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1. avalement des h ros L utilisation de la d cep tion est rig e en syst me comme l ab me absolu dans lequel tous les livres de Perec trouvent leur conclusion nous ne saurions trop souligner son r le structurant partir duquel va s tablir toute l conomie du texte perecquien Ce Kara n est pas loin de ressembler aux deux personnages des Choses J r me et Sylvie de qui Perec dit qu il aurait fallu que le monde les choses de tout temps leur appartiennent et ils y auraient multipli les signes de leur posses sion Mais ils taient condamn s la conqu te son d part au dernier matin Kara ne semble t il pas lui aussi condamn l anony mat Comme eux galement n est il pas renvoy au n ant malgr les amis qui l entourent J r me et Sylvie devant les gens qu ils fr quentent ne comprendront ils pas 8 Georges Perec les Choses Une histoire des ann es soixante Paris Julliard 1965 p 140 T AUTOMNE 1990 Certains soirs que leur si belle amiti leur vocabu laire presque initiatique leurs gags intimes ce monde commun ce langage commun ces gestes communs qu ils avaient forg s ne renvoyaient rien C tait un univers ratatin un monde bout de souffle qui ne d bouchait sur rien Les Choses p 81 Pourquoi n a t on pas soulign cette trange parent des deux premiers romans de Perec qui chacun sa fa on reposent sur l impossibilit2. Article Georges Perec ou Le syst me de la d ception Hugues Corriveau tudes litt raires vol 23 n 1 2 1990 p 135 148 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 500932ar DOI 10 7202 500932ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudlit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 07 02 GEORGES PEREC O LE SYST ME DE LA D CEPTION Hugues Corrivean Il faut encore une fois partir de l image du puzzle ou si l on pr f re l image d un livre inachev d une uvre inachev e l int rieur d une litt rature jamais achev e La d sillusion radicale Y a t il moyen de rire vraiment avec Georges Perec y a t il moyen de ne soul
3. ab m e qu elle est dans l tal avalement de l ordinaire C est une premi re 24 TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 approche du langage comme objet de guerre que met en jeu ce roman objet pris comme champ sur lequel pourra s exercer la volont de tout r duire la part congrue de la survivance Ainsi l homme qui dort essaiera t 1l de parvenir un d pouillement de plus en plus grand en perdant les nuances m mes des mots leur raffinement Cette perte du langage le conduira lentement un tat plus l mentaire li un contact de moins en moins raffin avec le monde Apr s avoir r duit sa consommation de nourriture une s rie fixe et r p titive d aliments il essaiera de se priver galement de mots Le langage a t plus r sistant il t a fallu quelque temps pour que la viande cesse d tre mince coriace filandreuse les frites huileuses et molles le vin poisseux ou acide pour que ces qualificatifs minemment d pr ciateurs porteurs au d but de sens tristes vocateurs de repas pour pauvres de nourritures de clochards de soupes populaires de f tes foraines de banlieue perdent petit petit leur substance et pour que la tristesse la pauvret la p nurie le besoin la honte qui s y taient inexorablement attach s cette graisse devenue frite cette duret devenue viande cette acidit faite vin cessent de te frapper de te marquer de m me qu l oppos cessent
4. chappe l usure l usage La destruction m me de la maison du 11 de la rue Simon Crubellier est plusieurs reprises envisag e T t ou tard l immobili re condition de possibilit de La Vie mode d emploi sera abolie 6 La sp culation se fait ici directement entre le romancier et la mort Il s agit d une joute cruelle o s estompe l espoir toujours d u de la r ussite Jeu de patience in puisable mais qui laisse la fic tion le jeu de la fiction toujours au dessus de toute contingence mortelle car c est la seule part de l crivain qui est sauv e dans l existence m me de ses livres quelque chose t moigne que d une certaine fa on la victoire est du c t des traces des marques de langage qui signe apr s signe ont travers le silence ont trouv le nom propre du texte Les toutes derni res confidences d Es p ces d espaces en t moignent loquemment lorsque Perec affirme que l espace est un doute il me faut sans cesse le marquer le d signer il n est jamais moi il ne m est jamais donn il faut que j en fasse la conqu te Mes espaces sont fragiles le temps va les user va les d truire rien ne ressemblera plus ce qui tait mes sou venirs me trahiront l oubli s infiltrera dans ma m moire je regarderai sans les reconna tre quelques photos jaunies aux bords tout cass s crire essayer m ticuleusement de retenir quelque chose de faire survivre quelque chose arr
