L`Inconnue de la Seine
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1. J avais honte pour lui Je ne sais plus jouer la com die Les autres ne m int ressent que s ils me font r ver 4 novembre Je m habitue la pr sence muette de l Inconnue Elle est si l gante La p leur cela fait tellement distingu Elle devient le g nie tut laire du lieu me surveille discr tement pendant que je couvre de papier cristal les volumes bro ch s Elle ne bouge pas Elle m apprend la lenteur Tout se ge autour d elle Nous restons ainsi des heures sans nous voir dans les trous du temps Et quand je quitte la librairie le soir au moment d teindre la lumi re et de tirer la porte il me semble la voir tressaillir dans l obscurit Ce fr mis sement de sa peau de pl tre est il d un effet de mon imagination l ombre ondoyante dessin e par les phares de voitures qui passent dans la rue ou bien commence t elle vraiment vivre quand je lui tourne le dos 5 novembre Sur une banquette au fond d un caf une jeune femme en imperm able bleu marine Elle lisait un livre d un air distrait une cigarette achevait de se consumer dans le cen drier Marie ai je pens en m approchant d elle avant de prendre conscience qu elle tait morte et que je la rever rai plus Une fois d j quelques semaines apr s sa dispari Extrait de la publication 20 tion j avais cru la reconna tre derri re la vitre d une cabine t l phonique la gare Saint Laza2. nice d gypte envelopp e de bandelettes Elle a travers les mers pour venir jusqu moi elle se couche sur un lit blanc et nous restons allong s comme des gisants Il m arrive de me dissoudre de me vaporiser dans l air du pur g chis invisible dans les rues sous la pluie son image escorte les ruines de moi m me partout des toiles d araign e o je me jette la t te la premi re Marie quand est elle morte Il y a un an d j Mercredi l angle de la rue Fontaine surgissant de l obscurit d une porte coch re une lle se colle moi Sa main se serre sur mon bras je tressaille Odeur d ther Elle n a pas dix huit ans et fait tous ses efforts pour se vieillir Je lui demande comment elle s appelle Nad ge Ce n est pas son nom Elle aurait pu m en donner dix autres Karine Lola Maryline Natacha Elles s appellent toutes de la m me fa on Des noms interchangeables qu on confond et qu on oublie sit t qu on les a entendus L apr s midi elle travaille dans un bar du boulevard de Clichy Viens me voir Nad ge Tu te souviendras Elle a de grands yeux noirs tout dilat s qui ne me voient pas Il y a si longtemps que je n ai pas tenu une femme dans mes bras 22 13 novembre La semaine derni re on m a signal un lot de disques et de partitions qui avaient appartenu un professeur de piano de la rue Saint Lazare et dont les h ritiers voulai
3. es comme une peau de lait 16 Apr s avoir prolong mon verre de vin au del du vrai semblable j ai pris le paquet et je me suis lev J ai d m ar racher la chaleur moite du caf comme on pousse regret les couvertures d un lit ti de Le lendemain la librairie En passant devant la brocante ce matin j ai vu que le marchand l avait d j remplac e par une poup e de chiffon dont la t te molle retombe sur la poitrine comme celle d un pendu Je l ai x e l un des panneaux de livres entre les photos de Fargue et de Reverdy Il a plu presque toute la journ e et comme toujours dans ces cas l de faux clients sont venus fouiller dans mes reliures Dante le professeur la retraite qui habite deux pas rue Clauzel est pass me voir Nous avons chang quelques mots C est un original qui ne se rase qu un jour sur deux depuis que sa femme est morte Quelques poils blancs restent accroch s dans le creux de ses joues Un ori ginal qui d teste les romans Racolage sentimental intrigues fabriqu es d magogie Je l aime bien quand m me Il a vu le moulage m a questionn son sujet Lui aussi il l avait remarqu dans la boutique du brocanteur D s qu il est parti j ai cach la t te sous un voile blanc comme on couvre la cage d un oiseau trop sif eur J ai relu la nouvelle que Supervielle lui a consacr e dans le recueil L Enfant de la haute mer
4. me r p te que ma vie n est qu un Extrait de la publication 18 brouillon que je la recommencerai En attendant j en lis le mode d emploi dans les livres o le monde est mis au chaud Paris est encombr de silhouettes fugitives qui m entra nent leur suite Maldoror et Mervyn rue Vivienne Louise Lame et le Corsaire Sanglot rue du Mont Thabor Des Esseintes la gare Saint Lazare Bob et Bobette Luc et Marcelle Victoria Klimentiev Horacio Oliveira Rodolphe et Mimi et tous les autres que je crois surprendre chaque coin de rue M me si de temps en temps je me dis que c est un peu triste trente ans d avoir pour seuls amis Ars ne Lupin Nadja Ad le Blanc Sec la Sibylle ou Mirabelle Cette habitude qu avait Marie de me le rappeler en chantant mon nom sur deux notes Si mon toujours des si avec toi Tu devrais mettre un peu d ironie dans ta vie 3 novembre Pass la soir e avec R qui m a entra n une projection au Studio 28 Nous avons pris un verre ensuite dans un bar de la rue des Abbesses La conversation languissait Je ne faisais gu re d efforts pour l alimenter j avais h te de me retrouver seul Il me parlait de Delphine sa lle de ses cours au lyc e une de ses l ves a laiss dans son casier une d claration d amour anonyme bien s r bourr e de fautes d orthographe Il en a compt onze en deux pages Extrait de la publication 19
