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Le ventre des philosophes

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1. Ces points font l objet des chapitres qui suivent 2 Dimitri Davidenko Descartes le scandaleux Robert Laffont p 52 3 Jean Colerus La vie de B de Spinoza in Spinoza uvres compl tes Pl iade p 1319 Hegel Correspondance g n rale t lettre de Hegel aux fr res Ramann l na le 8 ao t 1801 Gallimard p 65 les femmes la nourriture le plaisir R vons d une ph nom nologie de l aliment quelques pas derri re lui chemine le pingre Victor Cousin Il confia avoir compris la Critique de la raison pure de Kant le jour o dans un restaurant allemand on porta sur la table un monumental plat charg de l gumes et de d cors surmont s d une mince et ridicule tranche de viande l essentiel r duit peu de chose C libataire endurci radin sans double pique assiette inv t r ce caporal de l ordre philosophique fran ais na de sympathique que sa folie du chocolat pour lequel il se serait damn Cela explique la n cessit des conomies qu il fit un jour qu il avait invit Barni le traducteur de Kant d jeuner Apr s avoir command et mang un repas plantureux Cousin pr texta une commission urgente s en fut et abandonna l addition au traducteur esseul Y a t il surprise lire sous la plume du puritain Proudhon militariste et misogyne de surcro t une condamnation en r gle de la gastrosophie fouri riste transform e en vulgaire philosophie de la gueule Doit on se surprendre
2. Cet avilissement est s duisant parce qu il apporte pour un instant un bonheur r v une lib ration des soucis et m me aussi des forces imaginaires mais il est nuisible en ce qu il entra ne par la suite abattement faiblesse et ce qui est pire la n cessit de revenir ce moyen d abrutissement et m me d en augmenter la dose D o l avantage d une ivresse par le savoir L inconv nient est donc le d faut de radicalisme de cette consolation il faut y revenir Sinon la technique pr sentait quelques avantages si l on en croit le philosophe La gloutonnerie la gourmandise dans la traduction d Alexis Philonenko est pire que l ivresse car elle n occupe que la sensibilit en tant que passivit et jamais comme cela arrive dans le cas pr c dent l imagination o il y a encore place pour un jeu actif des repr sentations elle est par cons quent encore plus proche de la jouissance de la brute Dans un paragraphe explicatif un questionnement casuistique Kant s interroge sur le bien fond d une apologie plut t que d un pan gyrique du vin et de ses vertus conviviales Les techniques d ivresse qui confinent dans l isolement et le plaisir solitaire sont radicalement condamn es L alcool pr sente quelques avantages lorsqu il simplifie l intersubjectivit qu il contribue l harmonisation des rapports humains Le pi tiste aust re fait place l eud moniste pratique pour le mot de la fin Le banquet
3. Pour viter l ennui les discussions l thargiques les niaiseries de table telles qu elles fusent lors des repas o les convives ne sont pas assortis Fourier mobilise les ressources de l Ordre combin II fait se succ der les repas d amourettes de famille de corporations d amiti d trangers etc De m me citant Sanctorius dont la plume lui para t bien utile le philosophe pense qu un co t mod r dilate l me et aide la digestion et qu en cons quence il faudra savoir inviter les femmes remplir leur r le ap ritif Tout cela contribue une hygi ne pr ventive Avec pareilles m dications qui songerait la maladie Quelques uns vraisemblablement rev ches imperm ables aux plaisirs d Harmonie leur intention la pharmacop e fouri riste n est pas silencieuse Comme on pouvait s y attendre elle est alimentaire et attractive Priorit l excipient Contre la m decine civilis e le penseur veut r aliser une sagesse nouvelle qui soit art de gu rir les maladies avec un peu de confiture des liqueurs fines et autres friandises une cuill re d eau de vie le tout susceptible d une infinit de mixtes M decine du go t elle s appuie sur le bon sens populaire qui sait soigner depuis toujours le rhume avec une bouteille de vin vieux chaud et sucr et le sommeil la suite Elle assurerait la liaison des soins et du plaisir par une th orie des antidotes agr ables
4. d couvrir un Freud sourd m lophobe dirions nous r tif la musique ayant instaur chez lui un rituel alimentaire r p titif lui permettant de retrouver chaque jour sur sa table un pot au feu dont seules les sauces changeaient La r sistance la gastronomie n est pas sans renseigner sur le genre l uvre et l homme Le refus de l aliment et de la jouissance qu il procure est parent de l asc tisme quelle qu en soit la forme Il est aussi cousin du renoncement et g n rateur des gestions apparemment rationnelles des vari t s d anorexie que sont les logiques di t tiques m dicales v g tariennes ou v g taliennes D autres p chent par d faut de conformisme nutritif ainsi du divin marquis de Sade qui asservissant l aliment la sexualit porte au pinacle le blanc de poulet dont il fait la th orie il procure les selles les plus succulentes aux coprophages les plus affam s Ou d Anne Marie Schumann dont l histoire a conserv le nom simplement parce qu elle affectionnait tout particuli rement les araign es et qu elle mettait toute sa coquetterie les pr f rer frites Lointaine parente en cela des commensaux de Claude L vi Strauss qui le f taient par un cadeau royal consistant en un bol de larves bien blanches et vivantes craquantes et gigotantes sous la dent mais finalement d gageant des saveurs subtiles et des parfums d licats Quelques gnostiques furent aussi soucieux de nourritures rares Pou
5. 1 Id Correspondance g n rale lettre sa m re 9 novembre 1878 lettre sa s ur 6 juillet 1879 Id Consid rations inactuelles Aubier III 3 Id Ecce Homo p 61 VII Marinetti ou le porexcit Obs d par la modernit sous toutes ses formes Marinetti souhaitait l an antissement de Venise ville pass iste vou e au sentimentalisme et la d cadence La place Saint Marc serait devenue le lieu d un vaste parc automobile De ce joyau merg de la lagune il voulait faire une grande puissance industrielle et militaire susceptible de dominer l Adriatique et d assurer la supr matie guerri re de l Italie en M diterran e puis dans le monde Les futuristes feront fl che de tout bois pour assurer leur r volution l urbanisme soit mais aussi la musique le V tement le cin ma le roman autant de domaines oubli s par le surr alisme La cuisine fut aussi int gr e dans le projet d une transmutation de toutes les valeurs anciennes Avec Marinetti la gastronomie devient l instrument d une volont absolue de changement Par l alimentation il entend r volutionner le r el lui donner formes nouvelles quelque peu inspir es de la l g ret nietzsch enne de la passion du philosophe de Sils pour l a rien La cuisine marinettienne est l quivalent chez Marx de l organisation du prol tariat en classe r volutionnaire par la nourriture il est possible de cr er l essence d une vie nouvelle
6. La pension se fit moins aust re Je quittai l orphelinat aux odeurs m lang es de petits gar ons et de pr tres c libataires pour le lyc e dans ta ville voisine Avec la sous pr fecture je fis connaissance des laits parfum s aux saveurs les plus saugrenues auxquelles consentait avec amusement le patron du caf Je d couvrais le jambon beurre demi rest depuis dans mon esprit comme la signature d une nourriture h tive Je go tais les premi res cr pes avec les conomies faites sur mes achats de librairie J offrais mes premi res petites copines des chocolats et des g teaux dans le seul salon de th de la ville Je devais alors choisir entre les agapes p tissi res et les nourritures spirituelles une note de salon de th m tranglait pour la quinzaine Pour confiner au paradoxe je trouvais dr le de lire La Faim de Knut Hamsun en attendant mes conqu tes au pied des vitrines sucr es L adolescence exige la quantit et se moque quelque peu de la qualit J avalais un nombre incalculable de puddings fabriqu s avec tous les reliefs de la p tisserie et de la boulangerie peut tre m me Le fort go t de sucre et les fruits confits en m me temps qu une grasse pellicule de sirop g lifi teignaient les saveurs multiples devenues compactes J ajoutais un mixte de cr pes bretonnes sous cellophane et de chocolat bon march Le volume primait toute autre consid ration gastronomique Les premi res escapades nocturne
7. crit il invitation expresse l intemp rance en les deux formes de jouissance voqu es comporte pourtant outre l agr ment purement physique quelque chose qui tend une fin morale savoir r unir longuement beaucoup d hommes en vue d une communication r ciproque Toutefois comme leur nombre justement lorsqu il d passe celui des muses ne permet qu une maigre communication avec ses plus proches voisins et que par cons quent le dispositif va contre la fin le grand nombre demeure un encouragement l immoralit Toute la diff rence r side dans la permission de la mesure dans l autorisation d un usage qui ne soit pas m susage Concr tement Kant avait r solu le probl me apr s avoir longtemps fr quent les auberges le midi pour son repas il avait d cid d en cesser avec les lieux publics pour viter la promiscuit des rencontres Apr s sa d cision de prendre ses repas son domicile il s vertua tablir un c r monial pr cis lui permettant de ne jamais manger seul ce qu il jugeait n faste d un point de vue di t tique Une anecdote rapporte ce sujet que manquant d invit un midi Kant avait envoy son valet qu rir le premier passant venu dans la rue pour l inviter prendre son repas en toute convivialit G n ralement il faisait porter un carton ses amis le matin de fa on ne pas les priver ventuellement d un autre rendez vous Le cuisinier pr parait ce que
8. Diog ne La rce op cit p 30 Ill Rousseau ou la voie lact e S il fallait une figure embl matique du renoncement en mati re de gastronomie ce serait sans coup f rir Jean Jacques Rousseau De m me s il tait possible d entendre par insens d pourvu de sens et de sensations le citoyen de Gen ve serait cet homme l Sa chair consid re l aliment parce qu il est le seul moyen d entretenir la vie Autrement gageons que Rousseau ferait fi de la nourriture sans grand d sagr ment On sait l obsession du philosophe critiquer la modernit son temps et corr lativement son go t pour une humanit naturelle qui n est rien moins que mythique Le Discours sur les sciences et les arts est l un des textes les plus dignes de figurer dans une anthologie des crits obscurantistes critique du commerce des m urs du luxe des activit s intellectuelles de la philosophie et de ce qui globalement de pr s ou de loin rel ve de la culture Au sommet de sa lucidit Rousseau fustige l imprimerie l art d terniser les extravagances de l esprit humain et stigmatise les d sordres affreux qu elle a d j caus s en Europe Toujours en verve il attaque la philosophie vains simulacres lev s par l orgueil humain et la place en cl de vo te une g n alogie de la d cadence mesure que le go t de ces niaiseries s tend chez une nation elle perd celui des solides vertus En face du
9. en le recouvrant d un peu de poussi re La s pulture que lui donneraient les chiens les vautours le soleil et la pluie lui semblait achever de mani re pertinente une vie d asc tisme cynique Quand on se souvient de l ardeur avec laquelle Antigone veut viter que le corps de son fr re ne devienne p ture de choix pour les oiseaux carnassiers et combien est grande l horreur d un corps sans s pulture on mesure la qualit de la transgression souhait e par le philosophe En fait ultime retournement Diog ne voulait ainsi que son corps f t absorb par quelque animal compagnon de fortune afin de participer au cycle naturel de se confondre aux l ments Du mangeur d animaux crus Diog ne devenait mang tout cru par les animaux Animal parmi les animaux Fid le donc Ainsi jusque dans la mort il continuait faire de toute chair un aliment et de tout aliment une chair Jamais il ne serait donc question d autre chose que de cette dialectique perp tuelle manger vivre mourir tre mang Ingestion digestion couple infernal qui prouve l vidence de l ternel retour des choses sous le signe alimentaire De la nourriture comme argument pour le cycle Dans son souci de confondre thique et esth tique de faire de son existence une uvre qui participe de sa pure volont Diog ne a fond une logique de l usage de soi o la bouche est orifice de v rit et de sens malgr le silence exig par toute op ration gastro
10. encore les lois qui r gissent l histoire gouvernent l pop e nutritive L histoire de l alimentation c est l Histoire tout court La d termination d une sensibilit gastronomique d un comportement nutritif c est la d termination d une sensibilit et d un comportement tout court Avec Sartre enfin la nourriture d signe le philosophe comme l ternel ennemi de son corps Rivalisant ici d alcoolisme avec un ing nieur russe Tachkent ou l avec Hemingway au Ritz Sartre finit ailleurs par cuver son vin dans le canot de sauvetage du bateau qui l emm ne du Havre New York Au Japon alors qu il go te de la dorade crue ou du thon sanguinolent il finit le repas en vomissant Bruay en Artois chez un mineur mao il d ne d un civet de lapin qui lui d clenche une crise d asthme de deux heures Au Maroc il souffre cruellement du foie apr s l ingestion de cornes de gazelle de pastilla de m choui de poulet au citron et de couscous Puis c est pour avoir aval un tube d Ort drine qu un soir il conna tra la surdit pendant plusieurs heures Laissons le ce silence salvateur et m fions nous de ces philosophies qui rendent sourd Nourriture pour le n ant et l ternit les hommes sont vou s ing rer et tre ing r s M taphore alimentaire la mort n est qu une des nombreuses versions de l oralit Les psychanalystes auraient beaucoup dire sur les polarisations t Voir respectivement de Simo
11. hospitalisation au printemps 1954 Les biographes complaisants incriminent l insistance des h tes sovi tiques Lorsque au sortir d une consultation m dicale Sartre r alisa qu il lui faudrait en finir avec l alcool il s cria C est soixante ans de ma vie qui je dis adieu Entre deux tubes de Corydrane Sartre avait analys ph nom nologiquement l alcoolisme Il crivait Ainsi revient il au m me de s enivrer solitairement ou de conduire les peuples Si l une de ces activit s l emporte sur l autre ce ne sera pas cause de son but r el mais cause du degr de conscience qu elle poss de de son but id al et dans ce cas il arrivera que le qui tisme de l ivrogne solitaire l emportera sur l agitation vaine du conducteur des peuples Eut il envie d en faire la d monstration Toujours est il qu en 1973 l ann e o on lui demande d en finir avec l alcool il confiera un journaliste d Actuel tout son programme politique qui tient en quelques mots terreur ill galit et violence arm e Un r gime r volutionnaire dit il doit se d barrasser d un certain nombre d individus qui le menacent et je ne vois pas 1 Voir dans L tre et le N ant le chapitre Il de la III partie p 368 404 Le corps comme tre Pour Soi la Facticit Ibid p 423 Ibid p 425 A Cohen Solal op cit p 485 5 S de Beauvoir La C r monie des adieux p 67 J P Sartre L t
12. son objectif majeur Son d sir prioritaire tait la jouissance en utopie L Harmonie est la forme politique donn e l all gresse Le nez dans les toiles Fourier ne verra pas Nietzsche qui chemine presque D A F de Sade Justine ou les Malheurs de la vertu Pauvert p 214 217 Cit par B atrice Fink Lecture alimentaire de l utopie sadienne Actes du colloque Sade op cit p 175 comme un t cheron Plusieurs heures quotidiennement jusqu dix par jour Il conna t par c ur le chemin qu il utilise Sa vue est trop mauvaise pour qu il puisse faire confiance l improvisation Les chemins de montagne sont dangereux Le rapport de Nietzsche aux aliments dit tout le rapport du philosophe et de l homme au monde Il a produit une superbe uvre dont nombre de th ses s enracinent toutefois dans le ressentiment d sireux d une compagne ou d un ami d u par son attente insatisfaite il se lance dans des diatribes misogynes et misanthropes Zarathoustra invitera prendre le fouet chaque visite faite aux femmes mais son ma tre et cr ateur interviendra aupr s des autorit s pour qu une femme puisse soutenir une th se de doctorat alors qu l poque cela leur tait interdit De m me confiera t il quelques relations pistoli res f minines telle ou telle id e songeons Malvida von Meysenburg Il en ira de m me avec l amiti si vilipend e par Zarathoustra si v cue par Nietzsche sans Gast
13. La fureur n gative des futuristes en mati re alimentaire s est prioritairement port e sur les p tes ennemies jur es de l Italie de demain symboles de l Italie du pass Nous autres futuristes crit Marinetti d daignons l exemple de la tradition pour inventer n importe quel prix un nouveau que tous jugent insens Tout en reconnaissant que des hommes mal ou grossi rement nourris ont pu r aliser de grandes choses dans le pass nous proclamons cette v rit on pense on r ve et on agit selon ce qu on boit et ce qu on manget Les p tes sont dire vrai les nourritures embl matiques italiennes l analogon de la P ninsule Les attaquer c est saper l difice m me de la civilisation Macaronis nouilles et spaghettis signifient l Italie L ingestion de p tes produit un corps d termin cubique massif plomb de compacit opaque et aveugle plus proche du fer du bois de l acier que des mat riaux nobles aux yeux des futuristes l aluminium caract risant la cristallisation de la l g ret de la lumi re et de l lan Les vertus marinettiennes sont l agilit la danse nietzsch enne et le pied l ger Pour les r aliser il faut abolir cette religion gastronomique des p tes qui entrave la spontan it produit des sceptiques ironiques et sentimentaux Les p tes entortillent les Italiens et les entravent comme autrefois les lents fuseaux de P n lope ou les voiliers somnolant dans l attent
14. conservateurs de sa sant par les voies du plaisir il y Va de leur amour propre que le peuple dans chaque Phalange soit renomm pour son app tit et l normit de ses consommations Ces sages g rent le superflu et construisent l alimentation des soci taires selon des principes eud moniques la nourriture doit tre agr able l g re et susceptible d un entretien du d sir dans sa forme cyclique La sant et le plaisir sont les deux fins vis es par leurs actions Ils t chent d adapter de mani re judicieuse les mets aux temp raments des individus l autre extr mit de l ge s affairent les enfants pour lesquels Fourier d veloppe un soin particuli rement attentif II sait leur passion pour la nourriture et souhaite une p dagogie du d sir d s les premiers moments de l existence Dans le vocabulaire de l utopiste il s agit de d terminer un pivot de culte pour les enfants Pour ce faire il interroge les int ress s Quelle est leur passion dominante Est ce l amiti La gloire Non c est la gourmandise elle para t faible chez les jeunes filles c est que la Civilisation ne leur fournit pas les mets qui conviennent leur ge et leur sexe Observez les penchants de cent petits gar ons Vous les verrez tous enclins faire un dieu de leur estomac et combien de p res sont sur ce point mules des enfants D s lors si l Harmonie tablit pour les enfants un culte de la gourmandise on peut pr su
15. d une conomie g n ralis e du social chez les adultes Elle acc de au rang pr cieux de science pivotale En r gime soci taire la gourmandise est source de sagesse de lumi re et d accords sociaux elle est aussi le ressort principal d quilibre des passions La technique fouri riste pour assurer la gastronomie dans ses pr tentions l gitimes gouverner le social passe par une soumission du gastronomique au religieux Le moyen choisi par le philosophe pour confirmer efficacement l usage jubilatoire et pertinent de l aliment passe par la promotion de l application du syst me religieux aux raffinements de la bonne ch re Fourier file la m taphore religieuse introduit la notion d orthodoxie gastrosophique et disserte sur la saintet majeure Cette derni re qualit est reconnue par un dipl me elle distingue ceux qui lors d un concile gastronomique ont r ussi d montrer la pertinence d une alliance entre un mets et un temp rament En termes fouri ristes les saints majeurs sont charg s de d terminer l accommodage puissanciel de chaque mets selon ses degr s Moins prosa quement ils analysent les modalit s d usage de l uf de ses sauces de ses accompagnements et des pr parations possibles dans l optique de temp raments d termin s De m me ils soumettent leur sagacit les champignons ou le mariage des fraises et de la cr me Vraisemblablement d cid clarifier son propos en
