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esthétique, politique et personnalité dans l`&oelig;uvre de Guy

1. Apostolid s 2006 210 On peut effectivement dresser un parall le historique entre 37 B nichou souligne l opposition farouche du jans nisme envers la doctrine sto cienne Jans nisme et sto cisme taient couteaux tir s Jans nius est tr s violent contre les Sto ciens et cela se comprend Le sto cisme qui eut tant de vogue en France dans la soci t cultiv e de l poque classique apparaissait malgr toute sa duret comme une glorification de la libert humaine comme une apoth ose philosophique de l orgueil B nichou 1948 113 114 203 la conscience n e de l chec de la Fronde et l tat d esprit de Debord suite la r cup ration de mai 68 dans les deux cas le recours la d nonciation de la vanit et l insistance sur l impuissance humaine servent donner des le ons aux illusions de ceux qui pensent qu on peut v ritablement faire l Histoire Si les moralistes acceptent avec amertume le triomphe de la monarchie absolue Debord rejette le triomphe du spectacle support par une majorit silencieuse et complice seront capables de faire l Histoire uniquement ceux qui engagent leur vie sur le champ de bataille dans des actions risqu es et irr m diables Le temps lui fait peur parce qu il est fait de sauts qualitatifs de choix irr versibles d occasions qui ne reviendront jamais affirme Debord afin de critiquer le pass isme du pro situ Debord
2. Calder n le baroque de la folie destructrice intrins que toute position de souverainet absolue le baroque qui expose ce moment o la raison se retourne sur elle m me pour devenir pure volont de puissance en d truisant tout sur son passage 66 2 Chapitre II H ritages de l avant garde Part comme machine de guerre Ce que l on appelle d veloppement historique repose somme toute sur le fait que la derni re forme consid re les formes pass es comme des tapes menant son propre degr de d veloppement et comme elle est rarement capable de faire sa propre critique il n est naturellement pas question ici des p riodes historiques qui se consid rent elles m mes comme des poques de d cadence elle les con oit toujours sous un aspect unilat ral Karl MARX La production de Debord s inscrit dans l horizon des avant gardes historiques des ann es 1910 1950 L ensemble de son uvre ne peut bien se comprendre en dehors de ce dispositif culturel mis en place au d but du si cle et dont il faudra d terminer les enjeux Enfants de dada et du surr alisme Debord et l LS prolongent des pratiques d velopp es par leurs anc tres directs Si presque tous les commentateurs reconnaissent l importance de l h ritage surr aliste dans les mouvements lettristes et situationnistes encore peu d entre eux ont analys en profondeur les ramifications de cette influence Certaines id es f
3. largir son champ d action et un terrain choisi pour pratiquer le pouvoir pour exercer une souverainet L I L et l LS font donc partie int grante de l uvre de Debord car elles repr sentent l application pratique d une volont de puissance Il y a bel et bien une poesis du groupe au sein des collectifs d avant garde un mode de cr ation d un tre ensemble avec une s rie de codes de principes et de techniques de soi conjugu s au pluriel Mais Debord a toujours tenu rester le ma tre du jeu Je ne dis pas cela pour diminuer l apport de tous les lettristes et de tous les situationnistes leur groupe 24 respectif mais force est de constater que Debord a toujours agi en tant qu autorit supr me au sein de ces groupes en indiquant la voie suivre en d cidant des admissions et plus souvent des exclusions Ce fut un p re s v re qui renia sa paternit J ouvre ici une parenth se je tiens pr ciser qu en voquant le legs de Debord je persiste employer ce mot uvre m me si ce terme toujours probl matique le devient encore plus ici car jamais Debord n a voulu faire une uvre dans le sens classique artistique du terme Giorgio Agamben qui a connu Debord a bien exprim les raisons pour lesquelles le concept d uvre s av re inad quat Je fais expr s d viter la formule uvre cin matographique car il Debord NDA a lui m me exclu qu on
4. uvre que la th orie critique a pu un moment d termin jouer un r le essentiel Ainsi dans cette perspective qui est la mienne l uvre enti re de Debord est compl tement habit e par une subjectivit matricielle Autrement dit chez Debord le terrain conceptuel se construit toujours dans un dialogue constant et n cessaire avec l exp rience v cue La th orie est intimement rattach e la conscience de son cr ateur elle ne saurait pr tendre aucun statut d ternit comme l affirmait d ailleurs Debord en 1978 dans IJn girum C est pourquoi le critique Vincent Kaufmann rejette la distinction trop souvent faite entre un Debord r volutionnaire et un Debord litt rateur Il n y a effectivement aucune raison de distinguer le discours autobiographique du discours th orique puisque le v cu co ncide alors absolument avec le non v cu avec le sentiment de la perte de la vie Il y a entre un livre comme La Soci t du spectacle et les uvres autobiographiques de Debord le m me rapport qu entre l Essai sur l origine des langues et les Confessions de Rousseau Kaufmann 2001 123 Kaufmann privil gie donc une lecture unitaire de la production de Debord Il est vrai qu avec le cas Debord on ne peut tenir compte de la mort de l auteur annonc e un peu partout durant les ann es soixante pour la simple et bonne raison que le domaine de l expression et la vie sont intimement li s
5. 7 Le mot prol taire prend une nouvelle dimension universelle dans la bouche de Blanqui en 1832 lors du proc s des Quinze les Amis du peuple Paris Lorsque le Pr sident du tribunal lui demande sa profession Blanqui r pond prol taire Au Pr sident qui lui r torque que le terme ne d signe aucune profession Blanqui r pond C est la profession de trente millions de Fran ais qui vivent de leur travail et qui sont priv s de leurs droits politiques 192 Le concept de tort ne se lie donc aucune dramaturgie de victimisation Il appartient la structure originelle de toute politique Le tort est simplement le mode de subjectivisation dans lequel la v rification de l galit prend figure politique Il y a de la politique en raison d un seul universel l galit laquelle prend la figure sp cifique du tort Le tort institue un universel singulier un universel pol mique en nouant la pr sentation de l galit comme part des sans part au conflit des parties sociales Ranci re 1995 63 64 Debord partage cette vision du prol tariat comme part des sans part comme le compte de ceux qui sont invisibles ou absents de la sc ne du spectacle et qui y revendiquent une place au nom de l galit Puisque le prol tariat annonce la dissolution de toutes les classes existantes il occupe le r le de la classe universelle Mais le processus de subjectivation dont parle Ran
6. En se r f rant aux diverses ses ennemis allant parfois jusqu l attaque directe mauvaises traductions de La soci t du spectacle Debord crit On n a pourtant rien vu de pire qu en Italie o d s 1968 l diteur De Donato a sorti la plus monstrueuse de toutes Paolo Salvadori tant all trouver dans leurs bureaux les responsables de cet exc s les avaient frapp s et leur avait m me litt ralement crach au visage car telle est naturellement la mani re d agir des bons traducteurs quand ils en rencontrent de mauvais Debord 2006 1460 La confrontation physique de Salvadori avec le mauvais diteur nous est pr sent e comme un acte de bravoure t moignant du d vouement du fid le son ma tre au sein d une situation de subordination volontaire que Debord aime reproduire autour de lui Avec les classes dangereuses s op re un transfert Debord transporte sur ces figures son id al du moi son d sir d tre per u comme un tre mena ant potentiellement violent m me d fiant une soci t sur la d fensive Et c est avec fiert qu il revendique son appartenance au milieu des apaches parisiens C est le fait d tre pass par un tel milieu qui m a permis de dire quelquefois par la suite avec la m me fiert que le d magogue des Cavaliers d Aristophane J ai t lev sur la voie publique moi aussi Debord 2006 PAN I 1665 1666 Malgr le fort
7. la morale commune parce qu il sait qu il n y a pas de morale commune Sa premi re t che est de le d montrer Lacenaire crit dans ses M moires ces lignes que Netcha ev aurait pu signer sans en changer un mot C est dans ses fondements c est dire dans sa morale qu il faut frapper l difice sociale en prouvant que sans remords on peut commettre un crime l avouer sans pudeur s en faire un troph e tablir un syst me de mat rialisme mis en action Ladous 1999 non pagin Tout comme Debord Lacenaire choisit de prendre parti pour la cause des pauvres et des mis reux Je m identifiai avec cette soci t je pris fait et cause pour elle je devins elle cit dans Ladous 1999 non pagin Ce proc d identificatoire apparait cependant comme purement fantasmatique il permet l individu de l gitimer ses gestes terroristes au nom de l ensemble des victimes de l Histoire Les anarchistes adeptes de la propagande par l exemple partageront la m me mentalit quand ils poseront leurs bombes dans les caf s ou les commissariats de police Si la seule violence l gitime dans la modernit est celle exerc e par l tat 314 les anarchistes montrent que chaque individu peut accaparer ce pouvoir sans remords et revendiquer pour son compte l exercice d une violence juste La t che des anarchistes de tendance nihiliste est pr cis ment de montrer qu il
8. la post rit c est dire un public anonyme et ind fini Ce qu il cherche d sormais accomplir c est peaufiner le sens final de son h ritage Au niveau du contenu la d marche s inscrit d sormais dans la perspective de l exemplarit d une vie qui se pr tend parfaite du point de vue de l absolu r volutionnaire Dans les uvres biographiques de jeunesse Debord cherche pr senter son imaginaire mais 1l le fait au sein d une criture elliptique et cryptique qui peine cacher un fond traumatique de son esprit dissimul derri re des postures conqu rantes Quand on approfondit ses uvres de jeunesse on d couvre une s rie d obsessions appropri es une sensibilit m lancolique attir e par la mort l incommunicabilit le suicide l inceste la tyrannie la violence le vide et le n ant de tout Dans les textes m morialistes Debord cesse d voquer trop directement son univers intime ce qui compte alors c est de positionner sa vie dans un champ h ro que lui permettant de passer l Histoire en tant qu incarnation de la n gativit Quoi je sois un remarquable exemple de ce dont cette poque ne voulait pas savoir 154 ce qu elle a voulu ne me para t pas assez pour tablir mon excellence Debord 2006 PAN I 1685 Ceux qui veulent jouer les cyniques pourront parler de trahison des avant gardes d identification avec la fonction auteur On doit n anmoins rappel
9. plus populaire plus d mocratique voire prol tarienne Si Debord n a jamais cess de d noncer la domination spectaculaire de la vie son uvre participe pourtant cette conomie du spectacle qui impose des mythes et des repr sentations La vraie vie partir de laquelle Debord pr tend 322 enraciner sa pratique r volutionnaire ne nous est accessible que via la m diation d une s rie de figures sans lesquelles Debord se refuse d appara tre Il est toujours ardu et inconfortable d imaginer la post rit possible d une uvre mais je pense que si Debord continue d tre lu dans le futur ce ne sera probablement pas pour la validit r volutionnaire de sa th orie politique Que son uvre en partie bas e sur la manipulation et la tromperie soit remplie de contradictions que la vie de Debord ne soit pas toujours la hauteur de ses pr tentions que les pratiques viennent parfois contredire les id aux ce sont l des v rit s qui me sont apparues et qui se sont pr cis es tout au long de cette recherche Si on veut aborder Debord comme un crivain comme les autres m me s il emploie des moyens tr s modernes et des chemins nouveaux on se doit de critiquer le mythe l image d ifi e m rite d tre d construite c est la capacit de savoir lire Debord coupl e certaines connaissances factuelles qui permet cette nouvelle appr hension moins l giaque du personnage et d
10. quand elles entrent en contradiction entre elles Cette polys mie signifiante pr sente dans l ensemble du discours est particuli rement manifeste dans le ton logieux qui domine l ensemble Debord utilise la duplicit profonde qui d finit la pratique de l loge Debord pr sente certes un point de vue extr mement avantageux de lui m me mais il inclut dans un m me mouvement les critiques que l on pourrait lui faire de sorte qu une vari t des points de vue sur sa personne s y trouve expos e Par exemple l pigraphe du G n ral Gourgaud plac e en t te du premier chapitre peut et doit videmment se lire comme une critique de l ouvrage qu on s appr te lire Quant son plan nous nous flattons de d montrer qu il n en a point qu il crit presque au hasard m lant les faits les rapportant sans suite et sans ordre confondant lorsqu il traite une poque ce qui appartient une autre d daignant de justifier ses accusations ou ses loges ne citant jamais d autre t moin que lui m me et d autre autorit que ses propres assertions cit dans Debord 2006 PAN 1 1656 Ce qui caract rise l ironie de Debord c est qu elle accepte pleinement les deux sens qu elle v hicule Chaque affirmation est la fois infiniment d risoire et infiniment s rieuse C est dans cet quilibre pr caire que se situe la personnalit retorse de Debord l ironie omnipr sente lui pe
11. travers une s rie de gestes et de fonctions fixes qui conjurent l irruption de nouveaux savoirs ou de nouveaux modes d tre Il va sans dire que les soci t s fortement mythologiques sont par d finition antid mocratiques et les Grecs eux m mes ne conquirent la philosophie qu au prix d un combat sans merci contre leurs propres mythes tout en conservant paradoxalement la religion en tant que pratique civile Debord semble donc identifier le mythe primitif comme op rant un simple blocage des forces historiques Quand Debord voque les manifestations modernes du mythe il ne se fait pas plus tendre c est travers le fascisme qu il identifie le retour contemporain du mythe Sur le fascisme il crit il n est pas lui m me fonci rement id ologique Il se donne pour ce qu il est une r surrection violente du mythe qui exige la participation une communaut d finie par des pseudo valeurs archa ques la race le sang le chef Le fascisme est l archa sme techniquement quip Son ersatz d compos du mythe est repris dans le contexte spectaculaire des moyens de conditionnement et d illusion les plus modernes Debord 2006 SdS 812 Si le fascisme r active bel et bien le mode du mythe il le fait immanquablement avec des moyens modernes avec les techniques de conditionnement du spectaculaire 126 contemporain Ainsi si le fascisme r cup re le mythe ce dernier prend n anmoin
12. R sultat sensible tre objet syst me d une action ou d une s rie d actions orient es vers une fin ce qui existe du fait d une cr ation d une production Le Nouveau Petit Robert 12 C est aspect existe bel et bien mais il est secondaire d cal C est l aspect temporel de l uvre qui assure cette possible transgression de la mortalit cette passation de soi dans le temps alors qu au le moment de sa production l uvre se vit au pr sent dans son imm diatet Chez Debord l uvre se r alise toujours dans un dispositif qui inclut ces deux donn es qui s opposent normalement l imm diatet de la production don de soi non m diatis pure perte nergique sacrifice et la production m diatis e dans le temps c est dire effectu e dans la perspective d une transcendance permise par une mati re th oriquement imp rissable En d autres termes Debord a toujours voulu et su que son uvre allait marquer son temps et probablement aussi le temps qui allait lui succ der Il l a constitu e dans cette perspective tout en proclamant paradoxalement le primat id ologique de l imm diatet son rejet de l ternit etc 26 Ainsi la notion de potlatch ch re Debord d finie comme un cadeau qui met au d fi l autre d un cadeau plus grand encore prend ici tout son sens Debord donnait une partie de sa vie ses amis et r clamaient en retour des exp riences de vi
13. Si ces informations peuvent para tre secondaires au lecteur Debord tient pourtant pr ciser avec le plus d exactitude possible les limites g ographiques encadrant ses aventures Les plans a riens de la ville de Paris dans Jn girum ou encore les nombreuses cartes incluses dans le tome 2 du Pan gyrique occupent la m me fonction celle de figurer l espace qui a support un v cu Pour Debord la subjectivisation de l espace est quivalente la subjectivation du temps l espace travers est le lieu m me de l Histoire Personne ne quittait ces quelques rues ou ces quelques tables o le point culminant du temps avait t d couvert Debord 2006 IGI 1774 Ce souci extr me de localisation permet de transmettre le mythe travers les lieux de son d ploiement Comme l crivait d j Louis Aragon dans Le Paysan de Paris Des mythes nouveaux naissent sous chacun de nos pas L o l homme a v cu commence la l gende l o il vit Aragon 2004 40 Dans l autobiographie traditionnelle de Rousseau Stendhal l id e de base est celle d un approfondissement cognitif du moi On ne vise certes pas une objectivit pure mais on cherche n anmoins honorer l imp ratif socratique de la connaissance de soi Dans ce cadre l exposition de soi se fait sous le mode de l honn tet de la transparence de la franchise L criture du moi pr conis e par 170 Debord ne fonctionne aucunement en
14. a compris C cile Guilbert Le style n est jamais la forme Toute pens e puissante trouve comme naturellement les conditions de sa formulation La puissance du style est la puissance tout court Guilbert 1996 64 Dans Pan gyrique Debord crit Le ton de ce discours sera en lui m me une garantie suffisante puisque tout le monde comprendra que c est uniquement en ayant v cu comme cela que l on peut avoir la ma trise de cette sorte d expos Debord 2006 PAN I 1661 Il faut donc admettre que pour Debord le grand style n est pas une question litt raire mais bien une question existentielle comme le rappelle Kaufmann le grand art le grand style proc dent d un art de vivre n en d plaise ceux qui s acharnent le r duire une rh torique Kaufmann 2001 61 C est dire que la qualit du v cu garantit directement la beaut du style seul domaine capable de mat rialiser une puissance de vie et de projeter cette puissance dans le temps et l espace C est de cette mani re qu il est permis d analyser la critique que Debord fait de l emploi du fran ais contemporain dans Pan gyrique il n est selon lui que le reflet de la d g n rescence g n ralis e de la qualit de vie de m me que son appauvrissement t moigne de la fin de la conscience historique Ceux qui ont r ussi chapper cette d t rioration de l exp rience qu impose la domination spectaculaire
15. agit galement de faire servir les paroles de l adversaire contre lui Debord 2006 225 Ainsi le d tournement permet essentiellement de ruiner l autorit de l auteur de la tradition des id es 1l est le langage fluide rendu lui m me et rendu disponible l usage des masses C est du moins la conclusion de Debord en 1967 Le d tournement est le contraire de la citation de l autorit th orique toujours falsifi e du seul fait qu elle est devenue citation Le d tournement est le langage fluide de l anti id ologie Il appara t dans la communication qui sait qu elle ne peut pr tendre d tenir aucune garantie en elle m me et d finitivement Debord 2006 SdS 854 Cette surd termination du d tournement par la lutte politique doit permettre d viter le pi ge du retournement gt c est dire le pi ge d une pratique qui r int gre la part mythologique de l objet d tourn en ins rant malgr elle cet objet dans un nouvel ensemble spectaculaire C est de cette mani re que les situationnistes pr tendent se distinguer des pratiques artistiques d appropriation Appropriation Art d abord rendues c l bres par dada et Duchamp avant d tre syst matis es par le Pop art 1 m ha FA n gk z af Pa Dans leur recherche de lois du d tournement Debord et Wolman avaient voqu la d gradation possible de la technique en simple retournement proc d sans e
16. agit pour lui de faire sens partir du chaos du v cu et d ins rer son existence sur un plan de signification que seul un r cit peut donner La psychanalyse reconna t depuis longtemps cette pulsion qui consiste ins rer sa vie dans une histoire dans un discours signifiant dans un encha nement narratif C est surtout par l crit que Debord se construit lui m me afin de se constituer comme mythe qui perdurera dans la m moire des hommes La sph re de la perte et de l oubli est celle que rejette par dessus tout Debord malgr ses pr tentions contraires L oubli sera notre passion dominante fut longtemps un imp ratif lettriste La m moire est pour lui li e sa survie r elle aussi bien que Me tee C est par le verbe et l acte que nous nous ins rons dans le monde humain et cette insertion est comme une seconde naissance dans laquelle nous confirmons et assumons le fait brut de notre apparition physique originelle Arendt 1999 233 Par le verbe et Pacte le sujet peut donc red finir enti rement les param tres de sa seconde naissance c est dire l existence qu il d cide de r inventer afin de constituer l image qu autrui conservera de lui 147 figur e En ce sens les m moires repr sentent la partie essentielle de l uvre de Debord et probablement celle qui risque de survivre son statut de th oricien comme l a d ailleurs admis Vincent Kaufmann c est dans sa pratiqu
17. art l re de sa reproductibilit technique se termine sur une description de la fa on dont les r gimes fascistes esth tisent la politique en faisant du politique un gigantesque spectacle qui subjugue et soumet les foules L article se conclut sur cette ambition programmatique Voil l esth tisation de la politique que pratique le fascisme Le communisme y r pond par la politisation de l art 2000c 113 Qu est ce au juste que cette politisation de l art que Benjamin d sire mettre en marche afin de s opposer au fascisme C est dans un texte de 1934 texte crit en pr vision d une conf rence que Benjamin explique sa conception de la politisation de l esth tique une conception qui contribue une compr hension originale des ph nom nes avant gardistes Benjamin tente d expliciter les liens qui unissent la sph re politico sociale et la sph re esth tique sans sombrer dans un d terminisme marxiste repliant simplement les uvres sur les conditions conomiques et sociales de l infrastructure C est plut t au niveau de la fonction sociale de l art et de son r le institutionnel au sein de la superstructure que s op re selon Benjamin le dialogue explosif entre les uvres d art et l histoire au XX si cle Benjamin s oppose d s le d part une soumission formelle de l art au contenu id ologique qu elle se propose de servir la tendance d une uvre politique ne
18. crit un ultime acte de contr le sur sa vie Il s agit de fixer dans le marbre des lettres les marques d une identit et d une grandeur d finir afin d assurer l immortalit d un nom propre Geste ultime t moignant d une volont de ma trise absolue sur sa vie le suicide de Debord loin d tre un geste impulsif fut longuement m dit et pr par La perspective du suicide ne semble gu re attrister Debord Elle le rend de nouveau ma tre du jeu Bourseiller 2001 562 Bien s r ce suicide appara t comme le r sultat d une s rie de facteurs contingents pendant ses derni res ann es Debord tait physiquement malade atteint de polyn vrite alcoolique et d une d pression au sens clinique du terme Hussey 2008 2 C est d abord parce qu il refuse la souffrance physique et morale que Debord 162 s enl ve la vie dans une sorte de geste sto cien Son suicide se transforme pourtant rapidement en l gende et s ins re dans le mythe qu il a voulu construire On interpr te alors ce suicide final comme un geste po tique symbolisant dans une sorte de volont sublime le refus du monde tel qu il est et la disjonction fondamentale qui s est instaur e entre un moi lib r et un monde encha n Ce suicide est venu couronner d une mort physique la mort symbolique qui conditionnait d j toute l entreprise des m moires Les m moires se construisent donc part
19. et d utiliser autrui sans manquer la politesse mondaine Ils ont en commun de pr ner le contr le le sien propre et celui des autres en un lieu la cour o l honn te dissimulation est de rigueur Pour de tels auteurs comme pour Debord lui m me l h ro sme consiste moins se lancer aveugl ment l assaut de forteresses imprenables qu ruser et contourner les obstacles Apostolid s 2006 184 La particularit de Graci n consiste en un d placement du domaine de l h ro sme et de la saintet au niveau du g nie strat gique sera consid r comme un honn te homme celui qui sait comment parvenir ses fins tout en se conformant aux r gles de biens ance tr s strictes de la vie de cour C est cet art d avancer masqu qu a pratiqu Debord plusieurs ont d ailleurs remarqu comment Debord est capable d allier une attitude des plus galante et courtoise avec une cruaut ou une m chancet tonnante notamment visibles dans sa correspondance L int r t de Debord pour le poker est ce sens fort significatif car la m taphore du jeu de carte devient pour lui comme pour Graci n l image centrale permettant de figurer le plan d une existence humaine comme une partie qui se joue Il est facile de ne perdre que peu si l on garde toujours dominante la pens e que l unit n est jamais le coup mais la partie crit Debord dans ses Note
20. et pulv ris dans le but d en susciter et d en organiser la volont collective Gramsci 1978 354 On se souvient que pour George Sorel c est le mythe de la gr ve sauvage une gr ve ouvri re g n ralis e et illimit e qui devait servir de mythe unificateur aux forces d sorganis es du syndicalisme r volutionnaire En tant que projection de l esprit l id e m me de la gr ve sauvage devait ouvrir l imaginaire sur la perspective d une action lib ratrice et triomphante Selon la conception sor lienne 135 le mythe ne fonctionne donc pas sous le mode d une fermeture du champ de l action il offre une projection mentale dans laquelle ce champ demeure ouvert un ensemble largi de pratiques On s loigne ici consid rablement de la conception classique du mythe comme force organisatrice de la stabilit sociale et historique La part imaginaire du mythe n handicape plus la praxis elle est ce qui ouvre le domaine de la praxis et ce qui permet aux hommes de se mobiliser dans l action de se passionner pour elle En ce sens la vision sor lienne pr sente un concept mat rialiste du mythe Il faut juger les mythes comme des moyens d agir sur le pr sent C est l ensemble du mythe qui importe seul Sorel 1990 119 Le mythe puissance mat rialiste de l imaginaire vaut simplement comme moyen d agir sur les conditions pr sentes Le mythe chez Sorel se d finit comme
21. et une l gende l aide de la m diation L criture par d tournements est rest e le moyen privil gi dans cette sculpture de soi Si Debord a besoin d une multitude de figures pour parvenir l existence il est n anmoins parvenu imposer un mythe unifi l ensemble des masques ne constituant qu une manifestation incompl te d une figure baroque sans cesse en mouvement En jouant 164 Un concept comme la sculpture de soi qu on retrouve chez les sto ciens chez Michel Foucault et chez Michel Onfray me parait ainsi strictement anti debordien Bilheran 2007 219 Plus loin dans le m me ouvrage Cette id e de la cr ation permanente de ses propres qualit s comme Dieu n a cr le monde qu une seule fois mais le recr e ind finiment puisqu chaque instant il maintient son existence ne me semble pas identique la notion de sculpture de soi Debord suit sa pente Bilheran 2007 258 328 avec lui m me en tant qu image Debord t moigne de la duplicit profonde qui caract rise la conscience de soi dans l univers contemporain La conscience de soi dans la soci t du spectacle volue vers de nouvelles formes dans lesquelles persiste et cro t la structure surmo que Il faut comprendre ce nouveau rapport soi par l interm diaire des possibilit s m diatiques in dites offertes par la soci t spectaculaire Dans cette derni re le sujet et son d sir deviennent plein
22. humaine Montaigne s parait lui aussi dramatiquement la vie sociale soumise la corruption et la vie priv e Le maire et Montaigne ont toujours t deux d une s paration bien claire Montaigne 2002 37 C est donc en tant que penseur priv que Montaigne labore ses Essais Son isolement de la soci t lui permet de se consacrer au seul Grand Art possible celui de la vie juste qui subordonne la vie prosa que la vie dans la pens e Mon m tier et mon art c est vivre Montaigne 2002 149 On peut donc faire de Montaigne le premier grand crivain de la vie quotidienne c est dire celui qui centre l art de vivre au c ur de l entreprise litt raire et qui centre la lecture au c ur de l art de vivre L criture n est que le r sultat secondaire d une vie qui s est consacr e la jouissance de la pens e juste et de la v rit Comme Debord Montaigne m prise l id e d une litt rature s par e de l art de vivre et qui vaudrait pour soi comme donn e ind pendante Mon art et mon industrie ont t employ s me faire valoir moi m me mes tudes m apprendre faire non pas crire J ai mis tous mes efforts former ma vie Voil mon m tier et mon ouvrage Je suis moins faiseur de livres que de nulle autre besogne Montaigne 2002 154 D s lors l criture ne vaut qu en tant qu activit exer ant la puissance d un sujet Elle est mise en pratiq
23. l Esth tique en h ritage ou la r invention du romantisme dans M lusine n XXVIII Le Surr alisme en h ritage les avant gardes apr s 1945 Lausanne L Age d homme pp 95 108 Sanguineti Edoardo 1967 Sociologie de l avant garde dans Litt rature et soci t probl me de m thodologie en sociologie de la litt rature Bruxelles ditions de l Institut de Sociologie de l Universit Libre de Bruxelles pp 11 18 351 Sartre Jean Paul 1985 Qu est ce que la litt rature Paris Folio Sloterdijk Peter 2001 Essai d intoxication volontaire Paris Hachette Pluriel Sloterdijk Peter 2005 Sph res III cumes Paris Hachette Pluriel Sloterdijk Peter 2006 Le palais de cristal A l int rieur du capitalisme plan taire Paris Libella Maren Sell Sorel George 1990 R flexions sur la violence Paris Seuil Sollers Philippe 2001 Debord est un m taphysicien dans Magazine litt raire Paris n 399 juin 2001 pp 56 59 Stone Richards Michael 1999 Reflexion on the French and the American Perception of Guy Debord dans Parachutes Montr al n 93 janvier 1999 pp 56 58 Stone Richards Michael 2001 N o sto cisme et thique de la gloire le baroquisme chez Guy Debord dans Pleine Marge Paris vol 34 d cembre 2001 pp 83 100 Tamuly Annette 1985 Le surr alisme entre mythe et utopie dans M lusine n VIL Lausanne L Age
24. mouvements Une analyse des discours surr alistes et des id es de Walter Benjamin 71 sur la politisation de l art fera ressortir les enjeux id ologiques et les conditions permettant l mergence des nouvelles modalit s de l art d avant garde au d but du XX si cle modalit s dans lesquelles s inscrit l art d s uvr de l LS 2 1 Enjeux d une th orie des avant gardes Deux grandes coles s affrontent sur le terrain de la th orie de l avant garde La premi re repr sent e notamment par Renato Poggioli construit un sch ma de compr hension anhistorique et esth tisant du ph nom ne Selon Poggioli 1971 la pratique artistique d avant garde se d finit d abord par son violent rejet du poids de la tradition et du classicisme en art Contre les mod les pr fabriqu s du beau et de l ternel l art d avant garde propose plut t une lib ration totale de la forme s opposant tout conformisme L avant garde correspond ainsi une mancipation des coles officielles du Beau et des philosophies esth tiques qui proclament que le v ritable art a d j eu lieu Contre l id e d un commencement absolu qui domine chez les avant gardes la mentalit classique dessine toujours un pass insurmontable de l art condamn d s lors se manifester sous le mode de la reprise L art progressiste du XIX si cle affirme quant lui que l art ne supporte aucun principe ternel que la v
25. permettant de comprendre l ensemble des ph nom nes de l univers Debord constate que la science moderne a chou dans sa promesse d explication du monde pour la grande majorit des vivants elle l a surtout rendu plus opaque encore M me les sp cialistes sont un peu perdus entre eux incapables de trouver un langage commun Le baroque est affaire de lisibilit du monde de d chiffrement de signes celui qui est encore capable d agencer ou de lire ces derniers en une unit ordonn e logique et hi rarchique exprime une sensibilit classique en voie de disparition Celui qui choue ou abandonne une telle lecture s en remet l tourdissement et au vertige que provoque le d sordre du monde Les hommes actuels pressentent bien le caract re artificiel du monde qui les entoure Dans ce monde de l artifice la question du faux et de la falsification devient centrale et elle occupe d ailleurs un espace important du discours social Les marchandises ne cessent de se r v ler d fectueuses trompeuses risqu es m me Et cela sans parler de la nourriture dont la provenance et la qualit ne nous sont jamais assur es C est de plus en plus la r alit elle m me qui fout le camp derri re le voile de l cran si bien que l homme d aujourd hui ne sait jamais s il r ve s il est r v ou si c est le monde lui m me qui n est qu un mauvais r ve Les troubles de la 341 personnalit qui se multi
26. tragiquement passager de la passion dont l intensit est la mesure de sa fin prochaine Kaufmann 2001 99 Kaufmann ne se trompe pas quand il explique comment la pratique de la rupture s int gre une pratique esth tique et thique avant gardiste qui place l absolu de la passion au c ur de la situation temporelle de la subjectivit Mais il n explique pas comment cette pratique dissimule aussi une strat gie de s duction dans laquelle le moi se perp tue dans une position de souverainet absolue Une question essentielle demeure donc Debord a t il joui de la souffrance qu il a fait subir aux autres On doit d abord pr ciser que Debord tait pleinement conscient de cette violence qui caract risait ses rapports avec autrui Une seule fois dans toute son 223 uvre m morialiste Debord voque directement et sans la cacher la violence qu il a 2 95 2 exerc e sur ses camarades Dans In girum il d clare C est l que nous avons acquis cette duret qui nous a accompagn s dans tous les jours de notre vie et qui a permis plusieurs d entre nous d tre en guerre avec la terre enti re d un c ur l ger Et quant moi particuli rement je suppose que c est partir des circonstances de ce moment que j ai suivi tout naturellement l encha nement de tant de violences et de tant de ruptures o tant de gens furent trait s si mal et toutes ces ann es pass es en ayant toujours pour ains
27. voque le mythe dans La Soci t du spectacle c est presque toujours pour le pr senter selon la conception la plus traditionnelle Par exemple pour voquer le temps cyclique qui d finit le mode de production agraire Debord crit dans la th se 127 Le mythe est la construction unitaire de la pens e qui garantit tout l ordre cosmique autour de l ordre que cette soci t a d j en fait r alis dans ses fronti res Debord 2006 SdS 821 Le mythe est la modalit repr sentative du mode de la r p tition dans lequel se vit elle m me la soci t agraire dans sa forme primitive le mythe est ce qui assure l ordre des Chtcheglov crivit durant les ann es cinquante un po me intitul R flexions sur l chec de quelques r volutions dans le monde 125 choses les places et les fonctions de tous les l ments du cycle de production en ceci que ces derniers se renouvellent sans cesse au del de la mort De m me que les saisons se succ dent les hommes passent et meurent mais les formes fixes de la soci t agraire demeurent c est le mythe en tant que narration des origines qui assure la stabilit de cette soci t Le mythe attribue une explication m taphysique ou naturelle un ordre cosmique stable et incontestable pour Debord et nombre d anthropologues le mythe est un l ment n cessaire de la soci t primitive qui m connait l historicit le mythe emprisonne le devenir humain
28. 2006 VRS 1110 Pour Debord le ton moraliste s adresse donc en partie au spectacle lui m me ce monde d illusions et d apparences camouflant l chec fondamental du genre humain Pour les moralistes du XVII si cle ce sont les fantasmes de grandeur de la g n ration pr c dente qu il faut d truire au sein d une critique implacable portant aussi de mani re oblique sur le r gne de Louis XIV L insistance sur l amour propre dans cette litt rature cherche pr cis ment d molir la croyance en une forme de salut terrestre pour les moralistes tous les plaisirs de l homme vont la jouissance la domination et la gloire n chappe pas la r gle B nichou 1948 143 Dans cette logique aux relents de Contre r forme seul le divin peut revendiquer la gloire tandis que le monde humain est irr vocablement soumis la corruption Cette conception du monde est particuli rement frappante chez Bossuet Je veux dans un seul malheur d plorer toutes les calamit s du genre humain et dans une seule mort faire voir la mort et le n ant de toutes les grandeurs humaines La sant n est qu un nom la vie n est qu un 204 songe la gloire n est qu une apparence les gr ces et les plaisirs ne sont qu un dangereux amusement tout est vain en nous Bossuet 2004 172 On retrouve dans cette citation de Bossuet un saisissant r sum de la mentalit moraliste qui insiste
29. Michel Foucault r sume ainsi la signification historique de Lacenaire dans une interview de 1976 Lacenaire a commis tout un tas de petits crimes moches en g n ral rat s pas glorieux du tout mais qui est arriv par un discours d ailleurs fort intelligent faire exister comme de v ritables uvres d art faire exister le criminel c est dire lui Lacenaire comme tant l artiste m me de la criminalit Foucault 20011 98 Foucault analyse plus longuement le cas Lacenaire dans Surveiller et punir Sa lecture insiste grandement sur l aspect d linquant du personnage or pour Foucault la d linquance en tant que repr sentation sociale s oppose l ill galisme en tant que 305 pratique fonci rement subversive En ce sens la cr ation de la cat gorie d linquance au XIX si cle sert pr cis ment conjurer et contr ler l ill galit qui 154 C est via cette menace l ordre social transformant cette derni re en repr sentation th orie que Foucault interpr te l immense et tonnante popularit du personnage au XIX si cle Lacenaire est le type m me du d linquant Mais il portait avec lui au moins l tat virtuel un horizon d ill galismes qui r cemment encore avaient t mena ants ce petit bourgeois ruin lev dans un bon coll ge sachant parler et crire une g n ration plut t t aurait t r volutionnaire jacobin
30. ali nation partir du moment o j agis en acteur les diff rents m diums deviennent de simples extensions de mes organes des moyens d augmenter ma puissance et d intensifier ma pr sence dans le monde Dans cette perspective la soci t du spectacle num ris e parce qu elle rend disponible tous un grand nombre d informations y compris de larges pans de ce qu on appelle le patrimoine culturel de l humanit et de nombreux canaux de diffusion fournit des moyens afin de cr er les conditions permettant un communisme artistique r el comme le r vaient d j Debord et Wolman en 1957 Bien s r le d tournement peut servir plusieurs ordres du discours Pour Debord le d tournement quand il n est pas utilis des fins de propagande sert principalement l expression personnelle ou collective devenant une forme d criture du moi Tous les m diums peuvent servir cette entreprise de l enregistrement sonore 333 au cin ma du livre l art visuel peinture collage Debord ira jusqu utiliser des bouteilles de rhum pour composer une m tagraphie Histoire de gestes en 1953 L ambition de Debord fut donc aussi d inventer un nouvel art d crire travers les nouveaux moyens qu offre lunivers virtuel l identit nomadique peut se produire elle m me selon une multitude de m tamorphoses brouillant les pistes permettant chacun d avancer masqu de s inventer un moi
31. aspect sombre de la biographie que Christophe Bourseiller s est refus d aborder Dans une de ses lettres de jeunesse Debord mentionne cette phrase tr s trange que lui aurait dite sa jeune s ur Mich le Pamela trouvant une porte ferm e clef m a demand Tu as peur qu on te viole Vraiment mon cher il n y a plus d enfants Debord 2004 131 1 En mettant l accent sur la suppos e destruction du cin ma que son film accomplit Debord minimise l aspect personnel contenu dans ce film qui appara t d j comme une forme d criture autobiographie d tourn e Le caract re intime de la premi re version du sc nario alors que le film devait comprendre des images publi e dans la revue Jon ne fait aucun doute on retrouve dans ce film tous les th mes et les images que Debord utilise dans les lettres confidences qu il crit Herv Falcou la m me poque y regarder de plus pr s on se rend compte que ce sc nario n est en v rit qu une r criture des lettres Falcou 320 motifs d une pratique du crime en tant que privil ge du plus fort Ainsi si le crime sert parfois d all gorie permettant de comprendre le geste r volutionnaire il sert surtout d all gorie Debord pour comprendre et symboliser sa propre position dans l histoire Il faut donc surtout chercher les raisons de son apologie du mal et de la transgression qui place son uvre dans une certaine traditio
32. attribut d homme de lettres quand faisant allusion son alcoolisme il affirme Quoique ayant beaucoup lu j ai bu davantage J ai crit beaucoup moins que la plupart des gens qui crivent mais j ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent Debord 2006 PAN I 1668 Et plus loin On con oit que tout cela m a laiss bien peu de temps pour crire et c est justement ce qui convient l criture doit rester rare puisque avant de trouver l excellent il faut avoir bu longtemps Debord 2006 PAN I 1670 Debord ironise ici sur le peu d importance qu il affirme avoir accord l criture tout au long de sa vie bien qu il mentionne du m me coup qu chaque fois qu il s y est adonn il a sciemment voulu atteindre l excellent Sa pratique de l criture fut donc sporadique et toujours int ress e engag e dans un projet plus vaste d passant toute perspective purement litt raire Le travail de Debord va donc consister formuler une utilisation du langage devant se conformer l exigence marxienne de transformation du monde Debord bricole pour ce faire un style bien lui le style insurrectionnel empruntant diff rentes sources L emploi du langage est alors toujours calcul afin de cr er le plus d effets possibles sur les lecteurs et pour les pousser l action radicale Boris Donn remarque propos de la th orie expos e dans La Soci t du spectac
33. entre deux guerres Une pluralit de significations d taill e par Debord s y rattache 272 mythiques tel le Caf Moineau Cette jeunesse rebelle joliment photographi e par le hollandais Ed Van der Elsken dans son livre Love on the Left Bank est constitu e d artistes ou d intellectuels en rupture de ban mais aussi de jeunes prol taires de filles mineures en fugues de d serteurs et de drogu s Au d but du XX si cle on appelait couramment ce type de d linquants juv niles peuplant Paris les apaches pour voquer l image d une meute sauvage envahissant peu peu la ville de l int rieur Les apaches loin de mourir avec les deux guerres mondiales renaissent de leurs cendres dans le Paris de l apr s guerre C est dans ce milieu que les lettristes dirig s par Debord voluent et tentent de se faire reconna tre en tant que groupe d avant garde dominant L art produit dans ce milieu se trouve naturellement affect par le climat de fin du monde qui y r gne Debord ne cesse d ailleurs de rappeler les racines nihilistes de sa pratique po tique Je dois convenir qu il y a toujours eu dans mon esth tique n gative quelque chose qui se plaisait aller jusqu la n antisation Debord 2006 CMR 1818 C est surtout dans ses textes m morialistes tardifs que Debord voque sa fr quentation des classes dangereuses dans le Quartier Latin des ann es 50 Ses descriptions dans Pan gyrique
34. et de l isolement qui en r sulte Ses camarades ne peuvent entrer en contact avec lui sa culture impressionnante fait de lui un tre part Au d but des ann es 50 Debord remporte facilement une coupe interscolaire lors d un jeu radiophonique national de culture g n rale dans lequel s affrontent plusieurs lyc ens dou s Grand consommateur de culture il lit fr n tiquement aussi bien les 199 Andrew Hussey expose lui aussi l isolement du jeune Debord isolement aliment par l attitude hostile de Manou His peers at first look mistook his timidity for arrogance and his new comrades found it difficult to get to know him on their own terms Manou did not help matters by insisting on taking him to and from school every day carrying a large knife for his protection she continued to do this well into his teens at schools in Nice and Cannes cit dans Bilheran 2007 161 Je souligne Ndr Jean Claude Bilheran postule l importance de cette sc ne v ritable moment fondateur dans la psych de Debord permettant de comprendre la personnalit du chef de l LS Bilheran 2007 161 162 Bilheran remarque galement comment Debord fait plusieurs fois r f rence un couteau dans ses crits notamment dans ce passage fort r v lateur d In girum et toutes ces ann es pass es en ayant toujours pour ainsi dire le couteau la main Debord 2006 1372 137 je souligne Ndr 316 c
35. grand retournement qu en changeant les rapports de la sc ne la salle Brecht 1970 176 Il ne s agit pas dans le th tre pique de simplement transformer le spectateur en acteur comme l a voulu un certain th tre politique des ann es soixante Il s agit plut t de bloquer le processus identificatoire afin de confronter le public sa propre 256 r alit et d utiliser la fiction comme moteur de la conscience critique La dimension artistique s en trouve irr m diablement d plac e elle ne se trouve plus dans la repr sentation elle m me mais dans l attitude critique du spectateur qui devient lui m me cr ateur en questionnant son monde On traduit g n ralement en fran ais le Verfremdungseffekt l effet V de Brecht par distanciation mais une traduction plus litt rale serait plus proche de l effet d tranget La th orie de Brecht est rapprocher du concept de d familiarisation d velopp par les formalistes russes afin de d finir l effet propre de la litt rature Pour Brecht la repr sentation doit sans cesser briser l int rieur d elle m me le confort identificatoire qui bloque l attitude critique du spectateur Brecht d finit ainsi l effet V il s agit l d une technique permettant de donner au processus repr senter l allure de faits insolites de faits qui n cessitent une explication qui ne vont pas de soi qui ne sont pas
36. l conomie politique d termine toujours autoritairement nos vies et participants d une conomie culturelle 11 profond ment modifi e par la r cente pr dominance de l audiovisuel et des nouvelles technologies Debord a souhait vivre une vie radicalement diff rente et mener parall lement un projet de transformation radicale de la soci t Nous n avons peut tre pas tous cette volont mais le d sir de vivre autrement et de modifier notre mode d tre ensemble continue de motiver plusieurs d entre nous Debord s est confront aux limites de la libert que permet le syst me actuel Ses checs ses limitations et ses contractions sont certainement riches d enseignement Dans cette perspective l h ritage de Debord en tant qu il participe au pass d une certaine gauche occidentale est encore recevoir au sein d un processus de dialogue libre et possiblement infini C est uniquement travers sa constante actualisation op r e par un travail de lecture et de r ception critique que l uvre de Debord pourra continuer de marquer les vivants Et c est seulement en dehors de tout dogmatisme id ologique y compris le propre dogmatisme de Debord concernant le sens de son h ritage que le v ritable sens du legs pourra ventuellement appara tre C est pourquoi il convient de recevoir l uvre de Debord la fois comme une provocation et comme un d fi Un d fi d abord l esprit d
37. la question de l image dans Modern Language Notes Baltimore vol 104 n 4 septembre 1990 pp 727 749 Apostolid s Jean Marie 2004 Guy Debord imagier d un enfant perdu dans Critique Paris vol 60 n 691 pp 947 964 Apostolid s Jean Marie 2006 Les tombeaux de Guy Debord Paris Champs Flammarion Apostolid s Jean Marie amp Donn Boris 2006a L uvre absente d Ivan Chtcheglov dans Chtcheglov Ivan crits retrouv s Paris Allia pp 43 60 Apostolid s Jean Marie amp Donn Boris 2006b Ivan Chtchegloy profil perdu Paris Allia Aragon Louis 1980 Trait du style Paris Gallimard Aragon Louis 2004 Le Paysan de Paris Paris Gallimard La biblioth que Gallimard Arendt Hannah 1999 Condition de l homme moderne Paris Pocket Agora Audi Paul 2005 L ivresse de l art Nietzsche et l esth tique Paris Le Livre de Poche Essais Badiou Alain 2005 Le Si cle Paris Seuil L ordre philosophique Badiou Alain 2008 Second manifeste de la philosophie Paris Fayard Ouvertures Bataille George 1970 uvres compl tes tome 1 Premiers crits 1922 1940 Paris Gallimard 352 Bataille Georges 1976 uvres compl tes t VIII Paris Gallimard Baronian Jean Batiste 2006 Baudelaire Paris Folio Biographies Baudelaire Charles 1968 uvres compl tes Paris Seuil Beauffet J
38. ler enti rement son image en m diatisant sa vie dans le spectacle en projetant son existence sur un plan mythique il se doit de subjuguer son public travers le flux d images travers lequel il s exprime c est dire les divers masques dont il s affuble Parce qu il est le seul avoir droit de parole sur son compte il ne peut que 06 rh i 1 P produire une soumission permanente chez ses admirateurs On pourrait 1 Pour expliquer la soumission de son entourage et de ses admirateurs Debord se r f re La Bo tie ce grand ami de Montaigne La Bo tie a montr dans le Discours sur la servitude volontaire comment le pouvoir d un tyran doit rencontrer de nombreux appuis parmi les cercles concentriques des individus qui y trouvent ou croient y trouver leur avantage Celui qui est content d tre dans la confidence n est gu re port la critiquer ni donc remarquer que dans toutes les confidences la part principale de r alit lui sera toujours cach e Il conna t par la bienveillante protection des tricheurs un peu plus de cartes mais qui peuvent tre fausses et jamais la m thode qui dirige et explique le jeu Il s identifie donc tout de suite aux manipulateurs et m prise l ignorance qu au fond il partage Car les bribes d information que l on offre ces familiers de la tyrannie mensong re sont normalement infect es de mensonge incontr lables manipul es Elles
39. ma par l examen d un sujet important moi m me 2006 IGI 1768 parti de ce point central le discours change d objet et de ton Debord revient sur sa vie ses actes ses passions Mais moi n ayant pas ressembl tous ceux l je pourrai seulement dire mon tour les dames les cavaliers les armes les amours les conservations et les audacieuses entreprises d une poque singuli re Debord 2006 IGI 17701 superposant ce discours nonc la premi re personne diverses images d tourn es de nombreux films ainsi que de beaux plans qu il a ramen s de la ville de Venise Debord ne s adresse plus exclusivement aux membres directs de son entourage mais plut t un public ind fini qu il repr sente d ailleurs au d but du film montrant une photographie d une salle de cin ma remplie de spectateurs anonymes qui il affirme dans le miroir glac de l cran les spectateurs ne voient pr sentement rien qui voque les citoyens respectables d une d mocratie Debord 2006 IGI 1770 public auquel il soumet de larges pans de sa vie autrefois confin e l obscurit 15 Une connaissance approfondie d montre cependant que ce caract re subjectiviste est pr sent d s les d buts de la d marche de Debord Il se trouve notamment d j au c ur des M moires 1958 et des films Sur le passage de quelques personnes travers une assez courte unit de temps 1959 et
40. ment mon gal et rien ne me force le consid rer comme tel C est ici qu entre en jeu l importante part agonistique dans la sensibilit de Debord la communaut n est pas ce lieu qui met constamment l preuve le postulat de l galit on reconna tra ici la d finition de la d mocratie de Jacques Ranci re mais bien plut t ce terrain de la comp tition o les diff rents sujets peuvent se diff rencier sur le plan qualitatif Cette sph re de l ag n ce sont d abord les Grecs qui la mettent en place au m me moment o ils inventent la philosophie et la d mocratie la cit la diff rence des empires et des tats invente l ag n Comme le remarque encore Bilheran ce recentrement r volutionnaire sur un certain go sme pleinement revendiqu ram ne la pratique debordienne dans un champ stirnerien dans sa correspondance Debord crit en 1976 Pour chacun l emploi de son temps et la reconnaissance des affinit s se situent l gitimement dans un champ assez stirnerien lettre Jaime Semprun 26 d cembre 1976 On peut ainsi faire de la c l bre conclusion de Stirner dans L Unique et sa propri t un parfait r sum de la conception r volutionnaire de Debord Je n ai bas ma cause sur rien Dieu et l Humanit n ont bas leur cause sur rien sur rien qu eux m mes Je baserai donc ma cause sur Moi aussi bien que Dieu je suis la n gation de tout le reste je suis pour
41. ouvrage de 1958 L analyse des M moires r v le quel point ce livre est concert chaque d tail y r pond une intention consciente Debord ne s est pas laiss guider par les sollicitations que les mat riaux qu il d tournait veillaient dans son inconscient tout au contraire il les a pli s une volont cr atrice parfaitement lucide et consciente de son projet Donn 2005 19 Dans la lign e d un Graci n Debord a con u sa vie et son uvre enti re comme une entreprise consciente de domination Il utilise la forme dans cette perspective rh toricienne M me ses uvres les plus personnelles celle qui touchent du plus pr t 4 Selon Boris Donn Debord a t sensible la critique du r ve effectu e par Roger Caillois un dissident du surr alisme En effet dans ses M moires Debord d tourne une critique de L incertitude qui vient des r ves 1956 de Caillois un essai tendant d pr cier les r ves en ce qu ils repr sentent une ali nation de la conscience et en r cuser toute interpr tation Donn 2005 19 Le r ve pour Debord repr sente une manifestation int rieure du spectacle parce qu il chappe au contr le de la conscience il ne peut qu agir sous le mode de l ali nation Ce type de jugement nous renseigne sur la pi tre connaissance de la psychanalyse de Debord Sa critique du freudisme semble aussi simpliste que celle de Jean Paul Sartre 111 son
42. p n tr organis enferm dans un milieu d fini et auquel il a donn un r le instrumental l gard des autres ill galismes En bref si l opposition juridique passe bien entre la l galit et la pratique ill gale l opposition strat gique passe entre les ill galismes et la d linquance Foucault 1993 323 306 champ politique Devant l impossibilit de faire l Histoire on ne peut qu crire son histoire L aspect criminel qui recouvre Debord sert donc en partie de plus value palliant le d ficit r volutionnaire c est parce que la r volution est sans avenir et parce qu il ne repr sente aucune menace pour les pouvoirs que Debord doit enrichir sa figure d une aura d ill galisme mena ant sous forme de repr sentations de la d linquance la fin de sa vie tout comme Lacenaire Debord doit donc assumer son r le et pouvanter le bourgeois Pour Foucault c est justement ici que r side la signification historique de Lacenaire personnage avec lequel on c l brait la figure symbolique d un 1ill galisme assujetti dans la d linquance et transform en discours c est dire rendu deux fois inoffensifs la bourgeoisie s inventait l un plaisir nouveau dont elle tait loin encore d avoir puis l exercice Foucault 1993 332 C est dans l ordre du discours que se m diatise et se magnifie un parcours criminel qui s ins re d sormais parfaitement dans l ord
43. paration entre la biographie le priv et l historique le collectif l exemple de sa vie prend imm diatement une valeur historique dans la mesure o 167 elle se pr sente comme une force agissante de premier ordre D o la solitude extr me de Debord comparable la solitude de Machiavel voqu e par Althusser c est dire l isolement d un individu portant lui seul l exigence r volutionnaire d un tre d exception incarnant les aspirations et les espoirs d un collectif manquant d un peuple perp tuellement absent Dans la perspective m morialiste qui est la sienne Debord assume une quivalence entre son moi et l Histoire Dans Pourquoi le lettrisme crit en 1955 Debord d finit lui m me la hauteur de ses ambitions L id e de succ s quand on ne s en tient pas aux d sirs les plus simples est ins parable de bouleversements complets l chelle de la Terre Le restant des r ussites permises ressemblent toujours fortement au pire chec Debord 2006 200 C est ainsi que sa biographie prend une valeur pleinement collective et que l pop e qu il raconte m me si elle se situe sur un plan individuel engage l ensemble de la soci t Car m me si Debord se pr sente comme le contre exemple absolu de ce que voulait son poque il n en demeure pas moins qu il souhaite incarner la principale n gation en acte dans son poque De prime abor
44. pour s adonner une forme de jeu sup rieur Mais ce type de comportement devient si rare de nos jours que les contemporains ont de la difficult en saisir les modalit s L insistance sur le jeu et le ludisme chez Debord permet pourtant de subsumer la r volution en une forme de divertissement entre les mains d une minorit de conspirateurs Jouisseurs Le jeu se joue encore nous sommes Debord 2006 101 peut on lire dans Pour en finir avec le confort nihiliste le jeu le divertissement est le seul moyen de retrouver la grandeur de l homme dans un 199 monde domin par l ennui et le malheur Nous sommes par le jeu c est dire nous choisirons la vie si le jeu en vaut la chandelle En trouvant des moyens de s amuser Debord trouve des raisons pour ne pas s enlever la vie C est un pari risqu qui s oppose au pari pascalien plus avantageux Pascal d non ait bien s r la d pendance humaine envers les divertissements on peut bien dire que je n avais rien perdre mais enfin je n avais rien non plus y gagner Debord 2006 PAN I 1663 Rien perdre et rien gagner hormis peut tre la passion ph m re prouv e durant le jeu C est ce mod le ludique de l action politique que Debord d couvre travers lexemple du Cardinal de Retz son grand mod le de figure r volutionnaire Le principal responsable de la Fronde en effet lui permet de d finir s
45. qui pr sente une tendance sur valuer son pouvoir r el Par exemple dans une lettre crite en 1974 Gianfranco Sanguinetti Debord fait preuve d un enthousiasme d lirant envers le potentiel perturbateur de son film La Soci t du spectacle projet Paris selon lui son film pourrait presque lui seul provoquer un nouvel assaut r volutionnaire Cette prise en charge de l Histoire par le moi est aussi la source de la passion g ographique de Debord qui cherche sans cesse inclure l espace de sa vie dans la repr sentation Toutes les cartes psychog ographiques dessinant les 68 J admets certes tre celui qui a choisi le moment et la direction de l attaque et donc je prends assur ment sur moi la responsabilit de tout ce qui est arriv Debord 2006 IGI 1782 1783 Je t annonce tout de suite que la premi re journ e de projection du Spectacle hier s est d roul e dans des conditions tout fait triomphales Mais le ph nom ne le plus important c est que la majorit de ce public tait constitu de jeunes ouvriers et marginaux de loulous venus de leurs banlieues Jusqu au soir de nombreux policiers avec casques et boucliers occupaient la rue et y d filaient tout instant pour intimider la foule mais sans succ s Les attroupements et discussions rappelaient Mai 68 D autre part ce public a cout tout le film dans un extraordinaire silence Ils exi
46. r gne le spectacle les seules forces organis es sont celles qui veulent le spectacle Aucune ne peut donc plus tre ennemie de ce qui existe n1 transgresser l omert qui concerne tout On en a fini avec cette inqui tante conception qui avait domin durant plus de deux cents ans selon laquelle une soci t pouvait tre critiquable et transformable r form e ou r volutionn e Debord 2006 CSS 1605 Vincent Kaufmann dans son ouvrage Guy Debord la r volution au service de la po sie remarque que les Commentaires abandonnent les concepts de la doxa marxiste dans leurs analyses critiques de la soci t actuelle Kaufmann 2001 374 Mais l abandon du messianisme r volutionnaire est en partie un faux probl me Cet abandon d celable dans les crits tardifs dissimule en r alit une donn e que plusieurs commentateurs peinent admettre le triomphe de la R volution ne fut jamais la pr occupation majeure de Debord Seule la transformation de la vie quotidienne donc la transformation de sa propre vie a v ritablement pr occup Debord C est donc toujours ainsi qu il faut proc der quand on consid re l uvre dans sa totalit le discours tardif ne vient pas contredire celui du jeune Debord il vient plut t r v ler des traits latents ou dissimul s durant la p riode h ro que lettriste puis situationniste C est dire qu il ne faut pas conclure que le Debord moraliste trahit le Debord des
47. raire via ce vaste collage que constituent les M moires de 1957 C est pourtant dans son premier film ouvertement autobiographique In girum que Debord pr sente pour la premi re fois sa vision baroque de l anachronisme Avant de prendre une forme litt raire d finie lors du Pan gyrique c est donc d abord au niveau de l image qu advient l exp rience de l anachronie Cela n est pas le fruit du hasard l image entretient un rapport essentiel avec le temps Dans Devant le temps Didi Huberman explique justement comment c est avant tout l image qui permet de figurer l anachronisme de l histoire ces n cessaires confusions et interp n trations des unit s historiques l anachronisme semble merger la pliure exacte du rapport entre image et histoire les images certes ont une histoire mais ce qu elles sont le mouvement qui leur est propre leur pouvoir sp cifique tout cela n appara t que comme un sympt me un malaise un d menti plus ou moins violent une suspension dans l histoire Didi Huberman 2000 25 Pour sa part Walter Benjamin explique ainsi l historicit propre aux images La marque historique des images n indique pas seulement qu elles appartiennent une poque d termin e elle indique surtout qu elles parviennent la lisibilit qu une poque d termin e Chaque 345 pr sent est d termin par les images qui sont synchrones avec lui
48. re c est en ce sens que la formule d tient un pouvoir presque magique Mais la formule c est aussi le r sultat d un travail stylistique d une op ration de concision au sein du vacarme informe des mots Pour Boris Donn Debord s inspirait probablement de l esth tique du sublime classique codifi e par Boileau selon laquelle c est parce l inscription r ussie nonce sous la forme la plus concise tout ce qu elle a dire qu il mane d elle une aura Sublime celle ci na t du violent contraste entre la grandeur de l id e et le resserrement de l expression Donn 2004b 27 Les formules politiques ou 46 militantes comme celles des Directives dominent l poque situationniste et Debord ressent une grande fiert voir inscrits sur les murs plusieurs de ses slogans lors des v nements de mai 68 Il existe diverses sortes de livres Beaucoup ne sont m me pas ouverts et peu sont recopi s sur les murs Debord 2006 1461 En tant qu homme de lettres Debord promeut un mod le interventionniste assez loign de la sage distance que partout on exige des intellectuels aujourd hui chez lui les lettres ne doivent pas tre contempl es mais bien violemment v cues elles doivent passer dans ces masses qui apparaissent enfin sur la sc ne en tant qu agents de la transformation historique Les mots et les slogans sont faits pour allumer des incendies d clencher de
49. rit de l art est chaque fois changeante historiquement d termin e il n y a de v rit s que dans le devenir dans l volution des formes selon les modalit s et les imp ratifs du temps qui les voit na tre Baudelaire premier grand th oricien de la modernit artistique a popularis l id e selon laquelle la beaut n appara t que fugitive fulgurante per ante cume la surface du temps Les 72 mouvements esth tiques les plus novateurs du XIX si cle ne cessent de s opposer au privil ge des Anciens en proclamant l actualit pure de la cr ation puis en se d gageant peu peu du r gime de la mimesis pour mieux approfondir les possibilit s de leur m dium respectif Avant le XX si cle cependant il sera rarement question de rupture d finitive il y a bien continuit mais seulement travers une fid lit sans cesse ren goci e envers l esprit d innovation dont ont fait preuve les Anciens en leur temps Pour l avant garde du XX si cle au contraire l esprit de rupture radicale avec la tradition s impose telle une nouvelle id ologie D passer l avant garde veut dire r aliser une praxis une construction de la soci t travers laquelle tout moment le pr sent domine le pass Debord 2006 640 Cette r bellion critique contre le poids de la tradition se d double chez plusieurs avant gardes en une autre r volte qui instaure une sorte d anti modernit au
50. ritablement programmatique et exp rimental dans le sens scientifique des termes L art nouveau se vit comme une vaste exp rimentation scientifique sur les sujets individus ou groupes Le r ve et l ivresse repr sentent ainsi deux protocoles possibles dans cette auto exp rimentation dans laquelle le moi s intensifie Le r ve et l ivresse deviennent deux moyens terroristes au sens de la d finition pr c dente de Sloterdijk ils permettent de r v ler ce qui demeurait latent sous jacent dans les conceptions conventionnelles de l art L art nouveau c est celui qui rend visible par le biais d attaques concert es l id ologie cach e des pratiques traditionnelles la dimension arbitraire de conventions g n ralement accept es Les pratiques po tiques du r ve ou de l ivresse participent donc d une strat gie culturelle offensive directement oppos e aux modes institu s de la m diation ainsi qu au conformisme des formes artistiques d fendues par les pouvoirs tatiques ou priv s Mais c est notamment sur la fa on de rendre publics les r sultats de leurs recherches exp rimentales que les deux groupes se trouvent en d saccord Alors que les surr alistes ne parviennent gu re toujours dissimuler leurs ambitions litt raires les situationnistes se font plus discrets pr f rant une diffusion confidentielle de leur 4l C est sous cet angle que la f tichisation surr aliste des objets d mod s
51. taient l ambition l audace le succ s Le poids de l p e la hardiesse des app tits et du verbe faisaient le m rite le mal r sidait dans la 180 faiblesse ou la timidit dans le fait de d sirer peu d oser petitement de subir une blessure sans la rendre on s excluait par l du rang des ma tres pour entrer dans le commun troupeau B nichou 1948 23 24 L influence des id aux f odaux dans la culture aristocratique est fort significative quand on conna t l importance du roman de chevalerie dans l imaginaire de Debord Par exemple ce dernier place tous ses M moires sous le signe du mythe du Graal Le roman de la Qu te du Graal pr figure par certains c t s un comportement tr s moderne crivent les lettristes en 1954 Debord 2006 151 L analogie tablie entre le groupe lettriste et les ordres de chevalerie sugg re une lecture pique de l aventure de l avant garde actrice d une pop e la fois guerri re et spirituelle Dans Jn girum Debord continue d ailleurs d utiliser une imagerie moyen geuse en d tournant notamment la bande dessin e Prince Vaillant et le film de Marcel Carn Les visiteurs du soir 1942 La culture h ro que du roman de chevalerie semble donc avoir eu une forte influence sur lui tout comme sur l aristocratie sous Louis XIII Mais cette derni re n identifie plus sa qu te une forme de recherche spirituelle ou bien une contribution au triomp
52. traditionnel Je voudrais me contenter de signaler la diff rence d cisive entre le simple approvisionnement d un appareil de production et sa transformation Benjamin 2003 132 Ce n est pas par hasard que Benjamin donne comme exemple pour illustrer son propos certaines exp rimentations de la presse crite ce v ritable produit de masse Benjamin utilise certaines exp riences audacieuses du journalisme sovi tique afin d voquer une nouvelle configuration possible de l art dans sa fonction sociale et politique la distinction entre auteur et public maintenue conventionnellement par la presse bourgeoise commence s effacer dans la presse sovi tique Benjamin 2003 128 80 On touche ici de pr s ce qui caract rise l art v ritablement r volutionnaire selon Benjamin non pas uniquement des transformations formelles au sein d un m dium connu ou encore l adoption th matique d une tendance politique mais bien plut t une transformation de l art dans sa fonction op rationnelle dans la division du travail et des t ches et dans son partage du sensible son d coupage des domaines du vivant En d autres termes il faut que ses produits artistiques c t de leur caract re d uvre et avant m me celui ci poss dent une fonction organisatrice Benjamin 2003 138 C est pourquoi Benjamin applaudit le th tre de Brecht qui a selon lui r ussi changer le rapport f
53. Aubervilliers L univers en cours d clatement Et nous allions d un bar l autre en donnant la main diverses filles p rissables comme les stup fiants dont naturellement nous abusions Debord 2006 105 J en conclus que l criture m morielle est n cessairement pour Debord fragmentaire l image de la m moire elle m me c est dans le chaos que les souvenirs reviennent l esprit et c est ainsi qu il convient de les transmettre travers cette volont constante d ins rer son existence dans un ordre narratif la vie enti re de Debord peut tre consid r e en fin de compte comme sa 48 seule et unique uvre et elle est d finitivement pass e dans le Livre De m me que le terrain conceptuel se trouve chez lui intrins quement li la conjoncture pr sente la guerre contre le spectacle de m me il n y a aucune autonomie de l esth tique chez Debord la production artistique ne vaut que dans la mesure o elle refl te la d mesure d une vie prise dans une situation de combat avec l investissement subjectif qu une telle posture implique Debord ne fait aucune distinction entre son uvre et sa propre vie et c est notamment pour cela que son uvre continue malgr tout d chapper aux standards habituels l articulation auteur texte soci t prend chez lui des formes in dites Les m moires de Debord ne valent que pour et par cette vie directement v cue qu ils magnifie
54. Benjamin 1989 479 On comprend ici que l historicit n est pas contenue passivement dans l image l image est elle m me concentr e d histoire elle fait l histoire dans l ici et maintenant dans le choc de sa pr sence C est pourquoi l historicit de l image est avant tout li e au temps pr sent la lisibilit qu elle acquiert ou perd un certain moment la fa on dont un pr sent se reconna t vis par un fragment du pass Le montage cin matographique joue donc un r le essentiel dans la d couverte de cette ouverture du temps sur lui m me l exposition du travail des fant mes qui ne cessent de hanter les vivants Giorgio Agamben a d j soulign dans un article le r le primordial que joue le montage dans le cin ma de Debord Agamben 2004 Pour Debord le montage ne se subordonne plus un r cit ni la n cessit de tourner des images originales Le montage n est plus l outil qui agence des plans discontinus au sein d une continuit temporelle Au contraire le montage devient ce moteur qui cr e des chocs temporels nouveaux entre ces plans retir s de leur matrice originelle Le type de montage que Debord met au point dans Jn girum servira de mod le 174 Ce qui assure le pouvoir disjonctif de l image r side justement dans l aisance avec laquelle les images peuvent tre retir es de leur matrice et r p t es dans un nouveau contexte Didi Huberman explique cette pro
55. C est dire que Debord croit uniquement en une r volution permanente et ne per oit aucune porte de sortie cette logique du conflit qui doit sans cesse d chirer l Histoire Quand en 1979 Debord feint encore de croire en l avenir de la r volution l image qu il dresse de son triomphe est loin d voquer une soci t paisible et pacifiste L on reverra une Ath nes tendue jusqu aux extr mit s du monde et qui ayant abattu tous ses ennemis pourra enfin se livrer joyeusement aux v ritables divisions et aux affrontements sans fin de la vie historique Debord 2006 1473 La r volution ne repr sente donc pas la fin de l Histoire mais son ouverture infinie D ailleurs en vieillissant Debord parle moins de r volution lui pr f rant le terme de guerre d montrant par l que c est une logique du conflit qui l a attir dans le pari de la r volution On peut dire de la r volution aussi ce que Jomini a dit de la guerre qu elle n est point une science positive ou dogmatique mais un art soumis quelques principes g n raux et plus que cela encore un drame passionn Debord 2006 IGI 1769 202 Une question demeure pourtant au sein de cette appropriation du Grand Si cle pourquoi Debord si proche des conceptions h ro ques attach es la noblesse sous le r gne de Louis XIIT d veloppe t il un rapport essentiel et intime au courant moraliste La question est complexe
56. Critique de la s paration 1962 Avant cela le sc nario Hurlements en faveur de Sade 1952 et le texte de l mission radiophonique La valeur ducative 1955 comportaient eux aussi plusieurs l ments autobiographiques Avant n girum le je de Debord tait bel et bien pr sent seulement il se dissimulait travers une criture elliptique et cod e plus encore que celle qui sera utilis e dans les textes m morialistes tardifs Comme le pr cise Boris Donn avant n girum la dissimulation du moi fonctionnant par allusions et par d tournements relevait d imp ratifs id ologiques De la part de Debord le projet de composer des m moires taient doublement paradoxal il impliquait de s exprimer la premi re personne et de construire un r cit Or il s agissait l de deux contraintes en contradiction avec son intransigeante posture avant gardiste De sorte que l usage souverain qu il fera de la premi re personne dans ses uvres tardives sera moins une facilit qu une conqu te Donn 2004c 47 Si In girum t moigne bien d un changement c est donc surtout travers un renouvellement stylistique omnipr sence d un je autrefois dissimul et pr sence d une prose en partie h rit e du classicisme fran ais On ne peut pas parler ici d un tournant radical dans l uvre m me si un je s offre pour la premi re fois sans aucun d tour Une distinction purement for
57. DESNOS Parmi l ensemble des masques port s par Debord ceux qui rel vent de la figure du Bandit occupent une place centrale et r currente Apostolid s 2006 156 Tout ce qui rel ve de la petite p gre du lumpenprol tariat du crime de droit commun trouve chez lui un cho important au point o on peut affirmer sans g ne que le crime occupe dans son imaginaire un v ritable r le all gorique Le romantisme souvent attribu la figure du bandit ou du criminel aussi st r otyp et traditionnel soit il Debord l assimile et le v hicule dans l ensemble de son uvre qui fait sans cesse l loge de la transgression sous toutes ses formes Ainsi lorsque Debord s identifie des figures litt raires il privil gie nettement des figures de rebelles voire des figures d crivain bandit tel Fran ois Villon Dans son Pan gyrique Debord remonte d ailleurs sa g n alogie criminelle jusqu Villon et sa bande organis e les Coquillards Nous avions plusieurs traits de ressemblance avec ces autres sectateurs de la vie dangereuse qui avaient pass leur temps exactement cinq cents ans avant nous dans la m me ville et sur la m me rive Je ne peux videmment pas tre compar quelqu un qui a ma tris son art comme Fran ois Villon Et je ne me suis pas aussi irr m diablement que lui 269 engag dans le grand banditisme enfin je n avais pas fait d aussi bonnes tudes universitaires Debord 2006 PAN
58. Debord 2006 CMR 1707 Dans la mesure o l entreprise historique vise surtout la gloire personnelle de l individu sa r ussite ou son chec se mesurent l aide de crit res qui chappent au registre du commun comme l a bien expliqu Arendt le sens profond de l acte et de la parole ne d pend pas de la victoire ou de la d faite l action ne peut se juger que d apr s le crit re de la grandeur puisqu il lui appartient de franchir les bornes commun ment admises pour atteindre l extraordinaire o plus rien ne s applique de ce qui est vrai dans la vie quotidienne Hannah Arendt 1999 266 Debord en se divertissant a voulu ne travailler rien d autre que l ach vement de sa propre gloire La grandeur se mesure ici uniquement par le degr de n gativit atteint dans une vie exemplaire Il n y a d autres finalit s que cette vie m me v cue comme une r volution permanente dans une transgression perp tuelle En citant Pascal Debord n a d ailleurs gu re camoufl cette v rit dans son Pan gyrique Il est permis mais il n est pas souhaitable de se demander ce qu un tel parti pris de d mentir toutes les autorit s pouvait positivement amener Nous ne cherchons jamais les choses mais la recherche des choses la certitude ce propos est tablie depuis longtemps On aime mieux la chasse que la prise Debord 2006 PAN I 1678 La r volution vaut uniquement po
59. GF Flammarion Nietzsche Friedrich 1997 Le Gai savoir Paris GF Flammarion Nietzsche Friedrich 2000 Par del bien et mal Paris GF Flammarion Parti imaginaire 2007 Pr face un ami dans Blanqui Auguste Maintenant il faut des armes Paris La Fabrique pp 9 28 Perniola Mario 2001 Une esth tique du grand style Guy Debord dans Moser Walter amp Goyer Nicolas dir R surgences baroques Bruxelles Lettre vol e Essais pp 209 224 Poggioli Renato 1971 Theory of the Avant garde New York Icon Rabant Claude 1997 Le dernier gardien dans Lignes n 31 mai 1997 pp 170 181 Ranci re Jacques 1995 La M sentente politique et philosophie Paris Galil e La philosophie en effet Ranci re Jacques 2000 Le Partage du sensible esth tique et politique Paris La Fabrique Ranci re Jacques 2002 La fable cin matographique Paris Seuil La librairie du XX si cle Ranci re Jacques 2005 Quand nous tions sur le Shenandoa dans Les Cahiers du cin ma Paris n 605 octobre 2005 pp 92 93 Rochlitz Rainer 1981 Avant propos dans Kracauer Siegfried Le roman policier un trait philosophie Paris Payot pp 5 23 Rousseau Jean Jacques 1959 uvres compl tes I Les Confessions et autres textes autobiographiques Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade Rubio Emmanuel 2008 Du surr alisme l LS
60. II de Bavi re Ses amis l ont vu un soir d ivresse hurler Je suis le roi dans la salle du bistrot Le tonneau d Or Dans leur correspondance ils voquent sa fascination pour la tyrannie et la cruaut Apostolid s amp Donn 2006 50 Debord revient plusieurs reprises sur sa fascination pour Louis II de Bavi re dans la revue Potlatch Dans un article de 1954 Debord explique son int r t pour les projets architecturaux d lirants de Louis II Louis I de Bavi re l ve grands frais dans les montagnes bois es de son royaume quelques d lirants ch teaux factices avant de dispara tre dans des eaux peu profondes La rivi re souterraine qui tait son th tre ou les statues de pl tre dans ses jardins signalent cette entreprise absolutiste et son drame Il y a l bien s r tous les motifs Benjamin a bien raison d expliquer la diff rence entre le drame baroque et la trag die en ces termes Son contenu son v ritable objet au drame baroque Ndr c est la vie historique telle que l poque se la repr sentait C est en cela qu il diff re de la trag die Car l objet de celle ci c est le mythe et non l histoire Benjamin 2000c 62 215 d une intervention pour la racaille des psychiatres Debord 2006 143 Ce qu il faut remarquer ici c est que Debord s identifie d abord des figures folles de la royaut voire des figures de tyran c
61. Ils repr sentent en r sum une signification instantan ment communicable propos des conduites ou des penchants humains Debord 2006 PAN I 1659 se Interpr tant le d tournement du film Dark Passage dans les M moires Boris Donn en arrive cette conclusion Debord n a t il pas eu semblablement le d sir de d rober son visage Sa toute premi re publication tait accompagn e d une photo volontairement d grad e o sa figure d j demi dans l ombre tait rendue indiscernable le regard noirci Et parmi les quelques images de lui m me qu il livrera par la suite plusieurs sont floues surexpos es Lavartus prodeo par ces portraits d cevants Debord signifie qu il n entend pas avancer visage d couvert qu il a choisi de se masquer Donn 2005 17 7 Apostolid s a th oris la fonction du masque chez Debord dans son essai Les Tombeaux de Guy Debord Apostolid s 2006 155 158 266 M me si Debord ne s identifie pas de fa on monolithique ces personnages historiques qu il convoque il reconna t n anmoins dans la richesse de leurs exp riences des parall les saisissants avec sa propre existence C est pourquoi l utilisation d une bonne citation ou la convocation d une figure reconnue remplace avantageusement n importe quel discours personnel de l auteur elle aura l avantage imm diat d approfondir un sens cach par le brouillard de l
62. Je n ai pas de vanit je n ai que de l orgueil et je suis s r de moi absolument s r Petit voleur par n cessit assassin par vocation ma route est toute trac e mon chemin est tout droit et je marcherai la t te haute Jusqu ce qu elle tombe dans le panier naturellement cit dans Debord 2006 IGI 1364 1365 Dans les dialogues de Pr vert Lacenaire se pr sente comme un tre plus brillant que la moyenne d s l enfance il affirme que sa lucidit et son intelligence le 313 distinguaient des autres El ve de talent au s minaire d Aix Lacenaire d serte l arm e avant de se faire voleur Une s rie de s jours en prison parach ve sa vocation criminelle S il exerce parfois ses talents d criture c est dans l action criminelle que Lacenaire trouve sa vocation Croyez vous que c tait le sang de dix de vingt de ses membres qui m eut suffi Non non c tait l difice social que je voulais attaquer dans ses bases Adieu donc po sie adieu mes amours cit dans Ladous 1999 non pagin Rejet par ses semblables et contr l par les forces de l ordre Lacenaire cultive sa haine du genre humain et cherche entrer en duel avec la soci t Selon R gis Ladous Lacenaire est le premier praticien de cette r volution nihiliste qui connaitra son heure de gloire quelques ann es plus tard en Russie La r volutionnaire n est pas li
63. King s Men publi en 1963 Entre les p riodes r volutionnaires o les masses acc dent la po sie en agissant on peut penser que les cercles de l aventure po tique restent les seuls lieux o subsiste la totalit de la r volution comme virtualit inaccomplie mais proche ombre d un personnage absent Debord 2006 615 278 Sans rapport organique avec la classe ouvri re les conspirateurs du XIX si cle tentaient de pousser cette derni re faire la r volution qui leur permettrait de prendre le pouvoir et d imposer leur vision de la soci t id ale Marx reprochait d ailleurs aux conspirateurs leur distance avec la cause prol tarienne ils n ont d autre but que celui imm diat de renverser le gouvernement actuel et m prisent au plus haut point les efforts pour faire prendre conscience aux travailleurs de leurs int r ts de classe cit dans Benjamin 2002 27 28 En ce sens les conspirateurs sont par d finition des tres de la n gation au m me titre que le fut Debord Ils ne portent aucune cause concr te ce sont les hommes d aucun parti Tout ce qui les motive c est leur haine du pouvoir existant Leur id alisme est second ils sont d abord et avant tout motiv s par le trouble la violence les d chirements Tout ce qui peut faire du bruit et embarrasser le pouvoir les excite au plus haut point Impatient et hargneux t m raire et courageux le conspirateur du XIX si c
64. UE 5 EEr i PEN i W m dicales disciplinaires li es aux institutions de la police 3 Au XIX si cle le 143 Les m canismes de la r pression polici re constituent une th matique centrale pr sente partout dans l uvre de Debord ce th me sert asseoir l image de lui qu il cherche plus que tout v hiculer celle d un tre si mena ant que toutes les instances du pouvoir sont sans cesse ses trousses Dans Pan gyrique Debord crit Des bandes de policiers dont les marches soudaines taient clair es par un grand nombre d indicateurs ne cessaient de lancer des incursions sous tous les pr textes mais le 294 crime cesse donc en partie de se lier avec des probl mes m taphysiques de confrontation entre la grandeur et la souillure le crime devient un produit social part enti re Les classes dangereuses qui apparaissent dans le discours hygi niste sont les populations les plus r calcitrantes au travail de la police cette v ritable force de l ordre qui s exerce directement sur les corps socialis s La science sociale nouvellement cr e qui nomme et identifie ces classes pour mieux les faire exister en face des matraques n est que le revers acad mique d une conception polici re du corps social Que ce soit dans les romans de Victor Hugo ou de Zola mais aussi dans le feuilleton le plus lu de l poque Les Myst res de Paris d Eug ne Sue au XIX si cle le th me d
65. a un th me un titre un diteur une pr face une introduction un texte des notes etc on peut les avoir cit dans Debord 2006 PAN 2 1708 amp Dans une autre lettre crite le m me jour Debord affirme aussi L avenir nous saurons peut tre en faire notre maison Malgr l coulement horrible du temps pass ne rien faire ou presque je crois que la vie peut commencer tout jamais acceptable il faut prendre le pouvoir qui est la port e de notre main Debord 2006 37 M me durant la p riode d avant garde durant laquelle r gnent l interdit de la repr sentation et le primat id ologique de l oubli l oubli sera notre passion dominante Debord se montre d j extr mement soucieux de jouer un r le d historien pr servant pour la post rit les traces des collectifs lettristes ou situationnistes Par exemple en 1956 un an avant la fondation de l LS les lettristes enregistrent sur bande magn tique une Histoire de l Internationale lettriste version orale d un texte r dig par Debord En 1961 Debord trace un plan extr mement d taill de la Biblioth que situationniste de Silkeborg biblioth que qui devrait conserver au Danemark les archives lettristes et situationnistes ces archives donn es par Jorn et Debord sont toujours pr sentes au Mus e d art de Silkeborg Voici ce qu crit Debord en 1960 propos de cette biblioth que Nous ne do
66. adonner divers travaux r mun r s qui sont au niveau de leur comp tence ou m me un peu au del Voil pourquoi ceux qui nous exposent diverses pens es sur les r volutions s abstiennent ordinairement de nous faire savoir comment ils ont v cu Debord 2006 IGI 1770 Debord se pr sente comme celui qui a refus toutes les contraintes de l existence moderne il s est uniquement pr occup de l assouvissement de ses passions Le sens de la vie de Debord s inscrit ainsi naturellement dans un champ h ro que dans la mesure o sa capacit refuser le caract re illusoire des richesses que pr tend distribuer la soci t actuelle Debord 2006 G1 1765 rel ve d une force de caract re hors du commun d une lucidit rare L exposition de l intime t moigne qu une vie diff rente est possible et qu une subjectivit mancip e peut s opposer aux forces de l poque L exemplarit des traces interpelle les sujets absents d une action politique et l crit m moriel m me sanctifiant vise modifier le r el en prenant position sur lui Si la fin de son existence Debord croit que la contre r volution a triomph partout au moins sa vie pourra servir de r f rence positive ou n gative selon les dispositions morales de l poque pour les g n rations futures On peut lire les m moires de Debord comme r pondant d une telle n cessit transposer la r volution dan
67. cembre 1952 Un texte r dig pour l occasion par Jean Louis Brau est solennellement d chir enferm dans une bouteille puis jet dans le canal Saint Denis Brau en garde pourtant une copie Il s agit en substance des rudes statuts de la nouvelle Internationale Les points 3 et 4 t moignent en particulier d un vident durcissement 3 Interdiction tout membre de l IL de soutenir une morale r gressive jusqu l laboration de crit res pr cis 4 Circonspection extr me dans la pr sentation d uvres personnelles pouvant engager l IL Exclusion de quiconque publiant sous son nom une uvre commerciale Bourseiller 2001 82 83 Apr s avoir t pos es sur le papier ces r gles devaient tre d truites une fois que tous les membres du groupe en aient pris connaissance On retrouve la m me volont d effacer les traces des lois dans les secr tes Th ses de Hambourg d cembre 1961 qui ne furent jamais d voil es quiconque en dehors de l LS Debord avait fait jurer a chacun des participants de ne jamais les r v ler Nous savons seulement la phrase conclusion qui devait elle seule r sumer le contenu des discussions L LS doit maintenant r aliser la philosophie gi Debord 2006 585 Historiquement le mod le des soci t s secr tes qui int resse surtout Debord trouve ses racines dans les groupements conspirateurs du XIX si cle C e
