclusivement frishna Chez Platon par exemple le d sir eros s il est le fils de la pauvret est aussi celui de pl nitude et par l il appelle l tre humain se d passer en se dessaisissant de la dimension triqu e de l existence L exp rience de la m ditation loin de nous d livrer d un tel d sir le lib re comme cette aspiration profonde qui nous tient alerte et viva
131. t ou point d appui invitant simplement tre M diter dans cette perspective consiste ne faire aucun effort ou geste de contr le Le pratiquant ne cherche pas tre paisible ou obtenir un r sultat quelconque Il abandonne m me l id e qu il n dite Il laisse son corps tel qu il est et sa respiration libre permettant la confusion et aux difficult s diverses de se dissoudre d elles m mes Quoi qu il se passe le m ditant demeure pr sent ce qui advient Si ce qu il vit est plaisant ou p nible il ne s y fixe pas La seule et unique chose faire est de rester dans le courant ininterrompu de la pr sence 10 Alors que comme nous l avons soulign dans l enseignement de la m ditation du theravada les sensations et les perceptions sont consid r es comme des formes subtiles de distraction 1c1 elles sont pleinement int gr es la pr sence L esprit ordinaire Alors que le zen voque l esprit seul le mahamudra parlera plut t d esprit ordinaire Thamel gyi shepa non au sens d habituel mais de primordial de ce qui n a pas besoin d tre chang un esprit sans complication ou artifice Comme le souligne Karma Chagm L maintenant regarde Regarde l int rieur Regarde dans ton propre esprit Si tu re gardes dans ton esprit tu ne le verras point car ce n est pas une chose 11 La seule difficult est que cet tat de pr sence nue est si simple
132. t sur la non acceptation d tats motionnels douloureux et par la mise en place de strat gies de lutte pour quitter ces tats Or ces strat gies sont inefficaces et conduisent l puisement et au sentiment d chec Ils se sont donc int ress s la m ditation comme moyen de mettre un terme au processus des ruminations C est l une analyse classique et traditionnelle de la pratique de la m ditation que l on trouve d crite dans les textes bouddhiques Cette perspective a t d velopp e en France par Christophe Andr Fr d ric Rosenfeld Yasmine Lienard et par le travail de l Association pour le d veloppement de la mindfulness 10 Parall lement ce d veloppement autour de la m ditation qui est souvent et bien maladroitement d sign e dans les textes fran ais par l anglicisme Mindfulness s est d velopp e la Th rapie d acceptation et d engagement ACT LACT puisque l usage est ici de parler par acronyme reprend l observation neutre sans aucun jugement des pens es afin de permettre au patient d accepter ce qu il traverse LACT s appuie sur le constat que les efforts effectu s pour viter la souffrance inh rente toute existence favorisent le d veloppement et le maintien d un large spectre de psychopathologies plut t que de nous en prot ger Autrement dit lutter contre ses pens es et ses motions loin de nous en d livrer les renforce Ces th rapeutiques retro
133. tenant tend d embl e tre compris partir du carpe diem le fait de saisir le moment pr sent pour en jouir avant qu il ne s chappe Or le temps comme Heidegger nous invite en faire l preuve loin de mettre l cart pr sent pass et futur dans le non tre est riche de ce qui fut et de ce qui sera qui sont copr sents Se trouve ici clair un point d cisif revenir dans le moment pr sent ne peut en aucun cas tre un oubli du temps une sorte de parenth se instantan e et sans relief Notre conception de l instant pr sent n est en r alit qu une mani re de vouloir le saisir l o il s agit de reconna tre que le temps je le suis moi m me La m ditation n a de sens qu en tant qu elle nous permet d en faire l preuve Sans subjectivit La m ditation reste mal comprise dans son ampleur propre tant qu elle est ramen e un exercice subjectif comme cela est trop souvent le cas Dans la m ditation je ne regarde pas mon v cu mais J apprends tre aupr s de ce qui est sans l accepter ou le rejeter sans le saisir M diter c est en ce sens apprendre laisser se d ployer ce qui est Il ne s agit donc nullement d un exercice d int riorit mais dans la simplicit la plus grande d tre ouvert tout ce qui advient Hors de la volont La pratique de la m ditation lib re de la perspective omnipr sente de la volont qui est pour nous