16. formes politiques spartiates Le mod le lac d monien comme issue pour la modernit Voil de quoi inqui ter un voltairien amateur de libre circulation des id es et des poulardes bien dodues Silencieux et d sireux d apprendre preneur de notes et l ve appliqu Kant n a pas cess de siroter un verre la main le discours entier du Genevois Un peu d alcool c est l pense t il le meilleur moyen de promouvoir et d entretenir la convivialit et l ambiance des banquets Moins de syssities plus de f tes Relisant ses fiches il conclut la pertinence de certaines analyses de Rousseau On retrouvera dans les textes p dagogiques anthropologiques ou historiques du vieux ma tre de K nigsberg d ouvertes r miniscences l mile et quelques autres livres du Suisse tonnant Kant qu on attendait sobre aust re et hypocondriaque jusqu au malaise c est lui qu on d couvre ivre mort dans les rues de sa ville prussienne K nigsberg est aujourd hui Kaliningrad cit sovi tique Gageons que dans la province russe on a gard l habitude kantienne de tituber certains soirs dans les art res du port la charni re du si cle de la R volution fran aise et de la r volution industrielle il aurait fallu dire quelques mots de Brillat Savarin si ce n est de Grimod de La Reyni re Le premier est plut t dubitatif et interrogateur bien qu table c est qu il pr pare un livre une Physiologie du go t la fois phil
17. mais il faut les servir les contenter an antir tous les freins qui les g nent et leur donner si vous voulez tre juste tous les moyens de se satisfaire sans risque parce qu il n a pas plus d pendu de vous d tre spirituel ou b te d tre bien fait ou d tre bossut Amor fati Rien n est possible contre nature En fait de repas faits de petites filles r ties et d trons glac s Sade se contente d une cuisine bien innocente L alimentation des textes de fiction est fictive celle des lettres est r elle la nourriture fantasm e ne conna t pas d interdits tout comme le r ve ignore les limites Le d voreur d enfants aime par dessus tout les volailles les hachis les compotes la guimauve les sucreries les pices les g teries sucr es et lact es les confitures les meringues et les g teaux au chocolat Une d nette de petite fille mod le La viande de boucherie ne l attire gu re et il go te assez le raffinement du champagne et des truffes Une lettre sa femme livre ainsi les secrets de la gastronomie sadienne Un potage au bouillon de vingt quatre petits moineaux fait au riz et au safran Une tourte dont les boulettes sont de viande de pigeon hach e et garnie de culs d artichauts Une cr me la vanille Des truffes la proven ale Une dinde garnie de truffes Des ufs au jus Un hachis de blanc de perdrix farci de truffes et vin cuit Vin de Champagne Une compote l ambre Sade est plus
18. nag res ont produit une Allemagne paisse sans subtilit encombr e Nietzsche critique la sottise dans la cuisine attaque la femme en tant que cuisini re et stigmatise l effroyable inintelligence avec laquelle elle s acquitte de cette t che nourrir la famille et le ma tre de maison Ainsi c est par les mauvaises cuisini res par l absence totale de raison dans la cuisine que l volution de l tre humain a t le plus longtemps retard e le plus gravement compromise il n en va gu re mieux de nos jours Depuis longtemps r gne l id e stupide qu on peut produire moindres frais un homme selon des d sirs pr tablis eug nisme sommaire ou gestion myst rieuse des corps Nietzsche donne dans ce lieu commun et pense qu une alimentation ad quate est susceptible de produire une race pr cise avec des qualit s distinctes La nourriture comme moyen de s lection Un dosage harmonieux produirait une vitalit ma tris e car les esp ces qui re oivent une nourriture surabondante tendent bient t tr s fortement la diff renciation du type et sont riches en ph nom nes et en cas monstrueux Platon avait donn dans une mythologie aussi sommaire de la di t tique comme instrument de l eug nisme Nietzsche fort heureusement ne poursuit pas dans ce sens L hypoth se reste semble t il unique dans l uvre et sans d veloppement ult rieur Son absence de souci majeur pour les solut
19. saucisson de jambons puis miel rhubarbe en morceaux et g teaux de Savoie Sa derni re ann e de lucidit 1888 il a banni le vin la bi re les spiritueux et le caf Il ne boit que de l eau et confesse une extr me r gularit dans son mode de vie et d alimentation Mais il donne toujours dans l association bifteck omelette jambon jaunes d ufs crus et pain Cet t l il prend commande de six kilos de jambon saumon pour quatre mois Lors de la r ception des colis de sa m re Nietzsche accroche les saucisses d licates au toucher sur une ficelle pendue ses murs il faut imaginer le philosophe r digeant L Ant christ sous un chapelet de saucisses quelques semaines de l effondrement Nietzsche consomme enfin des fruits Turin o il s journe il confie que ce qui l a jusqu pr sent le plus flatt c est que les vieilles marchandes des quatre saisons n ont de cesse qu elles n aient choisi son intention leurs grappes les plus m res Il faut attendre cette poque pour voir appara tre fruits et l gumes dans l alimentation du penseur Jamais il n est question de poisson Nice o la fra cheur des approvisionnements tait assur e il semble ne manifester aucun int r t pour les produits de la mer Quoiqu il s en d fende Nietzsche pratique une di t tique de la lourdeur lourdeur m ridionale certes lourdeur du Sud mais lourdeur tout de m me Si la cuisin
20. son hyperacidit naturelle Ses digestions taient irr guli res La fid lit et le scrupule des biographes sont tels que l on dispose m me de d tails sur la constipation kantienne Les freudiens se r jouiraient du sphincter et de son r le dans l laboration de l thique kantienne En fait Kant d taillera sa nature plusieurs reprises dans son uvre L un de ses biographes pr cise que jamais peut tre aucun homme n a port autant d attention son corps et tout ce qui le concernait que le philosophe de K nigsberg Dans Le Conflit des facult s au chapitre consacr l hypocondrie il confesse Pour moi j ai cause de ma poitrine plate et troite qui laisse peu de place au mouvement du c ur et du poumon une disposition naturelle l hypocondrie qui allait m me jadis jusqu un d go t de vivre Il poursuit L oppression m est rest e car la cause en est dans ma constitution corporelle Mais je me suis rendu ma tre de son influence sur mes pens es et mes actions d tournant mon attention de ce sentiment comme s il ne me regardait pas du tout Le travail de Kant s est particuli rement port sur ce qu il appelle une di t tique d finie comme art de pr venir les maladies et oppos e la th rapeutique art de les gu rir Un chapitre de l uvre est intitul Du pouvoir qu a l me humaine d tre gr ce une simple r solution ferme ma tresse de ses sentiment
21. tre dialecticienne elle s cria au m pris de toute logique l mentaire que le beurre et la margarine c tait la m me chose C tait trop peu de rh torique Puisqu elle excellait plus dans l oligo l ment que dans la dialectique je lui dis du fond de mon lit que je pr f rais le beurre puisque c tait la m me chose Las L affaire tournait au vinaigre Elle d clara m abandonner l ob sit je venais de perdre sept kilos au cholest rol la mort prochaine Elle remballa ses fausses recettes de fausses sauces pour de faux plats et me laissa mariner en secteur post r animation Quelque temps apr s la di t tique des centres hospitaliers et de r adaptation je retournais la vie normale donc aux cuisines normales Pour pr parer ma di t ticienne retorse un plat ma fa on il me vint l esprit qu un ensemble de recettes pour un gai savoir alimentaire ne serait pas de trop Il fallait au gendarme une le on d h donisme C est pourquoi ces pages existent Elles ne lui sont pas d di es I Le banquet des omnivores PETOMANE onaniste et cannibale Diog ne a convi son banquet les commensaux les plus embl matiques Rousseau le parano aque herbivore le chantre du go t pl b ien Kant l hypocondriaque aust re soucieux de r concilier l thylisme et l thique Nietzsche le germanophobe qui instaure la cuisine pi montaise comme purification de l alimentation prussienne Fourier le
22. uf par le verbe et la confrontation des r sultats le t moignage par le fait alimentaire est une preuve suffisante de la pertinence gastrosophique d un mets Sinon Fourier conc de au nom de la libert qui r gne en Harmonie qu il peut bien exister sans dommage des h r sies locales o seront pratiqu es des associations atypiques limit es g ographiquement en parfaite coexistence avec les v rit s gastronomiques De l cum nisme alimentaire La pratique lib rale des conciles n exclut pas le recours aux guerres aux batailles Th oricien et strat ge Fourier sait que la gastronomie est la politique poursuivie par d autres moyens La pol mologie fouri riste est r duite l aliment Le combat vise la d termination des jolis go ts Le philosophe est sp cialement obs d par les mirlitons les petits p t s les vol au vent et les courges Il d teste particuli rement ces derni res et le pain mal cuit dont les p tes sont gorg es d eau Si les Parisiens n taient pas vandales en gastronomie crit il dans Le Nouveau Monde industriel et soci taire on aurait vu la grande majorit d entre eux s lever contre cette impertinence mercantile et exiger une cuisson suffisante mais on leur fait croire que c est le bon genre le genre anglais qui vient de l anglais Poursuivant dans l anglophobie il critique la mode qui veut que l on mange de la viande demi crue avec des fourchettes courb es
23. a bien voulu dire II semble que biographies plus vraies de l auteur du Discours de la m thode seraient biographies plus remplies de femmes de vins et de duels Silencieux aussi Spinoza dont la vie ressemble l uvre comme c est si souvent le cas architecture r guli re machine sans surprise l apollinisme en forme Il a v cu raconte Colerus un jour entier d une soupe au lait accommod e avec du beurre et d un pot de bi re un autre jour il na mang que du gruau appr t avec des raisins et du beurre Quelques heures avant de mourir le sage hollandais a mang du bouillon d un vieux coq pr par par les gens du logis Le go t de Baruch semble bien s v re de la sobri t de Ethique de la rigueur des d monstrations on ne peut inf rer l alimentation d un Gargantua nouveau Entre deux plats para t Hegel et son vin de Bordeaux Il tient la main la lettre qu il Va poster aux fr res Ramann et qui dit J ai l honneur de solliciter encore de votre bienveillance la livraison d un quartaut de vin cette fois du M doc vous devez avoir re u l argent pour le tonnelet mais je vous prie de m en envoyer un qui soit bien conditionn le pr c dent tait pourri sa partie sup rieure de sorte qu une partie du vin s tait coul e Dommage que de cette belle m canique artificielle qu est l uvre de Hegel il faille d plorer l absence de l essentiel les larmes le rire le vin
24. ainsi la terre par copulation avec elle m me par fusion de ses ar mes typiques le masculin vers de p le nord et le f minin vers de p le sud engendrera le cerisier fruit sous pivotal des fruits rouges Suivent les modalit s de naissance des cassis groseilles m res framboises et raisins o l on trouve gratifi d un point d interrogation le cacao Ensuite l utopiste po tise les aliments en fait l histoire combine sa mythologie personnelle l occultisme une trange rationalit une m canique c leste attractive Chaque fruit fait l objet d une histoire naturelle et symbolique futuriste et rh torique Sur cette question d une po tique fouri riste Roland Barthes a crit des phrases d finitives Replac e dans l histoire du signe la construction fouri riste pose les droits d une s mantique baroque c est dire ouverte la prolif ration du signifiant infinie et cependant structur e La m re est ainsi explicit e comme embl me de la morale pure et simple via un discours lyrique sur la ronce la noirceur l alchimie des couleurs la logique des teintes le dionysisme des pousses D teinte dans la framboise la baie devient symbole de fausse morale rejet des pines divis e en capsules elle est le lieu favori des vers Suivent cerises fraises Dans ce bruit des sph res o il convient de laisser Charles Fourier inachev en compagnie d un Pythagore toujours r ticent a
25. au contraire de salade sans pain ou de je ner un ou deux joursf Beauvoir confirme qu il mangeait n importe quoi n importe quand n importe comment Le m pris de son propre corps s accompagne comme il est bien naturel d un m pris du corps en g n ral Lorsqu il analyse cette r alit essentielle dans L tre et le Ibid Alice Schwarzer Simone de Beauvoir aujourd hui Six entretiens Mercure de France 1984 p 113 Simone de Beauvoir La Force de l ge Gallimard 1960 p 134 Annie Cohen Solal Sartre 1905 1980 Gallimard p 199 Ibid J P Sartre Carnets op cit p 155 7 A Cohen Solal op cit p 246 N ant il ne cesse d en appeler des exemples loquents une jambe malade des yeux diss qu s par les m decins un corps d truit par une bombe un bras cass un cadavre une gastralgie des maux de t te d estomac de doigts d yeux Le corps sartrien est avant tout un corps malade mutil massacr m connaissable Point de corps go tant ou jouissant de chair joyeuse ou de frissons de plaisir mais une viande malade corrompue ou d liquescente Soucieux de d tails Sartre d veloppe ses conceptions de la naus e du vomissement et pour ce faire il en appelle la viande pourrie au sang frais aux excr ments De m me il disserte sur l ulc re de l estomac per u comme un rongeur une l g re pourriture interne je peux poursuit il le concevoir par analogie
26. avec les abc s les boutons de fi vre le pus les chancres etc Les modalit s de l tre pour autrui via le corps comme m diation ne sont ni le sourire ni le regard s ducteur mais la transpiration et les odeurs de sueur Les m taphores du corps sont fil es gr ce aux arachnides le visage de l autre est g n rateur de naus e sa propre face lui permet m me un trait sur le d go t de sa chair trop blanche Outil manier les outils le corps n est qu une machine sans d sir et sans volont de jouissance Le m pris de soi l usage de soi comme d une chose prennent chez Sartre le double visage de l alcool et du tabac variations sur le th me de l horreur de soi Annie Cohen Solal fait le bilan d une journ e d absorption sartrienne Deux paquets de cigarettes des Boyard papier ma s et de nombreuses pipes bourr es de tabac brun plus d un litre d alcool vin bi re alcool blanc whiskies etc deux cents milligrammes d amph tamines quinze grammes d aspirine plusieurs grammes de barbituriques sans compter les caf s th s et autres graisses de son alimentation quotidienne La Critique de la raison dialectique apr s L tre et le N ant est ce prix parfois plus d un tube de Corydrane des anabolisants par jour L alcoolisme de Sartre ne fait aucun doute Ses ivresses ponctuent les M moires de Simone de Beauvoir La plus c l bre est moscovite Elle lui vaudra dix jours d
27. chaque invit et cela suffisait en g n ral mais il buvait aussi du vin blanc lorsque le rouge lui faisait un effet trop astringent Le repas termin il aimait boire un coup selon l expression du philosophe lui m me Il avalait un demi verre de vin dit stomachique de Hongrie ou du Rhin ou s il nen avait pas de Bischof vin rouge sucr et chauff avec des corces d orange Celles des feuilles de papier qu il n utilisait pas pour ses manuscrits philosophiques servaient de r serve dans laquelle il puisait pour envelopper son verre et garder la chaleur de son contenu Jachmann pr cise Il pensait que le plaisir de boire tait un acte accru quand il avalait en m me temps de l air si bien qu il buvait en ouvrant la bouche toute grande Le rituel fut longtemps celui ci Puis Kant vieillit Sa sant tait d j bien moyenne sa vie durant il souffrit de maux d estomac Il faut dire que sa m dication tait appropri e quelques gouttes am res le matin l avaient dissuad de l efficacit d une pareille pharmacop e vite remplac e par un petit 1 Reinhold Bernhard Jachmann Emmanuel Kant dans des lettres un ami in Mistler op cit p 45 Ibid p 47 3 Wasianski art cit p 74 4 Jachmann art cit p 51 verre de rhum ce qui finit par lui donner des br lures d estomac Ni gouttes ni rhum cinq heures du matin Kant abandonnera de longues ann es son estomac
28. chez les d couvreurs de mondes nouveaux Marinetti n chappe pas la r gle La nouveaut d une forme alimentaire n cessite la nouveaut du langage qui la signifie Ainsi du porexcit qui baptise un saucisson cru pluch servi directement dans un plat contenant du caf tr s chaud m lang une grande quantit d eau de Cologne De m me l a roplat caract rise un art sensitif combinatoire o l on sert Id Manifestes id ologie pol mique op cit p 48 2 Id Recettes futuristes pour restaurants et oulonboit op cit p 139 la droite du convive une assiette contenant des olives noires des c urs de fenouil et des kumquats et sa gauche un rectangle form de papier de verre de soie rose et de velours noir Les aliments devront tre port s directement la bouche de la main droite tandis que la gauche effleurera l g rement et plusieurs reprises le rectangle tactile En m me temps les serveurs vaporiseront sur les nuques des convives un coparfum d illet tandis que de la cuisine parviendra un violent cobruit de moteur d a roplane combin une musique de Bach Il y a dans cette formule une concentration des ordres futuristes exacerbation des sens prohibition des couverts usage d auxiliaires parfums musiques rectangles tactiles pour compenser l asth nie sensitive dont la civilisation est responsable culte du bruit moderne du moteur de la vitesse des avio
29. consiste en commandes de saucisses de jambons dont il d plore le salage sans subtilit et en invitation cesser les envois de poires l poque de l Engadine il est soucieux de son ravitaillement et n a de cesse de s assurer qu il pourra bien acheter ses bo tes de corned beef En 1884 ses lettres disent tout le drame de son corps d labr maux d estomac violentes migraines troubles oculaires vomissements il se contente alors d une simple pomme pour d jeuner La lecture du Manuel de physiologie de Foster le convertit une cure de bi res anglaises stout and pale ale Il en oublie ses anath mes contre la boisson pr f r e de ses compatriotes mais c est pour faciliter son sommeil tout du moins c est ce qu il croit L ann e suivante Nice il d jeune de pain de gruau et de lait puis d ne la pension de Gen ve o tout est joliment r ti et sans graisse au contraire de Menton o l on cuisine la wurtembergoise Les laitages apparaissent en 1886 Sils Dans une lettre sa m re il vante les m rites du fromage blanc arros de lait ferment la mani re russe Il pr cise J ai maintenant trouv quelque chose qui semble me faire du bien je mange du fromage de ch vre accompagn de lait Et puis j ai command cinq livres de l gumes secs directement de l usine Laissons donc le jambon pour le moment Oublie galement les plaquettes de soupe Si l est
30. de huit mille ans La Gen se n osa pas m me cet Eden t l ologique dot des qualit s de la perfection pure Dans cette conomie du devenir id al la gastronomie poss de une puissance toute particuli re Le propos fouri riste est d organiser la voracit g n rale de g rer la gourmandise qui est une passion commune tous les ges tous les sexes et toutes les cat gories sociales Elle r gne crit Fourier dans la Th orie de l Unit universelle m me chez le philosophe qui pr che l amour du brouet noir m me chez le pr lat qui d clame en chaire contre les plaisirs de la table Par del l improvisation et linad quat le th oricien de l Harmonie veut envisager ces plaisirs selon les convenances de l tat soci taire et pousse la rationalisation dans ses ultimes effets Au fil des pages on assiste ainsi une trange alchimie qui d montre combien la raison pouss e son paroxysme engendre l irrationnel et son cort ge d effets s duisants cristallis s sous une po tique Rien n est plus roboratif que ce souverain d lire qui fait se c toyer les chiffres les mots les id es et les images aux fins synth tiques d un r gime alimentaire Cette nouvelle sagesse hygi nique vise l l vation de l app tit du peuple au degr suffisant pour consommer l immensit de denr es que fournit le nouvel ordre Elle est art d accro tre la sant et la vigueur Si la Civilisation est caract