5. pour les personnages d tre sauv s de rien par per sonne qui renvoient la solitude irr m diable de tous ceux qui cherchent pourtant l autre la conformit sociale et l apaisement du nom Perec a bel et bien men sans aucun d tournement ses premiers h ros vers l chec r ves bris s rendus solitaires dans la foule obtuse qui les avale Or cet chec exemplaire sera incessamment r p t dans ses autres uvres subverti plus secret plus prot iforme sans doute mais non moins violent jusqu aux ultimes d sastres de 4 Vie mode d emplor Et de cette esp ce de qu te perdue du borheur de ce sentiment merveilleux d avoir presque un instant su l entrevoir su le deviner de ce voyage extracrdinaire de cette immense conqu te immobile de ces horizons d cou verts de ces plaisirs pressentis de tout ce qu il y avait peut tre de possible sous ce r ve imparfait de cet lan encore gauche emp tr et pourtant d j charg peut tre la limite de l indicible d motions nouvelles d exi gences neuves il ne restait rien Les Choses p 101 102 Robert Misrahi ne dira t 1l pas propos de W ou le souvenir d enfance roman que pourtant Perec publiera dix ans plus tard que 22 LE SYST ME DE LA D CEPTION le lecteur est pris absorb lentement dans les rouages d une m canique mentale fun bre et in luctable cons truite pour se d ployer comme une obsession raide et aveugle
6. Tout se pervertit dans son contraire qui est tou jours le pire P Comment ne pas croire alors qu travers les m andres de l criture perecquienne nous ne soyons pris au pi ge d une illusion B ties sur le rire sur un imaginaire d brid les uvres de Perec recouvrent toujours la plus sombre d sil lusion ce que nous avons nomm la d ception Formes et existence Ce sont donc les fictions qui trouvent s in s rer dans l ordre de la catastrophe cyniques regards pos s sur le monde sorte d impossibles retrouvailles avec les histoires du monde qui sous la plume de Perec circonviennent l espoir relatif d une r ussite occasionnelle passag re factuelle Apr s ces deux premiers romans il poursuivra l entreprise en d voilant dans Un homme qui dort la d saffection au monde ext rieur similaire une d fection de l arm e ou de tout engagement formel L homme qui dort va comprendre la catastrophe de l existence d une fa on claire C est un jour comme celui ci un peu plus tard un peu plus t t que tu d couvres sans surprise que quelque chose ne va pas que pour parler sans pr cautions tu ne sais pas vivre que tu ne sauras jamais 0 Qu aura t on compris la vie chez Perec depuis son premier texte qu aura t on compris 9 Robert Misrahi W un roman r flexif dans l Arc p 84 10 Georges Perec Un homme qui dort Paris Deno l 1967 p 141 aux choses du monde sinon q
7. cet espoir itin rant de se don ner une personnalit traduisible il va de soi dans la mati re m me des objets qui les entourent J r me et Sylvie n en sont pas moins des m sa dapt s qui veulent se donner le monde en l ache tant comme une marchandise sentimentale et morne qui ferait d eux des traits d existence sortes de moulages clones satisfaits dans la mesure o la qualit m me des tres ne saurait pour eux que se jauger leur ressemblance Tragique vision ou catastrophe du moi dissous dans son d sir de n tre que miroir Les h ros des Choses veulent justement trouver l objet analogi que l tre parfait qu ils pourraient en toute qui tude mzter d un bout du monde l autre ils n ont de cesse de chercher cet innomm premier 3 Ibid p 48 137 sujet qui les rendrait capables de se mouler lui L motion tend vers une scl rose refoulante transf r e tout au plus sur les objets symboliques de la richesse de l apparence ou de l apparat La mesquinerie de leur vie tient moins ce qu on a tent d analyser comme le reflet sociologique d une poque qu une carence affective une tr s grande pauvret d imagination Ces person nages sont de ceux qui ne peuvent se donner au monde sans r sistance sans bien nommer le pay sage qui les entoure sans bien nommer les choses qui leur appartenant sont comme leur peau mat rielle protectrice mises en lieu s r dans leur d nomin
8. savent le faire en des lieux plus ouverts plus ad quats Dans a Vie mode d emploi il va jouer de tout ce qui dans ses crits pr c dents lui a permis de faire uvre d acc der la cr ation Perec savait bien que m me s il s tait donn corps ct me la r invention du monde par l criture ce nouveau monde n tait pas moins condamn que celui dans lequel il est n il enlevait au lecteur toute illusion ce sujet Ses livres aboutissent au vide souvent la mort Somme absolue de ce qu il a entrepris en quinze ans d criture somme minemment coh rente dans la mesure o l humour formel y c toie la catastrophe mortuaire ce projet sera encore une fois clos en atteignant la forme parfaite et multiple de l espace ferm des pi ces des chambres de l immeuble microcosme infernal o l on apprend la vie la r p tition le travail de deuil les al atoires va et vient des personnages la culture elle m me comme prise au pi ge de la citation secr te comme l art tout entier enva hissant figure privil gi e du d sir Si l on s ac corde pour reconna tre que le peintre Val ne devient son porte parole on saisit quel point le projet de Perec r sume la pulsion d criture tout enti re qui l a conduit son uvre Val ne parfois avait l impression que le temps s tait arr t suspendu fig autour d il ne savait quelle attente L id e m me de ce tableau qu il projetait de