134. tes les traditions et claire en retour l l ment de provocation mais aussi de cr ation de la m ditation Le paradoxe de ce chapitre tient donc dans ces deux contradictions d une part la m ditation est l l ment spirituel le plus lev que l on trouve dans toute tradition religieuse alors m me qu elle y est souvent combattue comme s opposant sa l gislature d autre part la m ditation est une pratique toute simple qui s adresse tout un chacun et m me pour reprendre l expression du ma tre zen Shunryu Suzuki l esprit de d butant qui est en nous III La m ditation dans le christianisme 1 Des chr tiens qui pratiquent la m ditation Le ph nom ne est frappant aujourd hui de nombreux chr tiens se tournent vers la m ditation pour enrichir leur foi et t moignent que la m ditation peut venir toffer leur propre engagement 4 John Main moine b n dictin puis la mort de celui ci en 1982 son disciple Laurence Freedman ont fond une communaut qui se consacre la pratique de la m ditation dans un horizon chr tien C est aujourd hui principalement au sein du Dialogue interreligieux monastique DIM fond en 1978 que les changes les plus profonds ont lieu avec par exemple les changes Spirituels Est Ouest entre moines b n dictins et bouddhistes zen du Japon qui participent dans ce cadre des retraites communes Mais il est impossible de rassemble
135. tion bouddhique Elle se retrouve l encontre des pratiques m ditatives que le christianisme a d velopp es dans son histoire Et c est l tout le paradoxe la m ditation a exist au sein du christianisme Sous les noms d hesychia ou d oraison elle a connu de multiples d veloppements d une admirable profondeur Mais chaque fois elle a t attaqu e par l institution religieuse Le ph nom ne est saisissant le christianisme se m fie de toute exp rience spirituelle ou mystique La vie de saint Jean de la Croix jet au cachot par l Inquisition avant d tre fait docteur de l glise quatre si cles plus tard ou bien Ma tre Eckhart qui est mort avant son proc s en t moignent Les th ologiens chr tiens prouvent souvent une m fiance envers toutes formes de m ditation qui sont pour eux des tentatives scandaleuses et absurdes d autor demption de l homme Et en effet la m ditation nous fait d couvrir que les sources de l autorit traditionnelle peuvent tre discern es en nous dans le silence Il y a l un scandale aux yeux de toute autorit qui se sent ainsi remise en question Dans le m me temps aucune religion ne peut subsister pas m me le christianisme en radiquant enti rement cette dimension qui en constitue le c ur ardent 3 Ermites et c nobites les P res du d sert Dans le cadre de cet ouvrage il n est pas possible de d tailler toutes les
136. tte m compr hension radicale t moigne d un aveu glement sur le sens m me de l histoire partir duquel Ch gyam Trungpa pense En effet avec une grande s ret ce dernier d c le aussi bien le d couragement qui conduit une forme larv e et continue de d pression le consum risme radical qui fait de toute chose un produit l oubli de la beaut du monde la destruction de la terre et la perte de tout rapport au sacr Aussi la m ditation se doit de r pondre cette situation en permettant l homme occidental de recouvrer sa dignit et de surmonter la situation historique de nihilisme et non d adopter une sagesse orientale exotique ou une pratique spirituelle de plus Notes U Ajahn Brahm op cit p 11 2 Voir Natalie Depraz Francisco Varela Pierre Vermesch l preuve de l exp rience pour une pratique ph nom nologique Bucarest Zeta 2011 p 292 3 Walpola Rahula op cit p 96 4 Voir le t moignage de premi re main de Jack Kornfield Dharma Vivant Gen ve ditions Vivez Soleil 2001 p 28 sq 5 Thich Nhat Hanh Aujourd hui le bouddhisme Cholon ditions La Boi 1965 6 Elsie P Mitchell Introduction la traduction anglaise de La Voie du Zazen http www zen occidental net textesmeditation fujimoto2 html 7 Martin Heidegger Question IV Gallimard 1976 p 291 8 Voir ici la remarque d cisive d Aristote Politique 1333 a 30 33 9 Voir Martin Heid