31. e le philosophe lamphore fustigea une fois encore la dimension prom th enne l uvre dans le r el Rien de bon ne se trouve par del le naturel expliqua t il Convaincu de l excellence de son propos d capant il reprit place grappilla de sa main la chair humaine qui reposait m me la pierre et passa la parole son suivant deux pas de lui le regard int ress quelque peu neurasth nique Rousseau prit la parole Ce fut d abord pour dire ses points d accord avec son pr d cesseur refus du complexe loge du simple volont de nature Ce fut aussi pour rappeler son opposition de principe aux chairs cuites ou crues Le lait faisant toujours l affaire de ceux qui refusent le monde Pl b ien jusqu la caricature le citoyen de Gen ve vanta les m rites d une vie calqu e sur les mouvements de la nature lev e la dignit mythologique de perfection Fantasmant sur Sparte Rousseau d veloppe une th orie de l aliment qui n est pas sans faire penser au contrat social asc tisme et sobri t absence de fantaisie et de hasard R ve d ordre et de machines simples aux rouages sommaires contre la cruaut les viandes et la civilisation sont promus la douceur le lait et la nature Le r ve contre la r alit II s en faudra de peu que pareil d lire ne devienne r alit 1789 et les sanguinaires promoteurs d un v g tarisme lev au rang de vertu r publicaine inviteront par la violence aux nourritures et aux
32. go t ou du d go t d un tre on peut acc der sa v rit entendue comme projet libre de la personne singuli re partir de la relation individuelle qui unit ces diff rents symboles de l tre Ainsi les go ts ne restent pas des donn es irr ductibles si on sait les interroger ils nous r v lent les projets fondamentaux de la personne Il n est pas poursuit il jusqu aux pr f rences alimentaires qui n aient un sens On s en rendra compte si l on veut bien r fl chir que chaque go t se pr sente non comme un datum absurde qu on devrait excuser mais comme une Valeur vidente Si j aime le go t de lail il me para t irrationnel que d autres puissent ne pas l aimer Manger en effet c est s approprier par destruction c est en m me temps se boucher avec un certain tre Suivent plusieurs lignes o l vocation d un biscuit au chocolat qui r siste c de s effrite se confond avec les conclusions de l analyse Sartre a beaucoup donn avec Les Mots il a entre autres choses confi que la laideur fut son premier mode d tre au monde que celle ci lui est apparue au sortir d une s ance de coiffeur Au regard des autres l enfant s est d abord saisi sous les traits d un batracien complex par sa petitesse son aspect ch tif et malingre un gringalet qui n int ressait personne Refus des groupes et du jeu des autres il souffrait de l exclusion Le reste est allusif Ne peut on v
33. jamais il n y aurait eu de grand uvre nietzsch en cause de la vue d plorable du penseur Peter Gast lira relira corrigera tablira les manuscrits d finitifs envoy s l auteur il accueillera Nietzsche Venise lui viendra en aide chaque fois qu il le faudra De quoi s agit il si ce n est d amiti Il n emp che toute forme de relation privil gi e est vue par lui comme une prison Faut il un autre exemple Le succ s attendu en vain sera g n rateur du ressentiment qui lui fera dire qu il crit pour les g n rations futures le si cle venir De la nourriture on peut faire la m me remarque il refuse la lourdeur germanique et la nourriture aff rente mais c est pour mieux se jeter dans les pratiques incoh rentes o il fantasme la gastronomie pi montaise Pr occup par la danse et le pied l ger il affectionne les viandes en sauce et les p tes puis se confine dans la pratique des charcuteries maternelles Marinetti pousse la cons quence plus loin La th orie futuriste est accompagn e d une pratique Les banquets marinettiens ont authentiquement eu lieu uvres d art kitsch mises en sc ne baroques ils sont de vigoureux plaidoyers pour une volont nergique de mettre en forme le r el partir de l instant pur d barrass des scories pass istes La gastronomie futuriste invite la r volution culinaire m me si ici comme ailleurs loi du genre la r volution se transforme en r action L
34. l illustrant Charles Fourier crit Je ne m arr terai pas ici d crire les m thodes suivies par les conciles dans leurs d bats ni la mani re dont s tablit le d bat entre les pr tendants concurrents qui proposent tel accommodage comme adapt tel temp rament et justifient de l un par des masses de praticiens par exemple pour d terminer quand conviennent les fraises la cr me Il est un moyen fort simple qui est d observer dans chaque Tourbillon du globe quel rang a dans la gamme passionnelle et mat rielle celui qui dig re le mieux ce bizarre m lange il sera temp rament pivotal de la fraise au lait videmment Le concile gastrosophique permet donc la qualification d orthodoxe certains mets Avoir t jug digne de d terminer une association pertinente est un grand honneur pour le gastrosophe Les distinctions sont hi rarchis es les saints rel vent de l une des trois cat gories saints oracles ou th oriciens experts juger des assortiments d un mets que doit consommer chaque temp rament dans toute phase ou conjoncture ou bien saints conditeurs ou praticiens cuisiniers habiles confectionner les mets en stricte conformit aux canons des conciles moins qu il ne s agisse de saints rudits ou critiques mixtes experts consultatifs sur l une et l autre fonction Toutes les orthodoxies supposent des schismes des h r sies Normalement ces dissensions sont tu es dans l
35. le philosophe avait command la veille R B Jachmann crit Kant tait si attentif ses h tes qu il notait avec soin quels taient leurs plats pr f r s et il faisait Ibid p 713 2 Ibid 3 Ibid 4 Ibid p 714 130 Wasianski art cit p 149 pr parer pour eux les m mes Son train de maison tait fait pour six personnes et il mettait en pratique le principe de Chesterton jamais plus de neuf convives le nombre des Muses mais g n ralement trois ou cinq Le repas se prolongeait jusqu quatre ou cinq heures Ag Kant supprimera les promenades digestives qu il faisait en fin d apr s midi sa sortie de table pour pr f rer une ou deux tasses de caf et la seule pipe qu il s accordait dans la journ e Ses commensaux taient toujours les m mes S il accueillit parfois des tudiants l poque les cours universitaires se donnaient au domicile du professeur les habitu s taient un futur ministre d tat le gouverneur de Prusse un g n ral d infanterie un duc un comte un pr sident de chambre un conseiller secret un directeur de banque et un marchand Ma tre de c r monie le philosophe dirigeait les conversations qui vitaient toujours les lieux communs et les commentaires de ses travaux Le repas de midi tait le seul de la journ e Le pr c dent datait de cinq heures le matin et consistait en l absorption toujours seul la pr sence de son second valet apr
36. le temps pass table ni trop long pour cause d encombrement ni trop court pour viter l effort du muscle stomacal et l hyper s cr tion gastrique Sur la question du r gime alimentaire Nietzsche confesse avoir fait les pires exp riences possibles Il poursuit Je m tonne de ne m tre pos cette question que si tard d avoir tir si tard raison de ces exp riences Seule la parfaite futilit de notre culture allemande son id alisme m explique dans une certaine mesure pourquoi sur ce chapitre j tais arri r comme un bienheureux Toute la correspondance avec sa m re t moigne de fait du caract re sauvage de son mode de nutrition et ce pendant toute son existence aucun moment Nietzsche ne semble vouloir se d faire de la charcuterie et des aliments riches en graisses En 1877 son programme alimentaire tait le suivant Midi bouillon Liebig un quart de cuiller th avant le repas Deux sandwiches au jambon et un uf Six huit noix avec du pain Deux pommes Deux morceaux de gingembre Deux biscuits Soir un uf avec du pain Cinq noix Lait sucr avec une biscotte ou trois biscuits En juin 1879 il en est toujours au m me point mais ajoute des figues et multiplie sa consommation de lait vraisemblablement pour att nuer ses douleurs d estomac La viande est presque absente elle co te cher Dans les ann es 1880 une grande partie de la correspondance avec sa m re
37. n buleux d sireux d tre le Clausewitz de la pol mologie nutritive Sartre le penseur du visqueux accommodant les langoustes la mescaline ou Marinetti le gastrosophe exp rimental entremetteur des saveurs les plus inattendues Du nihilisme alimentaire cynique la r volution culinaire futuriste se tracent des trajets multiples ondoyants et divers ils relient des hommes pr occup s osons le n ologisme de Di t t h ique entendue comme sapience gustative Sur la table des invit s du banquet un poulpe cru et de la chair humaine des laitages et des pruneaux sucr s trangement m tamorphos s en choucroute un chapelet de saucisses et un plat de porexcit un saucisson cuit dans du caf aromatis d eau de Cologne des petits p t s des vol au vent et des crustac s ventr s De l eau pour les abst mes et du vin pour les jouisseurs Le m doc de Kant et son lection pour le cabillaud l eau de source et les claires fontaines le lait caill et les fruits frais de Rousseau Les absents sont pr occup s ailleurs par leurs commandes ou leurs aliments f tiches Descartes est trop silencieux lui qui bretteur et libertin jouisseur et malandrin ne d testait pas en sa p riode parisienne les tavernes o l on servait au tonneau les crus des coteaux de Poissy boisson ordinaire de la cour ou le moins subtil breuvage extrait des collines de Montmartre On ne sait de lui que ce que le trop aust re Baillet
38. philosophe la figure de v rit est manifeste c est celle de l agriculteur du laboureur Contre l poque Rousseau propose un mod le r actionnaire parce que inspir du pass la rusticit primitive celle d avant la civilisation qui corrompt tout La vertu r side dans la simplicit le travail manuel la pauvret l ignorance Le beau temps le temps de la vertu de chaque peuple a t celui de son ignorance L agriculture contre la culture L id e fera son chemin Le discours est sommaire le mot d ordre n est pas loin Avec Rousseau la pens e du ressentiment prend corps le progr s des arts est proportionnel la d cadence de la cit Supprimer l inutile r aliser le n cessaire Sparte contre Ath nes Pour compl ter le portrait Rousseau se fait l auteur de la maxime la plus sotte de tous les temps L homme est naturellement bon puis corr lation oblig e la Nature est le principe f cond riche et vrai Faudra t il s tonner de lire chez pareil philosophe une critique en r gle de la 1 uvres compl tes IIl p 27 28 Les r f rences renvoient aux uvres compl tes de la Pl iade dition Bernard Gagnebin et Marcel Raymond Pour les textes ici cit s Vol I Confessions vol Il La Nouvelle H lo se vol III Discours sur les sciences et les arts Discours sur l origine de l in galit parmi les hommes vol IV mile L Essai sur l origine des langues est cit d
39. produire un superflu Le d sir d exc s est fondateur de l in galit La volont d abondance alimentaire est le ferment de d composition introduit dans l histoire La peur du manque nutritif est le principe du n gatif Une conomie de p nurie ne poserait pas ce genre de probl me La logique du manque entra ne une compensation dans la surproduction qu il faut g rer d o la propri t car le stockage La faim est donc bien l argument moteur du r el c est elle qui conduit les animaux au combat l entre d chirement c est elle qui m ne les hommes compliquer une existence originellement parfaite Des fruits sauvages cueillis m me les haies et les foss s aux l gumes produits en nombre et emmagasin s il y a tout le trajet qui conduit de l errance l enracinement La nourriture de l errance est simple saine naturelle sa tendance est la na vet Celle de la s dentarit est compliqu e artificielle malsaine sa d rive est l laboration gratuite Rousseau n aura de cesse d opposer ces deux logiques pour souhaiter un renouveau de la nourriture des origines C est tout le sens de sa critique exacerb e de la gastronomie science du superflu de l inutile et du luxe argument de la d cadence et de la perversion du go t Il ira jusqu crire II n y a que les Fran ais qui ne savent pas manger puisqu il leur faut un art si particulier pour leur rendre les mets mangeables Que signifie donc sav
40. r volution copernicienne est presque toujours r actualisation d un pass culinaire quelconque La nouvelle cuisine fran aise des ann es 70 80 s est bien souvent faite chez les collectionneurs de trait s de cuisine qui cachant leurs sources reprenaient des Ibid P 111 Ibid P 112 pr parations m di vales plus tonnantes que l on voudrait bien croire Le filet de saint pierre aux groseilles ou les soupes de fraises en sont des exemples Si aucune di t tique n est innocente aucune n est profond ment r volutionnaire tout s est d j depuis toujours pr par ing r mang la bouche est le lieu de l Histoire et l Histoire n est que perp tuel recommencement La di t tique comme r v lateur de l Eternel Retour VIII Sartre ou la vengeance du crustac Sartre n aimait pas les crustac s ils le lui ont bien rendu dans La C r monie des adieux Simone de Beauvoir interroge le philosophe sur ses pr f rences et ses d go ts en mati re de nourriture la question des r pugnances les plus marqu es Sartre r pond Les crustac s les hu tres les coquillages Pour argumenter et analyser la nature de son refus il d crit les crustac s comme des insectes dont la conscience probl matique le g ne comme des animaux presque absents de notre univers En mangeant des crustac s je mange des choses d un autre monde Cette chair blanche n est pas faite pour nous on la vole un autre univer
41. rebours et presque impossibles manier De m me il s emporte contre la proscription au d jeuner des aliments nationaux auxquels on pr f re le th une vilenie une drogue dont les Anglais s accommodent forc ment parce qu ils n ont ni bon vin ni bons fruits moins d normes d penses Fourier est m content En Civilisation l adoption de mets se fait par mim tisme sacrifice la mode aux id es du temps L essentiel est oubli l hygi ne le plaisir et l efficacit morale des aliments La ruse pr side l o le jugement devrait d cider clairement Le philosophe persiste dans la critique des pratiques nutritives de l poque Apr s les fus es destin es aux Anglo Saxons il invective les Italiens par le biais de leur vermicelle colle rance dont il d plore la vogue Enfin les Parisiens sont les plus coupables ce sont eux qui laissent se r aliser la d cadence ils adoptent les mets trangers falsifient leurs aliments chauffent leurs viandes par les courses forc es de l animal qui le marchand veut faire sauter une tape Les agriculteurs ne savent plus lever leurs b tes ni produire des l gumes sains La barbarie est telle qu un enfant de cinq ans lev en Harmonie trouverait cinquante fautes choquantes au d ner d un soi disant gastronome de Paris Dans l tat soci taire ce genre de faute est impossible L adoption d un mets se fait par approbation gastronomique ou g
42. s sur la route qui conduit au bonheur La pratique de cette asc se de cette vie philosophique lui fera conclure apr s plusieurs ann es d exp rience J ai mang et bu de ces aliments en y voyant non plus mati re exercice mais mati re plaisir Si la pratique cynique de l alimentation suppose une purification de la fa on de s alimenter elle invite aussi une simplification des rites de la nourriture Ni banquet r gl ni concentration des activit s de la bouche aux salles sp cialis es r serv es cet effet Diog ne s attaque aux pr jug s de l enfermement des actions qui se proposent la satisfaction d un d sir et l acquisition d un plaisir Contre le corps cach et enferm le cynique inaugure une politique du corps montr et exhib L encore la volont d exc s affermira le trait p dagogique Dans cet ordre d id es Diog ne n h sitera pas se masturber sur la place publique et r torquer aux consciences offusqu es Pl t au ciel qu il suffit aussi de se frotter le ventre pour ne plus avoir faim Pas plus il ne r pugnera des accouplements publics en arguant qu une chose aussi simple et naturelle pouvait bien se faire au vu et au su de tout le monde Masturbation copulation pourquoi pas nutrition Sans complexe il sortira la nutrition des endroits confin s pour la situer sur la place publique devant les yeux scandalis s des citoyens mod les accoutum s cacher leurs repa
43. sanguinolente Diog ne La rce crit Il ne trouvera pas si odieux le fait de manger de la chair humaine comme le font des peuples trangers disant qu en saine raison tout est dans tout et partout Il y a de la chair dans le pain et du pain dans les herbes ces corps et tant d autres entrent dans tous les corps par des conduits cach s et s vaporent ensemble Ainsi est assur e la proximit sinon la parent avec les animaux et pas n importe lesquels mais les carnassiers les plus cruels les plus sauvages tels les loups qui si l on en croit Platon proc dent de l all lophagie Quand on a go t des entrailles humaines hach es parmi d autres provenant Marcel D tienne Dionysos mis mort Gallimard p 153 Id Pratiques culinaires et esprit de sacrifice in J P Vernant et M D tienne La Cuisine du sacrifice en pays grec Gallimard p 16 3 Jean Pierre Vernant la table des hommes Mythe de fondation du sacrifice chez H siode op cit p 64 Diog ne La rce op cit p 33 d autres victimes sacr es il est fatal qu on soit mu en loup Rien n est plus nocif qu une p t e humaine En agissant ainsi Diog ne sait ce qu il fait il cesse d tre un homme et fonde son animalit En m me temps il introduit des ferments d apocalypse dans la civilisation qui ne tol re le cannibalisme que sous ses formes rituelles ou lorsqu il est l unique r ponse une situat
44. Aux fins de ces poques de r g n ration de notre race les hommes se verront pourvus d un archibras membre ornemental et perfectionn signe distinctif de l humanit laborieuse uvrant dans l efficace Cet appendice poussera du corps sera sensible comme une trompe d l phant et pourra servir de parachutes Pour qualifier ce nouveau membre Fourier parle d arme puissante d ornement superbe de force gigantesque et de dext rit infinie Les rapports humains ne seront pas pargn s par cette logique de la nouveaut Fi des couples bourgeois des mariages qui n entra nent qu hypocrisie et adult res de la sexualit classique exclusive incompl te align e sur le mode de production conomique L Harmonie fouri riste r organisera les rapports sexuels ou autres Le Nouveau Monde amoureux pr sente tous les projets du philosophe en la mati re p le m le il disserte sur les cocus dont il hi rarchise les soixante seize sortes du pr somptif au chroniqu du ramponn au bardot du judicieux au tr buchet stigmatise la laideur de lamour en Civilisation et invite briser tous les interdits On autorisera par degr s afin de m nager les susceptibilit s la pratique de l inceste ou de l orgie besoin naturel de l homme Un souci tout particulier r int grera tous les exclus de la sexualit dans l ordre sexuel combin bisexualit g rontophilie et p dophilie deviennent
45. J P Sartre L tre et le N ant p 707 S de Beauvoir La C r monie des adieux p 297 J P Sartre La Naus e p 94 de la tomate ou des pois cass s le rugueux et le tendre ne sont aucunement pour nous des donn es irr ductibles ils traduisent symboliquement nos yeux une certaine fa on que l tre a de se donner et nous r agissons par le d go t ou le d sir selon que nous voyons l tre affleurer d une fa on ou d une autre leur surface Le go t est voie d acc s la subjectivit il est l un des faisceaux qui convergent vers la r alit individuelle un fragment qui a la m moire du tout et qui renseigne sur la conception du monde du sujet Chaque tre associe au sal au sucr lamer une charge symbolique qui le d signe comme projet singulier Sartre d crit cette trange alchimie qui s effectue lors de la cristallisation des synesth sies en chaque tre L histoire des correspondances la qu te du mode de leur formation l laboration d un sens sont du ressort de la psychanalyse existentielle Quel est le coefficient m taphysique du citron de l eau de l huile etc Autant de probl mes que la psychanalyse se doit de r soudre si elle veut comprendre un jour pourquoi Pierre aime les oranges et a horreur de l eau pourquoi il mange volontiers de la tomate et refuse de manger des f ves pourquoi il vomit s il est forc d avaler des hu tres ou des ufs crus partir du