68. certain nombre de leurs pr misses Car l LS arrive un moment de l histoire o elle juge que le r le et la fonction de l avant garde doivent tre passablement modifi s Nous sommes aujourd hui au point o l avant garde culturelle ne peut se d finir qu en rejoignant et donc en supprimant comme telle l avant garde politique r elle Debord 2006 639 Mais l avant garde artistique se doit de remplacer les avant gardes politiques dont on constate depuis longtemps qu elles ont sombr dans la d cadence En un premier temps le modernisme artistique a t oppos dans son potentiel r volutionnaire authentique de refus et de promesse la d g n rescence de la r volution politique Le surr alisme et l Ecole de Francfort ont t les principaux vecteurs de cette contre modernit Ranci re 2000 41 C est en modifiant la vie quotidienne partir d une pratique po tique que l avant garde culturelle peut venir repositionner la r volution c est dire la transformation 1irr m diable du monde social sur le terrain positif de l mancipation en tant qu activit de cr ation L optique situationniste d une fusion in dite de l avant garde culturelle et de l avant garde politique d passe en quelque sorte la position finale des surr alistes plut t conventionnelle qui tablissait un terrain distinct d action pour deux avant gardes s par es et autonomes dans leurs
69. chaos des passions Cette perspective strat gique sous jacente l id e tr s moderne de raison d tat est uniquement possible la suite d un p nible entra nement la d sensibilisation dans lequel il faut en arriver concevoir le monde comme un chiquier o chaque individu ne vaut pas pour lui m me mais uniquement par la fonction qu il occupe dans le jeu Cette perspective ouvre encore une fois la voie la manipulation la duplicit et au bluff C est maintenant que la citation de Khayy m peut prendre une autre signification moins fataliste les pi ces du jeu ne sont pas manipul es par le Ciel mais par Debord lui m me et les pi ces retournent en 244 effet au N ant apr s avoir servi dans un jeu dont ils ne soup onnaient gu re l existence 108 C est aussi l interpr tation de Boris Donn lorsqu il commente la citation de Khayy m Certains auront t de simples pions sur le terrain du Jeu de la guerre gt Donn 2008 40 Donn est d ailleurs un des critiques qui a le plus insist sur l importance de la manipulation chez Debord 245 4 Chapitre IV Crime et politique Politique Je n ai pas de convictions comme l entendent les gens de mon si cle parce que je n ai pas d ambition Il n y a pas en moi de base pour une conviction On peut fonder des empires glorieux sur le crime et de nobles religions sur l imposture BA
70. chez lui Pour savoir crire il faut avoir lu et pour savoir lire il faut savoir vivre Debord 2006 VS 1109 Bien s r dans toute uvre textuelle la production crite se lie la vie de son auteur et il s av re toujours possible de faire des liens entre l uvre et l autobiographie Chez Debord cependant les liens unissant l criture et la vie se configurent autrement que dans le sch ma classique parce que c est uniquement au sein du bios que se constitue pour lui l uvre ultime Il ne s agit pas seulement ici de Style de vie ou bien d esth tisation du quotidien concepts la mode pour caract riser le mode de cr ativit privil gi par l homme ordinaire de notre poque Il s agit aussi d une conception h rit e du modernisme europ en une conception de l art qui lie profond ment le style et l thique Dans cette tradition qui va des po tes maudits aux surr alistes on agit selon l id e qu il faut admettre dans le c ur de son existence l esprit d insubordination qui anime la po sie moderne une po sie v cue en tant que rupture avec le monde Pour Debord la question de la r volution se pose donc partir du noyau de l existence elle rel ve tout d abord d un choix thico artistique d une sensibilit bien avant d tre le r sultat d une conscientisation politique En ce sens l inclinaison r volutionnaire de Debord est rapprocher avec c
71. collective que le mythe agit on ne peut le d composer en ses divers l ments c est en tant que syst me unifi qu il se donne comme repr sentation Plus encore Sorel tablit une distinction nette entre le mythe et ses effets si le mythe est bel et bien producteur d actions les r sultats de ces derni res ne peuvent aucunement tre jug s l aune des repr sentations mythologiques qui les ont inspir es Pour Sorel j en d duis qu on a ici affaire deux sph res clairement distinctes celle de l imaginaire le mythe et celle de la praxis action motiv e par le mythe Si l on retrouve une articulation n cessaire entre ces deux domaines le lien n est pas purement causal ni unilat ral et l efficacit du mythe ne garantit aucunement le r sultat de l action n1 sa justesse sur le plan thique L int r t pour le mythe nouveau manifest par Bataille et par les surr alistes s nonce justement au moment o l on cherche un moyen de contrecarrer le mythe nazi Lorsque Bataille et Breton s unissent dans les ann es 30 au sein du groupe d extr me gauche Contre attaque l id e centrale est de lutter contre le fascisme avec les armes de ce dernier de cr er ce qu on nomme un surfascisme 55 Le fait que Benito Mussolini fut un grand admirateur de l ouvrage de Sorel t moigne de la r versibilit id ologique du mythe soulign e par Debord 134 De m me si le mythe ne se reproduit pa
72. comme un proc d de rupture de la latence et de dissolution du sous jacent Un aspect important de la dissolution de la latence dans le champ culturel est la tentative de d truire dans la vie courante de l art le consensus entre la partie productrice et la partie r ceptrice afin de lib rer la sp cificit radicale des v nements du montrer Il explicite l absolutisme de la production ainsi que la valeur propre de la r ception Sloterdijk 2005 139 99 Dans ce dispositif c est le groupe d avant garde qui projette un horizon d attente sur son public sur la part r ceptive de la m diation pour l avant garde le public se doit d tre choqu traumatis litt ralement ferroris par sa production On peut concevoir que l absence de r action du public devant ses provocations peut mettre dans l embarras tout groupe d avant garde qui l origine est l pour d plaire pour d sesp rer ceux qui se consid rent comme des humains La b te passivit du public devant les objets inacceptables de la terreur artistique c est justement l o r side le plus grave scandale du point de vue des avant gardes du moins Pour prendre le cas de Debord il est plausible que sa d ception personnelle face l absence de r action du public joue un r le important dans le ton sermonneur qu il adopte souvent envers ce m me public Les v ritables auteurs de la soci t du spectacle il me semble
73. compl tement vacu e il n y a plus de figures id elles dans lesquelles le public peut projeter son imaginaire C est du c t de la salle que se transf re l aspect pique du th tre car le v ritable h ros devient ce public qui transpose d sormais son d sir d id alisation sur le monde r el en ce sens le th tre ne sert qu une entreprise plus large de ma trise de la vie Le nouveau th tre est simplement le th tre de l homme qui a commenc se tirer d affaire par lui m me Brecht 1970 178 Or chez Debord le contenu id el de la repr sentation n est jamais totalement mis hors jeu au contraire il se trouve r investi r activ dans un nouveau contexte Jacques Ranci re explique justement le d tournement en soulignant son opposition structurelle avec la distanciation L essence du d tournement c est la transformation du pr dicat ali n en possession subjective C est la r appropriation directe de ce qui a t loign dans la repr sentation Aussi le d tournement n a t il rien voir avec la distanciation brechtienne Le d tournement n loigne pas il ne nous apprend pas comprendre le monde en le rendant tranger Il n y a rien comprendre derri re ou sous l image Il y a se r approprier ce qui est dans l image l action repr sent e s par e d elle m me l exact oppos de toute p dagogie brechtienne l
74. confr ries de privil gi s fortement inspir e par le mod le des soci t s secr tes qui fascineront autant les surr alistes que les situationnistes appara t comme une cons quence logique de ce rejet du public et de la fonction communicative de l art Contre un dehors potentiellement hostile le groupe repr sente cette nouvelle alliance unie afin de permettre l closion d un art totalement lib rateur dans une sorte de hors lieu d une soci t dont il faut se prot ger Les avant gardes dirig es par Debord se sont toujours pens es comme de v ritables soci t s secr tes ext rieures cette sc ne de la r signation que compose l ensemble des lieux conventionnels de la communication publique Le r le de l artiste ne consiste plus communiquer quoi que ce soit d universel ou d ternel mais bien de transformer le monde ici et maintenant Le repliement extr me sur le groupe en tant qu origine et destination de la communication r sulte de cette ambition d un d passement de l art en tant qu activit s par e du cours de la vie r elle 32 On sait aujourd hui que cette diffusion syst matiquement anonyme et gratuite de ces M moires est un mythe Debord a bel et bien cherch vendre l ouvrage en de rares occasions sur le march sp cialis et cela jusqu New York 78 2 2 Sur la politisation de l art Le c l bre article de Walter Benjamin L uvre d
75. d un horizon beaucoup plus limit celui d une transformation de 47 J r me Duwa a sans doute raison lorsqu il affirme que cette tentation de r duction exp ditive du surr alisme l occultisme reste une des ressources majeures des pamphlets anti surr alistes jusqu au plus r cent jusqu au plus abusif sign en 2003 par Jean Clair Duwa 2008 96 48 Les situationnistes ont eux aussi r pandu la th se selon laquelle le surr alisme a fini par sombrer dans la d cadence mystico occulte dans l apr s guerre et peut tre m me avant Un tel jugement demanderait bien s r tre nuanc J r me Duwa a encore une fois raison lorsqu il affirme que la vulgate de la d g n rescence du surr alisme apr s 1945 sombrant dans l occultisme de f te foraine est si g n ralement accept e sans objection d aucune sorte que sa r futation n est pas une t che inutile Duwa 2008 15 114 la vie circonscrite une microsoci t litaire La repr sentation dans l image vaut comme r sidu id aliste de cette libert individuelle qui se d ploie dans une sph re s par e dans la mesure o partout la libert manque dans l univers social Dans la perspective de Sartre et celle des situationnistes seule une fusion totale des deux modes de la r volution peut engendrer une r elle mancipation atteignant la totalit sociale l ensemble de l humanit comme sujet C est pourquoi une avant garde ne doi
76. d buts Il y a malgr les apparences une r elle continuit entre les deux personnages ce qui advient plus tard n est qu une reconfiguration d l ments d j en place en latence et dont on retrouve de nombreuses traces dans l uvre de jeunesse Et c est cette coh rence m me qui malgr la rupture permet d aller plus loin dans l interpr tation de l uvre 19 Bien s r l poque passe et se transforme tout comme les hommes qui l habitent on ne peut nier certains changements dans le parcours de Debord partir du constat de la disparition des forces r volutionnaires durant les ann es quatre vingt Debord comprend qu il ne peut plus jouer sur ce tableau son combat doit se d placer sur un autre terrain L assassinat de son ami et m c ne G rard Lebovici va pr cipiter son mouvement de retrait des affaires du monde C est sur la question de son h ritage qu il va d sormais concentrer ses forces la fin de sa vie le seul combat valable pour Debord consiste se d fendre lui m me contre une soci t qui lui r pugne et qu il peine comprendre avec son syst me de r f rences classiques et sa parano a grandissante L offensive g n rale cesse et Debord se replie dans une position d fensive Il s agit d sormais de prot ger son h ritage et le sens que l on doit y apporter Debord en vient peu peu consid rer sa principale activit comme celle d un m mori
77. d homme pp 49 58 Vogt Ulrich 1985 Nouveau mythe et mythe nouveau dans M lusine n VII Lausanne L Age d homme pp 59 68 Sites internet Berna Serge 1950 Grand Meeting des Rat s R cup r le 18 octobre 2010 http debordiana chez com francais rates htm Bourseiller Christophe 2006 Transgresser ou dispara tre les situationnistes l preuve de la vie R cup r le 10 mai 2010 http christophebourseiller zumablog com index php sujet_1d 9625 Breton Andr amp Trotski Leon 1938 Manifeste pour un art r volutionnaire ind pendant R cup r le 29 juillet 2006 du site web http www marxists org francais trotsky oeuvres 1938 07 1119380725c htm Debord Guy 1954 Cin ma dans Potlatch 1954 1957 358 Document Word R cup r le 10 octobre 2010 http classiques uqac ca contemporains internationale_lettriste Potlatch Potlatch html Donn Boris et al 2007 Table ronde sur le cin ma de Debord Enregistrement sonore R cup r le 31 octobre 2010 http www lecranstdenis org evenement 171 html Dupuis J r me 2009 Debord en situation d licate R cup r le 2 novembre 2010 http www lexpress fr culture livre debord en situation delicate_823662 html Ladous R gis 1999 Lacenaire et Netcha ev R cup r le 8 juillet 2007 http www aleph idris com trois lacenaire htm Lafargue Paul 1883 Le droit la pa
78. de la Pl iade 353 Brochier Jean Jacques 1977 L aventure des surr alistes 1914 1940 Paris Stock Burdeau Emmanuel 2005 L gendes pour G D dans Les Cahiers du cin ma Paris n 605 octobre 2005 pp 90 91 B rger Peter 1984 Theory of the Avant Garde Minneapolis University of Minnesota Press Chevalier Louis 1984 Classes laborieuses et Classes dangereuses Paris pendant la premi re moiti du XIX si cle Paris Hachette Chtcheglov Ivan 2006 crits retrouv s Paris Allia Clausewitz Carl von 2006 De la guerre Paris Rivages Petite biblioth que Danesi Fabien 2008 Le mythe bris de l Internationale situationniste l aventure d une avant garde au c ur de la culture de masse Paris Les presses du r el Debord Guy 2004 Le Marquis de Sade a des yeux de fille Paris Fayard Debord Guy 2006 uvres Paris Gallimard Quarto Debord Guy 2008 Correspondances tome 7 Paris Fayard Deleuze Gilles 1985 Cin ma 2 L image temps Paris Minuit Critique Deleuze Gilles amp Guattari F lix 1991 Qu est ce que la philosophie Paris Minuit Deleuze Gilles 1993 Critique et clinique Paris Minuit Paradoxe Derrida Jacques 1991 Donner le temps Paris Galil e La philosophie en effet Didi Huberman Georges 2000 Devant le temps Paris Minuit Critique Donn Boris 2004a Debord et le sublime ou le r
79. de quoi rehausser mon propos Car je fais dire aux autres ce que je ne puis si bien dire tant t par faiblesse de mon langage tant t par faiblesse de mes sens Montaigne 2002 46 74 On sait par ailleurs que Montaigne n a pas seulement cit des auteurs il a aussi r crit des extraits en entier sans mentionner la source notamment des passages entiers de Tacite Ce proc d une des formes que peut prendre le d tournement fut tr s souvent employ par Debord dans La Soci t du spectacle plusieurs th ses sont constitu es de r critures de passages d Hegel de Freud de Feuerbach 178 une fa on pour lui de faire sien le discours d autrui Je feuillette les livres je ne les tudie pas ce qui m en demeure c est chose que je ne reconnais plus tre d autrui Montaigne 2002 46 On peut en conclure que pour Debord tout comme pour Montaigne la lecture fait partie int grante de la vie juste Le d tournement tout comme la citation n est qu un moyen de r activer une part de g nie humain ancr e dans un pass honorer C est justement ce qu apprend Debord partir de Montaigne comment s approprier l h ritage culturel partir du pr sent selon les besoins et les exigences d une vie s intensifiant dans l activit du d codage 3 3 Gloire h ro sme vengeance Es pues destreza no com n inventar nueva senda para la excelencia descubrir moderno rumbo para la celebrida
80. des observations sur le co t excessif du sang et la limitation relative du succ s obtenu Debord 2006 PAN I 1683 L amour de la guerre quivaut une passion pour le temps irr versible c est dire le sentiment d une existence terrestre aspir e par une mort qui l intensifie tout en la d truisant L exaltation de l action historique va de pair avec une conscience de son caract re fragile et temporelle Le temps n attend pas On ne d fend pas deux fois G nes personne n a soulev deux fois Paris Debord 2006 PAN I 1684 C est cette conscience tragique de la mort qui ouvre le domaine du jeu de la guerre forme de divertissement supr me aux mains du conspirateur Ce dernier peut s amuser des situations et des individus en habitant le temps dont jouissent ceux m mes qui n ont point de demeure en cr ant des remous la surface du fleuve o s coule le temps 231 3 5 Un art de la manipulation Exceller dans l excellent tient de la souverainet qui arrive imposer son tribut de v n ration Balthasar GRACIAN Les hommes qui aspirent la grandeur sont g n ralement mauvais c est leur seule mani re de se supporter NIETZSCHE Dans la guerre c est surtout le jeu qui int resse avant tout Debord c est dire la question du d ploiement strat gique On lutte aussi par jeu crit il d ailleurs dans ses Commentaires Debord 2006 CSS 1
81. des ditions Champ Libre tait d j reconnu par ses choix litt raires comme un sympathisant de la gauche radicale 36 sublime et un ton pol miste virulent devient l unique moyen de t moigner d une libert transgressive dont il se consid re le ma tre absolu Alors que l aventure situationniste lui avait fait c toyer plusieurs esprits brillants mais fort diff rents du sien Jorn Constant Vaneigem etc l horizon intellectuel du Debord m morialiste s amenuise dramatiquement C est aussi en ce sens qu il faut interpr ter le motif du cercle se refermant sur lui m me qui traverse le film n girum et qui revient dans les textes m morialistes subs quents Pascal Bonitzer dans son analyse du film n girum l avait bien compris Un corps aussi centr aussi ferm sur sa jouissance aussi encercl est sans doute vou la nuit et d vor par le feu Bonitzer cit dans Debord 2006 1439 Dans son tat de perfection absolu Debord n a plus gu re besoin des autres son syst me libidinal devient autor f rentiel et se referme sur lui m me Ceux qui veulent entrer en dialogue avec ce corps doivent alors le singer entrer dans son conomie fantasmatique C est seulement avec des doubles de lui m me c est dire des sortes de disciples sup rieurs que Debord se plait d sormais dialoguer Une fois lib r des contraintes qu impose le collectif Debord cesse donc de se co
82. du Moyen ge jusqu au moment baroque Dans la perspective d un d passement de l art et d une r volution de la vie quotidienne l uvre ultime de Debord se situe dans sa personnalit m me Debord a voulu actualiser dans son poque une personnalit plus grande que nature un character Avoir du caract re est d ailleurs une expression populaire quivalente cette autre expression avoir de la personnalit Que veut on dire par l En g n ral on d signe ainsi quelqu un qui pr sente aux premiers abords une attitude souvent rude voire hostile mais plus authentique que la moyenne C est quelqu un qui passe rarement inaper u dans la mesure o son comportement ne cadre pas toujours avec les normes en vigueur et cette libert peut brusquer les sensibilit s Insoumis aux exigences et aux coutumes que respecte la majorit celui qui poss de du caract re se comporte uniquement en fonction de ce qu il consid re tre son 144 droit sans trop se soucier de l opinion d autrui En ce sens un caract re qui ne r prime pas ses humeurs devient vite une sorte de repoussoir pour les bien pensants un caract re affirm tra ne souvent une forte aura de scandale attirant vers lui soit le respect soit l hostilit J ai d j soulign comment la question de la personnalit tait chez Debord intimement li e la notion nietzsch enne du Grand style Je vais dans ce chapitre appro
83. du n gatif Paris Mille et une nuits Goldmann Lucien 1971 La cr ation culturelle dans la soci t moderne Paris Deno l Gonthier Biblioth que m diation Graci n Balthasar 2005 Trait s politiques et esth tiques Paris Seuil Gramsci Antonio 1978 Cahiers de prison 3 Paris Gallimard Biblioth que de la philosophie Guilbert C cile 1996 Pour Debord Paris Gallimard Hosbawn Eric 1963 Les primitifs de la r volte dans l Europe moderne Paris Fayard Hussey Andrew La m lancolie de Guy Debord dans Psychiatrie sciences humaines neurosciences Paris vol 6 n 1 pp 1 4 Janover Louis 1980 Surr alisme art et politique Paris Galil e Janover Louis 1995 La r volution surr aliste Paris Hachette pluriel 355 Jeanpierre Laurent 1993 Retournements et d tournement dans Critique Paris n 663 664 ao t septembre 2002 pp 645 659 Jorn Asger 2001 Discours aux pingouins et autres crits Paris cole nationale sup rieure des Beaux Arts Kalifa Dominique 1995 L encre et le sang r cits de crimes et soci t la Belle Epoque Paris Fayard Kalifa Dominique 2005 Crime et culture au XIX si cle Paris Perrin Kaufmann Vincent 1997 Po tique des groupes litt raires Paris Puf criture Kaufmann Vincent 2001 Guy Debord la r volution au service de la po sie Paris Fayard Histoire de la pens e Le
84. effet de d sarroi et de panique au c ur du confort standardis partir de la lecture de La Soci t du spectacle de nouveaux aspects de la r alit doivent merger un changement perceptuel et intellectuel doit se produire afin de rendre caduques aussi bien les pr tentions de la soci t actuelle que les conceptions r volutionnaires pass es Le premier m rite d une th orie critique exacte est de faire instantan ment paraitre ridicules toutes les autres crit Debord dans sa Pr face la 4 dition italienne de La Soci t du spectacle Debord 2006 1464 L ouvrage ainsi con u s ins re dans les affaires communes et transforme irr m diablement la r alit sociale sur laquelle il d sire agir C est un livre qui convoque un lectorat particulier et une pratique sp cifique ma connaissance c est dans les usines d Italie que le livre a trouv pour le moment ses meilleurs lecteurs Debord 2006 1463 L uvre enti re de Debord ne s interpr te que dans la conjoncture guerri re dans laquelle est se situe imm diatement Cette uvre est par d finition expressions de ce pue de la gueule et de ce peine jouir d s qu elles s incorporent aux lignes de Debord deviennent vives comme une truite furtive dans l eau claire d un torrent Bernard Bernard cette verte jeunesse ne durera pas toujours tait la menace sardonique ruct e par un ayatollah jaloux cela devien
85. en fonction d une r volution permanente laquelle il s agit de donner un visage celui de la gr ve g n rale Pour Sorel comme pour Debord l existence d une image de la 139 n gativit pure devrait constituer une raison suffisante pour pousser le prol tariat l action r volutionnaire C est pour cette raison que Debord constitue l I S comme groupe l gendaire incarnant lui seul le moment de la n gativit selon lui avec la diffusion des id es de l L S le m contentement partout en suspens sera aggrav et aigri par la seule connaissance vague de l existence d une condamnation th orique de l ordre des choses Et apr s c est en commen ant mener avec col re la guerre de la libert que les prol taires peuvent devenir strat ges Debord 2006 1464 Malgr sa condamnation de la mythologie surr aliste je pense n anmoins que Debord a eu l intuition de l importance primordiale du mythe moderne et qu il a jou avec lui aussi bien par l entremise de ses groupes d avant garde que quand il parle seul et qu il construit sa propre vie comme mythe Dans le prolongement des intuitions de Bataille et des surr alistes Debord a devin l importance de la r surgence du mythe dans l conomie culturelle de la modernit Alors qu on croyait le mythe rel gu au statut d anachronisme voil que la soci t du spectacle le r active de fa on in dite Pour les avant ga
86. es 70 D autres figures du monde musical se sont aussi invent un personnage mythologique complexe Sun Ra tandis que des acteurs en sont venus s identifier compl tement leur personnage Bela Lugosi transposant dans le r el le domaine de l imaginaire L ouverture du domaine identitaire dans la soci t du spectacle permet une nouvelle approche dans la production du moi et ce n est pas un hasard si les th mes de la double identit et de l imposture sont fort pr sents dans la culture contemporaine Reste maintenant voir ce qui pourra merger de ce contexte partir du moment o l expression personnelle ne se produira plus uniquement au sein de la sph re sp cialis e de l art professionnel Notre poque glorifie abusivement la narration et la fictionnalisation de son moi et d sormais chacun peut r ver de son quinze minutes de gloire Les moyens multim dias permettent d laborer une complexe strat gie d nonciation de nouveaux modes d apparition en multipliant les puissances du faux et les doubles imaginaires Cette tendance participera d une virtualisation croissante de nos existences D un point de vue litt raire l criture par d tournement ou par appropriation a encore un bel avenir devant elle La publication en 2007 de l essai de Jonathan 335 Lethem The Ecstasy of Influence Plagiarism une d fense du plagiat uniquement compos e de d tournements et celle plus r c
87. es sous la banni re du mythe les surr alistes tent rent de s imposer dans le moment de la reconstruction 50 Cet aspect constructif et positif du surr aliste devait d ailleurs irriter Benjamin qui ne voyait de r demption r volutionnaire possible qu travers la m lancolie et le pessimisme ce n est pas pour rien que le penseur allemand ch rissait particuli rement l uvre de Pierre Mabille ce dissident trotskyste du surr alisme qui insistait sur la n cessaire organisation du pessimisme Benjamin a de son c t beaucoup insist sur le pathos r volutionnaire pla ant d finitivement cette tradition du c t des perdants de l Histoire En opposition si Debord conserve une humeur saturnienne il voque toujours ses exploits sur le mode de l h ro sme triomphant ce qui d tonne avec le mis rabilisme dominant souvent le discours de la gauche d aujourd hui 122 Or je pense que cet aspect mythologue tait pr sent dans la critique situationniste du mouvement de Breton mais uniquement dans la mesure o le mythe se m diatise sous la forme de la contemplation de la passivit admirative Car le surr alisme ne se contente pas de se donner en spectacle ni de se vendre sur le march pire encore il veut presque se v hiculer sous la forme d une religion constitu e cette mythologie moderne qui devait marquer son si cle et op rer une sorte de r demption pour une humanit d chue En effet c es
88. est dire des exemples de souverainet absolue En d non ant toute entreprise de rationalisation psychanalytique de tels comportements Debord sugg re qu il faut les consid rer dans leur logique propre sans les soumettre aux standards de la vie ordinaire La folie la m galomanie la tyrannie sont des postures naturelles pour quiconque assume l ivresse de la souverainet pour quiconque a l impression de tenir l histoire dans sa main C est cette vision du pouvoir royal que pr sente justement le th tre baroque le nouveau d positaire de l histoire parce qu il vacue du domaine historique toutes d terminations th ologiques soustrait la pratique politique la commune mesure Plus rien de vient encadrer limiter brimer l exercice du souverain qui fait triompher une nouvelle sorte de raison d tat Suite des d bats juridiques qui eurent cours la Renaissance le souverain s empare totalement du pouvoir ex cutif et ce parce qu on lui attribue une nouvelle mission celle d viter tout prix l tat d exception Benjamin d crit ainsi le dispositif mis en place La th orie de la souverainet pour laquelle l tat d exception en d veloppant des instances de dictature devient un cas exemplaire oblige quasiment l image du souverain s accomplir dans le sens du tyran Le drame s efforce absolument de faire du geste du bourreau la marque distinctive du souverain Benjami
89. est pris son propre jeu s emprisonnant dans une image de puret Guy Debord s est pris pour lui m me pour l incarnation de la radicalit de la lucidit et de la r volution un moment o celle ci devenait justement improbable et demandait tre red finie force de fr quenter les morts il a fini pas se figer en une image sainte laquelle les derniers fid les venaient rendre un hommage pieux gt Apostolid s 2006 223 Apostolid s a raison en affirmant que la figure du Censeur devient lentement pour Debord celle qui subsume toutes les autres figeant le mouvement baroque cr auparavant par la multiplicit de ses identit s Apostolid s 2006 223 Est ce dire que l uvre tardive de Debord rel verait plut t de la tradition classique moraliste reniant l esth tique baroque des d buts mon sens on ne peut affirmer une th se aussi univoque Premi rement parce que l uvre de Debord ne se laisse pas d couper si facilement cette derni re est d s le d part compl tement p n tr e par l influence la fois du baroque et du classicisme du Grand Si cle Il y a en effet chez Debord un continuel balancement entre ces deux options stylistiques et thiques J explorerai cette question en d tails dans le chap tre III M me dans ses uvres tardives on prouve parfois du vertige devant la multiplicit des identit s et des figures en jeu dans ces autoportraits malgr une foncti
90. est interpr t e par Walter Benjamin dans son article Le Surr alisme Le dernier instantan de l intelligentsia europ enne l investissement surr aliste du d suet et du d bris doit cr er un v ritable choc temporel qui vise briser l illusion du progr s Ce rejet et cette critique du progr s industriel semblent des traits caract ristiques des avant gardes fran aises alors que plusieurs autres groupes europ ens d fendent une vision apolog tique de la modernit technique futurisme constructivisme etc Au sujet de la modernit comme processus d auto intensification du moi voir Peter Sloterdijk Essai d intoxication volontaire 2001 16 17 104 production En se pr servant de toute intervention directe dans le monde institutionnel l art situationniste peut pr tendre conserver une puret sacrifi e par l autopublicit constante des surr alistes Mais la cons quence de ce mouvement de cl ture in vitro c est que dor navant l art situationniste ne se produit plus partir de la repr sentation il se consume au moment m me de son apparition au sein du vivant La repr sentation s opposant au vivant devient pour les situationnistes signe de mort Le spectacle en g n ral comme inversion concr te de la vie est le mouvement autonome du non vivant Debord 2006 SdS 766 C est donc aussi le rapport probl matique la post rit qui diff rencie les surr alistes des situationni
91. est la fondation de l tat moderne et que l opposition la plus clatante cet absolutisme soit venue de l aristocratie et de la jeunesse c est dire que dans 189 l imaginaire de Guy Debord aristocratie d action du h ros gale avant garde Stone Richards 2001 90 Pour Debord la monarchie absolue doit s interpr ter comme la premi re manifestation historique du pouvoir spectaculaire Seule une lite clair e peut tenter de s y opposer Et seul un fin strat ge cynique et manipulateur peut imposer sa volont au sein de cette r volte d o l identification tr s forte de Debord envers le Cardinal de Retz Le spectacle repr sente pour Debord la force centralisatrice de l tat cette force qu utilise partout le pouvoir pour d poss der l individu de ses moyens Le spectacle par d finition est ce qui diminue la puissance d agir des individus d l guant l autonomie de chacun dans des sph res s par es et sp cialis es du pouvoir Ce n est pas un hasard si le type de discours dominant dans le spectacle est celui de l infantilisation on les traite comme des enfants stupides devant qui bafouillent et d lirent des dizaines de sp cialisations paternalistes Debord 2006 IGI 1338 Partout l tat prend possession des vies priv es reprenant la place autrefois occup e par Dieu Par divers moyens l tat tient d ailleurs nous rappeler ses titres de propri t Le spectacle re
92. et cosmique tait d finie d s sa naissance qui lui attribuait un rang et une fonction sociale sp cifiques Aujourd hui il existe un consensus pour dire que le moi ne refl te aucune v rit lui pr existant il appara t plut t comme le r sultat d une fiction contingente Ce fait est d ailleurs reconnu par les dispositifs du pouvoir contemporain qui se d finissent comme de formidables machines cr atrices de subjectivisation Le moi postmoderne se d voile uniquement au sein de la narration dans laquelle il s ins re volontairement ou non D un point de vue individuel cette nouvelle subordination de l identit l ordre du discours produit une supra conscience de soi permettant une approche ludique et nomadique de son moi Cette br che ouverte dans le moi identitaire s est r v l e tr s f conde dans la soci t du spectacle notre l poque l identit devient une activit cr atrice autonome elle se met en jeu autant qu elle se met en sc ne sur le vaste th tre du monde Parall lement cette exploration du moi on assiste de plus en plus la 326 mise en uvre de diverses techniques d intensification du sujet d ailleurs souvent corollaires des d centrages identitaires En m me temps que le moi a d sormais la possibilit de se produire lui m me de se d finir et de se modifier la conscience de soi se trouve approfondie et intensifi e Pour donner des exemples le monde des
93. et la profondeur des liens rattachant Debord ce courant pessimiste limite toute interpr tation univoque Car le courant de pens e moraliste qui s labore dans un certain rapport au mouvement jans niste n a d autres ambitions que de d truire tout l difice h ro que construit par la g n ration pr c dente la litt rature morale du si cle de Louis XIV semble concentr e tout enti re autour du probl me de la grandeur de l homme ou de sa bassesse de l l vation des instincts ou de leur brutalit Dans cette pol mique c est la condamnation d une poque r volue qui s accomplit Si la note pessimiste domine c est que sous le r gne de Louis XIV le surhomme aristocratique tait bien mal en point B nichou 1948 129 Certes cette litt rature se construit dans un rapport dialectique avec l chec de la Fronde l effondrement des espoirs r formistes et la concentration des pouvoirs enl vent toutes possibilit s d action r elle la noblesse On peut donc voir la posture moraliste comme une r action d sesp r e l chec r volutionnaire de la Fronde laquelle La Rochefoucauld participa De m me la posture moraliste de Debord advient suite l chec de mai 68 Debord vit alors cette p riode comme quivalente au r gne de Louis XIV Ici il est moins le H ros que le Sage celui qui l instar de Pascal ou de Bossuet ne cesse de d noncer le n ant de tout
94. exemple aux d marches d un Andy Warhol d une Cindy Sherman ou d un Jeff Koons La d marche de Debord s inscrit beaucoup plus dans une tradition litt raire que dans une tradition plastique 327 si Andy Warhol joue avec lui m me comme une pure surface modifiable linfini Debord joue davantage avec la m moire des mots et avec leur caract re polys mique Cela dit on ne devrait pas d embl e carter les parall les possibles avec de telles approches ludiques du moi courantes dans l art contemporain comme le fait Bilheran qui rejette trop rapidement le concept de sculpture de soi dans le cas de Debord Par del l id e de sculpture de soi qui implique peut tre la reproduction formelle et le d calque de soi bref qui implique l uvre l id e de production de soi ne pr suppose aucune forme constituer et faire circuler dans le domaine du visible La production de soi implique d abord et surtout l action elle d signe l ensemble des moyens employ s par le sujet pour se re produire en tant que sujet pour se manifester en tant qu agent et pr sence dans le monde Car l action tout comme l uvre constitue un moyen d appara tre aux autres Par l action Debord s est bien s r produit lui m me en tant que figure r volutionnaire mais il a eu besoin d un suppl ment pour transfigurer son existence sur le plan mythique Il s est ainsi construit une personnalit
95. existence Avec Lacenaire Debord abandonne la distance ironique qu il maintient bien souvent dans le jeu des d tournements Ce n est pas pour rien que dans la premi re version du sc nario d In Girum Debord conserve transcrit les dialogues des films d tourn s ceux ci ne constituent pas seulement un sous texte secondaire mais bien un texte parall le de premi re importance dans l dition critique du sc nario publi e en 1990 Debord conserve uniquement son discours r cit en voix off En ce sens dans n Girum les mots que Lacenaire r cite dans l extrait d tourn des Enfants du paradis s appliquent tellement Debord qu on doit sans doute les consid rer comme les paroles m mes de Debord ou du moins comme une expression tr s fid le de sa propre personnalit Ce dialogue r du film de Carn en constitue sans doute le meilleur exemple Lacenaire dit Garance Je ne suis pas cruel je suis logique depuis longtemps j ai d clar la guerre la soci t Garance demande Et vous avez tu beaucoup de monde ces temps ci Pierre Fran ois Et Lacenaire Non mon ange voyez aucune trace de sang seulement quelques taches d encre Mais rassurez vous Garance je pr pare quelque chose d extraordinaire Quand j tais enfant j tais d j plus lucide plus intelligent que les autres Ils ne me l ont pas pardonn Belle jeunesse vraiment Mais quelle prodigieuse destin e
96. figure du grand industriel ou l homme qui r ussit en affaires Ce qui diff rencie essentiellement la m ritocratie aristocratique de la m ritocratie bourgeoise c est que la premi re ne tente pas de camoufler ses r flexes go stes derri re des arguments altruistes Le sublime aristocratique essentiellement personnel reposant sur les victoires clatantes du moi Le sublime plus fortement socialis aujourd hui dans l opinion courante repose davantage sur la bont sur la capacit de se sacrifier pour autrui d agir pour autre chose que pour soi B nichou 1947 146 Pour Debord comme pour Nietzsche l altruisme contemporain n est qu une forme d ali nation emp chant l individu d acc der au statut de surhomme L essence de ce dernier repose sur un caract re aristocratique luttant uniquement pour lui m me C est pour cette raison que l engagement r volutionnaire de Debord fut si mal interpr t loin d tre un geste motiv par une piti envers la classe ouvri re ce fut d abord le choix d un divertissement permettant Debord de tromper l ennui La provocation lettriste sert toujours passer le temps crit il en 1953 Debord 2006 95 Comme l a bien compris Boris Donn dans son article Le jeu supr me de Guy Debord le choix de la conspiration chez Debord n est pas seulement politique mais surtout go ste il choisit d abord de conspirer pour s amuser
97. fonction de ce dispositif Au contraire le m morialiste accepte pleinement sa part de subjectivit et ce qu il cherche communiquer ce sont surtout ses jugements Sur ses propres actions d abord mais aussi sur ses contemporains et sur son poque Le Petit Robert d finit ainsi les m moires comme genre litt raire Relation crite qu une personne fait des v nements auxquels elle a particip et dont elle a t t moin 1994 1382 On reconna t ais ment cette d finition les uvres classiques qui ont le plus influenc Debord dans son projet les M moires de Saint Simon et surtout ceux du Cardinal de Retz auxquels Debord se r f re directement L auteur des plus beaux M moires crits au XVII si cle n a pas chapp l inepte reproche d avoir parl de sa conduite sans garder les apparences de la plus froide objectivit Debord 2006 PAN I 1659 Debord se situe dans cette tendance de l criture autobiographique dans laquelle domine l exercice d un jugement souverain Rien n est plus naturel que de consid rer toutes choses partir de soi choisi comme centre du monde on se trouve par l capable de condamner le monde sans m me vouloir entendre ses discours trompeurs Debord 2006 PAN I 1659 Les m moires se caract risent donc par leur refus de l int riorit ou de l autor flexivit le discours m morialiste se construit toujours en lien avec les v
98. font plaisir pourtant ceux qui y acc dent car ils se sentent sup rieurs tous ceux qui ne savent rien Elles ne valent du reste que pour faire mieux approuver la domination et jamais pour la comprendre effectivement Elles constituent le privil ge des spectateurs de premi re classe ceux qui ont la sottise de croire qu ils peuvent comprendre quelque chose non en se servant de ce qu on leur cache mais en croyant ce qu on leur r v le Debord 2006 CSS 1629 Nulle part Debord qui se pr sente d ailleurs dans In girum 239 multiplier les exemples il est vident que les Commentaires sur la soci t du spectacle Se proposant d expliquer le mode d action du spectacle expliquent aussi en filigrane le mode d action le raisonnement et le pouvoir de s duction propres Debord dans la gestion de son patrimoine et de sa r putation Quand il crit Le secret domine ce monde et d abord comme secret de la domination Debord 2006 CSS 1628 on doit comprendre que Debord se r f re au secret de sa propre domination sur les troupes lettristes et situationnistes pouvoir effectif qu il a sans cesse ni Ce mode d emploi secret de la soci t spectaculaire appara t aussi travers l trange portrait que Debord dresse du g n ral Noriega dictateur du Panama la fin des ann es 80 Voici comment il pr sente ce personnage Loin d tre une tranget troitement panam enne ce g n r
99. harmonie des facult s sensitives via un jugement r fl chissant En tant que mati re spirituelle pure l uvre d art se tient loign e des bas instincts et des besoins primitifs de l homme C est cette conception m taphysique de l art que les avant gardes s att leront d truire au profit d une red couverte traumatique du r el le temps imm diatement v cu qui s oppose la repr sentation et donc l uvre elle m me C est en ce sens qu Alain Badiou affirme que au XX si cle un fort courant de pens e a d clar qu il valait mieux sacrifier l art que de c der sur le r el Badiou 2005 185 La destruction de l aura de l uvre accomplie d s l irruption des dada stes repr sente une tape d cisive comme le rappelle Benjamin Les dada stes attachaient beaucoup moins de prix l utilit mercantile de leurs uvres qu au fait qu elles taient irr cup rables pour qui voulait devant elles s ab mer dans la contemplation Benjamin 2000c 105 Par les moyens du collage d objets vulgaires du recours l absurde et de la pulv risation du sens les dada stes 75 d truisent impitoyablement tout aura de leurs produits auxquels avec les moyens de la production ils inflig rent le stigmate de la reproduction Benjamin 2000c 105 L abandon de la conception m taphysique de l uvre unifi e et totalisante se d double aussi en une r volte
100. il rapproche avec raison les scandales organis s par les avant gardes des attentats terroristes qui leur sont historiquement contemporains l utilisation de la Terreur comme violence contre la normalit fait clater la latence esth tique et sociale et fait monter la surface les lois selon lesquelles on construit les soci t s et les uvres d art La terreur sert l accomplissement du tournant antinaturaliste qui partout fait valoir la primaut de l artistique Sloterdijk 2005 144 C est au sein d une m me dimension cognitive que le terrorisme politique et que le terrorisme artistique op rent leur d voilement d un R el se camouflant derri re les apparences de normalit et les conditionnements produits par cette m me r alit la r alit dans cette d finition recouvre tout ce qui para t pour la majorit comme normal dans l ordre des choses La r alit comprend la fois les r gles du jeu et l appareil qui les unifie dans la conscience pour les rendre invisibles Apr s le choc tout ce qui apparaissait comme naturel se d voile en tant que pure convention Comme une simple cr ation de l esprit qui s est ciment e dans l imaginaire social C est ainsi que Sloterdijk interpr te le travail du mouvement surr aliste pour lui le surr alisme repr sente une fraction du mouvement d explicitation de la modernit parce qu il se con oit sans la moindre ambig it
101. improbable d une amante inconnue Les situationnistes quant eux pr tendent construire des situations c est dire qu ils cherchent volontairement cr er de nouvelles conditions de hasard qui permettent une r alisation objective de leurs d sirs Mais l opposition entre le r ve et l ivresse ne s puise pas dans ce dualisme entre le constructivisme ou la passivit du sujet entre le sujet de la raison et le sujet de l inconscient Quand Debord crit que l action du spectacle consiste reprendre en lui tout ce qui existait dans l activit humaine l tat fluide pour le poss der l tat coagul Debord 2006 SdS 776 il est possible de transf rer cette interpr tation au surr alisme L ivresse c est l exp rience de la vie clandestine l tat fluide Le p ch originel du surr alisme ce serait d avoir voulu composer un nouveau mythe en figeant les forces de l ivresse dans la stabilit du r ve Le r ve surr aliste est coupable de se donner en spectacle de se coaguler dans une image Sur ce plan on ne peut que constater la constante pr occupation des surr alistes pour la question de l image On se souvient de la c l bre phrase d Aragon Le vice appel Surr alisme est l emploi d r gl et passionnel du stup fiant image ou plut t de la provocation sans contr le de l image pour elle m me et pour ce qu elle entra ne dans le domaine de la repr sentatio
102. int gr on vit et on meurt au point de confluence d un tr s grand nombre de myst res Debord 2006 CSS 1625 Cette vision du pouvoir s av re profond ment baroque le baroque aussi remet sans cesse en question la v racit du monde incapable qu il est de d partager le r ve du r el l illusion de l essence les ombres des choses et les 241 choses Tout appara t dans un rapport essentiel avec son contraire le monde baroque est un monde ind chiffrable compos d une multitude de signes trompeurs de l l image essentielle d un dieu malin qui se joue des humains les privant de tout acc s direct et certain au vrai H ritier de l imaginaire des romans d espionnage de l apr s guerre Debord comprend lui aussi le monde contemporain comme un terrain d affrontement dans lequel on ne peut jamais savoir qui agit v ritablement et en fonction de quels objectifs Dans cet univers la figure du tra tre est centrale dans la mesure o constamment chacun est invit retourner sa veste Le complot g n ral tant devenu si dense qu il s tale presque au grand jour chacune de ses branches peut commencer g ner ou inqui ter l autre car tous ces conspirateurs professionnels en arrivent s observer sans savoir exactement pourquoi ou se rencontrent par hasard sans pouvoir se reconna tre avec assurance Qui veut observer qui Pour le compte de qui apparemment Mais en r alit Les v rit
103. la culture ont cherch briser l identification psychologique du spectateur en h ros pour entra ner ce spectateur l activit en provoquant ses capacit s bouleverser sa propre vie Debord 2006 325 Le d tournement s inscrit n cessairement dans l id e de construction de situations en d tournant des images et des textes circulant dans l univers culturel le voleur cesse d tre passif et devient un auteur part enti re Pour les situationnistes le d tournement devait faire expier le p ch originel du spectateur moderne sa passivit complice et coupable On notera n anmoins les limites des pr tentions criminelles d une telle technique en ruinant la notion de propri t priv e en volant des uvres pour les int grer dans de nouvelles le d tourneur ne s institue pas lui m me dans un m me mouvement en tant qu auteur part enti re Jaspierre 253 souligne quel point Debord exemplifie lui m me les limites de l utopie situationniste du plagiat c t de leur pratique d anonymat partiel lettristes et situationnistes ont maintenu l importance de la signature Le respect par del le d tournement d un culte de l auteur est manifeste chez Debord et rejoint une mise en sc ne pique de soi et des amis Une technique inspir e du plagiat qui devait conduire une mise mort de l auteur finit par restaurer son autorit Jaspierre
104. la machine autrement l art est impossible Toutes les 115 esp ces d ivresse ont puissance d art L essentiel dans l ivresse c est le sentiment de la force accrue et de la pl nitude Sous l emprise de ce sentiment on donne aux choses on les force prendre en nous on les violente on appelle ce processus id aliser Nietzsche 1985 132 Je retiens deux aspects dans cette citation essentielle premi rement l ivresse est li e au corps cr ateur elle rel ve avant toutes choses du domaine physiologique et pour Nietzsche le domaine de l id alit est n cessairement li la corporalit opposition au dualisme mati re esprit La culture ne se d veloppe pas en opposition au physiologique mais bien dans une n cessaire relation avec lui rejet du dualisme nature culture Ensuite Nietzsche d finit l ivresse comme une irritabilit de toute la machine la machine dont il est ici question est bien s r organique L ivresse quivaut une intensification du moi cr ateur elle advient comme violence perturbation irritant dans le fonctionnement naturel du corps et de la conscience qui lui est rattach e Dans l ivresse le Moi en tant qu il se d finit en priorit par une r elle pr sence soi se trouve en effet comme exc d en lui m me et par lui m me c est dire d bord par la puissance de sa propre subjectivit cette exc dence la fois dynamique et
105. la soci t lib rale La soci t bourgeoise en effet impose historiquement le dogme du bien commun le domaine de la production malgr les in galit s normes qu il 15 En raison de sa tendance inh rente d voiler l agent en m me temps que l acte l action veut la lumi re clatante que l on nommait jadis la gloire et qui n est possible que dans le domaine public Arendt 1999 237 C est dire que pour l ancienne l ve d Heidegger il n y a pas d action politique sans un minimum de vanit sans la recherche d une glorification posthume Dans un tel sch ma le sujet doit se faire un r cit imaginaire de sa propre importance dans l Histoire 18 Debord voque directement Hobbes dans son dernier film Guy Debord son art son temps Apr s avoir montr diverses images de la jeunesse immigrante ghetto s e de France une jeunesse ouvertement hostile l cole publique et la culture g n rale qu on y impose Debord tient ces propos Ce sont les plus modernes d veloppements de la r alit historique qui viennent illustrer tr s exactement ce que Thomas Hobbes pensait qu avait d tre vie de l homme avant qu il p t conna tre la civilisation et l tat solitaire sale d nu e de plaisirs abrutie br ve Debord 2006 1873 31 g n re est presque syst matiquement pr sent comme b n fique au plus grand nombre Dans le capitalisme classique une certaine forme
106. labyrinthe lettriste plut t d routant L id e est d taill e dans le texte Projet pour un labyrinthe ducatif Debord 2006 284 285 En 1959 Debord et Constant d sir rent encore une fois transformer deux salles du Stedelijk Museum Amsterdam en labyrinthe situationniste La direction du mus e rejeta finalement ce projet d j passablement avanc 158 DANS LE LABYRINTHE On ne saurait trouver un r sum plus clair de l esprit de toute une civilisation Celle l m me que nous finirons par abattre Debord 2006 154 Il n en reste pas moins que le labyrinthe ne permet aucune sortie exer ant une forte puissance d attraction C tait le labyrinthe le mieux fait pour retenir les voyageurs Debord 2006 IGI 1774 Ainsi toute la vie adulte de Debord peut tre comprise comme une extension de son imaginaire enfantin en ce sens Debord n volue pas et reste fid le aux visions qu il a eues depuis le d but nous verrons bient t comment Parce que sa vie ne poursuit aucun objectif sinon celui d une intensification passionn e de l existence elle dessine un cercle se refermant sur lui m me ses uvres tracent elles aussi ce mouvement autor f rentiel valant comme moyen de d fense contre un ext rieur possiblement hostile Ainsi la fin de Critique de la s paration Ce message informel de m me qu il n avait pas de raison profonde de commencer de m me n en a pas de finir Debord 200
107. le Pan gyrique ne ressemble en rien aux Confessions Premi rement parce qu on a droit aucune sc ne digne d un divan psychanalytique Le registre de l intimit de l anecdote personnelle ou de l autor flexivit est rejet par Debord Le centre cognitif du genre autobiographique confessionnel est une vie singuli re qui se pense elle m me Dans ce type de r cit le sujet se confronte la v rit de sa propre existence et au sens ultime de sa vie L entreprise peut souvent tre lue comme une activit d autoanalyse dans laquelle le sujet se r fl chit lui m me au sein d une qu te de v rit dont l enjeu concerne l essence de son tre Dans les m moires cependant ce que le m morialiste cherche rendre perceptible par del les faits qui concernent sa propre vie c est l Histoire globale dans laquelle son action s ins re Le propos d passe toujours le registre de l intime et vise l Histoire universelle dans son ensemble Les M moires constituent donc par excellence un genre dialectique c est l interaction entre un sujet et une poque qui y est 166 perp tuellement mise en sc ne l un clairant l autre dans un jeu de perspective infinie Debord d bute son Pan gyrique par cette jolie phrase qui tablit imm diatement le ton de l ensemble Toute ma vie je n ai vu que des temps troubl s d extr mes d chirements dans la soci t et d immenses destructions j ai
108. m me plus sa propre voix l uvre se fabrique constamment selon une m me recette Debord avance toujours travers un mat riel pr fabriqu l auteur n appara t paradoxalement qu travers sa propre disparition locutoire Cette incapacit structurelle se produire soi m me ce refus de l expression personnelle permettent par ailleurs Debord d tablir et d ployer sa strat gie de la d ception envers le public Selon Apostolid s Debord op re une v ritable mise en sc ne de la d ception travers son uvre hostile qui se refuse toujours au public La 156 On se souvient de la conception de Mallarm dans Crise de vers L uvre pure implique la disparition locutoire du po te qui c de l initiative aux mots Mallarm 1945 366 310 d ception constitue donc un l ment important de la m canique de la fascination et Debord l a probablement souhait ainsi Cela lui a permis pendant plus de vingt ans d tre un crivain connu tout en conservant son aura de maudit Apostolid s 2006 217 Debord a voulu pr server toute sa vie durant son aura d artiste maudit sans se ranger sur la sc ne du spectacle Refusant de trop en dire c est avec parcimonie et myst re que Debord consent livrer des brides de son existence Cette volont de s inscrire dans la tradition des artistes maudits est par ailleurs manifeste dans l article Guy Debord et le probl me d
109. ma trisent n cessairement la langue mieux que les autres L emploi de la langue du XVI si cle et les d tournements classiques permettent Debord de contourner dans un futur ind fini la destruction corollaire au d clin de la soci t fran aise de la langue fran aise elle m me en se r f rant au vaste corpus des 52 textes classiques parus en fran ais tout au long des cinq si cles ant rieurs ma naissance il sera toujours facile de me traduire convenablement dans n importe quel idiome de l avenir m me quand le fran ais sera devenu une langue morte Debord 2006 PAN I 1660 Aussi le style n est pas uniquement pr sent dans l crit il se lie intimement l oralit en ceci que c est dans le langage parl que l individu peut sans le d calage temporel qu implique l effort d criture faire l emploi de ses forces imm diates Ainsi Debord affirme dans l introduction du Pan gyrique je vais pour ma part crire sans recherche et sans fatigue comme la chose la plus normale et la plus ais e la langue que j ai apprise et dans la plupart des circonstances parl e Debord 2006 PAN I 1660 Dans l exercice oral de la langue cependant c est uniquement quand le sujet se trouve en position de contr le que la grandeur du style peut advenir d s que ce sont les autres qui tiennent les r nes de la conversation les conditions de possibilit du grand style disparaissen
110. mais il reste qu il s agit d une thique du groupe ou de la fraternit Stone Richards 2001 90 Ce qu on doit d abord comprendre ici c est que l thique de la gloire mise de l avant par l aristocratie sous Louis XII se pr sente comme une exaltation de l individu en ce qu il est m par des passions La soci t noble n a jamais admis la censure des passions pour condition de la valeur humaine C est peine si elle a pu concevoir ce que nous appelons la loi morale cet imp ratif abstrait qui s impose nous du dehors B nichou 1948 20 L aristocratie de cette poque encore influenc e par les valeurs chevaleresques d fendait un syst me d honneur exaltant le courage et la force de caract re des h ros L expression culturelle la plus pure de ce type d h ro sme aristocratique se manifeste dans le th tre de Corneille Selon Paul B nichou le th tre de Corneille trouve la source de sa morale des passions dans l id alisme f odal dans la tradition dont il s inspire les d sirs si imp tueux qu ils soient sont li s l exaltation de l orgueil B nichou 1948 22 Du moment que l aristocratie n est pas encore dompt e par l appareil monarchique cette derni re peut s adonner une pratique de la gloire qui s oppose bien souvent aux int r ts du Roi ou de l glise Dans ce qui subsistait alors de la soci t f odale les valeurs supr mes
111. moi tout je suis l Unique Rien n est pour Moi au dessus de Moi Stirner 1845 30 comme r gle d une soci t des amis la communaut des hommes libres en tant que rivaux citoyens Deleuze amp Guattari 1991 14 Hannah Arendt identifiait la dimension agonistique qu elle d finit en tant que passion de se montrer en se mesurant contre autrui Arendt 1999 253 comme essentielle l invention de la polis dans la mesure o pour les Grecs l action politique est d abord motiv e par la recherche individuelle de la gloire Dans l agora qui rassemble les citoyens rivaux chacun doit prouver aux autres l tendue de ses m rites Debord h rite d une telle conception de l tre ensemble en tant que confrontation entre divers pr tendants En ce sens c est bien plus une communaut des gos qu une communaut d gaux qu il r ve Seuls ceux qui soutiennent un moi aussi fort que le sien seront consid r s comme des amis c est dire des gens fr quentables Qu est ce que l amiti L galit des amis Debord 2006 GI 1776 On sait que Debord s il cite rarement cet auteur partage la sombre vision de Thomas Hobbes sur la nature humaine Cet inconscient philosophique me permet de formuler cette hypoth se Debord consid re que l abolition de l tat permettrait de red finir un certain go sme naturel occult dans les formes sociales et juridiques de
112. n est ni bourgeoise ni populaire vient brouiller l antagonisme central qui devrait r gir la vie politique l antagonisme entre le prol tariat et les classes poss dantes Debord remarque avec justesse les limites tr s nettes du pouvoir conomique accord aux classes moyennes dans les d mocraties modernes cet argent autour duquel tourne toute leur activit on ne leur en laisse m me plus le maniement momentan Ils ne peuvent videmment que le d penser le recevant en trop petite quantit pour l accumuler Mais ils se voient en fin de compte oblig s de consommer cr dit et l on retient sur leur salaire le cr dit qui leur est consenti dont ils auront se lib rer en travaillant encore Debord 2006 IGT 1764 197 L individu contemporain plus que jamais est un d poss d qui se rassure en s entourant de marchandises qu il imagine soumises ses d sirs et fabriqu es pour les satisfaire Les possesseurs du monde aussi utilisent cet univers d objets pour nous tromper sur leur v ritable nature Car quelle qualit pourrait bien nous attribuer la possession de diverses sortes de bien Le pouvoir moderne s affirme lui m me sous la forme de choses expos es devant un regard Le spectacle est l h ritier de toute la faiblesse du projet philosophique occidental qui fut une compr hension de l activit domin e par la cat gorie du voir Debord 2006 SdS 770 Or le pouvoir n est pa
113. n y a pas de morale commune il ne peut y avoir que des causes communes La violence si elle fut depuis longtemps concentr e entre les mains de l tat doit revenir au peuple le seul agent apte exercer la v ritable justice Pour des criminels comme Lacenaire l identification la classe mis rable de la soci t je devins elle ouvre la porte toutes les libert s y compris celles qui se revendiquent d une d linquance individuelle purement destructrice mais cette derni re n est politis e qu post riori Debord accepte cette vision litiste qui identifie un certain nombre d lus capables d agir l avant garde du peuple Il pr tend m me que la th orie situationniste est l expression directe non m diatis e du prol tariat Elle ne se justifie que de lui Mais comme dans le cas de Lacenaire Debord choisit seulement la cause du prol tariat parce qu il identifie en elle le travail du n gatif Les prol taires sont pour lui le n gatif en uvre le mauvais c t qui produit le mouvement qui fait l histoire en constituant la lutte Debord 2006 710 Comme l antih ros du film de Carn Debord se distingua d s son enfance Timide et r serv Debord fut un excellent l ve dont les talents furent remarqu s par tous ses professeurs Ses bons r sultats il ne les doit pas au labeur mais ses qualit s inn es Bourseiller 1999 35 nous renseigne son biogr
114. nements et directement connect sur une pop e collective Il s agit essentiellement d une version des faits et non pas un discours d historien pr tendument neutre Dans la mesure o l auteur fut directement m l aux v nements racont s il faut s attendre une n cessaire part de subjectivit dans le discours Ainsi la c l bre boutade d Andr Gide Les M moires ne sont jamais qu demi sinc res ne fait qu noncer une vidence L id e des M moires c est 171 justement de positionner le lecteur dans la situation subjective pr cise de l acteur au c ur de l v nement et c est bien cela que d sire effectuer Debord dans Pan gyrique Clausewitz au d but de son histoire de la campagne de 1815 donne ce r sum de sa m thode Dans toute critique strat gique l essentiel est de se mettre exactement au point de vue des acteurs il est vrai que c est souvent tr s difficile Debord 2006 PAN I 1657 Le Pan gyrique de Debord s offre comme une plong e dans une position subjective pure au c ur de cette subjectivit r side l univers des passions qui ont rythm la vie de son auteur Ma m thode sera tr s simple Je dirai ce que J ai aim et tout le reste cette lumi re se montrera et se fera bien suffisamment comprendre Debord 2006 PAN 1 1658 Les inclinaisons d finissent un caract re dans ce qu il a d essentiel et d immuable Le l opard
115. nie transformant sa propre vie en uvre d art un peu comme Lacenaire transforma ses crimes mis rables en des actes subversifs et spectaculaires imposant par l son personnage l gendaire En ce sens le crime est un domaine o se d voilent des g nies singuliers Ce n est pas l acte criminel lui m me qui compte mais bien ce que cet acte r v le de la personnalit du coupable Tr s t t dans sa jeunesse Debord s identifie des figures criminelles d mentes comme Gilles de Rais ou Jack l ventreur On a donc affaire un sympt me majeur qui transcende les questions d conomie politique dans lesquelles s inscrivait la cat gorie de classes dangereuses dans la litt rature du XIX si cle 160 Je me r f re ici l analyse psychanalytique propos e par Jean Marie Apostolid s dans son article Guy Debord imagier d un enfant perdu 2004 318 Contrairement la figure romantique du Bandit embl me libertaire d une r volte qui ne s est pas encore organis e dans les masses la figure du fou criminel ne fait pas appel au registre de la r volte contre l ordre tabli L identification au Fou Meurtrier se produit surtout dans les uvres de jeunesse et elle se fera plus rare par la suite comme si le leader situationniste avait une certaine honte de cet ancien r seau de r f rence ou plut t comme s il voulait en limiter la port e Moins d mentielle que la figure de psychopathes meu
116. ou fort peu s en faut des noms si fameux et anciens qu ils me semblent se nommer assez sans moi Montaigne 2002 160 Il est possible de faire de Montaigne le premier grand crivain de l appropriation litt raire dans la mesure o peu d crivains avant lui ont autant syst matis le recours la citation dans un proc d d criture visant l expression personnelle m me si les r f rences antiques deviennent videmment la norme durant la Renaissance Montaigne lui m me contre toute accusation de plagiat revendiquait le droit de composer une uvre massivement construite partir des fragments d autrui Les abeilles pillottent de del les fleurs mais elles en font apr s le miel qui est tout leur ce n est plus thym ni marjolaine ainsi les pi ces emprunt es d autrui il les transformera et confondra pour en faire un ouvrage tout sien Montaigne 2001 233 La m taphore des abeilles qui transforment le pollen en miel permet Montaigne malgr sa modestie d identifier la nature in dite de son propre g nie qui r side dans cette collection d emprunts qui forment un nouvel ensemble devenu autonome un ensemble organique model selon la conscience intime de l auteur Debord ne concevait pas autrement son projet d criture m morialiste Montaigne parlait aussi de ses citations comme des formes d appropriation comme 7 Qwon voie en ce que j emprunte si j ai su choisir
117. outre Aragon s tait oppos au mythe de l criture automatique dans son Trait du style qui insistait que le n cessaire travail formel de l crivain 117 Le recul de Breton devant l hypnose comme ses prudences devant d autres formes de d possessions notamment celles li es aux drogues en dit long sur la position du surr alisme Le surr alisme se situe en effet exemplairement sur une limite qu il s efforce d approcher mais qu il s interdit de jamais franchir Cette limite est celle qui existe entre le livre personnel et le Livre impersonnel lieu d un tout dire mythique Mais c est aussi celle existant entre l criture et la performance au sens fort du terme qui suppose que la performance soit un v ritable passage l acte engageant physiquement un sujet diff rent d un simple acte de repr sentation Kaufmann 1997 73 74 Les surr alistes ressentent l ivresse uniquement comme un dangereux exc s de vie et jugent n cessaire de transfigurer cette puissance en forme artistique en mati re dans l ordre de l id alisation Cette transfiguration permet une concentration s curitaire des forces prot geant l appareil physiologique d une violence perturbatrice qui met en jeu la vie m me des acteurs impliqu s cependant certaines exp riences extr mes des surr alistes se sont produites sans aucune bou e de sauvetage Au contraire les situationnistes m
118. par recouvrir toute action humaine Sans le support d aucune forme de transcendance au dessus d elle l action 205 des hommes appara t comme absurde vaine sans cons quence du bruit et de la fureur Si Debord a toujours cit les auteurs moralistes partir d In girum ceux ci prennent de plus en plus de place sans son uvre aux c t s d une s rie de sources lyriques voquant le passage du temps L Eccl siaste Li Po Omar Khayy m etc La fragilit des affaires humaines devient donc une pr occupation majeure chez un auteur impliqu dans la construction des r elles fondations de son uvre pour le futur Pour des moralistes tels que Pascal et Bossuet le rappel constant de la mortalit servait ridiculiser la vanit et l ambition d une nouvelle souverainet terrestre qui appara t peu peu surtout sous la forme concentr e d un l tat nation repr sent par un roi tout puissant Malgr une pulsion de savoir et de conqu tes historiques qu ils partagent bien souvent avec leurs contemporains les moralistes de l ge classique aiment rappeler aux hommes leur mortelle condition devant la mort nous sommes tous gaux et tous mis rables Debord proc de de m me en inscrivant partout la question de la mortalit au c ur de son uvre La r cup ration des moralistes chez Debord se produit travers une profonde duplicit traversant l ensemble de son uvre construite sur une s rie de post
119. paradis artificiels du virtuel reproduction num rique et du spectacle reproduction audiovisuelle d multiplie et modifie un moi devenu mobile et multiple Ce ph nom ne a souvent t critiqu comme une manifestation postmoderne de l anomie sociale comme une forme de privatisation de l existence ou comme une id ologie de l individu autocentr Pourtant ces nouveaux moyens d exploration identitaire et d intensification du moi repr sentent aussi une conqu te dans la mesure o l identit s mancipe des dispositifs tatico conomiques de subjectivation ils apparaissent comme moyens d appropriation d un soi sous la forme du jeu et de la m tamorphose Chacun d sormais peut d cider sous quelle forme il appara t aux autres et se constituer sa propre image sociale ou mythologique En ce sens loin de nier le domaine public et la soci t en tant que telle les diverses entreprises d intensification du moi largissent le domaine des interactions sociales en multipliant les effets et les manifestations du moi apparence L entreprise mythologique de Debord s inscrit dans cette tendance anthropo esth thique d une production ludique du soi en tant qu il appara t aux autres sous la forme d image Bien s r il serait quelque peu r ducteur de d finir l entreprise autobiographique de Debord comme une sorte d uvre postmoderne mettant en sc ne la multiplicit du moi dans l image en la comparant par
120. partir de la surd termination historique et culturelle de l objet d tourn Debord 2006 224 Mais Debord et Wolman ne th orisent pas davantage l conomie des d tournements abusifs laissant dans l ombre un aspect pourtant essentiel le fait 252 que le nouvel ensemble se trouve son tour contamin par le sens ancien qui constitue une sorte d inconscient du texte Apostolid s 2006 154 C est aussi toute la question de la s duction op r e par l objet d tourn qui est occult e ainsi quand les situationnistes d tournent des photographies rotiques des fins propagandistes en 1964 on doit mettre l hypoth se que l attraction libidinale exerc e par ces images joue un r le fondamental dans un tel choix d objet surtout quand on se rappelle les pratiques et les discours plut t machistes des situationnistes Le point aveugle de la th orie de Wolman et de Debord se situe exactement l dans le jeu complexe d identification de projection et d introjection qui participe l conomie du d tournement Debord voque d ailleurs Brecht dans sa th orie du d tournement situant cette pratique dans une logique de distanciation Dans le manifeste situationniste de 1957 il crit La construction de situations commence au del de l croulement moderne de la notion de spectacle la non intervention On voit l inverse comme les plus valables des recherches r volutionnaires dans
121. path tique dont r sulte son intensification perp tuelle Audi 2005 86 Contrairement l activit somatique l ivresse intervient donc contre le bon fonctionnement des activit s vitales elle est exc s de vie et r veil c est dire mise en relation envers un Dehors Elle provoque une irritation du syst me nerveux qui d r gle compl tement l organisme lui retirant toute possibilit de repos Nietzsche r clame de l artiste cr ateur qu il intensifie dans l ivresse et en tant qu ivresse son rapport imm diat la vie cette volont de puissance qui en est l essence le plus intime et qui transit de part en part le sentiment d exister Audi 2005 48 116 Dans l ivresse telle que l a d crite Nietzsche on assiste la coexistence de deux moments distincts une d possession de soi qui s accomplit par confrontation aux puissances de la vie et une transformation de cette puissance perturbatrice en puissance d art n cessaire alliance entre les deux facettes compl mentaires des puissances de la repr sentation la dionysiaque et l apollinienne Pour Nietzsche c est uniquement dans un parfait quilibre entre ces deux puissances que peut advenir le grand style cette mise en forme n cessaire d une volont de puissance qui passe dans un sujet en perturbant ses fonctions organiques l mentaires C est pourquoi Nietzsche insiste dans la citation pr c
122. peut fonctionner politiquement que si elle fonctionne litt rairement aussi Benjamin 2003 123 l aide d une telle formule Benjamin op re un d passement de l ternelle opposition st rile de la forme et du contenu Benjamin 79 2003 125 comme il se propose lui m me de le faire par l entremise d une nouvelle pens e du concept de technique comme point d accroche dialectique Benjamin 2003 125 La question que cherche r soudre Benjamin est donc celle ci comment une production artistique peut elle continuer fonctionner en tant qu uvre d art tout en participant au mouvement d mancipation Il ne fait aucun doute que ces deux questions celle de la valeur artistique et celle de la justesse politique sont intimement li es pour Benjamin qui souligne la d pendance fonctionnelle dans laquelle se tiennent toujours et en toutes circonstances la juste tendance politique et la technique litt raire progressiste Benjamin 2003 125 126 Un an exactement apr s la conf rence parisienne de Benjamin Andr Breton se pose les m mes questions et ce pratiquement dans les m mes termes Y a t il oui ou non un art qui soit en mesure de justifier sa technique avanc e par le fait m me qu il est au service d un tat d esprit de gauche Breton 1992 419 Le c ur du probl me est bien l Benjamin pr cise par ailleurs les limites intrins ques de l art engag
123. plus que tout c est que l on puisse le soup onn d tre pass iste Debord 2006 PAN I 1684 Cette nouvelle attitude en apparence plus conservatrice face la tradition ne nie pas totalement les id aux r volutionnaires pass s mais elle appara t certainement suite aux am res d ceptions qui ont suivi les mouvements de mai 68 Je pense que la d sillusion communautaire permit Debord de d couvrir l envers n gatif et secret de la r volution qui laisse percer des puissances in dites lorsqu elle se retourne sur elle m me le regard tendu vers le pass comme porteur d un monde possible Il ne s agit plus comme avec l utopie de projeter vers l avenir des promesses de bonheur radieux Debord n a d ailleurs rien d un utopiste sa r volution est essentiellement m lancolique et d sesp r e on peut dire de lui qu il fut un formidable organisateur du pessimisme la fin seuls des fragments du pass chez lui pouvaient provoquer une illumination profane C est avec cette intention 1lluminatrice que Debord a sciemment choisi de pr server certains d bris textuels de la tradition afin de les rejouer dans une nouvelle combinaison adapt e sa lutte contre les tendances lourdes de son si cle L usage intempestif des ruines prend la forme de cette dialectique que Walter Benjamin a pu d finir en ces termes Une image est ce en quoi l Autrefois rencontre le Maintenant dans un cl
124. pr serve la th orie de l atemporel et de toutes pr tentions l universel Si on va au bout de cette logique Debord sous entend lui m me que son travail th orique n est pas celui qui pourra lui apporter une gloire posthume L criture th orique dans cette optique strat gique se pr sente sous la forme d une prise en charge du singulier elle doit agir dans la conjoncture et prendre parti pour un nouvel ordre du monde Elle se d veloppe essentiellement dans un rapport une pratique absente mais convoqu e Pour comprendre le r le que l crit joue dans ce nouveau dispositif il faut abandonner une conception qui fasse intervenir la seule th orie pour une conception qui fasse intervenir la pratique Althusser 1994 58 41 C est pour cette raison que Debord ne se consid rait pas lui m me comme un philosophe et sur cette question il avait probablement raison moins de consid rablement d placer la fonction traditionnelle de la philosophie C est ainsi qu apparaissent clairement les raisons derri re l int r t passionnel de Debord pour la strat gie militaire ou autre et les causes de son rejet tr s net du primat de la th orie La pens e strat gique se d finit justement comme une pens e de la conjoncture et comme capacit d agir au sein de circonstances toujours changeantes Il s agit d un art pratique et non point d une science Il faut donc positionner Debord dans la trad
125. psychique en jeu lorsque Debord se sert du cin ma par exemple C est au sein d un transfert que Debord n gocie son propre suicide Serge Berna cofondateur de l Internationale lettriste avec Debord tablit en 1953 une Fiche de police m taphysique sur son ami qu il d crit comme 185 un roseau pensant h sitant au bord du pas qu il ne franchit point D se l ve le matin et se dit aujourd hui je ne me suiciderai pas cit dans Donn 2008 33 Le suicide appara t dans la mythologie lettriste comme la forme la plus accomplie du refus total du monde tel qu il est et donc le geste ultime de la libert du sujet d gag d un rapport la loi ou au grand Autre pour employer une expression de Lacan le suicide s autorise de lui m me il n a pas besoin de nul support fantasmatique On sait maintenant que Debord souffrant d un puisement psychique et physique intense aurait probablement tent de se suicider durant l hiver 1953 En f vrier de la m me ann e Debord rejette pourtant cette solution finale dans une lettre qu il envoie son ami Herv Falcou Mais il me semble pas toutes les heures que nous ne sommes pas m rs pour le suicide et qu il y a des multitudes de choses faire si on d passe certaines barri res ET SANS RENONCER A RIEN du m pris ou du refus que nous avons sinc rement affirm propos de presque tout Debord 2006 96 97 Outre des raisons d
126. puisse s en servir son sujet consid rer l histoire de ma vie a t il crit dans In girum imus nocte et consumimur igni 1978 je ne pouvais pas faire ce que l on appelle une uvre cin matographique Au lieu d interroger l uvre en tant que telle je pense qu il faut se demander quelle relation il y a entre ce qu on pouvait faire et ce qui a t fait Une fois comme j tais tent et je le suis encore de le consid rer comme un philosophe Debord m a dit Je ne suis pas un philosophe je suis un strat ge Il a vu son temps comme une guerre incessante o sa vie enti re tait engag e dans 7 1 une strat gie Agamben 2004 87 88 Debord n a jamais envisag sa production dans le sens de la constitution d une uvre d art mais dans le sens d une lutte entre un moi souvent collectif et le dispositif conomico politique d une poque En ce sens l criture se soumet aux imp ratifs de la strat gie elle appara t uniquement dans un imaginaire guerrier L uvre m morialiste c est que ce qui reste apr s le combat et les mots ce sont les cadavres retrouv s sur le terrain de la guerre 10 Agamben passe sous silence le fait que Debord lorsqu il a d cid de publier chez Gallimard les sc narios de l ensemble de ses films a choisi pour titre uvres cin matographiques compl tes 1952 1978 25 L uvre si on inclut dans sa d finition des attributs tels que l un
127. qu il est loin d tre un communautariste t moigne du caract re fonci rement go ste j emploie ici ce mot sans connotation p jorative de cette r volution r v e Sinon inutile de rappeler que la grande f d ralisation de toutes les contestations particuli res sous la banni re situationniste de l abolition du travail ali n ne s est jamais produite Si Debord et ses camarades ont v ritablement voulu renouveler les pratiques r volutionnaires pour les conjuguer aux n cessit s de leur poque on doit n anmoins reconna tre qu ils furent aussi des parfaits produits de cette poque avec les limites On peut conclure en constatant cet chec que plusieurs des pr suppos s des mouvements de mai 68 taient probablement pourris d s le d part Je reviendrai sur la question du politique dans le chapitre IV o je soulignerai les diverses contradictions qui apparaissent dans la vision de la r volution de Debord 10 que cette derni re suppose Les hommes en effet sont rarement sup rieurs leur temps Debord l a bien compris et c est uniquement dans des monades du pass qu il trouva un peu de r confort la fin de son existence Lui m me j oserais m me dire n a que partiellement r ussi transcender son poque Il en est m me un produit exemplaire mais paradoxal Si Debord pr sente sous plusieurs aspects un caract re rempli d archa smes 1l n en demeure pas moi
128. qui devient mythe et c est ce moment l que la d cadence franchit un stade irr m diable du point de vue situationniste Pour poursuivre une critique politique le r ve surr aliste appara t finalement comme l image renvers e de l ivresse que procure le fant me de la libert totale dans un monde qui partout la supprime Adorno malgr ses inclinaisons priori favorables tout mouvement esth tique moderniste formule ainsi les limites du surr alisme Les images dialectiques du surr alisme sont celles d une dialectique de la libert du sujet dans un tat de non libert de l objet Adorno 1999 68 En d autres termes les surr alistes des sortes de bourgeois anarchistes se contentent trop ais ment de leur propre libert individuelle possible uniquement dans la sph re artistique et abandonnent l objectif de transformation du monde de lib ration de l objet Ce fut aussi l interpr tation sartrienne du surr alisme S1 Breton croit pouvoir poursuivre ses exp riences int rieures en marge de l activit r volutionnaire et parall lement elle il est condamn d avance car cela reviendrait dire qu une lib ration de l esprit est concevable dans les cha nes au moins pour certaines gens et par cons quent rendre la r volution moins urgente Sartre 1985 227 Bref les surr alistes auraient abandonn trop rapidement l objectif de transformation du monde au profit
129. rapports de production dans la sph re artistique doit se faire parall lement avec une transformation des rapports de classe il y a dans les deux processus un m me mouvement d mancipation se situant ai niveau des places et des fonctions assign es autoritairement par un pouvoir biopolitique nominaliste toujours proche de la th orie du droit naturel La question de la fixation identitaire joue un r le primordial dans ce processus L art ainsi que la lutte politique permettent aussi bien une n cessaire d liaison des processus d identification qu une rupture perceptive et cognitive avec tout ordre pr sent comme naturel Plusieurs l ments et tendances du mouvement surr aliste affichent cette volont de rendre l art au commun d en faire une bo te outils de la multitude pour contrer ce d senchantement du quotidien et le pourrissement fasciste de la soci t Si comme le soulignait Jacques Ranci re l art moderne s mancipe de tous crit res limitatifs encadrant sa sph re d action il tend d s lors se confondre avec la vie elle m me Sur ce point on peut dire que la r volution esth tique a produit une id e nouvelle de la r volution politique comme accomplissement sensible d une humanit commune existant seulement encore comme id e C est ce paradigme d autonomie esth tique qui est devenu le paradigme nouveau de la r volution et a permis ult rieurement la br ve
130. revendique sa part de g nie qui r side dans l tablissement de nouvelles lois d agencement des mat riaux Le montage fut l activit cr atrice principale de Debord Mais ce n est pas lui qui a tourn les images qui lui pr existent toutes Cette nouvelle disposition du 173 narratif instaure un quilibre pr caire entre le discours d autrui et celui qui se les approprie le discours autobiographique dans un va et vient labyrinthique qui joint sans cesse ces deux dimensions Le r cit de vie promis au d but de Pan gyrique se transforme finalement en r flexions libres sur une s rie de th mes que Debord num re ailleurs langage passions de l amour passage du temps vieillissement d cadence etc Debord 2006 1687 Ainsi le Pan gyrique se rapproche beaucoup plus de la forme de l essai consid r e en tant que forme libre d exp rimentation de la pens e qu un r cit de vie classique Mais l essai en tant que genre tait d j li au moment de son apparition chez Montaigne la question de l criture du moi Je veux qu on m y voie en ma fa on simple naturelle et ordinaire sans tude et artifice car c est moi que je peins Ainsi Lecteur je suis moi m me la mati re de mon livre gt crivait l ancien maire de Bordeaux Montaigne 2001 53 Ce que Montaigne pr sentait comme ses essais taient li une exploration intimiste de son tre dans la p
131. s est converti en ennemi de cette m me soci t Il a toutefois conserv les armes de cette derni re et on voit difficilement comment il aurait pu en tre autrement Debord est de son temps il ne peut tre mieux que son temps mais au mieux tre son temps Hegel Jorn 2001 297 La position de Debord dans ce contexte appara t comme infiniment paradoxale Tout d abord Debord se pr sente comme un individu sans surmoi acceptant pleinement sa nature et ses inclinaisons ne se souciant gu re des interdits sociaux ou de l opinion d autrui Assumant pleinement son droit la jouissance Debord s affiche comme quelqu un voluant enti rement en dehors du regard de l Autre son uvre et sa vie se d roulant l ext rieur du spectacle Ce non rapport avec l Autre ce violent rejet du public t moigne pourtant d une conscience aig e de ce rapport m diatis qui caract rise selon Debord l ali nation contemporaine Alors que son uvre pr tend se d rober au regard elle ne cesse de convoquer un Jugement en crivant son propre Pan gyrique Debord exige videmment soumettre son existence pass e au regard inquisiteur de la post rit cet individu m rite t 1l autant d loges Un individu qui a v cu de la sorte repr sente t il un cas exemplaire L hostilit manifest e envers le public apparait davantage comme une posture virile ayant comme fonction de mimer avec surench re l indiff re
132. s de l article Mythe et m dia Le mythe est toujours un montage qui par un effet de transparence r unit en une seule image ou seule situation plusieurs espaces ou plusieurs dur es Cette compression cette superposition de couches sont ins parables du mouvement lectronique c est dire simultan de l information McLuhan 1977 92 332 qu offre l univers virtuel sont pratiquement infinies mais toujours largement explorer J ai soulign comment l conomie du d tournement tait interne au spectacle pour le sujet hyperm diatique le d tournement repr sente peut tre une des seules fa ons de se positionner en tant que producteur dans une sph re informationnelle d j sursatur e Le d tournement appara t ainsi comme reconqu te de la parole et de l expression L id e de cr ation devrait de plus en plus se d gager de la question de l originalit pour se positionner dans la question de la r utilisation de la r activation en finissant avec toute une m taphysique traditionnellement attach e au travail de l artiste en tant que cr ateur de nouveau Les r centes possibilit s qu offre l univers virtuel dans l id e de production de soi restent explorer mais on peut parier que de nombreuses surprises vont merger de ce c t Du point de vue de l expression de la subjectivit il faut donc cesser de consid rer la sph re du spectacle uniquement comme un domaine d
133. se 141 consacrera une explicitation la production de soi op r e par Debord dans l criture autobiographique et aux sources implicites cette production 142 3 Chapitre III Les sources classiques d une r volution du sujet Car en toute action l intention premi re de l agent qu il agisse par n cessit de nature ou volontairement est de r v ler sa propre image d o vient que tout agent en tant qu il agit prend plaisir agir puisque tout ce qui est d sire son tre et puisque dans l action l tre de l agent est en quelque sorte intensifi le plaisir suit n cessairement Donc rien n agit sans rendre patent son tre latent DANTE De la monarchie Selon le philosophe Peter Sloterdijk les Temps modernes peuvent se d finir comme une p riode de mobilisation infinie c est dire comme une p riode anim e par un mouvement interpellant tous les acteurs et les potentiels techniques en les pr parant pour l action La mobilisation infinie se d finit donc comme un mouvement d extension sans fin du territoire de l action et de la force humaines L accumulation vertigineuse de savoirs ne cesse d ouvrir de nouvelles possibilit s d intervention dans le milieu d multipliant les d ploiements techniques militaires m diatiques etc dans l ordre de l uvre et de l artifice humain Au niveau de la subjectivit cette m me modernit peut se d finir par une ouver
134. self made man C est le sujet se produisant comme sujet sup rieur en s appropriant le droit d exploiter le travail d autrui et de prendre de son temps Le temps des autres constitue en effet le fondement de sa fortune et Debord comprend justement l ali nation capitaliste contemporaine comme une appropriation du temps v cu par les imp ratifs de la production Debord prouve sans doute une v ritable fascination pour ces nouveaux princes que sont les capitalistes modernes comme on le voit par exemple dans le pamphlet qu il labore avec Gianfranco Sanguinetti en 1972 le V ridique rapport sur les derni res chances de sauver le capitalisme en Italie Dans ce pamphlet Debord fait parler son ennemi imaginaire un industriel aristocrate italien du nom de Censor Tout comme lui Censor est un homme cultiv et rudit grand connaisseur de l histoire et de la litt rature universelle citant Dante Machiavel Platon etc Malgr son parti pris pour le statu quo pour le maintien du capitalisme en Italie ce qui frappe le lecteur c est l incroyable ressemblance entre Censor et Debord Apostolid s avait remarqu cette trange structure en miroir Entre le r volutionnaire qui veut la destruction du capitalisme et le r actionnaire qui souhaite le sauver il n y a gu re 18 M me si ce texte est attribu au seul nom de Sanguinetti Jean Marie Apostolid s soutient que plusieurs indices permettent de croire que ce