9. 23 N 1 2 toute qu te emp che tout acc s l ailleurs esp r Le d sir ici toujours actif toujours pre mier est sinistrement tourn vers l cueil son emprise sa fortune Car s il faut parler de cette uvre nous ne voyons pas comment il serait pos sible d en traverser la mati re d en approcher m me les fictions sans retenir cette part congrue du malheur qui habite et hante au plus pr s son rire jaune son existence d vi e o sous jacente l odeur macabre de l absence se tient rigide et absolue l image ouverte du vide L histoire de Perec l crivain commence apr s un an an tissement apr s les cendres d Auschwitz Elle se cons truira peu peu autour de ce vide partir de l appui des signes et des lettres pour aboutir aux architectures les plus rigoureuses comme les plus fantaisistes Faut il imaginer cette uvre heureuse Cette question que d autres ont pos e propos de Sisyphe n y aurait il pas lieu de la poser aussi au sujet de ces textes qui sous des apparences dro latiques cachent insidieusement de formidables trag dies des h ros gangren s par l ironie inqui tante de leurs projets des tensions dramatiques la limite du silence du d sastre Ainsi dans plusieurs de ses uvres retrouvons nous Perec en train de r crire le monde tout en ajustant son regard selon l angle n faste de la perte du manque L o semble se dessiner quelque pos sibilit de r us
10. UTOMNE 1990 rest e vide vie ouverte sur le destin in vitable tombe ou trou b ant devant l il du mourant Bartlebooth est mort de constater que malgr le jeu et les r gles malgr le syst me imagin pour le contourner jamais le hasard ne s abolit puisque toujours un Winkler va marquer de son initiale fatidique le dernier espoir envol Cette marque graphique est comme un num ro calami teux signe plus que jamais de la mort mais aussi de l impossible libert d en contourner les effets Bartlebooth meurt d une stupeur aveugle en ne voyant pas la place ad quate qui pourrait effacer la b ance mortelle Ainsi meurt il videmment de d ception catastroph par la marque du d sastre Toute lecture s ach ve donc dans la d convenue d avoir pris son d sir pour la r alit Si Jamais le lecteur avait esp r voir se produire le miracle s il avait voulu que tout s accomplisse dans la perfection de l image de nouveau unifi e c est qu il aurait m connu que chez Perec le happy end est inconcevable puisque toujours mar qu au coin d une d ception ontologique dirait on il serait utopique d imaginer pouvoir cerner le monde sans tomber dans l illusion la forme m me du cercle faillissant garantir que le jeu puisse vraiment prendre fin Pas plus pos sible de g rer sa vie que de suspendre le destin semble j Perec d sillusionn Combien d histoires dans 4 Vie mode d emploi qui avortent sans explicat
11. acher quelques bribes pr cises au vide qui se creuse laisser quelque part un sillon une trace une marque ou quelques signes p 122 123 Ainsi l entreprise d crire convient la grande d ception que si peu soit sauv Et pourtant que demander d autre de cette pulsion qui m ne Perec du silence au livre toute chose faite l objet entre les mains les histoires devenues choses impri m es mots absolument r els comme une vidence qui cherche son trou sa place entre les autres livres de la biblioth que fatale inser tion dans le puzzle de la litt rature des autres histoires de la surcharge class e et in vitable des rayons o s empilent s entassent les uns c t des autres comme en un immeuble de papier tous les autres livres comptabilis s chacun chif fr marqu cod fatalement expos aux yeux de tous dans une offre perverse qui fera trou si jamais il est pris lu case vid e parce qu il sera 16 Gilbert Lascault les Nombres en un mode d emploi 8 remarques num rot es dans Arc p 49 147 TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 sorti de sa place puzzle d construit de nou veau inachev attendant toujours l autre livre uvre incompl te toujours en manque de dire un autre mot un autre texte Et si on comparait l uvre enti re de Perec Un cabinet d amateur que ce soit le roman ou la toile comme genre il faudrait bien convenir d une parent absolue Un
12. ann Karakiri Karastein Karaniette Karatchoum Karasteni Karabouffi Karajcanne Karavage 1985 p 167 LE SYST ME DE LA D CEPTION Karalepipede Karafalck Karagidouille Karagandhi Karastenberger Karacoroum Karamega Karasweisz Karaschmurz Karabougaz Karastinck Karablum Karacalla Karaschwein Karafeld Karacasse Karabin r Karascon Karabesque Karameraman Karavigote Karathoustra Karabibine Karapoplektick Karazozo Karabambou Karapatte Karalanoi Karacrack Karanoia Karadine Karaphrenick Kara comme du dis Karalarico Cette num ration met en lumi re le ludique transitoire par lequel passe toujours le monde d sabus de Perec Ici convenons que la fausse indiff rence trouver le nom juste cache et d voile en m me temps l obsession de la nomi nation qui toujours en toutes ses uvres fait uvre En t moigne aussi la d rive ultime per ceptible dans l accord phon tique de son nom m me dont il suppute qu il se prononce Peretz Peretsch Peurec ou Perek etc comme si jamais nous n atteignions le fin mot de notre propre nomination la possibilit de transcrire par crit la g n alogie parfaite de ce qui avant nous nous a conduit nous m me Perec ne disait il pas Jean Marie Le Sidaner Cette recherche de mes racines qui m a depuis conduit vers de nombreux chemins que je n ai pas fini de parcou rir m a fait je crois prendre conscience de cette appar t