46. La satisfaction des d sirs naturels et n cessaires imp ratif picurien conduit la jubilation na ve au plaisir d tre En fait les hommes sont malheureux parce qu ils recherchent g teaux de miel parfums et autres raffinements du m me genre La frugalit est un autre imp ratif di t tique L eau est le symbole de l asc se cynique La simplicit fonde la v rit alimentaire Une nourriture suffisante m est fournie Platon R publique VIII 565 d 566 a IX 571 d et X 619 c Lucien de Samosate Le Cynique 15 3 Dion Chrysostome Discours VI 13 Diog ne La rce op cit VI 44 affirme t il par les pommes le millet l orge les graines de vesce qui sont les moins ch res des l gumineuses les glands cuits sous la cendre et les fruits du cornouiller nourriture qui permet aux b tes m me les plus normes de subsister Dans une lettre son disciple Monime Diog ne confie les le ons qu il doit son ma tre Antisth ne les coupes auxquelles nous boirons sont celles qui faites d une mince argile ne sont pas dispendieuses Pour boisson prenons de l eau de source pour nourriture du pain et pour assaisonnement du sel ou du cresson C est l ce que pour ma part j ai appris manger et boire quand Antisth ne faisait mon ducation non comme s il s agissait d aliments vils mais bien plut t d aliments meilleurs que les autres et davantage susceptibles d tre trouv
47. administrer dans chaque maladie D o une prise en consid ration des confitures du raisin des pommes reinettes et du bon vin principes de base L excellence de ces fruits est manifeste si l on sait voir en eux des l ments actifs issus des entrailles du cosmos L astrologie di t tique de Fourier est parmi les morceaux les plus tonnants de l uvre compl te Dans la Th orie de l unit universelle un chapitre est consacr la modulation sid rale en fruits de zone temp r e Apr s avoir pr cis que l tat soci taire permettrait la modification des climats donc des productions et de la productivit par le d placement des plan tes Fourier enseigne une th orie de la copulation des astres o il faut faire ici l effort du langage fouri riste en octave majeure clavier hyper majeur les poires sont cr es par Saturne et Prot e les fruits rouges participent en clavier hypo majeur de la Terre et de V nus en octave mineure clavier hyper mineur les abricots et les prunes sont engendr s par la combinaison d Herschel et de Sapho alors que clavier hypo mineur les pommes sont produites par l association Jupiter Mars Des fruits divers d coulent du Soleil et les p ches de l toile vestale dite Mercure Plus pr cis l auteur examine la g n alogie des fruits rouges et argumente de la sorte Les plan tes tant androgynes comme les plantes copulent avec elles m mes et avec les autres plan tes
48. ages des alentours On saurait que j aime la joie et j y serais invit Les si jolies chansons habituellement assen es lors de ces banquets gaieraient la partie Pl b ien dans l me Rousseau crit dans les Confessions Je ne connais pas de meilleure ch re que celle d un repas rustique Avec du laitage des ufs des herbes du fromage du pain bis et du vin passable on est toujours s r de me bien r galer Dans le d tail il pr cise Mes poires ma Giunc mon fromage mes grisses et quelques verres d un gros vin de Montferrat couper par tranches me rendaient le plus heureux des gourmands Di t ticien averti et d sireux de plier l homme son d sir en partie par la m diation de l aliment Rousseau sait qu un type d alimentation produit un type d homme d veloppe cette id e dans la Nouvelle H lo se Je pense crit il qu on pourrait souvent trouver quelque indice du caract re des gens dans le choix des 1 IV p 464 IV p 464 465 Voltaire Correspondance Pl iade Rousseau IV p 687 IV p 688 1 p 72 aliments qu ils pr f rent Les Italiens qui vivent beaucoup d herbages sont eff min s et vous tous autres Anglais grands mangeurs de viande avez dans vos inflexibles vertus quelque chose de dur et qui tient de la barbarie Le Suisse naturellement froid paisible et simple mais violent et emport dans la col re aime la fois l un et l autr
49. ans l dition de la Biblioth que du Graphe 2 Ibid 3 II p 73 111 p 27 et 41 Il p 76 6 III p 80 gastronomie Certes non L uvre enti re est une preuve de l impuissance fondamentale de son auteur un gai savoir quelconque donc alimentaire L apologie des racines est digne du fanatique Spartiate Le rago t devient le plat typique de la d cadence Le go t pour le militaire lac d monien ne fait pas l ombre d un doute chez le penseur la rusticit est la vertu premi re du va t en guerre La th se sommaire qui fera tant tache d huile est que la nature a voulu nous pr server de la science en quelque sorte que la simplicit originelle est l antith se d une science du go t d une gastronomie Rousseau d veloppe une th orie Spartiate Nietzsche dirait plut t socialiste ou chr tienne de l aliment Gastrosophe socialiste Jean Jacques donne dans le populisme tant et si bien qu on croirait lire l argumentation pl b ienne type en mati re de nourriture le luxe des villes et des bourgeois est la raison de la pauvret des campagnes et des paysans Il faut du jus dans nos cuisines voil pourquoi tant de malades manquent de bouillon II faut des liqueurs sur nos tables voil pourquoi le paysan ne boit que de l eau Il faut de la poudre nos perruques voil pourquoi tant de pauvres n ont pas de pain Le luxe est l instrument de la paup risation Voltaire exclu c est une id
50. ans la rue pour soutenir l aliment pers cut Turin eut lieu un congr s de cuisiniers o furent compar s les m rites respectifs de la tagliatelle et du saucisson cuit l eau de Cologne Des revues publi rent des montages photographiques o l on voyait le pape du futurisme ingurgiter force spaghettis alors qu Bologne on d masqua un tudiant habilement d guis en Marinetti occup manger des p tes en public Quelques bagarres pour la cause furent compl t es par des op rettes militantes et autres fariboles didactiques La r volution futuriste se fit autant dans la quantit que dans la qualit Ainsi Marinetti souhaitait galement l abolition du volume et du poids dans la fa on de concevoir et d valuer la nourriture l abolition des m langes traditionnels par l exp rimentation de nouveaux m langes apparemment absurdes l abolition de la m diocrit du quotidien dans les plaisirs du palais Pour ce faire le nouveau gastronome invitait l tat jouer un r le actif dans la distribution gratuite d une pharmacie de substitution o g lules pilules et poudres assureraient l quilibrage nutritif n cessaire La pharmacop e permettrait ainsi l apport en albumine corps gras synth tiques et vitamines L conomie s en trouverait profond ment modifi e diminution du co t de la vie des salaires r ductions cons quentes de la dur e du temps de travail O l on retrouve Marinetti sacrifiant au
51. ant d nu s d imp ratifs Le probl me n est pas si anodin qu on le croit dans l esprit du penseur puisqu il consacrera d autres pages interroger la logique de l intemp rance humaine Dans la tr s s rieuse M taphysique des m urs et dans sa partie Doctrine de la vertu Kant intitule un chapitre De l abrutissement de soi m me par l usage immod r des plaisirs ou de la nourriture Cette fois ci l exc s de boisson est associ l exc s de nourriture et rel ve du d faut de morale du manque de respect des devoirs envers soi m me L intemp rance animale dans la jouissance de la t O P in p 984 Ibid p 987 3 Ibid p 988 Ibid Ibid Ibid 7 Ibid p 989 8 Ibid Kant M taphysique des m urs Doctrine de la vertu O P Il p 712 nourriture est l abus des moyens de jouissance qui entrave ou puise la facult d en faire un usage intellectuel lvrognerie et gloutonnerie sont des vices qui appartiennent cette rubrique En tat d ivresse l homme est traiter seulement comme un animal non comme un homme en se mettant dans un tel tat et en se gorgeant de nourriture il est paralys pour un certain temps l gard d actions qui exigent de l adresse et de la r flexion dans l usage de ses forces L alcool est assimil par Kant la drogue et aux substances qui entravent la sagesse la dignit et la ma trise de soi Toujours magnanime Kant poursuit
52. arn et leur pr f rence des nourritures v g tales telles que le laitage la p tisserie les fruits etc Soucieux de pr server ce penchant au v g tarisme qu il voit naturel chez les enfants Rousseau crit Il importe surtout de ne pas d naturer ce go t primitif et de ne point rendre les enfants carnassiers si ce n est pour leur sant c est pour leur caract re La cruaut est produite par l ingestion de viandes Les grands sc l rats s endurcissent au meurtre en buvant du sang Suit en guise de preuve une citation de Plutarque sur trois pages o les mangeurs de viande sont assimil s ou compar s des d peceurs de cadavres l argument est vieux Pythagore en fut le parangon Toujours confiant en la science Rousseau va chercher des arguments pour le v g tarisme du c t de la physiologie la configuration des dents des intestins et des 1 IV p 452 2 IV p 452 3 II p 453 4 IV p 408 5 Ibid 6 IV p 411 7 Ibid 8 Ibid IV p 411 estomacs humains prouve l ad quation du corps l alimentation non carn e Or Rousseau commet une erreur l mentaire Si l aliment produit le corps et l tre comme l affirme le Genevois plusieurs reprises on peut d duire que c est parce qu il est v g tarien que tel animal dispose de telle physiologie et non l inverse Distinguant les m mes dents et intestins chez les animaux frugivores et chez les hommes Rousseau conclut la
53. au bourgogne que j aime pour ses parfums de terre ou de cuir et aux vins d Alsace ador s pour leurs bouquets rafra chissants et leurs saveurs de fruits jaunes Le jeu des temp ratures des ann es et des mariages avec les plats me s duisit Quelques bonnes et rares bouteilles r serv es aux succ s particuli rement m rit s firent l objet de souvenirs pr cieux Une th se avec mention prit toute sa valeur quand elle fut l occasion d un aloxe corton mill sim et d un repas exceptionnellement soign Avec le temps je suis devenu s dentaire Le nomadisme estudiantin n eut qu un temps Les chambres d universit firent place aux pi ces remplies de livres et de disques Les cassoulets ou choucroutes mang s dans leurs bo tes en fer blanc furent remplac s par des plats cuisin s mon go t invent s par mes soins En dix ann es de vie sage je compte dix ann es de cuisine au jour le jour Je connus avec un ami libraire un trait d union entre les livres et la nourriture Ancien cuisinier esth te et homme d une grande saveur il cachait son pass sous une exquise pudeur Avant d avoir opt pour le m tier des livres il avait t cuisinier Paris Je lui dois des souvenirs de g teaux au chocolat et de vins exceptionnels en m me temps que de gestes d une amiti infinie alors que lyc en j tais sans le sou il m avait plusieurs reprises fait cadeau de quelques livres un Rivarol ou un Maurras dans une belle dition D
54. aurait certes pas d savou cette fa on d user de la nourriture des fins apocalyptiques Nourri d une fa on nouvelle le peuple italien deviendrait viril il pourrait ainsi imposer ses vis es imp rialistes au monde entier les p tes agissent comme l l ment contre r volutionnaire qui entrave l expansion mondiale pour un nouvel Empire romain Par la m me occasion la gestion tatique des besoins nutritifs lib re le corps de la n cessit alimentaire en m me temps qu elle offre la possibilit d une esth tique culinaire litiste et aristocratique Le ventre plein r pond aux exigences primaires Le ventre esth tique permet une r solution artistique de la n cessit corporelle Le dilemme de la quantit pour le peuple et de la qualit pour les lites ouvre la perspective d une alimentation inf od e au souci nietzsch en de repenser l humanit sous l angle double des ma tres et des esclaves Le mangeur populaire se distingue fondamentalement du mangeur aristocrate le premier se nourrit pour teindre un d sir primaire Pour celui ci le futuriste souhaite cet apaisement de la fa on la plus rentable qui soit avec l aide de l tat Le second mange pour consommer des uvres d art et participer la logique esth tique du courant r volutionnaire Il ing re la beaut Dans les deux cas la fin est identique la production d un beau corps fort quilibr muscl animal et m canique susceptible de r po
55. bre de plats et bouteilles sains que les autres se trouvent contraints d y go ter L autonomie ainsi pr serv e Ars nij Goulyga Emmanuel Kant Une vie Aubier p 64 65 2 Ehrgott Andr Charles Wasianski Emmanuel Kant dans ses derni res ann es in Jean Mistler Kant intime Grasset p 121 3 Louis Ernst Borowski Description de la vie et du caract re d Emmanuel Kant in op cit p 17 Kant Anthropologie d un point de vue pragmatique trad Foucault Vrin p 38 Ibid p 37 Ibid p 39 7 Kant uvres philosophiques O P Pl iade t IIl p 977 8 O P III p 976 Ibid la convivialit s en trouve magnifi e parce que logique solitaire le go t est le sens de la convivance L exercice du go t est solitaire et subjectif Plaisir et d plaisir ne rel vent pas de la facult de conna tre en regard des objets ce sont des d terminations du sujet ils ne peuvent ainsi tre imput s des objets ext rieurs Kant pr f re les sens qui permettent un jugement universalisable condition de possibilit d acc der au Vrai au Juste ou au Beau Le go t n autorise que des jugements de valeur relatifs au go teur ce qui ne peut satisfaire le philosophe pr occup d une science de l universel et peu soucieux de th oriser le particulier dont il ny a pas de science possible Go ter et sentir ne sauraient faire l objet d une th orie critique c est pourquoi une Critique
56. caract ris e par la soupe avant le repas les viandes trop bouillies les l gumes rendus gras et farineux les entremets qui d g n rent en pesants presse papiers Le tout copieusement arros d alcools de bi re Nietzsche r pugne la boisson nationale qu il rend responsable de toutes les lourdeurs de civilisation Il d nonce la lente d g n rescence qu elle provoque dans l esprit Pas d alcool non plus Dans un passage autobiographique Nietzsche confie Assez curieusement alors que je suis si facilement indispos par de petites doses d alcool fortement tendu d eau je deviens presque un matelot lorsqu il s agit de fortes doses Il en fit l exp rience au lyc e La mesure c est un verre de vin ou de bi re par repas Le pain est aussi supprimer il neutralise le go t des autres aliments il l efface c est pourquoi il fait partie de tous les repas Parmi les l gumes les f culents sont bannir Dans le riz consomm de mani re excessive Nietzsche voit trangement une invitation consommer de l opium et des stup fiants Dans le m me ordre d id es il associe les pommes de terre en exc s l usage de l absinthe Dans les deux cas l ingestion produirait des mani res narcotiques de penser et de sentir Les raisons du philosophe sont obscures Aucune tradition orale ou symbolique aucune coutume ne fournit d arguments en ce sens Le v g tarisme n est pas plu
57. ccable les Esquimaux le plus sauvage de tous les peuples Comment s arranger d une sauvagerie donc d une proximit maximale avec la nature qui se caract rise par l omophagie Diog ne est le seul cons quent qui fait l apologie du naturel mais ne commet pas d impair logique il justifie le cannibalisme et la consommation de chair crue qui sont des pratiques alimentaires l origine de notre humanit Dans sa critique de l artifice il ne comprend pas le feu l l ment prom th en par excellence le symbole m me de la civilisation est accept par le philosophe qui voit en lui un moyen de procurer un plaisir la vue l odorat au corps par la chaleur une fa on de r unir les hommes et de faire fuir les animaux Par contre artifice majeur Rousseau fustige la rationalisation de la production agricole qui permet tous les fruits et tous les l gumes en toutes saisons la profusion des serres il oppose le cours naturel des choses chaque saison produit les aliments qui lui conviennent Vouloir s opposer de mani re quasi divine au mouvement naturel d une ann e c est produire l irrationnel et le d faut de qualit des produits Si j avais des cerises quand il g le et des melons ambr s au c ur de l hiver avec quel plaisir les go terais je quand mon palais n a besoin d tre humect ni rafra chi Dans les ardeurs de la canicule le lourd marron me serait il agr able Le pr f rerais je sortant de
58. chance de se r aliser qu apr s les op rations conviviales Les l gumes sont plong s dans des marmites o bouillonnent les abats et les enfants jouent le front marqu d une croix de sang En Azerba djan sur un petit march local encombr de pommes vertes et de poires dures comme de la pierre j ai go t d tranges colliers fabriqu s avec des noisettes ou des cerneaux de noix enfil s sur une mince ficelle et plusieurs fois tremp s dans un m lange pais de sucre et de jus de raisin Cette op ration permet de cristalliser le soleil et constitue une onctueuse pellicule raisin e Au bord du lac Sevan en Arm nie j ai go t l ichkan sorte d omble chevalier qu on ne trouve qu en ces eaux de montagne Comme pour mieux interdire un plaisir rare la cuisine locale pane et frit le poisson dont la saveur est masqu e par l huile chaude Du myst re rien ne percera Il aurait fallu une vapeur respectueuse des parfums qui trouble peine la chair pour en livrer la d licatesse et les arcanes Leningrad aust re cit bard e de bleus acier et de gris plomb s le caviar est sans nom Le gris perl de cette folie pareille ambre fond dans la bouche comme mille mers m lang es Ailleurs Copenhague o j allais sur les traces de Kierkegaard les couleurs de la Baltique saisissent les poissons fum s ou marin s qui abandonnent parcimonieusement les saveurs sous l aigreur des condiments Barcelone j eus l impression en buvant l horc
59. chtonienne Pieuvre aux yeux de feu crustac de vingt tonnes araign e g ante et qui parlait c tait moi m me monstre enfantin c tait mon ennui de vivre ma peur de mourir ma fadeur et ma perversit De m me dans Les S questr s d Altona des crabes apparaissent et fournissent le pr texte un change entre deux personnages dont l un pr voit l av nement des d capodes au premier plan de l humanit Ils auront d autres corps dit il donc d autres id es Mais les crustac s ont le triomphe modeste ils ne s incrusteront pas dans les uvres th oriques du moins comme objets de psychanalyse existentielle Tout juste des seconds r les pour illustrer accompagner la musique Le ph nom nologue exigeant de la chose alimentaire sait que le rapport la nourriture c est le rapport au monde Ses analyses sont pertinentes pour le monde entier mais il conna t un point aveugle en ce qui le concerne La sagesse populaire pour dire ces choses l met en sc ne paille et poutre Dans L tre et le N ant il crit II n est nullement indiff rent d aimer les hu tres ou les palourdes les escargots ou les crevettes pour peu que nous sachions d m ler la signification existentielle de ces nourritures D une fa on g n rale il n y a pas de go t ou d inclination irr ductibles Ils repr sentent tous un certain choix approximatif de l tre C est la psychanalyse existentielle de les compar
60. core retrouvons No lle Chatelet pour l inventaire du p t de couilles du boudin au sang d homme des trons en sorbet etc Perversion crit la lectrice effar e Relisons Klossowski L ly ou Blanchot Ibid p 242 Cf Colette Yver Marguerite Marie messag re du Christ Spes A Hamon S J Sainte Marguerite Marie Beauchesne p 90 Ibid p 20 D A F de Sade Histoire de Juliette O C t VIII p 405 gt No lle Chatelet Le libertin table Colloque de Cerisy Sade crire la crise Belfond p 78 D A F de Sade O C t IV p 198 7 D A F de Sade O C t IV p 198 Sade en dit plus qu il n en fait II faut contrebalancer les informations issues des textes de fiction et celles qu offrent la biographie et la correspondance notamment les lettres son pouse Son souci est libertaire il n invite pas la d bauche car il sait que si elle doit avoir lieu elle aura lieu n cessairement Il n invite pas l anthropophagie mais affirme que si elle est elle ne peut que relever de la nature de la n cessit naturelle Avant Nietzsche Sade affirme sa lecture du r el comme logique soumise au d terminisme Dans Justine ou les Malheurs de la vertu il crit Si donc il existe dans le monde des tres dont les go ts choquent tous les pr jug s admis non seulement il ne faut point s tonner d eux non seulement il ne faut ni les sermonner ni les punir