135. sentiment d appartenance ce groupe la distance demeure entre les lettristes et les 138 l poque situationniste Debord va utiliser les nombreux pro situs pour aller troubler les cours universitaires de ses ennemis Henri Lefebvre Edgar Morin Abraham Moles Dans son combat contre le monde Debord pr f re g n ralement utiliser la rh torique mais il n h site pas parfois de jouer ses pions et d utiliser la force physique 290 classes dangereuses jug es trop nihilistes Si bien qu ils allaient ventuellement se s parer de fa on naturelle apr s quelques br ves ann es de fr quentation principalement entre 1952 et 1955 139 Plus tard durant l poque situationniste c est surtout Raoul Vaneigem qui insistera sur la n cessaire alliance de l avant garde r volutionnaire avec la p gre et les blousons noirs Debord ne reviendra sur ces figures pour les mythifier que plus tard dans son uvre m morialiste tardive 44 Le crime comme all gorie Allongeant son ombre immense Sur le monde et sur Paris Quel est ce spectre aux yeux gris Qui surgit dans le silence Fant mas serait ce toi Qui te dresse sur les toits DESNOS M me si Debord prend la peine de se distancier des milieux nihilistes du y a 2 140 F Quartier latin d s les ann es 50 la question du crime restera centrale dans son 13 Mais Debord insiste toute son exp rience future part de l la fr quentation de ses mili
136. souverainet constitu e Cependant Debord occupe via l image mythique v hicul e dans ses M moires une position similaire celle des hommes de pouvoir qu il critique Alors qu il pr tend ex crer tout culte de la personnalit et toute forme de grandeur personnelle m diatis e au profit des masses duquer Debord utilise les m mes tactiques rh toriques qui permettent d tablir une aura de gloire autour de plusieurs personnalit s publiques et crit l histoire de sa vie sous la forme d une l gende ind passable immuable dans sa perfection et son excellence Par l Debord entre dans le circuit id ologique et devient ic ne mythe et prend naturellement sa place aux c t s des De Gaulle Mao et Staline de ce monde C est en ce sens qu il convient d analyser la posture de Debord comme interne au spectacle qu il pr tend vouloir d truire La n gation op r e par Debord consiste en une appropriation de la force mythologique et symbolique repr sent e par tous les grands leaders du monde Tout le paradoxe de son projet autobiographique se situe dans cette tension dialectique entre le monde spectaculaire et le monde de la vraie vie qui r cup re son profit les techniques narratives propres au spectacle Dans la guerre imaginaire qu il met en place Debord d sire incarner cette personnalit souveraine qui dispose du monde sa guise Ce n est pas un hasard si Debord se pr sente toujours c
137. sur sa vie pour qui la connait un peu En ce sens il a tout fait raison lorsqu il crit propos de ce livre que La grande difficult consiste en ceci ce livre contient certes bon nombre d informations mais il n est pas essentiellement affaire d information Pour l essentiel son information r side dans la mani re m me dont elle est dite Debord 2006 1686 Plus le r cit de vie avance plus le sujet principal se perd travers un amas impressionnant de citations Peu peu ce sont ces citations ces d tournements et ces mots d esprit qui remplacent le discours direct de l auteur et qui constituent l essentiel du propos comme si Debord tait incapable de porter lui seul sa propre voix Debord sait bien que sa r elle originalit provient de ce croisement entre son histoire personnelle et les citations judicieusement choisies pour venir l illustrer La lourdeur ancienne du proc d des citations exactes sera compens e je l esp re par la qualit de leur choix Elles viendront propos dans ce discours aucun ordinateur n aurait pu m en fournir cette pertinente vari t Debord 2006 PAN I 1660 Aucun ordinateur ne peut tre programm afin de proc der un tel agencement harmonieux de citations La cr ation n est pas l arrangement des objets et des formes c est l invention de nouvelles lois sur cet arrangement Debord 2006 RCS 322 En non ant cette r gle Debord
138. surr alistes Ce qui frappe en lisant L apprenti sorcier de Bataille c est les similitudes qu on retrouve entre sa vision du mythe et celle d fendue par les avant gardes Sa vision du monde moderne notamment est en tout point jumelle celle des situationnistes Dans une pens e tr s influenc e par Hegel Bataille affirme que l homme moderne a perdu le sens de sa destin e en tant que totalit Au sein d une vie mutil e travers le processus de sp cialisation et de diff renciation le sens ne s offre plus que parcellaire sans jamais se donner comme unit transcendantale Une totalit de l existence a peu de chose voir avec une collection de capacit s et de connaissances Elle ne se laisse pas plus d couper en parties qu un corps vivant La vie est l unit virile des l ments qui la composent Il y a en elle la simplicit d un coup de hache Bataille 1970 529 130 Bataille voque les trois types d homme lanc s la recherche du sens dans la modernit l homme de science l homme de la fiction l artiste et l homme de l action le politique Selon lui ces trois types sociaux consid r s comme les lites du monde actuel sont galement impuissants dans la t che qui consiste cr er un sens englobant la totalit de l exp rience humaine L existence ainsi bris e en trois morceaux a cess d tre l existence elle n est plus qu art science o
139. teste r ellement la modernit dans laquelle il volue Debord d cide de la confronter directement plut t que de la subir car il n y a nul autre endroit o l individu vertueux peut faire l essai de ses forces Il nous fallait d couvrir o allait le cours des choses et le d mentir si compl tement qu il f t un jour l inverse contraint de se plier nos go ts Debord 2006 IGI 1376 En d finitive la c l bration classique de l h ro sme aristocratique qui prend sa source aussi bien dans l antiquit que dans l id alisme f odal s oppose directement l thique du christianisme car elle revalorise la gloire personnelle au d triment de la gloire divine Cette nouvelle loi du comportement noble participe d un mouvement de la cisation majeur se produisant partir de la Renaissance La perspective des sanctions de l au del s amenuise c est une morale de l action h ro que qui fonde le d sir d immortalit Dans cette tradition issue de la Gr ce 188 antique les gestes glorieux de l individualit garantissent une immortalit dans le souvenir des hommes Cette reconfiguration profane de l h ro sme durant l poque moderne se trouve enti rement mat rialis e dans le c l bre trait de Baltasar Graci n El H roe publi en 1637 Debord on le sait tait un grand lecteur de Graci n qui malgr son appartenance l ordre j suite participa toute une en
140. tome 1 ne manquent pas de lyrisme Ce milieu des entrepreneurs de d molitions s tait alors m l de pr s aux classes dangereuses En vivant avec elles on m ne largement leur vie Il en reste videmment des traces durables Jai donc surtout connu les rebelles et les pauvres J ai vu autour de moi en grande quantit des individus qui mourraient jeunes et pas toujours par le suicide d ailleurs fr quent Debord 2006 PAN I 1663 120 Les journaux potins et la presse bourgeoise de la Belle poque ne cessent de relever les faits et gestes de ces apaches qui constituent bel et bien un nouvel arch type de la mythologie parisienne moderne Un journaliste du Matin crivait en 1910 On ne parle que d apaches cit dans Kalifa 2005 44 Dominique Kalifa souligne par ailleurs comment l expression parisienne apache cr e par deux journalistes en 1902 s inspire directement des repr sentations europ ennes de la c l bre tribu am rindienne 273 Et encore quelques pages plus loin dans le m me ouvrage Dans le quartier de perdition o vint ma jeunesse comme pour achever de s instruire on e t dit que s taient donn rendez vous les signes pr curseurs d un proche effondrement de tout l difice de la civilisation On y trouvait en permanence des gens qui ne pouvaient tre d finis que n gativement pour la bonne raison qu ils n avaient aucun m tier ne s oc
141. tout simplement naturels Le but de cet effet est de fournir aux spectateurs en se pla ant du point de vue social une critique f conde Brecht 1970 69 Dans le th tre de Brecht la d familiarisation ne peut donc se produire qu partir du processus d identification briser au c ur m me de la repr sentation Pour ce faire Brecht d veloppe une s rie de techniques permettant de faire advenir ce sentiment d tranget notamment dans le jeu de l acteur qui doit sans cesse souligner le caract re artificiel de son r le Pour r aliser l effet de distanciation le com dien doit renoncer se m tamorphoser compl tement en son personnage th tral Il montre le personnage il cite un texte il r p te un processus r el Le spectateur n est pas totalement sous le charme il n est pas psychologiquement mis au pas on ne le force pas prendre une 112 De m me que l identification rend habituel ce qui est particulier de m me la distanciation rend particulier ce qui est habituel Brecht 1970 130 257 attitude fataliste en face du destin repr sent Les processus sont historicis s et soumis au conditionnement du milieu social Brecht 1970 180 Dans le th tre pique de Brecht la repr sentation ne cesse jamais de se nommer elle m me en soulignant le fait qu elle n est qu une repr sentation Ainsi chez Brecht la dimension id aliste de la repr sentation est
142. un certain nombre d id es impliqu es dans cet extrait voquant Montaigne et les soldats Lorsque Debord affirme qu un pass marque les soldats mais aucun avenir il parle via un glissement de sens de lui m me ayant abandonn ces obligations organisationnelles ainsi que ses ambitions r volutionnaires Debord ne d sire plus intervenir directement dans l Histoire Aucun avenir ne l attend plus dans l univers des hommes La comparaison avec Montaigne d s lors va de soi au moment d entreprendre ses Essais Montaigne d cide d abandonner ses responsabilit s publiques pour s isoler dans son ch teau entour d ouvrages de l Antiquit Consid rant qu il vit une poque monstrueuse et barbare Montaigne ne se consacre plus qu l criture d une r flexion qui se veut en opposition avec l obscurantisme de son poque Le retour la culture antique abondamment cit e est la base de l humanisme naissant dans lequel Montaigne inscrit sa d marche On comprend vite que la mention de ce nom est loin d tre circonstancielle quand on analyse la situation ma DC NT X de Debord au moment de l criture de ses M moires ayant fui Paris pour s isoler Stendhal Lautr amont Dante Machiavel Marx Novalis Clausewitz Thucydide Eccl siaste Omar Khayy m Li Po Debord 2006 1290 1291 71 Boris Donn a lui aussi fait le lien avec Montaigne lors d une table ronde qui eut li
143. un des premiers genres litt raires m di vaux dont l intention glorificatrice et m morielle n est pas sans rappeler une certaine posture pique propre Debord il s agit dans la chanson de geste de relater les v nements glorieux et les actes h ro ques de certaines figures du pass auxquelles la nation doit rendre hommage De plus le genre tait reli l oralit tout comme le grand style qui se doit de rendre pr sent une certaine forme de corporalit Debord s est lui m me r f r cette tradition en 1953 Debord compose une m tagraphie nomm e Histoire des gestes directement sur des bouteilles de rhum vides Voici comment on d crit l uvre dans Potlatch crit avec des photos et des fragments de journaux coll s sur des bouteilles de rhum le roman tridimensionnel de G E Debord Histoire des gestes laisse au gr du lecteur la suite des id es le fil perdu d un labyrinthe d anecdotes simultan es Debord 2006 104 Debord crit la m me ann e dans son Manifeste pour une construction de situations Les gestes que nous avons eu l occasion de faire taient bien insuffisants il faut en convenir Debord 2006 105 54 exemple dans La Soci t du spectacle Debord crit Sous les modes apparentes qui s annulent et se recomposent la surface futile du temps pseudo cyclique contempl le grand style de l poque est toujours dans ce qui est orient par la n cess
144. une juste satisfaction Je les ai fait dispara tre Debord 2006 1282 Plusieurs indices au d but de Pan gyrique laissent croire que Debord inscrit son projet autobiographique dans la lign e des Confessions de Jean Jacques Rousseau c est dire dans une tradition d une criture du moi qui fait le pari de 165 l authenticit et de la transparence Debord d bute son Pan gyrique en r it rant cette promesse la base du pacte de lecture inh rent au genre autobiographique Que quelqu un entreprenne de dire ce qu a t effectivement et pr cis ment la vie qu il a connue cela a toujours t rare cause des nombreuses difficult s du sujet Il m est en tout cas facile d tre sinc re Je ne trouve rien qui puisse en aucune mati re m inciter la moindre g ne Debord 2006 PAN I 1658 Dans l introduction de ses Confessions 1782 1789 texte fondateur de la tradition moderne de l autobiographie Rousseau crivait pour sa part Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra je viendrai ce livre la main me pr senter devant le souverain juge Je dirai hautement voil ce que j ai fait ce que j ai pens ce que je fus J ai dit le bien et le mal avec la m me franchise Je n ai rien tu de mauvais rien ajout de bon Rousseau 1959 5 Malgr des pr tentions similaires chez les deux auteurs et malgr une m me volont de se faire absoudre
145. volutionnaire ne peut que se positionner travers une prise sur l Histoire dans une conscience du pass Dans ce cadre la r volution loin d effacer le pass exp rimente une nouvelle mani re d appr hender le temps historique La soci t du spectacle se d finit elle m me comme cette poque du pr sent perp tuel Ce pr sent perp tuel n efface pas l Histoire en tant que telle mais il emp che son actualisation dans le pr sent dans le sens de cette croyance de Walter 347 Benjamin en un concept d un pr sent qui n est point passage mais arr t et blocage du temps Benjamin 2000c 440 Ce quoi on assiste durant l re postmoderne c est donc une d r alisation du pr sent lui m me qui chappe toute prise dialectique C est le pr sent qui devient obscur insaisissable chaotique Le lien entre le pass et le pr sent tant d finitivement rompu par le spectacle l poque actuelle appara t alors comme l poque des ruines par excellence p riode historique o tous les d bris du pass s accumulent indiff remment ayant perdu leur pouvoir d autorit Le r volutionnaire d inspiration romantique devient un bricoleur voluant au sein de ces ruines qu il s efforcera de r agencer En opposition au fantasme de destruction du pass qu il a ch ri durant sa Jeunesse Debord comprend tardivement que la t che r volutionnaire se r sume plut t en la construction d un no
146. 0044 15 59 Il y a dans toute passion un aspect d vorant monstrueux destructeur qui s oppose la vie qui la porte Nulle part ailleurs cet aspect d lirant de la pulsion se retrouve si clairement exprim chez Debord que lorsqu il aborde sa passion alcoolique Debord est pleinement conscient de l aspect presque suicidaire de son ivrognerie mais il l expose sans g ne presque avec amusement c est un fait J ai t continuellement ivre tout au long de p riodes de plusieurs mois et encore le reste du temps avais je beaucoup bu Debord 2006 PAN I 1669 La derni re d claration de Debord relative son suicide tente d expliquer la maladie une polyn vrite alcoolique qui l affligeait et qui a d t rior sa condition jusqu la rendre insupportable C est le contraire de la maladie que l on peut contracter par une regrettable imprudence Il y faut au contraire la fid le obstination de toute une vie Debord 2006 1878 On d couvre d ailleurs dans la fid lit surhumaine de Debord son vice alcoolique une similitude avec l autodiscipline qu exige le grand style Le style et la passion ont d ailleurs en commun leur caract re imp rieux et contraignant ils exigent tous deux ob issance et discipline Perniola 2001 210 En ce sens Debord revendique sa part humaine trop humaine c est dire imparfaite changeante contingente Mais si la passion chez lui est d vora
147. 1 1663 Mais Debord n a pas besoin d aller jusqu au Moyen ge pour trouver des anc tres de sa pratique criminelle de l art et de la vie Car les lettristes poursuivent leur mani re une certaine tradition parisienne qui s est nou e au XIX celle de la boh me qui institue la figure de l artiste comme ambigu personnage de la rue en rupture de ban en opposition avec l ordre tabli D une certaine mani re l identification aux classes dangereuses permet aux lettristes de se singulariser par rapport aux autres boh mes parisiennes avec lesquelles ils sont en comp tition Plus tard cette identification et cette incorporation permettront Debord de red finir sa vision de la r volution en opposition avec l orthodoxie marxiste En dernier ressort les rapports complexes qui se nouent entre Debord et les bandits sont partie prenante du romantisme lyrique qui domine la l gende lettriste telle que v hicul e dans les crits biographiques de Debord La boh me v ritable invention du XIX si cle prolonge son existence durant le XX si cle au sein des divers groupes de l avant garde artistique Avec ces groupes le caract re collectif de la cr ation transcende les pr tentions individuelles Les avant gardes composent en quelque sorte des microsoci t s exp rimentant les formes encore floues d une communaut venir Le collectif devient lui m me l objet d une exp rimentation sur les mod
148. 141 L chec des r volutions pass es devient un objet de r flexion privil gi des lettristes comme le rappelle Debord dans In girum qui voque l existence des lettristes durant les ann es 50 Ils s interrogeaient aussi sur l chec de quelques r volutions Debord 2006 IGI 1775 D ailleurs 124 m me le Graal la seule force n gative op rante de son temps En devenant une sorte de mythe concentr Debord a trahi la critique du mythologique qui l avait pourtant amen adopter une posture r volutionnaire dans l art Pour saisir les limites d un tel positionnement mythologique je rappellerai une d finition convenue du mythe propos e par Sloterdijk Le mythe est une m thode consistant d crire le monde de telle sorte que rien de neuf ne puisse se produire Sloterdijk 2001 21 Le mythe appara t dans sa structure traditionnelle comme une force bloquant l historicit de l tre et interrompant l irruption du nouveau en tant qu v nement d cisif engageant l avenir d une soci t trangement quand la r volution elle m me se transforme en mythe elle se transforme en paradoxale institutionnalisation du nouveau et de la rupture C est pourquoi la question du mythe moderne est celle de se son ouverture sur les puissances d une cr ation infinie Plusieurs indices m nent n anmoins l hypoth se d un rejet du mythe de la part des situationnistes Surtout que quand Debord
149. 2002 652 Les th ories de l Appropriation Art tout comme la th orie situationniste du d tournement postulent par ailleurs syst matiquement un auteur en posture de contr le Recently Isabelle Graw has pointed out that Appropriation Art theory treated the appropriating artist as a fully conscious detached and critical subject thus denying that the appropriated material may have a hold on the artist acknowledged or otherwise influencing the outcome of the appropriation L tticken 2005 124 Cette vision id alis e de l artiste suppose que ce dernier adopte toujours une posture critique et d tach e par rapport au mat riel d tourn Dans cette optique le sens des d tournements serait toujours de l ordre de l ironie de l ordre d une mise distance critique face la signification d origine Or la pratique du d tournement chez Debord montre comment bien souvent le syst me fonctionne selon une conomie contraire C est dans son rapport au cin ma que se d couvre le mieux l essence du d tournement tel que pratiqu par Debord Ce dernier notait d ailleurs en 1956 que C est videmment dans le cadre cin matographique que le d tournement peut atteindre sa plus grande efficacit et sans doute pour ceux que la chose pr occupe I Jaspierre souligne d autre part que Debord et ses camarades n ont gu re abandonn compl tement la notion de droit d auteur Sont cet gar
150. 246 4 2 Le ettrisme etldjeunessecrminelle ssasssstsss ne de ed tnt dr 268 4 3 Conspirateurs et classes dangereuses au XIX si cle 274 4 4 Le crime comme AN SOE Ses enr nt es 290 4 5 Sous le masque de Lacenaire le v ritable visage de Debord n nnnn0s0 0 301 5 Conclusion L uvre de Debord au carrefour de l imaginaire contemporain 321 5 1 La construction du moi dans la soci t spectaculaire soseseeeeseeeeeeeee 325 5 2 N obaroque et Ana HTOMSME SR ennemie tt et 336 Bibliogr phi s ie Re nn denses een 351 ix Liste des abr viations Puisque presque toutes les citations de Guy Debord proviennent de l dition des uvres parue en 2006 dans la collection Quarto de Gallimard nous avons tabli une liste de sigles qui permettront au lecteur d identifier l uvre pr cise dans laquelle une citation est prise Ces abr viations s appliquent seulement aux uvres majeures livres ou sc narios Sont exclus du syst me de nombreux textes souvent importants manifestes articles lettres notes pr faces etc Ces diverses sources seront identifi es au besoin dans le corps m me du texte tandis que les abr viations suivantes seront int gr es dans les r f rences mises entre parenth ses uvres de Guy Debord Hurlements en faveur de Sade 1952 HFS Rapport sur la construction des situations 1957 RCS M moires 1958 MEM Sur le passage de quelques personnes tr
151. 6 CdS 553 Et l trange imp ratif qui cl t In girum REPRENDRE DEPUIS LE D BUT Debord 2006 IGI 1789 C est dans une sorte de perfection absolue que Debord a voulu repr senter sa vie qui se doit d tre rejou e sans fin jusqu la fin des temps comme le sugg re ce d tournement de Shakespeare Que de fois dans les ges ce drame sublime que nous cr ons sera jou en des langues inconnues devant des peuples qui ne sont pas encore Debord 2006 IGI 1776 D o ultime vision du potlatch ce sentiment de damnation cette impression de se consommer dans l instant m me de cette perfection dans la pure perte d nergie qu implique le fait m me d exister Le titre palindrome en latin d In girum comme un labyrinthe dont on ne peut sortir Debord le traduit 159 d ailleurs ainsi Nous tournons en rond dans la nuit et sommes d vor s par le feu Debord 2006 IGI 1776 Selon Pascal Bonitzer ce palindrome met en abime le th me central du film celui de la perfection absolue chaque lettre de la phrase est la place n cessaire absolue telle que l nonc ne souffre aucune mutilation Une lettre en moins une coquille le palindrome dispara t C est le type m me du corps qui ne supporte aucune perte Bonitzer cit dans Debord 2006 1439 Ce corps unitaire ferm sur lui m me dans une conomie autor f rentielle et circulaire c est bien s r
152. 641 La passion du jeu subsume la passion de la guerre dans cette derni re la pr sence de la violence et de la mort devient une valeur ajout e parce qu elle rapproche le domaine strat gique de son horizon nihiliste fondamental Son grand int r t pour les jeux de soci t pour le poker en particulier t moigne de cette passion g n rale pour tout ce qui tient de la strat gie Or le domaine cognitivo strat gique est justement devenu central dans le savoir occidental partir de l poque moderne mergeant sous de nouvelles formes durant l re baroque Mais la connaissance strat gique va de pair avec un d senchantement d vastateur pour le monde de la sentimentalit dans la plupart des domaines amoureux militaire politique elle consiste tablir des moyens pour parvenir des fins en dehors de toutes consid rations sup rieures morales id ologiques etc C est pourquoi la cruaut inh rente la pens e strat gique 101 Jean Claude Bilheran a d ailleurs bien soulign le caract re presque artificiel de la passion guerri re de Debord je ressens Debord moins comme un homme du conflit que du passage et de la rupture Dans le jeu de la guerre c est plus le jeu qui lui pla t que la guerre elle m me Chez lui le go t de la guerre me semble second ne lui est pas naturel pour ainsi dire para t surajout comme un id al atteindre dans une attitude volontariste Bilheran 200
153. 7 147 232 s accompagne syst matiquement d une vision m lancolique du monde vision que partage videmment Debord Ce lien fondamental entre la cruaut et la m lancolie unit plus que tout Debord au moment baroque Walter Benjamin a tr s bien explicit la nature des liens unissant la cruaut strat gique du pouvoir et la m lancolie durant l poque baroque L esprit telle est la th se de l poque se manifeste dans le pouvoir l esprit c est la facult d exercer la dictature Cette facult exige une discipline int rieure rigoureuse tout autant qu une action ext rieure d pourvue de scrupules En l exer ant on perdait toute illusion sur le cours du monde une vision dont la froideur n gale en intensit que la soif ardente de la volont de pouvoir La perfection si calcul e du comportement mondain suscite la tristesse Trauer chez la cr ature d pouill e de tout mouvement spontan Et c est ce climat qui autorise ce paradoxe exiger de l homme de cour qu il soit un saint ou m me le d signer comme tel ainsi que le fait Graci n Cette int gration par excellence inauthentique de la saintet dans ce climat de tristesse rend alors possible cette compromission sans limite avec le monde qui caract rise le courtisan id al de l auteur espagnol Benjamin 2000d 101 Si Benjamin se r f re surtout ici la strat gie de l homme de cour th oris e par Balthasar Graci n son raisonneme
154. Benjamin souhaite voir adopter par les forces r volutionnaires se vit sous le mode de l coulement et de la d pense illimit e dans le sens des id es de Georges Bataille comme un veil au passage d un temps surhumain un temps monstrueux et cr ateur ressenti comme rupture comme renouvellement constant C est un semblable r veil que se sont parfois adonn s les surr alistes Mais Walter Benjamin a sans doute raison lorsque dans un extrait de son Livre des passages o il commente le Trait du style d Aragon il commente le mouvement surr aliste comme ayant toujours t divis en deux tendances oppos es une favorisant une compr hension mat rialiste du r ve via le r veil ou l ivresse une autre 108 favorisant une conception id aliste et impressionniste du r ve comme fantasmagorie mythologisante tandis qu Aragon pers v re dans le royaume des r ves il s agit ici de trouver la constellation du r veil Tandis que persiste chez Aragon un l ment impressionniste la mythologie il s agit ici d une dissolution de la mythologie dans l espace de l histoire Bien entendu cela ne peut avoir lieu que par l veil d une connaissance non encore consciente du pass cit et traduit dans L wy 2000 54 On comprend ainsi que Benjamin postule un lien intrins que entre la mythologie et le r ve deux donn es propres l espace de l imaginai
155. Calder n ou de Shakespeare souvent cit es par Debord C est cette ivresse du pouvoir qui motive l identification de Debord envers la figure du roi Plus encore on peut affirmer que Debord s est invent une royaut imaginaire et que la figure du roi est peut tre celle qui lui permit le mieux de figurer sa position r elle dans l univers social L astuce et la strat gie de Debord au sein des groupes qu il dirige a toujours t de d clarer totalement antihi rarchiques ces m mes groupes alors que par une s rie de gestes et de privil ges le contr le ditorial les exclusions etc il tait de facto celui qui dirigeait le collectif tout en le niant L identification au roi ne va pas de soi de la part de quelqu un luttant en faveur d une politique prol tarienne mais Debord n est certainement pas un nostalgique de la monarchie Cette identification fonctionne pour lui comme voie r volutionnaire comme moyen de l mancipation individuelle cette derni re subsumant 217 l mancipation collective Une citation cl permettant de comprendre ce rapport la royaut se trouve dans la Note du traducteur crite pour accompagner la traduction que Debord fit des Coplas de Jorge Manrique por la muerte de su padre en 1980 Il affirme propos de ce po me que Le plus beau est sans doute cette le on si indirectement nonc e qu il faut combattre pour son roi v ritable qui est celui que l on a fait s
156. Cette vaste d sacralisation du monde accompagne une R forme qui transforme le domaine religieux La R forme vitait de d pr cier la vie la que le contr le chr tien s tendait partout mais il rehaussait toute chose C tait pratiquement la r habilitation de la vie terrestre B nichou 1948 143 Dans le moment baroque la vie est certes exalt e mais seulement travers une conscience de la mortalit qui l encadre et l emporte Si l poque du baroque l homme religieux est tellement attach au monde c est qu il se sent emport par un m me flux vers une cataracte Il n y a pas d eschatologie baroque mais c est pr cis ment pour cette raison qu il y a un m canisme du monde o toutes les existences terrestres sont rassembl es et exalt es avant d tre livr es leur fin Benjamin 20004 66 La r habilitation de la vie terrestre s accompagne du repliement de cette derni re dans une temporalit proprement humaine marqu e par la finitude dans laquelle le sens ultime des actes humains n est plus automatiquement attribu partir de l ternit Cette nouvelle appr hension du temps irr versible ouvre la porte au domaine historique lui m me c est dire une pratique du politique qui s mancipe du th ologique C est pourquoi Debord fait de Machiavel l auteur exemplaire de cette d sacralisation de la souverainet terrestre en disant
157. Danesi 2008 285 La mythologie pr sente dans la soci t spectaculaire se subsume dans la fiction m me qui lui donne la vie elle ne rencontre jamais le domaine de l exp rience ne se confronte jamais au r el D un point de vue collectif le mythe survit sous la forme d une potentia inexploit e comme un r servoir dans lequel chacun peut projeter ses fantasmes mais dans lequel aucune communaut tablie ne peut puiser son inspiration en vue de l action Pour les avant gardes telles que le surr alisme et l LS il s agit de s approprier les mythes partir du domaine de la praxis pour le transformer en activit sociale et culturelle centrale Le mythe moderne ne se transmet plus sous la forme d un r cit universel ferm mais devient l activit de tous un moyen de transformer son existence et son savoir pour le faire circuler socialement Le mythe doit devenir la pratique par excellence de l homo ludens contemporain En bref le mythe se transforme dans le cadre du modernisme artistique en activit de m diation entre un groupe ferm et une collectivit largie C est une projection qui vise une r action cr atrice de la part du r cepteur et non pas une simple assimilation passive C est seulement sous ces conditions que le mythe peut participer cet largissement de l exp rience et de l imaginaire qui repr sente la t che auto d sign e de la plupart des groupes d avant garde Le chapitre suivant
158. Genevi ve Pour Debord la tradition chr tienne doit s effacer compl tement de la rue comme des esprits surtout quand elle s y inscrit en toute innocence dans les habitudes acquises du langage commun support invisible de l id ologie Dans une de ses lettres de jeunesse Debord proclame par ailleurs son admiration pour le r volutionnaire ath e Anacharsis Cloots qu il fera plus tard publier aux ditions Champs Libre Il crit Chtcheglov en 1953 Connais tu le baron Anarcharsis Cloots allemand m l la R volution de 89 se proclamant lui m me ennemi personnel de J sus Christ et ambassadeur du genre humain guillotin avec les Enrag s Sa 183 campagne de d christianisation est au reste un des l ments qui ont le plus influenc la France moderne Anarcharsis Cloots avait rendu visite l v que de Paris et tellement terroris le pauvre homme qu il s tait mari peu de temps apr s abjuration faite Voil un des anc tres saluer Debord 2004 164 Comment comprendre ce violent rejet du christianisme alors que Debord que provient d une famille catholique assez peu pratiquante Loin de se limiter au simple anticl ricalisme de rigueur dans les milieux de gauche et dans ceux de l avant garde et notamment popularis travers quelques scandales surr alistes Debord refuse la morale chr tienne parce qu il pressent qu elle s oppose en tout point la sienne Le pri
159. Il est solidaire de l existence totale dont il est l expression sensible Bataille 1970 535 536 On reconna t dans le discours de Bataille plusieurs th mes chers aux situationnistes la vie pourrie par ses aspects fonctionnels et utilitaires la perte de sens engendr par le processus de s paration infinie et la n cessit de retrouver une unit humaine au sein d une existence prise comme totalit Pour les situationnistes cependant la totalit qui devait redonner la Les actes engag s dans la poursuite des images s duisantes de la chance sont les seuls qui r pondent au besoin de vivre l exemple de la flamme Car il est humain de br ler et de se consumer jusqu au suicide Bataille 1970 534 132 vie son sens perdu ne se localisait non pas dans le mythe mais dans la r volution v nement majeur qui fusionnerait la diversit humaine dans une intense activit de communication et de cr ation v cue collectivement la venue d une humanit enfin totalement transparente dans une sorte de pure pr sence d gag e de toute m diation Mais puisque cette r volution tarde se manifester elle se transforme elle m me en mythe Et puisque l LS se pr sente comme la seule v ritable organisation porteuse de l id al r volutionnaire son poque elle devient aussi mythe part enti re C est ainsi que l existence l gendaire de l I S doit constituer un mythe moderne apte subv
160. Le d veloppement de la surveillance tatique au XIX si cle participe en effet l tablissement du spectacle contemporain Car les m dias de masse sont justement ces canaux de diffusion permettant de faire circuler les informations recueillies parmi des foules avides de d tails Avec l essor de la presse sensation on voit aussi appara tre un genre de crime auparavant tr s rare ou du moins peu document les massacres dionysiaques du serial killer Le tueur en s rie devient une sorte de star de la soci t du spectacle et plus ses crimes seront barbares et originaux plus sa cote sera lev e dans une telle soci t Ind niablement le serial killer l ve ce qui relevait auparavant d un simple artisanat au niveau des Beaux arts et c est l intuition g niale qu avait d j eue Thomas de Quincey en 1827 dans On Murder as One of the Fine Arts Une fois lib r de nos pr jug s moraux ou religieux ne nous est il pas possible de consid rer le meurtre comme un art particuli rement exigeant et raffin argumentait l auteur des Confessions of an English Opium Eater L art de frapper sans se faire prendre et de faire un bon ouvrage sans laisser de traces compromettantes n est ce pas un art en soi exigeant de nombreuses qualit s difficilement accessibles au commun des mortels L art de 145 Les techniques de surveillance avanc es mises au point au XX si cle cam ra microphones satellites c
161. Les camarades de Debord sont s par s et hi rarchis s Au c ur du syst me Guy Debord forme le noyau dur il pr pare stimule encourage d cide royalement donne ses directives un conseil qui le prot ge Le deuxi me cercle entretient un rapport plus distant avec le souverain mais ses membres sont reconnus comme faisant partie de la cour ils ont rang d ambassadeurs en ce sens qu ils facilitent les relations avec l ext rieur Enfin autour des membres officiels de PIS la valetaille des pro situs qu on reconna t quand on a besoin de leurs services mais qu on tient g n ralement en pi tre estime Apostolid s 2004 958 150 M me s il propose plusieurs interpr tations audacieuses et souvent brillantes de l uvre et de la personnalit de Debord Jean Claude Bilheran n chappe par l adulation de son objet ce qui le conduit fermer les yeux plus d une fois sur les c t s plus sombres du personnage Ainsi Bilheran refuse d appliquer le pr cepte du Vieux de la Montagne l thique de vie de Debord Le secret du Vieux de la Montagne concerne les gens du pouvoir c est pour eux qu il n y a pas de v rit ce qui est vrai est uniquement ce qu ils appellent ainsi au gr des circonstances et de leurs int r ts Ce sont eux qui se sont tout permis depuis longtemps et dans tous les pays Bilheran 2007 232 Bilheran refuse de voir en Debord un tre fascin par l
162. Paris du Second Empire L hypoth se de Benjamin de prime bord tonnante est que Baudelaire m me s il n a jamais appartenu la classe des conspirateurs politiques qui hantent le XIX n en est pas moins tributaire de leur conception du monde Toute l uvre de Baudelaire serait impr gn e de la hargne d sesp r e des conspirateurs professionnels qui tous viennent de la boh me Leur premier champ d action est l arm e puis la petite bourgeoisie occasionnellement le prol tariat C est pourtant parmi les v ritables chefs du prol tariat que cette couche sociale trouve ses adversaires Le Manifeste communiste met fin son existence politique La po sie de Baudelaire trouve sa force du pathos de la r bellion que cultivent ces groupes Il se range du c t des asociaux Benjamin 2000c 59 122 Selon Karl Marx les conspirateurs de profession font eux m mes partie de la boh me parisienne Leur existence incertaine leur vie d r gl e dont les seuls points fixes sont les cabarets des marchands de vin les relations qu ils entretiennent in vitablement avec toutes sortes de gens douteux font qu ils appartiennent ce milieu qu Paris on appelle la boh me cit dans Benjamin 2002 25 26 1233 Dans sa fine analyse des M moires de Guy Debord 1957 Boris Donn met l hypoth se selon laquelle Debord aurait t profond ment marqu par le projet de conte en prose La con
163. Quand en 1978 Debord r alise Jn girum il dresse le premier autoportrait direct de lui m me C est sans d tour qu il se propose dans ce film d effectuer l examen d un sujet important moi m me Debord 2006 G1 1768 Par la suite il ne cessera de revenir pr ciser cet autoportrait pour le peaufiner le corriger jouant la m me partition selon une infinit de nuances Plus encore que les M moires publi s en 1958 In girum contient toutes les uvres qui suivront ce film constitue donc la pierre angulaire de l ensemble de la production autobiographique de Debord qui se situe partir de cette poque dans une tradition litt raire m morialiste Comment s inscrit le sujet dans le genre des m moires et comment d finir ce genre en opposition aux autres traditions de l criture du moi Ce qui d finit avant tout le genre des m moires c est que ces derniers s crivent dans la perspective d une mort attendue avec comme horizon de sens la question du legs post mortem de l crivain Les m moires se composent sous le signe de la mortalit symbolique de leur auteur en g n ral on crit ses M moires quand on sait que nos actes d clat dans le monde sont derri re nous et que le sens de notre passage dans le monde doit s tablir partir d actions r volues L auteur de m moires se voit d j dans sa tombe c est dire qu il a conscience que c est partir d v nements ant rieu
164. TS a E Re SC E A REA A tn vii Liste d s abr viations nensssissiisisinnssiin ninia i ans ix Remerciements sonca o E AE EAE E A a T A xii 1 Chapitre F troduction yster ee e i e eea a i a eta 1 1 1 Signification de Debord aujourd hui nain tienne 1 1 2 Le probl me de la division de l uvre 13 13 L UuvVre comme potlatcha en en ee ve nee nc 23 LAr Lrecrtireetla MAB een nine nine nan en mr S 37 eo VIS GTA SMI RER Re ee Re E ne ee 49 2 Chapitre II H ritages de l avant garde l art comme machine de guerre 66 2 1 Enjeux une th orie des Avant Dares Sn se ae 71 2 2 Sut la po litisation del art street Minis 78 235 MASSE TOUT CHOEUR Niels 88 24 Du r ve l ivresse imm diatet et repr sentation 100 2 5 Avant garde et mythe moderne 1228242008 aenandeoute lat datured 120 3 Chapitre III Les sources classiques d une r volution du sujet 142 3 1 volution dans l criture du mOi 146 3 2 Les M moires genre et strat gie discursive sessessssssesseesssrssesssereeseee 159 3 22 Gloir h roisme V N CANCR see ogi RE nn es ne NT 178 viii 3 4 Personnalit et pouvoir la souverainet baroque ssssseesesesssresseessees 211 3 5 Umatt dela manipulation fs sites i ttes le 231 4 Chapitre IV Crime et politique eeeesseeesseeesseesseesseesseresseessstessressresseessseesssees 245 4 1 Identification d tournement et personnalit
165. UDELAIRE Ce dernier chapitre traitera de la probl matique de l identification chez Debord et ce travers sa complexe appropriation des classes dangereuses et de l imaginaire criminel dont elles sont porteuses Le rapport entre Debord et les classes dangereuses n est certainement pas univoque il appara t la fois comme un rapport identificatoire et comme un rapport de domination dans lequel Debord occupe le plus haut rang travers ce rapport se d couvre de larges pans de l inconscient politique et artistique de Debord c est pourquoi une analyse approfondie s impose Cette analyse mettra en vidence l importance du crime et du mal dans l imaginaire de Debord et permettra de mieux saisir les apories de son engagement politique La figure centrale de Lacenaire sera finalement d cortiqu e afin de conclure ce parcours explorant les liens intrins ques unissant le crime et la politique dans la sensibilit du leader de l LS 246 4 1 Identification d tournement et personnalit Il est d sormais convenu de dire que le XX si cle fut le si cle du cin ma On ne veut pas dire par l que le cin ma a supplant les autres arts ni que les meilleures uvres du cin ma surpassent les meilleures uvres litt raires par exemple de la m me poque On veut plut t signifier que le cin ma fut la forme de m diation qui joua le plus grand r le social pour le meilleur et pour le pire Ce fut d abord le
166. Ulrich Vogt crit Le projet surr aliste aurait t implicitement dirig contre Sorel qui d ailleurs tait beaucoup plus appr ci par le fascisme italien que par la gauche fran aise En effet les divergences sont de tailles alors que Sorel mise surtout sur l action m me orient e vaguement vers le socialisme par la violence et n offre comme mythe que le concept de la gr ve g n rale Breton lui pense plut t un imaginaire op rant sur les motions profondes et projetant un futur attrayant un peu comparable une vision fouri riste Vogt 1985 63 Comme les situationnistes Sorel en rejetant l utopie ne propose gu re d images positives du futur il n a aucun programme pr senter si ce n est celui d une lutte mener jusqu au bout selon les n cessit s d une lib ration dont les formes demeurent floues Les surr alistes sans vouloir pr senter une vision tr s pr cise de l utopie construisent n anmoins leur mythologie dans un rapport n cessaire et organique avec la projection utopique Il s agit pour eux de construire un r servoir suffisamment riche pour permettre une repr sentation abstraite d un paradis humain et capable de motiver les hommes agir en fonction de cette image En ce sens le mythe surr aliste propose un certain contenu positif et s oppose au mythe sor lien qui ne propose aucune image Le mythe sor lien donne simplement les moyens d agir
167. Universit de Montr al Une sagesse qui ne vient jamais esth tique politique et personnalit dans l uvre de Guy Debord par Alexandre Trudel D partement de litt rature compar e Facult des arts et sciences Th se pr sent e la Facult des arts et des sciences en vue de l obtention du grade de Philosophi Doctor Ph D en litt rature option litt rature et cin ma D cembre 2010 Alexandre Trudel 2010 ii Universit de Montr al Facult des arts et des sciences Cette th se intitul e Une sagesse qui ne vient jamais esth tique politique et personnalit dans l uvre de Guy Debord pr sent e par Alexandre Trudel a t valu e par un jury compos des personnes suivantes Amaryll Chanady pr sidente rapporteur Terry Cochran directeur de recherche Maxime Pr vost membre du jury Jean Marie Apostolid s examinateur externe Gilles Dupuis repr sentant du doyen de la facult iii R sum Cette th se se propose de r valuer l uvre de Guy Debord en privil giant la lecture de ses autoportraits litt raires et cin matographiques Cette recherche favorise une r ception de Debord mettant en lumi re l importance de l criture de soi dans l ensemble de sa production L inscription de soi chez Debord passe en effet par la cr ation d une l gende L introduction d montre comment la trajectoire singuli re de Debord t moigne d un broui
168. a haine de Debord 182 pour la morale chr tienne est sans bornes en 1950 il crit Herv Falcou La morale chr tienne est encore abattre Elle a surv cu partout aux dogmes Je n ai rien contre ceux qui ont trouv dans la foi chr tienne l int r t de vivre Mais je voudrais effacer absolument tout ce qu ils ont imprim dans l esprit humain Debord 2006 34 Qu est ce que les chr tiens ont imprim dans l esprit humain sinon des sentiments comme l humilit le pardon la culpabilit et l ob issance la loi toutes des postures que refuse absolument Debord Cette haine de la morale chr tienne se porte jusqu aux symboles m mes de cette derni re Ainsi quand dans Potlatch n 23 les divers membres de l I L se questionnent sur la solution apporter au probl me des difices religieux Debord est celui qui propose l action la plus radicale solution que ses camarades n appuient pas G E Debord se d clare partisan de la destruction totale des difices religieux de toutes confessions Qu il n en reste aucune trace et qu on utilise l espace Debord 2006 214 Cette volont quasi talibane d effacer la tradition chr tienne jusque dans ses ruines se poursuit dans le langage m me des lettristes qui prennent soin d viter tout vocable voquant cette tradition Ainsi plut t que d crire la rue Montagne Sainte Genevi ve les lettristes criront plut t la rue Montagne
169. a totalit perdue m me s il est vrai que la r percussion soit d cisive et transforme la face du monde sa r percussion politique ne peut tre que le r sultat de l existence L obscurit de tels projets n exprime que la d concertante nouveaut de direction n cessaire au moment paradoxal du d sespoir Bataille 1970 537 133 nazi il n est pas inutile de rappeler que le mythe fut parfois un outil de la gauche Le socialiste George Sorel dans ses c l bres R flexions sur la violence 1908 inaugure au d but du XX une r flexion sur le r le du mythe dans l organisation des forces r volutionnaires r flexion que poursuivra sa mani re Gramsci dans ses Cahiers de prison Sorel d finit tout d abord le mythe dans son unit structurelle je voulais montrer qu il ne faut pas chercher analyser de tels syst mes d images comme on d compose une chose en ses l ments qu il faut les prendre en bloc comme forces historiques et qu il faut surtout se garder de comparer les faits accomplis avec les repr sentations qui avaient t accept es avant l action Sorel 1990 21 Pour Sorel le mythe conserve en partie son aura magico primitive car il ne s offre gu re la raison selon lui le mythe ne s analyse pas avec les outils l intellect il se pr sente plut t comme force alliant la fois de l id el et du passionnel Parce que c est surtout au niveau de la volont
170. ables influences restent cach es et les intentions ultimes ne peuvent qu tre assez difficilement soup onn es presque jamais comprises De sorte que personne ne peut dire qu il n est pas leurr ou manipul mais ce n est qu de rares instants que le manipulateur lui m me peut savoir s il a t gagnant Et d ailleurs se trouver du c t gagnant de la manipulation ne veut pas dire que l on avait choisi avec justesse la perspective strat gique C est ainsi que des succ s tactiques peuvent enliser de grandes forces sur de mauvaises voies Debord 2006 CSS 1642 1643 Cette image terrifiante pr sente un monde dans lequel a t compl tement vacu e la perspective d un savoir assur d un contr le effectif d un succ s satisfaisant Parce que Debord voit uniquement le monde travers une perspective strat gique on peut mettre l hypoth se que son interpr tation du monde contemporain a t contamin e par les lois qui r gissent son univers intime justement domin par la manipulation le bluff et la tromperie En terminant ce parcours des sources classiques la base de sa sensibilit et de sa personnalit on se doit de revenir sur une citation cl pour Debord Cette 242 citation du po te perse Omar Khayy m Debord l utilise deux fois dans son uvre dans n girum d abord puis vingt ans plus tard dans les Commentaires signe de l importance qu il lui accorde Cette citation r s
171. accomplissement L art ne s approfondit que sous forme de programme de promesse Sous la plume de Breton La beaut sera convulsive ou ne sera pas Chez Debord qui d tourne le ma tre la beaut nouvelle sera de SITUATION c est dire provisoire et v cue Debord 2006 119 Dans les deux cas ce qu on entend c est l appel d un art pour le futur Une partie de l uvre de Debord s inscrit directement dans le genre du manifeste Mais jJ mets l hypoth se selon laquelle le caract re programmatique du manifeste se retrouve au 7 Notamment Rapport sur la construction des situations 1957 Pr liminaires pour une d finition de l unit du programme r volutionnaire 1961 et Les Situationnistes et les nouvelles formes d action dans la politique ou l art 1963 91 fond dans l ensemble de l uvre de Debord Car sa vie m me s est v cue comme un programme ou comme une promesse r aliser Elle se pr sente la fois comme ultime r alisation de l art et comme uvre poursuivre comme d fi relever dans une logique du potlatch Chez les situationnistes cette conception messianique de lart se r alise concr tement Il n y a plus d art mais plut t des v nements des situations dont les productions artistiques ne font que t moigner dans un apr s coup restituant Nos situations seront sans avenir seront des lieux de passage Le caract re immuable de l art ou d
172. acques 2004 M tagraphies influentielles dans Ciret Yan dir Figures de la n gation avant gardes du d passement de l art Paris Paris Mus es Saint Etienne Mus e d art moderne de Saint Etienne M tropole pp 78 80 B nichou Paul 1948 Morales du grand si cle Paris Gallimard Benjamin Walter 1989 Le Livre des passages Paris capitale du XIX si cle Paris Cerf Benjamin Walter 2000a uvres I Paris Folio Benjamin Walter 2000b uvres II Paris Folio Benjamin Walter 2000c uvres III Paris Folio Benjamin Walter 2000d Origine du drame baroque allemand Paris Champs Flammarion Benjamin Walter 2002 Baudelaire Paris Payot Benjamin Walter 2003 Essais sur Brecht Paris La Fabrique Bilheran Jean Claude 2007 Sous l corce de Guy Debord le rud ral Paris Sens amp Tonka Blondel ric 1986 Nietzsche le corps et la culture la philosophie comme g n alogie philologique Paris Puf Philosophie d aujourd hui Bourdieu Pierre 1998 Les r gles de l art gen se et structure du champ litt raire Paris Points Essais Bourseiller Christophe 2001 Vie et mort de Guy Debord Paris Pocket Brecht Bertolt 1970 L Achat du cuivre Paris L Arche Breton Andr 1988 uvres compl tes I Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade Breton Andr 1992 uvres compl tes II Paris Gallimard Biblioth que
173. ade comme faisant directement r f rence cette relation incestueuse qui s est poursuivie durant des d cennies jusqu au suicide de Mich le Labaste L int r t de Debord pour la perversion incestueuse se retrouve par ailleurs dans son admiration pour le roman de Jean Cocteau Les enfants terribles qui raconte les relations tortueuses entre un fr re et une s ur tourment s par une pulsion incestueuse jamais consomm e L impossibilit de cette relation se termine par des suicides Dans Hurlements en faveur de Sade Debord semble s adresser directement sa s ur lorsqu il dit apr s avoir voqu la possibilit du suicide Ma petite s ur nous ne sommes pas beaux voir L Is re et la mis re continuent Nous n avons pas de pouvoirs Debord 2006 HFS 53 Dans ses M moires de 1957 Debord ne s y trompe pas quand voquant ce film initial il d tourne son compte cet avis d une critique cin matographique Qui a fait en si peu d images un plus beau po me sur la solitude Debord 2006 MEM 453 C est en effet un qualificatif ad quat pour r sumer ce sc nario Un po me de la solitude c est dire la solitude de Debord sa folie sa d tresse son isolement total dans le 319 Digne h ritier des enseignements libertins de Sade Debord a pleinement exprim son syst me de valeurs d s son premier film en 1952 film qui constitue l loge de la transgression le plus direct qu il ait produit Peu importe le
174. admet Je dois convenir qu il y a presque toujours eu dans mon esth tique n gative quelque chose qui se plaisait aller jusqu la n antisation Debord 2006 CMR 1817 1818 Cette volont d an antissement de soi comme de l uvre corollaire la po tique de l ivresse s affirme plus fortement chez les lettristes que chez les surr alistes seuls les membres du Grand Jeu ont peut tre t aussi loin dans une recherche mystique qui se passe de mots On doit analyser la r volution surr aliste comme un moment de transformation radicale du champ artistique Ce que cette r volution accomplit c est un largissement sans pr c dent de la cat gorie de l imaginaire en tant que lieu socialis o circulent des images En transgressant la limite traditionnelle des arts en r cup rant des l ments provenant de genres dont il a fait clater les fronti res en leur imposant une unit nouvelle dans un champ indiff renci le surr alisme a offert aux images une libert qu elles ne connaissaient pas avant lui Ce faisant il a multipli les possibilit s de l imaginaire et renforc l imp rialisme de l image Apostolid s 1990 735 Ainsi avec le surr alisme les images produites dans le champ culturel en viennent modifier ce champ lui m me la r volte surr aliste concerne les m urs la morale 96 l action individuelle Le champ d action du surr alisme comprend l en
175. aille Le potlatch plut t que se pratiquer au niveau du quantifiable se produit dans le qualitatif et engage une s rie de subjectivit s devant t moigner de leur appr ciation d une qualit en dehors de la valeur d change C est donc une pratique passionnelle dans laquelle la pure d pense exerc e sans consid rations r alistes ou 24 pragmatiques doit t moigner d une admiration ou d un d vouement sans bornes il y a quelque chose pr s de l hommage f odal dans le potlatch tel que pratiqu par Debord Si ce dernier vit son existence et son uvre sous la forme du potlatch il ne s attend pas moins ce que les autres admiratifs devant son uvre et sa vie fassent preuve d une m me capacit de pure d pense son endroit Debord prouve en effet un besoin constant d tre reconnu valoris ch ri et prot g Sa personnalit narcissique a constamment besoin de s prouver dans des relations sociales et amicales dans son fantasme de puissance Debord doit toujours triompher dans l change et tre celui qui m rite les cadeaux les plus somptueux les soumissions les plus totales En ce sens le potlatch situationniste quivaut aussi un syst me de reconnaissance d partageant la grandeur et la valeur respectives des parties en pr sence Je souligne les limites de l thique de la transgression de Debord qui sont d ailleurs les m mes qu on peut retrouver chez Bataille alors que le
176. air pour former une constellation En d autres termes l image est la 350 dialectique l arr t Benjamin 1989 479 L image du pass interrompt l actuel en tant que continuit dans le but de le fracasser d finitivement et de lui faire prendre une autre tangente L image par son effet de choc est le lieu privil gi de cette nouvelle po tique de la r volte qui fut au XX si cle le domaine r serv de quelques rares avant gardes Debord ses uvres tardives le d montrent tait parfaitement conscient du pouvoir de d stabilisation du temps que les images poss dent Mais m me s il a voulu contr ler les images qu il diffusait en en calculant les effets il n a pas r ussi compl tement sceller le param tre de leur r ception Car les images du pass reviennent toujours hanter les vivants sous une forme fantomatique dans l ordre du sympt me En ce sens la v ritable richesse de l uvre de Debord se r v le en partie contre Debord lui m me 351 Bibliographie Adorno Theoror W 1999 Notes sur la litt rature Paris Champs Flammarion Agamben Giorgio 2004 Le cin ma de Guy Debord image et m moire dans Image et M moire crits sur l image la danse et le cin ma Paris Descl e de Brouwer Althusser Louis 1994 crits philosophiques et politiques tome 1 Paris Stock IMEC Apostolid s Jean Marie 1990 Du surr alisme l Internationale situationniste
177. ait la r ussite peu orthodoxe Debord voulut rendre le personnage plus insupportable encore pour son milieu Lebovici est pour lui la nouvelle figure du prince renaissant Intelligent sensible cultiv puissant il prot ge les arts et s entoure de beaut Apostolid s 2006 175 Pour Debord Lebovici est un h ros du capitalisme en ce sens qu il m prise le milieu du cin ma qui a fait sa fortune une 32 fortune qu il utilise pour subvertir sa pratique des affaires Lebovici est un h ros moderne parce qu il profite du capitalisme pour se fabriquer lui m me comme sujet au risque de se retourner contre le capitalisme G rard Lebovici ne s int ressait aucunement l argent Moi non plus on le sait et ceci n est qu un des nombreux points sur lesquels nous nous ressemblions affirme Debord Debord 2006 CAG 1554 Lebovici parvient ainsi transcender la logique capitaliste et parvient se cr er en go c est dire en sujet pleinement autonome responsable uniquement de lui m me et ayant conquis la libert de t moigner une totale indiff rence envers toutes d terminations ext rieures L argent n a aucun m rite en soi si ce c est celui de permettre une mancipation des exigences sociales et conomiques en premier lieu celles du travail salari Debord comprend et accepte ces nouvelles r gles du jeu que permet le capitalisme et c l bre sa fa on la libert qu accorde la
178. al Noriega qui vend tout et simule tout dans un monde qui partout fait de m me tait de part en part comme sorte d homme d une sorte d tat comme sorte de g n ral comme capitaliste parfaitement repr sentatif du spectaculaire int gr et des r ussites qu il autorise dans les directions les plus vari es de sa politique int rieure et internationale C est un mod le du prince de notre temps et parmi ceux qui se destinent venir et rester au pouvoir o que ce puisse tre les plus capables lui ressemblent beaucoup Ce n est pas le Panama qui produit de telles merveilles c est cette poque Debord 2006 CSS 1627 Ainsi ce personnage capable d voluer sur diff rents terrains d fendant simultan ment diff rentes id ologies repr sente un mod le du prince de notre temps Derri re la d nonciation ironique perce aussi une pointe d admiration Noriega se fait des alli s aux int r ts les plus divergents pr tend toujours une chose mais en cache d autres en fonction de son propre plan cach Partout Noriega comme le d tenteur d un trange secret n a d crit avec autant de pr cision ses techniques de s duction et de domination 240 emporte la mise parce que partout il bluffe trompant son monde en camouflant son jeu il est ce joueur toujours apte transformer le r el pour faire triompher ses objectifs dissimul s Figure par excellence de l artiste sup
179. al dans la formation de Debord l auteur de Pan gyrique partage bel et bien le pessimisme voire le nihilisme la base de la mentalit moraliste S il n accepte pas la condamnation de l univers terrestre n1 le pari dans la foi Debord demeure convaincu de l inutilit de l homme de sa petitesse et de sa futilit Boris Donn crit ce propos Cette conscience tragique du devenir explique l affinit que Debord a prouv e avec les uvres de Bossuet et de Pascal ces deux crivains dont la spiritualit a t profond ment marqu e par la lecture de Saint Augustin mettent volontiers l accent sur l inconsistance qui affecte toute chose pour opposer la temporalit et la fragilit du monde l ternit promise par la foi Donn 2004c 94 Dans Jn girum en particulier sans doute l uvre la plus ouvertement moraliste et baroque de son auteur Debord amasse une impressionnante collection de citations voquant la fragilit humaine Mais la sensibilit lyrique de Debord ne peut tre comprise qu travers sa duplicit fondamentale malgr son investissement passionnel dans le monde et dans l Histoire Debord sait que tout cela sera r duit en poussi re Sa conscience de l Histoire va de pair avec une conscience de la mortalit qui travaille le processus historique lui m me Cette sensibilit saturnienne Debord la retrouve exprim e au moment du d clin du Moyen ge p riode historique q
180. ali nation pr sente Cette conomie montre comment le d tournement fonctionne selon un mod le iconique le sens du d tournement doit tre direct instantan par del la repr sentation 1l doit advenir d un seul coup et faire imm diatement appara tre un vaste r seau de significations Apostolid s remarque avec justesse que Chez Debord les images sont premi res les mots viennent ensuite Apostolid s 2004 962 Proche de certaines conceptions modernistes de l image po tique l criture par d tournement permet d approcher un certain sublime comme le soulignaient d j Debord et Wolman en 1956 Il faut donc concevoir un stade parodique s rieux o l accumulation d l ments d tourn s s emploierait rendre un certain sublime Debord 2006 222 223 Il faut recevoir l criture du moi de Debord comme essentiellement baroque c est dire fonctionnant partir d une multiplicit de masques et d images en perp tuelle circulation Debord joue ainsi de ses diverses figures comme avec un jeu de cartes ou mieux un jeu de tarot il joue les cartes qui lui conviennent en fonction du moment ou de ses interlocuteurs V ritable interface entre le moi et le monde la pratique du d tournement ne saurait chez lui se r duire une simple m thode d criture elle correspond plut t une mani re d tre dans le monde une fa on de vivre et de communiquer de se cr er soi m me et d
181. aliste qui doit donner sa vision de l histoire r cente et surtout qui doit diviser l histoire future Ses crits autobiographiques prennent alors une place singuli re dans la strat gie de division qu il a mise en uvre toute sa vie en pr sentant son existence comme exemplaire de la vie juste Debord se positionne face ses lecteurs futurs ce qu il exige d eux c est soit l adh sion compl te soit le rejet violent Parlant de ses admirateurs tardifs Debord affirme Il est vrai qu ils 6 Le temps passe en effet et nous passons avec lui tait le titre d tourn de Blaise Pascal d une m tagraphie compos e par Debord en 1954 7 On sait que le vaste projet du Pan gyrique con u par Debord dans les derni res ann es de sa vie devait l origine contenir plusieurs tomes On retrouve dans les uvres cette note des diteurs Le tome troisi me ainsi que les suivants rest s l tat de manuscrit furent br l s dans la nuit du 30 novembre 1994 selon la volont de Guy Debord 2006 1691 Debord pr sentait ainsi l aspect ambitieux de son projet dans Pan gyrique tome l Je serai oblig d entrer dans quelques d tails Cela peut donc me conduire assez loin je ne me refuse pas envisager l ampleur de la t che J y mettrai le temps qu il faudra Debord 2006 PAN I 1658 20 n taient pas pr ts en accepter tout et j avais toujours dit franchement que ce
182. ani re qu il ne peut appr hender ce qu il y a de nouveau dans un existant ni m me pressentir la cr ation d un mode 92 toujours li un infini du temps qui prend en charge l v nement pour dans un premier temps le d samorcer dans sa singularit traumatique avant de le faire abdiquer dans le jugement r fl chissant de la raison de la logique de la connaissance L v nement c est le pr sent pur qui chappe linfini du temps les avant gardes cherchent forcer la reconnaissance de ce pr sent Badiou 2005 189 en dehors de toute consid ration sur la possible post rit qui par d finition est toujours tra tre Cette possible r cup ration de sa production et donc de sa vie hante au plus haut point la conscience de Debord et alimente une parano a inspir e par la connaissance de la destination des avant gardes qui l ont pr c d L affirmation autoritaire de la puret v nementielle de la production d avant garde sert pr cis ment conjurer toutes tentatives de r cup ration future l v nement est ce qui se produit et se re oit dans son imm diatet sauvage dans une pr sence soi hostile aux forces du pass tout autant qu aux tentatives d assimilation futures En d finissant la vie comme une succession de fragments ou de s quences introduisant des ruptures les avant gardes rejettent la dictature du Jugement si la rupture vaut en elle m me c est uniq
183. ansigeance galitaire de la mort Le temps finit toujours par gagner Il s agit donc avant le dernier acte d avoir 78 Dans une lettre envoy e Ivan Debord crit St Germain pour les meilleurs a bien t le cadre sociologique d un assez vif refus du monde et des pouvoirs qu ils auraient pu prendre dans le monde Ceux l sont morts ou partis ou simplement habitu s Habitu s cette m diocre boh me habitu s d un bar Debord 2004 138 187 le dessus sur lui en ma trisant les param tres m mes de sa propre mort qui est normalement un v nement de d possession radicale s opposant la volont En s appropriant sa propre mort le sujet s mancipe du temps en tant que donn e ext rieure le suicide quivaut une subjectivisation de la temporalit en m me temps qu il l a fuie Malgr son penchant pour le suicide Debord n a pas franchi ce stade avant que la maladie et la vieillesse n empoisonnent sa vie Sa m lancolie personnelle et son d go t du monde l ont plut t encourag adopter une posture combative c est en guerre ouverte que Debord sublime ces forces autodestructrices qui l habitent comme en t moigne la lettre Falcou pr c demment cit e Et c est dans cette revalorisation du monde terrestre en tant que terrain de jeu des hommes que s op re la connexion avec l poque classique en g n ral et avec le mouvement de la Fronde en particulier S il d
184. ant moins en dissimuler les traces que je les sais exemplaires Debord 2006 PAN I 1658 Mais l exemplarit qui m int resse ici n est pas celle de la vie de Debord mais plut t celle de son uvre En quoi cette derni re peut elle encore revendiquer une actualit une pertinence pour les temps pr sents Et comment l uvre de Debord peut elle identifier ou d terminer un avenir de l art si elle le peut M me si elle adopte certains traits et caract res du modernisme l uvre de Debord brille n anmoins par sa singularit et c est cette singularit m me en proposant de nouvelles modalit s la cr ation qui pourra ventuellement servir d exemple pour le futur Deux aspects seront d velopp s ici Je veux d abord souligner comment l uvre de Debord propose un nouveau mode de construction du moi uniquement possible dans la soci t postmoderne Enfin je soulignerai comment 325 l uvre de Debord r actualise sa mani re une sensibilit baroque revenue hanter l imaginaire culturel de notre poque 5 1 La construction du moi dans la soci t spectaculaire Le Moi n est plus ce qu il tait jusqu ici un souverain qui promulgue des dits MUSIL L homme sans qualit s Dans la p riode pr moderne domin e par l id e d un ordre ternel ou par la stabilit du mythe l identit tait la plupart du temps donn e chacun la position de chaque individu dans l ordre terrestre
185. aphe La grand m re maternelle de Guy Manou se substituant une m re absente participe l isolement de l enfant notamment en le coupant du reste de la famille et en le surprot geant elle l accompagne chaque jour aller et retour au lyc e pied 315 et munie d un couteau pain pour le cas o l on chercherait l agresser affirme Patrick Labaste cit dans Bourseiller 1999 34 Ainsi le jeune Debord ne peut communiquer avec ses camarades de classe dont sa grand m re lui apprend se m fier Cette crainte des autres per us comme potentiellement dangereux pour son int grit que lui transmet sa grand m re d s l enfance aura sans doute de graves r percussions sur sa construction psychique ult rieure Durant l enfance et la jeune adolescence les activit s de Debord sont limit es tout comme ses contacts avec les autres amis ou membres de la famille ses fr res et s urs sont lev s par la nouvelle famille ressembl e autour du notaire Charles Labaste tandis que Debord qui n est pas adopt l galement pas Labaste est surtout duqu par Manou Debord m ne longtemps une existence retir e dans son imaginaire en fr quentant les livres loin du quotidien des jeunes de son ge Des ann es plus tard il dira d ailleurs ses amis lettristes Moi je n ai pas eu de jeunesse Bourseiller 1999 36 D s le d part Debord est donc conscient de son intelligence
186. assement de soi assurant la gloire de l individu Voil l id al du juste milieu qui au XVII si cle est consid r 7 Dans son article N o sto cisme et thique de la gloire le baroquisme chez Guy Debord 2001 Michael Stone Richards pr sente une analyse tr s compl te de l influence primordiale de la pr ciosit dans le syst me thique de Debord 61 comme un art de vivre autant qu un art d crire Gauvin 2004 93 Cependant la notion de langage s largit ici consid rablement les comportements mondains les attitudes les constructions humaines tout devient code au sein d un groupe qui partage une certaine notion de l honneur On a souvent d fini la pr ciosit comme un souci exag r d l gance et de tournures inhabituelles qui ont pour effet de cloisonner le langage et d en faire un code secret r serv aux seuls initi s Gauvin 2004 85 C est notamment cet aspect groupal qui attire Wolman et Debord dans le mouvement pr cieux de m me que la pr dominance de l oralit sur l crit Pour Mile de Scud ry comme pour ses contemporains il faut si l on veut se m ler d crire savoir le bon usage du monde de la politesse de la conversation Bref au XVII si cle l crit est subordonn l oral et le bien parler fran ais consid r comme le mod le du bien crire Gauvin 2004 84 85 Dans ce mouvement l crit et l ora
187. asses les plus pauvres les plus d linquantes d une ville en profonde mutation Mais outre cet aspect d mographique rangera que jamais il n acceptera le monde tel qu il est En 1978 il juge avoir r ussi On sait que cette soci t signe une sorte de paix avec ces ennemis les plus d clar s quand elle leur fait une place dans le spectacle Mais je suis justement dans ce temps le seul qui ait quelque c l brit clandestine et mauvaise et que l on n ait pas r ussi faire para tre sur cette sc ne du renoncement Debord 2006 IGI 1784 1 Le concept de classes dangereuses est n anmoins issu du XIX si cle Il appara t sous la plume du chef de bureau de la pr fecture de la Seine H A Fr gier qui publie son ouvrage Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes et des moyens de les rendre meilleures en 1840 Ce titre conna t l poque de sa parution un grand succ s Il faut analyser ce succ s par l effet de nouveaut qu a produit cet ouvrage qui veut surtout d crire les malfaiteurs de tous genres appartenant ou non la classe ouvri re Chevalier 1984 254 N assiste t on pas ici la naissance de toute une conception polici re moderne du corps social L intention de Fr gier ne se dissimule pas il veut rendre meilleures ses populations d sh rit es que craignent les classes poss dantes Avec la naissance des sciences sociales le crime cesse d appa
188. at n cessairement tout commentateur de P 1 uvre Certains lecteurs de Debord estiment qu on retrouve une division fondamentale dans l uvre entre d une part le travail th orique r volutionnaire et d autre part l uvre m morialiste tardive Certains auteurs privil gient l une ou gt DAS D gt l autre de ces facettes selon leurs propres int r ts Quant moi j expose embl e ma position pour ne pas entretenir de malentendus je consid re que la th orie et le projet r volutionnaires se subordonnent un projet beaucoup plus vaste une conception extr me de l art et de la vie Il s agit pour Debord de faire entrer la po sie dans la vraie vie seule fa on selon lui de renouveler l art po tique dans Jean Claude Bilheran remarque que ceux qui crivent sur Debord se sentent presque syst matiquement dans l obligation de se justifier voire de s en excuser Bilheran 2007 171 Une telle attitude pieuse est bien s r contraire celle de Debord Ce dernier r sume sa mentalit dans la Note accompagnant sa traduction des Sfances sur la mort de son p re de Jorge Manrique parlant de lui la troisi me personne il a depuis longtemps l habitude de se comporter comme chez lui en toute chose pour laquelle il prouve un go t r el Debord 2006 1507 Il me semble que Debord expose ici une le on pertinente concernant toutes recherches intellectuell
189. atrice le fascisme exige une soumission totale un ordre fictif et non pas un v nement r el transpos dans le domaine du t Debord poursuit dans la th se 109 son analyse du fascisme et affirme de ce dernier qu il est un des facteurs dans la formation du spectaculaire moderne de m me que sa part dans la destruction de l ancien mouvement ouvrier fait de lui une des puissances fondatrices de la soci t pr sente mais comme le fascisme se trouve tre aussi la forme la plus co teuse du maintien de l ordre capitaliste il devait normalement quitter le devant de la sc ne Debord 2006 SdS 812 127 l gendaire C est ce qu explique Alain Badiou propos du mythe nazi il faut que le corps dont se r clame le fascisme ne soit pas v nementiel mais substantiel une Race une Culture une Nation ou un Dieu Badiou 2009 110 Ce qu exige le nazisme c est l accomplissement d une substance ternelle prise dans un pass mythique Le sujet obscur fait pr sent de ce qui d apr s lui a toujours t l mais que les v nements ont dissimul et mutil Au corps mobile des processus de v rit le sujet obscur oppose le pr sent pass fixe de la substance nationale raciale ou religieuse Badiou 2009 110 111 Le mythe moderne voulu par les avant gardes ne se construit jamais en r f rence une substance fixe et ternelle au contraire c est au sein de l exp r
190. avers une assez courte unit de temps 19591 PQP Critique de la s paration 1961 CdS La Soci t du spectacle 1967 SdS La V ritable scission dans l Internationale 1972 VSI In girum imus nocte et consumimur igni 1978 IGI Consid rations sur l assassinat de G rard Lebovici 1985 CAG Commentaires sur la soci t du spectacle 1988 CSS Pan gyrique tome premier 1989 PAN I Pan gyrique tome second 1990 PAN 2 Cette mauvaise r putation 1993 CMR Guy Debord son art son temps 1994 GDA Autres abr viations Internationale lettriste LL Internationale situationniste LS xi la m moire de Marguerite Lalonde Trudel 1916 1993 xii Remerciements Je tiens d abord remercier Terry Cochran qui a si bien su m accompagner dans ce long voyage que fut l laboration de ce travail C est beaucoup gr ce ses multiples lectures suggestions recommandations et corrections que au fil de nos discussions j ai pu avancer jusqu au point final Je remercie ensuite mes parents Francine Bradley et Alain Trudel ainsi que mon amour Malgorzata Depa pour leur support constant et ind fectible Je remercie aussi mon fr re Dominique Trudel et tous les membres de ma famille pour m avoir si souvent encourag dans ce projet Merci galement tous ceux qui m ont aid au moment de l criture et de la relecture de cette th se notamment mes amis Marie Andr e Laniel
191. bord en tant qu acte sublime n est pas tout fait fausse dans la mesure o l on sait maintenant que le jeune Debord tait obs d par le suicide et qu il ne cessait de revenir sur ce th me dans ses uvres de jeunesse Le suicide fait donc bel et bien partie de la constellation mythologique mise en place par l auteur de M moires 163 La pr vision de sa mort et du sens de son h ritage est partout pr sente dans les uvres m morialistes de Debord en tant que projection de la fin elle domine l ensemble du projet m morialiste au moment de son laboration partir de Pan gyrique une gestion de plus en plus serr e des traces de sa vie t moigne d un fort d sir d exposition de soi devant le jugement public Debord laisse deviner son d sir de se faire absoudre par la post rit quand il affirme Parlant donc aussi froidement que possible de ce qui a suscit beaucoup de passion je vais dire ce que j ai fait Assur ment une foule d injustes bl mes sinon tous s en trouveront l instant balay comme de la poussi re Debord 2006 PAN I 1657 Debord a beau se pr tendre au dessus de toutes critiques cette obsession pour le contr le de son h ritage sugg re que cette posture n est qu une feinte On pourrait m me interpr ter sa strat gie discursive comme une anticipation des critiques venir voire comme un proc d d auto refoulement de la mauvaise conscience Ce sont
192. bord pr tend l tablir au del la repr sentation Cette uvre c est la fabrication d un character c est dire la construction d une personnalit forte qui pr tend se distinguer de celles de ses contemporains Je me suis employ d abord et presque exclusivement vivre comme il convenait le mieux Debord CMR 1803 Le style exerce le caract re et inversement comme s il n y avait pas de clivage entre le sujet et le langage La vie et le style sont compl mentaires ce sont deux terrains parall les sur lesquels s exerce le pouvoir d un sujet souverain c est dire d abord souverain de lui m me ma tre de ses passions Mieux encore le style est la face mat rielle des puissances de la pens e et du ressenti Selon cette conception thique qui unit intimement la puissance du style avec le niveau d mancipation de l individu on habite le langage de la m me fa on que l on habite le monde en esclave ou bien en citoyen libre 3 Dans la version cin matographique de La soci t du spectacle Debord d tourne un extrait de Mr Arkadin dans lequel le personnage jou par Orson Welles l ve son verre et invite ses h tes boire l honneur du caract re Let s drink to character 51 Chez Debord l expression l criture et le style ne rel vent donc pas uniquement de la forme ou de la rh torique mais bien davantage de l intensit du v cu et de la pens e comme l
193. c e par leurs auteurs de leur volont d agir au moyen de ces cr ations nouvelles sur le comportement du spectateur de l influencer changer ses habitudes et aider ainsi la transformation d un monde d un ordre social que globalement ils r prouvent Beauffet 2004 78 Pourtant l usage de m tagraphie n est pas seulement social la m tagraphie peut aussi repr senter une forme de message cod une expression personnelle principalement destin e aux autres membres du groupe lettriste comme le reconnait Debord dans une lettre Chtcheglov de avril 1963 La m tagraphie avait me semble t il cette valeur de messages entre nous un moment Debord 2006 128 Ces collages proches des photomontages dada stes et constructivistes participent donc directement la construction mythologique lettriste 334 uvre d art et cette perspective est d sormais commune de nombreux cr ateurs dont une majorit voluant dans le monde des arts visuels qui mythifient et intensifient leur propre existence qui devient de facto une uvre en soi Cette pratique qui consiste se fabriquer une ou des identit s id elles partir de la m diation se constituer soi m me en figure mythologique est d ailleurs bien pr sente dans l univers du spectacle pensons par exemple un David Bowie qui ne cessait de s inventer de nouveaux personnages conceptuels lors de son impressionnante production des ann
194. caract re d mocratique propre ce qu il appelle le r gime esth tique des arts Ranci re donne notamment l exemple de l uvre Gustave Flaubert Lorsque paraissent Madame Bovary ou L ducation sentimentale ces ouvrages sont tout de suite per us comme la d mocratie en litt rature malgr la posture aristocratique et le conformisme politique de Flaubert Son refus m me de confier aucun message la litt rature est consid r comme un t moignage de l galit d mocratique Ranci re 2000 16 74 l histoire de l art en tant que discipline la critique etc Au XIX si cle l autonomie de l art repr sente une r elle conqu te lib ratrice mais rapidement l autonomie de la sph re culturelle appara t pour ce qu elle est une fa on de d samorcer le potentiel perturbateur de l art en int grant celui ci dans une s rie d habitus culturels assimil s par la bourgeoisie Le concept cl que sous tend cette sph re autonome de l art c est dire l art mutil de toute signifiance ou d efficience sociale et politique est celui d uvre d art L uvre d art telle que d finie dans les trait s esth tiques traditionalistes de l poque est organique elle est un microcosme de l univers harmonieuse repr sentative de la nature tout en demeurant anthropocentrique Elle s offre comme un tout un regard contemplatif et d sint ress dans lequel s accomplit l
195. cateur et d s lors leur contenu fut 45 volontairement occult c est dire gard secret Ce n est que r cemment qu on a appris le contenu pr cis de ces fameuses Directives inscrites par Debord D passement de l art R alisation de la philosophie Tous contre le spectacle Abolition du travail ali n et Non tous les sp cialistes du pouvoir les conseils ouvriers partout Debord 2006 654 655 Boris Donn d crit ainsi la fonction sp cifique de ces Directives elles devaient constituer la doctrine secr te de l IS une s rie de commandements formul s avec une simplicit d sarmante dont seuls les esprits les plus forts pouvaient saisir toute la port e Donn 2004b 29 Avec cette s rie de slogans r serv s une lite d initi s on voit appara tre l id e d incarnation de Debord les Directives sont des mots d ordre qu il s agit de vivre concr tement de faire passer dans la chair du r el L important c est ce passage entre l id al et le r el entre la parole et l action Le verbe est premier la chair vient ensuite non pas comme suppl ment mais comme r alisation de la philosophie comme accomplissement d une dialectique La question de la formule est aussi importante dans ses aspects stylistiques aussi bien que magiques La formule c est justement une s rie de mots destin s passer la vie op rer des modifications dans la mati
196. ce personnage l gendaire du XIX si cle aussi admir par Andr Breton dans son Dictionnaire de l humour noir Lacenaire peut tre encore trop scrupuleux s est exag r me semble t il la responsabilit qu il avait directement encourue dans la mort violente d un tr s petit nombre de gens Je pense valoir mieux que la plupart des hommes que j ai connus m me avec le sang qui me couvre Debord 2006 PAN I 1658 302 L thique criminelle de Debord s affiche ici sans d tour l implication dans la mort de quelques fanatiques peut passer pour n gligeable dans la mesure o elle sert les desseins d un esprit sup rieur et la gloire personnelle d un g nie pr t tout pour imposer sa l gende Le droit au crime est par essence une donn e aristocratique Lacenaire croit sa propre sup riorit sur la multitude Le crime est donc une affaire de distinction qui permet de d partager les surhommes des ti des Puisque personne ne reconna t son g nie Lacenaire trouve dans l exercice du crime une fa on d expliquer et de d montrer sa sup riorit au commun des mortels Lacenaire n h site pas tuer un t moin g nant de m me qu un de ces complices tous recrut s au sein des classes dangereuses et cela sans le moindre tat d me La grandeur et le g nie individuels permettent de transcender les lois de l tat voire celles du divin Ce sentiment de sup riorit propre pl
197. ce qu elle produit une sorte de dissolution du sujet l ivresse est aussi affaire de don de soi de potlatch en ce sens l ivresse r active la posture sacrificielle de l artiste ch re aux romantiques 119 Qu est ce cependant que ce don de soi qui t moigne par excellence de la pl nitude des forces de la vie En tant que manifestation physiologique il n est autre qu une expression qui ne s accomplit comme telle que dans l ivresse Mieux l ivresse elle m me est ce don Audi 2005 88 je souligne Ndr Parce qu elle n inclut pas n cessairement le moment apollinien de r collection de soi l ivresse peut se vivre sous le mode suicidaire d une pure pr sence soi v cue en confrontation avec l ab me par l ivresse c est le pur vide du sujet qui se r fl chit lui m me L ivresse en tant que force destructrice appara t comme illumination dans le n ant du moi L ivresse v cue son paroxysme devient une activit dangereuse risqu e qui se vit enti rement comme don de soi n goci avec une puissance dont la fr quentation prolong e m ne bien souvent la folie le parcours d Ivan Chtcheglov cet aventurier qui a d frich le domaine de la d rive en t moigne Et contrairement au r ve l ivresse entretient un n cessaire rapport au R el car elle est intimement li e l exp rience empirique la pratique libre de la rue Les proc d s de d rive urbaine so
198. cela suppose au jeu la vertu du myst re dont l arcanit seule provoque le respect Dans la mani re de s expliquer l on doit aussi viter la clart excessive Graci n 2005 31 1212 102 En commentant les cartes employ es par Debord c est dire les diverses images ou figures qu il utilise afin d avancer masqu Apostolid s a remarqu que l unit de la partie domine chaque mouvement autonome Le sens de chaque image n est pas coagul mais fluide ces figures tant toujours associ es d autres elles ne prennent leur pleine signification que dans leur confrontation mutuelle Il ne s agit pas donc pas d images fixes mais d un jeu c est moins la carte elle m me qui importe que la dynamique de la partie Apostolid s 2004 961 15 Debord crit d ailleurs dans ses Notes sur le poker La v rit la plus vraie du poker c est que certains joueurs sont essentiellement toujours meilleurs que d autres et c est aussi la moins reconnue Debord 2006 1791 104 Je cite ici la nouvelle traduction de Benito Pelegr n tr s fid le au texte original mais au risque d une certaine complexification du texte on pourra lui pr f rer la traduction classique d Amelot de la Houssaie qui fut notamment publi e aux ditions Champs libre 235 L image du jeu de carte permet Graci n de pr ciser sa th orie de la dissimulation absolument essentielle la r u
199. ch types qu a voulu activer Debord dans son mythe personnel De fa on assez symptomatique le philosophe Henri Lefebvre qui fut pendant un temps proche des situationnistes interpr te lui aussi l uvre de Baudelaire et le mouvement moderniste qu elle initie comme tant marqu e par l chec toujours r p t des r volutions La modernit dans la soci t bourgeoise ce sera l ombre de la r volution possible et manqu e sa parodie Le texte de Baudelaire ne se comprend que dans une interpr tation diabolique et parodique Le Neuf abstrait et vivant de l abstraction pris pour du vivant et du concret humain en soi exalt et sans cesse proclam sera le substitut id ologique et id al de la r volution pratique qui ne s est pas accomplie La praxis troite du po te qui utilise des repr sentations et de phantasmes pour essayer de cr er 277 un monde fictif id al acceptable dans le monde r el inacceptable cette praxis d risoire remplacera la praxis totale qui aurait v ritablement transform le monde au lieu de l interpr ter Lefebvre 1962 174 Ainsi l ensemble de l utopie litt raire post baudelairienne se serait fond sur l effondrement de la r volution Comment ne pas supposer que l exp rience politique de cette g n ration avec l chec de la r volution de 1848 et de coup d Etat de Louis Napol on Bonaparte puis la longue d solation du Second Empire a jou un
200. ci re ne parvient pas imm diatement l universalit il lui faut pour cela passer par des processus d change et de socialisation Avant de parler au nom de tous les sans part avant de parvenir l universel singulier du prol tariat Debord parle avant tout partir de sa propre position subjective C est lui qu on a fait du tort C est pour cette raison que Debord s identifie au diable qu il d signe d ailleurs dans In girum comme celui qui on a fait du tort Debord 2006 G1 1780 reprenant une expression des sectes mill naristes qui fut ensuite appliqu e Bakounine rejet de l Association internationale des travailleurs Le tort est bel et bien pour Debord le moteur de la politique et le principe motivant la conscience et l action du prol tariat Quand Debord parle du prol tariat c est donc aussi une fa on d tourn e de parler de lui m me car le prol tariat ne peut se reconna tre seulement dans le tort absolu 3 Le but du prol tariat cependant n est pas uniquement de se faire reconna tre dans le sens h g lien ou communautariste par les institutions en place afin de devenir un sujet politique comme les autres Le prol tariat veut devenir une force politique majeure mais pas pour s emparer du pouvoir et se positionner la t te de l tat il veut surtout modifier en profondeur l exercice m me du pouvoir 193 d tre rejet en marge de la
201. cit traditionnellement rattach e au travail de l artiste depuis l invention de la boh me Mais il va plus loin encore en ceci qu il se propose de d passer la figure traditionnelle de l artiste Refusant les cat gories d crivain ou d artiste de m me que l obligation de produire des uvres Debord trace une 135 Je fais r f rence ici l ouvrage fondateur du beau fils de Marx Paul Lafargue Le droit la paresse 1883 Lafargue est un des rares penseurs marxistes s opposer radicalement l obligation sociale du travail et la glorification de la production Les lettristes et les situationnistes s inscrivent videmment dans une pens e similaire tout comme Georges Bataille 287 figure in dite de l artiste qui consiste transformer les cons quences d une paresse naturelle d une incapacit de produire en capital symbolique contribuant sa renomm e Je me suis ferment tenu docteur en rien l cart de toute apparence de participation aux milieux qui passaient alors pour intellectuels ou artistiques J avoue que mon m rite en cette mati re se trouvait bien temp r par ma grande paresse comme aussi par mes tr s minces capacit s pour affronter les travaux de pareilles carri res Debord 2006 PAN I 1662 On le sait ce refus du travail impliqua pour Debord de se faire entretenir par de g n reux m c nes durant toute sa vie un exploit dont il n h site pas
202. commandent cette exp rience v cue il ne peut y avoir de place pour l exp rience critique et cela d autant moins que l identification fonctionne mieux Quand l acte critique est suscit il s applique l identification jamais aux processus dont le spectateur voit sur sc ne la reproduction Brecht 1970 175 Le th tre pique refuse l identification des spectateurs envers les personnages repr sent s sur sc ne Il vise principalement d velopper l esprit critique du spectateur non pas sur ce qui se produit dans l univers de la repr sentation mais sur les processus de la vie r els auxquels la pi ce fait r f rence Dans ce cadre la distanciation brechtienne doit constamment chercher sortir de la repr sentation pour se r f rer directement aux contradictions objectives du monde social existant Ce th tre politique dans son essence cherche surtout faire r fl chir le spectateur sur les processus sociaux qui conditionnent sa propre existence L acte d identification produit par l art serait carr ment perturb par le regard critique que le spectateur porterait sur les processus D s lors la question est de savoir s il n est pas possible que l art se donne pour t che de reproduire des processus r els et que par l l attitude critique du spectateur l gard des processus r els devienne une attitude artistique Il ressort de l examen de cette question qu on ne r alisera ce