5. Blonde Cette dition lectronique du livre L Inconnue de la Seine de Didier Blonde a t r alis e le 28 mai 2012 par les ditions Gallimard Elle repose sur l dition papier du m me ouvrage ISBN 9782070137732 Num ro d dition 242548 Code Sodis N52583 ISBN 9782072469930 Num ro d dition 242550 Extrait de la publication
6. Extrait de la publication DU M ME AUTEUR GAZ TOUS LES TAGES nouvelles Orban LES VOLEURS DE VISAGES SUR QUELQUES CAS TROUBLANTS DE CHANGEMENTS D IDENTIT ROCAMBOLE ARS NE LUPIN FANT MAS amp C ie essai M taili Prix Fant mas FAIRE LE MORT roman Gallimard BAUDELAIRE EN PASSANT essai Gallimard L un et l autre LES FANT MES DU MUET essai Gallimard L un et l autre UN AMOUR SANS PAROLES r cit Gallimard L un et l autre LE LIEU DU CRIME La Pionni re R PERTOIRE DES DOMICILES PARISIENS DE QUELQUES PERSON NAGES FICTIFS DE LA LITT RATURE La Pionni re CARNET D ADRESSES Gallimard L un et l autre LE FIGURANT nouvelle in CIN MA amp LITT RATURE LE GRAND JEU 2 De l incidence l i n c o n n u e d e l a s e i n e Extrait de la publication DIDIER BLONDE L I N C O N N U E D E L A S E I N E r o m a n G A L L I M A R D Extrait de la publication Ce roman en partie retouch a paru initialement en 1988 sous le titre Le Nom de l Inconnue aux ditions R gine Deforges ditions Gallimard 2012 Extrait de la publication Roger Grenier Extrait de la publication Extrait de la publication Une femme c est dire une question une nigme pure Julien Gracq Extrait de la publication Extrait de la publication 13 30 octobre On venait de passer l heure d hiver L
7. Quand j avais d couvert 17 ce r cit il y a une dizaine d ann es j avais cru que le po te avait invent de toutes pi ces le personnage de la noy e au sourire nigmatique humble et ottant fait divers Il avait fallu qu elle r apparaisse dans Aur lien d Aragon pour que je commence croire confus ment que la jeune incon nue avait r ellement exist Maintenant que j ai sous les yeux ce certi cat d existence je vois bien que toute ction est de peu de poids en face du masque mortuaire Elle se secoue de toutes ces vies r trospectives qui l touffent et cherche vivre seule Elle se d pouille de ces v tements d emprunt et r clame qu on la prenne une fois au moins au s rieux 1er novembre Apr s avoir pass la matin e classer les acquisitions que j ai faites hier aux ventes de Drouot je me suis remis mon R pertoire des domiciles parisiens des h ros de romans d Albertine Simonet Zazie en visite Le grand plan Taride punais au mur se couvre progressivement de tous les d placements de la population romanesque de la capi tale J aurai bient t ni d tablir l index du cycle des Fan t mas de Souvestre et Allain sur lequel je travaille depuis des mois Une ville est un roman o l on crit sa vie a dit Esquiros J ai besoin de l imprimatur de la litt rature pour croire au monde Retranch dans ma librairie comme dans un blockhaus je
8. ent se d barrasser Je suis entr dans un grand vestibule sombre qui sentait l encaustique le cuir et les m dicaments Une jeune femme m a montr une dizaine de cartons empil s dans un coin Comme je m appr tais jeter un coup d il sur leur contenu elle m a dit Il faut tout emporter Rien ne doit rester ici Je crois qu il s agissait de la ni ce du professeur Je suis revenu les chercher le lendemain et en les triant la librairie j ai d couvert une ancienne gravure de La Jeune noy e de Brecht mis en musique par Kurt Weill Tout de suite j ai pens l Inconnue La pochette moiti d chir e ne prot geait plus le sillon qui tait tr s ab m Mais on pouvait encore lire au dos une partie de la chanson Als sie ertrunken war und hinunter schwamm Von den B chen in die gr eren Fl sse L apr s midi quand je suis seul j ouvre le meuble d angle o est rang l lectrophone Avant les premi res notes on entend le gr sillement des poussi res et le souf e du haut parleur comme une gorge qui s claircit Je reste assis dans le fauteuil regarder le masque cette image du Extrait de la publication Achev d imprimer sur Roto Page par l Imprimerie Floch Mayenne le 24 mai 2012 D p t l gal mai 2012 Num ro d imprimeur 82144 ISBN 978 2 07 013773 2 Imprim en France 242548 Extrait de la publication L Inconnue de la Seine Didier