61. cuses pendant une demi heure et demandera qu on lui pardonne d avoir fait s crouler dans l office un monumental dessert Arrivera la place du fameux difice d truit un ivrogne qui demandera boire On lui proposera crit Marinetti un choix des meilleurs vins italiens en quantit et en qualit mais une condition qu il parle pendant deux heures des solutions possibles au probl me du d sarmement de la r vision des trait s et de la crise financi re Gageons que cette parodie alimentaire grin ante de la d mocratie ne d plaira pas au Mussolini s duit par la modernit extr miste des futuristes Marinetti donnera de nombreuses formules de cet acabit mi chemin de la d rision de l humour et du s rieux d une volont de transmuer les valeurs Ainsi des repas conomiques d amour ou de noces des repas de c libataires d extr mistes rassasi s au parfum apr s deux jours de je ne et autres rituels a ropo tiques tactiles g ographiques ou sacr s En fait Marinetti p che par exc s de z le dans sa volont de situer la di t tique par del la tradition alimentaire Il subtilise du moins le croit il une modernit chevel e un pass isme fixiste Or nombre de ses transgressions ne sont que des r actualisations de pratiques antiques ou m di vales en fait de r volution culinaire il milite pour une r action alimentaire Des trait s de cuisine de la seconde moiti du Grand Si cle t moignent
62. de la ma trise de soi h te d sirant que son invit s en aille pleinement satisfait par cet acte de la vie socialef Dieu sait qu il est plus facile de tol rer les fautes qu on a pu soi m me commettre Te absolvo Persistant dans l analyse de cette divine consolation Kant associe l ivresse l insouciance qu elle provoque L homme ivre ne sent pas d s lors les obstacles de la vie que la nature doit vaincre sans rel che Vertus aff rentes galement la langue d li e l ouverture du c ur l ivresse permet aussi l expansion de la moralit Elle est v hicule mat riel d une qualit morale la franchise Retenir ses pens es est pour un c ur pur un tat oppressant et les joyeux buveurs pour leur part supportent mal qu un homme dans une beuverie se montre tr s temp rant La permission laiss e un homme de transgresser l g rement et un court moment dans l entrain de la r union la ligne fronti re de la sobri t suppose de la bienveillance La griserie lib re un autre homme dans le buveur elle d lie une seconde nature qui n entretient aucun rapport avec le temp rament premier Gageons l enivrement kantien sp cialement all gre l observation sur soi lui aura permis une savante perception celle des autres aura suffi compl ter ses informations L id e d un Kant titubant dans les rues de K nigsberg n est pas sans charme les postulats de la raison pure pratique en paraissent d aut
63. de la pratique des associations sucr sal Ainsi des poissons mari s avec dattes et fruits confits des potages la framboise Qu on songe au d sormais c l bre canard l orange au poulet l ananas De m me Massialot consigne dans ses recettes de 1691 des m langes de viandes et de poissons un canard aux hu tres en fait foi En 1739 Marin combine des truffes des hu tres et du blond de veau Enfin un regard historique enseigne que le m lange des ordres est pratiqu partout dans le monde depuis toujours au Mexique un plat de f te traditionnel est fait de dinde et de chocolat En Espagne on m lange langoustes et poulets dans un rago t de parfums d aromates et de chocolat oignon girofle c leri poivre piments tomates cacahu tes ail sel et cacao Aujourd hui chacun pratique le gibier associ aux fruits et aux confitures de baies rouges chevreuil aux pommes et la gel e de groseille En Normandie sur les c tes de la Manche la marmite dieppoise est un vaste pot au feu de poule et de poissons de la mer proche terre et eau confondues La transgression futuriste qui convie les illets dans les pr parations de veau trouve son cho dans les recettes v g tariennes o l on invite pr parer des salades de p querettes aux ufs durs de m me que l on cuisine les fleurs d aubergine de capucine de rose d acacia de violette et de lavande Ce qui se propose un jour comme d lire et nouveaut volont de
64. de la raison gastronomique ne peut pas avoir t envisag e par Kant lui m me contrairement ce qu affirme son biographe sovi tique Ars nij Goulyga La seule critique possible pense le philosophe en mati re de go t est celle qui concerne les sensations sup rieures toucher ou e et vue D o l analyse des jugements de go t dans la troisi me critique et ses objets de pr dilection Pr cisons toutefois les d fauts de Kant en mati re d art ses r f rences picturales sont maigres sa connaissance de la peinture limit e ses recours la litt rature quasi inexistants et son rapport la musique est rien de moins que celui d un sourd amateur de fanfares Wasianski affirmait qu une bruyante musique guerri re avait ses pr f rences sur toute autre Un concert en l honneur de Mo se Mendelssohn l avait d go t des convivialit s musicales et il clamait que la musique ne valait pas le temps qu on devait lui consacrer si l on y sacrifiait La pratique d un instrument s effectuait au d triment de choses plus importantes Ultime d faut aux yeux du philosophe la musique est condamn e n exprimer que des sentiments jamais d id es D o son d finitif manque d int r t M fions nous des philosophes sourds Pas de th orie critique du go t alimentaire possible donc Objet trop impr cis pour une science ondoyante On aurait pu r torquer Kant que l impr cision tait aussi le lot des autres logiques d
65. des Critique dr raison di t tique Michel pn PEMET j wW M J Onfray Le ventre des philosophes de Michel Onfray Critique de la raison di t tique Toute cuisine r v le un corps en m me temps qu un style sinon un monde lorsque enfant il m a fallu comprendre ce qu taient la pauvret et les fins de mois de mes parents ce sont les ufs ou les pommes de terre qui me l ont signifi Ou le manque de viande la table d un p re ouvrier agricole le poisson tait un luxe il manquait d propos et ses vertus d empl tre taient nulles Le provincial ne dispose que du fruste et du sommaire les aliments pr cieux rares ou d licats s absentent sans cruaut Les f culents r gnent en ma tres Sur la table le cidre dur amer et presque imbuvable ne fait jamais d faut Odeur de vinaigre la cave il croupit dans des tonneaux qui contaminent tout d un tenace go t de ch ne ou de ch taignier Les gouttes qui tombent presque en filet sur le sol de terre battue parfument les caves sombres et humides Parfois lorsque le cidre bouch tait trop puissant il d bordait la bouteille et faisait sauter les bouchons de li ge dans la p nombre De fortes odeurs impr gnaient la terre qui conservait la m moire du liquide Les pommes faisaient crouler les branches des arbres De temps en temps elles ployaient tant qu elles se brisaient et chutaient dans une herbe grasse verte et tendre On les retrouvait couver
66. des pratiques institutionnelles En fait le principe fouri riste est d autant plus simple que les d monstrations se compliquent il faut lib rer les d sirs laisser libre cours aux pulsions autoriser l imaginaire r genter le r el en un mot prendre ses d sirs pour la r alit Il crit tudions donc les moyens de d velopper et de ne pas r primer les passions Trois mille ans ont t sottement perdus des essais de th orie r pressive il est temps de faire volte face en politique sociale et de reconna tre que le cr ateur des passions en savait sur cette mati re plus que Platon et Caton que Dieu fit bien tout ce qu il fit que s il avait cru nos passions nuisibles et non susceptibles d quilibre g n ral il ne les aurait pas cr es et que la raison humaine au lieu de critiquer ces puissances invincibles qu on nomme passions aurait fait plus sagement d en tudier les lois dans la synth se de l attraction Fourier emprunte cette notion d attraction la physique de Newton elle lui para t expliquer le r el en tant qu impulsion divine laquelle les hommes sont soumis L Ordre nouveau voulu par Fourier est l Harmonie ou Ordre soci taire Ordre combin qu il oppose la Civilisation Entre la Civilisation et l Harmonie le monde social passera par le Garantisme et le Socialisme Ces S ries compos es ou ascendantes dureront trente cinq mille ans et d boucheront sur une p riode pivotale
67. e aliment et boit du laitage et du vin Le Fran ais souple et changeant vit de tous les mets et se plie tous les caract res On retrouve cette id e l homme est ce qu il mange dans les Confessions o Rousseau voit dans la diversit des nutritions la cause de la diversit des peuples Dans sa volont de g rer le r el le philosophe a pens laborer un r gime ext rieur qui vari selon les circonstances pouvait mettre ou maintenir l me dans l tat le plus favorable la vertu Parmi les domaines promus efficaces dans le projet les climats les saisons les sons les couleurs les bruits les l ments l obscurit la lumi re le bruit le silence le mouvement le repos et bien s r les aliments ce que Nietzsche appellera la casuistique de l go sme car tout agit sur notre machine et sur notre me par cons quent Voil donc souhait e une p dagogie de l aliment L mile est le lieu th orique o s labore cette technique de la nutrition comme invitation un social nouveau sain d barrass des scories d une civilisation d cadente Soucieux de th oriser une p dagogie que sa d cision de mettre ses cinq enfants l assistance publique ne lui aura pas permis de pratiquer Rousseau commence par vanter les m rites de l allaitement de la m re ou d une quelconque autre femme pourvu qu elle soit saine Le lait est l aliment par excellence Faut il rappeler sa symbolique Certes
68. e fixe du si cle des Lumi res Le principe arch typal du Discours sur les sciences et les arts est que tout est source de mal au del du n cessaire physique Cet adage vaut pour l alimentation et le reste Nietzsche jubilerait il y a l l une des maximes du renoncement jud o chr tien relay par le socialisme naissant Manger est un imp ratif de survie non de jouissance L ex g se des lieux communs aura bient t s occuper du Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger Gare au p ch de gourmandise La civilisation a touff le naturel en nous d couvrir la simplicit savoir en quoi consiste une vie naturelle une alimentation saine ne sont pas choses videntes Dans l hypoth se de l tat de nature l homme s alimente de fa on correcte parce qu il fait confiance son intuition et que celle ci ne saurait tre trompeuse l poque mythique les productions de la terre lui fournissaient tous les secours n cessaires l instinct le porta en faire usage Son premier soin tait de se conserver L volution se r alise toutefois Rousseau isole des changements dans la conformation humaine des modifications de comportements des usages nouveaux des membres ou des aliments Bien que prolifique et g n reuse la Nature se fit difficile et inaccessible pour quelles raisons d ailleurs La hauteur des arbres qui l emp chait d atteindre leurs fruits la concurrence des animaux
69. e du vent Pourquoi les laisser s opposer encore avec leur lourde masse l immense r seau d ondes courtes et longues dont le g nie italien couvert oc ans et continents aux paysages de couleurs de formes de bruits que la radiot l vision fait naviguer autour du globe Les d fenseurs des p tes les t 1 F T Marinetti et Fillia La Cuisine futuriste traduit et pr sent par Nathalie Heinich Ed M tailli 1982 Les pages de ce chapitre sur la cuisine futuriste sont essentiellement r dig es partir de ce remarquable travail de N Heinich Voir galement Giovanni Lista Marinetti Seghers et F T Marinetti Le Futurisme pr face de G lista L Age d homme Pontus Hulten Futurisme et futurismes Le Chemin vert Marinetti Manifeste de la cuisine futuriste op cit p 43 Ibid p 44 tra nent dans l estomac comme des boulets ou des ruines tels des for ats ou des arch ologues Souvenez vous enfin que l abolition des p tes lib rera l Italie du bl tranger si co teux et favorisera l industrie italienne du riz Ainsi Marinetti associe la vertu esth tique et le souci conomique la fin des p tes c est en m me temps que la fin de la soumission du corps la lourdeur la fin de la soumission du pays aux march s trangers c est en m me temps la possibilit de r aliser l autonomie marchande d une nation de permettre l coulement de la production nationale de riz de lib rer la chair de
70. e m me me fit il pr sent de trucs pour ne jamais manquer telle sauce ou r ussir telle op ration d licate au fourneau J tais devenu professeur de philosophie La maladie l a vite emport trop vite Il est rest pour moi l intime m lange d une sagesse un peu bourrue et d une stup fiante facult de go ter Ses bons vins et ses bons plats taient toujours servis pr s de bons livres ou de belles gravures Durer ou Rembrandt toujours accompagn s de bons mots Il tait le parfait amphitryon de Grimod de La Reyni re Son absence m est douloureuse Souvent devant mes casseroles je pense son sourire et ses conseils ses sauces et son chocolat Je continue de cuisiner mais ses secrets et petits trucs me manquent depuis longtemps Quand les premi res violettes fleurissent je ne manque pas d aller sur sa tombe Quelques voyages l tranger ont t pour moi l occasion de go ter des g ographies d avaler des terres et des ciels d appr cier des fumets et des saveurs marqu s au coin des r gions et des coutumes Dans les montagnes du Caucase en G orgie sovi tique des sacrifices animaux dignes d Hom re et des b chers grecs m ont mis en pr sence d tranges cuisines o pigeons et moutons coqs et poules nageaient dans d immenses r cipients remplis d eau que des bulles venaient troubler en surface La viande sanguinolente est partag e avec les passants en m me temps qu elle accompagne un v u pieux qui n a de
71. e machine d sirante Comment galement oublier que plus proches de nous les r flexions de Deleuze et de Guattari portent leur expression presque d finitive les id es de La Mettrie ou plut t d un La Mettrie qui aurait connu Freud Gageons qu au banquet des philosophes dont nous avons rep r la participation il y ait eu Brillat Savarin et Grimod de La Reyni re en convives mais aussi La Mettrie Sade Marguerite Marie Gassendi Saint vremond ou La Mothe Le Vayer Sans doute y avait il aussi Gaston Bachelard et Michel Serres La rencontre de Sade et de Marguerite Marie se fit d une fa on singuli re Un hasard ironique les avait plac s face face comme deux expressions symboliques de deux tendances antagonistes Etrange Et l on retrouve dans les parages de la sainte et du libertin les logiques fantasques et d routantes des gnostiques les fanatiques du d sert se refusent la chair le corps Dans un coin de la f te ils pr f rent prier Stylites gyrovagues ou paissants ce sont les voies d acc s au christianisme qui condamne la peau le sang la viande et la lymphe Trop vulgaire Le cycle ingestion digestion alimentation d f cation est pour eux le signe le plus manifeste de l asservissement au contingent Leur mod le tait J sus dont Valentin crivait qu il mangeait et buvait mais ne d f quait pas La puissance de sa continence tait telle que les aliments ne se corrompaient pas en lui puisqu il n
72. e tudesque est sans conteste parmi les plus paisses et indigestes la cuisine pi montaise qu il lui oppose n est gu re plus prise de l g ret hormis la truffe blanche sa sp cialit le Pi mont produit surtout des rago ts des p tes rien de tr s a rien Il n y a aucune inflexion nette dans la biographie nietzsch enne en mati re de di t tique pertinente Il crit En fait jusque dans ma maturit avanc e j ai toujours mang mal ou pour lexprimer moralement de mani re impersonnelle d sint ress e altruiste pour le plus grand profit des cuisiniers et autres fr res en Christ En fait son estomac d traqu sa physiologie d plorable son corps d labr sa pauvret son existence d errant condamn aux pensions de famille plus connues pour leurs nourritures rentables que pour leur souci gastronomique tout allait contre une di t tique soucieuse d efficacit L o l on attendait poissons cuissons l eau ou la vapeur sa m re lui avait achet et fait parvenir le mat riel n cessaire 1 Ibid lettre sa m re 3 ao t 1887 Ibid lettre sa m re 20 mars 1888 Id Ecce Homo p 65 Ibid p 37 Nietzsche consomme saucisses jambon langue gibier chevreuil S il fallait tre nietzsch en on devrait se souvenir qu il crit dans les Consid rations inactuelles J estime un philosophe dans la mesure o il est capable de fournir un exemple2 pa
73. eau claire et limpide que d h moglobine provocante L approvisionnement de Diog ne en mati re de nourriture est simple la nature fournit assez de produits pour qu on puisse se contenter de cueillette II nie de la sorte l volution qui conduit de l improvisation la planification de l errance l installation du nomadisme des p tres la s dentarit des leveurs Diog ne est plac en de de la civilisation avant l lection de l habitat qui interdit la marche la libert du p r grin Cueillir c est se condamner l imagination se soumettre au hasard et refuser la s curit Puiss je dit le cynique choisir comme nourriture celle que je puis me procurer le plus facilement Il faut limiter ses besoins ceux de la nature Dion Chrysostome rapporte que Diog ne se moquait des gens qui quand ils ont soif passent c t des sources sans s arr ter et cherchent par tous les moyens o ils pourront achever du vin de Chio ou de Lesbos Ils sont disait il beaucoup plus insens s que les b tes des p turages Celles ci en effet quand elles ont soif ne passent jamais sans s arr ter c t d une source ou d un ruisseau l eau pure et quand elles ont faim elles ne d daignent pas les feuilles tr s tendres ni l herbe qui suffit les nourrir Ainsi pratique t on une vie saine libre condition de long vit La vie heureuse sur terre est possible par l conomie de l inutile et du luxe
74. effet que l omophagie crit Marcel D tienne sinon une mani re de refuser la condition humaine d finie par le sacrifice prom th en et impos e par les r gles du savoir vivre qui prescrivent l usage de la broche et du chaudron Il s agit pour les omophages de se conduire comme des b tes afin d chapper la condition politico religieuse par le bas du c t de la bestialit Diog ne ira jusqu aux transgressions les plus sacril ges l o les autres consomment cuit il veut le sang la viande gorg e J P Vernant voit dans ce souci un parti pris pour la d construction du mod le anthropologique dominant Refuser la chair cuite c est surtout refuser le feu que n cessite la cuisson de la viande c est en m me temps s opposer la civilisation que suppose le feu Le mod le cynique c est la b te l animal plusieurs reprises les anecdotes rapport es sur Diog ne t moignent de cette volont de prendre des le ons chez les animaux le chien c est une vidence mais aussi le cheval le lion la souris le poisson les oiseaux ou les b tes de p turage Si l on en croit les anecdotes transmises par Th ophraste Diog ne aurait pris la d cision de l asc se du renoncement aux jouissances faciles de la civilisation apr s avoir vu courir en tous sens une souris transform e ses yeux en mod le de sagesse Dans ce projet de mim tisme Diog ne ne se contentera pas de chair
75. emps gastronomique Les repas ne doivent pas d passer deux heures Dans une journ e on en d nombre cinq l antienne le d jeuner le d ner le go ter le souper Chaque p riode interm diaire est fractionn e en trois par deux s ances un interm de et un go ter qui n exc dent pas cinq minutes chacun Une heure et demie s pare ces deux temps Toutes les stations sont honor es avec app tit La volont fouri riste est la maintenance du d sir dans son ternel retour la gestion des jouissances doit se faire avec ce principe moteur Pour illustrer cette di t tique de la mesure du dosage cette hom opathie savante Fourier prend un exemple Que penserions nous crit il dans Le Nouveau Monde amoureux d un tendre poux d un ami de la charte qui nous dirait J ai tant joui de ma femme cette nuit que je suis sur les dents et je serai oblig de me reposer une huitaine au moins Chacun lui r pondrait qu il e t mieux fait de se m nager et se r server l usage du plaisir pour les huit jours pendant lesquels il va ch mer La sagesse passe par l usage rationnel Dosage des mets dosage des commensaux galement Fourier pense qu un repas r ussi est l occasion d une alt rit jubilatoire de rencontres plaisant s Il consacre quelques lignes l amalgame judicieux des convives l art de marier et assortir les compagnies de les rendre chaque jour plus int ressantes par des rencontres impr vues et d licieuses