203. contre le mode de fonctionnement des moyens de production artistique et les exigences de l anonyme public Dans un de ses fragments sur Baudelaire Benjamin d crit le comportement de Baudelaire sur le march litt raire la prostitution in luctable du po te par rapport au march en tant qu instance objective et par rapport au produit artistique en tant que marchandise Sanguinetti 1967 11 L avant garde se construit donc dans son rapport n gatif deux instances objectives compl mentaires contre la surd termination du march artistique d abord et contre la r ification ensuite c est dire le devenir marchandise de l art qui le transforme en objet d change dans un march C est dire quel point dans la soci t bourgeoise l autonomie de l art n est gu re qu une illusion d autonomie dans les faits l art se soumet ind niablement une s rie d instances objectives qui le pr d terminent et lui enl vent toutes ses possibilit s incendiaires On comprend ainsi pourquoi les avant gardes privil gient syst matiquement le moment de la production et condamnent bien souvent toute activit de r ception dans la mesure o cette derni re pervertit une exp rience fondamentale en la r duisant en simple objet d change Le travail des avant gardes consiste donc en cette r elle conqu te de l autonomie qui ne se r sume pas une mancipation de la forme C est travers ce mou
204. coup par coup Besogneux de la 299 d linquance sans solidarit ni coh sion les apaches ne constituent qu une masse de d class s ob issants Kalifa 2005 121 On reconna t ici l exacte vision que poss dait Debord de ses subalternes Se fantasmant comme un g n ral la t te d une arm e devant d truire le monde Debord a souvent utilis ses fins quelques voyous de ses connaissances La structure hi rarchis e de l LS lui permet d occuper cette position de dirigeant invisible la t te d une organisation clandestine et ferm e sur elle m me De v ritables rencontres il n y en eut gu re entre la boh me situationniste et les classes dangereuses car il n y avait pas r ciprocit des individus et des consciences En ce sens Debord est un digne successeur de Lacenaire mais aussi de Netcha ev l auteur russe du Cat chisme du r volutionnaire qui expliquait comment le bon r volutionnaire ne doit pas h siter manipuler les tres qui l entourent amis ou ennemis pour parvenir ses fins En ce sens on ne peut gu re s tonner que le principe moral qui a guid toute sa vie Debord le r sume dans cet enseignement du Vieux de la montagne Rien est vrai tout est permis Debord 2006 IGI 1361 Debord a probablement rencontr cette maxime chez Nietzche qui fait de la devise du chef des Assassins Hassan i Sabbah un cas exemplaire de destruction de 1
205. cours de l histoire le moment du danger 177 Michel Foucault se positionnait semblablement dans son approche d historien Voici comment il d finissait son rapport l histoire Savoir m me dans l ordre historique ne signifie pas retrouver et surtout pas nous retrouver L histoire sera effective dans la mesure o elle introduira le discontinu dans notre tre m me C est que le savoir n est pas fait pour comprendre il est fait pour trancher Foucault 2001a 1017 1018 Seules les luttes pr sentes doivent d terminer notre rapport l histoire un rapport qui ne doit pas tre de l ordre de l objectivit mais bien de l ordre de la conscience subjective L histoire doit donc venir briser l unit de notre tre de m me que l unit de l ordre mondial ce savoir doit permettre de rompre la continuit historique et provoquer une action visant la transformation des rapports sociaux 349 La fin de l esth tisme moderniste r volutionnaire des avant gardes manifeste d s l apr s guerre mais d finitive apr s les ann es soixante permit Debord de d velopper un nouveau rapport au pass dans ses uvres tardives une poque de perte de conscience historique recourir une vaste culture litt raire traditionnelle repr sente en soi un acte subversif Quand tre absolument moderne est devenu une loi sp ciale proclam e par le tyran ce que l honn te esclave craint
206. cratie l individu est appel s lever au dessus de la multitude La gloire dans ce cadre appert comme une pratique r serv e une lite distingu e une lite qui cherche d fendre des id aux f odaux partout menac s mais auxquels elle tient Gil J Wolman prit un certain plaisir dans l exercice des exclusions Plus tard quand il fut lui m me victime de cette pratique il r torqua avec humour Debord que l un n exclut pas l autre Jean Claude Bilheran refuse quant lui l id e de vengeance chez Debord L indignation est le contraire de la vengeance celle ci veut continuer la violence celle l y mettre fin Bilheran 2007 86 194 Si Debord refuse le concept juridique de propri t priv e c est pour mieux mettre en valeur une autre forme de propri t la gloire que chacun peut revendiquer pour soi de par son m rite La question de la propri t d gag e de la forme bourgeoise qu elle a depuis longtemps emprunt e se pose ici en des termes plus larges qu est ce qui me revient de droit Quelle part puis je r clamer de par mon m rite Le capitalisme en tant que sph re de domination bourgeoise red finit historiquement la propri t dans sa forme la plus bassement terrestre dans l objet ou dans sa valeur marchande qui s approprie partir du travail d autrui L aristocratie d finissait la propri t autrement la noblesse se transmettait essent
207. crite par Benjamin qui consiste en une sorte de r veil s oppose aux conceptions freudiennes du r ve comme sc ne de th tre o se jouent les tensions psychiques inconscientes de m me qu aux conceptions mystico magiques du r ve comme proph tie annonciation pr sage C est au pr sent lui m me con u comme un r ve que l ivresse s oppose et c est ce m me pr sent fantasmagorique que les situationnistes souhaiteront contrecarrer via l ivresse C est bien une critique politique du monde contemporain qui force le rejet situationniste du r ve r interpr t travers sa nouvelle fonction f tichiste comme en t moigne la th se 21 de La soci t du spectacle qui d tourne Freud Le spectacle est le mauvais r ve de la soci t moderne encha n e qui n exprime finalement que son d sir de dormir Le spectacle est le gardien de ce sommeil Debord 2006 SdS 771 La particularit des situationnistes par rapport aux surr alistes se situe au niveau de leur rejet tr s net de l inconscient Dans le Rapport sur la construction des situations Debord critique explicitement la part d irrationnel attach e aux pratiques surr alistes Nous savons finalement que l imagination inconsciente est pauvre que l criture automatique est monotone et que tout un genre d insolite qui affiche de loin l immuable allure surr aliste est extr mement peu surprenant Debord 2006 RCS 312 313 Debo
208. cupaient aucune tude et ne pratiquait aucun art c tait les gens les plus impr visibles d une heure l autre et parfois assez dangereux Debord 2006 PAN I 1665 Debord pr sente sa rencontre avec les classes dangereuses comme correspondant pour lui l entr e dans la vie adulte s achever de s instruire et comme ce qui trace une voie d finitive cette derni re il en reste videmment des traces durables Mais subsiste t il une diff rence fondamentale entre la part prol taris e et la part bourgeoise ou cultiv e de cette m me jeunesse nihiliste qui terrifie les honn tes gens de Paris Debord semble vouloir maintenir une certaine distance quand il dit que ce milieu des entrepreneurs de d molitions s tait alors m l de pr s aux classes dangereuses il laisse entendre qu une distinction originaire demeure ce sont les entrepreneurs en d molition c est dire les lettr s marginalis s qui se joignent aux classes dangereuses et non l inverse Nous avons donc affaire dans un premier temps deux milieux distincts Mais les lettristes contrairement aux surr alistes qui faisaient sans cesse l loge des criminels sans jamais se m ler eux entreprennent v ritablement un processus de devenir classes dangereuses en vivant avec elles on m ne largement leur vie Faisant de la transgression de la loi le moyen par excellence de la r volution les lettr
209. d go sme est tol r e mais on le pr sente toujours comme structurellement n cessaire au syst me la perspective de gratification individuelle est le moteur de la comp tition entre individus mais aussi au sein du march et donc aussi le moteur d une production suppos ment b n fique tous On tol re l go sme individuel uniquement dans la mesure o ce dernier engendre des richesses partager collectivement On retrouve cette thique protestante du capitalisme dans le discours social qui pr sente presque toujours les grands patrons et les grands entrepreneurs de ce monde comme des mod les de r ussite leur exemple doit tre gratifiant et difiant et comme des mes g n reuses productrices d emplois et de revenus collectifs Aujourd hui le personnage conceptuel de l entrepreneur qui r ussit dans les affaires remplace peu peu le personnage de l artiste cette autre grande figure cr atrice dont la fonction sociale et imaginaire fut si importante dans la modernit L arch type du grand capitaliste loin des anciennes repr sentations marxistes qui ont longtemps domin se pr sente d sormais sous les traits sympathiques et bienveillants d un grand cr ateur d un g nie parfois illumin qui sert sa collectivit en imposant ses visions Debord comprit cette nouvelle repr sentation historique du bon capitaliste et il voulut en donner sa propre version avec Lebovici dont il admir
210. d changer que veut r former l avant garde moderniste Michael Stone Richards crit ce propos On pourrait en dire autant de tous les grands mouvements d id es de la culture moderne dont le romantisme le symbolisme et le surr alisme qui posent les bases de toute conception d avant garde comme projet En revanche l impressionnisme et le fauvisme n affectent que la peinture Stone Richards 2001 89 97 L apport historique du surr alisme dans cette tradition se retrouve dans l importance accord e l image en tant que moteur central de transformation de la vie Le surr alisme a t ainsi le premier mouvement r aliser l clatement de l univers de la fiction et sa mutation en un champ d exp rience Apostolid s 1990 730 L clatement de l univers de la fiction en ce sens quivaut l appropriation individuelle d un domaine narratif transmis autrefois sous le mode de la passivit Le surr alisme advient comme conqu te subjective d une culture re ue et diffus e dans un contexte spectaculaire il s agit d sormais de se servir de cette derni re en d multipliant ses l ments en une s rie d images chocs devant transformer l appareil de production culturelle lui m me Ce champ de l imaginaire compris au sens d espace o peuvent circuler des images s est d velopp d une fa on rapide au cours des vingt cinq derni res ann es Par opposition au champ fic
211. d Son multiplicados los caminos que llevan a la singularidad no todos sendereados Los m s nuevos aunque arduos suelen ser atajos para la grandeza Baltasar GRACIAN El h roe L thique personnelle de Debord Michael Stone Richards dans son article N o sto cisme et thique de la gloire le baroquisme chez Guy Debord la qualifie justement comme une thique de la gloire travers une recherche historique rigoureuse sur les sources culturelles et philosophiques de l thique personnelle de Debord Stone Richards souligne l importance d terminante du Grand Si cle et du mouvement de Pr ciosit dans la sensibilit de Debord Il ne fait aucun doute que cette thique de la gloire il la d veloppe et la fait sienne en fr quentant certains crits du classicisme et de la pr ciosit Racine Retz Madeleine de Scud ry Saint Simon 179 Corneille On retrouve en effet au sein de la culture aristocratique pr c dant le r gne de Louis XIV une certaine pratique de d passement de soi pratique que Stone Richards d finit ainsi La gloire est une morale des passions qui pousse l individu au del de lui m me et lui donne le moyen le courage de ne supporter aucun affront aucune atteinte la libert f t ce au prix de la mort Ce n est videmment pas une thique de l humilit et le christianisme a toujours t profond ment troubl par la conduite qu implique l thique de la gloire
212. d j ai trouv bon de m adonner au renversement de la soci t et J ai agi en cons quence Et depuis lors je n ai pas comme les autres chang d avis une ou plusieurs fois avec le changement des temps ce sont plut t les temps qui ont chang selon mes avis Debord 2006 1GI 1768 je souligne Ndr L histoire de sa vie en vient se confondre avec l Histoire et c est pour cela que Debord s imagine lui m me comme un individu qui exerce une souverainet dans le temps sa parole prend m me valeur de proph tie Davantage qu un symbole Debord se pr sente surtout comme quelqu un qui agit qui cherche modifier le cours des choses Il consid re d ailleurs que son discours critique sur la soci t fut le seul 168 avoir engag l avenir m me de cette soci t tant est grande la parole dite en son temps Debord 2006 JGJ 1791 Il est admirable de constater que les troubles qui sont venus d un lieu infime et ph m re ont finalement branl l ordre du monde Debord 2006 IGI 1778 affirme t il en s appropriant la responsabilit des mouvements de 1968 qui se sont r pandus la surface du globe Dans cet imaginaire Debord confond son propre devenir avec le devenir historique le temps subjectif de la conscience et le temps objectif des soci t s repr sentent deux facettes d une m me temporalit D o l ivresse d une toute puissance ressentie par Debord
213. d l identification la figure du d tective est bloqu e exactement pour les m mes raisons que pour Baudelaire Baudelaire n a pas crit de roman policier parce que sa structure pulsionnelle lui rendait impossible l identification avec le d tective Le calcul le moment de la construction se trouvait chez lui du c t de l asocial Il fait partie int grante de la cruaut Benjamin 2002 25 26 Dans une logique proche de celle de De Quincey 146 Ce n est pas tant l acte meurtrier qui int resse De Quincey dans l art de l assassinat que la pens e du plan et la virtuosit de son ex cution De Quincey est le premier reconna tre un certain g nie aux meurtriers dessinant une vision positive de la criminalit dont la culture populaire du XX si cle allait s emparer quand le crime mergera comme produit culturel part enti re On sait que la figure de l antih ros criminel deviendra la norme au XX si cle notamment dans le cin ma avec des films comme Le d mon des armes Gun Crazy et Bonny and Clyde L avant garde artistique anticipe ce ph nom ne 297 pour l auteur des Fleurs du mal comme pour l auteur de Hurlements en faveur de Sade c est uniquement du c t du criminel que se trouve le v ritable g nie Si le roman policier naissant vient souvent justifier l appareil r pressif de plus en plus dans l esprit populaire le crime en vient n anmoins cristalliser la r volte s
214. d nonc s par le courant moraliste orgueil plaisir exaltation du moi ambition Plus encore il fait l loge du vice et du mal dans la mesure o tous les moyens sont bons pour passionner l existence y compris ceux qui s opposent la morale commune Cet individualisme farouche oppose jusqu un certain point Debord au mod le aristocratique classique qui institue un comportement h ro que dans lequel la raison et le c ur doivent intervenir afin de limiter et r primer les instincts les moins nobles le respect des droits d autrui la mod ration la justice s introduisent dans la morale h ro que par une critique toute glorieuse de la d mesure et de l avidit B nichou 1948 37 Debord au contraire revendique sa propre d mesure On comprend que les affinit s entre Pascal et Debord se font uniquement dans un cadre ath e qui rejette le recours la foi Parlant des pro situs Debord crit dans ses Th ses sur l LS et son temps La participation l IL S fut leur jans nisme comme la r volution est leur Dieu cach Debord 2006 VSI 1109 207 Le rapport entre Debord et les moralistes ne peut cependant se r sumer en un simple renversement de leurs valeurs op r via le d tournement Par del l opposition la d valorisation moraliste de la nature et de l homme c tait d ailleurs le th me central du deuxi me livre des Po sies de Lautr amont ouvrage fondament
215. d et surtout une r volte thique g n ralis e qui assure imm diatement la juste tendance politique et litt raire de sa production vanescente Mais il faut bien admettre que le mouvement surr aliste fut sans cesse divis sur cette question et qu une tendance r actionnaire n h site pas se montrer au grand jour D s l origine en effet se dessine dans les positions d fendues par le groupe une double tendance d une part on peut d celer certains l ments d une critique radicale de la fonction m me de l artiste dans la soci t d autre part on assiste l laboration et la diffusion d une nouvelle conception de l art qui pr serve le caract re sp cialis de l activit artistique apportant de nouvelles justifications morales aux pr tentions litaires des milieux litt raires et picturaux Janover 1980 25 26 Les surr alistes sont donc demeur s prisonniers de conceptions bourgeoises en partageant cette croyance au r le providentiel d une lite celle de l avant garde Breton a aussi d s le d but d clar vouloir rompre avec une pratique qui livre au public les r sidus litt raires d une certaine forme d existence sans donner cette forme elle m me Benjamin 2000b 114 86 politique ou artistique Cette notion a passablement limit la diffusion de la lib ration surr aliste mais elle n a pas pu l emp cher Les situationnist
216. d r v latrices les accusations syst matiques de plagiat de la part de ceux m mes qui s autorisent de la n cessit du plagiat Pour ses Hurlements en faveur de Sade Debord revendique une primaut sur les monochromes d Yves Klein et les silences de Cage Jaspierre 2002 653 254 sa plus grande beaut Debord 2006 226 227 Parce que le cin ma narratif traditionnel demeure fonci rement aristot licien parce qu il engage n cessairement des processus d identification et de projection il demeure un outil essentiel permettant de projeter son existence sur un plan mythique Debord n a pas cherch dissimuler cet aspect Il convient ce propos de lire une Note sur l emploi des films vol s r dig e par Debord en 1989 l intention de l historien du cin ma Thomas Y Levin Dans le film La Soci t du spectacle les films de fiction d tourn s par moi ne sont donc pas pris comme des illustrations critiques d un art de la soci t spectaculaire contrairement aux documentaires et actualit s par exemple Ces films de fiction vol s sont charg s quel quait pu tre leur sens pr c dent de repr senter au contraire le renversement du renversement artistique de la vie Derri re le spectacle il y avait la vie r elle qui a t d port e au del de l cran J ai pr tendu exproprier les expropriateurs Debord 2006 1411 1412 Ce que Debord admet sans d tour c es
217. dans le monde Debord 2006 1506 C est ce parti pris de la vie contre l ternit qui d finit la nouvelle conception de la souverainet mergeant au commencement de l poque moderne En effet la principale source de cette forme de souverainet Debord l identifie dans la mise en place d un nouveau dispositif du savoir et du pouvoir apparu durant la Renaissance La possession nouvelle de la vie historique la Renaissance porte en elle la rupture joyeuse avec l ternit Son temps irr versible est celui de l accumulation infinie des connaissances Dans la vie exub rante des cit s italiennes dans l art des f tes la vie se conna t comme une jouissance du passage du temps Debord 2006 SdS 827 Debord valorise la Renaissance comme une poque de rupture avec le temps cyclique selon lui cette p riode red couvre l historicit de l tre et d veloppe une v ritable pratique du passage du temps Le temps ternel de l ordre divin se s pare du monde terrestre qui d couvre sa propre nature mortelle et finie La conscience aigu de la mortalit et de la finitude du monde permet une valorisation de la politique en tant que pratique profane la conscience historique issue de l exp rience des communaut s d mocratiques va reprendre avec Machiavel le 213 raisonnement sur le pouvoir d sacralis dire l indicible de l tat Debord 2006 SaS 827
218. de l tat A travers l criture de soi Debord se d double et devient image pour les autres C est uniquement travers cette duplicit qui vacue l imm diatet du v cu qu il parvient se constituer comme mythe qui 168 perdurera dans le temps Mais il faut l admettre et voquer Debord en exemple la soci t m diatique offre aussi de nouvelles possibilit s mancipatrices ce sujet de l audiovisuel D sormais l id al du moi rencontre un territoire privil gi dans des pratiques m diatiques partout accessibles partout diffus es une poque o le web d mocratise encore davantage l acc s la culture nous sommes l aube d une nouvelle approche de la r ception et de la cr ation Les possibilit s de d tournement 167 propos de la fascination servile produit par l autorit de Debord Apostolid s crit Et la machine ne cessera de produire son effet de pi ge tant que l image de Debord ne sera pas critiqu e comme un produit paradoxal de la soci t marchande Apostolid s 2006 217 Il ne faut pas interpr ter ce positionnement spectaculaire marchand comme un r sultat accidentel ou comme une tentative de falsification mais bien comme une donn e inscrite au c ur m me de l uvre 168 Tout comme Roland Barthes Marshall McLuhan reconna t que la soci t m diatique contemporaine est une fabuleuse usine de mythes nouveaux comme en t moignent ces propos tir
219. de souligner un parall lisme entreles deux d marches po tiques l onirique et la toxicologique il appara t plus instructif d insister sur les diff rences autant id ologiques que formelles Bien s r tout ceci se r alise partir d un m me fond commun une conception nouvelle de l art ouvrant ce dernier aux domaines de la morale et du politique conception qui largit consid rablement le champ d action du sujet cr ateur et de son uvre En ce sens on ne peut nier que le groupe surr aliste a jou un r le majeur dans la r organisation de la production culturelle au XX si cle et tous les mouvements d avant garde qui tent rent par la suite de d passer l art se positionn rent n cessairement dans le sillon surr aliste 95 Tout en demeurant conscient de l immense influence du surr alisme sur la pratique et la pens e situationnistes j insisterai davantage sur cette diff rence que revendiquent les situationnistes et ce m me si Debord n est pas rest fid le cette posture id ologique privil giant les forces de l ivresse Cette posture difficilement tenable long terme pour quiconque veut laisser sa trace impliquait le d s uvrement l oubli et la d possession du sujet voquant l art absent des lettristes Debord proclame en 1959 qu un film d art sur cette g n ration ne sera qu un film sur l absence de ses uvres Debord 2006 POP 477 Plusieurs ann es plus tard il
220. dente sur le processus d id alisation ce processus de mise distance possible par la repr sentation est pour lui une n cessit vitale afin de redonner une bonne sant la machine pour que cette derni re puisse continuer de fonctionner en tant que machine Mais les situationnistes plus pr s des forces dionysiaques que des forces apolliniennes ne sont fid les qu au premier moment de la cr ation la pure ivresse l irritabilit de la machine Contrairement aux surr alistes ils refusent de passer par le processus d id alisation qui quivaut au moment de la formalisation Cette tape d id alisation les surr alistes la jugent donc n cessaire et primordiale et leur permet d chapper aux potentiels destructeurs de l ivresse C est donc toujours avec une extr me prudence que les surr alistes avancent sur le terrain de l ivresse dont ils redoutent les cons quences notamment sur le plan de la coh sion sociale qui soude le groupe 4 On pourrait objecter que l criture automatique mise de l avant par le mouvement se trouve plus du c t de l ivresse dans la mesure o elle avance dans l anarchie sans le moindre souci formel Mais la plupart des surr alistes n ont gu re pratiqu cette forme extr me d criture automatique ils retouchaient souvent leurs po mes et leur prose est souvent tr s travaill e pensons cette l gance classique qu on retrouve dans le verbe de Breton En
221. dique Debord devra donc la cr er lui m me Tous ceux qui d fendent une propri t ou des titres re us par h ritage sont litt ralement des imposteurs que Debord d nonce vertement Que Debord soit obs d par la question du faux et par le personnage du faussaire le falsificateur qui transforme sans cesse le r el t moigne de son d sir de construire un nouveau type de m ritocratie bas sur ce qu il consid re tre le v ritable m rite de chacun La v rit d un individu ne lui est jamais donn e par d autres par h ritage ou par partage c est par son action dans le monde que l individu se construit lui m me en dehors de toutes sph res de passation entre les g n rations 1l n existait rien au dessus de nous que nous ayons pu consid rer comme estimable Debord 2006 IGI 1373 C est ce refus de l h ritage qui diff rencie surtout la g n ration de mai 68 de l aristocratie en r volte lors de la Fronde cette derni re acceptait le principe de diff renciation sociale issue d une s paration originaire et divine La place de chacun tait d j connue La r volte de l aristocratie de basait sur ce qu elle croyait tre son droit dans un cadre o le respect de la tradition et de l autorit dominait Au contraire la nouvelle m ritocratie r v e par Debord demeure fid le aux principes r publicains d un champ social de diff renciation bas sur le m rite par comp tences Debord accep
222. division du travail quelques rares privil gi s C est d ailleurs une des seules valeurs positives qu il affirme avoir retenues de son enfance bourgeoise Je n ai jamais vu de bourgeois travaillant avec la bassesse que comporte forc ment leur genre sp cial de travail et voil pourquoi peut tre j ai pu apprendre de cette indiff rence quelque chose de bon sur la vie Debord 2006 PAN I 1662 En ce sens le capitaliste moderne est un homme fort et puissant 1l est l incarnation moderne du Prince qui tire sur les ficelles du monde C est le v ritable souverain moderne en ce sens que c est un strat ge utilisant tous les moyens sa disposition pour profiter de la plus value et donc du travail d autrui Le prince capitaliste s l ve au dessus de l humanit 17 Il est possible de retourner cette affirmation contre elle m me si Lebovici ne se soucie gu re de largent n est ce pas d abord parce qu il en poss de beaucoup Il est toujours facile aux riches de feindre le m pris de l argent 33 ordinaire et fonde sa propre libert sur l exploitation de cette masse Sa sup riorit il ne l a pas acquise par le de sang par h ritage ce mot et son r f rent d go tent Debord au plus haut point mais dans la mythologie populaire par ses propres efforts acharn s et par sa propre d termination Le capitaliste est par d finition l homme qui se construit lui m me un
223. dr Breton et ses camarades ont eux m mes d fini le surr alisme par rapport sa production d images fulgurantes On peut d duire qu une certaine id e des violents effets de l image se trouve la base de l esth tisme des surr alistes et certainement aussi de plusieurs autres groupes d avant garde J explorerai cette notion en confrontant les th ories benjaminiennes aux concepts surr alistes et en tentant de comprendre comment une nouvelle conception du r le de l image est un moteur 89 potentiellement f cond pour l art du XX si cle Je montrerai finalement comment les situationnistes d veloppent leur propre po tique travers une critique de l image et de la mythologie surr aliste Pour les avant gardes du XX si cle le concept d exp rience devient central et d termine la pratique artistique comme le rappelle Walter Benjamin lorsqu 1l voque le mouvement surr aliste on sait aussi qu il est ici question d exp riences non de th ories encore moins de fantasmes Benjamin 2000b 116 La forme comme exp rience de vie la vie comme forme voil bien la devise essentielle du surr alisme qui reprennent le projet initial du Sturm und Drang Le mouvement situationniste poursuit aussi cette conception romantique de l art mais il se d veloppe dans la conscience critique des erreurs surr alistes Les deux axiomes essentiels de l avant garde esth tisation de la vie quotidie
224. du plagiat qui postule qu une politique r volutionnaire peut d river d un proc d artistique Jaspierre 2002 645 En ce sens les situationnistes ont contribu valider cette id alisation tenace de l appropriation au sein du monde artistique contemporain La valorisation de l appropriation en tant qu activit subversive et critique est devenue un lieu commun dans la critique d art actuelle Dans un article consacr cette question Sven L tticken remet en question ce pr suppos partag par les utopistes d un cyberespace communiste In a culture in which materials are everywhere appropriated and re 110 Laurent Jaspierre critique lui aussi ce postulat Une m me illusion traverse les id ologies cyber communiste et marxiste illusion partag e par les situationnistes celle de passer imm diatement de la pens e l tre du dire au faire L acc s aux moyens de communication et aux ordinateurs la disparition des droits d auteur sont des conditions n cessaires mais insuffisantes une d mocratisation de la culture la cr ation de nouvelles formes de vie Jaspierre 2002 658 251 appropriated how can appropriation as such be intrinsically progressive L tticken 2005 110 Sans avoir juger a priori de la valeur artistique intrins que des uvres bas es sur l appropriation il faut n anmoins questionner le mythe selon lequel l appropriation est en soi toujou
225. e L on voit que Blanqui est un r volutionnaire de la g n ration pr c dente Engels 1873 non pagin 128 Selon Apostolid s Si l id e de soci t secr te flotte presque constamment dans l atmosph re qui environne Debord et son groupe c est qu une raison profonde devait conduire les situationnistes esquisser au moins le geste symbolique de se cacher Le partage d un savoir dangereux fait d eux des fr res des gaux Apostolid s 2006 220 281 r le dans l histoire artistique et sociale de son temps La l gende qu il tient imposer est celle d un individu qui a port lui seul le poids d une lourde t che historique En grande partie le travail du n gatif en Europe pendant toute une g n ration a t men par moi Debord 2006 CAG 1572 Le fonctionnement quasi clandestin des situationnistes justement inspir par la tradition des politiques conspiratrices est bien connu tout comme leur m fiance envers leur propre popularit ou r cup ration Ainsi le rejet de la pratique artistique s par e et donc du positionnement dans le spectacle peut aussi tre interpr t travers le prisme des intentions cach es de Debord savoir fonder une Internationale en partie secr te sans uvres prenant sa source dans la rumeur et la l gende de sa propre existence s ditieuse mena ant l ordre du monde D ailleurs le fonctionnement hyper sectaire des situationn
226. e Le bruit court que ceux qui l expropriaient l ont pour comble gar e Debord 2006 GI 1399 1400 La conscience baroque se manifeste de nouveau dans l poque contemporaine qui est une poque dans laquelle tous les rep res traditionnels disparaissent emport s par le tourbillon destructeur de la modernit On retrouve un parall le vident entre le moment baroque et la soci t du spectacle le spectacle en tant que myst rieux op rateur du monde de l artifice est ce monde de illusion g n ralis e L ali nation par rapport au monde des marchandises devient une manifestation moderne du r ve baroque L ali nation v cue dans un univers radicalement transform par la marchandise appara t tout d abord au sein d une s paration dramatique entre l homme et son milieu Les hommes n habitent plus la Terre comme leur propre plan te comme le lieu de leur demeure mentale et physique ils traversent leur propre existence comme des touristes comme 338 des spectateurs bahis devant un monde hostile qu ils ont renonc comprendre et diriger D noncer ce pseudo d sir n quivaut videmment pas une volont de retour un d sir plus authentique qui pr existerait au r gne de la marchandise Sans doute le pseudo besoin impos par la consommation moderne ne peut tre oppos aucun besoin ou d sir authentique qui ne soit lui m me fa onn par la soci t et son histoire Mais la ma
227. e Debord a crit les paroles d une chanson qu il attribue faussement un membre de la Bande Bonnot La java des bons enfants Cette chanson fait l loge de l action directe et des attentats la bombe en particulier 301 comme des erreurs tactiques majeures au pire comme une pratique manipul e par l Etat afin de discr diter et de r primer l ensemble des mouvements r volutionnaires Debord tablissait donc clairement la distinction entre le r el et le symbolique en ce qui concerne cette question 4 5 Sous le masque de Lacenaire le v ritable visage de Debord La morale aristocratique de Debord se d couvre enti rement travers son appropriation de la figure de Lacenaire Cette figure qui occupe le r le principal parmi tous les d tournements d n girum joue en effet un r le central dans la sensibilit de Debord Dans n girum Debord d tourne de larges pans du classique de Marcel Carn sc naris par son fid le complice Jacques Pr vert Les enfants du paradis 1945 classique du cin ma fran ais r alis dans la clandestinit durant l occupation Ce film qui explore la mythologie attach e au Paris populaire du si cle pr c dent le Paris de la rue et du Boulevard du crime marqua grandement toute une g n ration merveill e devant la fantaisie et la po sie du duo Carn Pr vert qui le d couvre dans l imm diat apr s guerre Dans Pan gyrique Debord revient encore une fois sur
228. e Debord se construit en tant que mythe devant traverser le temps et qu il se produit lui m me en tant que l gende Les m moires se pr sentent par ailleurs sous la forme du bilan comme le r sum et la somme d une vie C est partir d elles que tout le reste doit tre r valu Je dirai ce que J ai aim et tout le reste cette lumi re se montrera et se fera suffisamment 23 comprendre Debord 2006 PAN I 1658 Seuls les M moires permettent de saisir chaque moment au sein d un ensemble plus vaste parce qu elles offrent une perspective loign e sur une vie consid r e selon sa signification globale au sein de l Histoire 1 3 L uvre comme potlatch Quant lui le travail effectu au sein des Internationales lettriste ou situationniste n est pas n gliger mais il faut d abord consid rer les groupes comme des objectivations de leur chef Apostolid s 2004 958 c est dire comme une forme de production de soi et un mode d apparition privil gi s par Debord certains moments de son existence Il serait vain de nier le d sir de communaut chez Debord mais chez lui ce d sir est d abord li au domaine de la puissance plut t qu au domaine du partage du dialogue et de la r ciprocit Les collectifs repr sentent pour Debord la fois une mode d ext riorisation en tant que concentration de forces les groupes permettent Debord d accro tre sa puissance et d
229. e aussi riches que la sienne Cette volont de potlatch se trouve toutefois consid rablement limit e par une volont contraire qui est celle d un contr le du sens de son h ritage qui s affirme de plus en plus partir d In girum quoique d j en 1972 en d cidant unilat ralement de dissoudre l LS Debord s assurait un certain contr le sur la port e historique de son groupe J ai fait en sorte qu aucune pseudo suite ne vienne fausser le compte rendu de nos op rations Debord 2006 IGI 1785 Le potlatch perd dans cette optique son caract re de gratuit de pure d pense liminant toutes dimensions utilitaires Le don ne perd il pas son caract re d sint ress d s qu il se produit dans l attente d un contre don ou d un r sultat calcul Jacques Derrida crivait ce sujet La temporalisation du temps m moire pr sent anticipation engage toujours un processus de destruction du don dans la garde la restitution la reproduction la pr vision ou l appr hension anticipatrice qui prend ou comprend d avance Derrida 1991 27 C est pourquoi la pratique du potlatch chez Debord semble assez singuli re elle est la fois don et pari pour un r sultat Cette pratique s inscrit chez lui dans une thique de la transgression car le potlatch subvertit la forme classique de l change en cela la conception du potlatch de Debord s inspire directement de celle de Georges Bat
230. e conformisme g n ralis et aux habitudes pr fabriqu es qui marquent nos corps et nos esprits On retrouve un aspect r solument moraliste dans la d marche de Debord si sa vie se pr sente comme exemplaire ce n est pas simplement sous le mode du mod le suivre mais d abord et surtout par la libert totale qu elle revendique C est pour cette raison que dans l esprit de plusieurs Debord repr sente une sorte de mod le ind passable de lucidit et d action radicales pour une poque posthistorique ou postpolitique La d fense passionnelle de la totalit de l uvre de Debord comme horizon ultime de 12 radicalit devient le leitmotiv de toute une frange de la critique La posture contraire qui consiste en un rejet pur et simple d coule de la strat gie de division profond ment ancr e dans toute la d marche de Debord Cette strat gie de division s explique notamment par l absence totale de s paration qu on retrouve dans l uvre entre la dimension politique et la dimension esth tique Pour Debord le domaine de l expression est de facto politique tout comme le champ politique lui m me est soumis des enjeux po tiques Peu importe les m dias utilis s la d marche de Debord est toujours imm diatement politique c est dire prise au sein d un processus de combat visant la suppression des conditions existantes L art ainsi con u comme v ritable machine de g
231. e d tournement est un exercice d identification au h ros Ranci re 2005 93 Malgr la r f rence Brecht l essence du d tournement d uvres fictionnelles consiste en une r appropriation de la vie spectaculaire celle que nous ont confisqu e Hollywood et son star system Ce n est pas par hasard si la question de la 258 star pr occupe tant Debord qui devait connaitre les textes classiques Edgar Morin crits ce sujet durant les ann es 60 Dans son film Sur le passage de quelques personnes Debord affirme c est le besoin qu on a d elle qui cr e la star C est la mis re du besoin c est la vie morne et anonyme qui voudrait s largir aux dimensions de la vie de cin ma La vie imaginaire de l cran est le produit de ce besoin r el La star est la projection de ce besoin Debord 2006 POP 482 483 La star en concentrant en elle m me les d sirs individuels de gloire et de passion refl te la mis re du besoin dans la soci t actuelle Plut t que de nier le caract re id el de la vie incarn e dans la star Debord le d tourne son propre profit afin de repr senter sa vie C est pour cette raison que Debord a sans cesse besoin d investir de nouvelles figures h ro ques et mythiques dont plusieurs sont issues de la culture populaire C est ainsi que les nombreux films d tourn s par Debord nous renseignent sur la vie de leur manipulateur Lacena
232. e de l autoportrait que r side l originalit essentielle du personnage Debord est un des grands autobiographes ou autoportraitistes de cette seconde moiti du si cle Kaufmann 2001 58 En effet le g nie propre de Debord r side essentiellement dans la sublimation de sa propre existence sur un plan mythique Il conviendra ici de r fl chir la singuli re pratique m morialiste de Debord qui r actualise un genre litt raire ancien Car Debord en d cidant d crire son moi s ins re dans une longue tradition dont 1l a pleinement connaissance Ne serait ce que dans la litt rature fran aise on retrouve d j un tortueux cheminement historique du moi en tant qu expression de l crit Cette tradition va de Montaigne aux m morialistes de la p riode classique jusqu Rousseau qui d finit le genre autobiographique moderne L uvre autobiographique de Debord s inscrit d lib r ment dans cette tradition dans laquelle par une s rie de r f rences intertextuelles elle cherche se positionner Mais avant de questionner le genre des M moires il faudra revenir bri vement sur l volution formelle du discours autobiographique chez Debord Si ce dernier prend toujours soin d laborer son discours sous une forme cod e les param tres du code utilis se modifient avec le temps Durant la p riode li e aux avant gardes les uvres personnelles produites par Debord semblaient destin es un usage strict
233. e du moi le d tournement permet de contourner l imp ratif en exprimant les divers fantasmes et projections de ses membres comme le remarque fort bien l historien de l art Fabien Danesi Ainsi le collectif n en avait pas compl tement fini avec les processus psychiques de projection qui taient tant d cri s dans le cas de la culture de masse Si Debord notait que les plus valables des recherches r volutionnaires ont cherch briser l identification psychologique du spectateur au h ros il demeure que cette identification leur offrait l occasion de se penser eux m mes comme des acteurs de l Histoire Danesi 2008 142 143 En bref si l opposition id ologique centrale se produit bien entre l identification et la distanciation chez Debord l opposition strat gique passe entre les acteurs situationnistes et les simples spectateurs de l Histoire ce public anonyme tant d test mais auquel se destine pourtant la l gende la saga situationniste Le cin ma parce qu il ne cesse de cr er de nouvelles mythologies adapt es son temps devient le lieu privil gi dans cette reconqu te de l existence dans cette 261 guerre ouverte contre l ennui et l anonymat qui aplatissent les existences dans la r p tition du quotidien Parce que le cin ma fonctionne toujours selon une conomie iconique de reproduction visuelle le d tournement y trouve naturellement son premier domaine d explo
234. e entre la violence des affects et l assurance raisonn e du style na t donc un certain effet sublime Boris Donn r sume ainsi la th orie du sublime classique Le sublime n a rien voir avec la grandiloquence une id e trouve une forme sublime quand elle s incarne en une formule frappante et d finitive en une seule m taphore choisie pour sa valeur expressive et non ornementale dans le rapprochement violent mais clairant de certains mots Boris Donn 2004a 15 Cependant avec Debord ce n est pas tant la grandeur spirituelle de l id e qu il s agit de condenser en une formule mais bien plut t la d mesure de passions excessives Je rappelle propos de la question des spiritueux que tous les 30 N est ce pas d j ce qu avaient accompli Corneille et Racine dans leur th tre si repr sentatif de l thique aristocratique du Grand Si cle 64 t moignages que l on poss de convergent vers cette version des faits Debord tait parmi les lettristes et les situationnistes tous pour la plupart de tr s bons buveurs celui qui tenait le mieux l alcool c est dire celui qui laissait le moins para tre son tat d ivresse Ce fait nous laisse imaginer l intense capacit de contr le d un sujet s approchant d tats limites difficiles supporter la suppos e virilit des alcooliques ne r side t elle pas justement dans cette f lure qui advient entr
235. e film devient une incarnation cach e de Louis IT de Bavi re et donc de Debord lui m me le jeu des masques se multipliant dans un pli baroque potentiellement infini Dans le num ro 24 de Potlatch Debord revient encore une fois sur ce film qui marque son imaginaire Dans les salles obscures que la d rive peut traverser il faut s arr ter un peu moins d une heure et interpr ter en se jouant le film d aventures qui passe reconna tre dans les h ros quelques personnages plus ou moins historiques qui nous sont proches relier les v nements du sc nario inepte aux vraies raisons d agir que nous leur connaissons et la semaine que l on est soi m me en train de passer voil un divertissement collectif acceptable voir la beaut du Prisonnier de Zenda quand on sait y nommer Louis de Bavi re J Vach sous les traits du comte Rupert de Rantzau et l imposteur qui n est autre que G E Debord Debord 1954 132 133 Pour les lettristes le seul bon usage dont on peut faire du cin ma consiste en une projection identification intense suivi d une appropriation qui prend la forme d un d tournement mythologique De cette mani re le film n existe plus en tant que spectacle s par il devient partie int grante du monde imaginaire du sujet tant d tourn et revisit par lui Dans la fiction traditionnelle les lettristes rencontrent donc via une intense activit d introjection un divertissement c
236. e groupe situationniste Debord critique non seulement ses disciples mais aussi tous les camarades membres du cercle restreint de l LS Ce qu on d c le derri re les critiques acerbes de Debord c est la d ception de ne pas avoir su trouver de v ritables gaux c est dire des personnalit s capables d un don de soi quivalant au sien Debord reproche aux Narcisses de la soci t du spectacle de pr f rer eux m mes leur propre image de 29 n tre pas assez go stes en somme de ne pas s aimer vraiment Il serait heureux d tre confront d autres vrais go stes pour r aliser si je puis dire la conspiration des Ego affirme avec justesse Bilheran 2007 167 L absence d go sme affich par l individu contemporain cache derri re un voile d hypocrisie une part d ali nation certes n cessaire pour la coh sion sociale mais nuisible dans une certaine mesure pour l int grit psychique de l individu Pour Debord la fid lit soi m me constitue une pratique mancipatrice essentielle tout processus r volutionnaire m me s il faut n anmoins marquer les limites pr cises qui bornent n cessairement cette autorit Debord 2006 PAN I 1659 Les limites qui bornent l autorit naturelle du sujet sont celles d une certaine v rit de la communaut dont il convient bien s r de reconna tre l existence Mais si l Autre existe bel et bien il n est pas forc
237. e l id e situationniste du d passement des arts non pas comme un rejet de leur contenu mais plut t comme un d sir de les faire passer la vie Debord rejoint ainsi le pouvoir d monique propre la litt rature moderne depuis Don Quichotte jusqu Madame Bovary Debord se r f re cette force d monique contenue dans l id alit des Lettres dans un d tournement de ses M moires de 1957 Les romans la mode leur avaient tourn la t te Ils se prenaient eux m mes pour des h ros de romans Debord 2006 MEM 443 il est fort significatif que ce d tournement se r f re dans son contexte originel aux responsables de la Fronde L enjeu consiste toujours faire passer les signes dans le r el confronter l ordre symbolique au v cu mettre l id e au d fi du vivant La folie le d sespoir et le suicide sont des embuches r currentes dans ce parcours faustien de l les attributs h ro ques dont aiment s aur oler les perdants 44 magnifiques qui s engagent sur cette voie C est pourquoi la vie de Debord couronn par un suicide annonc rel ve aussi du fragi comique Il conviendrait ici de pr ciser l usage singulier que Debord fait du langage Contrairement ce que pr tend une d finition h rit e du formalisme et du structuralisme l expression litt raire ne peut se limiter cette id e d un usage intransitif du langage c est dire un usage autor flexif devant s op
238. e pour un art r volutionnaire ind pendant qu il co crit avec L on Trotski en 1938 Breton s affirme parfaitement en accord avec l id e d une action dictatoriale de la part des lites r volutionnaires au niveau de l conomie politique et dans l organisation des forces sociales mais il milite en contrepartie pour un privil ge de libert absolue accord e uniquement aux forces intellectuelles Si pour le d veloppement des forces productives mat rielles la r volution est tenue d riger un r gime socialiste de plan centralis pour la cr ation intellectuelle elle doit d s le d but m me tablir et assurer un r gime anarchiste de libert individuelle Aucune autorit aucune contrainte pas la moindre trace de commandement Les diverses associations de savants et les groupes collectifs d artistes qui travailleront r soudre des t ches qui n auront jamais t si grandioses peuvent surgir et d ployer un travail f cond uniquement sur la base d une libre amiti cr atrice sans la moindre contrainte de l ext rieur Breton amp Trotski 1938 non pagin 87 prol tariat devait se synchroniser avec la disparition paradoxale de la classe ouvri re elle m me L chec de l L S encore une fois advient dans le caract re litiste et s par de ses activit s Nous tions l pour combattre le spectacle non pour le gouverner Debord 2006 VSI 1125 Pour contrer la passivit du spectateur pou
239. e pourtant une force de l uvre de Debord ce proc d participe la cr ation de son propre mythe qui doit briller travers une vari t de points de vue antinomiques 211 3 4 Personnalit et pouvoir la souverainet baroque Ce qu il faut craindre ce n est pas tant la vue de l immoralit des grands que celle de l immoralit menant la grandeur Dans la d mocratie les simples citoyens voient un homme qui sort de leurs rangs et qui parvient en peu d ann es la richesse et la puissance ce spectacle excite leur surprise et leur envie ils recherchent comment celui qui tait hier leur gal est aujourd hui rev tu du droit de les diriger Il s op re ainsi je ne sais quel odieux m lange entre les id es de bassesse et de pouvoir d indignit et de succ s d utilit et de d shonneur TOQUEVILLE De la d mocratie en Am rique La question de la souverainet chez Debord se d gage de la question institutionnelle elle est d abord affaire d individualit une manifestation de la personnalit Si bien que la notion de la souverainet mise de l avant par Debord est similaire celle d velopp e th oriquement par Georges Bataille qui crivait ce sujet La souverainet dont je parle a peu de choses voir avec celle des tats que d finit le droit international Je parle en g n ral d un aspect oppos dans la vie humaine l aspect servile ou subordonn Ba
240. e pouvoir et par le contr le alors que tant d indices m nent vers cette conclusion 300 la morale et de la v rit Rien est vrai tout est permis Nous faisons une exp rience Versuch avec la v rit Peut tre la v rit va t elle en p rir Eh bien soit cit dans Blondel 1986 129 Quand les situationnistes abandonnent le terrain de l art pour se consacrer principalement la r volution politique en 1961 ils choisissent de quitter le mod le de la boh me artistique afin d adopter celui de la boh me conspiratrice Dans cette trajectoire le groupe a n anmoins besoin de conserver certaines repr sentations utiles dans leur t che d laboration d une mythologie moderne Le crime et les classes dangereuses occupent cette fonction la fois repr sentative et identificatoire Cependant les limites d un romantisme de l ill galit dans le cadre d une politique r volutionnaire ont depuis longtemps t expos es par Gyorgy Luk cs dans son important texte L galit et ill galit De que Debord connaissait bien D ailleurs Debord n a gu re succomb ce lyrisme dans le cadre de ses crits l poque de PIS contrairement son camarade Raoul Vaneigem De m me durant les ann es 153 70 Debord a rapidement d nonc les divers terrorismes de gauche au mieux 151 Nietzsche en parle plus longuement dans La g n alogie de la morale Lorsque les crois s chr
241. e pratiquer le grand style Nietzche accorde le privil ge d exercer une certaine violence Perniola vante d ailleurs le caract re rugueux voire d plaisant de Debord Nietzsche estimait que la grandeur d me n est pas compatible avec les vertus aimables le grand style exclut l agr able A une poque qui a fait de l agr able et du d sinvolte les qualit s les plus reconnues Debord se pr sente ses contemporains de mani re pre et rigoureuse Perniola 2001 212 Cette violence de la pens e que les auteurs s imposent eux m mes se transf re aussi parfois au monde ext rieur surtout quand ce dernier ne se soumet pas au monde de la pens e en se trouvant en inad quation avec l Id al On retrouve ici les pr misses provoquant la rupture entre Debord et le monde moderne et son ralliement un syst me anachronique de valeurs associ au code d honneur aristocratique 56 Une personnalit surhumaine ne peut s exprimer qu avec grand style chez Debord ce grand style prend la forme sentencieuse d un sujet assur de ses jugements il additionne ses avis et ses directives avec une passion froide la fois d tach e et impliqu e Le grand style pr suppose donc l acte de violence d un sujet qui adopte le point de vue de la totalit comme l explique Claudio Magris Le grand style pr suppose que l on regarde d en haut ce qui implique l existence d un point d
242. e se v hiculer aux autres Le 267 d tournement appara t comme une forme de communication cod e dans laquelle un moi se d couvre partiellement dans une sorte de jeu engageant autrui Entre lui et les autres il Debord place ses images non seulement pour garder ses distances et ne pas se sentir envahi mais aussi pour inviter des partenaires jouer Apostolid s 2004 962 Les forts investissements motionnels qui se nouent entre lui et divers l ments de l univers culturel Debord d cide de les utiliser son profit travers un syst me baroque d expression du moi un syst me domin par l emploi du masque du double et du simulacre Debord l ve ainsi la puissance propre l art la puissance du faux son plus haut niveau D gag de son rapport illusoire au vrai ou au v ridique l art moderne r alise pleinement sa v ritable nature qui r side dans son caract re illusoire et artificiel Pour Debord c est sa propre vie qui devra s embellir l aide des puissances du faux c est via cette m tamorphose qu il parvient faire entrer son existence dans le mythe 268 4 2 Le lettrisme et la jeunesse criminelle Pour un r volutionnaire il n y a qu un r gime possible LA REVOLUTION c est dire LA TERREUR Assassins bandits forbans vous f tes les premiers r volt s Le parti immonde des honn tes gens vous a consacr s au dieu de la l chet et de l hypocrisie
243. e son uvre Ce travail de lecture d gag d aprioris commenc par d autres avant moi reste encore largement faire Plus notre connaissance de la biographie de l homme progressera plus des documents in dits seront disponibles ce qui ne saurait tarder avec l achat des archives de Debord par la Biblioth que nationale de France l tat fran ais ayant d sormais class Debord parmi ses tr sors nationaux et ce principalement pour emp cher la 163 vente de ses archives l Universit Yale plus le sens cach de l uvre derri re 16 Voici ce qu un article r cent r v le du contenu de ces archives l auteur de Pan gyrique avait m ticuleusement class ses archives dans des cartons manuscrits sc narios de films carnets de r ves et m me jusqu ses c l bres lunettes et une table pliante sur laquelle est coll e une fiche pr cisant qu elle lui servit crire La Soci t du spectacle Nous avons d couvert un ensemble merveilleux raconte Beno t Forgeot Outre les manuscrits de tous ses livres s y trouvent un projet inachev de dictionnaire intitul Apologie tout le mat riau notamment iconographique ayant servi ses films et des centaines de fiches de lecture sous forme de bristols avec les ouvrages correspondants 323 laquelle se cache l homme v ritable pourra appara tre ceux qui veulent la lire sans parti pris Derri re cette d construction du mythe ce
244. e toute autre chose n entre pas dans nos consid rations qui sont s rieuses L id e d ternit est la plus grossi re qu un homme puisse concevoir propos de ses actes Debord 2006 RCS 326 L v nement ou la situation par d finition s oppose au jugement L v nement c est ce qui est impr visible inattendu c est un acte ou une action qui vient d chirer toutes les grilles de pr visibilit aussi bien que le sch ma de r p tition dans lequel tourne inlassablement la r alit qui nous recouvre En bref v nement c est l irruption du R el en tant que v rit transcendant la r alit L v nement ne peut tre compris dans son essence qu travers son rapport au temps L v nementialit appara t dans une sorte de disjonction rupture du temps normal La th orie situationniste soutient r solument une conception non continue de la vie Debord 2006 RCS 326 La suspension de la causalit naturelle d finit l irruption de l v nement et c est pourquoi l art v nementiel HD RE LS 7 38 des situationnistes consiste en une strat gie d lib r e pour chapper au jugement 38 Nous sommes aujourd hui dans une s quence historique domin e partout par le Jugement selon le sens que lui a donn Gilles Deleuze le jugement suppose des crit res pr existants valeurs sup rieures et pr existants de tout temps linfini du temps de telle m
245. e un tat extr me de d possession de soi et une apparente ma trise que le sujet exerce jusqu l puisement C est justement cela le grand style une appr hension de l exc s propre la psych humaine permise par la concentration des forces Ce que Debord parvient faire c est domestiquer la violence qui marque son existence en exprimant avec une conomie de moyens d sarmante l exc s propre toutes pulsions la violence de ces forces d moniques qui menacent l int grit du sujet On rencontre d ailleurs certainement un effet cathartique dans le grand style Dans la collection debordienne de citations et de formules qui tentent de rendre l effet du temps qui passe et de la mortalit qui efface tout ne retrouve t on pas aussi une certaine fa on d appr hender la mort en la rendant acceptable l esprit Quand il crit il n y a pour moi pas de repos La sagesse ne viendra jamais 2006 IGI 1788 1789 Debord veut signifier ceci il sera fid le jusqu au bout cette passion d vorante qu il a d cid de vivre pleinement sans la conjurer Sa passion de l ivresse qu il identifie son attachement m lancolique au violent passage du temps n est qu une modalit dans ce conflit entre le sujet et des puissances qui le transissent En ce sens Debord se rapproche m me dans son classicisme d un certain baroquisme qu il appr ciait celui de Shakespeare ou de 65
246. e un ensemble de sujets quelconques ne s identifiant aucune part reconnaissable ou identifiable de l espace social Le prol tariat n est pas seulement le parti des ouvriers c est bien davantage le parti de tous les sujets absents de la politique institu e la question n est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement mais toujours d une mani re qui leur chappe Debord 2006 POP 543 Debord poursuivant certaines id es de Marx et de Luk cs red finit philosophiquement le prol tariat non pas par sa situation conomique mais par son niveau de conscience dans le jeu politique global comme la part de ceux qui n ont rien et qui ne sont rien sur l chiquier du pouvoir En ce sens tous ceux qui sentent que leur vie leur chappe autant dire peu pr s tout le monde peuvent revendiquer l appellation paradoxale de prol taire gt Si Debord pr tend parler au nom des sans part il parle d abord et surtout partir de sa propre position subjective en tant que sujet l cart de la politique officielle et qui rejette cette derni re En bref l insatisfaction personnelle est premi re dans le d sir de r volution la r alit dont il faut partir c est l insatisfaction Debord 2006 541 Debord rencontre ici ce que Jacques Ranci re d signe comme tant la source essentielle de la politique savoir l identification et la reconnaissance d un tort fondateur
247. ectacle est un livre si li des luttes circonscrites si li l atmosph re d une poque qu il est difficile de pr voir la post rit qui l attend En outre l id e que la th orie du spectacle soit la cl de la r volution venir est loin de faire l unanimit Dans tous les cas il me parait pr somptueux de pr senter comme le faisait Debord La soci t du spectacle comme le plus grand ouvrage de tradition marxiste de la seconde moiti du XX si cle un peu comme le fut Histoire et conscience de classe de Luk cs pour la premi re moiti Seul l avenir nous dira si l ouvrage de 1967 continuera d influencer les pratiques et les pens es r volutionnaires des g n rations futures car tel est bien le seul crit re pouvant valuer la pertinence de cette reformulation th orique du probl me de l ali nation et de la fausse conscience au sein d une soci t hyperm diatique Debord pensait lucidement que les th ories doivent tre remplac es Debord 2006 IGI 1769 car le temps les use comme il use tout ce qui est vivant Les th ories meurent et se repositionnent selon les n cessit s des combats alors que le Mythe lui peut perdurer et continuer d engager les hommes d influencer leurs actes et leurs pens es Pour ces raisons il est permis d accorder une importance particuli re aux textes s inscrivant dans la tradition m morialiste Car c est dans ses r cits autobiographiques qu
248. ectaculaire m me si ses efforts en ce sens furent louables Plus encore il a aussi travaill en vain dans la mesure o tout cela fut totalement inutile simples remous la surface du temps Finalement c est sa propre existence qui est vaine condamn e l oubli la perte Parce qu il ne voulait absolument pas 210 d h ritiers r els ou symboliques Debord sait que son uvre n allait jamais fructifier Les naufrageurs n crivent leur nom que sur l eau Debord 2006 IG 1779 L originalit de la r cup ration debordienne du classicisme r side dans le fait que cette derni re inclut les deux mouvements culturels dominant cette poque l exaltation h ro que du moi aristocratique et la condamnation de l thique de la gloire au sein du pessimisme moraliste travers une dialectique qu il active dans son uvre Debord d sire d passer l opposition traditionnelle entre ces deux moments du classicisme Les deux oppositions s annulent quand elles se superposent dans un m me mouvement int grateur Debord n a pas voulu trancher entre ces deux options antith tiques en insistant plut t sur leur coexistence fondamentale au sein de sa propre existence quivoque En privil giant ainsi la contradiction Debord se prot ge de toutes interpr tations trop d finitives et pr sente la valeur de son entreprise travers une ambig it insoluble Cette construction du moi dans le paradoxe constitu
249. eds light on the author s attempts at a writing of the self Such writing according to Debord is intimately connected to the creation of a legend The introduction shows how Debord s unique trajectory blurs the traditional boundaries that divide aesthetics and politics It explores the various means through which Debord attempts to redefine the status of the artist and the function of writing through a transformation of everyday life In this context artistic production becomes entirely subservient to Debord s character to his singular personality that manifests itself through the creation of a Grand style By emphasizing the importance of lived experience over that of the work itself Debord s maneuvers are entirely within the modernist tradition Indeed chapter II shows how Debord attempts to participate to the politicization of aesthetics a project that is also central to that of the historical avant garde Special emphasis is placed on how Debord s work was constructed on the ruins of surrealism To distinguish himself from his immediate predecessors the Situationist movement substituted the Surrealist infatuation with dream states with a poetics of intoxication based on d rive urban drifting and on the intensification of the self The last section of this chapter explores how both Surrealism and Situationism attempted to create modern forms of myths vi Chapter III deals specifically with the mythological constr
250. elle purement formelle de Baudelaire l attitude politique de Baudelaire notamment en 1848 est exemplaire il ne se bat pas pour la R publique mais pour la r volution qu il aime en tant que telle dans une sorte de l art pour l art de la r volte et de la transgression Bourdieu 1998 132 La r volution ne rel ve chez eux nullement de la raison mais plut t de la passion elle quivaut un mode d tre au monde L engagement r volutionnaire subordonne enti rement la forme de vie de celui qui en porte l exigence la r volution appara t comme le moment politique de la n gativit moment qui impose des postures subjectives Debord ne s y trompe pas quand il explique sa vision de l articulation po sie r volution dans l important article All the King s Men co crit avec Raoul Vaneigem en 1963 Il ne s agit pas de mettre la po sie au service de la r volution mais bien de mettre la r volution au service de la po sie Toute r volution a pris naissance dans la po sie s est faite d abord par la force de la po sie Debord 2006 616 Dans le m me ordre d id e Walter Benjamin soulignait la g mellit des sensibilit s de Baudelaire et de Blanqui qui repr sentent pour lui deux facettes compl mentaires d un m me XIX si cle travers par un constant mouvement de rupture avec l ordre bourgeois dominant Ce n est pas un hasard si la figure moderne de l a
251. ement ali n s c est dire prisonniers du regard de l Autre et de son jugement craint et attendu Partout r gne cette impression d tre surveill jug valu par un grand Autre inidentifiable inassignable mais pourtant sans cesse pr sent Pour le sujet plus aucun exil n est possible ses faits et gestes partout sont potentiellement disponibles aux autres L enfer c est les autres mais avant on pouvait au moins s enfuir un moment C est l histoire du pass Dans un monde unifi on ne peut s exiler Debord 2006 1673 Le moi image tant d sormais partout accessible pour une infinit d autres sujets je ne me pense plus moi m me qu en fonction de ce rapport m diatis avec ces autres sujets L imago du moi s en trouve irr m diablement modifi e Dans la soci t spectaculaire l image de soi prise dans un miroir ne s vanouit jamais chacun est amen vivre en permanence avec son reflet et avec celui des autres La possibilit du regard est sans cesse multipli e tout s offre au regard de l autre rien ne lui chappe De m me que je peux jouir sans limites du spectacle de l autre l autre peut jouir tout moment du mien Dans cette soci t de voyeurs la conscience du moi social du moi en tant qu image devient permanente dans l esprit Je me vois constamment agir de l ext rieur comme si je me regardais vivre Dans cette configuration c est le rappor
252. ement priv et leur diffusion demeurait souvent limit e la communication se voulait principalement intragroupale Le syst me complexe de r f rences et de d tournements utilis par 148 Debord d s ses premi res uvres servait alors ce projet de fermeture du discours travers un herm tisme protecteur Debord a compos ses textes selon un code qu il faut d crypter afin de saisir ce qu il veut vraiment dire Or il ne tient pas tre compris par le tout venant Il a donc brouill les pistes afin que saisissent seulement ceux qui se seront donn la peine de d chiffrer le code Apostolid s 2006 19 l poque o Debord participe des groupes d avant garde il ne cesse de r p ter ce pr suppos la vraie vie d couverte par les explorateurs lettristes se trouve au del de la repr sentation et jamais elle ne pourra s y r duire ce sujet Debord d clare dans son troisi me film Les secteurs d une ville sont certains niveaux lisibles Mais le sens qu ils ont eu pour nous personnellement est intransmissible comme toute cette clandestinit de la vie priv e sur laquelle on ne poss de jamais que des documents d risoires Debord 2006 CdS 546 Ainsi le v cu des avant gardes de la vie quotidienne doit rester clandestin priv en diffusant cette id e Debord perp tue l image du groupe comme association d initi s unis dans le secret partageant un sav
253. en expliqu Georges Bataille Dans ses relations sentimentales marqu es par le libertinage Debord agit de la m me fa on en exigeant de ses camarades d tre la hauteur de cette transgression perp tuelle qui fonde sa r volution de la vie quotidienne Guy Debord se pose comme juge et arbitre de la r volution individuelle de ceux qui l entourent Bourseiller 2006 non pagin Dans une lettre de jeunesse Debord t moigne de la jouissance que lui procure le fait d tre entretenu par d autres Je me console en constatant que je triche aux cartes sur une grande chelle qu avec une fille de mes amies je vole dans les magasins et que je me fais un peu entretenir Debord 2004 72 Dans une autre lettre de jeunesse on retrouve ce d tournement d une critique litt raire des 720 journ es de Sodome de Sade qui r v le la v ritable importance que Debord accorde l argent comme source de puissance et de libert personnelles Au reste l argent n est rien de plus que le moyen d tre le plus fort le moyen par excellence d chapper toutes entraves cr es par la soci t pour diminuer le plaisir Debord 2004 149 219 Ce qui distingue la souverainet est la consommation de richesses en opposition au travail la servitude qui produisent des richesses sans les consommer Le souverain consomme et ne travaille pas L au del de l utilit est le domaine de la
254. ens e au point o l auteur doutait de leur valeur universelle C est une humeur m lancolique qui m a mis premi rement en t te cette r verie de me m ler d crire Et puis me trouvant enti rement d pourvu et vide de toute mati re je me suis pr sent moi m me moi pour argument et comme sujet C est le seul livre au monde de cette esp ce d un dessein farouche et extravagant Montaigne 2002 159 Or Debord situe lui m me son uvre autobiographique dans la lign e de Montaigne un des auteurs les plus importants pour lui Dans Pan gyrique Debord se r f re 7 Au courant des ann es 70 Debord s amuse sur une carte du monde crire une g ographie litt raire pour chaque pays il inscrit le nom des auteurs ayant le plus marqu sa formation intellectuelle Le document est d une grande valeur parce que Debord hi rarchise lui m me les auteurs selon l importance qu ils ont pour lui il met entre parenth ses ceux qu ils consid rent comme des influences mineures tandis que les influences majeures sont crites en majuscules Voici les auteurs que Debord estime le plus en 1974 Cervant s Shakespeare Swift Montaigne Gondi Bossuet 174 directement lui lorsqu il crit Montaigne avait ses citations j ai les miennes Un pass marque les soldats mais aucun avenir C est ainsi que peuvent nous toucher leurs chansons Debord 2006 PAN I 1681 Il est permis de voir
255. ent aux confr ries r volutionnaires du si cle pr c dent leur structure de soci t secr te Le maintien du secret et de l anonymat autour d un groupement r volutionnaire produit structurellement du mythologique et une machine de rumeur hostile entourant l existence m me du groupe C est en ce sens que Debord fusionne la figure de l artiste maudit avec celle du conspirateur de profession il veut incarner dans un m me mouvement ces deux puissances de la n gation Son art comme son action politique sont tous deux profond ment marqu s par le secret utilis la fois comme outil de pouvoir personnel au sein des groupes et comme m canisme de fascination devant subjuguer les esprits Debord a sciemment utilis une strat gie du secret la fois pour se prot ger lui m me et pour construire un mythe fonctionnel entourant son 127 Pour fournir un exemple paradigmatique de la vision marxiste officielle on peut rappeler les propos polis mais peu flatteurs d Engels sur Auguste Blanqui Blanqui est essentiellement un r volutionnaire politique Il fut avant tout un homme d action qui croyait qu une petite minorit bien organis e pourrait en essayant au bon moment d effectuer un coup de main r volutionnaire entra ner sa suite la masse du peuple et r aliser ainsi sa r volution victorieuse Sous Louis Philippe il ne pouvait videmment constituer ce noyau que sous la forme d une soci t secr t
256. ente 2010 du manifeste de David Shields Reality Hunger Manifesto 618 paragraphes num rot s dont la moiti est compos e de d tournements nous montre que l poque n a jamais t aussi favorable un tel type de cr ation litt raire Plus encore ces essais fournissent l image d un nouveau type de g nie litt raire non plus bas sur l expression originale directe mais sur le choix et le montage de diverses citations auxquelles on a retir les guillemets en assumant pleinement le contenu titre d auteur En quoi ce nouveau mode de construction du discours est il moins profond moins original que l criture traditionnelle qui vise l authenticit Cette question risque de devenir obsol te rapidement Car il ne s agit bien s r pas simplement de voler des morceaux aux autres mais bien de composer une nouvelle uvre organique l aide de ces fragments Ce n tait qu une question de temps avant que les techniques d appropriation d abord popularis es au sein des arts visuels gagnent le terrain de la litt rature Rien ne nous emp che de croire que de grandes uvres pourront na tre de tels proc d s dont Debord fut parmi les premiers appliquer dans le domaine litt raire En ce sens il faudra bien reconnaitre que les M moires de 1957 constituent un des ouvrages po tiques les plus novateurs de la seconde moiti du XX si cle 170 L art de citer sans guillemets
257. er que Debord a su tr s jeune qu il allait marquer son temps du moins en a t il formul le souhait tr s t t En 1951 il crit son ami Herv Falcou J attends avec impatience mais fatigue le moment de rentrer dans le si cle a pourrait lui faire mal au si cle Debord 2004 85 Cette tendance la mythomanie Debord l h rite principalement de son premier ma tre qui lui ouvre la porte des avant gardes Isidore Isou Quand il publie sous forte influence isoudienne la premi re version de son sc nario de Hurlements en faveur de Sade Debord crit dans la pr face Comme je n aime pas crire je manque de loisirs pour une uvre qui ne serait pas ternelle Debord 2006 46 Isou se pr sentait comme le cr ateur le plus important de son si cle Debord imitera par la suite cette posture d sirant acc der imm diatement une sorte de notori t scandaleuse On peut m me dater le moment exact durant lequel Debord d cida de quitter son univers restreint pour s inventer un nom en cr ant un personnage mythique la hauteur de ses ambitions Dans une autre lettre qu il crit Falcou en 1951 Debord voque ce que repr sente pour lui l ann e 1950 ainsi que la m lancolie que lui inspire le passage du demi si cle L t 50 est en route vers l histoire On y a aim Orph e Les Enfants terribles au cin ma l air du Troisi me Homme les enfants qui s aiment On tait comm
258. ertir l existence m me de la soci t dans son d veloppement global et de jouer cette derni re dans une sorte de pari d mesur Dans cette optique le mythe se substitue n anmoins une r volution absente Il ne repr sente qu une tape accidentelle sur le chemin de l mancipation Comme le souligne Danesi pour les situationnistes le mythe ne repr sentait pas un but en soi mais un moyen le mythe se trouvait au c ur de l ambition de l LS de cr er une nouvelle soci t Danesi 2008 37 Mais quand toute perspective r volutionnaire s vapore de la surface de la Terre il ne reste que le mythe Comme l exemple de l LS le d montre durant le XX si cle le mythe ne fut pas uniquement le territoire de l extr me droite si on se r f re sans cesse au mythe 57 En connaissant l int r t situationniste pour les soci t s secr tes qu ils prennent comme mod le structurel pour leur organisation il est troublant de remarquer que pour Bataille c est surtout au sein des soci t s secr tes que le mythe trouve les conditions parfaites de son laboration le secret touche la r alit constitutive de l existence qui s duit non quelque action contraire la suret de l tat Le mythe na t dans les actes rituels d rob s la vulgarit statique de la soci t d sagr g e mais la dynamique violente qui lui appartient n a d autre objet que le retour de l
259. es ou artistiques il n existe pas une telle chose que des sp cialistes pouvant l gitimer leurs discours par leurs connaissances plus ou moins approfondies d un domaine mais seulement des imposteurs sachant se comporter comme chez eux l o une passion les m ne En g n ralisant on peut dire que les critiques du monde anglo saxon privil gient un Debord r volutionnaire tandis que les Europ ens et Fran ais poss dant plus souvent les r f rences n cessaires pour bien saisir la sensibilit classique de l auteur de Pan gyrique d montrent une meilleure compr hension de l aspect thique et de la d marche intertextuelle de Debord Micheal Stone Richards commente dans son article Reflexion on the French and the American Perception of Guy Debord 1999 les nombreuses divergences culturelles qu on rencontre dans la r ception continentale et am ricaine de Debord la seconde moiti du XX si cle Ce d passement de l art c est le passage du nord ouest de la g ographie de la vraie vie qui avait t si souvent cherch pendant plus d un si cle notamment partir de la po sie moderne s auto d truisant Debord 2006 1465 La r volution repr sente seulement un moyen et non pas une fin dans ce projet qui consiste faire de sa propre vie une uvre en soi C est uniquement au sein d un jeu de la guerre englobant la totalit du territoire la vie et l
260. es de vie et sur les rapports intersubjectifs dans laquelle l art doit tre d pass en tant qu activit sp cialis e Cette vision messianique du r le politique de l art a passablement modifi l image ancienne de la 18 Ici comme souvent le discours de Debord fonctionne dans la duplicit tout en feignant de rejeter la possibilit d une comparaison avec Villon Debord effectue du m me coup cette comparaison avec le ma tre criminel de la po sie fran aise 270 boh me Mais cette vision moderniste ne fait que radicaliser le projet initial de la boh me historique qui entretenait d j l ambition de faire du domaine esth tique un projet spirituel sup rieur codifiant les pratiques de la vie quotidienne L Internationale lettriste L L cr e par Debord et quelques uns de ses amis en 1952 en dissidence au mouvement lettriste dirig par l expatri roumain Isidore Isou et dissous en 1957 lors de la fondation de la plus c l bre Internationale situationniste I S appara t comme un lieu exemplaire o se ren gocie la tradition de la boh me issue du XIX si cle notamment via les liens que le groupe entretient avec une autre cat gorie sociale celle des classes dangereuses Pour les lettristes la fusion souhait e de l art et du v cu ne peut avoir lieu qu au sein d une vie engag e qui se confronte sans cesse au danger aux fronti res de la loi et des normes sociales S1 les po tes
261. es faibles incapables de se dominer qui ha ssent la suj tion du style Nietzsche 1997 235 236 Seules des natures fortes et tyranniques peuvent s adonner cet exercice de contr le de soi que repr sente la pratique du grand style C est dire que ce sont 55 d abord des natures fyranniques envers eux m mes qui peuvent pratiquer cet art Pour Nietzsche il s agit surtout de contr ler ses passions de ne pas se laisser dominer par elles Ma triser le chaos que l on est contraindre son chaos devenir ordre devenir n cessit dans la forme devenir loi c est la grande ambition Nietzsche cit dans Blondel 1986 162 Ma triser le chaos que l on est signifie se donner une loi une forme une direction l ensemble des affects et des passions qui nous habitent et qui fragmentent notre exp rience subjective Pour Nietzsche l exp rience subjective du sujet est par d finition d cousue anarchique informe La forme est le produit d une volont de puissance qui veut donner une direction une multiplicit de forces dispers es Le grand style r duit et comprime les dissonances de la vie en une harmonie unitaire En ce sens il est aussi violence c est la violence m taphysique d une pens e qui impose aux choses la camisole de force de l identit et fait d elles les symboles d un universel Magris 2003 13 Aux esprits sup rieurs capables d
262. es organis s du XIX si cle Un internationalisme plus vaste et moins sot rique absorba et convertit par la suite les nergies des rebelles internationaux et seuls des r volutionnaires aussi notoirement archa que et romanesque que Bakounine continu rent de fonder des Alliances secr tes de ce type Hobsbawn 1963 189 En effet dans l historiographie marxiste on s accorde g n ralement pour dire que la politique conspiratrice tend peu peu dispara tre durant la seconde moiti du XIX si cle avec la formation d intellectuels ouvriers et l int gration des revendications des sans voix dans la structure semi l gale du Parti r volutionnaire Pour Walter Benjamin il ne fait aucun doute que les conspirateurs tendent dispara tre gr ce l mergence de la conscience de classe que permet la 126 diffusion du marxisme C est aussi ce que pense Eric Hobsbawn l v nement k 125 Les classes laborieuses autrefois laiss es elles m mes et condamn es suivre les ordres des conspirateurs en chef commencent s organiser s rieusement durant la seconde moiti du XIX si cle En recrutant et en formant des intellectuels elle m me la classe ouvri re assure son autonomie politique et s mancipe des conspirateurs politiques issus de la petite bourgeoisie La mont e de la classe ouvri re organis e et la constitution des grands partis socialistes t moigneraient donc de la f
263. es reprendront en partie les m mes pr jug s que leurs a n s malgr leur volont d liminer la tenace s paration entre chefs et ex cutants cette division hi rarchique des t ches qui traverse l ensemble des mouvements r volutionnaires Ils ne parviendront pas r soudre cette antinomie tenace entre le principe d galit et l absence bien r elle d galit au sein des groupes L IS a toujours t anti hi rarchique mais n a jamais su tre galitaire Debord 2006 VSI 1129 La dissolution de l IS d cid e par le seul Debord en 1972 s explique en partie par cet chec PIS avait selon lui d finitivement int gr l conomie spectaculaire Il s agissait de l en d gager afin de diffuser partout le message situationniste dans les masses et ce non plus sous le mode d une image id alis e de l organisation faite pour plaire une gauche pass iste et r cup ratrice Une in vitable part du succ s historique de l LS l entra nait tre son tour contempl e La force du n gatif mise en jeu contre le spectacle se trouvait aussi admir e servilement par des spectateurs Debord 2006 VS 1104 La destin e essentielle de l avant garde correspond son autodissolution a travers la r alisation de son action En r alisant la r volution l LS tait appel e dispara tre en tant que mouvement de la m me fa on que la dictature du 35 Dans le Manifest
264. espace de la ville moderne est justement cela un espace o nul ne peut chapper au regard de l Autre Partout l homme des villes se d place au sein des masses ces gestes peuvent toujours tre rep r s Le genre policier t moigne de cette nouvelle conscience de l homme urbain face aux nouvelles techniques de la gestion polici re L mergence des services secrets de la police politique et des agents doubles modifie durablement le rapport de l homme moderne au crime ainsi 12 Dans la France du Second Empire la police politique se d veloppe un niveau de perfectionnement in gal cette poque de grands criminels deviennent bient t de grands indicateurs puis des chefs de police Vidocq Partout l tat infiltre les groupements potentiellement mena ants nulle part on ne peut tre s r que continue d exister une vie priv e en dehors d un regard inquisiteur Comme dans les tats totalitaires tout le monde est potentiellement un d lateur tout le monde est potentiellement coupable Par ailleurs notons que les premi res grandes institutions d espionnage modernes se d veloppent au XIX si cle la police politique du Tsar l Okhrana fut pendant longtemps une sorte de mod le ind passable 293 qu sa propre culpabilit r elle ou imaginaire Au XIX si cle en particulier la foule urbaine passionn e par les faits divers est d ailleurs avide de ces ex cutions et de ces supplices offerts e
265. essus sur toutes formes d obligations y compris celles que commande son art Debord ironise d ailleurs sur cette inad quation entre lui et les imp ratifs de son temps Notre poque de technicien fait abondamment usage d un adjectif substantiv celui de professionnel Personne ne peut douter que j ai t un bon professionnel Mais de quoi Tel aura t mon myst re aux yeux d un monde bl mable Debord 2006 PAN I 1678 L ext riorit de Debord ne concerne pas seulement l institution litt raire et artistique elle s applique l poque enti re De cette inad quation na t l intempestivit de l uvre On ne s tonnera pas que Debord s imagine secr tement comme un imposteur il appara t en tant qu crivain ou en tant que cin aste mais ces fonctions types ne correspondent pas l essence de son tre d gag de toute obligation y compris celle de constituer une uvre Debord ne se d finit que par l action C est donc pourrait on dire avec une certaine honn tet que Debord nie les tiquettes qu on lui attribue pour lui les pratiques de l criture du cin ma ou m me de la r volution deviennent des moyens au service d une cause qui transcende toute 38 activit sp cialis e Son rapport ambivalent au statut d crivain semble d ailleurs r current alors qu il refuse moins volontiers le qualificatif de cin aste Dans Pan gyrique il rejette l
266. est en corr lation tr s troite avec la th orie du montage Benjamin 1989 416 336 5 2 N obaroque et anachronisme L histoire est toujours contemporaine c est dire politique Antonio GRAMSCI Depuis quelques que d cennies la question du baroque est revenue en force dans les perspectives critiques sur la culture contemporaine Plusieurs penseurs s accordent pour affirmer que notre poque r active sa mani re le baroque historique ce qui appara t d abord dans le domaine de l esth tique Mais le baroque s il provoque une exaltation de la forme est d abord affaire de sensibilit une fa on d tre dans le monde En plus d avoir produit une uvre qu on peut qualifier de baroque Debord t moigne d une sensibilit n obaroque En 1989 le texte testimonial Pan gyrique tome 1 se termine d ailleurs sur un trange loge de la mentalit baroque Personne mieux que Shakespeare n a su comment se passe la vie Il estime que nous sommes tiss s de l toffe dont sont faits les r ves Calder n concluait de m me Debord 2006 PAN I 1685 Pour Shakespeare et Calder n on le sait la vie est un songe Le baroque correspond au moment o l on doute constamment de la v racit des choses dans ce monde instable et vanescent toute substance est modifiable et p rissable Si bien que toutes les choses terrestres ne sont que des ombres d elles m mes dans le vaste th tre du m
267. est le r ve aussi que nous r pudions au profit d une ivresse comme d une mar e plus haute On cherchera dans les tats d ivresse boissons drogues extases l antidote la fois du r ve et du jugement Deleuze 1993 162 Le r ve surr aliste s oppose l ivresse lorsqu il prend la forme d un syst me fantasmagorique producteur d ombres et de mort Ce r ve sans veil s oppose l exp rience empirique qui est toujours elle au del de tout jugement priori Le r ve r alise un d doublement imaginaire du monde empirique en projetant ce dernier A4 P 3 46 n dans des formes finies pour mieux le soumettre au tribunal du jugement Tel qu il est parfois pratiqu le r ve se constitue donc comme d doublement du monde invers dans l image et comme une ombre appauvrie du sujet lui m me Plut t que de lib rer les forces de la vie le r ve les conserve travers une po tique souvent pr visible faisant appel toute une s rie de f tichismes la marchandise l objet 4 Deleuze souligne avec humour que les surr alistes comme les psychanalystes sont prompts aussi dans la r alit former des tribunaux qui jugent et qui punissent d go tante manie fr quente chez les r veurs Deleuze 1993 162 113 partiel l occultisme qui bloquent le mouvement mancipateur celui du r veil Finalement c est le mouvement surr aliste lui m me prisonnier de ses propres images
268. et Jonathan Lessard Un merci sp cial mon ami Nicola Pezolet grand connaisseur de la saga situationniste avec qui j ai eu de nombreuses et inspirantes discussions propos de mon sujet Sa passion son savoir et sa perspicacit m ont souvent aid peufiner mes hypoth ses de travail Je remercie aussi Jean Marie Apostolid s qui a g n reusement partag avec moi ses impressions sur Debord et son uvre Les changes que nous avons eus ont largement contribu ma compr hension d une uvre complexe et subtile Je d sire galement remercier Amaryll Chanady Craig Ireland Nathalie Beaufay ainsi que le d partement de litt rature compar e de l Universit de Montr al Enfin je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada CRSH pour son appui financier 1 Chapitre I Introduction 1 1 Signification de Debord aujourd hui Un grand style comme les crimes parfaits doit tre longuement pr m dit Philippe MURAY Plus de quinze ans apr s sa mort le cadavre de Guy Debord continue de faire d border quantit d encre Pour un individu qui avait t relativement ignor de son vivant si on exclut un cercle restreint d amateurs la mort aura spontan ment entrain une popularit aussi intense que pr visible Car il est vrai que durant les derni res ann es de sa vie Debord a tout fait pour assurer sa gloire posthume et pour lancer son uvre dans l avenir Le principal an