13. ation m me Perec crit son premier roman comme le roman du talisman extr me du f tiche vital comme si les tres polic s qui y vivent avaient encore un instinct tribal un besoin absolu de passer l preuve de l initiation sans pour autant pouvoir trouver le ma tre les paroles magiques les scarifications n cessaires le trans missible le mot de passe qui les m neraient au del de l imm diate dissolution de leur per sonnalit ab m s qu ils sont dans l angoisse cons tante de n tre jamais au bon moment dans le bon lieu de ne pas dire au bon moment les bons mots de ne pas poss der au bon moment les bons objets Ce d placement constant de leur existence en fait des tres c t d eux m mes qui ne trou veront leur mani re de vivre qu en se coulant dans le moule du pareil et du m me pour acc der une sorte de survie larvaire et anonyme leur garantis sant d arriver au moins l euphorie de l achat Ce qu ils n ont ni l un ni l autre reconnu dans leur histoire personnelle ils croiront pouvoir le rem TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 placer en achetant toujours et encore les choses du monde Mais rien ne remplacera ce manque premier ce coup d envoi sur lequel toute l uvre de Perec va se jouer On a voulu croire que es Choses formaient un monde part dans cette uvre prot iforme mais ne faudrait il pas relever cette marque originelle du mangue qui dans tout ce qui suivra n aura de cess
14. cabinet d amateur n est pas seulement la repr sentation anecdotique d un mus e particulier par le jeu de ces reflets successifs par le charme quasi magique qu op rent ces r p titions de plus en plus minuscules c est une uvre qui bascule dans un univers proprement onirique o son pouvoir de s duction s amplifie jusqu l infini et o la pr cision exacerb e de la mati re picturale loin d tre sa propre fin d bouche tout coup sur la Spiritualit ver tigineuse de l ternel Retour T AUTOMNE 1990 Comment mieux parler de toute l uvre de Perec qu en saisissant la lettre que son entreprise est l ternel recommencement d elle m me code obstin qui de joute en joute de jeu en jeu prend la forme accomplie du cercle Initiatique et pervers ce cercle perecquien est porteur de sens et de paroles mais aussi finalit emprisonne ment Forme fixe jeu de l il focus mobile devant lunivers tout enti re l uvre de Perec rejoue la d ception comme une fatalit seul mot capable de bien cerner le pourquoi de cette ten sion qui a men l une des uvres majeures du XX si cle 17 Georges Perec Un cabinet d amateur Histoire d un tableun Paris Balland 1979 p 20 148
15. de les poir Ainsi cet tre polymorphe nomm Kara qui deviendra bien malgr lui le per sonnage principal la fois un et tous soldat mod le anonyme plus que personne parce que trop nomm ce Kara contre toute attente fera faux bond ses amis qui dans les plus invrai semblables circonstances tenteront de l emp 5 Tous les noms ici num r s sont r partis dans l ensemble de Quel petit v lo guidon chrom an fond de la cour Paris Deno l 1966 6 Entretien p 9 7 Bernard Olivier Lancelot Perec ou les M tamorphoses du nom dans Arc p 12 139 TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 cher de se rendre la guerre Il ira dans l or du d sert se faire chair canon loin de ses sauveteurs potentiels dans une ironie macabre comme tous les Kara soldats des r giments num ros tant de fois men s la mort parce que justement cet antih ros du roman le plus apparemment futile de Perec ne peut aller ailleurs qu la mort pro l tarienne et guerri re tant son destin incon tournable est de dire non ceux qui cherchent lui donner la vie en le reconnaissant Le roman se termine de fa on abrupte dans la d ception absolue puisque le personnage principal n est sauv de rien surtout pas de lui m me et de son destin Cette fa on de laisser le lecteur dans la d convenue la plus aigu r p te la fin des Choses o lon assistait aussi l irr m diable
16. de te convaincre les signes nobles exacts envers de ceux ci de l abondance de la bombance de la f te p 75 76 Perec va s attaquer la propri t m me de l crivain son outil de telle sorte que se r duise le champ du dicible la mani re m me de par venir le dire comme s il proc dait ici une pre mi re bauche de ce qui deviendra une des grandes figures de 4 Vie mode d emploi tuer le temps Objet de convoitise et de ranc ur le temps d tient chez Perec la fonction premi re de repr senter le malheur d exister irr cup rable 142 T AUTOMNE 1990 indice constant de la perte de soi du monde des choses symbole m me de l usure Perec va en faire son instrument le plus incontournable son d son hasard sa po tique Le travail con tre le temps va devenir uvre d criture uvre irrempla able tant l id e de le d jouer va nourrir les fictions les d sordres L indiff rence n a ni commencement ni fin c est un tat immuable un poids une inertie que rien ne saurait branler Un bomme qui dort p 102 et c est sur cette certitude que vont se jouer l objectivit l ap parente froideur l immuable regard analytique de Perec sur le monde R crire le monde de telle sorte qu une certaine part de d sinvestissement motif soit possible qu une recherche en ce sens soit quelque part appr hend e tout au plus pourra t il chercher donner le change dans ses t