76. er et de les classer Dis moi ce que tu manges Sartre avouait ne pas aimer grand chose Outre une franche r pulsion pour les fruits de mer il confessait un d go t prononc pour les tomates se refusant leur chair acide De mani re g n rale il naime pas ce qu il appelle les v g taux bien qu il les sente porteurs d un moindre degr de conscience que les coquillages Jamais il ne mangeait de fruits sous leurs formes naturelles ils taient coupables d tre des produits de hasard et des objets par trop ext rieurs l humain Le philosophe avouait sa pr f rence pour les fruits int gr s dans une pr paration humaine ainsi des p tisseries Seule une m diation humaine technique ou culturelle lui permettait d acc der aux aliments Anti Diog ne par excellence il ex cre le naturel et n a de go t que pour les produits manufactur s l artifice Il faut que la nourriture soit donn e par un travail fait par les hommes Le pain est comme a J ai toujours pens pr cise Sartre que le pain tait un rapport avec les hommes La viande fut un mets d lection mais ne l est pas rest e pour les raisons ch res aux v g tariens manger de la chair c est ingurgiter du cadavre la question de Beauvoir Alors qu est ce que vous aimez Sartre r pond Certaines choses parmi les viandes et les l gumes les ufs J ai beaucoup aim la charcuterie mais je l aime un peu moins maintenant I me semblai
77. es Les excitants l alcool le tabac ne suffisaient pas Sartre dans la panoplie de la mutilation douce de soi Pour dire l usage distanci que Sartre faisait de son corps l exp rience de la mescaline n est pas sans int r t La raison avanc e par Sartre est philosophique il souhaitait mesurer sur lui les effets produits par un hallucinog ne sur la formation des images chez un individu Il en fit la demande au Dr Lagache de l h pital Sainte Anne Une injection dos e pour produire entre quatre et douze heures d effets fut faite sous contr le m dical Il en expliqua les effets dans L Imaginaire Beauvoir d crit les hallucinations telles que Sartre les lui a rapport es Sur ses c t s par derri re lui grouillaient des crabes des poulpes des choses grima antes Revanche des crustac s Sartre se croit poursuivi par des langoustes Alors que Beauvoir s inqui tait par t l phone du d roulement de l exp rience Sartre lui r pondit d une voix brouill e que son appel l arrachait un combat contre des pieuvres o certainement il n aurait pas le dessus Triomphe de la mar e Plus tard dans la rue alors que la mescaline n est pas dou e d effets retard Sartre se trouva vraiment convaincu qu une langouste trottinait derri re luit Beauvoir pense qu il ne peut s agir de r manences de l hallucinog ne et que le philosophe souffrait alors de troubles nerveux du comportement sans rapport avec l exp rie
78. es et sentences des philosophies illustres VI 54 7 Montaigne Essais III 13 e Diog ne La rce op cit Garnier Flammarion p 27 les cyniques d veloppent une v ritable mise en question non plus seulement de la cit mais de la soci t et de la civilisation Leur protestation est une critique g n ralis e de l tat civilis Critique qui surgit au IV si cle avec la crise de la cit et dont un des th mes majeurs est le retour l tat sauvage N gativement c est le d nigrement de la vie dans la cit et le refus des biens mat riels produits par la civilisation Positivement c est un effort pour retrouver la vie simple des premiers hommes qui buvaient de l eau des sources et se nourrissaient des glands qu ils ramassaient ou des plantes qu ils r coltaient Le refus cynique est dirig contre la norme la tradition les lieux communs sont pulv ris s qu il s agisse de politique de m urs ou de faits de soci t La nourriture est un enjeu dans cette esth tique de la n gation Au cuit consensuel de l institution nutritive Diog ne oppose le nihilisme alimentaire le plus chevel marqu en priorit par le refus du feu de Prom th e comme symbole de la civilisation Le premier principe de la di t tique cynique est le cru L ensauvagement du cynique l expression est de Plutarque suppose l omophagie comme d construction du syst me de valeurs sur lequel repose la civilisation Qu est ce en
79. esprit n est pas sans pertinence puisque c est ce d lire des vaisseaux que je dois les pages qui suivent Tous furent tonn s les statistiques ne m avaient pas pr vu on trouvait l insolence plut t saugrenue Un infarctus vingt huit ans Entre deux lectrocardiogrammes une piq re de Calciparine et une prise de sang le destin se manifesta sous la forme d une di t ticienne aux allures d anorexique Aust re et d une maigreur peu avenante signe toutefois de conscience professionnelle elle me fit un cours ennuyeux sur le bon usage d une nourriture pour moine du d sert La veille de l accident cardiaque un repas six ou sept m avait permis de confectionner une paule d agneau aux pleurotes et c leri Et il me fallait faire mon deuil de tout cela pour me lancer corps perdu dans le r gime hypocalorique hypoglyc miant et hypocholest rol miant Autant d invitations troquer mes livres de cuisine contre un dictionnaire de m decine ou un Vidal P le et ch tive la fonctionnaire des calories me fit une conf rence sur les m rites des cr mes all g es des laits cr m s et des cuissons l eau Fi des sauces p tillantes et des liaisons farineuses Il fallait me convertir l herbe et aux l gumes verts Dans un sursaut d h ro sme je d clarai comme pour faire un mot avant le tr pas que je pr f rais mourir en mangeant du beurre qu conomiser mon existence la margarine Psychologue en diable mais pi
80. ffrontements se font avec des mets connus Pas de surprise Les armes secr tes sont r serv es pour la fin Les arguments d finitifs destin s remporter les suffrages sont pour les derniers moments La d gustation commence Le combat fait rage Faisant le bilan des troupes et des modalit s de feu le p re de l Harmonie d nombre Cent mille bouteilles de vins mousseux de la C te du Tigre quarante mille volailles daub es selon de nouvelles m thodes quarante mille omelettes souffl es cent mille punchs d ordre mixte selon les conciles de Siam et de Philadelphie etc Ailleurs il introduit le bruit des bouchons de trois cent mille bouteilles qu on fait sauter en m me temps et comptabilise les plats utilis s pour la cause En fait l issue du combat se fera par les petits p t s arme secr te s il en est une Un million six cent mille avaient t confectionn s Fourier confie pour quelles raisons il a lu ce plat particulier Je choisis ce mets tant fond reprocher aux civilis s leur imp ritie en ce genre je les aime beaucoup et suis oblig de m en priver faute de pouvoir les dig rer ce qui n arriverait pas si nos cuisiniers savaient les composer pour divers temp raments y faire intervenir dans certaines esp ces des aromates et vinaigres favorables tous genres d estomac C est l dessus que roule le d bat en Harmonie Il faut que les arm es bellig rantes luttent qui produira la meilleure s r
81. g des c urs d artichaut bien temp r s une pluie de barbe papa mais aussi comme quoi il n est pas simple de faire son deuil de la lourdeur une oie grasse un r ti d agneau en sauce lion du sang de Bacchus et de l cume exhilarante cinzano Cette d claration milanaise vaut surtout par le renversement op r par Marinetti dans l ordre du crit re de go t il n est plus du ressort individuel de d cider de ce qui est bon avec des jugements subjectifs relatifs au plaisir Le bon est une d cision nationale qui prend en compte les int r ts du groupe du Tout Marinetti est ici plus proche de Hegel que de Nietzsche Le nouveau syst me d valuation futuriste fait de l universel le gnomon du particulier Marinetti r alise bien une critique de la facult de juger individuelle pour promouvoir le principe du jugement soucieux de l int r t g n ral Les manifestes futuristes en mati re de cuisine sont tous r dig s par Marinetti C est lui qui valide les nonc s nouveaux et qui fonde la pertinence r volutionnaire des recettes appel es formules dans le langage marinettien Le mot d ordre de la gastronomie futuriste est la nouveaut Il s agit de permettre une jubilation alimentaire d un type nouveau Dans le texte fondateur sign Marinetti et Fillia le projet est ainsi d crit La r volution culinaire futuriste se propose le grand noble et utile dessein de modifier rad
82. hata une boisson base d orge d avaler des champs entiers de c r ales gagn s par le froid Rome je visitai les tonnants glaciers de la place Navone Tre Scalini Giolitti Fiocco di Neve ceux du quartier du Panth on ou de la rue des Offices du Vicaire l ombre d un soleil qui d versa sa chaleur sur Lucr ce et Marc Aur le on peut go ter une glace la violette aux champignons aux carottes aux p tales de rose et une multitude d autres parfums Gen ve o je traquais Voltaire et Rousseau j ai bu des vins du Vaudois ou le fendant du Valais Venise j ai mordu les fruits vendus sur le march qui borde le Grand Canal ils paraissent gorg s de l eau et du ciel avec lesquels on fabrique la seule ville qui soit en tout une uvre d art Et partout ailleurs en France j ai rencontr les sp cialit s en m me temps que l me des lieux et des paysages je n ai pas travers le P rigord sans go ter le confit les pommes de terre sarladaises ou le g teau aux noix la Bretagne sans avaler quelques hu tres sur les quais de Cancale les Vosges sans essayer les m langes de fromages cuits fabriqu s chez l habitant pour accompagner les pommes de terre l eau la Provence sans manger les ratatouilles qui accompagnent les poissons grill s les Pyr n es sans me r jouir d un rago t de sanglier pr par par l pouse du chasseur Voir un pays ne suffit pas il faut aussi l entendre et le go ter s en p n tre
83. i rarchie des probl mes telle qu elle est pratiqu e par le philosophe Il est une question qui m int resse tout autrement et dont le salut de l humanit d pend beaucoup plus que de n importe quelle ancienne subtilit de th ologien c est la question du r gime alimentaire Pour plus de commodit on peut se la formuler ainsi Comment au juste dois tu te nourrir pour atteindre au maximum de ta force de la virt au sens de la Renaissance de la vertu garantie sans moraline La nouvelle valuation nietzsch enne fait de la di t tique un art de vivre une philosophie de l existence susceptible d effets pratiques Alchimie de l efficacit Nietzsche plus que tout autre philosophe a dit le r le d terminant du corps dans l laboration d une pens e d une uvre Tr s t t il a tabli la parent entre la physiologie et l id e Le travestissement inconscient des besoins physiologiques sous les masques de l objectivit de l id e de la pure intellectualit est capable de prendre des proportions effarantes et je me suis demand assez souvent si tout compte fait la philosophie jusqu alors n aurait pas absolument consist en une ex g se du corps et un malentendu du corps De la m taphysique comme r sidu de la chair La purification nietzsch enne en mati re de corps n est pas sans faire penser l asc se plotinienne Il s agit pour le fid le de Dionysos de familiariser le co
84. icalement l alimentation de notre race en la fortifiant en la dynamisant et en la spiritualisant l aide de nourritures absolument nouvelles o l exp rience l intelligence et l imagination forment un substitut conomique la banalit la 1 Ibid p 45 2 Ibid p 42 r p tition et la d pense Notre cuisine futuriste r gl e pour les grandes vitesses comme un moteur d hydravion para tra folle et dangereuse quelques pass istes apeur s alors qu elle tend cr er enfin une harmonie entre le palais des hommes et leur vie d aujourd hui et de demain Ils poursuivent en situant l exp rience dans l histoire de l alimentation part quelques c l bres et l gendaires exceptions les hommes se sont nourris jusqu pr sent comme les fourmis les rats les chats et les b ufs Avec nous futuristes na t la premi re cuisine humaine autrement dit l art de s alimenter Comme tous les arts elle exclut le plagiat et exige l originalit cr atrice Le souci marinettien est optimiste il le proclame sans ambages l esp rance d une modification du r el par le changement du type d alimentation La r volution par l aliment Des mouvements de protestation surgiront contre cette volont de faire de la nourriture l auxiliaire de la novation soucieuses de pr server les p tes un groupe de femmes d Aquila firent circuler une p tition qui fut adress e Marinetti Naples le peuple est descendu d
85. ie de petits p t s assortis pour une gamme de douze temp raments et le pivot afin que chacun soit pourvu de l esp ce qu il peut facilement dig rer La guerre se conclut donc apr s l affrontement aux petits p t s Voici comment Fourier narre la reddition Les esprits sont tellement satisfaits des nouveaux syst mes de nouveaux petits p t s et du choix judicieux des vins et de l excellence des mets nouveaux que toutes les arm es semblent lectris es par la d licatesse de la ch re Les oracles m me ont peine d guiser leur approbation secr te et plusieurs d entre eux avant de remonter en voiture d clarent qu ils ont dig r le d jeuner et qu ils seraient pr ts recommencer Rien ne peut mieux signifier l excellence de l issue le crit re essentiel de l hygi ne alimentaire fouri riste est la digestibilit En Civilisation l indigestion est la conclusion oblig e de tous les repas En Harmonie les services sont nombreux parce que adapt s aux temp raments La bonne ch re est du c t de la qualit non de la quantit bien que la l g ret qualitative permette l abondance quantitative L excellence des mets et des vins doit avoir pour but de h ter la digestion et d acc l rer le d sir du repas suivant plut t que de le retarder Fid le sa po tique des chiffres qui enchantait Raymond Queneau Fourier d coupe la journ e en s quences r guli res pour l gif rer en mati re d emploi du t
86. ion de p nurie Jamais l anthropophagie ailleurs que chez Diog ne n a relev de l acte d lib r immanent Tol r encourag et soutenu lorsqu il participe de la manducation magique religieuse du crime rituel le cannibalisme est int gr dans la multiplicit des modalit s sociales assouvissement de vengeance apr s des guerres claniques sanction juridique des Tartares soucieux de droit aux crois s tromp s lors de leurs voyages vers J rusalem solution pour contourner la n cessit du manque nutritif Mais dans une optique nihiliste sociale il semble que l all lophagie de Diog ne soit une volont unique sans pr c dent sans descendance Le go t diog nien pour le sang n exclut pas un v g tarisme pratique Diog ne La rce rapporte l essai du philosophe en mati re de viande humaine On ne sait s il r ussit d passer ses r pugnances cet gard Toujours est il que l exp rience si elle eut lieu ne fut pas transform e en habitude Plut t un happening en cit grecque La somme d anecdotes transmises sur Diog ne le montre plus fanatique d olives et de baies sauvages que de gigots humains L loge cynique de la vie simple s accommode avec moins d ennuis de la frugalit facile sous le soleil hell ne Diog ne est plusieurs fois camp en paisible cueilleur de figues de fruits et de racines Il boit aux fontaines l eau fra che des sources et la commissure de ses l vres fut plus souvent reluisante d
87. ion de soi comme une uvre coh rente La singularit qu elle autorise l laboration de soi qu elle permet ont serti le devenir proverbial d un aphorisme de Brillat Savarin Dans la Physiologie du go t ce charmant beau fr re de Charles Fourier crit Dis moi ce que tu manges je te dirai qui tu es Mais laissons l la th orie car du banquet o nous avions risqu un regard viennent de s enfuir Schopenhauer et Rabelais Le premier vient de griffonner sur le carnet qu il tient r guli rement les commentaires gastronomiques que lui ont inspir s ces agapes Le second tient dans la main quelques recettes dont celle qui dit toutes les vertus aphrodisiaques du vin dans lequel on a touff un surmulet puis celle du beurre de Montpellier qu il a not e sur son dipl me de m decin Ibid p 123 Brillat Savarin Physiologie du go t Julliard p 23 Didier Raymond Schopenhauer Seuil p 37 Il Diog ne ou le go t du poulpe Hegel a tort d crire de Diog ne qu il n y a que des anecdotes raconter son sujet et des cyniques qu ils ne sont dignes d aucune consid ration philosophique La saillie le trait d esprit signifient toujours plus que l apparente vidence Le philosophe cynique est porteur d une intraitable volont de dire non de d busquer le conformisme travers les habitudes Le cynique est la figure embl matique de l authentique philosophe d fini comme la mauvaise con
88. ion des enfants Au menu pain eau et laitages Second v g tarien c l bre Adolf Hitler Est il utile de s tendre IV Kant Ou L thylisme Ethique La trentaine pass e Emmanuel Kant s abreuva tant dans l un des caf s qu il fr quentait avec habitude et mod ration qu il ne put retrouver son domicile sis Magistergasse K nigsberg Chaque soir il jouait au billard et aux cartes chaque midi il prenait un verre de vin Jamais de bi re Il tait l ennemi d clar du breuvage national prussien un poison lent mais mortel qu il percevait comme l une des causes les plus importantes de mortalit et d h morro des Imaginer Kant amateur d estaminet n est pas sans tonner Le pi tiste aust re rigoureux le philosophe ardu et exigeant n en tait pourtant pas moins un buveur et un mangeur averti au point que son ami le conseiller secret von Hippel lui disait souvent en plaisantant Vous crirez bien encore t t ou tard une critique de la cuisine H las il n y eut pas de Critique de la raison gastronomique L m me o le penseur analyse le go t dans sa Critique de la facult de juger il ne laisse aucune place la nourriture Lorsqu il fait la th orie des sens il d termine ceux qui sont sup rieurs et objectifs le toucher la vue et l ou e et ceux qui sont inf rieurs et subjectifs l odorat et le go t Le nez et le palais sont les organes des fonctions sans noblesse car
89. ions collectives lui fera contenir la science de la nutrition des fins uniquement particuli res la cuisine allemande lourde et d pourvue de subtilit Nietzsche oppose celle du Pi mont qu il voit l g re et a rienne Contre l alcool il vante les m rites de l eau et confie qu il ne se s pare jamais d un gobelet pour boire aux fontaines dont Nice Turin ou Sils sont riches Contre le caf il invite au th seulement le matin peu mais tr s fort Le th est tr s nocif et indispose pour toute une journ e quand il est Id Correspondance g n rale Lettre Gersdorff 28 septembre 1869 Gallimard 2 C P Janz Biographie Nietzsche Gallimard t p 306 3 Rousseau mile Pl iade t IV p 411 Nietzsche Par del le bien et le mal 10 18 8 234 Ibid 8 262 trop faible ne serait ce que d un degr Il aime aussi le chocolat et le recommande dans les pays au climat nervant incompatible avec la th ine II comparera les m rites respectifs du cacao hollandais Van Houten et du suisse Spr ngjli Outre la nature et la qualit de l alimentation Nietzsche int gre dans la di t tique les fa ons de se nourrir les modalit s du repas les exigences de l op ration nutritive Le premier imp ratif est de conna tre la taille de son estomac Le second de pr f rer un repas copieux un repas l ger La digestion est plus facile quand elle concerne un estomac plein Enfin il faut mesurer
90. ir Pour illustrer son propos il fait r f rence Cornaro un V nitien auteur d un Discours sur la vie sobre et son ouvrage o il recommande son r gime maigre recette de vie longue heureuse et aussi vertueuse L Italien pense que le r gime qu il suit est cause de sa long vit Erreur crit Nietzsche Confusion de la cause et de l effet inversion de causalit La condition premi re de la long vit l extraordinaire lenteur du m tabolisme la faible consommation nerg tique tait la cause de son r gime maigre Il n tait pas libre de manger plus ou moins sa frugalit n tait pas une libre d cision de son libre arbitre il tombait malade quand il mangeait davantage En fait on ne choisit pas son r gime alimentaire on trouve seulement celui qui est le plus en ad quation avec la n cessit de son propre organisme La di t tique est la science de l acceptation du r gne de la n cessit par la m diation de l intelligence il s agit de comprendre ce qui convient le mieux au corps et non de choisir au hasard suivant des crit res ignorants de la n cessit corporelle Le souci di t tique est illustration pragmatique de la th orie de lamor fati en m me temps qu une invitation l asc se du deviens ce que tu es Le r gime est volont d ad quation avec soi m me exigence d harmonisation de l app tition et du consentement suppose le choix de ce qui s impose l lectio