269. etour de Guy l clair dans Ciret Yan dir Figures de la n gation avant gardes du d passement de l art Paris Paris Mus es Saint Etienne Mus e d art moderne de Saint Etienne M tropole pp 13 21 Donn Boris 2004b Ne r v lez jamais dans Ciret Yan dir Figures de la n gation avant gardes du d passement de l art Paris Paris Mus es Saint Etienne Mus e d art moderne de Saint Etienne M tropole pp 27 29 Donn Boris 2004c Pour m moires un essai d lucidation des M moires de Guy Debord Paris Allia 354 Donn Boris 2005 Apostilles dans Cahier critique de po sie Marseille vol 9 n 1 pp 15 19 Donn Boris 2008 Le jeu supr me de Guy Debord dans De s g n rations Paris n 6 juin 2008 pp 31 40 Duwa J r me 2008 Surr alistes et situationnistes vies parall les Histoire et documents Paris Editions Dilecta Eburne Jonathan P 2008 Surrealism and the Art of Crime Ithaca Cornell University Press Elsken Ed Van der 1956 Love on the Left Bank Londres Andre Deutsch Foucault Michel 1993 Surveiller et punir Paris Gallimard Tel Foucault Michel 2001a Dits et crits 1 1954 1975 Paris Gallimard Quarto Foucault Michel 2001b Dits et crits II 1976 1988 Paris Gallimard Quarto Gauvin Lise 2004 La fabrique de la langue Paris Points essais Gonzalves Shigenobu 1998 Guy Debord ou la beaut
270. eu Paris en 2007 Voici un extrait de ce que Boris Donn affirme Une des cl s d In girum ce sont les Essais de Montaigne Quand Montaigne d cide de se lancer dans ce projet l il a 47 ans il abandonne ses responsabilit s la municipalit de Bordeaux il estime qu il vit dans un si cle de fer et il s enferme dans sa propri t dans sa biblioth que pour construire une uvre qui doit tre le tombeau d une amiti Son ami La Bo tie est mort peu de temps avant et Montaigne a l id e de montrer que lui et La Bo tie ont t dans ce si cle qui est un si cle d asservissement un si cle de bassesse qu ils ont incarn une vraie noblesse une vraie franchise et donc il va parler la premi re personne pour faire dit il une sorte d encadrement ce Discours sur la servitude volontaire Donn 2007 Donn pr cise que Debord a lui aussi 47 ans lorsqu il r alise In girum Montaigne et La Bo tie se consid raient par ailleurs comme des V nitiens parce que pour eux Venise tait la seule patrie de la libert en Europe cette poque Or on sait que la ville de Venise joue un r le central dans In girum 175 la campagne ou pour habiter d autres villes europ ennes Debord refuse plus que jamais la culture de son poque Les r flexions qu il rend disponibles sont celles d un individu qui s est repli dans une vie priv e consid r e comme l unique lieu pr servant la dignit
271. eux jouant le r le d une formation originaire primordiale comme il l crit lui m me Cette premi re exp rience de l ill galit on veut la continuer toujours Debord 2006 ZGT 1374 S il ressent parfois le besoin de se distancier de ce milieu qu il consid re trop nihiliste c est pour mieux mettre l accent sur l aventure situationniste plus constructive celle l mais toujours en r it rant sa fid lit ce groupe de n o apaches Quand je parle de ces gens j ai l air peut tre d en sourire mais il ne faut pas le croire J ai bu leur vin Je leur suis fid le Et je ne crois pas tre devenu par la suite en quoi que ce soit mieux que ce qu ils taient eux m mes dans ce temps l Debord 2006 IGT 1369 140 D s 1953 en effet avec l article Pour en finir avec le confort nihiliste Debord tente de prendre ses distances avec le nihilisme d sesp r des enfants perdus du Quartier latin Pour lui l id e de trouver une solution la m lancolie et l abject que lui inspire la condition humaine devient vitale seul un point de fuite concentrant ses nergies lui permettrait d vacuer les pulsions suicidaires qu il prouve constamment Dans l article Debord crit Nous ne voulons aucun prix participer accepter de nous taire accepter Ne serait ce que par orgueil il nous d pla t de ressembler trop de gens Le vin rouge et la n gation dans les caf s les
272. fant mes Et les fant mes on le sait ce sont les esprits qui ne passent pas dans l autre monde restant prisonniers de la Terre Ce n est pas un hasard si le surr alisme continue de se donner en repr sentation et qu il poursuit une certaine po tique narrative Le r cit surr aliste en fixant le temps dans une image s oppose la sensation pure En cela il se transforme en mythe en syst me fini qui s oppose l irruption du nouveau L ivresse en tant qu exp rience momentan e de diverses sensations pures n a pas besoin de r cits ni d images ni de repr sentations L empirisme radical est son domaine tandis que sa principale passion est l oubli c est dire le passage irr m diable du temps En fin de compte l ivresse finit toujours son passage par une rencontre terminale la mort 2 5 Avant garde et mythe moderne Il faudrait ici poursuivre encore plus loin dans la critique du r ve surr aliste en transportant la question sur le terrain du mythe Car je pense que ce qui distingue fondamentalement le r ve surr aliste de l ivresse c est le caract re ouvertement mythologique du premier ce sujet il convient de remarquer que d s 1924 Aragon affirmait dans Le Paysan de Paris que le surr alisme devait r inventer le mythe 121 Toutefois ce n est qu en 1942 qu Andr Breton dans Prol gom nes un troisi me manifeste ou non officialise cette tendance assignant au s
273. febvre Henri 1962 Introduction la modernit Paris Minuit L wy Michael amp Sayre Robert 1992 R volte et m lancolie le romantisme contre courant de la modernit Paris Payot Critique de la politique L wy Michael 2000 L toile du matin surr alisme et marxisme Paris Syllepse Utopie critique L tticken Sven The Feather and the Eagle dans New Left Review London n 36 november december 2005 pp 109 125 Magris Claudio 2003 L Anneau de Clarisse grand style et nihilisme dans la litt rature moderne Paris L Esprit des p ninsules Mallarm St phane 1945 uvres compl tes Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade McLuhan Marshall 1977 D il oreille Montr al Hurtubise Montaigne Michel 2001 Les Essais Paris Livre de poche classiques modernes La phototh que Montaigne Michel 2002 Le meilleur des Essais textes choisis et pr sent s par Claude Pinganaud Paris Arl a Muray Philippe 1999 Le XIX si cle travers les ges Paris Gallimard Tel Nietzsche Friedrich 1974 Le Cas Wagner Paris Gallimard id e Nietzche Friedrich et al 1979 Friedrich Nietzsche Paul R e Lou von Salom correspondance Paris Puf Perspectives critiques 356 Nietzche Friedrich 1985 Le cr puscule des idoles Paris GF Flammarion Nietzche Friedrich 1996 G n alogie de la morale Paris
274. fficace qui se contente de transgresser les valeurs de la culture qu il attaque en les reconnaissant au pr alable Rien en effet du point de vue de la proc dure ne permet de faire la diff rence entre d tournement et r cup ration Jaspierre 2002 654 250 For the SI the re representation of images in an artistic context would only mean their integration into an art world that is itself part of spectacle the d tournement of texts and images in pamphlets magazines or posters had to go beyond this the Situationists demanded the negation of art itself as one prerequisite for an end to the spectacle L tticken 2005 119 Pour les situationnistes le d tournement doit se produire au sein d une n cessaire n gation de l art en tant qu activit spectaculaire Le d tournement est la fois th orie critique en action et prise de conscience du d p rissement des formes artistiques anciennement admises ainsi qu une r int gration des d bris culturels au sein de l exp rience v cue Il ne peut advenir en tant qu op ration de reconqu te et de reconstruction qu l poque des ruines et de la d sint gration de la communication authentique la fois n gation de l origine et affirmation du nouveau le d tournement appara t aux situationnistes comme l ultime forme expressive des avant gardes visant le d passement de l art Le d tournement se situe dans une tradition d une utopie
275. fi s qui se croient instruits et des morts qui croient voter Debord 2006 G1 1336 La critique de Debord sur les illusions des classes moyennes se d clame sur une s rie d images voquant le confort climatis moderne habitation et d coration int rieure consommation de marchandises voyage Debord explique que ce n est pas la possession ou la consommation de tels objets qui font d une personne un v ritable propri taire de sa vie en voquant notamment le caract re illusoire des richesses que pr tend distribuer la soci t actuelle Debord 2006 IZGI 1343 Les salari s actuels ces consommateurs du n ant sont m me d sormais s par s de leurs propres enfants nagu re la seule propri t de ceux qui n ont rien Debord 2006 IGI 1338 35 On comprend que Debord s attaque surtout aux classes moyennes lorsqu il affirme s en prendre d abord au public du cin ma Le public du cin ma qui n a jamais t tr s bourgeois et qui n est presque plus populaire est d sormais presque enti rement recrut dans une seule couche sociale du reste devenue large celle des petits agents sp cialis s dans les divers emplois de ces services dont le syst me productif a si imp rieusement besoin gestion contr le entretien recherche enseignement propagande amusement et pseudo critique Debord 2006 GI 1335 Parce qu elle se situe dans un entre deux la classe moyenne qui
276. fondir cette question en analysant les sources culturelles aux sources de l id e de character Car la personnalit m me de Debord m diatis e dans des films ou dans des livres nait d une conception de la personnalit prenant ses sources dans l litisme aristocratique ayant domin une culture classique qui a tant marqu Debord d s sa jeunesse Je vais tout d abord analyser les particularit s de l criture du moi de Debord car c est d abord dans ses uvres autobiographiques que Debord s est lui m me construit comme mythe et qu il a fig l image scandaleuse de son caract re hostile aux valeurs dominantes M me si le projet m morialiste s labore comme vaste projet litt raire et qu il se d veloppe travers un vaste r seau de r f rences intertextuelles on verra comment l criture autobiographique de Debord emprunte n anmoins des voies rh toriques et des strat gies discursives uniques et nouvelles La question du caract re est d abord une question de singularisation On peut d finir un caract re comme un sujet libre au point d ignorer les lois de la cit ou les diktats de la morale commune en cr ant des voies d expression et d action qui lui sont propres Cette libert morale dans le comportement est associ e historiquement l aristocratie cette classe privil gi e r gie par son propre syst me de loi au dessus celui s appliquant la multitude et s opposant la cen
277. geaient le silence m me de quelqu un qui ouvre un paquet de bonbons D autre part il n est pas encore venu d adversaires et perturbateurs du film ce qui ne manquera pas d arriver aussi Je ne m tends pas ici sur les conclusions tr s importantes que l on peut en tirer sur le plan politique ef sur le plan artistique Si Eduardo est Florence montre lui cette lettre pour lui donner des regrets quant son d part de Paris avant cette date historique Puis tu pourras le consoler avec du chianti Debord 2006 1280 1281 Debord pr cise dans cette lettre qu il n tait pas pr sent sur les lieux lors de cette date historique et qu il rapporte en fait ce que lui ont eux m mes rapport s les observateurs qu il avait sur place On peut penser que les observateurs envoy s par Debord ont peut tre l g rement embelli l histoire 169 chemins emprunt s au c ur de Paris t moignent de cette subjectivation de l espace parall le une appropriation du temps On retrouve aussi ce souci au sein des indications spatiales tr s pr cises fournies par Debord dans ses m moires Par exemple dans Pan gyrique pour localiser l pop e lettriste il crit Cela se situait entre l automne de 1952 et le printemps de 1953 au sud de la Seine et au nord de la rue de Vaugirard l est du carrefour de la Croix Rouge et l ouest de la rue Dauphine Debord 2006 PAN I 1668
278. gne de composer une uvre d art galit des mati res et des objets Mais l avant garde ne peut tre d finie uniquement comme une exp rience formelle se lib rant des dogmes de la tradition Il faut tout d abord pr ciser l historicit du ph nom ne durant l entre deux guerres l art progressif ne pouvait plus se contenter d une simple exp rimentation formelle l absolutisation du style avait d j t avanc e au XIX si cle et l poque de la menace fasciste et des tentatives de r volution commandait un nouveau type de politisation de l art Peter B rger cherche quant lui pr ciser la diff rence fondamentale entre les diff rents mouvements esth tisants du XIX si cle et les groupes s autoproclamant d avant garde au d but du XX si cle Il l identifie dans un dispositif historico politique o se renverse et se rejoue la fonction sociale de l art Selon lui les avant gardes historiques se forment travers la prise de conscience d une institution autonome de l art une institution bient t d nonc e comme tant au seul service de la classe dominante travers le processus de sp cialisation des savoirs et de division de la production la culture bourgeoise progressiste a finalement cr cette sph re autonome de l art avec ses institutions corollaires le mus e le march de l art 31 Cette d finition s inspire des id es de Jacques Ranci re sur le
279. he terrestre du christianisme C est sa propre gloire personnelle que recherche le noble partir de la Renaissance La Renaissance et le retour aux sources antiques ont plut t ranim l audace du moi aristocratique ont communiqu le prestige de la pens e philosophique au vieil app tit de succ s et de gloire et ont pos de nouveau l Eglise sous une forme plus aigu le probl me de l adaptation de la doctrine chr tienne la psychologie noble B nichou 1948 21 7 Debord insiste lui m me sur le fait qu il retient de La Qu te du Saint Graal une interpr tation compl tement d christianis e les gens qui cherchaient ce Graal nous voulons croire qu ils n taient pas dupes Le maquillage religieux ne tient pas Les formes d une table changent plus vite que les motifs de boire Celles dont nous usons ne sont pas souvent rondes mais des ch teaux aventureux nous allons un jour en construire Debord 2006 151 181 La notion de gloire dans la mesure o elle s attache des individus et non pas des institutions ou des id aux abstraits entre imm diatement en conflit avec la morale chr tienne La red couverte du sto cisme joue videmment un grand r le dans ce repositionnement de la culture aristocratique l poque classique Stone Richards 2001 Dans le th tre de Corneille un mouvement constant porte l homme noble du d sir l orgueil de l orgueil q
280. hez Debord public qu il ne cesse d insulter ou de renvoyer sa propre mis re doit se comprendre travers le repliement du groupe sur lui m me la communication n advient plus qu travers un gr gore une force nouvelle produite par la mise en relation de plusieurs singularit s La communication d avant garde refuse la m diation du march de l art et ne recherche aucunement l approbation du public elle devient autonome c est dire strictement circonscrite une communaut ferm e Debord voquant en 1993 ses M moires de 1957 crit J avais prouv d embl e ma sobre indiff rence envers le jugement du public puisque celui ci n tait m me plus admis voir l ouvrage Le temps de telles conventions n tait 1l pas d pass Ainsi mes M moires depuis trente cinq ans n ont jamais t mis en vente Leur c l brit est T11 venue de n avoir t r pandus que sur le mode du potlatch Debord 2006 1842 Ce qui est en jeu ici c est une conception de l art circulant dans un change symbolique plut t que dans un change marchand L uvre d art ne s adresse plus un quelconque public anonyme dont les conventions veulent qu il soit son unique destinataire la seule instance apte son recueillement mais bien aux seuls camarades qui peuvent en comprendre la valeur sur le plan d une existence collective privil gi e L organisation des avant gardes en groupes en
281. i dire le couteau la main Debord 2006 GI 1777 Encore dans la note qui accompagne sa traduction des Coplas de Jorge Manrique por la muerte de su padre Debord se montre admiratif du comportement meurtrier de la famille Manrique qui a tout fait pour parvenir ses fins agissant parfois m me contre les int r ts du tr ne de Castille Il faut donc remarquer la froideur litt ralement pr machiav lienne avec l auteur des Coplas parle des gens dont les Manrique ont eux m mes abattus comme de purs exemples du caract re changeant des destin es humaines et de la fragilit de toute les possessions Debord 2006 1506 Les vies d autrui sont consid r es comme de simples possessions des destin es soumises aux changements et la mort dans une mentalit baroque m lancolique justifiant les pires atrocit s Comment comprendre cette glorification de la froideur dans le crime Il faut situer cette tendance dans horizon criminel sadien dont Bataille nous fournit une des meilleures d finitions pour que la passion devienne nergie il faut qu elle soit comprim e qu elle se m diatise en passant par un moment n cessaire d insensibilit alors elle sera la plus grande possible Le crime importe plus que la luxure et le crime de sang froid est plus grand que le crime ex cut dans l ardeur des sentiments mais le crime commis dans l endurcissement de la partie sensitive crime sombre et
282. iation dada et au surr alisme les situationnistes se proclament n anmoins l avant garde de la mort de l art d j annonc e par Hegel Mais cette mort de l art ne saurait s accomplir sans une fid lit renouvel e envers les aspirations spirituelles ayant produit la n cessit historique de l art comme domaine s par du vivant la mort de l art quivaut l accomplissement des promesses internes de l art en tant que cr ateur de mondes possibles Alors que l exp rience situationniste peut tre interpr t e comme un vaste mouvement de d s uvrement inspir par une critique de l aspect mythologique de l art au sein de la soci t du spectacle l uvre post situationniste de Debord abandonne ce projet et se constitue elle m me comme uvre mythologique Paradoxalement le d passement de l art semble syst matiquement mener vers cette uvre qui se refuse N emp che que m me les m moires tardives ne peuvent bien se lire sans r f rences l arri re fond id ologique d avant garde qui supporte toute la d marche de Debord une d marche qui s inscrit aussi bien dans la rupture que dans le culte de la ruine Alors que le XX si cle s loigne dans les m moires et dans le temps que l art qu il a produit n appara t plus que comme une affaire class e par les institutions acad miques ou artistiques que le ph nom ne historique des avant gardes ne forme d sormais qu un vague souveni
283. icit et l imm diatet ne repr sente pas une totalit se refermant sur elle m me pour pouvoir s imposer tel un bloc monolithique la tradition l uvre ressemble plut t une production un travail vivant qui d gage un surplus toujours en action Certes cette uvre se compose sans cesse accompagn e de la pr occupation du legs et d une obsession entourant son caract re de don potlatch par del la mort Mais selon la vision que je d fends l uvre n quivaut pas une somme de soi lanc e l avenir dans le but d assurer la post rit de son nom propre mais bien un don pur et simple non m diatis de son soi vivant On retrouve chez Debord cette exp rience d une production de soi v cu sous le mode du don Bilheran crit ce sujet Si l on associe les deux id es de la gr ce et de la vanit on en obtient une troisi me qui est la banni re m me sous laquelle se rangera Guy Debord la gratuit Bilheran 2007 102 C est donc la vie elle m me qui respire dans l uvre comme preuve et comme manifestation d une nouvelle forme d existence possible L uvre en ce sens quivaut au legs un don de soi ou une r collection de l exp rience vivante offrir l humanit dans l ici et maintenant ll C est pourquoi je privil gie une d finition plus large de l uvre qui inclut le domaine de la production artistique mais qui va bien au del
284. id alis dans une soci t o finalement personne n est r ellement ce qu il pr tend tre quiconque a vu des masques dans un bal danser amicalement ensemble et se tenir par la main sans se conna tre pour se quitter le moment d apr s et ne plus se voir ni se regretter peut de faire une id e du monde citation de Vauvenargues dans Debord 2006 PAN 2 1706 Dans ce cadre la soci t du spectacle permet d largir consid rablement le jeu des masques transportant le bal universel au niveau du village plan taire Les nouveaux m dias nous permettent d sormais d imaginer une sorte d artiste total capable de reprendre et de r activer n importe quel signe de l univers culturel dans une d marche pouvant viser l exaltation du moi Debord a montr la voie en syst matisant en premier la pratique du d tournement dans une d marche de production de soi Une de ses plus grandes ambitions fut de transformer sa vie en 18 On ne peut bien s r pas r duire les m tagraphies lettristes une simple forme d criture du moi le caract re critique et contestataire doit dominer le proc d Plus encore les m tagraphies doivent agir directement sur le r el et c est pourquoi les lettristes de Debord pour diff rencier leurs uvres des m tagraphies de la premi re p riode celle d Isidore Isou parlent de m tagraphies influentielles Ces derni res sont la traduction clairement non
285. ie qui refuse de se ranger se Le suicide dans ce contexte prend la valeur d un geste symbolique et politique t moignant d une rupture irr conciliable entre l individu et la soci t posture fondatrice de la psych artistique depuis les Romantiques Cette dimension politique du suicide appara t clairement lorsque les situationnistes r cup rent l iconographie de Marylin Monroe juste apr s son suicide sur l affiche de la VI conf rence de l IS Anvers en novembre 1962 en s enlevant la vie Marylin d nonce le malheur de la vie factice dans laquelle elle voluait Marylin cette suicid e de la soci t devient ainsi la fois un symbole et une victime de l ali nation spectaculaire Outre la dimension psychique et la dimension politique on peut aussi aborder la question temporelle du suicide Il y a chez Debord une v ritable angoisse du temps qui passe par del le sujet l emportant vers la mort Le sujet sait l in luctabilit de sa propre mort mais il ne la ma trise aucunement moins d avoir recours au suicide videmment seule possibilit de devancer le temps Stone Richards voque avec justesse une dramaturgie temporelle chez Debord Stone Richards 2001 95 et la question du suicide et de la mort se lie chez lui celle du temps On sait par ailleurs que Debord identifie l poque baroque la question de la prise de conscience de la vanit de toutes entreprises humaines devant l intr
286. iellement par le sang par h ritage en se v hiculant dans un nom propre Debord refuse bien s r toute propri t transf rable par h ritage la noblesse doit s acqu rir par chacun par ses actes peu importe les anc tres Pour Debord les parents ne transmettent jamais aucun m rite aucune qualit sinon une honte Le sang est seulement porteur de mal dictions Debord se voit lui m me comme un d sh rit je suis n virtuellement ruin Je n ai pas proprement ignor que je ne devais pas attendre d h ritage et finalement je n en ai pas eu Debord 2006 1661 Debord n ayant jamais eu de v ritable p re retient cette le on fondamentale on n h rite pas du P re Celui ci n a aucun royaume transmettre aucun h ritage l guer Apostolid s 2006 217 La r f rence Hamlet dans les M moires est en ce sens fort significative le p re ne peut appara tre qu en tant que fant me Le prince nouveau est celui qui ne re oit pas son d il doit s en emparer Le m me Bilheran a bien raison lorsqu il affirme que la question de la propri t chez Debord se pose partir d un champ stirnerien Debord est un go ste g n reux Cette expression absurde a le m rite de poser le probl me que rencontre chacun de nous o est ma place o celle des autres Qu est ce qui me revient Qu est ce qui revient aux autres Bilheran 2007 166 195 La noblesse qu il reven
287. ience et des v nements les plus contemporains que se fabrique un mythe en tant que promesse Annette Tamuly crit ce sujet L attitude du surr alisme face aux mythes pourrait tre d finie par ce que Pierre Naville comme curieusement une m moire invers e Et cette m moire tout en se nourrissant du pass l annule et le d passe en s affirmant dans le pr sent et en pr parant l avenir Tamuley 1985 55 D gag d un rapport unilat ral au temps pass le mythe moderne s institue dans un nouveau rapport la temporalit comme force de disjonction au carrefour de la tradition et du futur Le mythe devient ainsi une force mobile et perm able qui se transmet dans la population sous la forme de l interaction et de l exp rimentation Ce sont les v nements produits par les avant gardes qui deviennent des mythes dynamiques qui tracent la promesse d une nouvelle humanit construire Les fondations des mythes modernes sont purement historiques et corolaires aux conditions du monde contemporain les mythes modernes r inventent le monde partir du pr sent et non pas sur la base d une substance ternelle retrouver 128 La diff rence majeure entre le mythe primitif et le mythe moderne r side dans la force mobilisatrice et cr atrice du dernier et ce en faveur d un v nement venir C est d ailleurs bien videmment cette force que recherchent les avant gardes travers leur utili
288. if et concret au socialisme C est un mythe qui vaut uniquement comme force du n gatif comme puissance destructrice des structures sociales existantes Gramsci doutait de l efficacit d un tel mythe aupr s des classes ouvri res un mythe peut il tre non constructif peut on imaginer que puisse tre producteur d efficace un instrument qui laisse la volont collective dans sa phase primitive et l mentaire celle de sa simple formation par distinction par scission m me violente c est dire par la destruction des rapports moraux et juridiques existants Gramsci 1978 355 Cette critique du caract re abstrait du mythe sor lien c est dire son aspect purement n gatif n offrant aucune repr sentation concr te des formes de l mancipation promise provoque l ambivalence de Gramsci envers la th orie 138 sor lienne Il accuse cette derni re de succomber une vision spontan iste de la r volution refusant le r le primordial et positif que doit jouer un parti organisateur il ne peut exister de destruction de n gation sans une construction implicite sans une affirmation et cela non en un sens m taphysique mais de fa on pratique c est dire politique sous forme de programme de parti Gramsci 1978 355 Les surr alistes refusent eux aussi la d finition sor lienne du mythe qu ils jugent ambigu du point de vue id ologique ce sujet
289. il exerce contre le Soi des sujets lui faisant contraste En m me temps qu il est puissance qui d finit le terrain de la domination il est la puissance ravageant ce terrain Debord 2006 SdS 810 227 autoritaire au sein d un syst me totalitaire Debord pr f re nettement cette disposition personnelle du pouvoir l anonymat inqui tant du pouvoir des d mocraties contemporaines C est ainsi que Debord dans les Commentaires refuse l aspect syst mique et fonctionnaliste de la soci t spectaculaire et d veloppe ce qui ressemble une th orie du complot dans laquelle certains personnages cl s d tiennent les cordes du pouvoir Il y a toujours un plus grand nombre d hommes form s pour agir dans le secret instruits et exerc s ne faire que cela Debord 2006 CSS 1624 Dans les soci t s d mocratiques actuelles qui d tient le pouvoir exactement quel visage puis je me confronter C est ce drame d une disparition du pouvoir personnalis que Debord se r f re constamment le pouvoir est devenu si myst rieux qu apr s l affaire des ventes ill gales d armes l Iran pas la pr sidence des Etats Unis on n a pu se demander qui commandait vraiment aux Etats Unis la plus forte puissance du monde dit d mocratique Et donc qui diable peut commander le monde d mocratique Debord 2006 CSS 1626 Debord se voit la fois prisonnier et acteur d une incessante g
290. imateur de l Internationale situationniste s est lui m me construit un Tombeau il a voulu mat rialiser sa vie dans le Livre en cr ant une uvre m morielle qui aur ole sa personnalit d h ro cit et qui continue d influencer les vivants par del la mort Mais l int rieur m me de cette image d un moi id alis e que reproduit Debord se dessine un autre trait fondamental amplifiant le mythe l engagement r volutionnaire du personnage ainsi que l absence quasi totale de compromis qui accompagne cet engagement Le parti pris id ologique de Debord s actualise travers des codes de vie au quotidien et c est en ceci qu on peut v ritablement parler d engagement le projet po tico politique loin d tre accidentel ou second d termine l ensemble de l existence de celui qui s en fait le sujet une poque domin e par le cynisme l opportunisme et l absence de transcendance cette derni re pr suppose toujours que notre existence individuelle m rite d tre sacrifi e pour quelque chose de plus grand l esprit et la vie de Debord radicalement inactuels provoquent l incr dulit des contemporains Debord a mis sur le scandale que repr sente pour les hommes de son temps la forme de vie qu il a cr e dans le texte aussi bien que dans la vie quotidienne C est donc une image sanctifiante de lui m me qu il a voulu v hiculer et c est avec ou contre cette image que se d b
291. in des politiques conspiratives et du ritualisme sectaire qui caract risaient les r volutionnaires de la g n ration pr c dente Au jeu des conspirations secr tes et aux sc nes obscures se d roulant derri re les rideaux s opposerait donc la transparence du processus d mocratique lui m me avec son antagonisme fortement affirm mais mod r par le cadre l gislatif assurant le bon fonctionnement du jeu politique 126 les conspirateurs professionnels qui tous viennent de la boh me Leur premier champ d action est l arm e puis la petite bourgeoisie occasionnellement le prol tariat C est pourtant parmi les v ritables chefs du prol tariat que cette couche sociale trouve ses adversaires Le Manifeste communiste met fin son existence politique Benjamin 2000c 59 je souligne Ndr 280 crucial des ann es 1830 fut le d clin du conspirateur issu des classes moyennes au profit de son homologue ouvrier et l essor d une th orie prol tarienne de la r volution Hobsbawn 1963 194 Cette vision ne fait que reprendre la division d Engels entre socialisme utopique et socialisme scientifique le socialisme utopique est celui des r volutionnaires pr marxistes p n tr s malgr eux par leurs pr jug s de classe sans connaissances scientifiques ni de la classe ouvri re ni du mode de production capitaliste 7 Debord et les lettristes qui l entourent emprunt
292. inelle aussi bien que l action r volutionnaire Le pari du crime 304 est donc d abord affaire de go t personnel Le crime pour Debord et Lacenaire est d abord affaire de vengeance il s agit d un duel entre un moi et une soci t ha e il s agit ensuite de d sesp rer ceux qui se consid raient comme des humains Debord 2006 IGI 1780 d inscrire son activit dans le domaine du maudit Lacenaire affirme d ailleurs sans honte si ses vols avaient r ussi il aurait probablement men une vie de bourgeois Mais alors je me serais livr l instruction j aurais tudi jour et nuit pour pouvoir saper un un tous les principes sur lesquels repose la base de la soci t J aurais cherch tout d moraliser tient il pr ciser cit dans Ladous 1999 non pagin Cette repr sentation hypoth tique r sume parfaitement la trajectoire de Debord moins accidentelle plus planifi e que celle tragi comique de Lacenaire C est dans les livres le savoir puis l criture que Debord trouve les moyens de d sesp rer la soci t de son temps Par ses crimes et leur mise en discours Lacenaire affirme la face du monde son existence c est le crime qui le fait parvenir la visibilit En fin de compte Lacenaire op re une fusion entre le crime et l art c est l aide de moyens artistiques qu il impose cette nouvelle figure du dandy l artiste de la criminalit selon Foucault
293. intellectuelle les surr alistes et les situationnistes fid les au mot d ordre de Rimbaud rejettent l ali nation du travail en tant que m tier j ai horreur de tous les m tiers Dans cette optique le choix de privil gier des activit s nocturnes comme le r ve et l ivresse n est gu re fortuit Alors que les classes laborieuses sombrent dans ce sommeil r parateur n cessaire leur bon fonctionnement diurne les bandes de Breton et de Debord profitent du calme ambiant pour s adonner aux joies profanes de leurs exp rimentations psychiques et po tiques La nuit suspend les exigences prosa ques de la vie organique elle m me entretenue par le travail consid r comme processus soutenant la survie des corps La suppression du sommeil en tant que n cessit organique participe videmment de cette rupture avec la vie laborieuse et permet ainsi le temps de l illumination onirique ou thylique C est donc en dehors du temps et de l Histoire que se produit l exploration somnambulique de l esprit et des corps lib r s L arr t traumatique du temps ordinaire linaire r p titif causal est une exigence commune pour les deux groupes qui prouvent une m me m fiance envers l id ologie du Progr s 103 comme d veloppement des forces productives dans sa version de droite comme de gauche Par le recentrage avant gardiste de l esth tique au niveau de l exp rience v cue l art devient v
294. ique que l uvre s ouvre vers cette nouvelle dimension l histoire traditionnelle des historiens Debord oppose une histoire autre celle de l anachronie une histoire compos e des chocs entre diverses unit s de temps Cette vision de l histoire s opposant l id e de progr s lin aire devient de plus en plus dominante dans la modernit qui ne cesse de probl matiser son rapport au legs et la tradition L histoire depuis deux si cles ce n est plus le r cit du pass c est un mode de copr sence une mani re de penser et d prouver la coappartenance des exp riences et l entre expressivit des formes et des signes qui leur donnent figure Ranci re 2002 225 Dans cette vision du temps historique le pr sent ne cesse d tre travaill par des l ments du pass et le 344 v ritable sens de l actuel ne peut plus advenir qu au sein des passages s op rant avec des fragments issus d poques r volues Seuls des moyens modernes permettent de figurer l anachronisme comme nouvelle forme de conscience du temps Le montage proc d ch ri des avant gardes s il en est devient le moyen privil gi pour permettre cette figuration de l anachronisme la disjonction fondamentale du temps Le montage effectue cette superposition qui permet de visualiser les discontinuit s du temps Le montage Debord l exp rimente d abord dans son cin ma avant de lui donner une forme litt
295. iques se retrouve d j dans les lettres qu il crit Herv Falcou mais elle sera plus tard perfectionn e dans des uvres comme Hurlements en faveur de Sade ou M moires Ceux qui voudront le conna tre devront faire le premier pas et entrer dans son monde en per ant son syst me de r f rences D s son adolescence Debord s emmure donc dans 317 une forteresse imaginaire et construit un univers fantasmatique lui permettant de prot ger son tre Quand on conna t l enfance particuli rement douloureuse qu a connue Debord la r f rence Lacenaire prend toute sa dimension Quand j tais enfant J tais d j plus lucide plus intelligent que les autres Ils ne me l ont pas pardonn Belle jeunesse vraiment Conscient d s son plus jeune ge de sa singularit Debord comme Lacenaire cherche rendre visible son g nie m connu dans la litt rature ou dans l action criminelle Anim s par l orgueil les deux personnages cherchent pater leurs contemporains par leur audace par leur courage Lacenaire au dernier moment s est retourn pour regarder de face la guillotine leur force de caract re Toute l entreprise en est une de distinction Ce d sir de distinction est si fort chez Debord qu il m ne au rejet de l ensemble des mod les sociaux tablis y compris ceux o le type de g nie qui lui est propre peut briller Il lui a fallu trouver une terre vierge pour exercer son g
296. ir du moment o l auteur se retire des affaires humaines pour laisser sa trace en tant que t moin et survivant d une poque en train de dispara tre La mort s inscrit donc doublement dans une entreprise m morielle tout d abord comme mort de la s quence historique dont il faut t moigner et ensuite comme mort de l auteur Si dans les ann es 70 Debord est ponctuellement intervenu dans le contexte des conflits politiques en Italie et en Espagne dans les ann es 80 il d cide de se retirer d finitivement de toutes entreprises politiques Suite l assassinat de son ami et m c ne G rard Lebovici Debord entre en effet dans une p riode cr pusculaire o d une part il constate le triomphe mondial et durable de la contre r volution et d autre part il poursuit son entreprise m morielle entam e en 1978 et ce jusqu son dernier film r alis en 1994 pour la t l vision alors qu il pr parait son suicide Guy Debord son art son temps film qui prend donc valeur de testament amp Les h ritiers de Debord entretiennent d ailleurs cette vision Dans le Pan gyrique tome 2 paru chez Fayard les diteurs ont rajout cette note dans la chronologie qui r sume la vie de Debord Le 30 novembre Guy Debord r alise un dernier Potlatch sa mort eut ceci d admirable qu elle ne peut passer pour accidentelle en se suicidant note non reprise dans l dition Quarto Cette interpr tation du suicide de De
297. ire clamant sa mise au ban de la soci t Arkadin levant son verre l amiti puis au caract re Johnny le guitariste ab m dans les souvenirs de nuits d insomnie et des amours d funts Burdeau 2005 90 sont autant de doubles de Debord Dans son cin ma le d tournement des films de fiction n occupe plus une fonction critique il sert plut t la construction mythologique du sujet En se construisant un character Debord r utilise activement les r cits et les personnages iconiques qui circulent d j au sein du spectacle Le d tournement repr sente donc un mouvement de n gation interne au spectacle L aspect politique et 13 Dans une lettre de jeunesse Debord crit Tout le monde s est d cha n il y a quelques ann es contre la Presse Enfantine Il faudrait reprendre leurs arguments pour crire que cette Presse est moralement valable lib ratrice parce qu elle incite au sadisme la violence la d bauche MAIS EXIGER QUE L ON SUPPRIME SES H ROS AM RICAINS POUR LES REMPLACER PAR DES LETTRISTES Debord 2004 132 Plus loin dans la m me lettre Debord se d signe cette t che historique Influer gravement sur l inconscient collectif dans son ge le plus vuln rable Qui tient la Presse Enfantine tient le pouvoir quinze ans plus tard si les mythes sont construits intelligemment Debord 2004 133 259 r volutionnaire du d tournement s en trouve profond ment amoindri surto
298. isation collective la diff rence de Brecht qui rompt totalement avec l id alisation fictionnelle Debord se sert de celle ci afin de glorifier sa propre vie de projeter cette derni re sur un plan h ro que Si le d tournement permet de rompre avec l univers de la repr sentation spectaculaire s il produit lui aussi un effet d tranget par le d placement qu il op re il ne r alise aucunement une distance radicale entre le public et l univers id alis de 260 la repr sentation Le d tournement op re certes une distance entre l agent et la repr sentation mais dans un second temps le d tourneur se r approprie cette derni re afin de cr er une nouvelle distance entre une lite situationniste et le reste des spectateurs incapables d un tel r investissement cr atif La distance ne se produit donc pas au sein de la repr sentation elle m me contrairement ce que pr nait Brecht La contradiction entre identification et distanciation s approfondit et devient un l ment de la repr sentation Brecht 1970 177 elle advient entre Debord et le public reproduisant ainsi cette conomie spectaculaire si conspu e Au sein du groupe lettriste le d tournement agit donc d abord comme signe de reconnaissance infragroupal comme nouveau code permettant d lever l existence collective sur un plan sup rieur Parce que l orthodoxie lettriste et situationniste interdit l expression direct
299. isent sur ce d s uvrement propre l ivresse comme moyen de parvenir la r volution totale A propos de la d rive expression par excellence de l ivresse chez les lettristes Danesi crit Les th ories de l I L pouvaient se comprendre comme l affirmation d un dessaisissement partiel du moi que les surr alistes avaient pr serv avec la notion de hasard objectif Danesi 2008 202 Pour les situationnistes la temporalit dominant les Temps modernes se ressent elle m me sous le mode de l ivresse le temps devient l ET 3 A y 7 pleinement historique hors de ses gonds L ivresse c est la jouissance prouv e dans la destruction historique un moment de pure perte sans restes ni gains c est pourquoi l ivresse appara t aussi comme une modalit du potlatch compris dans son sens bataillen comme une pure d pense qui engage la totalit de l existence et qui met en Jeu le monde en entier Mais l ivresse valant en soi et pour soi s inscrit aussi 118 dans un horizon nihiliste sans perspective et sans objectif elle op re comme n gation pure du monde social La question de l ivresse marque plus en profondeur la p riode lettriste que la p riode situationniste plus constructive celle l et qui envisage l ivresse non plus en tant qu objectif mais comme point de d part comme programme minimal C est en ce sens que Debord formule l autocritique de l Internationale lettriste au mo
300. isit de faire une uvre de m morialiste afin de concentrer en une image juste l esprit du temps et son r le historique On se r f re toujours aux d buts de Debord sa p riode h ro que romantico r volutionnaire qui est tr s importante bien s r mais qui est li e d assez pr s tout un horizon qu il faut bien appeler marxiste Ce qui ne me para t pas assez soulign c est la tr s nette diff rence qui s op re partir du film n girum L uvre cin matographique de Debord est l un des grands chefs d uvre singuliers et il faudra 14 toujours opposer cela aux interpr tations dissolvantes de groupes ou de collectifs Comme s il fallait petit petit que cette voix personnelle se d tache Sollers 2001 56 Il est en effet ais d identifier cette nouvelle perc e du sujet dans ce film qui incarnant cette suppos e coupure entre les deux aspects l uvre la th orie critique et l autobiographie En effet le long m trage d bute par un exercice de critique sociale d non ant la soci t spectaculaire et le r le majeur qu y joue le cin ma Mais apr s cette premi re partie pr sentant un discours f rocement d nonciateur des ali nations modernes Debord affirme Au lieu d ajouter un film des milliers de films quelconques je pr f re exposer ici pourquoi je ne ferai rien de tel Ceci revient remplacer les aventures futiles que conte le cin
301. istes n est pas sans rappeler le fonctionnement des soci t s secr tes avec son mouvement d isolation et de fermeture au monde ext rieur auxquelles Debord s est int ress d s les d buts de l Internationale Lettriste 12 C est Ivan Chtcheglov qui aurait transmis sa passion des soci t s secr tes Debord et qui lui aurait propos de calquer le fonctionnement de L I L sur ces derni res Ivan fait aussi partager Guy son go t pour l imaginaire m di val ensemble ils r vent d une soci t secr te que serait une chevalerie nouvelle Vu l effectif r duit de leur mouvement plus ou moins imaginaire Ivan sugg re Guy de faire de l I L un groupe occulte Debord est s duit Eh oui tr s bonne id e les lettristes pouvoir occulte comme le Ku Klux Klan l il de Moscou l Intelligence service Apostolid s amp Donn 2006b 61 Les auteurs remarquent que L allusion l Intelligence Service perdurera discr tement dans le choix des initiales I S pour le mouvement fond en 1957 Apostolid s amp Donn 2006b 61 Dans son po me en prose R flexions sur l chec de quelques r volutions dans le monde Chtcheglov crit Le stade de vie parasitaire se traduit par une action ignor e du public s op rant dans un milieu ferm occulte Le r le des soci t s initiatiques est tr s grand L immense majorit de celles ci avortent pr sent vous ave
302. istes rassembl s autour de Debord identifient dans l acte criminel les signaux d un rejet du monde contemporain et de son ordre moral Cette n gation d j annonc e par la po sie moderne seules les classes dangereuses la mettent en acte 274 4 te Za acizi concr tement du moins selon l interpr tation des lettristes Pour les avant gardes lettristes et surr alistes la r volution impossible dans lunivers sociopolitique pr sent s actualise uniquement travers les gestes radicaux commis par les marginaux ou par les fous criminels 4 3 Conspirateurs et classes dangereuses au XIX si cle Outre leurs conditions socio conomiques pr caires qu est ce qui d finit les cat gories de boh me et de classe dangereuse en tant qu unit sociale distincte Ce sont tout d abord deux cat gories psychosociales n es au XIX si cle dans la litt rature dans le cas de la boh me dans les sciences sociales pour les classes dangereuses L invention de la boh me artistique est un fait bien document par les sociologues et les historiens de la culture On se rappelle que la boh me appara t une poque o le producteur intellectuel peut partiellement s manciper de sa soumission historique au pouvoir tatique au prix cependant d une nouvelle soumission au go t bourgeois Cette nouvelle disposition de l artiste qui doit maintenant se vendre sur le march de l art fera na tre aussi bien le pa
303. it vidente et secr te de la r volution Debord 2006 SDS 826 D j en 1967 donc le grand style pour Debord ne constitue pas d abord une question formelle Il appara t au confluent d un projet de transformation du monde le grand style est ici ce qui garantit la validit du projet r volutionnaire Le philosophe lui m me doit adopter le grand style seul moyen de parvenir ses fins comme le rappelait Nietzsche dans une citation qu il attribuait faussement son mod le d crivain fran ais Stendhal Pour tre philosophe il faut tre clair sec et sans illusion Un banquier qui a fait fortune a une partie des caract res requis pour faire des d couvertes en philosophie c est dire pour voir clair dans ce qui est Nietzsche 2000 90 Le grand style devient ainsi la forme id ale afin de transmettre une certaine lucidit du regard une vision du monde d pourvue de la moindre illusion La d finition nietzsch enne du grand style peut nous aider mieux saisir l emploi singulier qu en fait Debord Premi rement Nietzsche lie le grand style la volont de puissance Une chose est n cessaire Donner du style son caract re un art grand et rare Ce seront les natures fortes tyranniques qui savoureront leur joie la plus subtile dans une telle contrainte dans une telle suj tion et un tel accomplissement dict s par leur loi propre En sens inverse ce sont les caract r
304. it fondamentale la base de la pratique du d tournement Cette pratique essentielle se trouve la base de l anti art situationniste et joue un r le fondamental dans les productions cin matographiques et litt raires de Debord L approfondissement de cette question m appara t d autant plus essentiel que l uvre enti re de Debord tout comme celle de Lautr amont v ritable anc tre du 248 d tournement peut tre comprise comme un seul et unique d tournement puisant dans l ensemble du legs culturel N anmoins l conomie propre cette pratique n a pas toujours t bien comprise dans ce qu elle implique tant au niveau de la personnalit de Debord qu au niveau de sa production Ici ce n est pas tant la g n alogie de cette pratique qui m int resse mais plut t son utilisation singuli re dans l ensemble de l uvre de Debord et ce qu elle r v le La pratique du d tournement permet de mieux saisir les probl matiques de la personnalit de l identification et de la projection la base du th tre intime de l auteur des M moires Elle lui aura permis de se faire son propre cin ma Gil Wolman et Debord ont th oris la pratique du d tournement dans un article de 1956 devenu c l bre le Mode d emploi du d tournement Une telle pratique se d finit d abord par ses implications politiques Dans son ensemble l h ritage litt raire et artistique de l humanit do
305. it tre utilis des fins de propagande partisane crivent Debord et Wolman Debord 2006 221 En ruinant les notions de propri t priv e et de droits d auteur la pratique du d tournement permettrait d instaurer un v ritable communisme litt raire au service d une lutte des classes bien comprise Debord 2006 225 En bref pour les lettristes le d tournement met fin toutes pr tentions d expression personnelle et soumet la m diation artistique un projet politique plus vaste Pr s de dix ans plus tard Debord revient encore une fois sur la question du d tournement dans La Soci t du spectacle Pour lui l usage du d tournement dans la th orie critique permet de rendre fluide ce qui a coagul Le d tournement ram ne la subversion les conclusions critiques pass es qui ont t fig es en v rit s respectables c est dire transform es en mensonges Debord 2006 SdS 853 854 249 Contre toutes tendances naturalistes ou essentialistes le d tournement permet de remettre en mouvement ce qui s est fix en id ologie Au service d une guerre qui d termine ses mouvements le discours construit l aide de d tournements permet de r utiliser et de faire circuler de nouveau ses paroles fig es qui s imposent l humanit avec l autorit de la tradition Cet aspect guerrier et tacticien du d tournement tait d j explicite dans le texte de 1956 il s
306. it comment le cin ma monopolis par le grand capital joua un r le propagandiste contraire ce que d nonce d ailleurs Debord dans In girum Dans sa version hollywoodienne h g monique c est le mod le narratif traditionnel qui devint rapidement la forme dominante Il aurait pu en tre autrement C est une soci t et non une technique qui a fait le cin ma ainsi Il aurait pu tre examen historique th orie essai m moire Il aurait pu tre le film que je fais en ce moment affirme Debord dans In girum Debord 2006 IGI 1349 Paradoxalement ce cin ma narratif traditionnel tant vilipend le jeune Debord le consomma assidument lors de son adolescence cannoise et lors de ses premi res ann es parisiennes Le jeune Debord adora de nombreux films noirs des films de guerre d aventures de cowboys Ces classiques du cin ma qui ont fa onn son imaginaire lui fourniront la matrice de son propre cin ma C est essentiellement avec les d combres du cin ma traditionnel que Debord construit son uvre cin matographique Debord d tourne en effet continuellement les films favoris de son enfance dans ses propres films Est ce seulement afin de mieux d noncer cet art qu il d finit lui m me comme une imitation insens e d une vie insens e une repr sentation ing nieuse ne rien dire Debord 2006 G1 1346 Une telle interpr tation univoque aussi convenue que dominante ne rend pas compte de la duplic
307. itation L image par nature reproductible compose un v ritable concentr de signification facile d placer et remanier dans un nouveau contexte alors que le fragment litt raire convoque un autre rapport moins imm diat et plus distant l objet d tourn Dans un premier temps c est donc dans l objet cin matographique que les lettristes apprennent se projeter afin de r utiliser la puissance mythique contenue dans l image en d tournant des signes pour les r int grer dans leur l gende collective Debord restera toujours fid le cette mani re de s approprier le cin ma qu il exp rimente tout d abord durant les ann es 50 D s les d buts de l IL en effet Debord s int resse d j la pens e mythique avec Ivan Chtcheglov il aime se projeter au sein d univers fictionnels pr existants dans les films de Carn et Pr vert dans les l gendes de la table ronde etc et ainsi transposer sur un plan mythologique ses aventures et celles de son groupe 1 Dans une lettre adress e Ivan Chtcheglov en 1954 Debord explique son ami la mani re dont il re oit et interpr te des films ordinaires au sein de son propre complexe mythique le terme est soulign dans la lettre Debord parle ici du film The Prisoner of Zenda r alis par Richard Thorpe en 1952 114 L tticken souligne comment la pratique du d tournement s est ais ment g n ralis e dans une civilisation de
308. ition d une pens e la fois strat gique et utopique r volutionnaire et d une criture qui vaut directement comme acte politique La conjoncture n est donc pas le simple relev de ses l ments l num ration des circonstances diverses mais leur syst me contradictoire qui pose le probl me politique et d signe sa solution historique et en fait ipso facto un objectif politique une t che pratique Althusser 1994 60 C est ainsi qu Althusser d crit le genre litt raire du manifeste politique comme un texte incluant en lui m me sa propre pratique et comme m thode de rassemblement de forces dispers es en faveur d une lutte venir La conjoncture c est justement l tat pr sent dans lequel se constate un antagonisme entre des forces sociales contradictoires le manifeste parie sur un mouvement tendant vers la cr ation d un nouveau rapport de force Le manifeste met ainsi toujours en sc ne un lieu vide pour le futur Althusser 1994 62 lieu qui interpelle un agent un sujet capable d accomplir la t che politique assign e par l histoire Althusser 1994 62 Dans cette perspective un manifeste ne pr sente pas tant une th orie qu un projet r aliser et les moyens pour y parvenir partir de la conjoncture pr sente c est un hurlement 42 en faveur d un nouvel ordre social et politique M me les manifestes artistiques fonctionnent dans une conomie text
309. j remplies de r f rences sa vie priv e et son imaginaire bien que ces r f rences autobiographiques soient parfois difficiles percer verrouill es aux regards externes Dans son commentaire des M moires de 1958 Vincent Kaufmann affirme Il est cach parmi ses m moires Debord mais pour l y trouver c est une autre histoire Kaufmann 2001 68 Tout en donnant en potlatch une partie de sa vie en ouvrant son me et sa psych Debord dans un m me mouvement op re aussi une dissimulation de son moi Debord a mis un soin obsessionnel murer son univers intime l abri de ses proches et probablement contre eux Apostolid s 2006 227 Dans les M moires de 1958 on s approche du concept d image dialectique mais dans un contexte d criture du moi l image distribue une information mais cette derni re ne vaut rien prise isol ment C est sous une premi re couche manifeste que se retrouve bien souvent information importante rep rable uniquement dans un jeu intertextuel extr mement fin et subtil Boris Donn a fourni un effort consid rable afin de retrouver le sens cach de ces M moires dans son impressionnant essai d interpr tation Pour m moires Il fut le premier comprendre et d voiler le code utilis par Debord dans ses autoportraits de jeunesse Voici ce qu il crit sur l art du d tournement les mots pr lev s et assembl s ne valent pas seule
310. l image Placing an image or a text or a fragment of one in a new context can make the myth which it hosts explicit This can of practice became common in visual art rather than in literature once the avant garde had made the simple taking of a pre existing object or image a valid artistic act It can be argued that photography served as an important model for this the camera facilitates the two dimensional appropriation of objects L tticken 2005 116 15 Si Ivan est si attentif aux fictions dans lesquelles Guy aime se projeter c est qu il partage avec lui un vif int r t pour le mythe Les deux lettristes sont persuad s que pour ce faire une place dans le milieu intellectuel et artistique de leur poque il leur faut inventer des mythes modernes et se constituer eux m mes en figures mythologiques Apostolid s amp Donn 2006b 60 262 Je te signale un joli cas de complexe mythique r alis autour d un film c est la forme la plus large du d tournement des concepts le roi de ce film c est pr cis ment Guy Debord l imposture me semble un des actes les plus d sinvoltes qui soit une tricherie avec la condition humaine c est dire Louis II de Bavi re substitution et confusion des personnalit s dans le m me temps Debord 2004 162 On remarquera le jeu d identit complexe que Debord met en sc ne partir de ce film le personnage du roi dans l
311. l indicible de l tat en fondant le pouvoir partir de la dimension anthropologique Machiavel est le premier auteur occidental formuler explicitement les fondements purement humains de la politique d gageant cette derni re de toute surd termination morale ou religieuse Cette absence de transcendance dans les affaires humaines coupl e une intensification de la perception du temps ouvre le domaine du politique une 214 nouvelle forme de souverainet se mat rialisant dans la figure du roi figure centrale et essentielle du th tre baroque Le roi le prince devient le nouveau d positaire de la souverainet comme on peut le remarquer dans le drame baroque si bien analys par Benjamin le souverain premier repr sentant de l histoire n est pas loin d en tre aussi l incarnation Benjamin 2000d 63 En d couvrant l histoire l poque baroque doit trouver un personnage pour figurer le mouvement historique lui m me c est le souverain qui tiendra le cours de l histoire dans sa main comme un spectre Benjamin 20004 65 C est pour cette raison que Debord s identifie secr tement un roi comme ce dernier il imagine son existence comme porteuse d une transformation de l histoire Cette identification au roi se produit tr s t t Donn et Apostolid s rapportent cette anecdote l poque o il rencontre Ivan Guy est hant par le personnage du roi fou Louis
312. l observation des m urs de sa riche famille cannoise Je n ai jamais vu les bourgeois travaillant avec la bassesse que comporte forc ment leur genre sp cial de travail et voil pourquoi peut tre j ai pu apprendre dans cette indiff rence quelque chose de bon sur la vie gt Debord 2006 PAN I 1662 On remarquera pourtant que le refus du travail d finit 220 traditionnellement beaucoup plus la classe aristocratique que la classe bourgeoise qui se fonde elle m me en tant que classe partir d une thique du travail Sur un plan plus personnel les r f rences familiales constituent n anmoins une sorte d aveu de la part de Debord dans la mesure o il est fort probable que sa m re fut pour lui le grand mod le imiter elle lui transmet en effet ce mod le essentiel de la femme 94 entretenue Debord tente d expliquer sa pratique parasitaire dans Cette mauvaise r putation Ne jamais travailler demande des grands talents Il est heureux que je les aie eus Je n en aurais manifestement eu aucun besoin si j avais t originellement riche Ma vision personnelle du monde n excusait de telles pratiques autour de l argent que pour garder ma compl te ind pendance et donc sans m engager effectivement rien en change Le refus du travail a pu tre incompris et bl m chez moi Je n avais certes pas pr tendu embellir cette attitude par quelque justificatio
313. l se subordonnent un art de vivre sup rieur qu exp rimente une collectivit privil gi e Selon Stone Richards l se trouvent les mensonges scolaires d nonc s par Debord et Wolman la pr ciosit loin de se limiter un simple ph nom ne litt raire d cadent incarne un vaste ph nom ne culturel et moral dont la port e se doit d tre red couverte par l avant garde qui d sire agir sur la totalit sociale La pr ciosit d signe donc pour Debord les lois et les codes d un monde aristocratique m par un id al de l honneur dans l art de vivre Les aristocrates de l poque classique en effet cultivent un raffinement extr me s opposant la barbarie initiale qui marque le d veloppement historique de leur classe Debord retrouve dans Dans sa manifestation fran aise la pr ciosit devient un courant culturel et moral beaucoup plus vaste qu une simple cole litt raire en France en effet la pr ciosit affecte les fa ons de pens e et de ressentir En France en 1640 il y a une soci t pr cieuse en Espagne et en Italie en 1620 il y a une po sie pr cieuse Ren Bray cit dans Stone Richards 2001 89 62 le moment pr cieux la mise en sc ne sophistiqu e d une forme de comp tition o les individus sont amen s se d marquer entre eux par le mot d esprit l audace le courage la finesse de l expression et le bon go t Le libertinage fait aussi pa
314. la vie spectaculaire en viennent s quivaloir se confondre cette vie et ce cin ma sont galement peu de choses et c est par l qu ils sont effectivement devenus interchangeables Debord 2006 GI 2006 1761 Il ne s agit donc pas de d truire la repr sentation mais d utiliser son contenu id el au profit d un v cu passionner d utiliser le cin ma pour se fabriquer son propre cin ma intime Il s agit d exporter le pouvoir magique de l cran vers son envers que Debord expose d ailleurs dans la sc ne d ouverture d In girum quand il pr sente l image d un public de cin ma contemplant un film dans une salle obscure L imaginaire individuel est le m diateur d un tel d placement Il est par ailleurs significatif de remarquer qu au del le contenu m me de la citation dans Pan gyrique c est la personnalit m me de l crivain cit que Debord convoque et utilise ses propres fins Le v cu historique de Shakespeare de Villon ou de Montaigne occupe exactement la m me fonction que Lacenaire ou le diable dans n girum ces figures historiques ou fictives permettent en effet au moi de se construire une personnalit plus grande que nature comme l a bien remarqu Boris Donn dans son analyse des M moires L identification des figures d crivains De Quincey Retz ou des personnages de fiction Hamlet Galaad permet Debord de se construire un moi substitutif qui di
315. lassiques qu on lui enseigne l cole Pascal Racine etc que les auteurs modernes Sartre Camus Cocteau de m me que les po tes d avant garde Lautr amont Apollinaire les surr alistes Renferm sur lui m me le jeune Debord ne semble pas vouloir s expliquer outre mesure aux autres quoiqu il souffre vraisemblablement de cette impossibilit de communication Cette crainte obsessionnelle de ne pas tre compris corollaire une grande difficult affronter ses conflits int rieurs s exprime souvent chez lui dans une lettre Falcou crite en 1951 On a le courage d crire alors que c est d j SI DIFFICILE de parler Debord 2006 39 dans la premi re version de Hurlements il tait malade cause de cette impossibilit d tre compris Debord 2006 HFS 48 dans Critique de la s paration Il faudrait pr ciser mais le temps manque et l on n est pas s r d avoir t compris Debord 2006 CdS 542 Debord n aura jamais appris communiquer dans le langage de la majorit Il inventera son propre langage en grande partie responsable de son pouvoir de fascination et de s duction Cette tentative de cr er son propre syst me de communication via l investissement de figures le d tournement l allusion cod e ou la cr ation de personnages imaginaires comme Illich un personnage f minin multiforme dans lequel les lettristes projettent leurs fantasmes amoureux ou rot
316. le qu en 71 Cet usage pol mique du langage est bien s r compl tement h rit du style programmatique du manifeste Chez Debord on devine aussi l influence de sermon lorsqu il critique violemment les spectateurs modernes les renvoyant leur propre mis re et leur manque de volont pour y rem dier ne fait il pas en quelque sorte un usage nouveau de ce genre litt raire ancien qu il admirait d ailleurs chez Bossuet Sur la nouvelle force que prennent les formules de Bossuet lorsqu elles sont d tourn es par Debord Bilheran crit Pour illustrer la gr ce o baignent les textes de Debord prenons l exemple de Bossuet un grincheux qui mart le ses cadences pour distiller son fiel Or les 39 strat ge de l criture Debord entendait r duire le lecteur sa merci en lui faisant d abord prouver une sorte de commotion la th orie devait heurter sembler parfaitement inadmissible Elle devait produire aussi un sentiment d crasement en r v lant avec le concept prot iforme de spectacle l envahissement de toute la r alit sociale par l ali nation li e la marchandise et son pouvoir d illusion Donn 2004 20 Cet effet d assommement et d tourdissement doit par la suite provoquer une modification de l attitude du lecteur et une possible conversion r volutionnaire Ce manifeste pratique donc une sorte de terrorisme intellectuel en agressant ses lecteurs en cr ant un
317. le corps de Debord condamn l ternel retour qu exige la perfection la fin de l Histoire ne peut que se r p ter ad nauseum puisque l irruption du nouveau n est plus possible C est pour cette raison que Pascal Bonitzer citant les propos de Bataille sur Hegel parle de l horreur d tre Dieu Dans l ivresse de cette perfection centr e sur soi le savoir absolu s identifie aussi bien avec la nuit du non savoir Bonitzer cit dans Debord 2006 1439 Cette perfection absolue dans laquelle se projette Debord et avec laquelle il rejette d embl e tout point de vue ext rieur aussi bien celui du spectateur ou du critique est la base du projet m morialiste Cette perfection concentr e dans l exemplarit d une vie Debord ne peut que la rejouer la d cliner selon plusieurs variantes condamn qu il est contempler une uvre d j accomplie la fin de sa vie c est uniquement dans l espace de l crit m moriel que Debord se produit lui m me en tant que sujet apparaissant aux autres 3 2 Les M moires genre et strat gie discursive 160 Il s tait lui m me r duit une esp ce d oisivet et de solitude mais il la sut soutenir Les heures qu il avait libres furent remplies de bonnes lectures et de s rieuses r flexions sur les erreurs de la vie humaine et sur les vains travaux des politiques dont il avait tant d exp rience BOSSUET Oraisons fun bres
318. le r el volont sans jamais tre d masqu e ou remise en question par ses Spectateurs Prenons pour exemple cet extrait 238 Sur le plan des techniques quand l image construite et choisie par quelqu un d autre est devenue le principal rapport de l individu au monde qu auparavant il regardait par lui m me de chaque endroit o il pouvait aller on n ignore videmment pas que l image va supporter tout parce qu l int rieur d une m me image on peut juxtaposer sans contradiction n importe quoi Le flux des images emporte tout et c est galement quelqu un d autre qui gouverne son gr ce r sum simplifi du monde sensible qui choisit o ira ce courant et aussi le rythme de ce qui devra s y manifester comme perp tuelle surprise arbitraire ne voulant laisser nul temps la r flexion et tout fait ind pendamment de ce que le spectateur peut en comprendre ou en penser Dans cette exp rience concr te de la soumission permanente se trouve la racine psychologique de l adh sion si g n rale ce qui est l Le discours spectaculaire tait videmment outre ce qui est proprement secret tout ce qui ne lui convient pas Debord 2006 CSS 1609 Ce que Debord d crit comme le mode de la souverainet spectaculaire correspond presque parfaitement au moyen qu il utilise en tant que personnalit spectaculaire pour manipuler son entourage et ses lecteurs Parce que Debord veut contr
319. le trouvera dans la bombe et d autres artifices de destruction le moyen de se manifester Ils se jettent sur des inventions qui doivent faire des miracles r volutionnaires les bombes incendiaires les machines infernales effet magique les meutes qui doivent faire des miracles qui doivent avoir des cons quences d autant plus surprenantes et miraculeuses que leur fondement est moins rationnel Marx cit dans Benjamin 2002 27 Le conspirateur n est qu un illusionniste qui ne contr le pas bien la magie noire qu il emploie malgr tout Souvent d connect s de la r alit de la masse ouvri re les conspirateurs du XIX si cle tentent par tous les moyens de cr er par la propagande et l agitation des situations insurrectionnelles Mais avec ces groupes l id ologie parfois scientiste allait de pair avec une conception sot rique de l organisation conception issue de leur pass franc ma onnique Ce pass et ce climat commun 279 des fraternit s secr tes peuvent expliquer leur penchant persistant pour les super conspirations internationales et leur coordination par des directoires secrets op rants par dessus les fraternit s et les loges et recrut s dans les grades les plus lev s de l initiation Hobsbawn 1963 188 Cependant on explique fr quemment comment ce mode d tre des r volutionnaires romantiques primitifs tend dispara tre avec le d veloppement des partis r volutionnair
320. les perceptions qui seront retenues de lui que Debord cherche alors d finir contr ler imposer Il avertit ses lecteurs que seule sa parole compte et que tous les autres t moignages concernant sa personne doivent tre tenus pour suspects sur l histoire que je vais maintenant exposer on devra s en tenir l Car personne pendant bien longtemps n aura l audace d entreprendre de d montrer sur n importe quel aspect des choses le contraire de ce que j en aurai dit Debord 2006 PAN I 1661 Debord pr tend donc fournir la seule version valable Car il ne fait aucun doute que vers la fin de sa vie Debord devient pr occup par sa post rit ce que sugg rent plusieurs d marches qu il entreprend tant au niveau l gal qu au niveau du contenu de ses derni res productions Quand il doit se trouver un nouvel diteur suite un conflit survenu avec la succession qui a h rit des ditions Lebovici Debord finit au grand tonnement de tous par opter pour Gallimard maison d dition profond ment vilipend e l poque situationniste Pour se justifier Debord aurait simplement affirm Je suis un classique Pourquoi pas un diteur de classiques Bourseiller 2001 543 164 sur l histoire de sa vie et condamne d avance toutes les interpr tations qui viendraient contredire la sienne Deux ou trois imposteurs sous m diatiques ont parfois pr tendu m avoir connu autrefoi
321. les r gles d un jeu cach Le niveau de cruaut augmente la jouissance d une souverainet qui se manifeste tout en se niant Cette insensibilit dans la violence se retrouve aussi dans la passion de Debord pour la guerre qui occupe encore une fois une fonction m taphorique Bien que Debord emplisse ses films d images de guerre et de destruction ce n est pas la guerre en tant que pratique r elle qui le fascine mais l image qu elle fournit afin de comprendre le mouvement des destin es humaines emport es dans la catastrophe Debord d crit ainsi sa passion de la guerre dans Pan gyrique Arendt critique cette confusion qui subsiste bien souvent entre souverainet et libert S il tait vrai que la souverainet et la libert sont identiques alors bien certainement aucun homme ne serait libre car la souverainet id al de domination et d intransigeante autonomie contredit la condition m me de pluralit Aucun homme ne peut tre souverain car la terre n est pas habit e par un homme mais par les hommes Hannah Arendt 1999 299 225 Je me suis beaucoup int ress la guerre aux th oriciens de la strat gie mais aussi aux souvenirs des batailles ou de tant d autres d chirements que l histoire mentionne remous la surface du fleuve o s coule le temps Je n ignore pas que la guerre est le domaine du danger et de la d ception plus m me peut tre que les autres c
322. lic Le changement de l appareil de production s op re dans le sens d une socialisation c est dire dans la voie d un passage des mains des sp cialistes vers celles d un public d ordinaire tenu distance par le march de l art qui force la contemplation passive devant ce qui s affiche comme une marchandise un objet de jouissance s par de son sujet admirant Benjamin donne l exemple du th tre de Brecht et de sa fameuse m thode de distanciation En interrompant l action le th tre pique de Brecht bloque 82 l identification passive du spectateur avec les donn es brutes de la narration et le force prendre position face aux situations repr sent es Il le th tre de Brecht vise moins emplir le public de sentiments fussent ils ceux de la r volte qu le rendre durablement tranger par la pens e aux tats des choses dans lesquels il vit Benjamin 2003 141 C est un th tre politique dans son contenu mais aussi et surtout dans sa technique dans son savoir faire pratique qui encourage le spectateur devenir le co auteur de la pi ce participer activement au d ploiement de ses potentialit s ouvertes Le communisme artistique passe ainsi par l effacement progressif de la fonction auteur et la reprise d mocratique par les masses des moyens de production artistique subversion de la division du travail et des fronti res entre sp cialit s C est la questi
323. llage entre les fronti res traditionnelles s parant l esth tique et le politique Elle explore les moyens pris par Debord afin de red finir le statut de l artiste et la fonction de l criture dans le cadre d une transformation d une vie quotidienne Dans ce cadre la production artistique se subordonne enti rement au caract re de Debord une personnalit qui se manifeste d abord travers la cr ation d un Grand style qui lui est propre En c l brant le primat du v cu sur l uvre la man uvre de Debord s inscrit dans la tradition moderniste de l art Le chapitre II montre comment Debord souhaita participer l entreprise de politisation de l esth tique qui d finit l action des avant gardes historiques On y explique notamment comment l uvre de Debord s est construite partir des ruines du surr alisme Pour se distinguer de ses anc tres le mouvement situationniste rejeta cependant l esth tique surr aliste du r ve au profit d une nouvelle po tique de l ivresse se basant sur la d rive et sur l intensification du moi La derni re section de ce chapitre se consacre la question de la cr ation d un mythe moderne volont partag e par les deux groupes iv La troisi me partie de cette th se traite sp cifiquement de la construction mythologique de Debord Ce chapitre situe le projet m morialiste de Debord dans la tradition litt raire fran aise de l criture du moi Il explore ensui
324. lui m me qu il aurait sans cesse pratiqu e Ainsi Debord sachant tr s bien qu il pr sentait une facette in dite de sa personnalit dans n girum a voulu avertir ses admirateurs et ses amis On a beau dire Il a vieilli il a chang il est aussi rest le m me Debord 2006 IGI 1774 La figure du cercle se renfermant sur lui m me th me central d In girum ne serait ce que dans le mouvement circulaire du titre palindrome constitue la m taphore privil gi e par Debord afin de repr senter le mouvement tautologique de son existence Ainsi Debord n aura jamais v ritablement quitt son l enfance L enfance Mais c est ici nous n en sommes jamais sortis Debord 2006 Cas 543 Le passage du nord ouest dans lequel il s est engouffr partir de ses vingt ans ne menait qu au point d origine Car la suite tait d j contenue dans le commencement de ce voyage Debord 2006 PAN I 1668 L insistance de Debord sur la permanence de l enfance le rapproche encore une fois de Baudelaire qui d finissait le g nie comme l enfance retrouv e volont Baudelaire 1968 552 157 L veil constant au monde qui d finit l tre l de l enfant confine ce dernier une sorte d ivresse permanente L enfant voit tout en nouveaut il est toujours ivre Baudelaire 1968 552 C est dans cette orgie perp tuelle que Debord veut poursuivre sa vie sans ja
325. m figure l gendaire de Saint Germain des Pr s mannequin toxicomane qui se laisse tomber du balcon alors qu elle n a que 20 ans En 1954 un article de l Internationale lettriste est d di Marcelle M g e de seize ans d f r e au tribunal pour enfant apr s avoir tent le 1 d cembre de se suicider avec son amant Debord 2006 123 Dans son Manifeste pour une construction des situations 1953 Debord se r f re au suicide du peintre Pascin Et Pascin qui s est tu en disant qu il avait voulu fonder une soci t de princes mais que le quorum ne serait pas atteint Debord 2006 105 Dans une lettre envoy e Ivan Chtcheglov Debord colle un article relatant le suicide d un inconnu il s agit probablement de Pierre Feuillette qui se lance dans la Seine apr s avoir cri C est le travail qui cause tous les malheurs de la soci t Debord commente l affaire avec une pointe de jalousie J esp re que ce n est pas cet ennemi du lettrisme qui a fait une si belle fin Debord 2004 136 Tous ces exemples d montrent que Debord est v ritablement hant par la perspective du suicide durant les ann es cinquante Sa collecte de coupures de presse sur ce sujet t moigne d un fort processus 1identificatoire c est son propre suicide possible que Debord projette et r fl chit dans cette s rie de faits divers On retrouve dans les anecdotes v cues le m me investissement
326. mais d cisive rencontre des artisans de la r volution marxiste et des artisans des formes de la vie nouvelle Ranci re 2000 40 84 Dans cette optique l id e de r volution d signe d sormais l mancipation cr atrice d une humanit inaccomplie et qui doit advenir par le biais d une production esth tique accessible tous Les puissances de la vie doivent tre retir es des mains de ses usurpateurs pour tre redonn es aux puissances de l anonyme seuls agents de leurs possibles accomplissements Dans son texte Le message automatique 1933 Andr Breton situait lui m me le mouvement surr aliste au sein de cette ouverture d mocratique de l art Le propre du surr alisme est d avoir proclam l galit totale de tous les tres humains normaux devant le message subliminal d avoir constamment soutenu que ce message constitue un patrimoine commun dont il ne tient qu chacun de revendiquer sa part et qui doit tout prix cesser tr s prochainement d tre tenu pour l apanage de quelques uns Breton 1992 387 C est en particulier durant la premi re p riode h ro que du mouvement surr aliste qu est proclam le caract re collectif de la subversion illimit e promise par l imagination inconsciente r cemment d couverte Pour les surr alistes les profondeurs de l inconscient repr sentent un gouffre sans fond une sorte de patrimoine de l humanit dans lequel chacun peut venir che
327. mais entrer dans le monde adulte avec ce qu il implique g n ralement en termes de responsabilit s et de reniements L image des enfants perdus si ch re Debord souligne que les aventuriers situationnistes ont fait d vier leur enfance de son chemin normal plut t que de la traverser de bord en bord pour en sortir chang s ils en sont rest s prisonniers Ils sont perdus dans la mesure o l enfance les isole d une soci t qui renie l importance fondamentale du jeu pour l humain L enfance devient ainsi le signe d un refus complet du monde et op re une disjonction fondamentale entre le moi ludique et un univers social pragmatique posture par excellence du po te dans la modernit Mais les enfants perdus se retrouvent face un probl me majeur leur sectarisme les pousse explorer un monde totalement inconnu avec des lois obscures et des devoirs nouveaux Pour Debord les enfants perdus se trouvent dans un labyrinthe figure baroque par excellence un univers de signes trompeurs et mensongers dans lequel il faut trouver son passage faire son chemin Le labyrinthe malgr ses pi ges est le lieu du jeu par excellence le terrain de l enfance d truit par l urbanisme moderne On peut d couvrir d un seul coup d il l ordonnance cart sienne du pr tendu labyrinthe du Jardin des Plantes et l inscription qui l annonce LES JEUX SONT INTERDITS En 1956 Debord voulut construire un
328. me prend 173 Ainsi l all gorie reconna t elle qu elle est au del de la beaut Les all gories sont au royaume des pens es ce que sont les ruines dans le domaine des choses D o le culte baroque de la ruine Benjamin 2000d 191 343 conscience du caract re irr m diable du temps et de la mortalit qui en r sulte Se d gageant du sentiment d ternit c est le temps historique lui m me qui se d couvre en tant que seule demeure temporelle de l humanit En tant que r volutionnaire Debord se propose bien s r d agir dans la dimension historique elle m me La perspective de l acte historique ne peut prendre tout son sens que dans un monde conscient de sa propre fragilit de sa propre mortalit La m lancolie issue de la conscience de la mortalit ainsi que la r flexion sur la vanit des choses terrestres deviennent d ailleurs centrales dans l uvre tardive de Debord qui se revendique d sormais ouvertement de l esprit du baroque L uvre de Debord se d gage pourtant de tout historicisme Ce que le montage de citations provenant de diff rentes poques permet justement de faire c est de briser la lin arit historique et de montrer une nouvelle image du pr sent via son rapport au pass L uvre de Debord fonctionne selon une nouvelle modalit d appr hension de l Histoire l anachronisme C est pr cis ment au moment o Debord quitte plus ou moins le terrain polit
329. melle s av re insuffisante pour diviser l uvre de Debord car si cette derni re est en effet marqu e par l emploi d un Grand Style qui varie dans ses formes le style demeure toujours l expression des m mes puissances Le style est l arme privil gi e d un moi pris dans le jeu de la guerre 16 Il appara t certes naturel que ce soit uniquement partir du moment o Debord cesse d intervenir au sein de groupes d avant garde que s op re un changement remarquable aussi bien dans l intention que dans le style des discours Apr s la dissolution de l LS en 1972 la fin d un horizon collectif de l art change les param tres la voix de Debord maintenant lib r e des contraintes d nonciation d un groupe d avant garde peut d sormais se constituer dans son autonomie propre alors que l abandon de la perspective r volutionnaire invite la r trospection C est ce moment l qu on assiste v ritablement une perc e du sujet pleinement visible l mergence d un nouveau type de discours o la pr sence d un je s impose avec violence On retrouve bel et bien une lente conqu te du je dans la d marche de Debord facilement identifiable dans le d roulement progressif de l uvre ainsi on passe des textes polyphoniques lus plusieurs voix de Hurlements en faveur de Sade de La valeur ducative et de Sur le passage de quelques personnes travers une assez co
330. ment de la fondation de l LS en 1957 L Internationale lettriste entre 1952 et 1955 s est orient e continuellement vers une sorte de rigueur absolue menant un isolement et une inefficacit galement absolus et favorisant la longue un certain immobilisme une d g n rescence de l esprit critique et de d couverte Debord 2006 RCS 322 N en demeure pas moins que le sujet de la d rive est le sujet de l ivresse par excellence C est dire qu il d cide de lui m me de se d composer en une s rie des moments variables d intensit La th orie situationniste explicite elle m me ses pr misses concernant la temporalit s appliquant la subjectivit moderne Le principal drame affectif de la vie semble bien tre la sensation de l coulement du temps L attitude situationniste consiste miser sur la fuite du temps contrairement aux proc d s esth tiques qui tendaient la fixation de l motion Le d fi situationniste au passage des motions et du temps serait le pari de gagner toujours sur le changement en allant toujours plus loin dans le jeu et la multiplication des p riodes mouvantes Debord 2006 RCS 327 Pour Debord on le sait la sensation de l coulement du temps vaut comme puissance d ivresse La volont du sujet de l ivresse consiste donc en un parpillement de soi en une d composition de la psych dans une s rie disparate de moments mouvants Par
331. ment pour eux m mes Debord joue de la charge de sens dont ils taient originellement investis du contexte d sert qu ils font secr tement affleurer dans leur nouvelle situation et quelquefois m me de la figure de leur auteur Donn 2004c 32 150 En fin de compte c est uniquement dans le nouvel ensemble que chaque d tournement prend un sens particulier un sens intime qu il est possible de d couvrir si on sait en d chiffrer le sous texte labyrinthique l poque o il compose ses M moires avec la participation graphique d Asger Jorn Debord consid rait cette uvre si herm tique qu il la destinait uniquement ses amis Le proc d compositionnel des M moires contient en lui m me cette forme confidentielle de la communication l origine seuls ceux qui poss daient une connaissance intime de Debord durant ces ann es l taient peut tre capables de comprendre une partie des l ments auxquels se r f rent les d tournements Ainsi travers cette criture cod e le sujet conserve pour lui une partie intime qui se refuse la signification parcellaire ne parvient que mutil e au lecteur elle doit donc tre reconstitu e par lui L aspect beaucoup plus ouvert des crits m morialistes tardifs contraste avec l criture cryptique des ann es cinquante et soixante Dans Pan gyrique tome 1 Debord crit d ailleurs que se faire comprendre est toujours un m rite pour cel
332. meurt avec ses t ches et je ne me suis jamais propos ni ne me suis cru capable de m am liorer Debord 2006 PAN I 1664 L exposition des passions les moins consensuelles constitue une sorte d aveu permettant au sujet de se r v ler dans toute sa nudit et d apporter une lumi re sur une vie hostile aux standards de son poque L exposition des passions doit r v ler le point de vue de l acteur et clairer ses motivations ce que Debord invite le lecteur faire c est adopter sa mentalit afin de mieux comprendre les choix strat giques qui furent les siens Dans une optique autobiographique classique le Pan gyrique de Debord s av re n anmoins d cevant pour celui qui cherche en apprendre plus sur les v nements auxquels Debord fut m l Sur ce plan le discours de Debord demeure d lib r ment allusif ne faisant qu effleurer la surface des choses Ce ne sont pas les faits qui comptent mais le point de vue de l acteur Debord s oppose toute vision neutre des v nements seuls ceux qui y ont particip peuvent revendiquer un 172 droit de parole Ce qui s annon ait comme un r cit de vie plut t classique le premier chapitre raconte l volution de l enfance l ge adulte se transforme en expos des passions en r flexions diverses l auteur se servant de sa propre vie pour disserter sur des sujets plus vastes Debord ne r v le finalement peu pr s rien de surprenant
333. moi profond poss dent la solidit des briques n y entre pas qui veut L uvre de Debord se constitue comme un m canisme de d fense d ploy afin de limiter les assauts de l inconscient et d emmurer la part subliminale La production crite est un moyen d habiter le monde et de construire des murs en tant qu interface elle occupe aussi une fonction protectrice pour celui qui en fait usage Ceci est particuli rement vrai dans l uvre cryptique de Debord En tant que forteresse difficilement p n trable cette uvre dessine un labyrinthe fort diff rent de celui qu on retrouve chez un Breton par exemple qui s offre dans la plus totale transparence Cette volont de se construire dans la transparence de s exposer dans sa nudit au regard de l autre n a jamais t celle de Debord grand amateur et praticien de la duplicit classique qui consiste en un art d avancer masqu On peut souligner les paradoxes d une telle d marche de contr le quand on sait qu elle s labore au sein d une apologie constante de l ivresse du d s uvrement et de l oubli Il faut n anmoins ici se garder de la tentation des interpr tations trop d finitives car rien n est simple dans la posture de Debord Son loge de la rationalit et du contr le est aussi un leurre dans la mesure o il est pleinement conscient tre lui m me anim de pulsions qui ne correspondent pas nos standards de comportements rationnels Dan
334. mpliqu e dans l uvre qui nous donne suffisamment de pistes et d indices pour parvenir des conclusions qui s opposent certains pr suppos s que Debord a d lib r ment entretenus propos de son existence de Machiavel La Rochefoucauld Marx et d innombrables auteurs de strat gie militaire Dupuis 2009 non pagin 324 glorifi e Bien s r le mythe aura toujours quelque chose de plus s duisant et de plus marquant que la plate nudit de la vie quotidienne c est d ailleurs en grande partie ce mythe m me qui attire et charme d abord les lecteurs moi y compris Parfois il vaut mieux ne pas compl tement abandonner le mythe et au contraire se laisser guider ou influencer par lui Le mythe entra ne dans son sillage une puissance permettant l id alisation de l existence l l vation spirituelle l action politique le d passement de soi Dans une poque d senchant e affaiblie par les d sillusions et domin e par un cynisme renonciateur se passer de cette puissance constitue probablement une erreur tactique L avenir du mythe Debord demeure donc ouvert le m canisme pouvant tre d mont l unit jamais d truite Dans le cadre de cette conclusion j aimerais bri vement revenir sur la question de l exemplarit de Debord On s en souvient dans Pan gyrique Debord lui m me pr cise qu il livre sa vie ses contemporains parce qu il la juge exemplaire Je veux d aut
335. n est pourtant pas l aspect biographique la d couverte de la vraie vie qui int ressera le plus Ce qui se d couvre une fois l uvre expliqu e et d mont e ce n est pas tant une existence singuli re mais bien un incroyable travail d crivain D construire le mythe Debord permet donc de r valuer Debord en tant qu artiste majeur de son temps Cette approche est bien s r jug e sacril ge par tous ceux qui se r clament encore de l orthodoxie situationniste et qui refusent cette r cup ration institutionnelle et artistique d une figure purement r volutionnaire Mais c est pourtant uniquement par des moyens artistiques que l auteur de Pan gyrique parvient imposer son personnage mythique s inscrivant dans l ordre du maudit Cette construction de soi loin d tre accidentelle ou secondaire d coule d une intense activit consciente d criture visant subjuguer les lecteurs devant l exemple d une vie parfaite et ind passable La r ception de Debord ne fait donc que commencer Et c est tant mieux l uvre elle m me ne demande qu tre lue qu tre d chiffr e Il ne s agit pas de lire l inconscient de Debord ni de faire le proc s de l homme mais bien se lire le texte lui m me car ce dernier se constitue de facto en texte labyrinthique rempli de double sens de pi ges de sous entendus de r f rences percer Cette lecture d mythifiante est elle m me i