17. e de g n rer l imagi naire le travail m me de la recherche linguis tique les folies anagrammatiques les plus inou es Le d sir d plac Quelle est en somme la probl matique majeure des uvres de Perec sinon de cerner le d sir pourrait on dire de le codifier Quoi qu il en soit il s agit bel et bien de savoir en l occur rence ce que ce mal du d sir repr sente ce qu il peut cacher de volont de sagesse de tendances vell itaires comme dynamiques Il est en quelque sorte ce qui sous tend toute la d marche des pro tagonistes ce qui tend les espoirs de Perec lui m me tout aussi bien dans ses tentatives de cer ner un lieu que de faire main basse sur un espace comme si le vol par le biais de la nomen clature allait lui donner le monde Ainsi en est il de ce besoin d num rer cher Perec Il y a dans toute num ration deux tentations contradic toires la premi re est de TOUT recenser la seconde d ou blier tout de m me quelque chose la premi re voudrait cl turer d finitivement la question la seconde la laisser ouverte entre l exhaustif et l inachev l num ration me semble ainsi tre avant toute pens e et avant tout clas sement la marque m me de ce besoin de nommer et de 4 Georges Perec Penser Classer Paris Hachette Textes du XX si cle 138 ET AUTOMNE 1990 r unir sans lequel le monde la vie resterait pour nous 4 sans rep res On voit ic
18. e dont il lui faut programmer le d sir et l assujettir une contrainte parfaitement circonsCrite qui parvienne l estomper le trans gresser Claude Burgelin ne disait il pas un tel travail de s cession r sulte d une asc se c est une sorte de perfection circulaire qui hantera Bartlebooth Aller jusqu au bout de la tentation de la boule ou plut t la bulle la tr s grande bulle transparente v cue dans A z 2 la plus belle des les d sertes la chambre Ce qu il faut entendre ici c est le besoin g om trique de Perec de circuler dans la forme parfaite de l il du O de son nom dans le centre pro recteur de ce qui l entoure le love le couvre et le couve de telle sorte qu il parvienne l troi tesse du paysage l ternel retour de la forme fixe qui l engage revenir constamment sur ses pas Il cherche ainsi retrouver le destin infail lible de l ternel retour l Ouroboros indissociable de l criture ou des projets sans fin figure de M bius qui donne l illusion d un espace accompli mais qui toujours revient boucle sans fin de la recherche de soi des personnages des fictions La r volution fait ainsi figure de qu te comme si Perec parvenait la Vie par le biais de son recommencement perp tuel circonvolution propre cr er l espace sph rique l int rieur 12 Claude Burgelin Georges Perec p 62 15 144 T AUTOMNE 1990 duquel il respire comme d aucuns
19. enance une culture fond e sur l exil et sur l espoir sur l effacement et sur le recommencement Il s agit ici de son identit juive il n en demeure pas moins que cette errance trouve son aboutissement dans la passion de Perec pour les mots dans le seul bonheur de les prononcer afin d identifier l existence dont il est un t moin pri vil gi Jouer ainsi de l anonymat sur nomm donner prendre le nom de l autre toujours fuyant t moigne de fa on loquente du jeu an throponymique auquel Perec s adonne comme si la m tamorphose toponymique n avait de cesse de renouveler l invraisemblable reconnaissance de l autre de cet tre ailleurs qui arriverait peut tre en se nommant faire exister Perec lui m me au sein de la collectivit d celable dans chaque individu En fuyant dans la satire dans le ridicule dans le jeu gratuit et infantile comme si nous assistions ici la premi re prononciation du monde qui dans l enfance prend l allure d miurgique d une cr ation tout enti re conte nue dans la reconnaissance des choses nomm es Perec en viendra r activer son syst me de faillite en faisant de ce petit livre en apparence si dr le Quel petit v lo guidon chrom au fond de la cour au titre si long et qui faisait bien rire encore que ce rire y regarder d un peu pr s n tait pas toujours tr s gai Car il se situait sur fond de guerre Je ratage parfait
20. extes oulipiens en travaillant la lettre la mati re pre mi re en cherchant aff ter ce regard transcen dant sur le monde qu en pleine rue il s exerce rendre parfait tranchant l existence en petits mor ceaux froids une mise en puzzle dans le prisme de l il une sorte d exercice totalisateur o le monde se d coupe bouch e litt raire chaque par ticule d univers plac e en son lieu propre pour une consommation parfaite et d tach e L univers perecquien n aura de cesse de se partager entre mati re d criture et mati re de fiction la langue devenant objet de fiction comme dans 4 Disparition et les Revenentes toute fiction et toute langue basculant dans 4 Vie mode d emploi dans le jeu qui toujours mortel ou mortif re va r duire lunivers se survivre se donner tout entier pris dans l imaginaire survivance seule du d sir seul survivant de l tale mort toujours et encore d crite LE SYST ME DE LA D CEPTION Mou transi le tournis l amertume la noise s ourlant immortalise un morne salut inutile morasse o l art mine mort l unisson lu 11 s Ma tre le roman suit Ce quatre vingt deuxi me po me d A phabets traduit bien quelle couleur Perec donne sa fic tion m me au c ur du jeu le plus formel le plus li l Oulipo quelle catastrophe d cevante guette toujours cette suite lue du roman comme s il fallait toujours recommencer l effort de l inuti