9. es rues taient subitement plong es dans l obscurit J ai baiss le rideau de fer de la librairie Le Pi ton de Paris Livres et disques d oc casion Achat Vente et j ai remont comme chaque soir la rue Notre Dame de Lorette C est en traversant la place Saint Georges que je l ai aper ue J tais certain de l avoir d j vue mais je ne savais plus o ni quand et j avais oubli son nom Peut tre tait elle l depuis plusieurs jours comme une borne distraite sans que je l aie remar qu e Le magasin de brocante tait clair le faisceau lumi neux d un petit projecteur dirig sur elle attirait l attention Elle tait devant moi endormie Ou elle faisait sem blant J aurais pu r citer son visage sans me tromper Un visage beau comme un corps de femme Paupi res closes pommettes saillantes cheveux en bandeaux plaqu s sur les oreilles l g re inclinaison de la t te sur le c t dans un mouvement de d fense peine perceptible et cette peau si 14 blanche diaphane ces traits si purs un songe en n ce sou rire perp tuel comme une ironie polie tellement trange Elle n tait pas du genre se laisser apprivoiser docilement et m me plac en face d elle j avais l impression qu elle me tournait le dos Quel secret cachait elle derri re cette moue lass e qui n tait pas de son ge La main sur la poign e j ai h sit un moment mais j ai eu p
10. eur que quelqu un ne prenne les devants l emporte sous mes yeux et je me suis d cid pousser la porte La boutique tait pleine de meubles et de bibelots Des bis cuits une L da de bronze des reliures d pareill es des lots de cannes et de chapeaux Sur une commode en demi lune de vieilles pipes de collection en porcelaine Je me suis dirig vers le mur o elle tait accroch e pr s d une Vierge polychrome Le brocanteur lisait un journal coinc entre une bonneti re et un n gre en torch re Il a lev ses lunettes sur son front et est venu se placer derri re moi l instant m me o il a dit simplement L Inconnue de la Seine comme s il faisait les pr sentations j ai reconnu la jeune noy e dont le visage a t moul la morgue L anonymat n a jamais t lev Elle reste retranch e der ri re le rempart de son secret vierge ou putain on n en sait rien Pour qui pourquoi a t elle choisi la mort Qu a t elle entrevu pour en ramener ce souvenir d extase Elle est tomb e dans le domaine public mais on n a pas r ussi la faire parler quoi sert de tr paner les morts C est une copie ai je demand en passant la main sur le masque de pl tre Une ne poussi re blanche s est coll e mes doigts Extrait de la publication 15 Une copie ancienne C est plus rare Elles sont telle ment fragiles Un rien peut les briser Maintenant on en fabri
11. que d autres des modernes il y en a des centaines On l utilise comme mod le dans les coles de dessin De toute fa on l original a disparu depuis longtemps Le pl tre tait ra par endroits tra ant de nes rides posthumes la commissure des l vres et sous le menton C tait la premi re fois que je voyais le moulage mais elle tait bien comme je l imaginais Un peu plus jeune peut tre Une vraie llette Elle est belle a soupir le mar chand comme s il regrettait de devoir s en s parer Elle ressemblait Marie J ai achet cent francs le visage de pl tre que l homme a d pos avec pr caution dans un carton matelass de paille Dehors je me suis trouv ridi cule avec mon paquet que je tenais par la celle Au lieu de revenir directement chez moi je me suis install dans le caf d en face Calfeutr au milieu du bruissement des voix j ai observ le bal masqu des visages qui passaient devant moi Rien n tait vrai ce n taient que des marionnettes qui d laient derri re les vitres Il s est mis pleuvoir faiblement Des parapluies s agi taient comme des s maphores affol s Le brocanteur a ren tr ses bo tes de cartes postales d croch les tapis et les cadres vides qu il suspend ses grilles la boutique s est teinte d un coup La place miniature commen ait r ver tout haut Sur les carreaux la pluie d posait des eurs rid
12. re l o nous nous don nions rendez vous Et r cemment encore une personne assise sur un banc qui pourtant ne lui ressemblait pas m avait troubl simplement parce qu elle ne me quittait pas des yeux comme si c tait elle qui cherchait se souvenir Pas de tombe o aller Son corps est perdu Je crois qu il me suf rait de voir son nom sur la pierre d un cimeti re pour que cessent ces hallucinations et que je croie en n sa mort Je n ai pas su la retenir Comment me convaincre que ce n tait qu un accident 6 novembre Je pense toujours la mort comme une nigme d chiffrer L ang lisme du masque de pl tre est l pour me prouver qu il s agit seulement d une vie v g tative entre parenth ses qui rend muet peut tre sourd mais pas aveugle Marie revient hanter mes nuits Je ne veux pas tre libre d aimer qui je veux Il n y a pas de place pour les autres dans Marie il y a aimer Il faut vivre dans la mort poreuse qui ne s pare pas regarder le monde par les yeux de Marie Avant quand elle tait l il n y avait que de l espace et du temps entre nous pr sent elle est partout dans ma t te son corps r de mes c t s elle me suit pas pas et je sais qu il suf rait de me retourner pour la voir de nouveau Je ne fais que de petits r ves toujours les m mes o elle Extrait de la publication 21 m appara t dans une pi ce blanche v tue en B r
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