336. n thique Debord 2006 CMR 1801 Selon Apostolid s la m re de Debord appara t comme une femme coquette peu int ress e par largent c est dire d sireuse d en avoir beaucoup et n gligente l gard de ses enfants Elle attire les hommes et m ne une vie confortable en toutes circonstances Apostolid s 2004 960 Apostolid s sugg re ce rapprochement de Debord la femme entretenue quand il voque l identification de Debord l h ro ne de Lola Mont s le film de Max Ophuls Alors que Debord revendique souvent un rapprochement avec diverses figures masculines viriles et h ro ques le f minin est syst matiquement refoul chez lui Limite de la revendication du scandale chez Debord P aventuri re Lola Mont s se situe dans une zone plus trouble plus inacceptable que les po tes maudits ou les criminels elle est une figure f minine de l artiste la mari e entretenue par ses c libataires m mes dans un XX si cle o les avant gardes n ont eu de cesse de d noncer cet tat de la fonction spectaculaire de l art Apostolid s 2004 956 Ainsi travers l identification Lola Mont s c est aussi l identification la figure maternelle capricieuse manipulatrice go ste qui se joue On peut par ailleurs faire un rapprochement avec l arch type de la femme fatale que Debord connaissait bien puisqu il fut amateur de films noir Comme une femme fatale Debord use de sa
337. n matographiques Chez Debord le d tournement proc de toujours la fois d une certaine distanciation entre le moi et la repr sentation et d un r investissement identificatoire Se questionnant sur les d tournements cin matographiques si pr sents dans l uvre enti re Boris Donn en est venu cette conclusion Quand Debord qui se consid re d abord comme un cin aste la pointe de l avant garde renvoie de mani re r p t e au Lola Mont s de Max Orphuls quand il fait allusion un film noir hollywoodien Dark Passage Passagers de la nuit est ce avec la m me distance ironique dont il fait preuve lorsqu il d tourne par exemple certains messages publicitaires ou bien est ce le signe d un r el investissement affectif dans ces films comme lorsqu il se projette dans les uvres de Pascal de Baudelaire Il me semble pr sent que Debord n a int gr dans ses films ou dans ses livres des fragments d uvres identifiables de fa on 264 imm diate ou au prix de quelques recherches que si celles ci entraient profond ment en r sonance avec sa sensibilit Donn 2005 15 Cela confirme que dans son rapport au cin ma Debord n a jamais pratiqu la distanciation les investissements motionnels qui s y produisent sont du m me ordre que ceux qui se manifestent au sein d uvres litt raires majeures C est toujours sous la forme d un d placement fantasmatique que la vraie vie et
338. n 2000d 70 C est en effet une des principales caract ristiques de la repr sentation royale dans le th tre baroque le souverain est presque toujours un bourreau un tyran L aspect tragique attach la figure royale vient de sa mission et de sa position dans l ordre cosmique parce qu il est celui qui fait l histoire le roi s l ve au dessus des 216 hommes dans une position quasi divine Mais en m me temps le roi demeure un homme C est cette ambig it qui soustrait la figure royale aux normes de la morale commune Investi d un pouvoir divin le roi demeure malgr tout humain et c est dans cet cart lement que se situe son aveuglement et sa folie il reste une chose qui parle en faveur de ce C sar ab m dans l ivresse du pouvoir c est qu il est la victime d un d s quilibre entre la grandeur infinie dont le souverain est investie par Dieu et la mis re de sa condition humaine Benjamin 2000d 71 Figure pascalienne par excellence le roi est cette cr ature b tarde qui allie une essence divine et un corps humain son existence terrestre fait que le roi n chappe pas au p ch ni l erreur De cette dualit naissent les d lires tyranniques d une cr ature qui se questionne elle m me sur sa nature trouble sur le plan cosmique et qui teste les limites de sa propre puissance cette exp rimentation dictatoriale de la souverainet est la base des pi ces de
339. n d une servitude n cessaire socialement que se joue ce refus C est uniquement dans ce cadre qu il convient de nuancer le m pris r p t de Debord envers l argent Et c est avec cette r serve qu il convient de mod rer les propos de Debord quand il affirme J aime la libert mais s rement pas l argent Comme disait l autre L argent n tait pas un d sir de l enfance Debord 2006 CMR 1801 En ce sens encore une fois Debord transforme d lib r ment la r alit lorsqu il affirme Le fait de n avoir jamais accord que tr s peu d attention aux questions d argent est un trait si rare parmi mes contemporains qu il sera sans doute consid r comme incroyable m me dans mon cas Debord 2006 PAN 1 1662 La souverainet baroque se manifeste d autre part travers l insensibilit fondamentale dont fait preuve Debord envers son entourage Debord se d finit d abord comme quelqu un qui exerce une violence sur autrui Cette violence est bien s r symbolique mais elle devient l all gorie centrale qui d finit une existence soumise une cause sup rieure Elle appara t d abord dans l exercice de l exclusion qui prend la forme d un rejet radical et d finitif d une personne Une fois exclue du cercle situationniste en effet la personne rejet e n existe plus et les situationnistes font comme si elle tait absente s ils se trouvent en sa pr sence Debord a souvent j
340. n de perturbations impr visibles et de m tamorphoses car chaque image vous force r viser tout l Univers Aragon 2004 125 107 L art surr aliste privil giant le choc par l image les peintres jouent naturellement un r le important au sein du mouvement dresse un dispositif dans lequel le jeu du regard et le caract re visuel de la m diation jouent un r le central Quant eux les situationnistes rejettent la domination contemporaine du visuel comme tant int gr e au dispositif du spectacle Le spectacle est le capital un tel degr d accumulation qu il devient image Debord 2006 SdS 775 Les situationnistes questionnent par ailleurs le potentiel r volutionnaire de l image surr aliste en critiquant notamment la r cup ration des proc d s po tiques surr alistes dans le domaine publicitaire et politique Loin de subvertir l ordre tabli l insolite et l impudeur des productions surr alistes ont int gr le discours spectaculaire marchand qui s adresse d sormais au d sir le plus intime de chacun d entre nous D un point de vue r volutionnaire le projet surr aliste fortement individualiste a donc partiellement chou Pourtant les pr misses du surr alisme taient plut t ambitieuses si on se fie l intuition de Walter Benjamin selon qui le principal objectif surr aliste fut de gagner la r volution les forces de l ivresse Benjamin 2000b 130 Cette ivresse que
341. n lui dans toutes les sph res de la modernit Une des s parations les plus tenaces et les plus difficiles accepter pour l homme contemporain c est celle qui divise le discours et l agir la pens e et la praxis M me les r volutionnaires modernes n chappent gu re cette division qu encourage une poque qui force sans cesse les hommes accepter d odieux compromis Debord pr tend avoir v cu une existence exempte de toutes consid rations pragmatiques ce qui lui permit d viter les situations compromettantes Tout d abord il est assez notoire que je n ai nulle part fait de concessions aux id es dominantes de mon poque ni aucun des pouvoirs existants Debord 2006 IGI 1761 D s lors la vie priv e de l auteur n est plus un domaine pr server du regard car la nouvelle conception r volutionnaire d un art construit sur l exp rience subjective implique n cessairement une quivalence entre la vie et l uvre Et le lecteur se doit de pouvoir v rifier une telle quivalence La discr tion sur ses affaires priv es jadis vertu aristocratique est devenu de plus en plus le fait de petits bourgeois arriv s crivait d j Walter Benjamin propos des surr alistes Benjamin 2000b 118 En ce sens Debord renoue et avec un mod le antique de la pratique philosophique qui ne distinguait aucunement la vie dans la pens e et la vie dans la praxis Dans la tradition philosophique Deb
342. n peut partir du principe que chacun des textes de Debord rel ve de la m me importance dans la d marche globale en pratique cependant il n est pas inutile de se concentrer davantage sur les textes de Mais m me cette division ne va pas de soi Si les textes offensifs cherchent mobiliser des acteurs en faveur de la cr ation d une nouvelle force r volutionnaire peut on dire que les textes d fensifs cherchent uniquement consolider ou d fendre une force d j mise en place dans le cas des M moires il s agit bien s r de l h ritage de Debord en tant qu ultime signifiant r volutionnaire pour son poque Rien n est moins s r car m me le mythe Debord contient en lui m me une force mobilisatrice C est pourquoi je persiste croire que les m moires de Debord occupent aussi une fonction offensive et qu elles restent en partie tributaires du genre du manifeste Le retour soi qui s op re dans les m moires vaut ainsi comme une sorte de manifeste politique r volutionnaire L autobiographie c est ici la critique sociale continu e par d autres moyens et l exemplarit constitue en quelque sorte la preuve de la pertinence d un discours th orique Kaufmann 2001 60 22 nature biographique On a d ailleurs souvent soulign comment m me les textes th oriques de Debord La soci t du spectacle en t te taient remplis d allusions biographiques Mais La soci t du sp
343. n qui va de Bataille Genet dans le cadre de son thique de vie 321 5 Conclusion L uvre de Debord au carrefour de l imaginaire contemporain C est purement n gatif de toujours remettre tout en cause c est en somme la marque des faibles des incapables Charles DE GAULLE la fin de ce parcours il convient d aborder une question cruciale celle de la valeur de l uvre de Debord c est dire sa pertinence pour nous aujourd hui La perspective de ce travail tait d abord et surtout analytique la cat gorie du jugement ne devait pas dominer le propos bien qu elle appert videmment in vitable toute analyse supposant un point de vue Si j ai voulu insister sur les nombreux paradoxes qui traversent l uvre c est surtout parce que ces derniers sont presque syst matiquement occult s par les critiques qui tiennent mordicus l id e de l unit d une uvre qui se veut totalement transparente dans sa volont r volutionnaire Il appara t pourtant que l aspect r volutionnaire de l uvre s il ne peut tre ni ou pass sous silence demeure n anmoins largement surestim la r volution correspond d abord une posture qui se subordonne un projet plus large un projet la fois po tique et existentiel Dans tous les cas j ai d montr que la conception debordienne de la r volution d essence aristocratique s oppose la conception dominante dans la modernit
344. n spectacle par l appareil r pressif La foule anonyme la pl be mena ante devient une spectatrice passionn e et une consommatrice de jugements et punitions elle est du point de vue des pouvoirs la fois une vague source de menace et un objet contr ler Le crime en tant que production culturelle appara t donc avec la soci t du spectacle elle m me Comme le remarque Michel Foucault le XIX si cle d place irr m diablement la pr sentation culturelle domaine criminel Une figure avait hant les ges pr c dents celle du roi monstrueux source de toute justice et pourtant souill e de crimes une autre peur appara t celle d une entente cach e et trouble entre ceux qui font valoir la loi et ceux qui la violent Fini l ge shakespearien o la souverainet s affrontait avec l abomination dans un m me personnage commencera bient t le m lodrame quotidien de la puissance polici re et des complicit s que le crime noue avec les pouvoirs Foucault 1993 331 On sait que Debord tait fascin par le probl me du pouvoir baroque mais il d sirait aussi lier le crime une pratique d mancipation sociale En ce sens Foucault raison d affirmer qu partir du XIX si cle la question du crime et de l ill galit devient de mani re trangement complice ins parable de la question de la police Le crime convoque d s lors imm diatement une s rie de pratiques sociales judiciaires PE
345. nc d abord ce milieu par son improductivit parasitaire ce qui est fort significatif quand on sait que les lettristes font de l oisivet 134 A j Une m me confusion marquera les travaux des premiers sociologues de la ville de Paris de la premi re moiti du XIX si cle pour qui les fronti res entre les classes laborieuses et les classes dangereuses taient floues et mouvantes Fr gier par exemple d crivait ainsi l influence du lumpenprol tariat sur les ouvriers et le passage rapide qui se produit entre ces deux tats sociaux Ces malheureux qui par l exercice de leur profession se rattachaient encore en apparence la masse des ouvriers honn tes et laborieux d pouillent peu peu sous la maligne influence de leurs compagnons de d sordres les habitudes de travail qui leurs restaient et finissent pas embrasser leur vie fain ante et criminelle cit dans Chevalier 1984 255 Pour Fr gier comme pour Marx le d linquant n est jamais loin du travailleur pr t inciter ce dernier refuser l ob issance servile au travail afin de le corrompre en lui donnant acc s aux joies vicieuses d une vie nocturne de d sordre et de crime Le go t du crime se greffe aux prol taires comme un v ritable parasite Pour les penseurs de l conomie politique seule la valorisation du travail unique centre possible de la r volution peut sauver l me de ses damn s de la terre que sont les prol
346. nce en une spontan it et une imm diatet de la r volte populaire id ologie qui allait renaitre pour conna tre son heure de gloire durant les ann es soixante dix en Italie les situationnistes affirment que les r volutions pass es nous apprennent que les masses restent prisonni res des conceptions du monde h rit es de l ordre combattu qui r gne encore C est ce qu expliquait Luk cs en 1920 dans Histoire et conscience de classe la r volution sociale vise justement changer ce milieu et tout changement dans ce domaine va si profond ment contre les instincts de l homme moyen qu il y voit une menace catastrophique contre la vie en g n ral une force naturelle aveugle semblable une inondation ou un tremblement de terre Luk cs 1922 219 Rosa Luxembourg avait d j soulign ce fait allant l encontre des tendances r formistes des sociaux d mocrates toute prise de pouvoir semble toujours pr cipit e aux yeux des masses C est pourquoi Luk cs n entrevoit pas d autre solution au probl me du retard de la conscience r volutionnaire que celle favorisant l action exemplaire d une petite lite devant tracer la voie au prol tariat le bouleversement lui m me doit tre accompli par des hommes qui se sont intellectuellement et sentimentalement mancip s de la puissance de l ordre tabli Luk cs 1922 219 Seuls les esprits mancip s peuvent s unir et construi
347. nce et le m pris Dans les faits l uvre de Debord se construit elle aussi dans un rapport int rioris avec un public m me si elle le nie S il en tait autrement Debord n aurait tout simplement pas tenu laisser de traces En crivant et r crivant sans cesse l histoire de sa propre vie au sein de nombreux m diums le projet autobiographique ou m morialiste s inscrit parfaitement dans une conomie spectaculaire qui m diatise les existences s pare les 331 individus et s pare la vie d elle m me Si Debord pratique l criture il a n anmoins conscience que cette derni re est ins parable de la question du pouvoir Le temps irr versible est le temps de celui qui r gne et les dynasties sont sa premi re mesure L criture est son arme Dans l criture le langage atteint sa pleine r alit ind pendante de m diation entre les consciences Mais cette ind pendance est identique l ind pendance g n rale du pouvoir s par comme m diation qui constitue la soci t Avec l criture appara t une conscience qui n est plus port e et transmise dans la relation imm diate des vivants une m moire impersonnelle qui est celle de l administration de la soci t Les crits sont les pens es de l Etat les archives sa m moire Novalis Debord 2006 S4S 823 L criture cr e une division entre soi et les autres Li e l exercice de la souverainet elle perp tue la m moire
348. nces du faux au point de remettre en cause l habituelle distinction entre le vrai et le faux entre la v rit et le mensonge Mais parce qu il se voit davantage comme un strat ge que comme un artiste dans le sens traditionnel du terme c est surtout en tant que joueur que Debord fait l loge de la manipulation Puisque l art v ritable se pratique d sormais partir de la vie quotidienne c est le r el lui m me que Debord a voulu manipuler l art ne devenant qu un moyen parmi d autres au sein d une entreprise plus vaste Et c est l uvre enti re qu il convient de relire en ce sens On a d j soulign comment les uvres m morialistes de Debord taient compos es l aide d nonc s valant selon une pluralit de sens Boris Donn a bien expliqu le d fi de lecture qu implique une telle duplicit nonciatrice Pour lire Debord il faut savoir se d fier du d sir de trancher entre toutes les significations 105 Donn crit ce propos le bateleur est celui qui se joue des spectateurs na fs en jouant un tout autre jeu que celui auquel il les invite Donn 2008 31 237 possibles cette ambivalence calcul e qui peut aller jusqu la coexistence de sens oppos s est une marque essentielle de son criture Donn 2004c 43 Cette caract ristique plus manifeste dans les crits autobiographiques n en demeure pas moins pr sente dans les crits plus th oriq
349. ncipe sto cien de la non subordination de l individu d termine par ailleurs la d fense du droit au suicide qu on retrouve chez S n que quand la vie devient une corv e p nible mieux vaut librement choisir de s en aller Or dans la culture chr tienne qui institue la vision de la vie comme don de Dieu et donc comme propri t divine le suicide constitue videmment un interdit ne pas transgresser C est dans ce cadre ath e que l on doit interpr ter l apologie lettriste du suicide Debord appara t tr s t t fascin par le suicide surtout celui qui ne trouve pas d explications dans la biographie de celui qui le commet Ne dit il pas dans Hurlements en faveur de Sade que la perfection du suicide est dans l quivoque Debord 2006 HFS 64 Le jeune Debord collectionne les coupures de journaux qui traitent des suicides inexpliqu s ou ambigus commis par plusieurs adolescents durant les ann es 50 Donn 2008 33 Le cas de Madeleine Re neri dit Pirouette qui se suicide l ge de douze ans en se jetant dans l Is re occupe une place importante dans son imaginaire puisque qu il l voque plusieurs reprises notamment dans Hurlements en faveur de Sade film domin par le th me obs dant du suicide Debord 184 va aussi composer une m tagraphie en 1954 Mort de J H ou Fragiles tissus en souvenir de Kaki pour rendre hommage Kaki Jacqueline Harispe une amie de Patrick Strara
350. nfronter l alt rit des opinions ou des personnalit s diff rentes des siennes La relation g mellaire qu il recherche ne se pr sente plus que sous la forme d un monologue deux t tes Malgr son rejet des disciples Debord ne recherche plus que des camarades qui lui ressemblent en tout point qui pensent et agissent comme lui dans un rapport mim tique aussi accablant que celui qu il reprochait auparavant aux pro situs 7 Debord h rite de la tradition marxiste la pratique de l insulte De Marx L nine les penseurs de cette tradition ont souvent pr f r lorsqu ils s en prenaient une doctrine s attaquer l individu plut t qu ses id es en usant d un ton brillamment ironique et sarcastique Il faudrait un jour publier un ouvrage rassemblant les meilleures insultes jet es la surface de la Terre par le camp gauche 37 1 4 L criture et la vie Debord s est toujours plu refuser les tiquettes qu on pouvait lui accoler en se pr sentant comme une singularit absolue au point o plus aucun vocable ne pouvait convenir pour le d finir Sa propre distanciation de tous les milieux officiels du monde de la production fait partie du mythe qu il veut entretenir C est seulement de l ext rieur et jamais par obligation que Debord accepte l occasion d intervenir dans le monde de la repr sentation Ce sont les passions de la vie quotidienne qui prennent chez lui le d
351. ngereux de ses fr quentations Sur cet article de la mort violente je remarque sans pouvoir avancer une explication pleinement rationnelle du ph nom ne que le nombre de mes amis qui ont t tu s pas balles constitue un pourcentage grandement inusit en dehors des op rations militaires bien s r Debord 2006 PAN I 1663 On a beau fouiller sa biographie la notable exception de G rard Lebovici et de Ghislain de Marbaix on ne retrouve pratiquement aucune trace de ses amis qui auraient t tu s par balle La strat gie de Debord 288 des autres groupes d avant garde contrairement ces derniers uniquement int ress s par leurs jeux d esth te l I L pr tend s occuper des forces sociales directes et de leurs contre pouvoirs effectifs La rencontre entre lettristes et les classes dangereuses aussi fantasmatique que r elle correspond donc dans un premier temps une strat gie de distinction de la part des lettristes envers leurs a n s surr alistes auxquels ils doivent tant L entourage criminel d vou Debord doit inspirer la peur aux ventuels ennemis de leur chef En ce sens la tactique a plut t bien fonctionn comme en t moigne cette lettre du surr aliste Jean Louis B doin qui relate un ami la rencontre rat e entre les surr alistes et les lettristes en vue d une action commune qui devait s opposer la comm moration de l anniversaire de Rimbaud B doin voque imm diateme
352. nne et politisation de l art permettent de comprendre le genre litt raire syst matiquement pratiqu par ces groupes le Manifeste Si le genre est invent au XIX si cle et s il s applique principalement au politique l origine il s largit consid rablement pour s accorder un ensemble de sph res et de pratiques Le Manifeste artistique qui merge au XX si cle d double conceptuellement l uvre d art souvent absente pour la pr cipiter dans l ar ne des combats et des luttes qui d chirent la soci t Selon Alain Badiou le Manifeste t moigne surtout du caract re 36 Sur cette question de la filiation de l avant garde avec le romantisme allemand on peut sans doute faire du c l bre essai de Fr d ric Schiller Lettres sur l ducation esth tique de l homme 1795 le grand pr curseur de toutes les id ologies du modernisme artistique Se retrouve en lui l id e de l art en tant que promesse d un homme nouveau vision la base du projet de l avant garde artistique Rappelons que cet essai approfondit notamment la question centrale du jeu dans la cr ation culturelle ces id es seront de nouveau mises de l avant dans l ouvrage de Johan Huizinga Homo ludens 1938 qui a influenc aussi bien Breton que Debord Selon Emmanuel Rubio Breton revendiquait la filiation aux romantiques l humour noir prolonge l ironie romantique plut t qu il ne l ach ve Breton ainsi in
353. notamment parce que son criture po tique ne lui fournit par la reconnaissance escompt e que Lacenaire se tourne vers le crime M me si les exploits criminels de Lacenaire apparaissent comme n gligeables voire risibles ils imposent n anmoins ce dernier la post rit faisant entrer sa vie dans le mythe Pour arriver ses fins Lacenaire sacrifiera la vie de plusieurs de ses complices des petits bandits na fs qu il recrute lors de ses s jours r p t s en prison V ritable personnalit charismatique et mythomane maniant l art de la conservation et de la s duction Lacenaire poss de un naturel don dans le charme et la persuasion capacit qui lui permet de convaincre des alli s se joindre ses mis rables projets criminels principalement des vols tous mal organis s et vou s l chec C est pr cis ment la question de la gloire personnelle qui motive la fois Debord et Lacenaire comme l avait remarqu Stone Richards Il y a en effet des liens nets entre l acceptation de crimes glorieux et la mont e du dandysme jusqu l admiration d mesur e de Debord pour la figure de Lacenaire Stone Richards 2001 91 Le crime tend pour Debord et pour Lacenaire vers une m me finalit celle de se venger d un monde ex cr tout en parvenant la gloire La question de l engagement devient d s lors secondaire C est la misanthropie et le d go t qui justifient l action crim
354. ns pleinement int gr la soci t spectaculaire m me si c est sous le mode de la n gativit En ce sens toute l uvre de Debord est marqu e par une s rie de contradictions insolubles et ce m me si elle pr tend une sorte de puret doctrinaire Je vais pour ma part privil gier une analyse de l uvre faisant ressortir les nombreux paradoxes qui la traversent Le but d une telle d marche n est pas de d truire le mythe Debord allant dans le sens d une poque qui s amuse d molir ses anciennes idoles N anmoins je juge le processus de d masquage absolument n cessaire car le mythe hautement fonctionnel que Debord a construit autour de lui nuit grandement notre compr hension de l uvre et ultimement limite le travail de lecture critique que commandent les temps pr sents Debord ne doit pas chapper au processus de lecture qu entra nent toutes les uvres marquantes qui savent trouver leurs lecteurs malgr l image fig e qu il a voulu transmettre Apr s tout on n appr cie pas un homme selon la conception qu il a de lui m me Debord 2006 POP 471 Il s agit surtout de souligner et d expliciter les contradictions de Debord parce qu elles nous concernent tous du moins jusqu un certain point Je pense en effet que les paradoxes et les probl matiques qui traversent le projet r volutionnaire de Debord sont aussi en partie les n tres citoyens d un monde o
355. nt travers un reflet L obsession de la post rit qui semble soudainement hanter Debord dans les derni res ann es de son existence peut se comprendre comme le souci d une juste et libre production de soi visant perp tuer un moi id alis dans le futur C est son individualit m me qui est en jeu dans le pr sent de la composition dans cet instant angoissant de production et de don de soi C est ainsi que chez lui l crit se lie la vie uniquement dans l horizon de la mortalit 49 1 5 Le Grand style Les philosophes sont des violents qui faute d arm e leur disposition se soumettent le monde en l enfermant dans un syst me MUSIL L homme sans qualit s Qui s obligerait tout dire s obligerait ne rien faire de ce qu on est contraint de taire MONTAIGNE Essais Je d sire maintenant affronter la question du style chez Debord chez lui tributaire de la notion de grand style d velopp e par Nietzsche Car si Debord pr tend m priser les lettres et les fonctions sociales qui s y rattachent il cultive paradoxalement un certain culte du style une recherche de l excellence au niveau de l crit qui passe pour suspecte Quelques critiques ont d ailleurs d j soulign l trange usage stylis du fran ais classique chez Debord avec son souci de concision de puret et de clart souvent pour la critiquer n y voyant qu une forme de mani risme d mod s opposant la
356. nt s applique l ensemble de la pens e strat gique mise de l avant durant l poque baroque De fait Benjamin lie explicitement la strat gie courtisane l exercice dictatorial en politique montrant par l que les deux domaines rel vent d une m me vision du monde domin e par la m lancolie Le fait que Debord se pr sente d abord et surtout comme un sfrat ge devrait mener directement cette piste dans tous les domaines o il agit art politique amour amiti c est en tant que strat ge au sein d un jeu qu il prend des d cisions Puisque l essentiel dans la vie se r sume en un divertissement salvateur qui l ve son existence au dessus de l ennui le strat ge prend ses d cisions uniquement en fonction 233 de l augmentation de son plaisir pour intensifier son existence passionner sa vie Cependant pour parvenir ses fins le strat ge doit cacher son jeu et pr tendre se plier des r gles qu il ne suit pas v ritablement pr tendre tre m par des objectifs qui ne l int ressent gu re en r alit C est dans cette disposition d esprit qui allie cynisme m lancolie et strat gie que se d couvre l int r t de Debord envers Balthasar Graci n Apostolid s a bien d crit ce rapport fondamental et essentiel avec les ma tres de la duplicit classique Ce sont des strat ges de la guerre civile c est dire des th oriciens de l art de s avancer masqu
357. nt son d go t envers le groupe Ce qu on fait vraiment de plus moche dans le genre gueules de faux jetons tendance intellectuelle gangster comme on en voit dans les milieux de Saint Germain des Pr s Et plus loin dans la lettre il avertit son ami J ajoute que ces gens sont dangereux en ce sens qu ils emploient de la graine de tueur recrut e dans les milieux arabes de la rue de la Montagne Sainte Genevi ve Tu vois le genre Tr s capable de vous coller pour quelque temps l h pital cit dans Duwa 2008 140 141 En comparant le groupe des gangsters B doin d montre quel point il a int gr l image que Debord cherche donner son Internationale terme que B doin ridiculise ils sont bien quatre en tout cit dans Duwa 2008 140 Cette identification tout fait intentionnelle surprend peu quand on conna t la fascination consiste modifier ou grossir les faits afin de redorer son image d une aura de dangerosit de subversion 289 de Debord pour le film noir et les romans policiers Cette imagerie de gangsters Debord va la d tourner du cin ma pour la transposer au groupe lettriste lui m me Sa volont de s auto repr senter comme le commandant d un groupe criminel dangereux et clandestin transpara t de multiples reprises dans l uvre Dans sa correspondance Debord voque souvent la menace que ses subordonn s exercent sur 138 sis
358. nte il ne laisse point para tre l aspect irrationnel ou malsain de ses inclinaisons Au contraire il faut imaginer ici une sorte d asc se dans lequel le sujet se contr le lui m me et dompte ses passions avant de les exposer C est d j le processus asc tique la base du grand style que d crivait Nietzsche Vivre dans une impassibilit formidable et 77 ce propos Debord cite la correspondance de Machiavelli Machiavel crivait Francesco Vettori Qui verrait nos lettres il lui semblerait tant t que nous sommes gens graves enti rement vou s aux grandes choses que nos c urs ne peuvent concevoir nulle pens e qui ne f t d honneur et de grandeur Mais ensuite tournant la page ces m mes gens lui appara traient l gers inconstants putassiers enti rement vou s aux vanit s Et si quelqu un juge indigne cette mani re d tre moi je la trouve louable car nous imitons la nature qui est changeante Debord 2006 PAN 1 1670 60 orgueilleuse Avoir et ne pas avoir sa guise ses affects son pour et son contre daigner s y laisser aller pour quelques heures les monter comme des chevaux gt Nietzsche 2000 272 Que Nietzsche identifie ce processus comme uniquement possible chez les personnalit s aristocratiques n est pas le fruit du hasard Durant le Grand Si cle ce sont bien videmment les classes aristocrates qui se sont oppos s la concentration du pouvoir op r e lo
359. observation lev et d une personne capable de se situer en ce point de se poser en ordonnateur et en l gislateur Magris 2003 14 Comment mieux d crire la personnalit de Debord Le concept de spectacle lui permettait d ailleurs d atteindre ce point d observation ext rieur sur le monde et le jugement sans appel qui l accompagne Le d sir de Debord d op rer une critique qui puisse atteindre la totalit du social et de l histoire implique l existence de ce regard ordonnateur du monde dont la modernit a fait le deuil La totalit dont parle Luk cs dans sa Th orie du roman pr suppose non seulement la ma trise artistique mais aussi et surtout un sens unitaire de la vie une valeur autour de laquelle on puisse ordonner la multiplicit de l exp rience Magris 2003 19 En devenant Censeur Juge Debord ne pouvait qu adopter le grand style des moralistes le grand style est par d finition l activit d tres humains qui se pr tendent d gag s des habitudes et des affects qui ombragent la conscience de leurs contemporains Le positionnement ex t rieur du philosophe son intempestivit provient d un notable effort de d gagement des passions et des r flexes de la multitude En ce sens celui qui s adonne au grand art et au grand style est un tre cliv qui se fait violence afin de d gager une puissance une v rit qui le d passe C est pourquoi Nietzsche voque la suj ti
360. ociale impossible C est ce processus que d crit Dominique Kalifa dans son ouvrage L encre et le sang Dans un monde o l histoire n a ordinairement pas droit de cit la violence que le crime introduit au c ur des relations sociales appara t d abord comme un mode d appropriation historique Kalifa 1995 272 En un certain sens le criminel fournit dans l imaginaire la cl du passage l acte ce crucial moment de la d sinhibition qui permet au sujet moderne d agir en dehors d un rapport d ob issance la Loi Le criminel cr e l histoire et son passage l acte symbolise le passage vers un nouveau r gime On se retrouve ici avec la distinction benjaminienne entre la violence protectrice du droit et la violence cr atrice de 148 droit C est cette violence la fois destructrice et cr atrice d un nouvel ordre que Debord veut associer son nom et le travail des groupes d avant garde qu il dirige Le crime devient pour lui une figure all gorique lui permettant de repr senter son action r volutionnaire dans le monde C est cet imaginaire du crime en tant qu acte de cr ation positif s opposant l tat que r cup re la boh me lettriste ainsi que Debord dans sa mythologie personnelle impr gn e de r f rences la litt rature polici re et aux films noirs qui ont marqu sa jeunesse 147 tre sujet cela signifie prendre une position depuis la
361. ode dans les ann es 60 la principale revue de groupe porte d ailleurs le nom Le soul vement de la jeunesse Plusieurs lettristes se pr sentaient eux m mes comme appartenant une vaste confr rie de rat s de tout genre Serge Berna organise d ailleurs le 16 mars 1950 un Grand Meeting des Rat s l H tel des Soci t s savantes de Paris Sur l affiche annon ant l v nement Berna crivit avec d autres lettristes ce texte tournant en d rision l id e de r ussite sociale On nous pr sente comme des MINUS et nous le sommes INCAPABLES INUTILES OISIFS VA NU PIEDS de COMPTOIRS Disserterons Des m rites de l Impuissance Berna 1950 non pagin Sans ambition aucune si ce n est celle de passer du bon temps la jeunesse lettriste se d finit uniquement par son refus total du monde adulte Sans salaire ni travail tous les moyens taient bons ces enfants perdus de l apr s guerre pour trouver des fa ons de financer leur tat d ivresse presque constant Entre 1952 et 1955 les lettristes se fondent dans la foule des jeunes sectateurs qui hantent les rues et les caf s de la rive gauche cette poque les intellectuels et les d linquants se croisent dans certains lieux de libert devenus 1 L expression enfants perdus est primordiale dans la mythologie de Debord elle sert d signer les membres rebelles de sa g n ration n e dans l
362. oi m me Debord 2006 1507 La royaut imaginaire de Debord ne correspond pas un attribut divin mais une vision de soi au sein du monde social Il s agit donc de conqu rir sa propre royaut fantasmatique de se cr er son propre id al du moi et d y tenir jusqu au bout Le moi royal est celui qui fait plier le monde ses exigences et sur ce point on peut dire que Debord a exemplifi cette vision de la souverainet dans sa vie quotidienne majoritairement consacr e la manipulation de sa propre image et la manipulation d autrui En effet une des manifestations de la royaut imaginaire de Debord se retrouve dans sa mani re de traiter l ensemble de ses camarades en subalternes dont la principale fonction consiste ex cuter ses directives Imitant les strat gies de Louis XIV Debord traite les membres de son entourage comme une assembl e de courtisans pr ts tout pour lui plaire Ceux qui ne se plient pas ses exigences sont insult s ou plus souvent exclus de cette cour imaginaire Cette tendance est particuli rement visible dans l abondante correspondance dans laquelle Debord expose sans fard ses attentes envers son entourage Par exemple dans une lettre crite en 1969 Debord reproche son demi fr re Patrick Labaste de ne pas lui avoir donn de largent lorsqu il lui en avait fait la demande Nous avons la bonne habitude de ne jamais supporter parmi les gens qui nous f
363. oint de vue d une politisation de l art mais aussi comme une strat gie de d voilement de soi comme une fa on d appara tre au monde et de se construire une l gende Par del l aspect spectaculaire du personnage Lacenaire combine un ensemble d l ments que Debord a v hicul s travers plusieurs autres figures la m lancolie la ranc ur et la frustration la conscience du g nie et de la sup riorit le 158 Si on veut psychanalyser le tout on dira que Debord fait semblant d tre celui qui poss de le phallus Il est l instar du p re tyrannique imagin par Freud dans Totem et tabou le seul et unique d positaire de la jouissance Il faut noter que ce m canisme de fascination et de s duction fonctionne aussi aupr s des proches de Debord tr s nombreux avoir succomb au pi ge Parce que Debord est fondamentalement quelqu un qui ne donne pas malgr son apologie du potlatch il finit par laisser tomber ceux qui sont dans l admiration l expectative la contemplation en blessant profond ment ces derniers 312 d sir de briller l extravagance la vengeance l absence de remords dans l exercice du crime Debord ne peut qu tre conscient des nombreux parall les qui l unissent Lacenaire mais l identification trouve aussi des r sonnances intimes des liens avec l autobiographie Plus qu un symbole Lacenaire repr sente un v ritable alter go dans lequel Debord retrouve sa propre
364. oir quasi sacr Il s agit bien entendu d une posture qui participe au pouvoir de fascination exerc par le groupe situationniste Toujours dans Critique de la s paration Debord nonce l interdiction d une m diation de l existence au sein de l LS Et ce spectacle du pass fragmentaire et filtr idiot plein de bruit et de fureur il n est pas question de le transmettre maintenant dans un autre spectacle ordonn Debord 2006 CdS 550 En r utilisant plusieurs expressions prises dans la c l bre d finition de la vie pr sent e dans Macbeth de Shakespeare Life it is a tale told by an idiot full of sound and fury signifying nothing Debord exprime l id e selon laquelle la vie personnelle chaotique et d cevante ne doit gu re se m diatiser dans le spectacle en 149 composant une vision id alis e Le discours d sordonn et confus qu il d clame dans ce film Tout ceci il faut bien en convenir n est pas clair C est un monologue d ivrogne Debord 2006 CdS 529 est suppos refl ter le d sordre et l insatisfaction qu on retrouve au c ur m me d une vie quotidienne forc ment intransmissible Comme la vision brouill e de l alcoo la m moire et le langage se d font ensemble Debord 2006 CdS 551 Le paradoxe r side ici dans le fait que les uvres artistiques r alis es par o Debord cette poque sont pourtant d
365. ois de d tourner les puissances id alis es de la fiction pour son propre compte c est ainsi que Jean Batiste Baronian d crit le personnage de Samuel Cramer 155 On pourrait faire ici un lien avec la figure du faussaire sans cesse en jeu dans le cin ma d Orson Welles que Debord admirait tant Deleuze crit ce sujet En levant le faux la puissance la vie se lib rait des apparences autant que de la v rit ni faux ni vrai alternative ind cidable mais puissance du faux volont d cisoire C est Welles qui partir de La dame de Shanghai impose un seul et unique personnage le faussaire Mais le faussaire n existe que dans une s rie de faussaires qui en sont les m tamorphoses Il y a toujours un personnage destin trahir l autre parce que l autre est d j un tra tre et que la trahison est le lien des faussaires entre eux sur toute la s rie Deleuze 1985 189 Pour des nietzsch ens comme Welles et Debord le monde appara t comme un ensemble de donn es ind finiment modifiables afin d asseoir leur mythe et leur character les puissances du faux F for Fake sont par d finition les outils de l artiste Jouer sur les apparences est donc une fa on d imposer sa volont de puissance Par ailleurs la trahison fait videmment partie de l thique de vie de Debord au point o on peut ais ment rapprocher cette thique celle de Jean Genet 309 Un de ses principaux
366. ollectif acceptable c est dire un moyen de se figurer eux m mes en acteurs de l Histoire Cette mani re d crire son histoire d ins rer son v cu dans le domaine narratif Debord va le perfectionner toute sa vie durant Pendant longtemps Debord 263 ne peut crire l histoire de sa vie que par d tournement en empruntant autrui M me dans n girum o l expression directe du je est enfin permise Debord a recours des d tournements de films narratifs pour voquer sa vie et sa l gende De m me les textes m morialistes sont toujours largement compos s de citations et de r f rences la litt rature classique Que les r f rences la culture populaire soient largement abandonn es partir de Pan gyrique ne change pourtant rien au r le pris par le d tournement dans la construction de la personnalit La citation adopt e tardivement par Debord participe en effet d une conomie similaire La citation est videmment un proc d de l intertextualit mais la citation la diff rence du d tournement n a aucune honte de sa source ni du monde qu elle implique Alors qu on pouvait toujours percevoir une certaine dose d ironie dans les d tournements cin matographiques la citation op re directement le r investissement elle constitue une production du moi par le masque Cependant il ne faut pas surestimer la distance ironique mise en place travers les d tournements ci
367. omme quelqu un qui dirige la guerre et non pas comme une personne qui la fait directement combattant sur le terrain Bilheran remarque ce sujet Il faut remarquer encore que la conception debordienne de la guerre est 229 aristocratique au sens social du terme car la strat gie n est possible que pour les chefs Le simple soldat ne comprend rien au d roulement global de la bataille dans laquelle il se trouve engag Bilheran 2007 151 Parce qu il poss de une intelligence sup rieure Debord se doit d tre le strat ge qui dirige l action distance Quiconque a du g nie est tenu d en faire usage cela est tout fait conforme la r gle affirme Debord en d tournant Clausewitz cit dans Debord 2006 IGI 1778 Cette mise distance du terrain de la guerre permet au strat ge militaire de commander l action de loin et de disposer de la vie de ses soldats selon les imp ratifs d un conflit dont les enjeux politiques ne sont jamais per us partir du brouillard de la guerre the fog of war C est pour cette raison que les textes de Debord regorgent de description de cruaut s militaires la guerre se situe par d finition par del le bien et le mal et le strat ge doit agir de sang froid sans aucune sentimentalit ni piti Dans n girum Fr d ric II le roi de Prusse disait sur un champ de bataille un jeune officier h sitant Chien Esp riez vous donc vivre toujou
368. ommun Stone Richards 2001 98 En fin de compte c est bien travers une m diation de la passion que se d couvre l effet sublime que cherche produire le grand style de Debord Un journaliste du D bat d crivait d ailleurs ainsi les particularit s du personnage Ce 63 qui a fascin chez Debord c est un style Son impact le r sultat lectrique d une apologie du d r glement de tous les sens coul e dans la fermet froide d une prose classique quelque part entre Retz Saint Just et le Marx pamphl taire cit dans Debord 2006 CMR 1798 Avec Debord on assiste une concr tisation moderne de l id al classique qui consiste notamment en une pr sentation serr e mesur e et l gante des passions les plus folles et vaines malgr leur violence destructrice Le rejet debordien de la psychanalyse s ins re dans une vision du sujet qui refuse la dimension pathologique et inconsciente pour lui la pulsion est naturelle chez l homme on ne doit pas chercher la contr ler n1 la rendre plus acceptable Il s agit bien s r aussi d une approche rationnelle des affects un id al qui pr suppose un sujet en position de ma trise alors que les motions sont de l ordre de la nature la raison la mesure et l intellect sont les attributs des hommes civilis s qui tentent de ma triser leur propre chaos mais non de le comprendre de le justifier ni de l excuser De cette tension produit
369. on auteure beaucoup mieux assum e dans sa posture d autorit 21 en effet scandalis plusieurs admirateurs de la premi re heure Mais en v rit Debord ne fut jamais vraiment d mocrate dans le sens moderne du terme et son enracinement dans la tradition aristocratique est bien plus profond qu on peut se l imaginer Si une morale la fois pessimiste et aristocratique prend le dessus durant la p riode m morialiste 1978 1993 elle demeure n anmoins une donn e primordiale pour bien saisir Debord dans son unit Chez lui l int r t la r volution trouve ses sources non pas dans un souci sinc re pour la question sociale mais bien dans une passion d chirante pour la temporalit Dans ce go t pour le passage du temps se d couvre la v ritable passion qui a domin le parcours de Debord Si on tient s parer l uvre plut t que sur des donn es historiques ou stylistiques il serait pr f rable d valuer les effets du texte pour mesurer les carts On peut classer les textes de Debord en deux cat gories de posture strat gique ou bien le texte compose une arme directement orient e vers l offensive on parle alors surtout des ouvrages th oriques et des manifestes programmatiques ou bien elle est plus d fensive dans le cas des m moires Mais cette division s estompe quand on comprend que ces deux ordres du discours ne repr sentent que des moyens diff rents de mener une m me guerre En ce sens o
370. on de la l gitimit de la parole de son lieu d nonciation et de circulation qui est remise en cause dans le nouvel art politique en cela contemporain des bouleversements d mocratiques de la modernit et de l irr versible crise de l autorit qui les accompagne C est partir de tels crit res qu on peut en suivant les traces de Benjamin valuer l implication politique d un v ritable art d avant garde dans sa capacit inclure toujours plus de commun dans la sph re de l expression Il faut d abord que cette sph re commune devienne totalement communiste la port e de tous telle une sph re publique de production r ellement partag e par l ensemble totale libert du lieu et de la circulation de la parole Il faut d autre part que le d coupage avant gardiste du sensible op re des modifications allant dans le sens d une transformation lib ratrice de l organisation polici re de la perception des arts hi rarchie des signes 83 des genres et des mat riaux articulation des justes rapports entre les arts eux m mes Debord d crit pr cis ment cette volont situationniste La situation est ainsi faite pour tre v cue par ses constructeurs Le r le du public doit y diminuer toujours tandis qu augmentera la part de ceux qui ne peuvent tre appel s des acteurs mais dans un nouveau sens du terme des viveurs Debord 2006 RCS 325 326 Cette transformation des
371. on du mythe nouveau qui devait r g n rer une civilisation d cadente devint Fabien Danesi souligne que le d bat entourant le mythe s est poursuivi dans l apr s guerre le terme courut tout au long des ann es 1950 1960 dans le milieu de la cr ation plastique de mani re plus ou moins souterraine On le retrouvait par exemple chez le peintre Georges Mathieu ou chez les Nouveaux r alistes Danesi 2008 36 129 centrale aussi bien chez les acteurs culturels que chez les sociologues r unis autour de George Bataille Roger Caillois par exemple a publi en 1938 une tude intitul e Le Mythe et l homme texte qui insiste sur le r le du mythe dans la constitution des communaut s Danesi 2008 37 Si le mythe s ins re aupr s des animateurs du Coll ge de sociologie au sein d une r flexion sur le sacr les avant gardes d sirent conserver l efficacit du mythe en lui retirant tout rapport la transcendance c est en tant que force terrestre que le mythe doit travailler sur un plan collectif d immense en construisant des civilisations nouvelles Chez les surr alistes le mythe op re sur le plan positif d un r enchantement du monde alors que pour les situationnistes le mythe se transforme une pure force de n gation d truisant les conditions existantes En refusant de construire des images positives le situationnisme s oppose l utilisation r demptrice du mythe voulue par les
372. on du style les tres forts sont ceux qui 57 se soumettent douloureusement la discipline du style afin de d couvrir un pouvoir qui les d sarme en partie de leur volont Il est vrai que toute pens e nait dans un n cessaire acte de violence soi m me C est dans la fr n sie baroque reprise dans une certaine mesure par les romantiques allemands auxquels Nietzsche s oppose avec son angoissante production d images sans fin que Nietzsche identifie le mouvement de d cadence litt raire quoi distingue t on toute d cadence litt raire ce que la vie n anime plus l ensemble Le mot devient souverain et fait irruption hors de la phrase la phrase d borde et obscurcit le sens de la page la page prend vie au d triment de l ensemble le tout ne forme plus un tout Nietzsche 1974 43 Une trop grande dispersion des l ments limine paradoxalement la vie qui les anime seule une concentration extr me permet d illuminer de rendre organique et fonctionnelle une uvre d art Il s agit de cr er travers cette multiplicit une force sup rieure apte agencer et ordonner la forme primitive et barbare qu adopte toute expression dans sa premi re manifestation On rencontre ici le paradoxal classicisme de Nietzsche aussi pr sent bien entendu chez Debord Selon la tradition la concision et la force retenue du classicisme s opposent l enflure baroque Mais chez Debord on retr
373. on propre r le historique dans la soci t du spectacle celui d un joueur qui parie sur l chec de cette derni re Boris Donn fournit sans doute la plus juste des conclusions pour d finir l engagement la fois de Gondi et de Debord Ni l un ni l autre n ont lutt pour fonder vraiment un nouvel ordre politique ils n ont voulu que jouer mettre bas l ordre tabli en s attachant avant tout au plaisir qu ils prenaient mener cette guerre Donn 2008 38 La Fronde ne visait pas la r volution mais l augmentation du pouvoir et du prestige de certains nobles les grands du temps de la Fronde utilisaient le peuple pour se faire redouter de la cour Le peuple n avait plus qu dispara tre d s qu ils recevaient satisfaction Les meutes dont ils r vaient ne devaient pas les brouiller avec la royaut mais les faire valoir aupr s d elle B nichou 1948 90 C est en tant que joueur que Gondi m ne les troubles de la Fronde en prenant plaisir dans la manigance en se faisant valoir en troublant la paix sociale Dans le m me ordre d id es la r volution pour Debord vaut uniquement en tant que divertissement 200 dont la finalit importe peu La question de la r ussite de l entreprise devient d s lors secondaire Dire que j ai bien failli r ussir me para t choquant D un autre c t je pense qu il m tait impossible d chouer
374. onctionnel entre sc ne et public texte et repr sentation metteur en sc ne et com dien Benjamin 2003 139 Ainsi au del de sa tendance politique affich e une production qui r ussit subvertir le mode d appr hension usuel des diff rents m dias avec leur r gime de signes leurs interactions et leurs hi rarchies remplit pleinement ce r le r volutionnaire En bousculant les modes perceptifs longtemps fa onn s au sein du public par exemple le rapport conventionnel entre le texte et l image les arts nouveaux comme la photographie et le cin ma apparaissent Benjamin comme potentiellement porteurs d mancipation Pour les avant gardes artistiques en effet la r volution ne peut advenir qu partir d une transformation radicale de la conscience les pratiques d avant garde en cr ant de nouvelles perceptions permettent une modification anthropologique de l homme en ce qu il se pense lui m me et contiennent un potentiel organisateur in dit Pour les avant gardes artistiques la 33 L int r t de Debord envers le travail de Brecht ne fait aucun doute Dans les tats ouvriers seule l exp rience men e par Brecht est proche par sa mise en question de la notion classique de spectacle des constructions qui nous importent aujourd hui Debord 2006 RCS 320 81 modification de la conscience repr sente l tape essentielle du processus r volutionnaire en cela ces gro
375. ondamentales sont partag es par les deux mouvements celle d une r volution totale v cue dans la vie quotidienne ainsi que celle d une spatialisation de l exp rience subjective op r e partir des mat riaux urbains les fl neries surr alistes et les d rives lettristes Les situationnistes aspirent comme leurs pr d cesseurs une r volution permanente de la vie quotidienne mais ils poussent la m fiance envers les institutions artistiques et envers la repr sentation jusqu ses ultimes limites Pour que la vie elle m me 67 devienne cr ation une uvre d art valant en soi et pour soi les situationnistes s approprient un objectif rejet par le mouvement surr aliste qui en porte pourtant les bases celui du d passement de l art Les situationnistes d sirent aller plus loin encore et tentent d abolir la repr sentation en cr ant une avant garde sans uvres S op re ainsi entre les deux mouvements un passage entre deux esth tiques contradictoires un passage entre une esth tique bas e sur le r ve et sur le choc subi et une esth tique de l ivresse issue d une subjectivit d sormais active et centrale Il ne s agit pas d une coupure nette mais bien plut t d une reconfiguration qui fonctionne pleinement selon le sch ma des avant gardes On retrouve en effet des liens n cessaires entre le r ve surr aliste et l ivresse situationniste si bien qu il convient davantage de parler d
376. onde tout n est qu un jeu sur les apparences et l tre existe uniquement dans l ordre de l appara tre Cette instabilit fondamentale du monde est la base de l angoisse baroque et de son loge paradoxal d un monde terrestre condamn demeurer dans l opacit car la direction des choses est toujours l uvre d une force inconnue Le baroque originel se produit 337 au moment o Dieu s loigne du monde et laisse l humanit se d couvrir elle m me dans son myst re et ses possibilit s C est l angoisse li e cette perte qui provoque le moment baroque d sesp r ment la recherche d un ordre qu on devine disparu jamais Dans la modernit une fois le cr puscule des idoles devenu un fait accompli le sentiment baroque ne prend plus naissance partir du domaine de la foi ou de la croyance C est d sormais l Histoire qui incarne cette force transcendantale qui aspire toute chose vers le gouffre et soumet les hommes ses tranges desseins Mais le monde dans lequel nous habitons demeure toujours aussi imp n trable Notre poque revit donc sa mani re ce moment baroque o l humanit d couvre que le r el fuit sans cesse sous les apparences trompeuses Cette perte de sens se retrouve en effet enti rement dans la soci t spectaculaire o les gens tournent en rond dans la nuit et sont consum s par le feu Ils se r veillent effar s et ils cherchent en t tonnant la vi
377. ontr le informatique etc et le pr sent perp tuel qu institue la r alit m diatique travers l acc s de tous au m me moment aux m mes informations a encore amplifi la domination polici re de la vie Il n emp che que ce dispositif est d j pr sent l tat embryonnaire au XIX si cle 296 d jouer la police et de jouer aux plus brillants avec les forces de l ordre devient pour De Quincey un art respectable auquel peut s adonner tout bon gentleman La presse sensation et le roman policier constituent de nouvelles formes culturelles participant au faible enthousiasme populaire pour l ordre tabli ce qu ils mettent en sc ne c est presque toujours le triomphe de l appareil policier et judiciaire sur le criminel venu perturber le cours normal des choses En ce sens le r le du roman ou du feuilleton policier au XIX si cle est ducatif Le personnage du d tective devient central dans la modernit parce qu il t moigne d une rationalit sans faille et parfaitement adapt e sa soci t et sa morale Moderne don Quichotte dont la certitude subjective n a plus rien de d monique ne contient plus aucune utopie le d tective est un redresseur de torts qui r ussit dans son entreprise Son uvre sa fonction dans la litt rature du divertissement est rassurante comme la religion du dimanche Rochlitz 1981 24 Mais dans le rapport au genre policier de Debor
378. opres fantasmes et ses propres illusions dans la s rie des v nements voqu s Pour illustrer cette forme elliptique du discours prenons cet exemple tir de Pan gyrique tome 1 Il y avait les rues froides et la neige et le fleuve en crue Dans le mitan du lit la rivi re est profonde Il y avait les coli res qui avaient fui l cole avec leurs yeux fiers et leurs douces l vres les fr quentes perquisitions de la police le bruit de la cataracte du temps Jamais plus nous ne boirons si jeunes Debord 2006 PAN I 1667 L criture fragmentaire et l impression de discontinuit qui en r sulte cr ent des images sublimes qui exigent la participation active du lecteur la composition par juxtaposition de citations ou d l ments d tourn s aboutit l effacement des liaisons au lecteur de restituer la logique secr te des encha nements Donn 2004a 15 Je remarque que cette forme fragmentaire du r cit tait d j celle utilis e par Debord dans ses crits autobiographiques de jeunesse pour exemple l ouverture caract re intimiste du Manifeste pour une construction de situations crit en 1953 Et Vincent Van Gogh dans son CAF DE NUIT avec le vent fou dans les oreilles Et Pascin qui s est tu en disant qu il avait voulu fonder une soci t de princes mais que le quorum ne serait pas atteint Et toi coli re perdue ta belle et triste jeunesse et les neiges d
379. ord exemplifie la conception pr moderne de la vie dans la pens e en tant que recherche et pratique de la vie juste une vie coordonn e avec le monde id al du Vrai Dans ce mod le la pens e ne revendique aucune autonomie elle vaut uniquement en tant que d termination d une recherche de la vie en tant que manifestation de la sagesse Le paradoxe chez Debord c est que le mod le exemplaire d ad quation entre la pens e et la vie qu il propose ne se pr sente gu re sous le signe de la Sagesse Bien qu il adopte parfois les traits du Sage Debord revendique ses exc s et les aspects d lirants de sa personnalit L exposition des vices fait partie int grale du mod le la fid lit du sujet ses propres app tits fait partie d un mod le qui revendique sa part maudite sa fascination pour le Mal comme donn e fondamentale de la condition humaine Debord explique avec des arguments similaires ceux de Benjamin les raisons pour lesquelles la plupart des r volutionnaires refusent d voquer leur vie priv e et de narrer le cheminement de leur existence Les hommes le plus souvent sont si port s ob ir d imp rieuses routines que lors m me qu ils se proposent de r volutionner la vie de fond en comble de faire table rase et de tout changer ils ne trouvent pas pour autant anormal de suivre la fili re des tudes qui leur sont accessibles et ensuite d occuper quelques fonctions ou de s
380. ordre personnel le suicide devient pour Debord un moyen de manifester son m pris du monde comme le sugg re la pr c dente citation le suicide est donc aussi un geste pleinement politique Dans la perspective nihiliste qui domine au temps de l I L le suicide ou la prison semblent les seules issues possibles pour cette jeunesse perdue Debord revient d ailleurs sur la perdition de cette jeunesse rebelle dans Pan gyrique V ai donc surtout connu les rebelles et les pauvres J ai vu autour de moi en grande quantit des individus qui mourraient jeunes et pas 7 Debord pensait il d j son futur suicide quand il crivit en 1989 dans son Pan gyrique tome premier comme s exprime peu pr s Pascal le dernier acte est sanglant Debord 2006 PAN I 1682 77 C est une hypoth se mise par le biographe Christophe Bourseiller qui se base sur une lettre dans laquelle Gil Wolman crit que Debord a tent de se suicider au gaz en 1953 Cette information est confirm e par le t moignage publi en 2001 par Jean Michel Mension Le Temps gage suite l chec amoureux avec liane Papa Debord fit alors une tentative de suicide rat r ussie et partit se reposer quelques jours Cannes chez ses parents cit dans Bilheran 2007 227 186 toujours par le suicide d ailleurs fr quent Debord 2006 PAN I 1663 Pour la jeunesse perdue seule la mort violente peut mettre un terme une v
381. ortements humains sont admissibles il n y a plus de morale plus d interdit Les hommes sont manipul s par 107 Soit l action soit le discours tout doit tre mesur au temps Il faut vouloir quand on le peut car ni la saison ni le temps n attendent personne cit dans Debord 2006 CSS 1644 243 Dieu comme les pi ces d un jeu le jeu de l Histoire qui soumet d sormais les hommes ses obscurs desseins On retrouve dans cette citation le nihilisme moraliste et la m lancolie baroque qui permettent le d veloppement d une perspective strat gique justifiant la tyrannie et la cruaut du pouvoir C est seulement travers cette froideur dominant le foisonnement des passions que le souverain moderne peut lever son jeu au niveau des jeux divins et augmenter sa puissance et son potentiel de domination Inutile de dire qu une telle perspective strat gique entre en contradiction avec certains id aux libertaires et h donistes port s par les situationnistes Car la strat gie par d finition doit dominer toutes les passions qui peuvent venir perturber son grand jeu Elle est n cessairement une passion dominante car elle exige de la part de celui qui s y plie une capacit de contr le quasi inhumaine contr le de soi et contr le des autres Cette volont de puissance correspond un moment apollinien elle permet une forme d harmonie sup rieure mais seulement dans la mesure o elle r prime le
382. oud e par le secret Les lettristes puis leurs descendants situationnistes rejetant les formes institu es de la politique repr sentative s inscrivent donc dans la tradition des conspirateurs comme Blanqui ou Bakounine avec leur attachement la structure des soci t s secr tes et sa pratique de la clandestinit Debord d nonce illusion de transparence qu entretient la soci t du spectacle et demeure attach la conception 131 Philippe Muray dans son livre Le XIX si cle travers les ges 1999 explicite les liens qui unissent historiquement le socialisme et l occultisme Blanqui avec son texte L ternit par les astres est bien s r l arch type du r volutionnaire imbib d sot risme et de conceptions mystico herm tiques sur l ordre de l univers 132 Debord tait conscient de cette alliance entre les soci t s secr tes et les groupes de conspirateurs au XIX si cle Toujours pr occup par le besoin d identifier dans le pass des anc tres pouvant donner sens son entreprise actuelle Debord crit dans une lettre Chtcheglov en 1953 une surprenante histoire des insurrections parisiennes du si cle pass Sur le quartier de Saint Germain des Pr s le rep re des lettristes Debord affirme D autre part la montagne Ste Genevi ve se r v le au long de l histoire le haut lieu de toutes les conspirations Au XIX s le quartier le plus solidement insurrectionnel de Pa
383. ouve une valorisation extr me de la mentalit baroque alors que sur le plan stylistique on privil gie nettement la clart expressive des classiques du Grand Si cle que Nietzsche admirait d ailleurs tout autant que lui Comment interpr ter la cohabitation chez Debord de ces deux traditions distinctes On retrouve cette m me dualit dans la philosophie esth tique nietzsch enne partag e entre la posture autoritaire du classicisme et le rel chement que permet l ivresse 58 Il faut d abord rappeler que les adeptes du grand style ne sont g n ralement pas d pourvus des passions qu il reproche souvent leurs contemporains Chez Debord par exemple on revendique pleinement ses passions et l aveuglement qu elles provoquent Ce qui donne lieu parfois de d licieux retournements de sens par exemple quand L Internationale situationniste d tourne la maxime de La Rochefoucauld Ce qui nous emp che bien souvent de nous adonner un seul vice c est que nous en avons plusieurs on comprend que la maxime doit signifier exactement le contraire que le sens originellement impliqu par son auteur L loge du vice et de la passion amoureuse guerri re thylique ou autre est constant dans l uvre m morialiste de Debord L amiti la rupture la violence font partie d une s rie de passions que Debord reconna t chez lui et qu il tente d expliquer par son poque troubl e la d gradation de
384. participant la fois du r el praxis et de l imaginaire repr sentation il est ce qui dans l ordre de l id alit ouvre le domaine de l action il constitue l arri re fond qui rend l acte possible Il devient le support imaginaire d une action ind termin e en tant que repr sentation formelle le mythe ne convoque pas une pratique d finie il laisse la libert aux hommes de d finir eux m mes leurs propres praxis selon les circonstances de la lutte La question du mythe sor lien poursuit d une certaine mani re l antagonisme op rant entre le r ve et l ivresse L opposition se transpose dans l ar ne politique et divise les partisans de la r volution en deux camps ceux en faveur du spontan isme l ivresse et ceux en faveur de l organisation des forces au sein d une hi rarchie centralis e le r ve Ce d bat a d ailleurs d chir les r volutionnaires de la premi re moiti du XX si cle L nine Gramsci Karl Korsch Rosa Luxembourg Luk cs et plusieurs autres ont d battu longtemps sur le statut de l organisation r volutionnaire Les partisans d une approche spontan iste rejettent la n cessit d un corps organis et 136 planificateur d fendant les r flexes des masses et l autonomie ouvri re Malgr leurs tendances anti l ninistes les situationnistes adoptent une position interm diaire la r volution selon eux a toujours besoin de son avant garde Contre la croya
385. pass Debord 2006 G1 1784 La grandeur de l assaut de mai 68 que Debord pr sente dans In girum comme le r sultat de sa seule volont n aura pas de pr c dent trangement ce fait d armes est voqu tr s rapidement dans le film qui se concentre surtout sur les ann es lettristes toujours pr sent es par Debord comme les plus d cisives pour lui Les ann es durant lesquelles tout paraissait possible alors que les arbres n taient pas morts touff s et les toiles n taient pas teintes par le progr s de l ali nation Debord 2006 IGI 1771 sont d finitivement pass es Tout ce qui reste c est une pr cieuse m moire transmettre au monde Qui pourrait pr sent qu il n en reste rien comprendre cela hormis ceux qui se souviennent de cette gloire Debord 2006 IGI 1770 L abandon de la perspective r volutionnaire ne fait plus de doute dans les Commentaires sur la soci t du spectacle publi s en 1988 Debord y affirme que 5 Selon Debord c est uniquement dans l ombre de mai 68 que toutes les politiques d mancipation peuvent d sormais s laborer Mais le r el sens de l v nement de mai 68 parait volontairement occult par la soci t du spectacle Sur ce point Debord a videmment raison car on assiste dans presque tous les pays occidentaux une tr s difficile n gociation avec l h ritage traumatique de ces mouvements 18 Partout o
386. plient t moignent de ce sentiment d irr alit g n ralis qui finit par s attaquer aux structures psychiques elles m mes Les carnages multipli s par ces hommes ordinaires sans qualit s qui entrent dans des coles ou d autres lieux publics pour faire le plus grand nombre de victimes possibles sont d autres indices de ce haut niveau de peu de r alit dans lequel on baigne ce qu avait bien soulign Andr Breton dans un c l bre article Cette instabilit et cette irr alit du monde qui font na tre la forme baroque se retrouvent dans la production artistique moderniste On retrouve en effet une v ritable communaut d esprit entre le baroque originel et la production culturelle d avant garde L art d avant garde parce qu il privil gie le fragmentaire l ellipse le collage l intrusion d objets du quotidien favorise une compr hension de l art dans laquelle l unit du monde s est perdu Il s agit toujours d en finir avec l organicit de l uvre d art en prenant acte du chaos de l univers et de l absence de crit res universels du Beau L art d avant garde se doit donc d imiter l absence d ordre qui caract rise notre conscience du monde Pour Walter Benjamin la signification de l uvre baroque est toujours de l ordre de l all gorie et cette all gorisme continue de d finir l art moderne dans lequel l unit de l uvre d art ne dispara
387. plus grand art populaire celui qui permit de r unir les plus grandes foules et d unifier les imaginaires collectifs dans des ensembles de repr sentations partag es Le cin ma fut longtemps cet art qui forma les sujets et les communaut s et la forme artistique qui permit d expier les traumatismes collectifs en les m diatisant ou en les occultant Pour donner un exemple connu et qui concerne directement l histoire de Debord et de sa g n ration on sait que la reconstruction de l Europe apr s 1945 n aurait jamais t la m me sans l aide du cin ma Gr ce aux valeurs et aux repr sentations diffus es par le cin ma am ricain l Europe put devenir ce bon l ve du plan Marshall et se reconstruire aussi bien physiquement que psychologiquement Mais avant de devenir cet art spectaculaire servant diffuser un mod le social voulant unifier la plan te le cin ma fut applaudi partout dans l entre deux guerres comme une forme d art r volutionnaire et li e aux masses On ne les compte plus ces avant gardes qui ont vu dans le cin ma un nouveau m dium qui allait permettre de provoquer la r volution politique et spirituelle puis de l accompagner en synchronie avec le peuple en marche L nine Eisenstein Breton Artaud Bu uel Benjamin chacun sa mani re attribuait une place centrale au cin ma dans le mouvement 247 r volutionnaire qui allait modifier l esprit la morale et l conomie On sa
388. pose l attitude de ses contemporains qui sont port s justifier les affronts dont ils ne se vengent pas Debord 2006 IGI 1335 Le principe voulant que tout dans le monde soit fait pour d plaire l individu est la source de son d sir de r volution Un trait de caract re m a je crois profond ment distingu de presque tous mes contemporains je n ai jamais cru que rien dans le monde avait t fait directement pour me faire plaisir Les caves pour dire le vrai raisonnent toujours l inverse Debord 2006 CMR 1797 Tout part donc de l individu et de ce conflit perp tuel entre le d sir et la r alit hostile au d sir Debord 2006 RCS 327 L insulte faite au genre humain s applique chaque individu en particulier C est partir de ce tort universel que peut se constituer le prol tariat L identification tardive de Debord au prol tariat fonctionne au sein d une conomie de la vengeance r paratrice Si Debord s associe au prol tariat ce n est donc pas parce qu il partage un romantisme ouvri riste mais parce que pour lui le prol tariat d signe une position vacante sur l chiquier social Debord adopte la d finition du prol tariat comme 191 figure absente sans cesse en construction dans le travail de subjectivation de ceux qui se d finissent en tant que prol taire Le prol tariat repr sente la part des sans part Jacques Ranci re c est dir
389. poser un usage simplement communicatif Loin de se limiter l exploration de sa mat rialit signifiante le langage chez Debord serait plut t de l ordre de l interventionnisme En effet toutes les forces langagi res tendent vers un seul but celui de transformer le r el lui m me en mobilisant des acteurs dans le rejet de leur assujettissement Dans la tradition des avant gardes le langage par del son aspect repr sentatif devient performatif 11 doit intervenir dans le r el pousser l action violente modifier les formes de la mati re Dans un manifeste le langage tend sortir de lui m me pour venir se loger au c ur du vivant C est dans cette optique que Debord d cide d habiter le langage dans un renouvellement complet de la pratique po tique Apr s tout c tait la po sie moderne depuis cent ans qui nous avait men s l Nous tions quelques uns penser qu il fallait ex cuter son programme dans la r alit Debord 2006 PAN I 34 35 C est au sein du vivant que Debord se propose de faire advenir la po sie Il y a bien chez Debord une certaine conception de l incarnation une vision particuli re du verbe fait chair Un des exemples les plus repr sentatifs de cette pratique se retrouve dans les cinq Directives peintes par Debord l occasion d une exposition au Danemark en 1963 Plusieurs de ces peintures furent rapidement d truites par une bombe incendiaire pos e par un provo
390. positionne dans le champ h g lien de la mort de l art devient ainsi le mode op ratoire d un d s uvrement collectif C est en ne croyant pas aux uvres actuellement permises qu une avant garde fait aussi les meilleures des uvres 88 actuellement permises Debord 2006 639 Cependant Debord n a pu r sister apr s l aventure de l LS la tentation de se constituer en personnalit spectaculaire en se pr sentant comme le seul v ritable r volutionnaire de son poque Son existence historique passe alors dans le mythe Debord r int gre l conomie particuli re qu il d non ait l poque de la gloire de l IS Cette trajectoire d montre qu on ne se d barrasse pas des mythes comme on jette un chiffon C est pr cis ment au moment o on veut leur r gler leur compte en les ramenant leur statut de simple r cit symbolique que ces derniers reviennent hanter l imaginaire Le refuge que Debord trouve dans la narration de soi t moigne de la t nacit de l conomie mythologique dans la soci t spectaculaire 2 3 Images terreur choc Dans son article Le surr alisme le dernier instantan de l intelligentsia europ enne Walter Benjamin pr cise son admiration pour le mouvement surr aliste et son appr ciation du contenu mancipateur de sa pratique C est surtout autour de la notion d image que se noue le rapport passionnel entre Benjamin et le surr alisme An
391. potlatch pr tend subvertir voire d truire les fondations m mes de l change il ne fait qu en modifier les conditions d exercice ainsi que les termes L change demeure et la question du quantifiable m me transform e via le retrait de l id e d quivalence se pose toujours mais dans un rapport invers l change doit d sormais se produire dans un rapport disjonctif privil giant la non quivalence absolue des termes Le potlatch ainsi d fini est une thique de la diff rence qui m diatise deux extr mit s jug es dans 13 Selon Apostolid s Debord aurait v cu un renforcement narcissique lors du d c s de son p re biologique alors qu il t g de 4 ans le jeune Guy a construit sa personnalit profonde partir d un sentiment de toute puissance auquel les psychanalystes donnent le nom de narcissisme primaire ce n est pas l enfant que l on loignait du p re c est au contraire Guy qui tait assez fort pour tenir le p re distance l enfermer ou m me le faire dispara tre pour finalement prendre sa place il en a galement conclu qu il tait assez fort pour saccager le royaume du P re le tenir loign et s emparer de la femme aim e Apostolid s 2004 960 961 Le cas Debord m riterait lui seul une tude psychanalytique approfondie 28 leur diff rence qualitative essentielle dans leur non rapport sur le plan de la valeur L in galit de la natu
392. pourra en combinant le g nie de ses pr d cesseurs Machiavel Hegel Marx Fourrier et Retz et en les d passant faire appara tre aux vivants la r v lation du Graal Ce dernier repr sente donc l esprit de la r volution sans cesse r prim e dans 53 amp x i A g a P Histoire Puisque seul Debord poss de la connaissance requise il devient lui 51 2 4 RS La r solution de faire soi m me son histoire voil le secret de toutes les sauvages et incompr hensibles n gations qui bafouent l ordre ancien Debord 2006 VSI 1092 52 Alors quel tait il ce Graal n faste si ardemment poursuivi Dans M moires il est figur graphiquement sur le collage en forme de gravure m di vale de la page 43 plac sur une table ronde autour de laquelle sont rassembl s les philosophes qui ont jet les fondements d une v ritable critique de la politique Machiavel Hegel et Marx encadr s de deux figures moins attendues incarnant respectivement la r volte v cue sur le mode du jeu Retz et l ambition d une r organisation passionn e de tout l espace social Fourier Sur le collage tous sont repr sent s de face autour de la table comme s ils regardaient un convive encore absent de l image Ce convive attendu dans le ch teau myst rieux est bien s r Debord lui m me appel partager avec ces compagnons illustres la r v lation du Graal Donn 20044
393. pr sente sans doute l aboutissement sophistiqu de la souverainet biopolitique cette gestion polici re des corps en fonction des int r ts sup rieurs de l tat Le spectacle n cessairement li l tat se lie aussi la sph re de l conomie d terminant l univers de la production et de la consommation Dans le capitalisme avanc le spectacle dicte nos actions en fonction d une production planifi e le spectacle est l affirmation omnipr sente du choix d j fait dans la production et sa consommation corollaire Forme et contenu du spectacle sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du spectacle 190 existant Debord 2006 SdS 767 Plus grave encore ce mode de production d truit dans son mouvement infini l environnement terrestre polluant l air et les aliments quand Debord insiste sur la destruction du monde habitable par la pollution il justifie son droit la r plique Car celui qui ne r pond pas de pareils affronts porte sa part de responsabilit dans cet enfer Un des traits que Debord h rite de l aristocratie du Grand Si cle consiste en un devoir de vengeance afin de r parer l honneur souill principe antichr tien s il en est Contre le spectacle et sa vaste entreprise de domination du genre humain Debord fid le au principe de la non subordination individuelle d cide de r pondre l attaque La pratique debordienne de la r plique s op
394. presque absolue libert qui s est rar fi e avec le progr s de l conomie spectaculaire marchande Ainsi le rapport au pass devient peu peu central pour Debord qui se positionne progressivement dans la tendance romantique de la r volte antimoderne Quand ce dernier voque en 1967 le principe marxiste d une exigence de la domination permanente du pr sent sur le pass Debord 2006 SdS 816 il d finit pr cis ment ce que doit tre la position r volutionnaire face aux forces du pass non pas un rejet pur et simple mais plut t un rapport domin par les imp ratifs de la lutte pr sente Debord rejoint ainsi le r le que Benjamin avait attribu l historien mat rialiste Faire uvre d historien ne signifie pas savoir comment les choses se sont r ellement pass es Cela signifie s emparer d un souvenir tel qu il surgit l instant du danger Benjamin 2000c 431 C est uniquement dans le drame contemporain que les ruines du pass peuvent servir les vivants en transmettant des significations qui avaient disparu de notre horizon Car loin de se construire dans un rapport de domination unilat rale c est l urgence du pr sent qui doit red finir le r le du pass Ce qui se produit dans les moments r volutionnaires c est pr cis ment un fort r investissement symbolique et psychique d un pass red couvert dans l urgence d un moment de d cision absolue dans le
395. pri t de l image nous ne pouvons produire une notion cons quente de l image sans une pens e du temps impliquant la diff rence et la r p tition le sympt me et l anachronisme c est dire une critique de l histoire comme soumission unilat rale au temps chronologique Didi Huberman 2000 48 175 C est uniquement la voix off de Debord qui permet ces morceaux d acqu rir une nouvelle signification fixe Contrairement d autres films qui mettent aussi le montage l avant plan de la d marche filmique l interpr tation des chocs produits entre les divers fragments n est pas laiss e la discr tion du spectateur dans le cin ma de Debord le sens nouveau se subordonne enti rement l autorit du discours qui s approprie les d tournements son propre compte D j dans une lettre crite van Chtcheglov en 1953 Debord affirme que le cin aste Robert Bresson est le seul metteur en sc ne qui ait os faiblement pressentir la supr matie de la parole sur l image Debord 2006 113 114 Mais malgr cette volont de domination les images par la puissance qui leur est propre chappent en partie la violence symbolique que leur faire subir Debord dans son discours Et c est ainsi que son cin ma produit une certaine beaut baroque par cette polyphonie qui prolif re malgr cette voix off qui tente d en limiter les effets 346 l criture du Pan gyrique qui devai
396. pris part ces troubles Debord 2006 PAN I 1656 1657 Ainsi la technique de Debord consistera parler de lui m me partir de consid rations sur son poque mouvement e et traiter de son poque travers sa propre vie avec ses passions et ses inclinaisons C est sur ce plan qu il convient de saisir le projet m morialiste de Debord en parlant de sa vie c est toute son poque que Debord veut r valuer en confrontant son moi et son temps Quand Debord met de l avant certains traits de sa vie il met aussi en vidence une qualit particuli re de son poque Et je me persuade que les grandes lignes de l histoire de mon temps en ressortiront plus clairement Debord 2006 PAN I 1657 Cette union structurelle entre le sujet individuel et le domaine historique s oppose la conception bourgeoise qui pr suppose l existence d une sph re priv e pr serv e de toutes influences politiques Pour Lucien Goldmann Il est vident que dans la mesure o l action historique constitue le th me et la probl matique d une uvre les forces agissantes ne sont pas des individus mais des groupes car le temps individuel n est que biographique alors que le temps historique est le temps des groupes Goldmann 1971 73 Chez Debord cependant on ne retrouve pas cette autonomie de la sph re individuelle qui r gne normalement dans le genre autobiographique Debord refuse donc cette traditionnelle s
397. pulsion d mocratique Pour Mario Perniola au contraire Debord atteint par son utilisation singuli re du grand style une puissance in dite dans le si cle c est pour moi une source de grande joie que d avoir connu l homme qui dans la seconde moiti du vingti me si cle a t la personnification du grand style Guy Debord Perniola 2001 212 Que doit on comprendre de cette affirmation Que ce que cela peut bien vouloir dire que Debord ait personnifi le grand style dans son poque Il faut bien admettre dans un premier temps qu une des forces de l uvre de Debord r side dans la pr sence d un style insolant venant appuyer une forte 50 personnalit certes d mesur e selon les standards en vigueur mais qui peut s en plaindre une poque o la modestie et la politesse dominent partout les discours et les caract res devenus trop souvent insipides Debord lui m me sait bien que le scandale majeur se trouve l On est facilement coupable d avoir du style l o il est devenu aussi rare de le rencontrer que la personnalit elle m me N est ce pas avouer son manque de consid ration pour l esprit d mocratique spectaculaire 2006 CMR 1798 Aux puissances mortif res de l anonyme et de l informe Debord oppose la puissance du grand style c est dire le violent point d incandescence d un moi qui intensifie sa diff rence dans le langage et dans la vie Son uvre ultime De
398. qu une tentative d explication de l avant garde qui ne situe par cette derni re dans sa position subjective fondamentale son auto d ploiement dans l ordre du combat manque l essentiel Il faut concevoir la production d avant garde comme une prise de proposition pour un autre monde et pour une nouvelle forme de vivre ensemble L intention et l id ologie sous jacentes toutes v ritables postures d avant garde prennent plus d importance que les uvres elles m mes ces derni res devenant les rebus seconds d une exp rience ou d un v nement prenant sa source dans le vivant Je vais d abord revenir sur cette id e fondamentale r pandue et d battue dans la premi re moiti du XX si cle d une politisation de l esth tique une poque o la dissociation des deux domaines semble partout h g monique dans la th orie tout comme dans la pratique il devient urgent de revenir sur cette id e d une 70 politisation des formes La volont d engagement politique a pr occup le mouvement surr aliste durant toute son existence cr ant une s rie de d bats de dogmes d exclusions et de d missions Les pr occupations r volutionnaires forment le noyau probl matique qui a aliment l existence du surr alisme et de sa praxis artistique Les situationnistes reprennent la question en consid rant comme un chec la tentative de leurs pr d cesseurs mais ils vont n anmoins conserver un
399. que c est bien plut t vous autres employ s aux tranges travaux Debord 2006 CMR 1809 La production d avant garde vise donc cr er un choc un trauma dans l habitus perceptuel ou mental du r cepteur de l uvre L esth tique du choc chez les surr alistes et les situationnistes doit aussi tre comprise dans sa dimension politique le choc c est aussi le coup port une civilisation bourgeoise et son id ologie du progr s Le choc perceptif ou mental en d truisant l habitus doit permettre la cr ation d un nouveau cerveau d un nouveau type anthropologique et c est pr cis ment par ce travail de modelage d un homme nouveau que les avant gardes pr tendent participer la r volution C est partir de ces m mes conceptions strat giques et terroristes de l art que le surr alisme et l LS organisent leur offensive dans le champ culturel 100 2 4 Du r ve l ivresse imm diatet et repr sentation Il faut tre toujours ivre Tout est l c est l unique question Pour ne pas sentir l horrible fardeau du temps qui brise vos paules et vous penche vers la terre il faut vous enivrer sans tr ve Charles BAUDELAIRE C est ici qu une r flexion sur la diff rence entre le r ve et l ivresse peut entrer en jeu et servir de r v lateur Cette distinction permet de comprendre les enjeux fondamentaux entourant la m sentente centrale entre les deux groupes qui se sont toujou
400. que pour devenir une activit sp cialis e se justifiant d elle m me La s rie romanesque Fu Manchu et des feuilletons comme Fant mas pr sentent justement au d but du si cle cette nouvelle vision qui dissocie le crime de la mis re Il convient ici de rappeler que Debord ne cesse de revenir ces figures criminelles fictives pour comprendre ses actions dans le monde Apostolid s d crit ainsi l int r t de Debord pour Fu Manchu Parmi les figures litt raires de criminels le personnage de Fu Manchu tir des romans de Sax Rohmer tient une place importante dans la constitution de l imaginaire debordien Cet individu est la premi re figure litt raire de Bandit que rencontre Debord Elle lui fournit d un coup les principaux l ments d un mythe qu il cultivera toute sa vie celui de la puissance cach e mal fique qui menace l ordre tabli et contr le un r seau de collaborateurs d vou s sa personne et ce uniquement par la puissance de son esprit Apostolid s 2006 156 Or les relations entre ces ma tres invisibles du crime et les apaches qui leur ob issent sont loin d tre galitaires Voici comment Kalifa explicite la nature des relations qui unissent Fant mas et les apaches membres de son arm e personnelle Fant mas les emploie au gr de ces besoins De fait Fant mas s impose comme l employeur myst rieux et souvent inconnu qui embauche et licencie au
401. quelle un acteur peut passer de la th orie la pratique D ordinaire cette transition se produit lorsqu un acteur a trouv le motif qui le lib re de l h sitation et le d sinhibe pour lui permettre d agir D voiler la figure de l ob issance soi m me au c ur des Temps modernes c est montrer comment les sujets s arment pour devenir des agents capables d agir en se donnant eux m mes le signal de l inhibition des actes La subjectivation donc ins parable de la prise de pouvoir et des entra nements qui l accompagnent Sloterdijk 2006 86 87 148 Voir l article Critique de la violence de Walter Benjamin dans uvres I Benjamin 2000 298 Mais cette r cup ration de l thique de la transgression emprunt e aux classes dangereuses s accomplit chez les situationnistes au prix de l abandon de la question sociale En cela les situationnistes suivent l volution de la repr sentation du fait criminel Alors qu au d but du XIX si cle on associe les classes dangereuses aux classes laborieuses on assiste partir du XX si cle la repr sentation d une professionnalisation et d une autonomisation du crime L pacherie est un tat d sormais immuable qui ne r sulte plus de facteurs sociaux mais bien de la paresse de m urs pouvantables ou d un choix d lib r Kalifa 2005 122 Comme si le crime cessait d tre un fait social et pathologi
402. r comment dans cet change le potlatch s est retourn en sa faveur comme il l explique lui m me dans la note qui introduit l ouvrage Des contrats Rien n est gal dans de tels contrats et c est justement cette forme sp ciale qui les rend si honorables Ils ont choisi en tout leur pr f rence Tous sont faits pour inspirer confiance d un seul c t celui qui pouvait seul avoir m rit l admiration Debord 2006 1843 Pour Debord rien de plus normal ce qu un serviteur du spectacle ne lui offre des cadeaux somptueux afin de se rehausser son niveau Beaucoup d encre a coul sur le fait qu il Lebovici Ndr avait rachet une salle au quartier latin pour n y faire projeter que mes films On a trouv extravagant un tel cadeau Si d apr s ces journalistes un cin aste ne devrait pas accepter ce genre de cadeau d un ami on se demande quelle conception de l amiti peuvent avoir ces pauvres gens Et quels cadeaux peuvent bien leur faire eux leurs amis s ils en ont Debord 2006 CAGL 1553 1554 Le style voyou et l thique du crime comportent plusieurs traits s duisants pour les esprits insoumis et provocateurs vaguement m galomaniaques comme celui de Lebovici Debord exige des gens s duits par son style qu ils adoptent le sien ainsi ses go ts sa pens e et son syst me de r f rence Son style marqu par un certain 1 Lebovici en tant que directeur