21. faire et dont les images tal es clat es s taient mises hanter le moindre de ses instants meublant ses r ves for ant ses souvenirs l id e m me de cet immeuble ventr montrant Harry Mathews le Catalogue d une vie dans e Magazine litt raire 193 Georges Perec mode d emploi mars 1983 p 20 LE SYST ME DE LA D CEPTION nu les fissures de son pass l croulement de son pr sent cet entassement sans suite d histoires grandioses ou d ri soires frivoles o pitoyables lui faisait l effet d un mau sol e grotesque dress la m moire de comparses p trifi s dans des postures ultimes tout aussi insignifiantes dans leur solennit ou dans leur banalit comme s il avait voulu la fois pr venir et retarder ces morts lentes ou vives qui d tage en tage semblaient vouloir envahir la mai 14 son tout enti re La d ception hante le 11 de la rue Simon Crubellier d ception profonde inh rente la cl ture de l espace dans l in vitable capharna m pulsionnel indiqu par l adresse fatale o chacun tente d assouvir son puisant projet de vie Perec met en ce lieu tous ceux de son imaginaire toute forme d action qui pr tend donner raison aux pro tagonistes de r sister l ennui Bartlebooth plus que tous portera en son projet insens le vain d sespoir de l inutile retour vie encombr e vie qui ne sait faire d elle m me que la caricature r solument d sesp r e de
22. i comment l angoisse malgr le calme relatif que repr sente la reconnaissance objective trouve toujours exercer son pouvoir Nommer mettre sur le papier ou au lit les objets du d sir serait donc en cette sorte d uvre une mani re de s approprier ce qui manque au regard ce qui va remplir le vide pour qu en bout de ligne celui qui nomme soit nomm son tour trouve dans sa fonction de nominateur de classifica teur kafka en son nom propre son nom de famille son identit en tant qu tre vivant clas sable dans l univers au m me titre que les choses de la rue que les choses de la table que les choses de la feuille Ne serait ce pas 4 chose trouver qu un nom tel celui qui se cache entre autres sous la lettre titre W et sous les multiples pro nonciations du nom m me de Perec comme se cache celui d un certain antih ros travers lin vraisemblable errance menant au nom de Kara ne faudrait il pas entendre ici le terme phon tique de la qualit de POR ultime qualit de la qu te philosophique cet olibrius de Qel petit v lo guidon chrom au fond de la cour dont on ne sait trop s il s appelle Karamanlis Karawo Karawasch Karacouv Karaschoff Karabinowicz Karaphon Karaplasm Karamagnole Karalerowicz Karaschmerz Karacho Karawurtz Karaboom Karamel Karabine Karadigme Karatchi Karalberg Karachose Karapotch Karasplasch Karalahari Karapete Karaplouck Karablasr Karaw
23. igner qu une euphorie de lecture dans cette uvre tout empreinte d une folle envie de la mort d un irr sistible d sir de s ab mer dans la mati re dans la fragile et al atoire r ussite de ses projets D entr e de jeu il faut reconna tre que ce qui nous pr occupera ici n est pas ce que bien d autres avant nous ont entrepris une analyse des struc tures lourdes employ es par Perec ou de son sens de l humour ou de sa passion du jeu ou de son audace toujours faire en sorte que ses uvres soient des failles dans la lin arit conventionnelle d un r cit Notre intention est plut t de montrer que malgr cela cause peut tre de cela nous sommes aux prises avec une uvre absolument catastrophique qui se laisse constamment s duire par la d ception qui fr le toujours avec ironie soit mais non moins sinc rement le mal heur la tentation absolue de l chec Et il faut entendre ce d sir sous jacent toutes les uvres de Perec tant dans la recherche formelle que dans les fictions et personnages Cette ultime mise en chec de la r ussite cette tension maladive du d sir qui toujours ou presque trouve Thanatos l avant sc ne cette irr m diable porte close qui verrouill e devant le bonheur interrompt 1 Georges Perec et Jean Marie Le Sidaner Entretien dans l Arc 76 Georges Perec 1979 p 3 tudes Litt raires Volume 23 N 1 2 t Automne 1990 TUDES LITT RAIRES VOLUME
24. ion v ritable sous le toujours nous r p ter un seul poids sans doute de leur entreprise Faudrait il rappeler en dehors bien s r de l aven ture de Bartlebooth qui n aboutit pas le suicide de Beaumont l erreur du vieux domestique de Georges Perec Esp ces d espaces Paris Galil e l Espace critique 1974 p 47 48 LE SYST ME DE LA D CEPTION Lady Farthright qui cassera une pi ce de collec tion dont il avait la garde et qui sera d clar fou celle de Morelet qui le conduira l asile l aven ture du merveilleux trap ziste qui vit sur son fil et qui se suicidera apr s une impeccable para bole l invraisemblable faillite des Gratiolet le drame d Elizabeth qui meurt la gorge tranch e celui de Madame Tr vins dont le livre n est pas publiable celui de Dinteville dont les r sultats de recherche sont vol s etc Gilbert Lascault pr cise bien que le n ant y est toujours s duisant que louverture sur le vide est la tentation supr me que dans a Vie mode d emploi le z ro qui n est jamais explicitement inscrit par Perec domine sans doute les autres chiffres Il se manifeste sous la forme des morts sous celle aussi des ruines financi res Les fortunes que l on d nombrait s abolissent ou presque celle des sp cu lateurs de coquillages celle du collectionneur d unica celle du fou de vengeance celle de celui qui sp cule avec exc s sur les fourrures exotiques Rien n est stable rien n