137. ttre son attention sur le souffle le m ditant la porte sur le contact de ses pieds sur le sol Il porte son regard environ deux m tres devant lui et tente d tre tout entier ce qu il fait Dans le zen la posture adopt e est tr s stricte avec un geste particulier des mains et dans certains cas la marche est tr s lente un demi pas chaque fois rythm sur la respiration Dans les pays d Asie du Sud Est la pratique se fait sur une ligne droite de 20 ou 30 pas de longueur Le m ditant marche contin ment dans un sens et puis dans l autre En g n ral cette pratique est faite en alternance avec la m ditation assise un rythme plus ou moins soutenu Dans certains pays cependant et en particulier en Tha lande certains moines en font leur pratique principale Notes 1 Kamalasila Les tapes de la m ditation Le Seuil coll Points 2007 p 94 trad modifi e 2 Pour une pr sentation de la pratique de la m ditation Fabrice Midal Pratique de la m ditation avec CD Le Livre de poche 2013 et Sharon Salzberg L Apprentissage de la m ditation Belfond 2013 31 Shunryu Suzuki Esprit zen esprit neuf Le Seuil 1977 p 35 41 Sogyal Rinpoch Le Livre tib tain de la vie et de la mort La Table ronde 1992 p 165 5 Walpola Rahula L Enseignement du Bouddha d apr s les textes anciens Le Seuil 1978 p 100 Chapitre II Les grandes formes de m ditation Nous avons parfois l impr
138. ue son visage cette expression absolument tonnante par le fait qu il est impossible d y dire si elle est toute pour vous ou toute l int rieur 7 Cette remarque claire profond ment le sens de la m ditation o il ne s agit ni d tre tourn vers l int rio rit contrairement une illusion tenace ni d tre tourn vers le dehors La figure sereine de Bouddha exemple parfait de m ditant son presque sourire ses yeux mi clos t moigne explique t il d un autre rapport au d sir r f r au registre de la v rit qui claire le sens authentique de la pr sence m ditative sans int rieur et sans ext rieur Il y a l de pr cieuses indications pour penser la m ditation hors de la sph re du moi dans laquelle nous avons spontan ment tendance l enfermer x 3 Apprendre se conna tre explorer ses ombres le processus d individuation Jung Jung s est engag dans une r flexion sur la signification de l exp rience int rieure Ce terme trop souvent employ pr sent pour d signer l exploration un peu narcissique de ses motions sentiments et convictions est chez Jung comme le souligne Michel Cazenave La travers e pure et simple des enfers o la fois on jette la vie dans la mort et en m me temps on int gre la mort dans la vie 8 Le sens de cet engagement h ro que qui fut la grande aventure de Jung appara t plus clairement depuis qu a t publi son L
139. ultiver de telles exp riences Elle a ainsi mis en avant le r le de la gratitude de la bienveillance et de la g n rosit ou encore le fait d tre absorb de fa on heureuse dans une activit D sormais enseign e dans de nombreuses universit s comme celle d Harvard par Tal ben Shahar et Shawn Achor celle de Californie par Sonja Lyubomirsky ou celle de Claremont par Mihaly Csikszentmihalvi la psychologie positive propose une autre compr hension de l tre humain qui rejoint l exp rience que chacun peut faire en m ditant Car en effet la m ditation implique de se d tendre dans une exp rience d ouverture et de confiance primordiale Certes voquer ces notions positives et mettre l accent sur le bonheur peut d g n rer en un discours la fois mi vre et totalitaire gare ceux qui sont pris par l angoisse ou encore la na vet selon laquelle il n y a qu dont se gardent les grands penseurs de la psychologie positive Il est en effet vident que les analyses d un Kafka ou d un Proust parfois tr s sombres aident profond ment vivre en mettant Jour l hypocrisie et le mensonge social Ces crivains nous aident parce qu ils nous mettent en rapport avec la v rit de notre existence tre heureux ne se fait pas en fermant les yeux et en pr tendant que tout va bien La m ditation joint du reste toujours les deux ap proches confronter ceux qui s y adonnent aux zones d ombr