403. r gicide contemporain de Robespierre son refus des lois aurait pu prendre effet dans un champ imm diatement historique Toutes ces virtualit s sont devenues une d linquance de bien peu d envergure en ce sens Lacenaire est un personnage rassurant Foucault 1993 331 332 Ce qui est significatif ici c est que Lacenaire n est pas v ritablement un g nie du crime il utilise plut t le crime pour imposer son aura l gendaire L criture et la parole sont des l ments essentiels dans cette entreprise mythologique r cup r e par la bourgeoisie C est via la m diation de la presse sensation nouvellement cr e que Lacenaire parvient la reconnaissance publique Il n y a aucun exploit h ro que extraordinaire retenir dans le parcours de Lacenaire on peut seulement y lire les accomplissements tactiques d un tre meurtri obs d par sa propre gloire Si Lacenaire se transforme en v ritable vedette l poque c est parce qu il sait comment m tamorphoser ses checs en repr sentations id alis es Plus encore c est le manque de d bouch s r volutionnaires qui produit la d linquance alors qu un r el mouvement social aurait canalis cette n gation dans le 154 Sans doute la d linquance est bien une des formes de l ill galisme elle y a en tout cas ses racines mais c est un ill galisme que que le syst me carc ral avec toutes ses ramifications a investi d coup isol
404. r le dans la vision d senchant e du monde politique et social qui va de pair avec le culte de l art pour l art Bourdieu 1998 104 Sur le plan historique ce que l on doit d duire du discours de Bourdieu c est que l chec de 1848 et le triomphe bonapartiste du Second Empire s parent tous jamais les deux types de boh mes qui animaient la vie culturelle parisienne La frange litt raire compl tement d sillusionn e par rapport au r el apr s l effondrement de la r volution op re un repli artistique et proclame l autonomie de l art souverainement apolitique on reconna t ici le parcours exemplaire de Baudelaire Une partie de la boh me parisienne participe n anmoins aux nombreuses insurrections du XIX si cle Les premiers groupes r volutionnaires taient tous compos s par une lite clair e comme le rappelle l historien Eric Hobsbawm Les fraternit s ritualistes classiques taient compos es dans leur tr s grande majorit d intellectuels en ch mage et autres impuissants des classes moyennes et sup rieures La r volution que souhaitaient ces hommes tait en quelque sorte un bienfait impos de l ext rieur ceux qui en b n ficieraient le peuple n avait aucune part dans leurs calculs Hobsbawn 1963 193 194 124 Cette interpr tation du rapport entre modernisme po tique et r volution est directement reprise par Vaneigem et Debord dans leur article All the
405. r me de son temps ce type de personnalit politique r alise l art en manipulant le monde social r el et non pas seulement travers la repr sentation quoi que ce type de caract re se donne toujours en repr sentation c est v ritablement un acteur qui se joue de ses spectateurs na fs Ma tre des apparences Noriega appara t partout pour ce qu il n est pas transformant ses all geances et ses opinions au gr des conditions changeantes d une politique internationale dont il sait profiter Dans un monde spectaculaire qui sans cesse falsifie le r el celui capable d op rer sur le m me terrain a parfaitement compris les nouvelles r gles d un jeu se d roulant en dehors de tout rapport au vrai ou au v ridique Debord fut lui aussi un prince de son temps ses all geances id ologiques peuvent aussi passer pour n gligeables dans un monde post politique o tout devient question d int r ts et uniquement cela La vision du pouvoir contemporain expos e dans les Commentaires sur la soci t du spectacle montre quel point Debord est un homme de la guerre froide Le monde politique qu il d crit en est un partout domin par des apparences trompeuses c est un univers obscur dans lequel rien n est v ritablement ce qu il pr tend tre et dans lequel la v rit est sans cesse fuyante Dans un monde o tant d int r ts agissants sont si bien cach s De sorte que sous le spectaculaire
406. r quentent quelqu un qui on 218 demande un service qu il peut rendre et qui s y d robe cit dans Bourseiller 2006 non pagin Ce rapport trouble l argent t moigne encore une fois de la vision de la souverainet d fendue par Debord Ce dernier a toujours joui l id e de se faire entretenir financi rement Christophe Bourseiller dans un article r sume bien l ensemble du comportement financier de Debord La question de l argent se r v le centrale L ind pendance financi re garantit seule la lib ration individuelle Bourseiller 2006 non pagin Dans Cette mauvaise r putation Debord se vante presque d avoir pris partout de largent l o il pouvait en trouver et donc d avoir usurp les moyens de sa lib ration individuelle personne n a ignor ce que je pensais de l argent et ne pouvait s attendre faire avec moi de bonnes affaires Debord 2006 CMR 1820 Le besoin d argent devient d ailleurs si essentiel dans sa qu te de libert qu elle exige quelque accommodement thique Je me flatte d avoir raisonn selon le principe cheval donn on ne regarde pas la bride Debord 2006 CMR 1821 Si l argent ne constitue pas un but en soi il n en demeure pas moins essentiel au style de vie princier que s accorde Debord Cette mancipation de la vie productrice fonde v ritablement le domaine de la souverainet comme l a bi
407. r continuer d influencer les vivants autrement que sous le mode de la contemplation l LS se devait de dispara tre nous allons devenir encore plus inaccessibles encore plus clandestins Plus nos th ses seront fameuses plus nous serons nous m mes obscurs Debord 2006 VSI 1132 En effa ant le culte de la personnalit ou le culte de l organisation qui avait germ autour de l IS Debord d sirait se d barrasser des spectateurs de l LS ce qu il cherchait produire ce sont des acteurs de la r volution Impossible qu te Partout des r volutionnaires mais nulle part la R volution Debord 2006 685 Debord consid rait toujours que le r le de l avant garde consiste subvertir les hi rarchies naturelles et les fonctions sociales institu es ce propos il crit en 1978 Les avant gardes n ont qu un temps et ce qui peut leur arriver de plus heureux c est au plein sens du terme d avoir fait leur temps Debord 2006 IGI 1783 Le champ d action de l avant garde c est la vie elle m me qu elle se propose de modifier radicalement Pour les situationnistes fid les la vision t l ologique pr sent e dans l Esth tique Hegel la suppression de l art quivaut paradoxalement son triomphe au sein d une nouvelle synth se l art devenu r alit concr te l id alit s tant enfin mat rialis e dans le r el de la vie L avant garde qui se
408. r d une succession de provocations et d extravagances en tout genre il conviendrait peut tre aujourd hui de revenir sur ce ph nom ne de l avant garde dite r volutionnaire Et ce non pas pour juger ses exp riences selon la position contemporaine caract ris e par le cynisme et par une incr dulit 69 g n ralis e envers toutes v ritables tentatives d exp rimentation mais plut t pour r valuer ce qu elles furent dans leur mouvement immanent dans leur devenir imm diat Une pens e critique des avant gardes demeure certes toujours n cessaire surtout si on veut retrouver le noyau v ritablement r volutionnaire de leurs pratiques mais tout regard ext rieur et d tach sur le ph nom ne comporte ce risque qui consiste soumettre un mouvement immanent au Jugement de l Histoire Debord avait d j soulign les limites pist mologiques de toute critique des avant gardes La sociologie la police ou le bon go t d une poque peuvent juger une avant garde Si la sociologie de l avant garde en reconna t une qui soit vraie elle doit reconna tre aussi qu elle ne peut l expliquer qu en entrant dans son langage langage ne veut pas dire ici myst re transcendant et indiscutable non mais un ensemble d hypoth ses susceptibles d tre examin adopt ou rejet qui est en fait un pari pour et contre un certain tat du monde et son devenir Debord 2006 640 641 C est dire
409. r m galomane mais il se montre aussi pleinement conscient du caract re excessif de ses pr tentions Quand Debord s attaque la vanit du monde moderne il d nonce la fois les illusions de grandeur des hommes de pouvoir les politiciens les hommes d affaires les artistes les m diatiques le vide d un monde domin par la marchandise et finalement les propres pr tentions de son uvre qui se veut immortelle Mais Debord n est pas dupe sa po tique de la ruine accueille la critique moraliste des vanit s Sans le secours d une transcendance qui sauverait les hommes de leur futilit Dans un texte accompagnant la publication de la premi re version de Hurlements en faveur de Sade dans la revue Jon Debord crit Comme je n aime pas crire je manque de loisirs pour une uvre qui ne serait pas ternelle Debord 2006 46 209 l historicit devient une simple m taphysique du passage des choses de leur mortalit et de leur disparition Tout cela est jamais fini tout s coule la fois les v nements et les hommes comme ces flots incessants du Yang tseu kiang qui vont se perdre dans la mer d tournement de Li Po dans Debord 2006 IGI 1770 1771 C est ainsi que Debord t moigne de sa conscience du gouffre vide informe qu il d cide de conjurer dans le divertissement et dans la constitution d une uvre Philosophiquement Debord demeure un pascalien ath e so
410. ra tre dans sa brutalit pour devenir de plus en plus un piph nom ne de la mis re conomique des classes laborieuses L alliance entre le discours hygi niste et la plus triste des sciences l conomie politique aura de lourdes cons quences dans la gestion polici re des populations 292 Chevalier s int resse surtout au th me criminel dans la culture populaire de cette poque Il est en effet ind niable qu avant m me d tre un fait sociologique le crime devient au XIX puis au XX si cle une cat gorie culturelle part enti re diffus e dans les journaux les chansons les pi ces de th tre les films les affiches etc Le crime int gre l imaginaire de la soci t et devient partie prenante d une conomie psychique qui concerne le rapport des citoyens avec l tat d mocratique moderne En ces temps de terreur o chacun tient par quelque chose du conspirateur chacun peut galement se trouver conduit jouer au d tective Benjamin 2002 65 Le crime partout relay par les m dias de masse devient donc dans la ville moderne le domaine qui menace l ordre existant et aussi ce qui lui assure paradoxalement une certaine stabilit Il faut comprendre l mergence du genre policier dans ce contexte social tr s pr cis Le genre policier appara t dans une soci t urbaine o les hommes sont conscients d tre constamment pi s et surveill s par leurs contemporains L
411. radoxalement c est au moment o son corps l abandonne que Debord se met r fl chir l importance du style Peut tre que Debord devinait comment le style est cr ateur de vie et comment il se d code sur un plan corporel L abondance de vie se trahit par l abondance de gestes Longueur et bri vet des phrases ponctuations choix des mots respirations successions des arguments il faut apprendre tout ressentir comme autant de gestes se Nietzsche 1979 183 Le style c est une s rie de gestes de postures c est dire une traduction physique d tats spirituels et subjectifs Il semble donc primordial dans le projet m morialiste de Debord le style fige son corps dans la pierre et fait passer ses postures dans l ternit L importance nouvelle que prend la question du style dans les uvres tardives ne doit pas nous faire oublier que Debord s y r f rait d s les ann es soixante Par On ne peut saisir pleinement la notion nietzsch enne de grand style si on la s pare le la r flexion que Nietzsche m ne parall lement sur l importance de l l ment physiologique dans l art qui constitue un pr alable indispensable au style En d autres termes ce dernier est tranger aussi bien au au raidissement de la forme dans le p dant et dans le formel qu au pur d lire dans l ivresse Perniola 2001 216 On doit ici faire un lien avec le genre m di val de la chanson de geste
412. rchandise abondante est l comme la rupture absolue d un d veloppement organique des besoins sociaux Son accumulation m canique lib re un artificiel illimit e devant lequel le d sir vivant reste d sarm La puissance cumulative d un artificiel ind pendant entra ne partout la falsification sociale de la vie sociale Debord 2006 SdS 790 L ali nation moderne se diff rencie des ali nations ant rieures par une disjonction radicale entre les besoins organiques des hommes et l infinit de nouveaux besoins artificiels que lui pr pare l conomie marchande Cette rupture est d ordre anthropologique c est la nature m me de l homme et de son d sir qui est propuls e dans les sph res de l artificiel les sph res de la non n cessit absolue Le domaine du non vivant est le domaine s par de la marchandise qui s impose au d sir et qui red finit en profondeur notre tre dans le monde Le temps r parti une vie humaine qui repr sentait autrefois l unit de mesure appropri e pour appr hender la nature des changements historiques se trouve compl tement d pass par les changements incessants du milieu L esprit humain se trouve vaincu par la capacit d agir qu explore l poque tous les niveaux Cette absence de souverainet identifiable derri re le potentiel d intervention contenu dans les techniques repr sente une des formes du drame politique actuel et c est ce dilemme que les
413. rcher les images po tiques susceptibles de renverser l ordre du monde En cela ils t moignent de leur fid lit la c l bre maxime de Lautr amont La po sie doit tre faite par tous Non par un Breton le rappelle dans Les Vases communicants Le surr alisme tel qu plusieurs nous l aurons con u durant des ann es n aura d d tre consid r comme existant qu la non sp cialisation a priori de son effort Breton 1992 164 Le concept de la pens e inconsciente comme r servoir r volutionnaire commun provoque justement cette critique de la fonction sociale de l artiste et cette volont de modifier l appareil de production artistique Elle lie aussi fortement l esth tique aux forces de la vie 85 laccomplissement de la forme et la r alisation des pleins potentiels du vivant rel vent d sormais d une m me mission C est en ce sens que Louis Janover affirme La vie est l art vrai disait Dada Le surr alisme avait renvers la proposition pour proclamer l art est la vraie vie et associer les deux termes dans une exp rience existentielle in dite la po sie faite par tous Janover 1995 208 Ce n est pas par hasard si Benjamin place le mouvement surr aliste dans la filiation des mouvements anarchistes europ ens du XIX si cle il reconna t en lui un programme d mancipation qui d passe et d borde de partout le domaine litt raire Le surr alisme est d abor
414. rd se m fie donc du domaine onirique dans la mesure o ce dernier op re une d possession du sujet ce qu il refuse cat goriquement S il se plaint des r sultats d une telle d marche sur le plan esth tique c est n anmoins la posture du sujet d poss d qu il l indispose surtout Les situationnistes en effet 110 misent uniquement sur la volont de la conscience seule fhique possible dans l art comme dans le comportement Le mouvement situationniste s est toujours gard d analyser la dimension psychologique la source du comportement humain le sien et celui d autrui Il a voulu fermer les yeux sur la part d irrationnel qui gouverne l action favorisant une conception de l individu comme un tre rationnel susceptible de se contr ler lui m me afin de mieux contr ler les autres Apostolid s 2006 76 Partout pour les situationnistes se pose d ailleurs la question du contr le des moyens modernes d intervention sur le milieu moyens qu il ne fallait surtout pas laisser aux mains de l ennemi Chez Debord plus sp cifiquement on retrouve un rejet du r ve 45 dans son uvre m me marqu e par un contr le total et par la surd termination en ce sens malgr son organisation formelle proche de l onirisme un livre comme M moires se compose au contraire selon des principes soigneusement choisies C est la conclusion laquelle arrive Boris Donn au bout de sa lecture de l
415. rdes cependant le mythe doit s expurger de ses anciens habits et adopter d finitivement une forme moderne Pour ce faire le mythe doit s ins rer dans une pratique qui largit le domaine de l exp rience subjective et collective Dans la culture de masse le mythe joue seulement au niveau de l imaginaire et s y puise Ce sont les l gendes du spectacle celles transmises par la t l vision ou le cin ma qui forment les projections imaginaires d une g n ration Finalement aucune aventure ne se constitue directement pour nous Elle participe d abord en tant qu aventure de l ensemble des l gendes transmises par le cin ma ou Avant Debord Roland Barthes a insist sur cet aspect dans ses c l bres Mythologies 1957 que Debord connaissait assur ment puisqu il lisait les Lettres nouvelles 140 autrement de toute la pacotille spectaculaire de l histoire Debord 2006 CdS 544 Fabien Danesi commente lucidement ainsi cette citation tir e du film Critique de la s paration Le r volutionnaire Debord reconnaissait ainsi que l entreprise de l LS n tait pas si trang re ce qu elle combattait En empruntant la voie du mythe le groupe avait pris le risque de voir son histoire rejoindre les grandes narrations tant d cri es Son int gration de l LS ne fut donc pas simplement de l ordre de l odieuse r cup ration Elle tait sous jacente cette belle l gende dor e
416. rdu tout point stabilisateur C est parce que les grands syst mes de totalisation ont chou que notre poque r p te l angoisse la base du baroque originel comme l explique Debord dans ses Pr liminaires pour une d finition de l unit du programme r volutionnaire 1960 crit conjointement avec Daniel Blanchard Le r sultat de ces transformations est contrairement aux apparences une inculture g n ralis e tous les niveaux de connaissance la synth se scientifique ne s effectue plus la science ne se comprend plus elle m me La science n est plus pour les hommes d aujourd hui une clarification v ritable et en actes de leur rapport avec le monde elle a d truit les anciennes repr sentations sans tre capable d en fournir de nouvelles Le monde devient illisible comme unit seuls 340 des sp cialistes d tiennent quelques fragments de rationalit mais ils s avouent incapables de se les transmettre Debord 2006 512 513 Une poque qui perd son centre et qui perd le principe d unit au profit d une multitude de signes et de jeux de langage sans lien entre eux r active le surplus de sens que d couvrait pour la premi re fois l poque baroque incr dule devant la multiplicit et la divisibilit infinies des signes Mais alors que l explication du monde se d gageait du principe divin la science moderne promettait une nouvelle unit un nouveau point d Archim de
417. re tandis qu il d finit le r veil comme op rant une dissolution de la mythologie dans l espace de l histoire Le r veil en question doit se produire via un choc qui force prendre une distance avec le domaine mythologique qui est aussi le domaine de l id ologie S op re ainsi un cart absolu entre la repr sentation et le repr sent entre le signe et son r f rant le r ve surr aliste devrait se concevoir comme une porte d acc s vers une r alit refoul e par les forces historiques Cette mise distance du fantasmatique doit produire une sujet r volutionnaire capable d exp rimenter l ivresse du r veil Benjamin donne d autres indices pour comprendre sa critique lorsqu il d nonce la fascination qu exerce sur de nombreux surr alistes le spiritisme Qui n aimerait pas voir ces enfants adoptifs de la r volution rompre de la fa on la plus nette avec tout ce qui se pratique dans les conventicules de dames patronnesses d cr pites de militaires en retraite de trafiquants migr s Benjamin 2000b 117 Le spiritisme repr sente pour Benjamin une reterritorialisation mythologique du r ve le retournement pervers d un mouvement lib rateur vers une forme avanc e et d cadente de fantasmagorie bourgeoise cette imagerie infinie dans linfini du 109 temps de la marchandise cette restructuration de la vision qui bloque l histoire en tant que rupture L ivresse d
418. re du spectacle comme l a bien soulign Foucault Lacenaire inaugurait le jeu th orique d un ill galisme des privil ges ou plut t il marquait le moment o les ill galismes politiques et conomiques que pratique de fait la bourgeoisie allaient se doubler de la repr sentation th orique et esth tique la M taphysique du crime comme on disait propos de Lacenaire L Assassinat consid r comme un des Beaux arts fut publi en 1849 Foucault 1993 333 En p n trant l conomie culturelle en devenant un produit de l imaginaire collectif le crime en vient occuper peu peu une place paradoxale mais fondamentale dans la soci t du spectacle La figure de l artiste de la criminalit superficiellement politis e ne repr sente plus aucun mouvement social mena ant au contraire la figure criminelle en partie admir e et c l br e dans la soci t bourgeoise concentre et symbolise tout un ill galisme des privil ges un ill galisme transform en 307 droit le droit des plus forts d exercer avec un support juridique complice une nouvelle forme de domination La figure criminelle permet d exalter l individualit et de c l brer un g nie particulier celui de l homme au dessus de la loi Les grandes figures criminelles qui se sont impos es depuis deux si cles dans l imaginaire collectif loin de repr senter une forme de r volte politique s inscri
419. re est le pr suppos essentiel de la notion de potlatch pratiqu e par Debord Cette reconnaissance se produit suivant la logique de Sade la morale humaine doit non pas nier l in galit de la nature mais l imiter car elle correspond aussi l essence de l homme en tant qu esp ce naturelle C est aussi l que r side la cl de sa jouissance L aigreur de Debord sa profonde d ception communautaire provenait justement du fait qu il jugeait que son potlatch tait toujours unidirectionnel et que personne n avait su bien r pondre au don de soi qui d finissait sa pratique de vie On retrouve en effet chez Debord une haine farouche de ses propres disciples comme on peut le lire dans ce texte incroyablement haineux crit au moment de la dissolution de PILS Th ses sur l Internationale situationniste et son temps 1972 Ce qu il reproche ceux auxquels il attribue le nom de pro situs c est non seulement leur passivit mais aussi leur nullit profonde Les pro situs entrent dans le circuit du potlatch mais ils ne redonnent jamais rien en retour Dans le travail du n gatif les pro situs redoutent le n gatif et aussi le travail Pour acc der l affirmation qui les tente fort d une personnalit autonome il ne leur manque que l autonomie la personnalit et le talent d affirmer quoi que ce soit Debord 2006 VS 1109 Dans ce texte qui explique sa d cision de dissoudre l
420. re la conscience de classe qui manque au prol tariat Debord comprend la n cessit d une avant garde r volutionnaire et poursuit le pratique gramscienne d une propagande offensive Debord rejette seulement la constitution de l avant garde en pouvoir permanent L avant garde du prol tariat doit seulement pr cipiter les v nements qui 137 provoqueront le triomphe d une soci t sans classes qui sera ensuite dirig e par des conseils ouvriers Mais tant que la r volution ne modifiera pas durablement les esprits des hommes il choit une lite le r le de diriger les masses vers ce qu elles veulent sans le savoir On peut sans doute placer le mythe sor lien dans la derni re spontan iste car le mythe devient pour lui un outil devant lib rer l imagination cr atrice des ouvriers dans la pratique r volutionnaire C est d ailleurs cet aspect trop abstrait que Gramsci reprochait au mythe de la gr ve g n ralis e Le caract re abstrait de la conception sor lienne du mythe est mis en lumi re par son aversion qui prend la forme passionnelle d une r pugnance thique pour les jacobins Gramsci 1978 356 La haine de Sorel envers le jacobisme t moigne de son aversion pour la pratique r volutionnaire orient e selon une forme parti Le mythe de la gr ve n impose aucune forme pr tablie aux actions r volutionnaires il ne dessine aucune utopie ni ne d finit aucun contenu posit
421. resse Document Word R cup r le 10 octobre 2010 http classiques uqac ca classiques lafargue_paul droit_paresse droit_paresse html Luk cs Gyorgy 1922 Histoire et conscience de classe Document Word R cup r le 10 octobre 2010 http classiques uqac ca classiques Lukacs_gyorgy lukacs_gyorgy html Marx Karl 1852 Le 18 brumaire de Louis Bonaparte R cup r le 8 juillet 2007 http www marxists org francais marx works 1851 12 brum htm Engels Friedrich 1873 Le programme des migr s blanquistes de la Commune R cup r le 18 octobre 2010 http wWww marxists org francais engels works 1873 06 18730600 htm
422. ris rep re des soci t s secr tes extr mistes d alors dans les bars de chiffonniers de la Rue des Patriarches Debord 2004 159 284 conspiratrice du pouvoir la seule apte provoquer une r volution Un concours de circonstances a marqu presque tout ce que j ai fait d une certaine allure de conspiration Debord 2006 PAN I 1676 Ainsi la politique r volutionnaire telle que con ue par Debord et ses amis se veut ant rieure au mod le l niniste c est d abord un jeu partag par une fraternit celle des amis unis dans leur volont de voir s effondrer la totalit des conditions existantes Cela sera encore plus vrai lors de la p riode situationniste o le groupe se comprend lui m me comme une lite aristocratique devant duquer le prol tariat Cette conception se retrouve directement dans la structure m me de l LS o se manifeste une volont de s paration entre une aristocratie d avant garde et un peuple entrainer dans un jeu qui le d passe mais dont il devra prendre conscience Entre les deux subsiste une s rie d interm diaires n cessaires mais m pris s Les militants fid les qualifi s de pro situs sont uniquement consid r s comme des pions pouvant servir la cause Quant aux classes dangereuses elles m mes que Marx et Engels d signaient sous le terme de lumpenprol tariat elles sont soumises une multitude de d finitions parfois contradictoires Ainsi Mar
423. rmet de figurer une diversit de points de vue contradictoires sur sa personne un peu comme la peinture cubiste pr sente et d compose un m me objet selon les diff rents points de vue de l observateur C est ce jeu conflictuel sans cesse activ entre le caract re ouvertement logieux de la d marche m morialiste et la pr sence interne de certains traits bl mables qui font crire Debord Je crois avoir pens avec beaucoup d objectivit mes d fauts et mes vices Debord 2006 G1 1778 Dans Pan gyrique Debord pr pare les futurs d bats entourant le sens de son h ritage la 153 valeur de son uvre et de sa vie Debord anticipe ce moment sa post rit future souhaitant que cette derni re soit accompagn e de pol miques et de discordes Parce qu il ne veut pas faire l unanimit parce qu il d sire qu on retienne par dessus tout l aspect extr me de son existence une existence devant n cessairement diviser les opinions Debord insiste sur ses propres limites Quant moi je n ai rien regrett de ce que j ai fait et j avoue que je suis encore compl tement incapable d imaginer ce que j aurais pu faire d autre tant ce que je suis Debord 2006 IGI 1778 Alors qu est ce qui s est transform dans l criture du moi de Debord Il y a changement tout autant dans la posture de l nonciation que dans son contenu Le m morialiste s adresse d sormais directement
424. rogr s toute cr ation est l organisation de nouvelles conditions du hasard L homme ne d sire jamais le hasard en tant que tel Il d sire plus et attend du hasard la rencontre de ce qu il d sire C est une situation passive et r actionnaire la mystification surr aliste si elle n est pas corrig e par une invention de conditions concr tes d terminant le mouvement de hasards d sirables Debord 2006 296 Theodor Adorno avait bien compris l intimit des liens qui unissent l imaginaire pornographique et le surr alisme Les uvres pornographiques pourraient bien tre les mod les du surr alisme affirmait 1l dans sa lecture critique du mouvement Adorno 1999 68 La pornographie surr aliste peut se comprendre de deux fa ons elle rel ve dans un premier temps de l imp ratif d absolument tout d voiler au public du contenu des d sirs conscients ou inconscients de chaque acteur pensons la c l bre Enqu te sur la sexualit et elle appara t dans un second temps dans le caract re ouvertement rotique de bien des productions surr alistes 106 Les surr alistes fl nent passivement la recherche des hasards comme ces bourgeois du XIX si cle qui d rivaient dans les passages parisiens la recherche de cette l vitation libidinale que procure le monde des marchandises On n a qu penser Breton qui laisse la porte de sa chambre d h tel ouverte en attendant la venue
425. rrespond donc la vision officielle que Debord a voulu pr senter de lui m me Je remercie Jean Marie Apostolid s d avoir port mon attention sur ce point 311 de cette strat gie et cette dissimulation de soi est corollaire d une volont de ma trise unilat rale de la communication et d un contr le total de son image En agressant le public en le d sesp rant sans cesse dans ses attentes Debord contribue red finir le r le social de l artiste maudit qui il incombe d imposer au spectateur moderne une gifle spirituelle une correction sans m nagement Jorn conclut avec humour On n est jamais son aise devant les uvres de Debord Et ce qui est pire c est fait expr s Jorn 2001 304 Ce refus d offrir des uvres d agr ment de s inscrire dans une esth tique du Beau peut bien s r se justifier par des motifs politiques ce niveau les arguments des avant gardes sont bien connus et Debord se positionne ouvertement dans cette tendance moderniste Malgr tout il faut aller plus loin dans l interpr tation et comprendre comment Debord n a pas r ellement op r une n gation de l art en tant que domaine s par Il se sert plut t de la m diation artistique pour mettre en place un m canisme de fascination bas sur la d ception des attentes et sur une promesse qui ne se r alise pas Ses gestes d agression envers le public doivent se comprendre non pas seulement du p
426. rs Debord 2006 IGI 1784 Dans Pan gyrique Debord cite cette vantardise exterminatrice du g n ral r publicain Fran ois Joseph Westermann Il n y a plus de Vend e crivait le g n ral Westermann la Convention en septembre 1793 apr s sa victoire de Savenay Elle est morte sous notre sabre avec ses femmes et ses enfants J ai cras les enfants sous les pieds de nos chevaux massacr les femmes qui au moins n enfanteront plus de brigands Je n ai pas un prisonnier me reprocher J ai tout extermin Nous ne faisons pas de prisonniers car il faudrait leur donner le pain de la libert et la piti n est pas r volutionnaire cit par Debord 2006 PAN I 1681 100 La notion de g nie joue un r le cl dans la th orie strat gique de Clausewitz Ce dernier crit Si nous allons plus loin dans ce que la guerre exige de ceux qui s y consacrent nous rencontrons dominante la puissance intellectuelle Clausewitz 2006 72 230 Cette c l bration de la mortalit de la cruaut et de la catastrophe travers la passion de la guerre situe cette derni re dans une perspective baroque L affrontement et la lutte repr sentent les moyens par excellence pour vivre pleinement la fragilit du temps et ressentir le caract re mortel et ph m re de toutes choses La guerre met les humains l preuve du temps En ce sens il devient absolument futile selon Debord de se borner
427. rs du r gne de Louis XIV Ce sont aussi les aristocrates qui ont red fini travers le raffinement de leur existence un emploi ludique du langage au sein de la pr ciosit Debord et Gil Wolman dans l important article Pourquoi le lettrisme publi dans Potlatch en 1955 t moignent de leur admiration pour le moment pr cieux Ainsi le mouvement pr cieux si longtemps dissimul par les mensonges scolaires sur le XVI si cle est en passe d tre reconnu comme le principal courant d id es du Grand Si cle parce que le besoin que nous ressentons en ce moment d un bouleversement constructif de tous les aspects de la vie retrouve le sens de l apport capital de la Pr ciosit dans le comportement et dans le d cor la conversation la promenade comme activit s privil gi es en architecture la diff renciation des pi ces d habitation un changement des principes de la d coration et de l ameublement Debord 2006 1997 La compr hension lettriste du ph nom ne pr cieux positionne la notion de grand style comme tant intimement reli e un savoir vivre la pratique stylis e d une existence commune Le langage devient dans le mouvement pr cieux un domaine de distinction dans lequel les honn tes hommes entrent en comp tition pour briller et se faire valoir Debord partage bien entendu cette vision du langage comme sph re de l ag n comme milieu qui doit permettre un d p
428. rs ouvertement m pris s derri re un respect mutuel bien r el Ce qui se joue ici en effet c est plus qu une simple strat gie de singularisation au sein du champ litt raire parisien Plut t que de me concentrer sur une analyse retra ant le point de vue et les strat gies des acteurs j aborderai ici l opposition r ve ivresse partir de leurs dimensions esth tiques et id ologiques A un premier niveau d analyse il convient bien s r de rappeler que les situationnistes buvaient beaucoup et aimaient les effets de l ivresse thylique alors Dit S 40 P y que les surr alistes plus sages buvaient peu Cela dit la question de l ivresse r ellement existante appara t tr s secondaire Au del d une pratique concr te c est d abord une vision du monde une po tique et une politique du sujet qui se d voilent dans l utilisation avant gardiste de concepts ou de techniques de production comme le r ve et l ivresse 4 Une h r sie d vi e du surr alisme cependant le groupe du Grand Jeu n h sita pas r aliser concr tement le programme de Rimbaud avec tous les abus dangereux et parfois m me mortels que cela implique Les surr alistes pour leur part rejet rent assez rapidement tout exercice de d possession totale du sujet comme l ivresse intense ou l hypnose et cela est tr s symptomatique de leur posture assez sage et mesur e Pour une analyse en profondeur de l opposition entre les surr alis
429. rs progressiste critique r flexive op rant une distanciation brechtienne renversant les mythes et les ic nes de la soci t spectaculaire Selon L tticken il va de soi que Some appropriations may end up reinforcing myths Second degree mythology may indeed become a pseudo critical impotent pretension still dominated by the myth it claims to debunk It can also become its own myth the myth of appropriation as intrinsically radical or productive of radical difference L tticken 2005 124 125 Toujours selon L tticken tant les situationnistes que les artistes du Pop art n ont pas chapp au pi ge d une contamination au moins partielle de leurs discours par les objets d tourn s Each in its own way both Pop and the SI demonstrated that the art world is thoroughly implicated in spectacular neo myth not its principled antagonist Even the SPs secession from the spectacle could never be truly complete L tticken 2005 124 La question de la contamination de l objet nouveau par l objet ancien a bri vement t soulev e par Wolman et Debord qui distinguent entre d tournement mineur objet insignifiant et d tournement abusif Dans ce dernier cas Wolman et Debord s accordent sur le fait que le d tournement d une uvre marquante ou significative produit n cessairement un jeu de signification plus complexe parce qu il fonctionne en partie partir de la capacit de reconnaissance du public et
430. rs que le futur reconstituera le sens de sa vie et posera un jugement sur elle Il faut en conclure que le genre des m moires est presque exclusivement r serv des gens de 161 pouvoir ou du moins des gens qui ont voulu jouer un r le historique marquant On crit des M moires quand on poss de un nom propre connu des petits hommes quand on s appelle Cardinal de Retz Chateaubriand Charles de Gaulle Andr Malraux Winston Churchill C est donc en tant qu homme de pouvoir que Debord compose ses m moires c est dire en tant qu agent qui a voulu agir sur le cours des choses et laisser sa trace dans le souvenir des hommes Comme l explique Hannah Arendt contr ler le moment et le sens de sa mort s av re un imp ratif pr cieux pour celui qui recherche la gloire quiconque vise consciemment tre essentiel laisser une histoire et une identit qui lui procureront une gloire immortelle doit non seulement risquer sa vie mais comme Achille choisir express ment une vie br ve une vie pr matur e L homme qui ne survit pas son acte supr me est le seul qui demeure le maitre incontestable de son identit et de sa grandeur possible parce qu en entrant dans la mort il se retire des possibles cons quences et continuations de ce qu il a commenc Arendt 1999 252 253 Dans cette perspective les m moires de Guy Debord repr sentent une fa on de mourir dans l
431. rte influence surr aliste Nadja Le Paysan de Paris l univers d Artaud qu on retrouve rarement de mani re si ouverte chez les situationnistes 105 seulement promis Il est voqu l int rieur d un rapport de recherche qui confirme que l exp rience a v ritablement eu lieu mais sans jamais transmettre v ritablement l illumination elle m me L ivresse des situationnistes dans le fond rel ve d une sobri t certaine surtout quand on la compare la pornographie du r ve surr aliste C est uniquement sous le mode de la suggestion qu un certain effet sublime est propos alors que les surr alistes s efforcent de fout mettre dans le monde de l image Dans Une vague de r ves 1924 Aragon r sume parfaitement la posture surr aliste devant la puissance saisissante de ces hallucinations veill es Nous prouvions toute la force des images Nous avions perdu la force de les manier Nous tions devenus leur domaine leur monture Dans un lit au moment de dormir dans la rue les yeux grands ouverts avec tout l appareil de la terreur nous donnions la main aux fant mes cit dans Brochier 1977 182 Du point de vue situationniste la posture contemplative des surr alistes devant leurs propres productions psychiques d samorce le potentiel constructif r volutionnaire du mouvement C est cette id e que veut communiquer Debord dans ces Notes sur le hasard o il crit Tout p
432. rtie de cette thique car 1l implique une libert de mouvement dans le domaine amoureux que ne peuvent se permettre la majorit des humains soumis au diktat religieux La gloire est une morale des passions parce qu elle implique que l individu d passe aussi bien ses propres limites que celles qui lui sont oppos es de l ext rieur Il doit dans le jeu social se laisser aller au del de lui m me pour prouver sa propre valeur En acceptant de se faire poss der par une passion la partie est loin d tre gagn e car c est justement l que r side la plus grande difficult du jeu dans cet quilibre pr caire qui doit s tablir entre l exc s passionnel et le contr le de soi Et c est au sein de cette tension que r side la pratique debordienne du grand style si le r f rent doit renvoyer aux motions les plus vives la formule doit briller par son loquence contenue C est ainsi que derri re des expressions la fois courtes et sobres se transmet l ivresse du vivant on retrouve ici un principe du sublime qui se pla t r duire en quelques mots la grandeur de l exp rience humaine Et c est uniquement sous les apparats de la raison que se transmettent les passions les moins avouables La raison comme base de tout de l univers de notre participation l univers et de notre participation autrui est consid r e de mani re h raclit enne comme l expression de ce qui est c
433. rtiste maudit na t dans une poque soumise aux pulsions r volutionnaires les plus violentes les artistes qui veulent transformer et lib rer le champ esth tique se sentent souvent solidaires des mouvements de ruptures sociales Ils y retrouvent le m me mouvement de n gativit qu ils mettent en uvre au sein de leurs m dias respectifs C est pourquoi des caract res tels que Sade la moralit aristocratique et Baudelaire de type asocial faisaient l loge de la r volution en tant qu thique de la transgression Debord se positionne dans cette tradition Dans Pan gyrique tome 1 Debord crit qu il veut revenir sur les traces de sa vie parce qu il leur reconna t un caract re difiant je veux d autant moins en dissimuler les traces que je les sais exemplaires Debord 2006 1658 Les traces sont exemplaires dans la mesure o elles t moignent d un v cu singulier et unique dans sa forme r fractaire Ce qui est r volutionnaire chez Debord c est d abord et surtout le v cu lui m me Les m moires ne sont que d bris textuels d une vie qui se pr tend insoumise aux principales forces de l Histoire Une partie de la fascination qu exerce Debord sur ses lecteurs provient justement de cette image en partie r elle et en partie id alis e d une existence enti rement marqu e par le refus et par l insubordination Debord s opposait au proc d de s paration s effectuant selo
434. rtriers on retrouve n anmoins derri re le masque de Lacenaire la v ritable passion de Debord celle qui a guid toute sa vie la passion de la transgression Le d lire criminel de Lacenaire loin de se complaire dans la pure sauvagerie adopte des formes plus sophistiqu es elle s exprime surtout dans la po sie dans le domaine du discours Elle permet Debord de formaliser et repr senter dans un horizon plus politique son go t de la transgression L utilisation des classes dangereuses occupe la m me fonction en canalisant dans des formes sociales reconnaissables une r volte m taphysique plus anarchique plus nihiliste capable de faire l loge du meurtre du viol et de l inceste 161 het DA Que Debord ait tr s t t transgress une des lois les plus universelles de la coexistence humaine celle de l interdit de l inceste comme l affirme Apostolid s 2006 961 Faute d avoir eu acc s a la m re Guy reporte le d sir incestueux sur la s ur dont il s empare d autant plus cavali rement qu il a t adoub substitut paternel par Bignoli lors de la mise en cart de ce dernier en 1945 est en ce sens r v lateur En ayant d s l adolescence des rapports incestueux avec sa demi s ur Mich le Labaste Debord accomplit un premier crime originaire d terminant pour la suite de sa passion pour la transgression et le mal Je lis la premi re version du sc nario de Hurlements en faveur de S
435. s des contours in dits puisque nous ne sommes plus dans une soci t du temps cyclique et parce que nous ne pourrons jamais plus y revenir le mythe ne se pr sentera jamais de nouveau sous sa forme primitive Mais Debord ne th orise gu re cette manifestation moderne du mythe pourtant essentielle comme il l admet lui m me dans la formation de la soci t du spectacle Dans le fascisme le mythe est pris en charge par le politique et sert de m diateur entre un pouvoir tatique et une population plus encore 1l vise assurer une sorte de fusion entre le Tiers tat et la classe bureaucratique elle m me Le mythe fasciste doit faire accepter cette quation toute simple l tat est le peuple et la volont du peuple s incarne uniquement dans l tat La s rie d images que le fascisme pr sente comme autant d l ments d composables de son propre mythe les valeurs archa ques dont parle Debord race sang chef sont somme toute secondaires et c est pourquoi Debord insiste sur la posture priori non id ologique du fascisme C est que le mythe fonctionne toujours comme totalit il se pr sente seulement comme la somme de ses l ments Mais le fonctionnement du mythe fasciste n est pas tout fait moderne du moins pas dans le sens que lui accorde les avant gardes seule la technique qui laccompagne accomplit une transfiguration du mythe primitif dans l ordre spectaculaire En tant que force mobilis
436. s duction pour attirer des pourvoyeurs dans sa cour Mon entourage n a t compos que de ceux qui sont venus d eux m mes et ont su se faire accepter Debord 2006 PAN I 1664 Sur les ressemblances entre le caract re de Debord et celui de sa m re voir le t moignage du demi fr re Patrick Labaste Guy ressemblait norm ment sa m re Le courage l inconscience il les tenait d elle rapport dans Bourseiller 2001 35 Dans un court article Boris Donn compare lui aussi Debord Lola Mont s c est la personnalit m me de Lola qui a d retenir Debord avec son go t du scandale et des ruptures sa s duction trouble s exer ant sur les puissants le roi de Bavi re comme sur les artistes Franz Liszt danseuse qui remplit les salles alors qu elle ne sait pas danser n est elle pas d j une figure d anti artiste fascinant le public par sa seule aura scandaleuse Femme entretenue Lola cultive en fait un art dans lequel Debord devait passer ma tre l art de vivre sur le pays elle sait tirer parti du trouble qu elle provoque pour plier les hommes sa volont et monnayer ensuite une repr sentation id alis e de sa vie Donn 2005 18 221 Debord souligne ici lui m me les limites politiques de son propre refus du travail Ce refus rel ve beaucoup plus d une thique personnelle que d une pratique universalisable C est sur le plan aristocratique d une lib ratio
437. s mais ils n avaient naturellement rien dire Et moi je n avais justement rien r pondre ceux l me r servant pour nuire un authentique qui oserait un jour s essayer ce jeu Aucun de ceux dont les noms avaient paru dans l LS n est jamais venu rien r v ler clairement depuis Debord 2006 CMR 1815 Toute sa vie Debord s est ainsi pr par affronter ceux qu ils d signent comme des falsificateurs les personnes qui l ont connu et qui pourraient donner une autre version des faits Mais ces t moignages ne sont pas venus de son vivant Comme si les anciens lettristes et situationnistes avaient pris au s rieux l interdiction proclam e par Debord Quel besoin a t on de faire un portrait de moi N ai je pas fait moi m me dans mes crits le meilleur portrait que l on pourra jamais en faire Debord 2006 CMR 1804 Debord refuse de ne pas contr ler le processus de sa r ception m me par del la mort il veut imposer la seule image v ridique de sa personne une image qui lui survivra et qui continuera d agir sur un plan mythique La discr tion ou le silence des anciens situationnistes sur l histoire de leur ancienne confr rie semble accr diter la pr tention de Debord nonc e dans une lettre crite Eduardo Rothe en 1974 ma charmante monteuse qui me demandait enfin un soir ce qu taient devenus les situationnistes j ai pu r pondre avec
438. s un attribut visible et la v ritable propri t nous dit Debord n est jamais circonscrite dans la sph re de l objet le chapitre II de la Soci t du spectacle porte d ailleurs le titre de La marchandise comme spectacle Le pouvoir n est pas une question d avoir encore moins une affaire de para tre mais une question concernant l tre dans son essence dans ses qualit s telles que d montr es dans l univers de l action La premi re phase de la domination de l conomie sur la vie sociale avait entra n dans la d finition de toute r alisation humaine une vidente d gradation de l tre en avoir La phase pr sente de l occupation totale de la vie sociale par les r sultats accumul s de l conomie conduit un glissement g n ralis de lavoir au para tre Debord 2006 Sas 767 La seule chose que l on poss de v ritablement ce n est jamais que soi m me Le m rite s acquiert uniquement par l action individuelle et jamais par les possessions Le capitalisme a perverti les termes de la comp tition et ce n est pas un hasard si Debord retrouve au sein du classicisme encore domin par l esprit aristocratique les modalit s de la sociabilit id ale qu il voudrait r tablir Car l aspect comp titif r gissant l univers aristocratique ne ressemble en rien au processus de distinction 198 aujourd hui en vigueur m me si certains liens subsistent avec la
439. s dans l ordre du concept c est bien au niveau de l affect qu il faut identifier son mode op ratoire il faut faire appel des ensembles d images capables d voquer en bloc et par la seule intuition avant toute analyse r fl chie la masse des sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engag e par le socialisme contre la soci t moderne Sorel 1990 115 Le mythe s expose sous forme de repr sentations faites pour veiller les passions et les convictions le souci sor lien d une pr sentation unitaire du mythe d coule d un souci d efficacit conomique et pratique plus le mythe sera r duit dans ses l ments plus ces derniers seront concentr s dans leur plus simple expression plus le mythe sera efficace diffusable utilisable par les masses Car en derni re instance c est seulement si les mythes sont m diatis s au sein d un groupe social d fini qu ils peuvent se transformer en forces historiques Le mythe devient puissance mobilisatrice au sein d une communaut qui se comprend et se reconna t travers lui il travaille sur des forces dispers es qu il s agit d unifier dans la lutte C est ce mode de fonctionnement que Gramsci d couvrait dans le Prince de Machiavel ouvrage dans lequel il identifiait justement une manifestation du mythe sor lien le mythe du prince vaut comme une cr ation de l imagination concr te qui travaille sur un peuple dispers
440. s descendants situationnistes On cherchera surtout comprendre en quoi consiste le d passement du point de vue situationniste du r ve au profit de l ivresse Cette 94 question convoque deux conceptions contradictoires de la poesis deux mani res distinctes de faire advenir la v rit de l art Le probl me central de ces deux modalit s de la production concerne la position du sujet cr ateur ainsi que sa capacit de contr le dans la cr ation M me si les deux pratiques esth tiques partagent certains traits communs les acteurs divergent dans leur positionnement id ologique face la cr ation et sur son mode de r ception C est pourquoi on se doit d insister sur cette diff rence plus profonde que ne le voudrait un certain r ductionnisme sociologique qui verrait l qu une simple strat gie de distinction dans le champ artistique Certes les deux groupes partagent plusieurs points en commun Outre leur approche terroriste de la culture les mouvements surr aliste et situationniste se r f rent sans cesse une m me s rie de sources litt raires et philosophiques dont la similitude ne peut qu veiller le soup on notons en vrac Sade Lautr amont Arthur Cravan Hegel Marx On retrouve aussi chez ces deux groupes une m me fascination pour le crime et pour le mal une m me exploration fantasmagorique de l environnement urbain et une m me vision messianique de l art S il s av re n cessaire
441. s domaines la r volution pour Debord consiste essentiellement enfreindre les lois afin d affirmer le droit absolu de l individu la jouissance C est ainsi que le domaine sexuel lui m me devient pour Debord un enjeu politique o la transgression doit tre en vigueur Durant les ann es 70 avec la complicit de sa seconde pouse Alice Becker Ho Debord repousse les limites accept es du couple traditionnel en pratiquant par exemple l changisme ou le triolisme Comme l explique Christophe Bourseiller dans son article Transgresser ou dispara tre Debord critique et juge s v rement dans son entourage tous ceux qui se montrent encore r ticents de telles explorations Bourseiller 2006 non pagin Debord identifie cet attachement aux formes anciennes comme une forme impardonnable de faiblesse du caract re La capacit de transgression permet donc dans une certaine mesure de s parer les forts des faibles Ces derniers sont indignes et contre r volutionnaires Tout comme Sade et Baudelaire Debord poss de une vision essentiellement formelle non politique de la r volution ce qui l int resse dans cette derni re c est son aspect sauvage violent transgressif C est donc au sein d une morale aristocratique qu il faut d gager les crime Jack l ventreur n a jamais t pris Debord 2006 HFS 51 Il faudra bien un jour faire la lumi re sur la relation tortueuse entre Debord et Mich le Labaste
442. s le domaine mol culaire dans la chair du vivant Si l uvre ultime de Debord consiste en sa vie m me les m moires doivent transmettre cette vie via une chute n cessaire dans l criture cette mati re apte transcender le temps La volont de Debord de se rapprocher dans les textes m morialistes d une certaine criture du sublime va de pair avec la vision sublime qu il poss de de sa propre existence qu il d cide de re produire dans l ordre du l gendaire Faire de sa propre vie une uvre d art parfaite aura t son unique but On a souvent soulign comment la pens e de l LS d passe en quelque sorte les anciennes cat gories de la philosophie politique moderne que sont la Sph re priv e et la sph re publique Il y aurait d un c t la vie priv e domestique et vulgaire et de l autre la vie politique v ritable l agora du peuple D un c t la maisonn e espace f minin de la reproduction de l autre l tat et la gloire virile qui s y rattache Selon cette conception la politique v ritable ne se produit qu partir de la sph re publique qu on identifie presque exclusivement l tatique partir de la modernit L LS rejette cette conception classique du politique et d veloppe une vision de la r volution qui se fonde sur un bouleversement de la vie quotidienne plut t que sur une simple conqu te de l tat Cette id e nouvelle d une micropolitiq
443. s r volutions attiser le sel de la terre L attachement une conception terroriste de l criture issue du genre du manifeste reste tr s pr sent y compris dans les autoportraits dans lesquels c est la biographie elle m me qui vaut comme une sorte de manifeste Dans Pan gyrique tome 1 le go t de la formule reste toujours lisible Le collage proc d d avant garde s il en est provoque dans les textes m morialistes une sorte d effet sublime en additionnant une s rie de formules disjointes mais formant entre elles une s rie d images vocatrices Ici le sublime na t dans l ellipse dans la suggestion par le choc produit gr ce la liaison d id es disparates ce flottement du sens permet au lecteur de se construire sa propre repr sentation d un r cit transmis dans une forme volontairement parcellaire C est d ailleurs une des raisons expliquant le pouvoir de fascination qu exercent les crits m morialistes de Debord ces derniers par leur forme extr mement allusive laissent une grande libert chaque lecteur pour Sans oublier que Debord consid re son c l bre graffiti peint sur un mur de Paris en 1953 Ne travaillez jamais comme une de ses plus grandes uvres Le resserrement extr me de l expression constitue bien s r une des modalit s du grand style 47 reconstruire le sens pr suppos dans la juxtaposition de sorte que le lecteur peut ais ment projeter ses pr
444. s servilement la personnalit de Debord et r pond la moindre de ses exigences Leur relation d bute lorsque Debord en conflit avec son diteur Buchet Chastel demande Lebocivi de publier La Soci t du spectacle alors que les ditions Champ Libre n en d tiennent pas encore les droits Lebovici accepte de relever le d fi et cette sorte de rite initiatique convint Debord de la bonne foi du personnage C est donc ce jour l que G rard Lebovici entra dans la voie du crime qui l a men si loin depuis s duit qu il fut au premier instant par le style du voyou Debord 2006 CMR 1819 Debord r ussit donc s duire Lebovici avec son style de voyou et entra na le producteur sur la voie du crime Mais Lebovici coupable d tre un homme d affaires couronn de succ s doit sans cesse d montrer par une s rie de cadeaux et de reniements son engagement total envers le syst me de valeurs 35 debordien Lebocivi entre dans l change et se met pratiquer le potlatch sa richesse fait qu il doit ch rement payer afin de t moigner de sa sinc rit envers un r volutionnaire dont le style de vie et les valeurs s opposent th oriquement aux siens Dans cet change Debord ne promet rien en retour comme le d montrent les contrats sign s avec Simar Films la compagnie de production cin matographique de Lebovici Ces contrats Debord a d ailleurs voulu les publier pour bien montre
445. s sur le 234 poker Debord 2006 1790 Les rapports interpersonnels sont eux aussi aspir s dans la dynamique de la partie et Debord n a certainement pas exclu le domaine de la vie quotidienne du jeu qu il menait C est pourquoi l image du poker peut tre plus encore que le Kriespegel repr sente le jeu fondamental pour comprendre la strat gie debordienne Contrairement au Jeu de la guerre dans lequel deux forces gales s affrontent visage d couvert car en connaissance des mouvements de l autre le poker fait intervenir la fois le hasard le talent et surtout le bluff Le bluff est le centre de ce jeu Il le domine du seul fait qu il est permis mais s il domine c est seulement pour son ombre de personnage absent Debord 2006 1790 Debord se vante par ailleurs de ses succ s au poker en voquant une br ve p riode de sa jeunesse durant laquelle il pu tr s bien vivre rien qu en jouant au poker puisque sans tricher par pure capacit strat gique Debord 2006 CMR 1834 Une des grandes le ons strat giques nonc es par Graci n dans son Oracle manuel et art de prudence c est qu il ne faut jamais trop montrer son jeu Conduire ses affaires avec suspens Jouer cartes sur table n est ni rentable ni agr able Ne pas se d couvrir sur le champ laisse le public en suspens et davantage l o la hauteur de l enjeu et du joueur mettent tout le monde dans l expectative
446. s une lettre crite Annie Le Brun en 1991 Debord l affirme lui m me Je ne pense m me pas tre quelqu un de tr s rationnel et d ailleurs j ai plac le lecteur attentif sur la piste de cette conclusion Debord 2008 284 Chez Debord la rationalit n est qu apparente elle recouvre le chaos int rieur la violence des passions la folie de l ambition Le contr le absolu des signes est ce qui vient contrebalancer l effet de l ivresse qu il place au c ur de son existence Debord oscille donc constamment 112 entre une posture de domestication de l existence et un rel chement lib rateur pour lui uniquement possible dans l ivresse thylique et dans l oubli qu elle op re Au sujet de l opposition entre l ivresse et le r ve en tant que force fantasmatique aucun penseur n a mieux expliqu que Gilles Deleuze les liens intrins ques qui unissent le r ve au syst me du jugement Le monde du jugement s installe comme dans un r ve Dans le r ve les jugements s lancent comme dans le vide sans rencontrer la r sistance d un milieu qui les soumettrait aux exigences de la connaissance et de l exp rience c est pourquoi la question du jugement est d abord de savoir si l on r ve Le r ve l ve les murs se nourrit de la mort et suscite les ombres ombres de toutes choses et du monde ombres de nous m mes Mais d s que nous quittons les rives du jugement c
447. sation du mythe En effet le mythe moderne ne vise plus seulement imposer une s rie r p titive de gestes et d actions par del les g n rations Les mythes primitifs fonctionnent pleinement sur un terrain militaire et c est surtout dans des soci t s belliqueuses qu ils r alisent leur plein potentiel comme on peut le voir dans le mythe nazi Mais le mythe moderne ne vise plus seulement l acceptation passive d une id ologie il vise surtout provoquer l implication active de la part de ceux qui y adh rent Debord crit d ailleurs que ce mythe exige une participation c est dire qu il interpelle violemment des sujets en faveur d une action En ce sens le mythe moderne parce qu il se d finit d abord par rapport un projet historique se doit d tre mobile fluide modifiable et ce en fonction des situations changeantes Mais Debord n a pas th oris le fonctionnement moderne du mythe au sein du temps historique Tout comme les surr alistes il a plut t tent de lui donner une forme tr s concr te partir de sa propre vie prise comme l gende Dans une conf rence intitul e L apprenti sorcier donn e dans le cadre du Coll ge de sociologie en 1937 George Bataille avait propos une d finition du mythe tr s proche de celle mise de l avant par les avant gardes modernes D s les ann es trente en effet dans une sorte de r action devant l horreur du mythe nazi la questi
448. se vanter dans la mesure o il subvertit la question de la valeur du travail de m me que la valeur d change qui fonde l conomie capitaliste Avant de se d couvrir une passion pour le prol tariat vers 1960 Debord ne s int resse donc qu aux membres des classes dangereuses Tout ce qui est ill gal l attire l inceste entre fr re et s ur la drogue l abus d alcool les filles mineures les maisons de correction la prison Apostolid s 2006 209 Si Debord cherche collaborer avec les classes dangereuses c est aussi pour s entourer de figures violentes et viriles qui donnent cet aspect de mauvais gar on son organisation Cet aspect de dangerosit doit permettre P I L de se diff rencier 136 Apostolid s crit ce propos L univers sensible et intellectuel de Guy Debord est marqu par la fascination pour les hommes les vrais qu ils soient truands comme Ghislain de Marbaix bandits comme Villon ou Lacenaire ou bien simples soldats On est libre d y reconna tre une homosexualit latente assez prononc e On y verra surtout une attirance pour tout ce que Debord n osait pas ne pouvait pas tre lui m me Apostolid s 2006 66 La fascination de Debord pour les m les en particulier les mauvais gar ons bandits ou criminels est rapprocher de celle qu on retrouve chez un Jean Genet 137 Debord ne se g ne pas pour surench rir le caract re da
449. secret importe plus que tout 95 n i ss A Ce film se termine d ailleurs sur cette affirmation en cho au classique ouvrage de Georges Sorel Comme le montrent encore ces derni res r flexions sur la violence il n y aura pour moi ni retour ni r conciliation Debord 2006 IGI 1789 224 parce qu il est l acte d une me qui ayant tout d truit en elle accumule une force immense laquelle s identifiera compl tement avec le mouvement de destruction totale qu elle pr pare Bataille 1976 154 C est dans cette froideur que vient se briser la passion de Debord en se comprimant dans l acte destructeur lui m me elle devient pure nergie manifestation directe de la volont de puissance En ce sens on ne peut faire de Debord un simple libertin car la passion de Debord ne porte jamais sur autrui en tant que tel Sa passion est plus go ste elle s accomplit uniquement travers le jeu et la strat gie forme de divertissement supr me que s accorde la figure royale Les autres ne sont que des pions mis la disposition du joueur sur un terrain le Kriespegel invent par Debord jeu de soci t dans lequel deux clans ennemis se combattent selon les lois du conflit arm du XIX si cle condense videmment l ensemble des passions qui ont guid la vie de Debord En annihilant certains pions le ma tre du jeu s affirme en tant que ma tre figure souveraine qui agit secr tement selon
450. sein m me de la modernit un violent rejet des conditions qu impose le capitalisme de l ali nation de la pens e et de l exp rience et de la massification de l humain C est ainsi que Poggioli tente d historiciser l art d avant garde selon lui contemporain de cet appauvrissement de l exp rience qu entra ne l organisation bourgeoise du monde qui s installe durablement durant le XIX si cle Ainsi le culte de l inqui tant effet de surprise le unheilmliche de Freud et de la nouveaut radicale trouve sa source dans les nouvelles conditions historiques de la soci t europ enne L id ologie de l art pour l art et de la recherche effr n e d un renouveau de la forme se produit parall lement cette r bellion r troactive de l individualit face la rationalisation de la vie impos e par une pens e domin e par le quantifiable et par l apologie du progr s technique L id ologie de l art pour l art devient aussi un moyen de revendiquer une place autonome pour l art dans une 13 soci t o les diff rentes sp cialit s s orientent de plus en plus vers le rendement et l efficient C est la nouvelle position de l art et de l artiste dans la soci t d mocratique et son pouvoir plus diffus qui se r organise et n gocie durant tout le XIX si cle et ce travers une mancipation sans pr c dent de l esth tique tout dor navant devient di
451. semble de ces sph res qu il se propose de transformer Tous les moyens artistiques sont bons pour contester l h g monie culturelle en place de la peinture la po sie du cin ma la photographie le surr alisme se pr sente d s le d part comme un mouvement englobant l ensemble des disciplines expressives dans un vaste projet de refus de la morale et de l id ologie nationale bourgeoise L avant garde en tant qu activit largie de contestation agrandit consid rablement le terrain d action de l art si bien que la r duction du mouvement un simple ph nom ne esth tique sp cialis devient impossible Debord reconnaissait cet largissement du terrain de l avant garde culturelle Depuis la formation du concept m me d avant garde culturelle ses manifestations historiques sont pass es de l avant garde d une seule discipline artistique des formations d avant garde tendant recouvrir la quasi totalit du champ culturel surr alisme lettrisme Debord 2006 639 Dans toutes les sph res de la production culturelle ce qui se joue d sormais c est la contestation de la totalit contestation effectu e partir de la subjectivit La production d images effectu e dans le cadre d une exp rimentation la fois individuelle et collective transporte le champ d action de l esth tique dans le champ politique de la vie quotidienne c est les modes du ressentir de penser et
452. serait tout ou rien Debord 2006 PAN I 1658 Voil le non choix devant lequel Debord place ceux qui re oivent son uvre la fin de sa vie ayant abandonn la pr tention de pouvoir changer le monde Debord ne peut qu adopter la position du vieux sage ou du dernier gardien pour reprendre l expression choisie par Claude Rabrand Dans un monde enti rement ravag par l conomie c est dire totalement domin par le tiers tat tout est confondu et renvers et s il reste un ultime gardien qui se voue garder l archive et l ordre engloutis sous les catastrophes de la repr sentation il doit la fois tre pr tre et combattant moine soldat d une cause certes d sesp r e mais unissant ind fectiblement dans le souvenir de l arche perdue la lance et l criture Rabant 1997 177 Peu peu Debord s enferme dans une posture de Sage et de Juge parachevant sa m tamorphose en un Censeur qui contemple de son regard de pierre un monde condamn l enfer de la s paration Apostolid s 2006 225 Cette posture hautaine et m lancolique a fait dire certains que Debord ne fut qu un nouveau conservateur de plus un fanatique d un ordre ancestral impossible r tablir Le caract re la fois pessimiste et peu d mocratique d une telle position moraliste a Apostolid s propose une analyse pertinente sur la fa on dont le Debord de la derni re poque s
453. seul travail je m en suis toujours tenu donner l impression vague que j avais de grandes qualit s 308 intellectuelles et m me artistiques dont j avais pr f r priver mon poque qui ne me paraissant pas en m riter l emploi Debord 2006 PAN I 1664 Debord invente ainsi une pratique criminelle de la litt rature et du cin ma en d tournant son profit le g nie d autrui Le Grand style que Debord lie la pratique du d tournement se compose partir de tous les autres il vampirise les puissances qui l ont pr c d D Cette figure de l artiste rat Debord la rencontre aussi chez un personnage de Baudelaire Samuel Cramer qui appara t dans la nouvelle La Fanfarlo 1847 Debord utilise des l ments de cette nouvelle dans ses M moires de 1957 travers le personnage de Cramer Baudelaire faisait d j son autoportrait ironique soulignant comment son dandysme se lie aussi avec une certaine forme d chec Debord s identifie sans doute ce personnage Cramer est d crit par Baudelaire comme un dieu de l impuissance comme une cr ature maladive et fantastique dont la po sie brille plus dans sa personne que dans ses uvres cit dans Baronian 2006 78 L artiste rat c est celui qui est impuissant composer une uvre pour rem dier ce probl me c est sa propre vie qu il transformera en uvre d art Comment s y prend 1l Il s agit encore une f
454. situationnistes se proposaient de r soudre en premier lieu Nous vivons une crise essentielle de l Histoire o chaque ann e pose plus nettement le probl me de la domination rationnelle des nouvelles forces productrices Debord 339 2006 RCS 309 Les nouvelles forces productrices de la soci t moderne se d finissent d abord par leur extraordinaire capacit d intervention sur le milieu de vie L environnement change en effet maintenant beaucoup plus vite que les hommes qui l habitent si bien que le fameux proverbe arabe selon lequel les hommes ressemblent plus leur temps qu leur p re est sans doute plus vrai que jamais Debord utilise ce dicton dans ses Commentaires en 1988 La vitesse avec laquelle le monde volue d sormais est cependant proportionnelle la vitesse avec laquelle les tres se d sinvestissent de leur propre vie et abandonnent l id e d un contr le rationnel des moyens et des outils Notre poque accumule des pouvoirs et se r ve rationnelle Mais personne ne reconna t comme siens de tels pouvoirs Debord 2006 CdS 543 Le repli des hommes dans la sph re priv e n est qu un sympt me de cette poque posthistorique de mobilisation infinie cette poque des moyens sans fins Cette mobilisation quasi militaire de tous les corps et de toutes les techniques disponibles en vue d une action ou d une production transformatrice d finit une poque qui a pe
455. sme aristocratique un ath isme virulent supportant une apologie du suicide une sph re de comp tition dans laquelle s op re une diff renciation qualitative de l individu et la d nonciation moraliste des vanit s Enfin cette g n alogie de la morale debordienne serait incompl te si elle ne s accompagnait pas d une analyse plus approfondie de l imaginaire de la souverainet port e par l auteur d In girum On verra comment encore une fois c est une figure baroque qui canalise cet imaginaire celui du souverain moderne L image du pouvoir qui s en d gage contraste fortement avec la notion du pouvoir d mocratique 146 plus anonyme et diffus Enfin on verra comment la conjonction entre la m lancolie baroque et le nihilisme moraliste permet d atteindre la vision du monde centrale de Debord domin e par la manipulation strat gique Et je me persuade que le v ritable jeu auquel s est adonn par Debord en ressortira plus clairement 3 1 volution dans l criture du moi Si le monde se plaint de quoi je parle trop de moi je me plains de quoi il ne pense seulement pas soi MONTAIGNE Essais On l a vu d s sa jeunesse Debord est d j engag dans une vaste entreprise d auto narration de son existence L activit s ins re d sle d part dans une perspective mythologique mais sa vis e demeure d abord strictement priv e le d sir narratif concerne uniquement la coh rence du sujet il s
456. sommes des rejetons de ce ch ne que nous semblons des glands Bilheran 2007 72 13 avec des id es et des th ories avec lesquelles volontairement ou non elle dialogue Cette uvre riche et complexe permet en effet de convoquer une s rie de probl mes et d interrogations th oriques et esth tiques qui sont toujours d actualit et ce malgr la r cente disgr ce de l id ologie de l avant garde artistique Trois champs probl matiques seront convoqu s dans ma travers e de l uvre de Debord la subjectivit intensification et production du moi importance de la mythologie la question de la repr sentation et de l identification le sociopolitique lien entre r volution et esth tique le rapport aux classes dangereuses et l h ritage des politiques conspiratrices et le rapport la tradition importance du baroque et de la sensibilit classique d tournement du legs culturel r p tition de l Histoire 1 2 Le probl me de la division de l uvre Pour certains commentateurs le film n girum imus nocte et consumimur igni 1978 marquerait un tournant l uvre de Debord Dans un entretien publi en 2001 Philippe Sollers affirme qu on doit identifier deux Guy Debord distincts Le premier le plus c l bre s incarne dans la figure r volutionnaire et le th oricien marxiste la t te de l LS Le second Debord pour sa part abandonne la perspective r volutionnaire crit au je et cho
457. souverainet Bataille 1976 248 La sph re de la souverainet s est historiquement d finie par son refus de la production et par sa consommation ostentatoire cette existence au del de l utilit doit distinguer la figure souveraine de la multitude et contribuer son aura de divinit dans une sorte de manifestation spectaculaire du pouvoir Bataille a superbement d crit les aspects religieux qui s attachent l image du pouvoir Le roi et ses officiers s l vent au sein du monde sacr comme une fa ade blouissante labri de laquelle jouent des int r ts vari s les uns inavouables les autres inavou s Bataille 1976 295 Pourtant le souverain tait aussi d positaire de responsabilit s venant limiter sa jouissance Le sens de la royaut n tait pas donn en vue des besoins du roi lui m me il s agissait de r pondre aux aspirations d un peuple indiff rent aux probl mes personnels que le roi pouvait se poser Bataille 1976 280 La souverainet mancip e de l tatique rencontre cependant un milieu favorable l expression du moi tyrannique voluant hors de toute justification ext rieure J abonde en divers penchants criminels que je satisfais par tous les moyens d tournement de Shakespeare dans Debord 2006 MEM 434 Cette conception aristocratique de l existence qui exclut l obligation sociale du travail Debord affirme l avoir acquise par
458. spiration crit par Baudelaire On retrouve en effet dans cette bauche un concentr de la mentalit du conspirateur nihiliste qui s accorde parfaitement avec la sensibilit de Debord Donn 2004c 77 78 276 Bien souvent la boh me est dans la France du Second Empire directement impliqu e dans la politique et plus pr cis ment dans les nombreuses politiques conspiratrices r volutionnaires La boh me repr sente elle m me la couche prol taris e de la classe lettr e elle doit vendre sa force de travail dans un march lib ralis sans l aide ni l appui de l tat ou des institutions bourgeoises de l gitimation artistique Baudelaire aimait comparer le travail d artiste celui d une prostitu e En ce sens on ne doit pas s tonner de l appui r pandu de la boh me envers les nombreux groupes socialistes ou anarchisants de l poque La haine profonde de Baudelaire et de Blanqui envers l univers bourgeois pour lequel ils se destinaient pourtant est le moteur avou de leur action dans le monde Pour Baudelaire c est l aspiration une uvre pleinement moderne qui d termine la posture h ro que de l artiste maudit Pour un conspirateur socialiste ou anarchiste comme Blanqui c est bien s r la perspective du triomphe r volutionnaire qui motive sa vie clandestine compl tement orient e vers la destruction de l ordre tatique On retrouve dans ces deux personnages les principaux ar
459. ssance vocatrice Tout est d une grande limpidit dans ce livre et ce n est pas ce petit paragraphe crit dans le jargon des Coquillards la bande criminelle laquelle aurait t li Fran ois Villon afin de miner la soi disant obscurit du texte et la clandestinit d une vie qui pourra convaincre du contraire Toutes les cl s importantes sont l afin de d coder les rares informations que Debord distille le long des pages Mais Pan gyrique d veloppe un nouveau niveau de difficult travers sa constante ironie Il faut prendre Debord au s rieux quand il affirme dans son texte Sur la difficult de la traduction de Pan gyrique que ce livre comporte beaucoup de pi ges et de sens multiples d lib r ment voulus Debord 2006 1686 Et plus loin dans ce m me texte destin renseigner les ventuels traducteurs en lesquels Debord n a aucune confiance l auteur affirme que chaque fois et c est tr s fr quent qu un mot ou qu une phrase a deux sens possibles il faudra reconna tre et maintenir les deux car la phrase doit tre comprise comme enti rement v ridique aux deux sens Cela signifie galement pour l ensemble du discours la totalit des sens possibles est sa seule v rit Debord 2006 1686 Ce d doublement de sens est partout pr sent dans Pan gyrique le talent de Debord est de faire en sorte que chaque signification soit enti rement v ridique et ce m me 152
460. ssimule son vrai moi en m me temps 265 qu il l exprime de fa on oblique par le choix m me de ces doubles ou de ses r pondants all goriques Donn 2005 17 Dans les textes m moriaux les d tournements ou les citations ne jouent donc pas d abord un r le politique ce que Debord emprunte aux auteurs qu il cite ou aux h ros qu il convoque c est une part de leur personnalit ou de leur univers qu il incorpore imm diatement son id al du moi Debord refuse d avancer visage d couvert c est toujours masqu Via autrui qu il appara t dans le monde Il faut donc surtout concevoir la pratique du d tournement comme un art du masque c est dire une forme d tourn e d expression de soi Debord s est appliqu dans toute son uvre occulter sa personnalit v ritable en la recouvrant d une s rie de simulacres peut tre est ce essentiellement cela que lui a servi le proc d du d tournement Il a manipul l criture pour se montrer tout en restant inconnaissable Donn 2005 17 Debord explique ainsi son emprunt aux grandes figures historiques surtout des crivains dans Pan gyrique On s tonnera peut tre que je semble implicitement me comparer ici ou l tel grand esprit du pass On aurait tort Je ne pr tends ressembler personne d autre Mais beaucoup de personnages du pass sont encore commun ment connus
461. ssite de l homme de cour Masquer ses volont s Les passions sont les br ches de l me Le savoir le plus utile est l art de dissimuler Qui montre son Jeu risque de perdre Graci n 2005 313 Autant le jeu permet de prot ger le joueur en cachant ses passions ces v ritables br ches de l me autant il permet d heureux effets de surprise Le bon joueur ne joue jamais la pi ce que l ennemi suppose encore moins celle qu il d sire Graci n 2005 319 Il convient maintenant de revenir sur la derni re carte jou e par Debord quelques jours avant sa mort Le dernier livre que Debord choisit de faire publier en 1994 malgr l apparente absence d int r t publique de la chose consiste en un recueil rassemblant les divers contrats qui lont uni la compagnie de Lebovici Simar films Trois jours exactement avant son suicide Debord crit l diteur du livre Georges Monti pour lui soumettre son projet de page couverture Voici ce qu il lui propose je vous envoie une id e d illustration en couverture qui m est effectivement venue C est une lame du tarot de Marseille La plus myst rieuse et la plus belle mon sens le bateleur Il me semble que cette carte ajouterait et sans devoir l y impliquer trop positivement quelque chose que l on pourrait voir comme une certaine ma trise de la manipulation et en rappelant opportun ment toute l tendue de son m
462. st une des 130 Boris Donn d voile dans son article Ne r v lez jamais une partie de la v rit sur les fameuses Th ses d Hambourg ces derni res qui n auraient jamais t crites auraient en r alit t r sum es dans les cinq formules intitul es Directives qui furent peintes par Debord puis expos es dans un mus e danois en 1961 Donn 2004b 27 29 283 raisons pour lesquelles l imaginaire politique de Debord se trouve profond ment ancr dans ce XIX si cle des pulsions r volutionnaires cette p riode surr aliste de proclamations surprenantes de petites machinations trois sous d attaques soudaines et d ironie imp n trable Benjamin 2002 26 La s quence historique ouverte par l re des r volutions donne naissance aussi bien l tat policier moderne qu la pratique invisible et anonyme des groupements r volutionnaires en posture d ill galit En outre il convient de rappeler que les 2 e DEN groupes r volutionnaires du XIX si cle conservaient tous avec plus ou moins d importance selon les cas des traces de leur pass ma onnique Proudhon l pe 3I p a Bakounine Kropotkine taient tous membres de loges ma onniques Bien s r la structure organisationnelle de plusieurs organisations r volutionnaires du XIX si cle tait bien souvent calqu e sur celles d une secte avec la forte coh sion de ses 132 membres s
463. stalle le surr alisme au terme m me de l volution romantique mais en vitant soigneusement de faire entrer en jeu la s quence suivante dans l difice h g lien Rubio 2008 96 90 non repr sentatif de l art d avant garde Le Manifeste est la reconstruction dans un futur ind termin de ce qui tant de l ordre de l acte de la fulguration aussit t vanouie ne se laisse pas nommer au pr sent Badiou 2005 195 Un art sans uvres devient dans l apr s coup un art programmatique et performatif Il n y a pas de m talangage appropri la production artistique Pour autant qu une d claration concerne cette production elle ne peut en capturer le pr sent et c est donc tout naturellement qu elle lui invente un futur Badiou 2005 195 Debord comprend ce d doublement du pr sent absolu en un futur ind fini modalit par excellence de la production d avant garde L avant garde est ainsi le d but de r alisation d une nouveaut L avant garde n a pas son champ dans l avenir mais dans le pr sent elle d crit et commence un pr sent possible Debord 2006 638 C est uniquement dans le langage manifestaire dans sa projection vers le futur d un art toujours venir que peut se tracer en n gatif les contours de cette exp rience v cue qui chappe la repr sentation L art s inscrit d sormais dans une conception du temps comme venu et
464. stes L art v nementiel des surr alistes tend se figer dans l image d un r ve qui sera transmise sous la forme d un r cit ou d une peinture devant recr er l v nement fantasmatique Les situationnistes pour leur part ne livrent bien souvent que de vulgaires traces de ces situations imm diatement v cues Des nombreuses d rives situationnistes que nous reste t il sinon quelques cartes enregistrant la trace de l v nement mais non pas l v nement lui m me ge On peut visualiser le chemin emprunt par l individu mais le contenu m me de la d rive en tant qu exp rience subjective demeure cach La destruction de la m diation artistique s inscrit donc dans le cadre de l autorepr sentation de PIS dans cette id e d une incommunicabilit de l exp rience v cue L absolu situationniste ne nous est jamais donn comme tel il est 43 5 x r IE P Les situationnistes ont en effet produit bien peu d uvres inspir es de leurs d rives psychog ographiques exception faite de quelques cartes essentielles La plus c l bre est sans doute la carte The Naked City labor e par Guy Debord en 1957 Une notable exception litt raire existe toutefois les Deux comptes rendus de d rive publi s dans les L vres nues en 1956 pour accompagner le texte Th orie de la d rive Ces textes hallucinatoires crits par Debord avec r f rences au vaudou et aux zombies portent en eux une fo
465. sur la mortalit humaine en lui opposant l ternit divine qui aspire le monde terrestre dans la catastrophe C est pourtant cette conscience de la mortalit qui permet louverture du jeu politique dans l Histoire le baroque en opposition au mouvement moraliste exalte la perception de la temporalit terrestre dans une sorte d ivresse de la forme Il faut bien admettre pourtant que la condamnation moraliste de l action humaine chez Debord ne porte pas seulement sur les actions du spectacle mais aussi sur les siennes c est sa propre recherche de gloire que Debord ridiculise en quelque sorte Mais alors comment comprendre cette d nonciation nihiliste des pr tentions humaines de la part d un individu qui ne cesse de travailler pour sa propre gloire et qui valorise par dessus tout le volontarisme individuel contre toute forme de transcendance un premier niveau tout s pare Debord de la mentalit moraliste classique sa valorisation du passage du temps et de l action historique le porte exalter le pouvoir humain et une certaine forme de sublime rattach l action noble En pla ant le moi aristocratique au c ur de l activit r volutionnaire Debord d montre sa foi dans l Homme seul v hicule de l Histoire c est dire l unique acteur capable de s inscrire dans la temporalit en modifiant le cours des choses Malgr cette posture Debord ne cesse d insister sur le vide et le n ant qui finit
466. symbolistes Mallarm en t te taient devenus les camarades de route des anarchistes la fin du XIX si cle les lettristes se rapprocheront quant eux des classes dangereuses et adopteront en partie le mode de vie de ce vaste ensemble de marginaux et de d linquants qui habitent encore le Saint Germain des Pr s des ann es 50 C est par le biais de cette rencontre entre la boh me et les classes dangereuses que l on peut mieux saisir la nouvelle pratique de la boh me institu e par l IL Je vais tout d abord d ployer les conditions sociohistoriques qui permettent d identifier la boh me et les classes dangereuses en tant que cat gorie sociale d finie Certains traits communs attach s aux arch types du boh mien issu du milieu intellectuel et celui de l apache issu du prol tariat permettent d identifier les bases partir desquelles peut se produire ce rapprochement Le mouvement lettriste est un des derniers mouvements d apr s guerre poursuivre la tradition des scandales surr alistes Le mouvement lettriste d Isidore 271 Isou recrutait d s la fin des ann es 40 de jeunes rebelles refusant les conditions modernes de l existence Isou qui fut pendant un bref moment le mentor de Debord sera d ailleurs un des premiers auteurs promouvoir et d fendre l id e du caract re intrins quement rebelle et subversif de la jeunesse et ce bien avant que cela ne devienne la m
467. syst me de r f rence que Debord emprunte aux Essais de Montaigne Montaigne avait ses citations j ai les miennes Auparavant Debord se plaisait d tourner des auteurs mettant ainsi l accent sur le caract re politique d un geste d appropriation faisant fi du respect de l auteur source partir du Pan gyrique cependant Debord se r sout citer en nommant presque toujours la source des citations qui composent son uvre Voici comment il justifie un tel retournement Les citations sont utiles dans les p riodes d ignorance ou de croyances obscurantistes Les allusions sans guillemets d autres textes que l on sait tr s c l bres doivent tre r serv es aux temps plus riches en t tes capables de reconna tre la phrase ant rieure et la distance qu a introduite sa nouvelle application Debord 2006 PAN I 1659 Le d tournement impliquait aussi un jeu avec les lecteurs et le partage d une certaine culture commune La nomination des sources permet d obtenir l assurance des m mes effets intertextuels aupr s d un public plus large quand Debord constate la disparition progressive de la culture classique qui est la sienne Montaigne grand 177 connaisseur de la culture classique consid rait ses sources avec le m me respect si bien qu il aurait bien pu lui aussi se passer de l identification de ses sources Je ne compte pas mes emprunts je les p se Ils sont tous
468. t C est g n ralement une triste preuve pour un auteur qui crit un certain degr de qualit et sait donc ce que parler veut dire quand il doit relire et consentir signer ses propres r ponses dans un proc s verbal de police judiciaire Ainsi donc je d clare ici que mes r ponses aux polices ne devraient pas tre dit es plus tard dans mes uvres compl tes pour des scrupules de forme et quoique j en aie sign sans g ne le v ridique contenu Debord 2006 PAN I 1677 Je conclus de ces remarques que le grand style est l expression intime et mat rielle d une volont de puissance Lorsque cette volont est contrari e par des circonstances contingentes limitant le champ d action du sujet le grand style se rar fie la parole se d lie l expression se fait esclave d un change qui lui chappe On retrouve ici la conception nietzsch enne du grand style comme expression directe de la sant physique et psychique comme concentration de forces vitales 53 s opposant la maladie la faiblesse la d g n rescence Le style pour Nietzsche se trouve du c t de la fertilit Tout d abord il faut qu il y ait de la vie et le style doit vivre Nietzsche 1979 183 C est pourquoi le style est d abord li au corps de celui qui le prof re Le style est ce qui s entend du corps en tant que celui ci n est accessible que comme texte Blondel 1986 163 Pa
469. t l origine tre compos de plusieurs tomes M me dans ces textes m morialistes c est encore une rh torique du choc de l image qui organise le discours les citations sont des fragments sublimes qui doivent d stabiliser le lecteur et lui faire saisir des liens temporels in dits Le m pris platonicien des images de Debord semble dispara tre dans le tome II du Pan gyrique enti rement compos d images fixes accompagn es de diverses citations Swift Vauvenargues Novalis Villon Li Po etc Encore une fois le sens des images est encadr par le discours indirect de Debord L image qui n a pas t intentionnellement s par e de sa signification ajoute beaucoup de pr cision et de certitude au savoir Debord 2006 PAN 2 1690 1691 Ce livre compose un vaste montage qui superpose des citations et des images venant illustrer la vie de Debord La composition est presque cin matographique et la beaut nouvelle na t de cet cart qui intervient entre l crit et l image une sorte de suspension du sens qui rend possible une grande quantit d interpr tations travers cette composition baroque qui cr e des chocs temporels ouvrant la voie une approche anachronique du temps la vision m me de la r volution change consid rablement La r volution n appara t plus uniquement comme un saut vers lavenir comme une projection vers le nouveau comme une cr ation ex nihilo Au contraire le moment r