25. le son accomplissement blouissant dans la litt rature son devenir le plus ad quat en tant qu objet d art pur travaill la lettre disparue dans tout ce roman de mort qu est 4 Disparition Comme s il fallait castrer la langue le E fatal y devient objet de mutilation sorte d excroissance trop pr sente en son nom ne jamais oublier qu il y a bel et bien et fatalement quatre E dans Georges Perec il fallait couper cette voyelle s affranchir d elle qui en trop se r p te comme l cho muet toujours de sur cro t Ne resterait il alors b n fice ultime que le O radical du pr nom Georges comme un il qui toujours et encore va chercher dans les puzzles vitaux du monde une mani re de remettre en place les morceaux jusqu l ultime d ception jusqu la radicale d ception qu la lettre il convient de regarder ici comme le triomphe de l ironie de la perplexit M me rere nente la voyelle E n aura de cesse d accomplir la structure invers e sorte de Janus litt raire mis en forme prouesse qu la limite on voudrait vide de sens engloutie tout enti re dans sa perfor mance de langage et qui ne peut se r duire si peu sa lettre en somme tant charg de sens justement ce projet insens et pourtant accompli traduit chez Perec une volont de transgresser toujours et encore le d sespoir inh rent l inutile besoin de parler Ces uvres qui mettent en sc ne la mort d couragent i
26. mplicite le d sespoir lui m me tant l entreprise litt raire qu elles repr sentent est faste de signes et de r ussites comme si dans l le olympique de W cour o la lettre on Joue et on se Joue de nous pouvaient aussi se tenir des joutes litt raires comme au Moyen ge en d autres lieux Le jeu est ici la r ponse d ses p r e de Perec au silence sorte de prouesse inou e qui condamne le signe f minin du E la grande absente de la joute ne jamais revenir sans quoi la mort guette qui la trouve qui oserait m me penser la prononcer Le cercle parfait de la mort Il faut donc reconna tre que Georges Perec transfuge de ce que nous pourrions appeler un monde trop simple trop heureux de son igno rance va s engouffrer corps perdu dans la qu te obstin e d une certaine compr hension des choses selon des mod les pr cis des programmes math matiques adapt s son besoin toujours 11 Georges Perec Alphabets Cent soixante seize onzains h t rogrammatiques illustrations de Dado Paris Galil e Ecritures Figures 1985 texte n 82 143 TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 violent de se cacher derri re des formes fixes des syst mes rigides o clandestin il essaiera d in troduire l humour et le jeu Mais il ne faut pas s y tromper cela cache une angoisse absolue devant le silence du monde devant l implacable opacit du silence des parents morts l injusti fiable existenc
27. re que qu un W qu lins tant de sa mort Bartlebooth tiendrait dans sa main car s il avait tenu le X qui e t compl t le puzzle cette derni re lettre aurait t signe et signature anonyme de la continuit possibi lit de vivre encore un temps de poursuivre le travail Mais l c est la fatalit souveraine de l al phabet mortel qui aura raison de lui Perec avait depuis longtemps compris quelle pulsion le menait chercher dans la figure du puzzle le moyen de traduire son d sir Ainsi dans Penserl Classer l on trouve cette confidence significative Lorsque j essayais de parler de dire quelque chose de moi d affronter ce clown int rieur qui jonglait si bien avec mon histoire ce prestidigitateur qui savait si bien s illusionner lui m me tout de suite j avais l impression d tre en train de recommencer le m me puzzle comme si force d en puiser une une toutes les combinaisons possibles je pouvais un jour arriver enfin l image que je cherchais p 69 Georges Perec la Vie mode d emploi Paris Hachette PO L 1978 p 168 TUDES LITT RAIRES VOLUME 23 N 1 2 Mais non puisque le puzzle justement restera inachev puisque la part de lui m me qu il cher chait rassembler tout en morceaux qu il tait ne trouve pas son image d finitive son paysage reconstitu Tout reste donc en suspens ab m dans l ouverture ironique de ce X introuvable qui remplirait la derni re case
28. sa propre libert qui va traverser le si cle avec pour tout d sir celui de s an antir enti rement dans la vanit coh rente d une mosa que de bois d aquarelles effac es comme si l eau de la naissance servait ici aussi bien les besoins de la vie que ceux de la mort lente Bartlebooth repr sente ce qu il y a de plus extr me dans cette fascination pour la d ception Toutes les analyses qui ont port sur ce projet fabuleux d acc der la futilit avec un acharne ment aussi radical tendent montrer que l en treprise de Bartlebooth tait plus incoh rente qu il n y paraissait vou e d embl e l chec tout enti re soumise aux al as radicaux du hasard non aboli du coup qui allait l abattre Et il n est pas 14 145 innocent que ce qui le tue ou ce devant quoi il meurt soit un W lettre titre du plus important livre autobiographique de Perec Bartlebooth meurt donc devant cette esp ce d espace qu est le puzzle non complet devant lui s accomplit la faillite de la vie l inach vement ab me toute cette pulsion mortelle dans la seule faillite du morceau inconvenant dans le trou b ant qui ne laisse aucune place la derni re pi ce ironique d coup e par Winkler la lettre qui emp che tout projet de s accomplir Comment ne pas reconna tre dans ce W la lettre plus ou moins cen trale du mot Awschwitz lettre de la mort histo rique du lien g n alogique de Perec avec la mort Ce ne pouvait t