91. l engluement l o le d passement de la contingence et de la facticit en appelle au noir au dur au froid Le d sir sartrien est de min ralisation de devenir fossile et d chapper aux cat gories corruptibles R surgences platoniciennes Sartre entend le r el comme une partition entre l imm diat et l essence entre ce qui merge et ce qui est immerg En dehors de l eau il y a les apparences l illusion faite d images de racines d objets de choses Sous l eau il y a la v rit de l tre la nature authentique du monde Et sous l eau Tu n as pas pens ce qu il peut y avoir sous l eau Une b te Une grande carapace demi enfonc e dans la boue Douze paires de pattes labourent lentement la vase La b te se soul ve un peu de temps en temps Au fond de l eau Pareilles visions t ratologiques renseignent sur la nature du personnage qui les con oit le r el n est que perceptions les perceptions rel vent d un sujet II n y a que relativit des sensations des images des go ts La qualit en particulier la qualit mat rielle fluidit de l eau densit de la pierre etc tant mani re d tre ne fait que pr sentifier l tre d une certaine fa on Ce que nous choisissons c est donc une certaine fa on dont l tre se d couvre et se fait poss der Le jaune et le rouge le go t t A Cohen Solal op cit p 484 S de Beauvoir La C r monie des adieux p 421 3
92. l a t plus manifest que chez Charles Fourier l tonnant po te de l utopie sociale Son uvre est tendue vers le projet d un monde nouveau Son travail a consist inventer un style de vie sans pr c dent d barrass du hasard Le nouvel ordre fouri riste suppose le quadrillage la place la situation le chiffrage et le nom Avec lui se r alise le projet cart sien tout du moins th oriquement dans ses formes les plus absolues et exub rantes se rendre ma tre et possesseur de la nature Le syst me propos par ce philosophe qui dit on ne riait jamais n pargne aucun fragment du r el les climats seront r volutionn s aussi bien que la morphologie humaine Le passage de l tat de Civilisation celui d Harmonie permettra ainsi de porter la taille de l homme soci taire plus de quatre m tres soixante De m me dans l ordre combin le terme moyen de la vie sera de cent quarante quatre ans L intervention sur les astres entra nera la cr ation d un troisi me sexe Le climat sera transform le chaud et le froid seront invers s les saisons am lior es les microclimats r gent s En mati re de g ographie Fourier pr voyait le d placement des continents qui porterait l Am rique du Sud plus au nord et l Afrique plus au sud Une tectonique des plaques ob issant la volont humaine en quelque sorte De m me des villes seraient permut es Dans le feu de l action les plan tes seraient d plac es
93. la mati re corrompue Les anecdotes sur la salet de Sartre disent sa facult d oublier la chair de la m priser de la contenir dans le registre du superflu En Allemagne il avait laiss la crasse et la puanteur s installer un point tel que sa biographe a pu parler de sa chambre pestilentielle et des semaines enti res pass es sans se laver alors qu il lui aurait suffi de traverser la rue et de payer dix sous pour disposer ad libitum d une salle de bains dans l tablissement thermal Son surnom d alors tait l homme aux gants noirs Il tait d ses extr mit s qui taient jusqu mi bras noires de crasse Les n cessit s corporelles lui ont toujours inspir d go t et m pris Beauvoir confie qu il s en lib rait avec discr tion tant qu il eut la sant Par la suite lorsque les progr s de la liqu faction du penseur furent enregistr s il fit preuve d un fatalisme qui tonnait sa compagne Lorsqu il s abandonnait sur fauteuils et canap s il n avouait aucune pudeur plut t de la r signation Oublieux d hygi ne il l est aussi des rythmes du corps et de la n cessit de transcender la n cessit naturelle par les rituels culturels que sont les repas Quantit et qualit sont d plorables et la fr quence des sacrifices au rite est l avenant II m est tout fait indiff rent disait il de sauter un repas le midi ou le soir ou m me les deux repas de me nourrir de pain ou
94. la repr sentation qui se fait par eux est plus celle de la d lectation que de la connaissance des objets ext rieurs Par l odorat et le go t la connaissance ne se fait pas universellement mais particuli rement relativement un sujet d o les distorsions perceptives Le sens du go t consiste dans le contact de l organe de la langue du gosier et du palais avec les objets ext rieursf Soit Mais Kant omet d int grer l imagination la m moire et l entendement dans ce processus complexe qu est la production d une saveur et d un jugement de go t buccal Sans m moire des saveurs des m langes sans imagination analytique et synth tique sans saisie globale et particuli re par l entendement il ne saurait tre question de go ter Et Kant le sait L odorat pr cise t il est moins social que le go t qui favorise la sociabilit table De m me il pr vient des saveurs venir Kant parle de l agr ment procur par l ingestion Mais simultan ment l odorat est une logique solitaire Sentir c est sentir la m me chose que tout le monde en m me temps c est une n cessit qui oblige les autres personnes qu elles le veuillent ou non en partager l apport de ce fait contraire la libert alors que le go t permet une jouissance plus grande parce qu il autorise le choix l lection la prise en consid ration des pr f rences le convive pouvant ici choisir selon son agr ment entre nom
95. la naissance du messie de Bethl em mais qu on f te plut t la f te le soir de No l 1709 Saint Malo na t le philosophe Julien Offroy de La Mettrie D abord m decin auteur d un trait sur les maladies v n riennes il est l auteur d un admirable Art de jouir dans lequel il enseigne l eud monisme le plus radical table distingu s et sensuels voluptueux et d licats les philosophes au go t de La Mettrie sacrifient au pur plaisir Pendant le repas le gourmand gonfl hors d haleine d s le premier service semblable au cygne de La Fontaine est bient t sans d sirs Le voluptueux go te de tous les mets mais il en prend peu il se m nage il veut profiter de tout Les autres sablent le champagne il le boit le boit longs traits comme toutes les volupt s Cons quent et gourmet on retrouve le philosophe la table de milord Tyrconnel o un p t est servi Dans L Homme Machine le penseur avait mis en garde contre les viandes trop peu cuites la table du noble il ne remarque pas l tat avanc du p t auquel il go te La mort est au rendez vous Autre soir de No l gastrosophique celui de l ann e 1838 au cours de laquelle s teint Grimod de La Reyni re Alexandre Balthasar Laurent l un des premiers chroniqueurs gourmands l un des p res fondateurs de l criture gastronomique Son grand p re charcutier avait succomb l ingestion d un p t de foie gras qui l avait s
96. la po le la groseille la fraise aux fruits d salt rants qui me sont offerts sur la terre avec autant de soins L id e fixe du penseur est ici l uvre il volue en plein fantasme de la virginit de la puret de l ir nisme D un c t la perfection na vet innocence fra cheur initiale et sa figure arch typale le Paysan De l autre l imparfait labor compliqu m lang et sa figure embl matique le Bourgeois La Nature LI p 199 Rousseau Essai sur l origine des langues chap IX p 523 3 Ibid IV p 680 contre la Civilisation le Lait contre le Rago t La th orie rousseauiste de l aliment est spartiate c est celle du renoncement de l asc se celle des r gles monastiques Elle n est pas sans signifier un d go t de soi un m pris du corps pr t tre tendu l humanit enti re que partagent tous les di t ticiens du d faut et du manque plus suspects de g rer leur anorexie que soucieux d une gastronomie entendue comme gai savoir pr occup de l g ret et de jouissance Faut il s tonner de trouver dans la galerie des v g tariens illustres des amateurs c l bres de sang et de chair fra che Deux exemples d herbivores c l bres Saint Just qui lui aussi tait obs d par la r f rence lac d monienne Dans ses Fragments d institutions r publicaines o bien s r il fait la th orie de la libert un passage est consacr l alimentat
97. les bons l gumes la bonne cr me et les bonnes gens Du menu on ne saura rien si ce n est que la cuisine des riches se distingue tout particuli rement par les soins qu elle n cessite la pr paration l arrangement Elle ne vaut pas tant par ce qu elle est que par ce qu elle repr sente le souci d un raffinement d une composition harmonieuse Alors que Voltaire invite ses complices pistoliers lui rendre visite pour go ter un dindon aux truffes de Ferney tendre comme un pigeonneau et gros comme l v que de Gen ve du p t de perdrix des truites la cr me et du vin fin Rousseau vante les m rites du laitage des fruits et des l gumes En mati re de mise en sc ne des repas il donne dans le champ tre et sacrifie aux joies du pique nique L id al est d arranger la d nette pr s d une source vive sur l herbe verdoyante et fra che sous des touffes d aulnes et de coudriers on aurait le gazon pour table et pour chaise les bords de la fontaine serviraient de buffets et le dessert pendrait aux arbres L Eden en quelque sorte la fin du n cessaire au repas tables chaises et autres ustensiles En mati re de convives et de personnel Rousseau limite les politesses Chacun serait servi par tous on inviterait le paysan qui passerait proximit l outil sur l paule en route pour son travail Eden communautaire cette fois ci Le philosophe n exclut pas de se faire inviter aux mari
98. les exp riences communautaires les climats moraux les m urs des cr ateurs Rien non plus sur la di t tique Conna t on les effets moraux des aliments Existe t il une philosophie de la nutrition Rien que l agitation qui clate sans cesse pour et contre le V g tarisme prouve assez que pareille philosophie n existe pas Une nouvelle histoire de ce type ne manquerait pas d apporter un savoir pr cieux Des surprises appara traient au cours de telles investigations L alimentation est sans conteste la cause de plus de comportements qu on ne l imagine Ainsi apr s avoir d plor que l tude du corps et de la di t tique ne fasse pas encore partie des mati res obligatoires dans toutes les coles primaires et sup rieures Nietzsche tablit qu un criminel est peut tre un individu qui exige une intelligence m dicale une bienveillance m dicale susceptibles d int grer le savoir di t tique dans son mode d appr hension des cas On retrouve ici trace du Feuerbach qui affirmait que l homme est ce qu il mange L alimentation est d terminante du comportement Il y aurait donc par la di t tique un moyen de d passer la n cessit Comment peut on concilier l inexistence du libre arbitre et la possibilit d agir sur soi de se construire de se vouloir lire son aliment c est laborer son essence Nietzsche montre que le choix est ici acceptation de la n cessit qu il faut d abord d couvr
99. lle et devient solide Toujours en qu te de preuves chez les scientifiques Rousseau crit que la pr sure avec laquelle on provoque le caillage est faite avec des substances en provenance du muscle digestif La preuve est faite que le lait est un aliment et qui plus est le plus simple et le plus naturel des aliments Rousseau ne trouvera pas mieux le reste est succ dan 1 Il p 453 p 409 Ibid 4 IV p 273 5 IV p 274 275 6 IV p 275 Dans son assiette le citoyen de Gen ve appr ciait particuli rement les nourritures lact es Il confesse un go ter d licieux avec des produits laitiers du Jura Des grus de la c rac e des gaufres et des crelets ainsi que deux assiettes de cr me Le philosophe commente Le laitage et le sucre sont un des go ts naturels du sexe et comme le symbole de l innocence et de la douceur qui font son plus aimable ornement Ailleurs il crit de Julie que sensuelle et gourmande dans ses repas elle n aime ni la viande ni les rago ts ni le sel et n a jamais go t de vin pur D excellents l gumes les ufs la cr me les fruits voil sa nourriture ordinaire Les femmes plus proches de la nature donc du vrai que les hommes ont conserv un go t plus sain moins corrompu par la civilisation De l avantage d une misogynie prise rebours Le go t sain c est le go t simple celui des femmes contre celui des hommes Il s oppose aux
100. m me sont m lang s des palourdes de lail des oignons du riz et de la cr me la vanille afin de construire un plat nomm Golfe de Trieste Plus susceptible de troubler l ordre religieux et de choquer les cuisines du Vatican l a ropeintre Prampolini ose les Grandes eaux en un m lange de grappa de gin de kummel d anis sur lequel flottera un bloc de p te d anchois pharmaceutiquement clos dans une hostie Le Professeur Sirocofran invitera des r alisations plus p rilleuses avec ses Parfums prisonniers qui n cessitent une dext rit certaine Introduire une goutte de parfum dans de tr s fines vessies color es que l on gonflera et que l on fera l g rement chauffer de mani re vaporiser le parfum et rendre l enveloppe turgide Servir avec le caf dans des soucoupes chaudes en prenant soin que les parfums soient vari s On approche de la vessie la cigarette allum e et on aspire le parfum qui en sort essayer La nouveaut linguistique n est pas seulement manifeste pour dire le plat dans son ensemble elle l est galement pour caract riser les op rations qui y m nent ou les modalit s nouvellement cr es par les futuristes dans les associations La Ibid P 156 Ibid P 140 Ibid P 147 Ibid P 142 Ibid P 143 po tique du bapt me des plats est une tradition culinaire Moins habituelle est l invention verbale pour dire l alchimie qui condui
101. marginal par crit dans ses romans que par oral dans sa vie quotidienne Que pr f rer d une invitation chez Marguerite Marie ou chez Sade La ci devant Alacoque est plus tonnante table si l on peut dire que le citoyen marquis En fait de sang d une pr pub re aux babines Sade n a de traces aux commissures des l vres que laiss es par le cacao de ses p tisseries pr f r es On ne peut en dire autant des marques brunes qui aur olent la bouche de la sainte La t te dans les nuages oublieux de ses voisins ogres par le verbe midinettes par la pratique Charles Fourier plaide pour une po tique de l aliment copulation des toiles pour produire des fruits guerres gastrosophiques dialectique du petit p t et rh torique du vol au vent l utopiste d lire autant dans les cuisines que dans les usines Pr occup par une Harmonie mythique le penseur n oublie pas la nourriture dans sa volont de quadriller le r el sous tous ses aspects Fanatique de plantes vertes au point d habiter un appartement transform en serre le plancher de son domicile tait recouvert de terre le philosophe du nouvel ordre mettra autant de conviction d velopper ses th ses gastronomiques qu pr ciser sa pens e politique ou les d tails de l conomie politique Il est vrai que la gastrosophie est une science pivotale l actif de Fourier il faut mettre son authentique souci de modifier le rapport au corps d culpabiliser a t
102. me que le corps est le fondement de la raison le lieu de la n cessit logique ou que le monde des sens est le fondement la condition de la raison ou de l intelligence II n est pas sans rapport que Feuerbach soit le premier th oricien de l ath isme le premier g n alogiste de l ali nation Sous sa plume apparaissent pour la premi re fois les lignes d finitives sur le religieux la religion et ses formes multiples Le sacr est diss qu analys et r duit comme une sauce C est aussi lui qui d veloppe une nouvelle positivit sensualiste plus ou moins h rit e d une certaine tradition mat rialiste fran aise puis sensualiste anglaise Une modernit se forme dont Nietzsche h ritera bient t et avec lui notre si cle L aliment la nourriture deviennent principes mat rialistes d un art de vivre sans Dieu et sans dieux Une science de la bouche entendue comme voie d acc s une esth tique de soi n a pas v ritablement vu le jour depuis les injonctions nietzsch ennes s occuper des choses prochaines faire l histoire des fragments du quotidien S il faut se soucier de l approche de No lle Chatelet de celles de Jean Paul Aron ou de Jean Fran ois Revel il faut aussi compter les silences de la pens e contemporaine sur l essentiel Une exception toutefois le dernier Michel Foucault qui assumera une maladie en m me temps qu un tournant pist mologique dans son uvre Avec la fin de son His
103. mer que les p res s enr leront volontiers sous les deux banni res et qu ils joindront au culte de l amour celui de la bonne ch re qui sera exclusif pour les enfants La Gourmandise devient l axe sur lequel le social va se mouvoir Contre l tat civilis et ses abominables fruits verts Fourier va l gitimer le sucr Si la Civilisation est caract ris e par le manque elle l est aussi par l acidit Cons quemment l Harmonie sera distingu e par l abondance et le sucr Ce qui explique le projet fouri riste de transformer en fin de trajet du monde soci taire la mer en vaste tendue de limonade La v rit harmonieuse est sirupeuse Les confitures fines cr mes sucr es limonades etc devront compenser la nourriture conomique des enfants dans l ordre combin Le principe de cette nouveaut gastronomique est exprim ainsi Le fruit alli au sucre doit devenir le pain d Harmonie base de nourriture chez les peuples devenus riches et heureux Les ch rubins seront lev s avec force compotes et confitures mixtes compos s et harmonieux de sucre et de fruits produits des deux zones de culture du globe La p dagogie alimentaire en direction des enfants se fera de mani re syst matique et raisonn e tr s t t ils assisteront des d bats gastronomiques sur des pr parations culinaires puis afin d allier th orie et pratique ils go teront II suffira crit Fourier d abandonner le
104. n des apprentis boulangers de l cole Les sauces figeaient dans les assiettes et l on jouait les retourner pour mettre l preuve les filets coagul s des graisses qui s accrochaient d sesp r ment au Pyrex Il fallut avaler des potages la tomate et au vermicelle qui ressemblaient des assiettes de sang frais Il fallut manger des tranches de foie mal cuites et sanguinolentes Il fallut ingurgiter les pur es de pois cass s froides et les tranches de c ur lastiques quatre heures les morceaux de pain sec s arrachaient au pied d un vaste r cipient de plastique aux couleurs louches La barre de chocolat tait le seul luxe bien qu elle f t des plus abrasives L avantage du coll ge religieux est la messe enfant de ch ur d s sept heures trente on peut go ter entre le dentifrice et le caf au lait une rasade de vin blanc ou quelques poign es d hosties qu on esp rait non consacr es pour viter la damnation Parfois la transgression aidant j en remplissais mon bonnet et les reversais dans mon bol de caf au lait Voir les rondelles de pain azyme fondre dans le liquide ti de et sombrer au fond du r cipient stimulait l imagination sabordages ou immersions du monde noyade du Christ mal inspir d avoir choisi la forme boulang re Heureusement les sorties du dimanche apr s midi en rang par deux permettaient de grappiller dans la campagne les baies et fruits sauvages qui avaient conserv le go t de la libert
105. n du n cessaire D o la jubilation et la satisfaction d tre si avis Comment proc der pour faire de n cessit vertu D abord en d terminant le n gatif ce qu il ne faut pas faire Ensuite se distinguera le positif ce qu il faut faire La di t tique n gative est celle de la quantit La di t tique positive celle de la qualit id Le Gai Savoir 8 7 Ibid 3 Id Aurore Id es Gallimard 8 202 Id Le Cr puscule des idoles Id es Gallimard p 54 55 Fi des repas que font aujourd hui les hommes au restaurant comme partout o vit la classe ais e de la soci t La surcharge de la table signale la volont de para tre Que signifient ces repas Ils sont repr sentatifs Mais de quoi juste ciel De la classe Non de l argent on n a plus de classe Du repas comme signe ext rieur de richesse Nietzsche part en guerre contre l alimentation de l homme moderne qui s entend dig rer bien des choses et m me presque tout c est l qu il place toute son ambition L poque est moyenne elle vit entre le plantureux et le pr cieux En attendant l homo pamphagus n est pas l esp ce la plus raffin e La vulgarit est dans l indistinct L omnivore est une erreur Le d faut de qualit le manque de souplesse de l g ret de finesse caract risent les alimentations n gatives dont l arch type est la cuisine allemande Cette cuisine alla tedesca est
106. nce de Sainte Anne Sartre se souviendra du bestiaire chez lui hautement symbolique lorsque dans La Naus e il fera de Roquentin un familier de ce zoo aquatique compos pour certains d animaux dont le corps tait fait d une tranche de pain grill comme on en met en canap sous les pigeons ils marchaient de c t avec des pattes de crabe La r currence des crustac s est notable dans les uvres du penseur Sartre raconte dans Les Mots qu enfant son regard tomba sur une gravure parue dans l almanach Hachette qui repr sentait un quai sous la lime une pince longue et rugueuse qui sortant de l eau accrochait un ivrogne pour l engloutir dans le bassin id L tre et le N ant p 687 2 Id L Imaginaire Id es Gallimard p 303 3 S de Beauvoir La Force de l ge p 216 Ibid p 217 5J P Sartre La Naus e Pl iade p 72 glauque Le texte illustr par cette image se concluait par tait ce une hallucination d alcoolique L enfer s tait il entrouvert Et Sartre de poursuivre J eus peur de l eau peur des crabes et des arbres qu on se rappelle le r le de la racine dans La Naus e Amplifiant l cho de cette sinistre gravure Sartre confia avoir souvent rejou la sc ne terrifiante dans sa chambre gagn e par la p nombre La th tralisation exigeait pr cise t il un lieu souterrain ou sous marin dans lequel l tre surgissait sous la forme d une cr ature aquatique ou