470. t s de la vie Cette consid ration n a pourtant pas diminu l attirance que j ai ressentie pour ce c t l Debord 2006 PAN I 1679 Sa passion pour la guerre et la strat gie ne fait aucun doute mais cette passion portait exclusivement sur la guerre de mouvement classique telle que d finie par ses grands th oriciens comme Clausewitz Jomini Sun Tze Ardant de Picq Le jeu de soci t qu il a cr d s les ann es 50 et fait breveter en 1976 avait pour principal objectif de mettre en pratique les th ories classiques de l affrontement militaire La froideur clinique et hygi nique de la guerre moderne fortement li e dans son dispositif l institution tatique et aux machines technologiques avec son cort ge de bombes tuant distance d affrontements a riens d attaques au gaz n int ressait nullement Debord Il pr sente d ailleurs la soci t spectaculaire comme une machine de guerre qui s attaque partout l environnement de l homme et provoquant peu peu sa d g n rescence Cette guerre moderne contre l individu qu il voit partout l uvre Debord n en accepte ni la forme ni les armes C est pourquoi sa passion de la guerre est nettement nostalgique Diverses poques ont eu ainsi leur grand conflit qu elles n ont pas choisi mais o il faut choisir son camp Il s agit de prendre Troie ou bien de la d fendre Ils se ressemblent tous par quelque c t ces ins
471. t au r el en entier qui s vanouit peu 329 peu nous traversons l existence s par s de nous m mes et de ceux qui nous entourent comme si rien ne nous concernait directement En fin de compte c est en spectateur m dus de notre propre vie que nous avan ons Tout ce qui tait directement v cu s est loign dans une repr sentation Debord 2006 766 Dans la soci t hyperm diatique ce sont donc des images qui circulent et qui servent d interm diaires entre les tres Le spectacle n est pas un ensemble d images mais un rapport social entre des personnes m diatis par des images Debord 2006 SdS 767 Le sujet int riorise ce rapport imaginaire avec l autre m diatis par des images et sent que rien dans ses faits et gestes ne Lui chappe Le sujet se d double lui m me et devient son propre juge son propre tyran adoptant tour tour le point de vue du coupable et du juge dans une sorte de nouvelle servitude volontaire Ce rapport soi est permis par la duplication du moi dans la production m diatique moderne et l image de soi ainsi institu e Le sujet contemporain est donc le sujet de l image par excellence C est en grande partie via la m diation d images que se fonde aujourd hui le lien social ou le peu qu il en reste c est aussi par les images que les sujets acc dent au d sir et font l apprentissage de la sexualit Enfin c est par sa fr quenta
472. t capable de positionner l existence comme destin e qui 131 engage mort la vie souveraine Il s agit cette fois de ne pas c der sur le r ve et d accomplir une action en dehors de toute perspective fonctionnaliste La vie se joue le projet de la destin e se r alise Ce qui n tait que figure de r ve devient le mythe Bataille 1970 535 La transformation du r ve en mythe est la seule mani re d en garantir la r alisation Car le mythe en tant qu il agit en tant qu il concerne le domaine de l action touche la collectivit dans son entier se soumet des peuples et des sujets C est pourquoi le mythe qui rel ve aussi de la fiction transpose le r ve dans le r el et l ve les puissances de l art au niveau du r el des peuples Le mythe est peut tre une fable mais cette fable est plac e l oppos de la fiction si l on regarde le peuple qui la danse qui l agit et dont elle est la v rit vivante Bataille 1970 535 Pour Bataille le mythe agit en tant que totalit englobant tous les aspects de l existence comme l ultime v rit d une soci t C est pourquoi lui seul peut redonner aux hommes une vie pleine et satisfaisante une vie en tant que destin e suivant une voie rectiligne dans la passion destructrice loin des mutilations que lui fait subir le monde moderne Un mythe ne peut donc pas tre assimil aux fragments pars d un ensemble dissoci
473. t douteuse d aventuriers et de d chets corrompus de la bourgeoisie on y trouvait des vagabonds des soldats licenci s des for ats sortis du bagne des gal riens en rupture de ban des filous des charlatans des lazzaroni des pickpockets des escamoteurs des joueurs des souteneurs des tenanciers de maisons publiques des portefaix des crivassiers des joueurs d orgue des chiffonniers des r mouleurs des r tameurs des mendiants bref toute cette masse confuse d compos e flottante que les Fran ais appellent la boh me C est avec ces l ments qui lui taient proches que Bonaparte constitua le corps de la soci t du Dix D cembre Soci t de bienfaisance en ce sens que tous les membres tout comme Bonaparte sentaient le besoin de se venir en aide eux m mes aux d pens de la nation laborieuse Marx 1859 non pagin je souligne Ndr On voit ici clairement que pour Marx la boh me et le lumpenprol tariat ne forment qu un seul et m me groupe social aux contours vagues incluant tout ce qui grouille dans les marges de l honn te soci t productive Marx lui m me semble conscient du peu de pr cision ontologique de son objet quand il voque cette masse confuse d compos e flottante La seule caract ristique qui semble unir l ensemble de ses personnages sociaux num r s par un Marx c est principalement le fait de vivre aux d pens de la nation laborieuse Marx d finit do
474. t jamais chercher les moyens de la propre conservation sa r alisation ultime se confond avec sa destruction en tant qu avant garde c est dire en tant que promesse d une humanit nouvelle Le r ve dans la mesure o il se vit sous le mode de l id alit devient enfermement sur soi auto contentement compromis il postule une libert purement formelle et illusoire en ceci que le monde des objets toujours li au mode de production capitaliste d termine des relations sociales qui n ont rien de naturelles Au contraire le situationnisme ne recule pas devant la n cessit d une th orie critique sans merci au risque de sacrifier l art La nouvelle critique du monde doit porter sur la totalit des ph nom nes sociaux II est donc permis de lire la th orie du spectacle comme une critique du r ve en tant qu illusion en tant qu enfermement du monde dans l image Le spectacle n est pas un ensemble d images mais un rapport social entre des personnes m diatis par des images Debord 2006 SdS 767 C est Nietzsche qui a pour la premi re fois tent de d finir le r le primordial que joue l ivresse dans la production esth tique Nietzsche consid re que l ivresse repr sente une condition franscendantale de l art Pour qu il y ait de l art une condition physiologique pr liminaire est indispensable l ivresse Il faut d abord que l ivresse ait hauss l irritabilit de toute
475. t l ensemble du mouvement lui m me qui op re en tant que mythe global Michael L wy et Robert Sayre d crivent ainsi le mythe surr aliste Or quel est le mythe nouveau qui contient dans leur forme moderne qui unifie gr ce leur affinit lective qui rassemble sans les hi rarchiser la r volte la po sie la libert et lamour Il ne peut s agir que du surr alisme lui m me dans sa force divinatoire Schlegel dans son aspect utopique port vers l ge d or qui doit encore venir Schlegel il s agit d un mythe en mouvement toujours incomplet et toujours ouvert la cr ation de nouvelles figures et images mythologiques Etant avant tout une activit de l esprit le surr alisme ne peut pas se figer en mythe ultime un Graal conqu rir ou une surr alit r ifi e l inach vement perp tuel est son lixir d immortalit L wy amp Sayre 1992 222 Les surr alistes furent les premiers d finir la pratique du mythe moderne fluide mobile et ouvert s opposant aux forces territorialisantes du mythe ancien Pour L wy et Sayre et c est ce que les situationnistes n ont pas voulu voir le mythe surr aliste fonctionne pleinement selon des modalit s modernes il ne s offre pas comme un Graal total atteindre dans la perspective d un ach vement de l Histoire Debord en opposition a jou le jeu de la s duction en pr tendant poss der ce p
476. t pas compl tement mais n appara t plus qu travers un improbable retour suivant sa destruction In the organic symbolic work of art the unity of the universal and the particular is posited without mediation in the nonorganic allegorical work to which 171 sun Lies i PETI A Je fais ici r f rence L introduction au discours sur le peu de r alit 1927 C est le m me Breton qui avait par ailleurs affirm que L acte surr aliste le plus simple consiste revolver au poing descendre dans la rue et tirer au hasard tant qu on peut dans la foule Breton 1988 782 783 1a Benjamin fait de Baudelaire le ma tre moderne de l all gorie L all gorie chez Baudelaire au contraire de l all gorie baroque porte les traces de la rage int rieure qui tait n cessaire pour faire irruption dans ce monde et pour briser et ruiner ses cr ations harmonieuses Benjamin 2002 228 De m me pour Debord le baroquisme va de pair avec la n gativit r volutionnaire La rage int rieure en est le moteur 342 the works of the avant garde belong the unity is a mediate one B rger 1984 56 L uvre d art d avant garde na t des ruines de l universel et de la totalit l arrangement d avant garde est d composition en acte miettements clats ou clairs d une poque de d cadence B rger a raison d affirmer que l art d avant garde peut uniquement repr sen
477. t qu il utilise dans son propre cin ma des d tournements de films de fiction qu il a vraiment aim s et ce pour repr senter sa vie des parties d une existence r elle qui ont t d tourn es par les expropriateurs les ma tres du spectacle Tout chez Debord doit tre r valu en fonction d une volont de cr ation d une mythologie personnelle et ce travers la construction d un caract re spectaculaire Pour Debord et les situationnistes partisans d un d passement de l art le d tournement devait ramener la vraie vie prisonni re de la repr sentation spectaculaire elle m me C est une part de lui m me que r cup re le sujet via le d tournement de ces morceaux de cultures qui hantent son imaginaire En ce sens il convient ici de radicalement diff rencier le d tournement de la distanciation th oris e par Bertold Brecht auquel Debord se r f re pourtant Il est vrai que les deux 255 pratiques t moignent d une m me volont de destruction de la repr sentation en tant que forme de divertissement Il faut pour ce faire d abord briser l illusion qui domine l univers fictionnel On se souvient que pour Brecht la distanciation se d finit dans un rapport antagoniste avec la repr sentation aristot licienne Comme il est constat dans la Po tique d Aristote ce que le spectateur vit au th tre est v cu par le biais d un acte d identification Parmi les l ments qui
478. t une douce invitation au plaisir que murmure une d licieuse ma tresse enamour e Bilheran 2007 97 40 circonstancielle et refuse de se constituer dans l universel C est pourquoi m me dans les ouvrages th oriques il est malais de d gager les concepts mis en place pour les pr senter sous la forme d une doctrine pure ce qu on a d ailleurs souvent reproch la th orie du spectacle Comme le dit Althusser propos de la singularit de Machiavel S il y a bien chez lui une th orie il s av re extr mement difficile et m me impossible de l noncer sous une forme syst matique dans la forme de l universalit du concept qu elle devrait pourtant rev tir Althusser 1994 56 L aspect conjecturel de la th orie est pleinement admis par Debord lui m me qui conditionne le d veloppement th orique la lutte qu il m ne les th ories ne sont faites que pour mourir dans la guerre du temps ce sont des unit s plus ou moins fortes qu il faut engager au juste moment dans le combat Aucune poque vivante n est partie d une th orie c tait d abord un jeu un conflit un voyage Debord 2006 IGI 1769 Debord poss de donc une vision extr mement instrumentale et utilitaire de la th orie De m me les th ories doivent tre remplac es parce que leurs victoires plus encore que leurs d faites partielles produisent leur usure Debord 2006 IGI 17691 ce qui
479. taille 1976 247 Pour analyser l int r t de Debord envers la souverainet il faut de nouveau approfondir son rapport l poque classique et au moment baroque en particulier Il fait se rappeler que Debord a sans cesse insist sur sa passion du baroque dans la Soci t du spectacle il fait ainsi l loge de l esth tique baroque Le temps historique qui envahit l art s est exprim d abord dans la sph re m me de l art partir du baroque Le baroque est l art d un monde qui a perdu son centre le dernier ordre mythique reconnu par le moyen ge dans le cosmos et le gouvernement terrestre l unit de la Chr tient et le fant me d un Empire est tomb L art du changement doit porter en 212 lui le principe ph m re qu il d couvre dans le monde Il a choisi dit Eugenio d Ors la vie contre l ternit Debord 2006 SdS 846 Plus que l aspect formel ce qui int resse surtout Debord dans le baroque c est sa sensibilit exacerb e et angoiss e du temps irr versible sa conscience d un monde soumis un mouvement perp tuel qui l emporte vers une ternit qui s loigne de plus en plus Durant le d clin du Moyen ge et l or e de la Renaissance la vie terrestre est encore vue comme un voyage vers une autre ternelle mais on ressent surtout sa bri vet le triomphe de la mort la dissolution et la perte de tout ce qui existe un moment
480. taires 286 leur valeur supr me Il faut se rappeler que dans sa correspondance Debord pr sente son c l bre graffiti Ne travaillez jamais grav sur un mur de Paris en 1953 comme la plus belle de ses uvres de jeunesse Debord 2006 92 Les lettristes poursuivent ici une tradition tr s marginale de la mouvance socialiste savoir celle qui met le droit la paresse au c ur des r clamations Si le rejet de lP conomisme primaire peut repr senter une lib ration des id ologies les plus p nibles du marxisme on doit souligner les limites communautaires d une telle thique de vie Car la conception aristocratique d un droit l improductivit implique n cessairement la soumission d autres acteurs l imp ratif social de la production Cette contradiction dans le projet des situationnistes indique les v ritables sources de leur utopie non pas tant le communisme prol tarien mais bien plut t l anarchisme individualiste d un Max Stirner C est donc notamment sur cette base d une improductivit partag e que Debord d crit sa rencontre avec les classes dangereuses C est parce que ces derni res ne se d finissent que n gativement par leur refus obstin du travail que la rencontre avec la boh me lettriste est possible Or cela fait depuis longtemps partie du mythe de la boh me que de se d finir par son rapport diff r et diff rent au travail Debord reprend son compte la dupli
481. tants o vont se s parer ceux qui combattent dans des camps ennemis et ne se reverront plus Debord 2006 IGI 1385 Le but du jeu est la destruction compl te du potentiel de lennemi Debord 2006 1317 Il s agit d une guerre de mouvement o le terrain n a jamais d int r t que par les positions tactiques et strat giques n cessaires l arm e ou nuisibles l adversaire Debord 2006 1322 1323 le mod le est la guerre de Sept Ans galit et caract re irrempla able des effectifs d pendance des magasins Debord 2006 1318 226 Selon ce sch ma manich en la guerre consiste toujours en un affrontement entre deux ennemis plus que des soldats ce sont principalement deux esprits strat giques qui se combattent Pour Debord c est donc dire que la guerre tout comme l exercice de la souverainet en g n ral est d abord affaire de personnalit d individualit C est justement pour cette raison que Debord d nonce le pouvoir spectaculaire en tant que pouvoir diffus d centr sans visage L absence de visage du pouvoir effectif de la soci t spectaculaire est ressentie comme un drame ou d nonc e comme une tromperie En ce sens les dirigeants des soci t s du spectaculaire int gr c est dire les dirigeants totalitaires des nations communistes ont ceci de rassurant qu ils incarnent eux seuls l exercice du pouvoir et lui donnent un visage comme l poq
482. tate la rar faction Au creux de ce d sespoir qui prend acte de l ach vement de la s paration en tant que processus d atomisation du social se dessine toutefois une promesse celle du retour possible vers une vie imm diate non m diatis e non divis e Dans cette ontologie de la chute une part maudite demeure pour une ventuelle r demption messianique mais c est un pouvoir bien terrestre puisque la t che qui consiste retrouver le langage de la communication v ritable concerne tout 43 et chacun Ce livre la fois pessimiste et utopique peut se lire comme une actualisation men e dans le cadre de la guerre pr sente de la c l bre maxime de H lderlin L o cro t le p ril cro t aussi ce qui sauve Et malheur celui qui prot ge le spectacle Depuis Platon la tradition occidentale dresse une coupure assez nette entre la vulgarit des corps et la hauteur spirituelle des id es Par sa pratique de l criture Debord propose un mod le niant cette distinction fondatrice dans notre compr hension du ph nom ne litt raire La tradition tient absolument s parer la banalit du v cu et l id alit de la litt rature s parer l homme et l uvre Debord refuse cette s paration et d cide de prendre au s rieux de prendre la lettre le contenu id al h ro que ou mancipateur des Lettres et les promesses de la philosophie C est bien ainsi qu il faut comprendr
483. te en effet volontiers le syst me de m ritocratie fond partir d une r volution qui abolit les privil ges h rit s Seulement le principe fut rapidement perverti par les valeurs bourgeoises plus pr cis ment par le f tichisme de la marchandise Debord refuse en effet une m ritocratie qui serait simplement bas e 4 Jean Marie Apostolid s analyse dans Les tombeaux de Guy Debord le rapport difficile qu entretient Debord avec la notion d h ritage Il cite notamment le conflit qui eut lieu entre les situationnistes et les ditions Gallimard en 1968 la rancune du principal int ress provient de ce que Claude Gallimard d abord son fils Antoine ensuite pr tendent l h ritage du fondateur de la maison Gaston Gallimard Or la loi inconsciente qui gouverne la sensibilit de Debord nonce que le fils n h rite pas directement du P re Apostolid s 2006 219 196 sur la position de l individu au sein des classes poss dantes Les possessions mat rielles ne sont que des leurres d ploy s au sein de la sph re visuelle pour provoquer l admiration quand ce n est pas de l envie ou pour se convaincre d un quelconque pouvoir C est pour cette raison que Debord critique durement dans In Girum les illusions qu entretiennent les classes moyennes envers leur pouvoir au sein d un monde au del de leur contr le ce sont des salari s pauvres qui se croient des propri taires des ignorants mysti
484. te l conomie des sources classiques de Debord en soulignant l importance chez lui d une thique aristocratique issue du Grand si cle thique qui met de lavant la distinction individuelle Enfin l importance de la mentalit baroque est abord e conjointement la question primordiale de la strat gie et de la manipulation Le quatri me chapitre aborde la question de l identification Quand Debord d cide de parler de sa vie il le fait toujours en employant des l ments qui lui sont ext rieurs des d tournements Son mode d emploi des d tournements est d fini dans la perspective d un d voilement de soi On explore par la suite la question de l imaginaire politique de Debord imaginaire qui convoque sans cesse des repr sentations issues du XIX si cle classes dangereuses conspirateur boh me Ce dernier chapitre se termine sur un essai d interpr tation approfondissant l utilisation r p t e de certaines figures criminelles notamment Lacenaire On mettra de l avant la fonction centrale qu occupent le crime et la transgression dans la sensibilit de Debord Mots cl s Guy Debord autobiographie grand style avant garde mythe baroque strat gie identification conspiration transgression Abstract This thesis offers a critical reappraisal of the work of Guy Debord through a close study of his literary and cinematographic self portraits The research offers a reading of Debord that sh
485. tentions litt raires alors que les surr alistes l utilisent comme mat riel source dans la construction de leur carri re artistique Dans une logique dialectique propre aux avant gardes artistiques les situationnistes se servent d une pratique esth tique afin d incarner les repr sentants les plus extr mes d une conception de l art en tant rupture Et la premi re rupture qu ils doivent accomplir c est avec leurs a n s imm diats J r me Duwa souligne comment L inqui tude des lettristes d tre confondus avec des surr alistes para t avec du recul des plus l gitimes puisqu on voit assez peu ce qui les singularise fonci rement Duwa 2008 76 Ce qui singularise les situationnistes des surr alistes se joue pr cis ment dans ce passage entre le r ve et 102 l ivresse Et un tel passage se d finit d abord et surtout par la suppression de la repr sentation dans l activit po tique En tant que pratique humaine concr te le r ve et l ivresse partagent un important point en commun ce sont pour l essentiel des activit s nocturnes Dans les soci t s industrielles la nuit correspond ce moment n cessaire durant lequel les forces productives se r g n rent afin de poursuivre le travail le lendemain et de reproduire le rendement n cessaire En tant que membres officiels de la n oboh me parisienne une boh me souvent constitu e par les membres les plus marginalis s de la classe
486. ter l universel sur le mode de l all gorie dans un mouvement a posteriori suivant la r p tition de l absence de cette unit organique liant l homme et la nature le sujet repr sent et son image En ce sens bien pr cis l avant garde prolonge sa mani re la mentalit baroque originelle Mais ce n est pas uniquement parce qu il fait partie de l avant garde que Debord a produit une uvre baroque Le baroquisme de Debord assez singulier se diff rencie nettement de celui qu on retrouve par exemple chez les surr alistes Son m pris de la forme son rejet de l agr ment s inscrivent dans une n gation de l art plus virulente encore que celle manifest e par les pr d cesseurs surr alistes et dada stes videmment Debord fait preuve d une sensibilit baroque en plus d expliquer les causes sociales et historiques qui font na tre une angoisse baroque dans notre contemporan it Dans l uvre elle m me le baroque prend sa source dans le jeu des masques utilis dans l criture des autoportraits L criture autobiographique largement compos e de d tournements exprime obliquement la personnalit de Debord travers une s rie de figures qui d composent l unit du sujet et le mettent en mouvement Plus encore les d tournements et les citations parviennent briser le temps historique dans lequel Debord inscrit pourtant son action On sait que le baroque originel advient au moment o l hom
487. tes et les membres du Grand Jeu autour de la question de l ivresse on peut se r f rer l ouvrage de Vincent Kaufmann 1997 Po tique des groupes litt raires en particulier les pages 73 76 101 Mon hypoth se est donc que la diff rence entre une po tique du r ve et une po tique de l ivresse d finit deux id ologies et deux pratiques distinctes de l art d avant garde Ces concepts abstraits que sont le r ve et l ivresse loin de se r duire de simples postulats romantiques sur l art permettent de saisir la complexit de la divergence entre deux mouvements artistiques terroristes qui ont galement marqu l histoire de l art du XX si cle videmment le passage du r ve surr aliste l ivresse des lettristes ne repr sente en rien un d passement cette pr tention n est que la pr tention mystificatrice des acteurs situationnistes de l poque L ivresse correspond plut t une radicalisation tant politique que formelle de la d marche surr aliste L ivresse met en uvre l aspect occult dans l h g lianisme de Breton la question de la mort de l art L ivresse correspond en effet une sorte de mort de l intention comme une d couverte de la v rit divine impossible modaliser ou formaliser L ivresse correspond l illumination la base du travail du po te en tant que voyant mais les situationnistes utilisent cette derni re contre toutes pr
488. texte est le r sultat d une troite collaboration tant donn les diff rences stylistiques entre la version italienne et la version fran aise le seconde tant plus l gante que la premi re je croirais aussi volontiers qu une partie du texte a d abord t crite en fran ais par Debord puis traduite en Italien par Sanguinetti Apostolid s 2006 167 34 de diff rence D o le fait que le V ridique rapport peut tre tenu pour la meilleure introduction aux id es du chef de l LS Apostolid s 2006 169 Le point de vue politique adopt devient secondaire ce qui compte c est la g mellit des ennemis ces deux aristocrates qui manipulent le monde partir de leur position respective Apr s l aventure collective de l LS et la d ception communautaire qui s en suivit Debord ne recherche plus que des relations exclusives deux t tes avec Gianfranco Sanguinetti d abord avec G rard Lebovici ensuite Avec ce dernier le rapport mim tique se prolonge jusque dans l criture et dans le caract re mais Debord ne d daigne plus ses imitateurs des centaines d individus ont crit comme moi en reprenant le style le ton que j avais employ s Et pourtant ils taient plus souvent des esprits libertaires que des conformistes ou des valets du tyran Si certains ont tant go t mon style c est cause des exemples de ma vie Debord 2006 CAG 1550 1551 Lebovici adopte d s lor
489. thos satanique de Baudelaire que l indiff rence absolue de Flaubert envers le social deux r ponses possibles une nouvelle domination s exer ant dans lunivers formes L ambivalence de la position sociale et conomique de l artiste dans un monde domin par une bourgeoisie triomphante mais g n ralement peu duqu e conditionne aussi bien sa marginalisation forc e et le profond sentiment d ali nation 121 Cette vision est rapprocher de celle des surr alistes eux aussi fascin s par le crime et l assassinat On consultera ce sujet le livre de Jonathan Eburne Surrealism and the Art of Crime 2008 275 qui en r sulte Ainsi le personnage conceptuel central de la boh me le dandy est justement celui qui rend visible dans les moindres d tails les marques de sa diff rence assum e En ce sens la posture de l artiste maudit s inscrit dans une tradition h ro que car l engagement total de l artiste envers son art s accompagne bien souvent dans la soci t bourgeoise d un renoncement aux signes ostentatoires de la r ussite sociale Le boh mien du XIX partage plusieurs traits avec un autre arch type central dans la mythologie parisienne celui du conspirateur de profession Walter Benjamin dans ses tudes sur Baudelaire notait d j comment le conspirateur et l artiste maudit sont les deux figures essentielles et compl mentaires d un m me 123 mouvement de n gation au sein du
490. tiens se heurt rent en Orient l invincible ordre des Assassins cet ordre d esprits libres par excellence dont les grades les plus bas vivaient dans une ob issance qu aucun ordre monastique n a gal e ils re urent par quelque voie une indication sur le symbole et la devise qui taient r serv s aux seuls grades sup rieurs comme leur secret rien n est vrai tout est permis Voil par exemple qui tait de la libert de l esprit cette formule cong diait la foi m me en la v rit Nietzche 1996 169 152 En attribuant en effet aux m thodes et aux moyens ill gaux de lutte une certaine aur ole en leur donnant l accent d une authenticit r volutionnaire particuli re on reconna t une certaine valeur et non une simple r alit empirique la l galit de l tat existant L indignation contre la loi en tant que loi la pr f rence accord e certaines actions cause de leur ill galit signifient qu aux yeux de celui qui agit de cette mani re le droit a conserv quand m me son caract re essentiel de valeur et d obligation Luk cs 1922 224 153 Debord utilise n anmoins un certain lyrisme li au terrorisme dans certaines de ces uvres Ainsi dans In girum il rend hommage la bande Baader en pr sentant une photographie d Andreas Baader et Gudrun Ensslin Debord affirme La plus belle jeunesse meurt en prison Debord 2006 IGI 1368 Il ne faut pas oublier non plus qu
491. tif de la litt rature et de l art traditionnels ce nouvel espace se d finit d abord comme un champ exp rimental J entends par l que l incitation n y est plus de recevoir les uvres passivement mais de les produire pour largir le champ d exp rience individuel Depuis le surr alisme l art n est plus re u comme pur spectacle devant tre int rioris ses images visent cr er un choc qui en retour produira une action Apostolid s 1990 729 C est cette nouvelle conqu te de la production culturelle que va poursuivre le situationnisme dans sa premi re mouture la pratique du d tournement s inscrit bien s r dans ce projet d appropriation subjectiviste du domaine de la fiction Mais comme on le verra bient t c est le r le central que le surr alisme accorde l image que contesteront plus particuli rement les situationnistes Pour comprendre comment des tats comme le r ve ou l ivresse deviennent des programmes po tiques et existentiels il faut revenir sur le genre tr s particulier d esth tique privil gi e par les avant gardes culturelles que je qualifierai d esth tique du choc Peter Sloderdijk explique en ces termes les modalit s de la 98 production d avant garde La modernit esth tique est un proc d d utilisation de la force non pas contre des personnes ou des choses mais contre des rapports culturels non clarifi s Sloterdijk 2005 144 C est pourquoi
492. tion des images que le sujet construit son identit son monde imaginaire C est en tant que sujet de la 165 Ce n est pas un hasard si l absence de r elle communication entre les tres est un des th mes favoris de Debord qui voit dans l image un outil de s paration bien plus qu un outil de liaison La s paration est selon lui le drame par excellence de la soci t spectaculaire marchande dont les sujets sont s par s entre eux par la perte g n rale de tout langage ad quat aux faits perte qui leur interdit le moindre dialogue s par s par leur incessante concurrence ils sont m me s par s de leurs propres enfants nagu re encore la seule propri t de ceux qui n ont rien Debord 2006 IGI 1763 16 Notons ce sujet que si l h donisme est devenu une des valeurs autoproclam es de cette soci t on rencontre pourtant peu de v ritables pratiques h donistes Jamais le sentiment de culpabilit et la pratique de l auto surveillance de soi n ont t aussi forts Dans ce monde o l image apparence est le principal v hicule de l expression et de la manipulation la pression que ressent le sujet qui se confronte sans cesse sa propre image sociale est d une grande violence cette pression cr e possiblement une tension psychique plus intense que dans le rapport autoritaire traditionnel dans lequel l oppression n est pas compl tement int rioris e 330 soci t m diatique que Debord
493. toutes les conditions existantes est justement apparue ce moment l comme pour donner raison ma folie singuli re Debord 2006 PAN I 1664 Ou encore dans Cette mauvaise r putation Le temps tait sorti de ses gonds pour le dire en termes shakespeariens et cette fois c tait v ritablement partout dans la soci t dans l art dans l conomie dans la fa on m me de penser et de ressentir Rien n avait plus de mesure J ai t avant tout quelqu un de ces temps l Debord 2006 CMR 1820 1821 Ici Debord se positionne la hauteur de son poque qu il d finit comme tant marqu e par la d mesure c est dire par l clatement de tout syst me normatif de r f rences l image de ces temps l plus rien n a d quivalence et Debord revendique ses passions qui ne peuvent plus se mesurer aucun crit re pr tabli 26 Debord h rite ce go t du d tournement subversif des moralistes de Lautr amont certainement l auteur le plus important pour lui les Po sies sont un recueil compos de paragraphes de prose dont la plupart reprennent et renversent des formules de La Rochefoucauld de Pascal de Vauvenargues En m me temps qu il annule ironiquement leur valeur d instruction morale Ducasse pr serve l clat de leur forme il montre m me comment la faire servir la subversion des valeurs tablies ou plut t de toutes les valeurs Boris Donn 2
494. tralisation monarchiste Je vais d abord montrer comment l thique personnelle de Debord se calque sur une 145 d finition aristocratique de l existence puis e m me la connaissance intime du Grand Si cle que poss dait l auteur de Pan gyrique En effet le concept de gloire qu il d couvre dans la culture du Grand Si cle est la source son comportement au quotidien mais aussi de son inclinaison r volutionnaire La notion de caract re et l id e de grand style qui lui est concomitante s appuient donc sur des conceptions archa ques de l individualit c est pour cela que la personnalit de Debord irrite tant ses contemporains avec l ensemble de ses comportements si trangers la morale actuelle volontarisme farouche gloire chevalerie amour sto cisme bel esprit magnanimit sacrifice rigoureux Stone Richards 2001 92 Le paradoxe qu il faudra ici souligner r side dans le fait que Debord h rite aussi du Grand Si cle la condamnation moraliste des pr tentions de la personnalit glorieuse Les sources les plus influentes de la r volution du sujet d fendue par Debord proviennent donc d une contradictoire Renaissance qui insiste la foi sur l infini du potentiel humain et sur la finitude d une cr ature abandonn e des Dieux Plusieurs axes d analyse me permettront d approfondir les connexions s op rant entre Debord et la culture classique la promotion d un h ro
495. travers est de se consid rer l gal de ceux qu il a su admirer au point de penser apr s la lecture passionnante d un beau livre qu il pourrait parfaitement l avoir con u et r diger de sa main Il tait la fois tous les artistes qu il avait tudi s et tous les livres qu il avait lus et cependant en d pit de cette facult com dienne restait profond ment original Baronian 2006 78 Cette description d une figure baudelairienne s applique parfaitement Debord qui utilise le g nie des autres pour construire le sien il n y a pas chez Debord d criture sans lecture j ai eu alors l occasion de lire plusieurs bons livres partir desquels il est toujours possible de trouver soi m me tous les autres voire d crire ceux qui manquent encore Debord 2006 PAN I 1662 affirme Debord propos de ses ann es de formation Malgr cela son uvre construite partir de tous ces livres qu il a lus demeure profond ment originale L artiste rat c est aussi celui qui arrive trop tard au moment o l art justement appara t comme impossible Debord est l imposteur ou encore l artiste de la fin de l art Sans cesse Debord aura signifi son incapacit produire un contenu original et positif de son premier film qui ne comprend qu une succession d crans blancs et d crans noirs jusqu son tout dernier montage t l visuel o on n entend
496. treprise de la cisation fortement critiqu e par l glise qui place les vis es individuelles au c ur de l Histoire universelle au d triment des vis es de la transcendance Mais si Graci n en fid le d fenseur de pouvoirs terrestres bien tablis place sa nouvelle th orie pratique de l h ro sme enti rement entre les mains de la royaut Debord choisit de placer la sienne entre les mains de ceux qui s opposent toute concentration du pouvoir qui brimerait la capacit de chaque individu de diriger sa vie L insubordination d une minorit d individus passera l Histoire dans la mesure o elle s oppose courageusement la servitude volontaire de la majorit La Fronde t moigne du dernier geste d clat de la classe aristocratique pour conserver son pouvoir contre celui absolutiste de Louis XIV v ritable fondateur de l tat moderne Debord analyse la Fronde dans une perspective contemporaine la cour de Louis XIV ne fut elle pas la premi re manifestation du spectacle c est dire la repr sentation visible de l id ologie dominante La p riode historique qui promulgue le r gne absolu du spectacle repr sente pour Debord une sorte de r p tition de l absolutisme du Roi Soleil qui avait sonn le glas l insoumission des esprits rebelles de l ancienne aristocratie ce qui importe ici pour un Debord est le fait que l absolutisme de Louis XIV soutenu par la bourgeoisie naissante
497. ture sans pr c dent de l identit personnelle ou sociale en tant que construction cr ation Cette modernit n e comme projet de domination de la nature comme des tres fut ouvertement revendiqu e par les situationnistes Il n y a pas de libert artistique possible avant de nous tre empar s des moyens accumul s par le XX si cle La domination des forces de la nature peut tre r volutionnaire 143 Debord 2006 467 Mais ce paradigme moderniste d intervention sur le milieu via l urbanisme unitaire notamment fut rapidement abandonn il fut ensuite question d une vie quotidienne se r approprier d une existence passionner Ils voulaient tout r inventer chaque jour se rendre ma tres et possesseurs de leur vie Debord 2006 POP 471 N emp che que Debord d tourne ici Descartes se rendre ma tres et possesseurs de la nature et qu il situe ainsi le projet d mancipation situationniste dans la perspective d une ma trise rationaliste Chez lui cette apologie du contr le et de la ma trise accompagne paradoxalement une id ologie de la passion de l ivresse de l amour libre et de la communication C est en explorant davantage les sources d une telle posture de ma trise qu on pourra comprendre quel point cette r volution du sujet dont Debord a voulu donner l exemple le plus clatant merge d une constellation culturelle qui va du d clin
498. u il d couvre travers l ouvrage de Johan Huizinga Voici ce qu il crit ce sujet Au d clin du moyen ge le temps irr versible qui envahit la soci t est ressenti par la conscience attach e l ancien ordre sous la forme d une 208 obsession de la mort C est la m lancolie de la dissolution d un monde le dernier o la s curit du mythe quilibrait encore l histoire et pour cette m lancolie toute chose terrestre s achemine seulement vers sa corruption Debord 2006 SdS 826 Dans sa po tique de la ruine Debord ne croit pas au temps qui pr serve mais seulement au temps qui d truit L uvre se construit dans une conscience r flexive de son caract re fragile et ph m re Malgr son ambition maladive de marquer l Histoire Debord ne cesse de rappeler l ingratitude d un temps qui passe inexorablement emportant tout sur son passage y compris sa personne et sa m moire Debord s amuse donc lui m me en quelque sorte de ses pr tentions d mesur es Il faut donc admettre qu il n y avait pas de succ s ou d chec pour Guy Debord et ses pr tentions d mesur es Debord 2006 IGI 1789 Dans le num ro 29 de Potlatch d cembre 1957 il crit nos ambitions sont nettement m galomanes mais peut tre pas mesurables aux crit res dominants de la r ussite Debord 2006 350 Encore une fois l ironie joue ici dans les deux sens Debord est bien s
499. u politique Bataille 1970 529 L homme total r v par Bataille ne peut se contenter d ins rer son existence dans une sph re s par e un fragment du monde incapable de r fl chir la vie en tant que destin e Si Bataille condamne fermement l artiste en tant que simple inventeur de fant mes qui ne sont plus que les reflets ennuyeux d un monde fragmentaire Bataille 1970 527 il montre plus de consid ration envers les hommes d action car l action seule se propose de transformer le monde c est dire de le rendre semblable au r ve Bataille 1970 528 Seulement les hommes qui envisagent l action uniquement dans le domaine politique n ont gu re d autre choix que le compromis envers le principe de r alit c est dire l abandon du r ve Pour Bataille il faudrait consid rer l action dans une perspective plus vaste au c ur d une volont de puissance qui ne se contente aucunement de la r alit brute L existence simple et forte que la servilit fonctionnelle n a pas encore d truite est possible seulement dans la mesure o elle a cess de se subordonner quelque projet particulier comme agir d peindre ou mesurer elle d pend de l image de la destin e du mythe s duisant et dangereux dont elle se sent silencieusement solidaire Bataille 1970 530 C est ici qu intervient le mythe comme l ment capable de redonner un sentiment de totalit et comme l men
500. u crime urbain est partout obs dant r curant Le crime devient un v ritable ph nom ne culturel un enjeu important du discours social qui doit venir fonder le lien communautaire Le spectacle du crime relay dans la presse grand tirage devient par ailleurs l pouvantail devant justifier l appareil r pressif Il se produit donc quelque chose d assez unique au XIX si cle o un dispositif culturel in dit merge par la synergie de trois facteurs en relation l explosion de la reproduction m canique et la production m diatique qui l accompagne l mergence plus souvent dans l intention de saisir des drogues et les filles qui n avaient pas dix huit ans Debord 2006 PAN I 1367 144 Quand Debord affirme dans Hurlements en faveur de Sade que L ordre r gne mais ne gouverne pas d tournement de ce principe constitutionnel britannique Le roi r gne mais ne gouverne pas il fait bien s r r f rence au travail de la police qui tablit autoritairement l ordre au sein du chaos des existences mais sans parvenir pas le gouverner dans sa totalit L ordre ne peut s imposer dans tous les moindres recoins de la vie quotidienne 295 du th me criminel dans la culture populaire et le renforcement des techniques tatique polici res de surveillance et de contr le des populations Cette conception polici re de l existence sociale trouve imm diatement un relais dans le m diatique
501. u maudit 1964 que son ami Asger Jorn crit afin de fournir un portrait officiel du personnage dans les milieux int ress s L article commence en non ant les impasses bien connues du maudit dans l conomie culturelle contemporaine Il suffit de se faire maudire pour tre dans le vent Ainsi le principe m me du maudit s est alt r on retrouve le simple concept romantique du g nie m connu C est l esprit que l on consid re volontiers comme en avance sur son temps et que l on essaie d ailleurs de m conna tre le moins de temps possible Jorn 2001 297 Conscient de cette dialectique r cup ratrice qui affecte l ensemble des avant gardes du si cle Debord refuse l assimilation facile au concept d artiste maudit il d sire plut t r inventer cette figure en l affectant d un degr de n gativit tel que le maudit s en trouve irr m diablement d plac Ainsi dans la culture moderne Guy Debord n est pas mal connu il est connu comme le mal Jorn 2001 302 Cette tentative de red finition du maudit est expos e dans le texte sign par Jorn Le refus d appara tre sur la sc ne publique dans les m dias notamment fait sciemment partie 57 Enfin plusieurs indices dans ce texte laissent ais ment penser que si l article n a pas t directement crit par Debord ce qui n est pas improbable il fut minimalement lu et corrig par lui Cet article co
502. uction of Debord s character It situates Debord s late memorialist project in a distinct French tradition of the writing of the self It also explores the economy of Debord s classical sources underlying his fascination with the aristocratic ethics of the Grand Si cle Finally the question of the baroque worldview is analyzed in relation to Debord s various strategies of manipulation Chapter IV considers the question of identification Whenever Debord speaks of his life he only ever does so by using external elements through the d tournement of various literary and popular sources We look specifically how such d tournements participated to a complex revealing of the self We then explore the question of Debord s political imaginary which constantly conjures up images from the nineteenth century the so called dangerous classes conspirators bohemians This last chapter concludes with an interpretative analysis of Debord s recurring allusions to well known criminal figures such as Lacenaire in his work in order to explain the preeminent function that crime and transgression play in the author s sensibility Keywords Guy Debord autobiography grand style avant garde myth baroque strategy identification conspiration transgression vii Table des mati res RESUME Aa E Mine E EEE E TT EEE EA AE N EE E E EE E EN iii ADSHACEE RS RS SAR AN a E ne R nr e E R v Table deS Mati res E
503. ue de la pens e libre de la vie 7 Debord pr sente sa fuite de Paris comme une tape d terminante et traumatisante de sa vie Il faudrait bient t la quitter cette ville qui pour nous fut si libre mais qui va tomber enti rement aux mains de nos ennemis Debord 2006 IGI 1781 Bien plus tard j ai pu revenir dans les ruines qui subsistent de Paris puisqu alors il n tait plus rien rest de mieux ailleurs Dans un monde unifi on ne peut s exiler Debord 2006 PAN I 1675 176 juste L criture dans ce contexte ne revendique aucune autonomie se liant compl tement la vie de celui qui la pratique Pour Montaigne ses essais litt raires ne sont que des retranscriptions des essais de sa vie c est dire sa vie en tant qu exp rimentation d gag e de toute obligation sociale se mouvant dans un espace atemporel et universel celui de la culture comme puissance d l vation du genre humain Cette n cessaire liaison du livre et de la vie quotidienne Debord la retrouve aussi dans les M moires d outre tombe Chateaubriand faisait remarquer assez exactement somme toute Des auteurs modernes fran ais de ma date je suis aussi le seul dont la vie ressemble ses ouvrages En tout cas moi j ai assur ment v cu comme j ai dit qu il fallait vivre Debord 2006 PAN I 1675 Outre cette subordination de l crit la vie c est aussi l criture en tant que complexe
504. ue de la souverainet royale Rien de plus facile d s lors de s opposer ce visage et l expression du pouvoir qu il repr sente Les situationnistes n ont d ailleurs gu re h sit pour r pandre leur fiel envers des figures telles que Staline Mao De Gaulle et Castro ces ennemis si facilement d signables Ce type de pouvoir personnalis g n re automatiquement ses anticorps ses opposants ou ses pr tendants jaloux Cette concentration personnalis e de l tat dans le corps sacr du leader r volutionnaire n est pas sans rappeler la structure de la monarchie absolue impos e par Louis XIV Malgr sa haine d clar e du leader spectaculaire pr sident lu ou personnalit Le rapport de Debord envers Staline est des plus ambigus On sait que durant les ann es 50 peut tre pour se distancier des surr alistes parisiens Debord s est rapproch des surr alistes staliniens belges avec lesquelles il partage une certaine d fense du sovi tisme La critique qu il fait de Staline dans La Soci t du spectacle peut difficilement se r sumer une simple condamnation en bonne et due forme Staline est ce souverain du monde qui se sait de cette fa on la personne absolue pour la conscience de laquelle il n existe pas d esprit plus haut Le souverain du monde poss de la conscience effective de ce qu il est la puissance universelle de l effectivit dans la violence destructrice qu
505. ue prenant racine dans le v cu intersubjectif sera adopt e avec enthousiasme par plusieurs mouvements de la New Left mouvements qui partagent souvent un rejet des politiques institu es partir de l tat ou du Parti En ce sens PIS a raison de se pr senter comme op rant une tentative de d passement des anciennes conceptions de tendances l ninistes de la r volution Comme leurs anc tres surr alistes les situationnistes transposent donc le politique dans le domaine du d sir individuel Je souligne que ce dispositif rel ve plus volontiers de la tradition anarchiste que de la tradition marxiste Malgr ses r f rences r p t es au prol tariat le mouvement de Debord s inscrit dans une tendance pr nant la politisation de la vie quotidienne avec pour moteur principal le d sir individuel Debord admet d ailleurs ais ment que le triomphe imm diat des mouvements de mai 68 se situe sur le plan d une reconnaissance nouvelle des acteurs sociaux les plus marginalis s Les m urs s am liorent Le sens des mots y participe Partout le respect de l ali nation s est perdu La jeunesse les ouvriers les gens de couleur les homosexuels les femmes et les enfants s avisent de vouloir tout ce qui leur tait d fendu En se dressant contre cent oppressions particuli res ils contestent en fait le travail ali n Debord 2006 VSI 1094 Que Debord fasse l loge de cette reconnaissance identitaire alors
506. uelle similaire bien que la t che qu ils s assignent demeure g n ralement limit e au champ artistique Ainsi l objectif de La Soci t du spectacle n est pas tant d exposer la th orie de l ali nation pr sente que de lancer un appel pour la venue d une nouvelle subjectivit lib r e Kaufmann crit ce sujet La Soci t du spectacle reste un livre m t ore et c est mon sens le cas pr cis ment parce qu il ne s agit que secondairement d un ouvrage th orique Son int r t son nigme provient justement de ce qu il fait passer une vie dans un style En d autres termes La Soci t du spectacle donne une forme th orique une position d nonciation singuli re un v cu Kaufmann 2001 119 120 Puisque ce livre doit t moigner d une absence de v cu partout constat e il int gre dans son nonciation le style impersonnel et scolastique que suppose l absence d une v ritable subjectivit La Soci t du spectacle n est pas pour rien le livre de l interdiction absolue du je C est un livre qui imite l absence de vie et qui se prof re comme de nulle part ou d un autre monde Kaufmann 2001 124 Ce livre adopte le ton de l impersonnel de l inorganique et accumule ses th ses avec une froideur et une rigueur dont Debord n a pas l habitude Il vaut comme un manifeste de la subjectivit venir mais seulement en ceci que partout il en cons
507. uement du point de vue de sa propre immanence qu un certain jugement ext rieur est possible Et cette sortie r demptrice de l Histoire et de la cat gorie du jugement qu elle implique vaut d autant plus pour leurs propres productions artistiques les avant gardes les veulent comme des chocs valant en soi et pour soi en dehors de toute conception historiciste C est bien plut t d existence Deleuze 1993 168 Le ton moralisateur qui domine g n ralement lorsqu on voque les exp rimentations politiques ou esth tiques du si cle pass t moigne d un certain triomphe postmoderne de la cat gorie du Jugement On peut comprendre dans cette perspective le rejet surr aliste et situationniste de la morale commune ainsi que leur apologie de la Terreur Benjamin a bien compris cette dynamique chez les surr alistes quand il crit on y trouve le culte du mal un appareil qui peut servir d sinfecter et isoler la politique de tout dilettantisme moralisateur Benjamin 2000b 127 93 partir d un pr sent absolutis que les avant gardes voluent et produisent Elles cr ent un art vanescent au sein d un rite communicationnel entre les membres exclusifs d une aventure collective L criture automatique surr aliste ou la d rive situationniste doivent se comprendre en tant qu exp rimentation collective dans laquelle se dissolvent au moins en partie les sujets individuels La v rit passe pe
508. uerre qui d chire la soci t de son temps mais cette guerre se joue armes in gales entre une poign e de s ditieux et un pouvoir diffus sans visage ni corps un pouvoir machinal parfaitement int gr dans des dispositifs et des appareils id ologiques command s par une logique conomique partout h g monique Contre la perte de pouvoir engendr par la soci t spectaculaire la solution debordienne consiste revenir l ancien mod le de la Cette derni re question peut et doit tre lue selon au moins deux sens possibles qui v ritablement dirige la plus puissante d mocratie du monde Et encore qui peut commander la d mocratie alors que la d mocratie est par d finition un pouvoir collectif qui interdit une concentration excessive du pouvoir En ce sens d s que le pouvoir se trouve prisonnier des mains de quelques uns on ne peut plus parler de d mocratie en tant que telle Debord reprenant la critique de la repr sentation politique initi e par Rousseau veut travers cette question montrer l absurdit qu il y a vouloir parler de pouvoir d mocratique si on voque par l seulement le pouvoir de certains exerc au nom de la d mocratie 228 souverainet qui limite le domaine de l action au niveau de la personnalit souveraine Certes Debord pr tend ne jamais avoir voulu le pouvoir et d avoir exerc uniquement le pouvoir de la n gation et ce dans le but de ruiner toute forme de
509. uerre s attaque tous les conformismes langagiers et existentiels et tous les ordres policiers de la soci t au profit d une libert conditionnelle l abolition des forces qui la refoulent On retrouve au sein de cette conception thique une fusion parfaite entre l expression et la vie toutes deux conjugu es selon les exigences d une libert illimit e Un pr suppos central de ce travail veut que l art extr me produit par Guy Debord malgr sa singularit soit aussi typique de l art avanc du XX si cle C est dire que Debord participe tout un arri re fond visible ou latent qui correspond des proc d s et des id ologies parcourant le si cle mon sens l uvre de Debord gagne tre mise en contexte dans son temps et tre mise en relation 4 Les critiques qui se positionnent comme des d fenseurs de l orthodoxie debordienne se trompent et se font duper En se pla ant dans la position des bons l ves d un Ma tre supr me ind passable ils ne rendent pas justice au d fi que repr sente l uvre de Debord qui ne doit surtout pas se fixer en religion constitu e En outre l ironie et l autod rision de Debord semblent souvent leur chapper Jean Claude Bilheran accepte humblement la position subalterne que produit selon lui naturellement l uvre de Debord Ceux qui de pr s ou de loin ont affaire Debord paraissent frapp s Z 1562 N que nous
510. ues ou politiques C est ainsi que l ensemble des Commentaires sur la soci t du spectacle peut tre lu comme une manifestation tr s particuli re de cette criture manipulation qui affirme plusieurs choses la fois sous le premier sens apparent se cache en r alit un sous texte secret qui permet de mieux saisir la nature de cette partie jou e par Debord L incipit de ce texte est en soi suffisamment explicite Le malheur des temps m obligera donc crire encore une fois d une fa on nouvelle Certains l ments seront volontairement omis et le plan devra rester assez peu clair On pourra y rencontrer comme la signature m me de l poque quelques leurres Debord 2006 CSS 1594 Encore une fois Debord retient le conseil de Graci n selon lequel dans la mani re de s expliquer l on doit aussi viter la clart excessive mais il justifie cette obscurit volontaire par la n cessit d une subversion qui se doit de demeurer discr te Ayant ainsi tenir compte de lecteurs tr s attentifs et diversement influents je ne peux videmment parler en toute libert Je dois surtout prendre garde ne pas instruire n importe qui Debord 2006 CSS 1593 Ce texte se propose d expliciter les nouvelles techniques du pouvoir spectaculaire qui ont passablement volu depuis l ouvrage de 1967 Or Debord d crit ni plus ni moins qu une formidable machine de manipulation capable de modifier
511. ui qui crit Debord 2006 PAN I 1659 L entreprise cryptique devient alors pleinement entreprise publique la m moire usage priv se transforme en m moire officielle disponible pour tous offerte aux g n rations futures Si au d part la pulsion biographique est autor f rentielle elle s ouvre peu peu au domaine historique La crypte se m tamorphose alors en tombeau mais le contenu n est plus tout fait le m me Pour se convaincre du chemin parcouru on n a qu comparer les M moires 1958 avec le Pan gyrique tome 1 1989 la diff rence de son anc tre le Pan gyrique ne cesse de fournir son propre guide de lecture Bien que l ventuel lecteur doive fournir des efforts herm neutiques certains il lui est possible de saisir la 151 majeure partie des allusions en effectuant les recherches appropri es sur la vie de Debord et sur celle des auteurs qu il cite Ce livre d sire susciter l int r t et l admiration le caract re allusif ne cherche plus repousser le public mais bien le s duire en entretenant une certaine curiosit en suscitant l envie d en savoir davantage sur les v nements voqu s Si une partie du sens chappe encore le lecteur prouvera un plaisir esth tique certain la lecture de l ouvrage ce qui est loin d tre assur avec les difficiles M moires car la collection des citations judicieusement choisies est impressionnante d une grande pui
512. ui se contemple l orgueil qui se donne en spectacle autrement dit la gloire La puissance son ivresse dans celui qui l exerce et dans ceux qui la voient s exercer B nichou 1948 25 Le mouvement aristocratique visant la gloire personnelle se d roule dans un espace spectaculaire la gloire tient du domaine de la visibilit et appara t au sein d un jeu social de distinction En ce sens la gloire aristocratique se d gage d une pratique de la sagesse antique qui tait essentiellement une pratique de l homme sur soi dans un rapport intime avec la pens e La red couverte du sto cisme partir de la Renaissance remet cependant en valeur l l vation de l individualit orgueilleuse contre les forces de la n cessit dans la m taphysique sto cienne l individu exp rimente la libert uniquement dans la mesure o il peut refuser de se soumettre des puissances qui le contraignent C est pour cette raison que Stone Richards affirme que Debord fait sienne la doctrine sto cienne de la non subordination de l individu quiconque Stone Richards 2001 91 une doctrine elle m me la base de la culture de l h ro sme durant l poque classique Tout comme l glise rejetait l thique de la gloire d velopp e l poque classique Debord s oppose farouchement la morale chr tienne qu il ne cesse de d noncer dans un rejet rapprocher de la critique nietzsch enne L
513. uissant Graal ouvrant les portes de la vie nouvelle en ce sens le situationnisme joue davantage sur l aspect mythique de sa propre existence Debord fait d ailleurs lui m me r f rence au Graal dans In girum 123 La formule pour renverser le monde nous ne l avons pas cherch e dans les livres mais en errant C tait une d rive grandes journ es o rien ne ressemblait la veille et qui ne s arr tait jamais Surprenantes rencontres obstacles remarquables grandioses trahisons enchantements p rilleux rien ne manqua dans cette poursuite d un autre Graal n faste dont personne n avait voulu Debord 2006 IGI 1779 Le savoir absolu qu il pr tend poss der Debord le figure dans le Graal ce mythe litt raire qui a tant inspir les lettristes Mais si Debord se pr sente la fois comme le destinataire et le d tenteur du Graal cette force capable de modifier le temps il en est aussi le gardien celui qui conna t la v rit du Graal et qui en d cide l acc s On doit encore une fois Boris Donn cette interpr tation malicieuse le Graal n est qu une m taphore de Debord lui m me en tant que seule force capable de r aliser la philosophie en provoquant l ultime r volution Dans un certain sens ce n est pas tant le mouvement situationniste que Debord lui m me qui se propage sous le mode du mythe Debord se positionne lui m me comme le cha non manquant celui qui
514. ulignant constamment la mis re humaine du point de vue de la grandeur qui lui fait d faut partir de l immens ment grand C est sous cet angle que j interpr te les d finitions tir es du Nouveau dictionnaire des synonymes fran ais d Antoine L andre Sardou qui viennent myst rieusement conclure ses Commentaires sur la soci t du spectacle Le m me Sardou dit aussi Vainement est relatif au sujet en vain est relatif l objet inutilement c est sans utilit pour personne On a travaill vainement lorsqu on l a fait sans succ s de sorte que l on a perdu son temps et sa peine on a travaill en vain lorsqu on l a fait sans atteindre le but qu on se proposait cause de la d fectuosit de l ouvrage Si je ne puis venir bout de faire ma besogne je travaille vainement je perds inutilement mon temps et ma peine Si ma besogne faite n a pas l effet que j en attendais si je nai pas atteint mon but j ai travaill en vain c est dire que Jj ai fait une chose inutile On dit aussi que quelqu un a travaill vainement lorsqu il n est pas r compens de son travail ou que ce travail n est pas agr car dans ce cas le travailleur a perdu son temps et sa peine sans pr juger aucunement la valeur de son travail qui peut d ailleurs tre fort bon Debord 2006 CSS 1646 Debord a travaill vainement parce qu il n a pu emp cher le triomphe de la domination sp
515. ume elle seule la mentalit baroque de Debord Pour parler clairement et sans paraboles Nous sommes les pi ces du jeu que joue le Ciel On s amuse avec nous sur l chiquier de l tre Et puis nous retournons un par un dans la bo te du N ant cit dans Debord 2006 IGI 1776 Dans les Commentaires Debord oppose cette citation une autre aux propos volontaristes de Baltasar Graci n Signe que pour lui cette citation fonctionne dans un registre qui tient la fois du moralisme et du baroque dans une sorte de fatalisme pessimiste Pour bien comprendre l conomie propre cette citation 1l fait l interpr ter l aune de ce commentaire crit dans la Note accompagnant la traduction des Coplas On peut reconna tre quelques traits plus modernes encore dans cette mani re impersonnelle d attribuer au cours du monde les r sultats de nos propres actions historiques Debord 2006 1506 1507 C est donc dire que Debord reconna t comme une strat gie typiquement moderne cette facult de la d responsabilisation fataliste les cons quences de nos actions ne sont nullement attribuables notre propre volont mais plut t soumises au hasard celui du chaos de l Histoire le cours du monde qui emporte tout selon ses propres lois Ce lyrisme moraliste a ceci de rassurant qu il permet tout dans la mesure o toute chose se dirige vers un N ant fondamental tous les comp
516. un passage souterrain reliant ces deux constellations distinctes mais exer ant une force attractive une sur l autre En explorant les diff rents circuits reliant ces deux modalit s de l avant garde il sera possible de mieux identifier la force singuli re de l uvre de Debord qui se situe justement dans cet intervalle entre le r ve la constitution mythologique de soi et l ivresse la mort de l intention J analyserai donc les liens organiques unissant ces deux pratiques esth tiques en expliquant comment l uvre de Debord s inscrit dans une tentative de d passement du surr alisme L avant garde artistique advient comme force historique en tant que rupture c est toujours contre les forces du pass et contre les traditions artistiques institu es que les avant gardes pr tendent construire les arts du futur Par ce geste de rupture sans cesse r p t les avant gardes instituent une paradoxale tradition du nouveau mais chaque groupe s imagine arriv au terme de l histoire qui pr side cette logique Les surr alistes prennent bien soin de s imaginer les h ritiers d une tradition litt raire complexe qui travaillait dans les 68 interstices de l Histoire annon ant la venue m me du mouvement surr aliste Les situationnistes se positionnent aussi au sein de cette logique de l affirmation par la rupture r p tant une dialectique qu ils pr tendent mener son terme Revendiquant la fil
517. uniste La Cor e aux Cor ens Les chansons de Pr vert l avant guerre mondiale le beau temps un orage la nuit Tout cela est mort plusieurs fois un jour de Septembre dans la musique de Bach et Vivaldi les paradis sont perdus le soir du 21 d cembre l As en attendant le demi si cle Debord 2004 39 40 155 Ainsi le soir du 21 d cembre 1950 dans un bar de Cannes Debord angoiss tout autant par le passage du temps que par l impuissance li e son statut d adolescent juge qu il doit passer dans l Histoire et entrer sur la sc ne des avant gardes On remarque que Debord joue d j dans cette lettre le r le du m morialiste c est dire qu il se fait l historien de sa propre vie m me si les v nements narr s sont tr s r cents Pour Debord tr s sensible au passage du temps une poque vient tout juste de se terminer qu elle est d j rel gu e au domaine de l historique r duite une unit de temps qu il convient d voquer comme infiniment lointaine et perdue et ce afin de mieux pouvoir l int grer dans sa l gende personnelle de l ins rer sans son Histoire dans l inscription de son moi dans le temps Debord imagine ainsi un nouveau projet devant lier l criture du moi et l Histoire comme en t moigne ce fragment de Novalis qu il place des ann es plus tard dans son Pan gyrique tome 2 Nous ne sommes qu au commencement de l art d crire Chaque vie
518. upes s opposent l avant garde politique traditionnelle car ils repositionnent la question de la r volution partir de la subjectivit individuelle Les deux avant gardes peuvent bien se rejoindre sur le projet gramscien d une r volution culturelle qui utilise la propagande et les forces intellectuelles pour mobiliser des forces sociales inconscientes d elles m mes Mais les surr alistes et les situationnistes vont plus loin et d passent le cadre d une politique de partie en pla ant la po sie et la libert qu elle implique au c ur du processus d mancipation L individu en tant qu tre cr ateur ne doit pas tre sacrifi au nom des processus collectifs qui rythment l Histoire Benjamin partage donc avec les situationnistes une volont de surmonter par tous les moyens possibles la division du travail artistique ce propos il crit Est donc d terminant le caract re paradigmatique de la production qui premi rement est capable d initier d autres producteurs la production et deuxi mement de mettre leur disposition un appareil am lior Et cet appareil sera d autant meilleur qu il conduira un plus grand nombre de consommateurs la production bref qu il sera en tat de transformer lecteurs ou spectateurs en co auteurs Benjamin 2003 138 Le r le que Benjamin attribue l art communiste consiste en une abolition de la fronti re artificielle qui s pare le producteur du pub
519. ur elle m me en tant que processus engageant une strat gie elle ne peut apporter rien d autre que le simple plaisir du jeu Et la partie ne doit jamais finir en atteignant son but le jeu est le but lui m me C est dans cette logique que Debord insiste sans cesse sur la part irrationnelle de son pari en faveur de la r volution Il faut que je sois moins port qu un autre 6 Debord r crit ici une phrase d In girum personne ne me fait la gr ce de penser que je n ai pas r ussi dans les affaires du monde Mais fort heureusement personne ne pourra dire non plus que j y ai r ussi Debord 2006 IGI 1788 1789 201 calculer puisque ce choix si prompt qui m engageait tant fut spontan produit d une irr flexion sur laquelle je ne suis jamais revenu et que plus tard je mai jamais regrett Debord 2006 PAN I 1663 Si Debord choisit le parti du n gatif c est parce que le c t du mal historique lui para t sans doute plus excitant et plus stimulant que la simple d fense du statu quo Cette conception ludique de l existence vite la question de la finalit Si la vie se r duit un jeu dont les r gles sont d finies par ses propres Joueurs ce dernier doit se poursuivre toujours car par d finition le jeu ne porte jamais cons quences Dans une lettre crite en 1953 Debord affirme d j Toujours nous irons plus loin sans avancer jamais Debord 2004 138
520. ures paradoxales un premier niveau le d tournement des moralistes est bien souvent sarcastique Imitant la strat gie de Lautr amont Debord s amuse transformer les d nonciations moralistes en loges Alors que les moralistes condamnaient l amour propre les app tits la soif de gloire le vice etc Debord les c l bre travers son propre cas Pour donner un exemple on peut constater ce retournement de sens dans la charge positive que Debord accorde au concept pascalien de divertissement 88 Voir la note 26 de l Introduction 206 Alors que Pascal d non ait la d pendance humaine envers le divertissement une forme d excitation des sens et de l esprit nous permettant d oublier la mis re fondamentale de notre existence Debord croit uniquement au salut par le divertissement Une seule entreprise nous para t digne de consid ration c est la mise au point d un divertissement int gral affirment les lettristes en 1954 Debord 2006 147 Comme l crit Boris Donn qui a bien analys le rapport ambigu de Debord Pascal si l on rejette la foi religieuse si l on conjure la tentation du suicide le divertissement le jeu au sens le plus large reste le seul moyen de supporter la condition humaine Donn 2008 33 Cette subversion des valeurs moralistes fait partie de la strat gie du d tournement car Debord valorise en d finitive des types de comportement aristocratique
521. urr alisme la t che de cr er une mythologie moderne Cette question devient d ailleurs primordiale pour le surr alisme de l apr s guerre pour le mouvement l tablissement d une mythologie moderne repr sentait une nouvelle t che positive et constructrice cr atrice de merveilleux pouvant r enchanter un monde marqu par le nihilisme fasciste la destruction nucl aire et le g nocide La mythologie moderne souhait e par les surr alistes prend valeur de rem de m dical elle devait soigner une civilisation malade lui redonner force vigueur passion Pour le surr alisme le mythe moderne exerce une force mystique sur des sujets mais dans en dehors de toute connexion divine L attrait des surr alistes pour le mythe tient aussi au fait qu il constitue avec les traditions sot riques une alternative profane l emprise religieuse sur l univers du non rationnel L wy amp Sayre 1992 219 En un certain sens on peut interpr ter ce positionnement mythologique du surr alisme comme une sorte de retour vers des conceptions humanistes plus traditionnelles vers la cr ation de valeurs positives devant re cimenter une communaut d chir e Par ce processus le surr alisme tente d chapper aux tendances anarchistes et antisociales qui marquent ses d buts Par la cr ation d une s rie de figures de l gendes de projections id elles bref un ensemble de repr sentations de l esprit unifi
522. urte unit de temps au discours intimiste r cit par le seul Debord de Critique de la s paration Dans l interm de les M moires de 1957 camouflent enti rement le sujet si Debord parle constamment de lui et de ses sentiments c est uniquement travers le discours des autres d tourn s partir de nombreuses sources certaines signifiantes d autres non Ce je dispara t ensuite pour merger de nouveau en 1978 avec Jn girum Entre 1962 et 1978 plusieurs param tres changent cependant ce qui modifie la port e du je de Debord ce dernier s exprime d sormais en dehors de toute dimension groupale en tant que sujet enti rement autonome lib r des obligations et des compromis n cessaires au maintien d un groupe d avant garde 17 Alors que les M moires de 1958 et la Critique de la s paration pouvaient se lire comme un discours que Debord adressait uniquement aux troupes situationnistes nouvellement constitu es leur exposant son pass ainsi que ses attentes envers la nouvelle Internationale In girum ne s adresse personne en particulier sinon la post rit S il pr tend toujours croire en la possibilit de la r volution Debord pr sente les v nements de mai 68 comme sa principale action historique Mais il est clair pour lui que l v nement r volutionnaire ne pourra jamais se reproduire comme tel Quand retombe cette fum e bien des choses apparaissent chang es Une poque a
523. usieurs g nies criminels et psychopathes devient d ailleurs un th me r current dans le roman policier et ce d j partir de Crime et ch timent de Dosto evski L auteur russe avait d ailleurs lu le compte rendu du proc s de Lacenaire fait divers qui l inspire directement dans l criture du crime de Raskolnikov Le processus identificatoire en jeu dans la figure de Lacenaire est tel qu on peut affirmer que ce personnage repr sente le masque le plus significatif de Debord c est dire celui qui trouve le plus de r sonnance dans son univers intime et celui qui repr sente le plus fid lement son id al du moi aussi bien dans le domaine artistique que dans le domaine politique qui accomplissent ici une sorte de synth se in dite Dans sa critique d In girum Pascal Bonitzer a bien devin l importance de cette figure dans l univers imaginaire de Debord 303 L auteur Debord n est pas un artiste et il le sait c est ce que signifie la figure de Lacenaire d rob e aux Enfants du paradis l un des masques dont s affuble Debord Lacenaire est le criminel en qu te d une sombre gloire mais c est aussi l artiste rat il est celui qui rate l art dans la voie sans issue du crime Bonitzer cit dans Debord 2006 1439 Lacenaire condense et exemplifie en effet deux arch types fondamentaux dans la trajectoire de Debord celui de l artiste rat et celui du criminel C est
524. ustifi cette pratique de l exclusion h rit e de Breton par des motifs id ologiques mais en r alit cette pratique s ins re dans une thique de vie fond e sur la valorisation de la rupture d finitive Les relations interpersonnelles 222 doivent uniquement avoir la passion comme fondement d s que l int r t n y est plus la rupture est consomm e Ainsi les rapports humains se basent non par sur des obligations mutuelles mais sur le principe du plaisir pur Dans ce cadre chacun devient un objet de jouissance potentiel pour autrui et peut ce titre tre trait en simple objet Comme Lola Mont s Debord ne veut gu re poursuivre aucune relation qui le d savantage ou lui apporte du d plaisir une grande partie de son pouvoir de s duction r side justement dans cette menace constante de la rupture connue de ceux qui s engagent avec lui La rupture devient ainsi une mani re pour Debord d explorer sa principale passion celle du passage du temps Vincent Kaufmann a bien compris que le motif politique r duit la complexit de la question On dit qu il a t l homme de toutes les ruptures et qu il n est jamais revenu sur aucune c est que l absolu de la passion n est pas amendable il n est pas compatible avec le moindre compromis il est aveugle la raison de l autre au relatif au relationnel Le sentiment de l coulement du temps c est aussi le sentiment du caract re
525. ut tre comme un clair mais une s rie de fid les participe son clat En r gle g n rale l v nement arrive tout simplement hors de toute volont hors de toute d termination c est justement son caract re fortuit hasardeux et fragile qui le constitue en tant qu v nement Le propre du surr alisme et du situationnisme est d avoir voulu recentrer la perc e de l v nement dans le domaine de l exp rience Mais comment combiner la subjectivit la source de l exp rience avec la transcendance de l arr t v nementiel Pour les surr alistes on conna t la solution c est le r ve et toutes les formes de productions inconscientes qui agissent comme parfait m diateur et qui assurent un quilibre des forces entre la volont du sujet en partie contrari par l inconscient et l aspect incontr lable et impr visible de l v nement C est pr cis ment cette position centrale du r ve que va critiquer Debord afin de mieux d velopper une conception de l esth tique bas e sur les puissances de l ivresse plut t que sur les forces limit es de l inconscient On arrive ici au centre de la probl matique fondamentale la diff rence ontologique qui subsiste entre le r ve et l ivresse Car il existe bien une diff rence fondamentale entre l esth tique du r ve pratiqu e par les surr alistes et l esth tique de l ivresse pratiqu e par les membres de l Internationale lettriste et leur
526. ut si on le compare la distanciation brechtienne qui trouve son application imm diate au sein d une collectivit conscientiser Il convient donc de red finir le d tournement avant tout comme une activit de mythologisation de soi Chez Debord le d tournement devient peu peu un moyen d expression privil gi le distinguant en tant qu auteur Malgr les pr tentions r volutionnaires du proc d le d tournement se met d abord au service de Debord et de ses camarades dans leur projet mythologique La fid lit de Debord au proc d du d tournement loin de d faire la tradition et ses hi rarchies vise fonder une nouvelle tradition du nouveau une contre histoire qui devrait tre celle des vaincus mais qui n est que celle de Debord et de ses camarades Le d tournement agit avant tout comme signe de reconnaissance Jaspierre 2002 653 Dans un premier temps la pratique du d tournement se produit uniquement en tant que moyen de communication interne au groupe lettriste lui m me Il n est aucunement question de produire une contre histoire ni de redonner aux masses ali n es des moyens de rompre avec l identification au h ros il s agit de s approprier la part mythique contenue dans les productions du spectacle afin de devenir h ros soi m me C est donc dire que le th tre lettriste est d abord et surtout un th tre pique servant une entreprise d id al
527. utons pas que dans les prochaines ann es beaucoup d historiens sp cialis s d Europe et d Am rique et ult rieurement d Asie et d Afrique ne fassent le voyage de Silkeborg la seule fin de compl ter et de contr ler leur documentation ce Pavillon de Breteuil d un nouveau genre Debord 2006 565 On peut en conclure que Debord d montre tr s t t un souci d archivage de sa propre vie et qu il constitue son uvre dans la perspective d une biblioth que labyrinthique offerte aux ventuels chercheurs 156 Ainsi malgr l volution perceptible dans l criture du moi de Debord c est l id e de se constituer en mythe qui domine l ensemble du projet autobiographique J ai d j soulign l importance d une compr hension unitaire du fonctionnement du mythe rappelons simplement la c l bre d finition de Claude L vi Strauss le mythe se compose de l ensemble de ses variantes Le mythe transcende l histoire et s impose elle il est la fois en dehors de l historicit et un d terminant de l historique Le mythe pour Debord consiste donc en une m diation de son moi dans l Histoire Qu il le fasse dans l urgence du moment dans une sorte de production directe de type potlatch ou bien dans la perspective de sa post rit ne change rien l affaire Debord a d ailleurs sans cesse insist sur l aspect unitaire de sa d marche mettant de l avant une sorte de fid lit
528. uveau rapport au pass La r volution cherche certes chapper au temps cyclique mais elle ne peut se soustraire totalement au principe de r p tition du pass Comme l avait d j crit Karl Marx dans la c l bre ouverture du 18 Brumaire de Louis Bonaparte La tradition de toutes les g n rations mortes p se d un poids tr s lourd sur le cerveau des vivants Et c est pr cis ment ces poques de crise r volutionnaire qu ils voquent craintivement les esprits du pass qu ils leur empruntent leurs noms leurs mots d ordre leurs costumes Marx 1852 non pagin Les morts sont les seuls mod les qui peuvent inspirer le r volutionnaire dans sa t che de cr ation de nouveaux modes d existence Seuls les anciens en leur temps ont 16 Walter Benjamin se r f re directement ce passage dans son article Sur le concept d histoire lorsqu il crit L histoire est l objet d une construction dont le lieu n est pas le temps homog ne et vide mais le temps satur d pr sent Ainsi pour Robespierre la Rome antique tait un pass charg d pr sent qu il arrachait au continuum de l histoire La R volution fran aise se comprenant comme une seconde Rome La mode sait flairer l actuel si profond ment qu il se niche dans les fourr s de l autrefois Elle est le saut du tigre dans le pass Benjamin 2000c 439 348 exp riment une libert d esprit
529. uvent aliment s par la prise de drogues ou d alcool s accordent avec la pratique d une subjectivit la fois totalement volontariste et totalement pli e au r el de l coulement d un temps plein et r novateur Le seul probl me avec l ivresse c est qu elle ne se stabilise jamais dans des uvres parce qu elle rel ve d une exp rience quasi mystique on n a pas d autre choix que d accorder cr dit ou non aux rares t moignages des survivants L ivresse ne s value pas sur le plan esth tique mais elle joue pourtant un r le primordial dans la cr ation du Beau Il faut revenir sur les aveux de Debord quand il justifie la fin de sa vie sur sa passion alcoolique De celle ci il dit J ai d abord aim comme tout le monde l effet de la l g re ivresse puis tr s bient t j ai aim ce qui est au del de la violente ivresse quand on a franchi ce stade une paix magnifique et terrible le vrai go t du 120 passage du temps Debord 2006 PAN I 1669 Si on associe l ivresse au passage du temps on peut alors identifier le r ve au blocage du temps L image surr aliste en concentrant le r ve dans un fragment immobile arr te le temps En r alit le r ve d double le temps v cu elle lui fait faire un retour sur lui m me C est pourquoi Deleuze parlait du r ve comme d un dispositif producteur d ombres le r ve parasite le temps et la vie pour les transformer en
530. v rit s premi res du d sespoir ne seront pas l aboutissement de ces vies si difficiles d fendre contre les pi ges du silence les cent mani res de SE RANGER Debord 2006 101 D s sa jeunesse Debord promet donc que jamais il ne se 291 uvre Dans son Pan gyrique crit en 1989 un texte qui se pr sente sous la forme d un bilan de vie Debord d finit r trospectivement l essentiel de son action dans le monde comme une r invention moderne du crime Je nai v ritablement pr tendu aucune vertu sauf peut tre celle d avoir pens que seuls quelques crimes d un genre nouveau pourraient ne pas tre indignes de moi Debord 2006 PAN I 1664 Debord voque directement dans ce texte son d sir de lier dans l exemple de sa vie la pratique de l criture et du crime se pla ant dans la filiation de Fran ois Villon et de Lacenaire Pour comprendre les v ritables raisons motivant la passion de Debord pour les classes dangereuses il convient de revenir sur les origines du concept tel que le re oit Debord Ce dernier d couvre probablement l expression dans l ouvrage classique de Louis Chevalier Classes laborieuses et classes dangereuses Paris pendant la premi re moiti du XIX si cle publi en 1958 D abord d mographe Chevalier s int resse aux mouvements de la population parisienne au XIX si cle Statistiques et r f rences l appui il dresse le portrait des cl
531. vant dans un horizon historique se r duisent d sormais en de simples repr sentations m taphysiques s ins rant parfaitement dans une soci t lib rale qui entretient un rapport pervers la loi Debord en utilisant son compte cette repr sentation romantique et id alis e du criminel d montre encore une fois qu il volue ouvertement dans l conomie spectaculaire La M taphysique du crime exemplifi e par Lacenaire est en tout point semblable celle d ploy e par Debord c est en tant qu artiste rat que Debord doit se m tamorphoser en puissance mal fique en g nie criminel en signifiant de la n gation La voie de l art et la voie du crime se croisent ainsi dans un m me cours commun C est ainsi qu partir de la mort de l art doit advenir une nouvelle pratique permettant d lever le crime au rang des beaux arts Sur un plan strictement formel l utilisation syst matique du d tournement fonctionne d j pour Debord dans une conomie de l ill galit c est en tant qu artiste rat que Debord se transforme en bandit des arts Ce n est donc pas un hasard si la majorit de ses uvres sont compos es de d tournements et de citations c est dire de pi ces vol es aux autres Malgr les justifications id ologiques une telle d marche permet Debord de vivre une sorte de d s uvrement de signifier son incapacit cr er une uvre originale qui serait attach e son
532. vement vers une r elle autonomie qu il faut comprendre l id ologie violemment anti communicative qui anime la plupart de ces groupes Le public avec ses attentes et ses caprices appara t leurs yeux comme une sorte de 76 projection imaginaire d termin e par le march de l art qui lui pr existe Pour les avant gardes l art ne doit pas tre communicatif comme le disait Gilles Deleuze en tant qu acte de cr ation l art n affirme rien il n a pas de message pr cis faire passer il vise seulement cr er de la vie c est dire cr er de nouvelles puissances de l expression Pour donner un exemple le m pris du public s nonce sans d tour dans ce c l bre extrait du Second Manifeste surr aliste 1928 dans lequel Breton ordonne ce nouvel imp ratif ces troupes Il importe de r it rer et de maintenir ici le Maranatha des alchimistes plac au seuil de l uvre pour arr ter les profanes Ce n est pas trop demander aux uns et aux autres que de cesser de s exhiber complaisamment et de se produire sur les tr teaux L approbation du public est fuir par dessus tout Il faut absolument emp cher le public d entrer si l on veut viter la confusion J ajoute qu il faut le tenir exasp r la porte par un syst me de d fis et de provocations JE DEMANDE L OCCULTATION PROFONDE VERITABLE DU SURREALISME Breton 1988 821 Le constant refus du public c
533. vie Debord 2006 SdS 816 Debord exige r paration du tort absolu qu il a subi la victoire doit donc tre totale elle quivaut une transformation radicale de l ordre actuel C est un duel deux dans lequel seule la destruction des capacit s de l ennemi peut r tablir l honneur perdue la guerre est un acte de violence engag contraindre l adversaire se soumettre notre volont Clausewitz 2006 20 De l l intransigeance de Debord devant tous comportement jug s r formistes ou complaisants Il est bon d tre fanatique sur quelques points Debord 2006 200 La violence que Debord exerce sur ses propres troupes est parall le la violence de la guerre qu il m ne contre le monde social existant Il vaut mieux changer d amis que d id es Debord 2006 201 crivent Debord et Wolman dans Pourquoi le lettrisme L id e de la vengeance intrins que la notion d honneur aristocratique se trouve donc la source de l engagement r volutionnaire de l auteur de La soci t du spectacle Un autre aspect important qu il h rite de la culture aristocratique se trouve dans l aspect comp titif rattach cette derni re le concept de gloire se d veloppe dans une sph re de visibilit sous la forme de forces surhumaines d montrer aux autres dans une appr hension pique de l existence Dans le principe de gloire d fendue par l aristo
534. x semble lui m me confondre les classes dangereuses avec la boh me comme on peut le lire dans cette description hargneuse tir e du 18 brumaire de Louis Bonaparte 133 Les agents du Parti imaginaire ont probablement raison lorsqu ils affirment Au fond le conflit entre Marx et Bakounine autour de l Internationale et de sa pr tendue infiltration par une obscure Alliance internationale de la d mocratie socialiste acquise Bakounine porte sur ce point d un c t il y a une politique fond e sur les programmes et de l autre une politique fond e sur l amiti Parti imaginaire 2006 21 Bakounine n avait aucune confiance une politique des masses m me celle bas e sur un programme solide s opposant la fluidit du capital sans cesse il recrutait dans le secret au sein m me de l Internationale de rares et pr cieux amis parmi lesquels une confiance totale s tablissait Pour Bakounine la politique est d abord une question d amiti de clan de tribu Contre l informe froideur de la politique anonyme des masses seule la consistance des liens amicaux assure le triomphe possible de la r volution 285 on avait organis le lumpenprol tariat parisien en sections secr tes mis la t te de chacune d entre elles des agents bonapartistes la soci t elle m me tant dirig e par un g n ral bonapartiste c t de rou s ruin s aux moyens d existence douteux et d origine galemen
535. yst re Debord 2006 1869 On peut d abord penser que Debord se r f re ici uniquement sa manipulation de la famille Lebovici mais on peut ais ment largir cette interpr tation et croire que Debord voque en r alit l ensemble de son uvre dans le monde Selon Apostolid s cette lettre constitue le testament spirituel de Debord Il a voulu r sumer l ensemble des images auxquelles il s est identifi une seule celle du manipulateur Apostolid s 2006 184 185 Plusieurs indices permettent en effet de 236 penser que cette image du g nie manipulateur subsume toutes les autres et que Debord consid re que son plus grand talent r side en cet art Debord aurait donc fait sien ce pr cieux conseil de Graci n Tib re affectait de ne point dissimuler mais ne savait pas dissimuler sa dissimulation La plus grande finesse de l art est de se rendre invisible et le plus grand artifice de se cacher sous un autre plus grand Graci n 2005 108 Dissimuler la dissimulation fut peut tre le grand coup de Debord tout en feignant de jouer jeu ouvert il jouait plut t un tout autre jeu l artifice P aea x lt 105 primordial devenant invisible sous les traits d un autre artifice opi Manipulant l univers des apparences d multipliant les apparences les unes sur les autres le Bateleur est aussi une figure de l artiste ce ma tre des illusions qui s appuie sur les puissa
536. z vu tout ce que nous pouvions vous montrer Chtcheglov 2006 35 L id e de ne pas d voiler trop d information afin de pr server un secret se retrouvera bien s r dans l uvre de Debord L int r t de ce dernier pour le fonctionnement clandestin des soci t s secr tes se retrouve dans ses lettres de jeunesse en 1951 il crit dans sa correspondance avec Herv Falcou Le terrorisme formera des soci t s secr tes Debord 2004 117 la phrase est barr e mais toujours lisible dans le fac simil de la lettre Le manuscrit de Manifeste pour une construction de situations crit en 1953 et rest in dit jusqu en 2004 est incomplet Il se termine abruptement sur ce d tournement d une lettre de Jacques Vach Andr Breton Mon but actuel est de porter une chemise rouge un foulard rouge et des bottes montantes et d tre membre d une soci t sans but et secr te en Australie Debord 2006 112 282 La question du rituel va bien s r de pair avec celle du secret et on retrouve plusieurs exemples de pratiques ritualistes au sein de l IS si on d finit celles ci comme un ensemble de r gles strictes et formellement d finies auquel les membres d un groupe ferm doivent imp rativement se soumettre Ces r gles se doivent par ailleurs d tre connues que des membres du groupe Pour donner un exemple de cette pratique on peut citer un des textes de constitution de l I L crit en d

esthétique, politique et personnalité dans l`&oelig;uvre de Guy

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