140. un plus grand sens d attention envers chaque l ment de la technique e Pour contrer la torpeur 3 qui nous fait perdre la clart et l agitation 4 qui nous faire perdre la stabilit il faut d velopper un sens d alerte la main l g re f c est dire sans violence remarquer ces tats et s en d livrer Contre l inapplication 5 1l faut revenir l attention notre support le souffle en appr ciant la libert que nous avons de pouvoir ainsi uvrer sur notre propre esprit g Pour r sister enfin au manque de coordination 6 il faut avoir un sens complet de la situation tout enti re dans cette compr hension tr s singuli re pour nous Occidentaux de la discipline qui ne repose pas sur le contr le mais sur une pr cision confiante h B Les neuf tapes de la pratique de shamatha Kamalashila propose aussi une description de shamatha en neuf approches description qui a donn lieu l une des plus c l bres repr sentations de la m ditation dans le monde tib tain o l on voit un pratiquant courir derri re l l phant de son esprit pour peu peu r ussir le dompter et s asseoir dessus Au d but l l phant de l esprit est men par le singe de son agitation Un feu important est n cessaire car la m ditation demande beaucoup d nergie et les obstacles sont intenses la fin du chemin l esprit et le m ditant sont tous deux au repos Ils sont comme de vieux
141. uniquement qu en tant qu elle donne naissance la praj a litt ralement la connaissance premi re et qu il faut entendre comme la capacit propre l esprit de voir clairement et de discerner Cette capacit ne peut se d ployer que lorsqu un repos tr s profond s est tabli Le Sutra en 42 sections sans doute le premier texte bouddhique parvenu en Chine en 67 apr J C voir plus bas explique ainsi Dans l eau bouillante de l esprit tourment on ne voit rien Dans l eau boueuse de l esprit confus on ne voit rien 3 M ditation contemplation et exercice Pour comprendre le sens de la pratique et nous viter un redoutable anachronisme 1l faut partir de la distinction grecque entre pratique et th orie Practique vient du grec praxis et vise comme le souligne Aristote l acte libre qui a sa fin en lui m me par exemple la promenade ou le fait de jouer un morceau de musique Aristote ne distingue pas la pratique de la th orie mais la pratique de la poiesis c est dire de l action soumise ce qu elle accomplit le cordonnier faisant une chaussure Pratique signifie donc d abord le fait d tre l uvre sans rechercher par l obtenir quoi que ce soit Th orie vient du grec theoria et d signe la connaissance supr me qui n a pas besoin d autre chose qu elle m me pour conna tre la pens e qui se pense elle m me et nullement comme nous le pensons pr s
142. use I Le malentendu Un projet dangereux et obscurantiste La plupart des m dias nombre de coachs gourous et autres personnages en vue cherchant capter des parts de march ont labor un discours type en forme de syllogisme 1 l homme d aujourd hui souffre du stress 2 la m ditation a des effets mesur s scientifiquement sur le stress 3 gr ce la m ditation vous allez vous aussi pouvoir tre moins stress et plus productif Or sous le visage de ce discours rationnel et convaincant cette promesse est tout fait irrationnelle t moignant m me d un profond obscurantisme D une part parce que la notion de stress est si vague qu elle ne d signe rien de solidement identifiable il faut donc simplement y croire mais d autre part surtout parce qu elle emp che ainsi de penser de fa on r ellement rationnelle les difficult s que nous rencontrons Car si tant d Occidentaux souffrent consomment des tranquiilisants ou en viennent se suicider c est en partie cause de la violence sociale dont ils sont les victimes La m ditation par l effort qu elle demande pour discerner la r alit telle qu elle est doit permettre de d noncer l inhumanit partout o elle r gne plut t que de l ignorer en tant comme une sorte de confortable anesth siant Pr senter la m ditation comme un outil pour gu rir du stress est donc mensonger mais de plus tout fait absurde Le sens m