29. site advient l in vitable d tourne ment qui modifie le cours des choses qui renvoie l entreprise sa propre n gation Ouroboros per p tuellement recommenc de l espoir d u du vide jamais plein de l absence toujours envahis T AUTOMNE 1990 sante qui Jamais ne trouvera de nom d origine pour assouvir son d sir de vivre D s son premier livre les Choses Perec a ima gin un couple flou qui sans cesse cherche meubler l espace et le temps de sa vie S il est vrai quil faut entendre des anagrammes dans les noms des deux protagonistes soit J r me qui doit g rer un home et Sylvie qui cherche bel et bien un style de vie il ne faut jamais se lais ser berner par ce genre de jeu qui pourrait obli t rer les effets de lecture proprement parler ce qui de tension s accomplit au lieu m me du nom sa lettre et ce malgre l humour Il faut prendre Georges Perec tr s au s rieux quand il s agit de l onomastique d velopp e dans ses textes Dans es Choses les patronymes sont les indices secrets de la qu te sorte de jeu immobile autour d un espace clos et dans cet espace volont ad quate de remplir le vide du petit appartement devant lequel il y a un si bel arbre nommant J r me et Sylvie sous seing de ce qui les fait h ros de leur propre absence au monde Perec les a vou lus refl t s dans le cadre m me o ils vivent Que nous soyons Paris dans cette improbable rue que no
30. ue tout entier le probl me se pose de savoir la part de bonheur qu il est possible de sauver du d sastre d exister C est sur ce malentendu radical que vont s ins crire les plus parfaites introspections ce cet homme qui dort autre antih ros qui reclus dans le monde m me qu il continue fr quenter fera sa part du quotidien la toute fin de sa recherche sans espoir comme si vivre constituait la plus irr m diable fatalit On pourrait croire que sans courage sans nom sans d sir les h ros ne puissent m me pas avoir le courage l mentaire de dire non Fatalit inadmissible de continuer d aller au bout de sa propre vie comme par une obligation irr vocable comme par une urgence d y parvenir sans aveuglement mais anonyme quelque part entre le non lieu et le nulle part Quelque chose se cassait quelque chose s est cass Tu ne te sens plus comment dire soutenu quelque chose qui te semblait il te semble t il ta jusqu alors r confort t a tenu chaud au c ur le sentiment de ton existence de ton importance presque l impression d adh rer de baigner dans le monde se met te faire d faut Un homme qui dort p 25 Et le travail du d tachement va tout coup chercher s en prendre au langage lui m me de telle sorte que s puise jamais la subtilit des sens physiques et textuels qu il devient indiff rent de nuancer les choses les sensations l exis tence elle m me
31. us soyons en Afrique pr s du d sert mythique cette immense tendue sans meuble et sans objet l o ils auraient peut tre la chance de se refaire une vie le lieu est propre la d saffection totale sentiment et aspiration touff s Or Perec va d s ce premier livre inscrire ce qui jamais ne se d mentira dans tous ses autres textes un immense besoin de remplir le vide de mettre du mot dans un livre du monde dans un immeuble des objets dans des pi ces pour 2 Claude Burgelin Georges Pere Paris Seuil les Contemporains 1988 p 7 136 LE SYST ME DE LA D CEPTION occulter remettre plus tard la trop grande tra g die du silence ambiant l impossibilit de com bler l absence de soi au monde de soi devant les choses du monde de mettre de la vie l o tout para t d risoire leurs r ves de synth se de totalit la soci t r pond en leur proposant le grand puzzle miett des objets vendre Ils ne peuvent qu errer r p titivement dans les ouvroirs de consommation potentielle Mais r vent ils vraiment de synth se ou ne veulent ils pas plut t remplacer un vide par un plein par une sorte de mod le existentiel qui n aurait d autre valeur que sa conformit juste ment leur r ve tr s troit soit ressembler ce qu il y a de mieux mais sans distinction sans chercher devenir l unique objet l exemple m me d un fabuleux ornement de la diff rence Bien que pris dans
32. vide Et c est bien aveu gle que Bartlebooth cherchera jusqu la fin la r ponse l nigme qu il s tait lui m me pos e en faisant de sa vie un immense puzzle un projet formel qui l aurait tabli dans un syst me fixe et parfait le justifiant tout entier et tout entier motiv par le d sir d une structure Dans Esp ces d espaces Perec crit un texte tr s clairant pro pos d un espace inutile qu il reconna t tre incapable de cerner d envisager vraiment I m a t impossible en d pit de mes efforts de suivre cette pens e cette image jusqu au bout Le langage lui m me me semble t il s est av r inapte d crire ce rien ce vide comme si l on ne pouvait parler que de ce qui est plein utile et fonctionnel Mais je ne suis pas arriv penser le rien Comment penser le rien Comment penser le rien sans automatiquement mettre quelque chose autour de ce rien ce qui en fait un trou dans lequel on va s empresser de mettre quelque chose une pratique une fonction un destin un regard un besoin un manque un surplus La case vide ou la fin du jeu Tout le roman 4 Vie mode d emploi va chercher tage apr s tage suivre un trajet pr cis trac selon la polygraphie du cavalier et de pi ce en pi ce combler la case vide celle du dernier puzzle image m me de l immeuble entier Mais l entreprise est mise en chec puisqu une case est 15 146 T A
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