143. ut revivifier toute pratique religieuse et plus largement tout engagement qui voudraient nous permettre d tre moins prisonnier des constructions sociales si profond ment ali nantes IV La m ditation dans le juda sme Au sein du juda sme deux courants ont d velopp des formes de m ditation la Kabbale particuli rement telle qu elle fut repens e par Abraham Aboulafia 1240 1292 13 et le hassidisme qui est apparu au XVIIIesi cle en Europe de l Est 14 Ce sont l deux voies que Gershom Scholem 1897 1982 nomme mystiques c est dire tablies sur une exp rience directe et imm diate qui chappe au cadre intellectuel et normatif 15 Malheureusement le juda sme est devenu aujourd hui rebelle cette perspective qui l a pourtant si amplement constitu tout aussi bien parce qu il s est d tourn de la religiosit au sens que donne ce terme Martin Buber 16 que parce qu il l a r duite une orthodoxie fatigu e Le juda sme officiel qui gouverne sans mandat et repr sente sans l gitimit 17 a touff ce juda sme cr ateur et primordial Aussi comme le pr cise Charles Mopsik La cabale est consid r e comme une pure aberration par la plupart des rabbins r form s et conservateurs et dans le juda sme orthodoxe elle occupe une position marginale Seuls les hassidim lui accordent encore un v ritable cr dit 18 Encore le hassidisme est il devenu aujourd hui b
144. uvent ainsi le sens de l attention nue que la m ditation permet de d couvrir et de cultiver la diff rence des autres formes de th rapeutique il s agit ici de v ritables m ditations guid es pr sent es au sein de protocoles qui sont encadr es par des m decins IT Se tourner vers la po sie et l art moderne 1 L veil ou le d r glement des sens Dans L veil des sens John Kabat Zinn souligne que Nos plus grands po tes s engagent dans de pro fondes explorations de l esprit des mots et de la relation intime entre les paysages int rieur et ext rieur tout comme les plus grands yogis et enseignants des traditions m ditatives 11 En effet les principaux chos de l exp rience m ditative se trouvent dans la po sie et plus largement dans l art La chose surprend parce que nous avons tendance placer la m ditation du c t de la psychologie ou de la religion Le ph nom ne est pourtant d cisif Notre rapport ce que nous nommons la r alit est le plus souvent pauvre troit fait de notions pr tablies Les sens nous ouvrent au monde mais au moment m me o a lieu cette ouverture a lieu du m me coup une gale fermeture ce que nous percevons est mis en ordre Tout est d avance pass par le filtre d un ordonnancement celui des habitudes comme des concepts Je ne vois pas cet arbre j en ai une perception optique ou je le vois travers le mot arbre ou en
145. ux points cardinaux de la m ditation juive transporter l au del dans l en de et l extase sont li s un travail de lecture du monde comme espace de m tamorphose que par exemple les premiers tableaux de Chagall ont su rendre visible Autrement dit la m ditation juive consiste entrer dans cette singuli re symphonie qui existe d elle m me et que l exil qui est aussi oubli de notre propre nature nous fait oublier Cette compr hension de la m ditation rejoint celle du tantra bouddhique On y retrouve la m me complexit qui demande un effort de patience et d intelligence la m me conviction que la transmission ne peut exister pleinement qu entre un disciple et son ma tre c est dire entre deux tres qui s unissent le m me refus de s parer le corps et l esprit la m me entente que l imagination n est pas n cessairement un jeu vain du mental mais peut donner acc s un monde que voilent nos perceptions habituelles V Orthodoxie islam et vedanta indien Il est aussi possible de remarquer les liens profonds qui existent entre la m ditation et les traditions religieuses que sont l orthodoxie l islam et celles du monde indien Dans l orthodoxie comme dans l islam soufi des pratiques concr tes de m ditation jouent un r le primordial avec pour l islam la pratique du dhikr c est dire de la r citation d une formule l ilaha illa Lh h il n y a de divinit

Méditations

Contents

Download Pdf Manuals

Related Search

Related Contents

M&eacute;ditations

Contents

Download Pdf Manuals

Related Search

Related Contents

Méditations