107. ndre avec efficacit aux besoins nationaux La rh torique aristocratique de Marinetti est pourtant voulue de la fa on la plus tendue qui soit l utopie du ma tre vise l aristocratisation de la masse de la foule la transmutation du peuple en lite Le projet futuriste est une sorte de national esth tisme x nophobe destin la ma trise italienne sur l Europe puis le monde La cuisine est un moyen parmi d autres mettre en uvre pour produire l extraction du peuple de la m diocrit o il croupit devenue elle m me uvre d art la masse exportera son g nie par del les fronti res La gastronomie est prop deutique r volution plan taire Marinetti souhaitait que tout un chacun ait l impression de manger des uvres d art Pour ce faire il a codifi le rituel alimentaire Selon lui un repas exige l harmonie entre les diff rents l ments d une table verrerie vaisselle d coration couverts les saveurs et les couleurs des mets leurs formes et leurs logiques d apparition Tous les sens taient appel s jouer un r le actif l art combinatoire avait pour fonction de pr parer et de susciter le d sir d ingestion Le regard est privil gi l art culinaire futuriste est prioritairement jeu avec le plaisir de voir Pour moustiller l appr hension visuelle des nourritures les convives sont soumis des pr sentations organis es de plats destin s ou non tre mang s L important est de prod
108. ne de Beauvoir Tout compte fait Gallimard p 349 La C r monie des adieux Gallimard p 25 et La Force de l ge Gallimard t Il p 378 gastronomiques fixation sur un stade jouissance buccale substitut culturel et socialement acceptable du sevrage sublimation marqu e au coin de l ph m re Les psychiatres auraient analyser l anorexie et la boulimie pour y d couvrir l avers et le revers d une m me obsession mal saisir le monde Ils distingueraient p remptoirement le normal et le pathologique les d viances de la bouche ses bons et mauvais usages Les conomistes diraient avec les historiens la g ographie po tique des condiments les trajets des sucres et des caviars l pop e du sel Au passage ils en tireraient une th orie De la ma trise des sphincters au billet de banque du papier monnaie au coquillage pr cieux P rip ties mythologiques Manquent un Lewis Carroll ou un Lucien de Samosate Les sociologues diraient avec Bourdieu les pr f rences pl b iennes lourd sal gras et les lections bourgeoises Les gastronomes diraient les fumets les couleurs et les saveurs la sapidit et le caract re fondant moelleux Mais les th ologiens diraient l un de leurs sept p ch s capitaux Alors le philosophe pourrait inviter radiquer le sacr an antir les volont s de renoncement et d asc se si bien int gr es La sagesse dionysienne dirait l impertinence de l loge s culaire de la f
109. ne de ce nom sait qu il ne saurait y avoir concurrence entre les deux registres mais compl mentarit Tant de raisons devraient inviter sacrer le 25 d cembre f te de la f te pr texte festins La raret des comm morations serait compens e par l instauration d autres occasions Ainsi prendraient corps les moments embl matiques de la philosophie les melons qui peuplent les r ves de Descartes la pomme qui enseigna la th orie de l Attraction Charles Fourier ou l omelette qui fut la perte de Condorcet La di t tique est une modalit s rieuse du paganisme sinon de l ath isme et de l immanence Toute transcendance est cong di e au profit d une volont de soi La Mettrie L Art de jouir d originale p 56 La Mettrie L Homme Machine Deno l Gonthier p 100 101 et 137 3 Descartes le scandaleux p 105 et Baillet Elisabeth et Robert Badinter Condorcet sur sa fin comme gnomon du r el Plus de risques d ali nation avec un quelconque recours l en dehors ou l au del Il n est d ailleurs pas tonnant qu ind pendamment du mot et des s ries multiples d interpr tations qu il a impliqu es ce soit Ludwig Feuerbach que l on doive le c l bre L homme est ce qu il mange Dans ses Manifestes philosophiques il crit Ob is aux sens L o commencent les sens cessent la religion et la philosophie Et l commence la vie pourrait on ajouter Ailleurs il affir
110. nomique L aliment acc de au statut symbolique et s int gre dans l entreprise cynique nihiliste Lucien de Samosate fait dire Diog ne Notre fa on de penser est la censure des autres hommes et plus loin Je ne fais que ce qui me pla t je n ai de soci t que celle qui m est agr able C est pourquoi il ne faut pas s tonner de voir le philosophe rentrer au th tre par la porte de sortie ou d ambuler reculons sous le portique Il r pondait ses contradicteurs Je m efforce de faire dans ma vie le contraire de tout le monde La chair crue le go t provocateur du sang l anthropophagie revendiqu e la vie frugale et les repas exhib s sur l agora tout cela t moigne d une puissante volont de nihilisme moment n gatif soutenu par une volont asc tique moment positif de la logique cynique Dans cette optique la nourriture a pour fonction d illustrer la revendication naturelle de fournir des arguments immanents elle exprime le refus d un monde celui de l artifice en m me temps que le d sir d un autre celui de la simplicit Diog ne et son poulpe montrent qu il ne saurait y avoir de di t tique innocente L once Paquet Les Cyniques grecs Ottawa p 94 Voir la magistrale analyse de Marie Odile Goulet Caze L Asc se cynique Un commentaire de Diog ne La rce VI 70 71 Vrin Sophocle Antigone Prologue Garnier Flammarion p 70 Lucien de Samosate op cit 18
111. non La Nature pourvoit aux besoins de l enfant et dans les femelles de toute esp ce la nature change la consistance du lait selon l ge des nourrissons L alimentation de la nourrice sera saine une paysanne est pr f rable car elle mange moins de viande et plus de l gumes que les femmes de la ville ce r gime v g tal para t plus favorable que contraire elles et leurs enfants Quand elles ont des nourrissons bourgeois on leur donne des pot au feu persuad que le potage et le bouillon de viande leur font un meilleur chyle et fournissent plus de lait Je ne suis point du tout de ce sentiment crit Rousseau et j ai pour moi l exp rience qui nous apprend que les enfants ainsi nourris sont plus sujets la colique et aux vers que les autres Pour argumenter l auteur pr cise que la viande est sujette putr faction au contraire des aliments v g taux Le lait bien qu labor dans le corps de l animal est une substance v g tale son analyse le d montre et le philosophe de donner des arguments de chimiste Le lait des femelles herbivores est rempli des qualit s qui font d faut celui des femelles carnivores il est doux sain et b n fique Dans son apologie de la voie lact e Rousseau vante les m rites du lait caill II s appuie pour l occasion sur des r cits de voyage qui rapportent l existence de peuples enti rement nourris aux laitages Enfin dans l estomac le lait se cai
112. ns d tournement des r f rences classiques en quelque sorte une transmutation des valeurs musicales le m lange de saveurs inhabituelles charcuterie et caf l utilisation de produits traditionnellement exclus de l alimentation eau de Cologne Les mariages di t tiques de Marinetti se veulent r volutionnaires ils actualisent nous verrons dans quelle mesure il ne s agit que de r actualisation des couplages inattendus Ainsi de l association de bananes et d anchois de sucr et de sal La formule de l Eveillestomac propose ainsi de disposer une sardine sur une tranche d ananas dont on recouvrira le centre d une couche de thon surmont d une noix De m me du m lange des viandes et des poissons Fillia d crit ainsi des Truites immortelles faire frire l huile d olive des truites farcies de noix hach es que l on enveloppera ensuite dans de tr s fines tranches de foie de veau Enfin la cuisine futuriste ne recule pas devant la confusion des ordres hors d uvre et dessert en une Glace simultan e constitu e de cr me glac e et de petits morceaux d oignons crus Ultimes provocations des modernistes la transgression le go t du subjectivisme pur Ainsi du Veau ivre dont voici la formule Remplir un morceau de veau cru avec des pommes pluch es des noix des oignons des t tes d illet Cuire au four et servir froid dans un bain d asti spumante ou de passito de lipari De
113. oir ici les limbes du projet originel fondateur de toute biographie et partant le postulat partir duquel le reste de sa vie a t construit Reprenant son compte l viction qu on lui signifiait Sartre se fit crabe En guise de conclusion sa vie on pourrait citer Tout d un coup j ai perdu mon apparence d homme et ils ont vu un crabe qui s chappait reculons de cette salle si humaine pr sent l intrus d masqu s est enfui la s ance continuef Sartre poursuivi par une langouste c est le marcheur rejoint par son image son ombre on ne m prise pas impun ment les coquillages m fiez vous d un homme qui manque d gards au homard 1 Id L tre et le N ant p 690 Ibid p 695 3 Ibid p 706 707 4J P Sartre Les Mots p 114 Voir La Naus e p 117 118 6 Ibid p 146 Conclusion Le gai savoir alimentaire reint s fourbus et nourris sati t les six philosophes cess rent leur banquet abandonnant derri re eux les reliefs d un repas signifiant Diog ne rappela qu on ne pouvait faire de la nature un principe directeur sans appr hender la nourriture de mani re cons quente Brandissant un poulpe bout de bras il dit nouveau l exigence cynique du simple le refus de l labor du complexe et de la civilisation Arrosant d un grand jet d urine comme son confr re rencontr au banquet de Lucien de Samosate tous les feux qui passaient sa port
114. oir manger pour Rousseau La r ponse est simple savoir manger c est consommer simple et rustique n accepter que les mets ne n cessitant aucune pr paration ou tout du moins un appr t minimal Pour illustrer son propos Rousseau compare et oppose la table d un financier celle d un paysan Le menu du terrien du pain bis qui vient du bled recueilli par ce paysan son vin est noir et grossier mais d salt rant et sain et 1 Ibid 2 IV p 409 du cru de sa vignet L authenticit est signal e par l conomie des transactions entre le lieu qui produit les aliments et la table o ils sont consomm s Le transfert du producteur au consommateur est la seule op ration susceptible d tre tol r e On ne sait ce que fut le repas de l homme d argent Tout du moins peut on l imaginer lorsque le pr cepteur d mile pose un matin cette question son l ve id al O d nerons nous aujourd hui Autour de cette montagne d argent qui couvre les trois quarts de la table et de ces parterres de fleurs de papier qu on sert au dessert sur des miroirs Parmi ces femmes en grand panier qui vous traitent en marionnettes et veulent que vous ayez dit ce que vous ne savez pas Ou bien dans ce village deux lieues d ici chez des bonnes gens qui nous re oivent si joyeusement et nous donnent de si bonne cr me mile choisira l excellence les rago ts fins ne lui plaisent pas et il aime fort les bons fruits
115. omac dut effectivement trouver son compte aux laitages l apport des l gumes secs n est pas pour faciliter les digestions Quant la charcuterie il semble en faire son deuil moins 1 Id Ecce Homo p 39 2 C P Janz op cit t IIl p 274 3 Ibid p 37 tC P Janz op cit t Il p 245 5 Ibid t IN p 113 par souci di t tique que parce que les salaisons sont infectes et d plorables Le manque d argent lui interdit toutefois les repas copieux qu il souhaiterait Pauvret et d labrement physique faisaient une n cessit bien paisse et r duisaient d autant la latitude des choix Le manque de viande est ce qui le contrarie le plus Sils en ao t 1887 il passe ses quartiers d t l Albergo d Italia et mange une demi heure avant tout le monde pour viter le bruit caus par la centaine de pensionnaires dont de nombreux enfants sa m re il dit son refus de se laisser gaver en masse Je mange donc seul chaque jour un beau bifteck saignant avec des pinards et une grosse omelette fourr e la marmelade de pommes Le soir quelques petites tranches de jambon deux jaunes d ufs et deux petits pains et rien de plus Le matin cinq heures il se confectionne une tasse de chocolat Van Houten se recouche pour se r veiller une heure plus tard et avaler un grand th La charcuterie persiste pourtant une place de choix dans sa correspondance jambon fa on wieloise ou
116. ont on m ne son existence soit mais aussi mani re de r ver son corps de fantasmer l avenir d associer l aliment et le r el dans la futurition Il ny a pas de di t tique innocente Elle renseigne sur la t Ludwig Feuerbach Manifestes philosophiques 10 18 p 301 2 Id Pens es diverses p 327 et 336 3 No lle Chatelet Le Corps corps culinaire Seuil Diog ne de Sinope Lettre Monime XXXVII 46 Jean Fran ois Revel Un festin en paroles Livre de Poche Michel Foucault L Usage des plaisirs Gallimard p 111 7 Ibid p 115 volont d tre et de devenir sur les cat gories arch typales d une vie d une pens e d un syst me et d une uvre D o l int r t de parcourir ce chemin dans l histoire de la philosophie parmi les doctrines et les livres pour acc der d une mani re plus oblique et inhabituelle aux id es L aliment comme fil d Ariane pour ne pas se morfondre ni se perdre dans un labyrinthe L art de manger c est l art in fine Foucault crivait La pratique du r gime comme art de vivre est toute une mani re de se constituer comme un sujet qui a de son corps le souci juste n cessaire et suffisant thique et esth tique confondues la di t tique devient science de la subjectivit Elle montre qu il peut y avoir une science du particulier comme rampe d acc s l universel La nourriture comme argument perforateur du r el Elle est enfin un biais pour la construct
117. ors qu il analyse le sexe qui aspire engloutit absorbe et treint La parent des deux orifices est ainsi soulign e Sans aucun doute le sexe est la bouche et bouche vorace qui avale le p nis Peut on sans encombre inverser les termes de la proposition et voir dans toute bouche un sexe si les fac ties de la syntaxe autorisent pareille formulation Vraisemblablement Fort de ce que Simone de Beauvoir raconte de Sartre on peut all grement progresser sur la voie de la compr hension de la di t tique sartrienne L quivalence pos e entre les choses du sexe et celles de la bouche on peut saisir l cho contenu dans la phrase de sa compagne qui pr cise L acte sexuel proprement dit n int ressait pas particuli rement Sartre Dans La Force de l ge elle crit Je reprochais Sartre de consid rer son corps comme un faisceau de muscles stri s et de l avoir amput de son syst me sympathique L usage que Sartre fit de son corps trahit sans ambages le m pris de soi et le refus de la chair Le philosophe s inscrit bien on pourrait dire son corps d fendant dans la tradition platonicienne de l excellence des Id es des choses de l esprit et du d go t pour le corps assimil un tombeau une bo te mal fique contenant le principe d excellence Intellectuel lunaire le philosophe existentialiste volue en plein d faut d hygi ne Rien n est plus porteur de sens que cet abandon de soi aux al as de
118. osophique sensualiste et litt raire Condillac et Maine de Biran ne sont pas loin L analyse du gastronome mobilise des savoirs multiples physiologie m decine chimie hygi ne parfois g ographie ou morale Avec lui est ouverte l re des crivains dont la nourriture est l objet Soit Mais c est aussi celui par lequel le plaisir ne s affiche plus comme honteux L eud monisme est le pari vident de son ouvrage il n a de cesse de convaincre de l excellence de la jouissance il en fait la th orie la logique et la po tique Go teux beau fr re de Charles Fourier il est le philosophe qui ose penser les sens et plus particuli rement le go t Avant lui on est en mesure de se demander si les philosophes ont un nez et un palais si parfois m me ils ne sont pas de simples machines d pourvues de sens insens es donc automates la Vaucanson sans plus d ardeur que celle des rouages et des m caniques Brillat Savarin est l h ritier d une tradition plut t discr te bien qu efficace celle des sensualistes des libertins des picuriens du Grand Si cle des mat rialistes Il ouvre aussi des perspectives sur une modernit vidente S il fallait quelques noms force serait de citer Ludwig Feuerbach Arthur Schopenhauer ou Fr d ric Nietzsche tous trois contempteurs du dualisme spiritualisme mat rialisme mais tous trois promoteurs d une logique immanente soucieuse d int grer les forces les puissances et la vitalit d un
119. our supprimer et pr venir les accidents morbides les l vres ferm es et autres d tails pittoresques En mati re d alimentation croire son app tit r p ter r guli rement son emploi du temps alimentaire viter les liquides en abondance les soupes et pr f rer l ge venant une nourriture plus forte et des boissons plus excitantes par exemple du vin afin de stimuler ad quatement le mouvement vermiforme des intestins et 1 Ibid p 52 Ibid p 48 3 Kant Le Conflit des facult s Vrin p 121 Ibid 5 Kant Essai sur les maux de t te II 266 6 Cf Kant Essai sur les maladies mentales 7 Kant Le Conflit des facult s p 127 le syst me circulatoire Ne pas c der imm diatement son d sir de boire de l eau Pr f rer un seul repas par jour le midi afin d conomiser le travail intestinal Ainsi l on peut tenir le d sir de d ner apr s un repas de midi suffisant pour un sentiment morbide que l on peut ma triser par une ferme r solution de telle fa on que peu peu l atteinte n en est m me plus ressentie t Kant illustrait ainsi l id e selon laquelle le sto cisme comme principe de la di t tique sustine et abstine appartient non seulement la philosophie pratique comme doctrine de la vertu mais aussi comme science de la m decine Par suite celle ci est philosophique condition que seule la puissance de la raison en l homme puissance de ma
120. parent herbivore et pacifique par la m me occasion L quation rousseauiste est simple carnivores guerriers contre v g tariens pacifiques Dans sa g n alogie de la civilisation il Va jusqu faire du passage de l tat de frugivore celui de carnassier le moment du passage de l tat de nature la civilisation Car la proie tant presque l unique sujet de combat entre les animaux carnassiers et les frugivores vivant entre eux dans une paix continuelle si l esp ce humaine tait de ce dernier genre il est clair qu elle aurait eu beaucoup plus de facilit subsister dans l tat de nature beaucoup moins de besoin et d occasions d en sortir Mais pourquoi ladite esp ce est elle devenue carnivore culturellement plut t que de rester v g tarienne naturellement si la Nature est ce point pourvoyeuse de perfection Silence toujours embarrass du penseur Une autre preuve du v g tarisme naturel chez les hommes les esp ces qui se nourrissent de v g taux ont des port es moins fr quentes que celles qui s alimentent avec des viandes Les humains sont parmi les plus longs porter leurs prog nitures la preuve est faite de leur collusion avec les herbivores Dans la logique de Rousseau si le mouvement naturel est bon parce qu il faut faire confiance la dynamique de l instinct comment peut on expliquer l existence de peuples mangeurs de chair crue Dans son Essai sur l origine des langues Rousseau a
121. portement se transformera au fur et mesure que les modes alimentaires se succ deront D une g n alogie alimentaire du r el Toujours aussi afflig de mutisme quand il s agit de dire pourquoi une Nature parfaite et bonne est condamn e voluer vers l imperfection et le mal Rousseau brosse un tableau hypoth tique d une origine de la civilisation Le nomadisme fait place la s dentarit la famille remplace les individus solitaires Le groupe est n et avec lui une nouvelle approche de l aliment L homme devient l instrument de la qu te alimentaire la femme reste au foyer garde les enfants et pr pare les aliments Dans cette division primitive du travail le m le persiste dans un nomadisme d occasion la femelle est condamn e la s dentarit absolue Les sentiments voluent le langage fait son apparition l organisation rationnelle de l intersubjectivit est en germe L in galit approche Le virage tragique est effectu avec l invention de la m tallurgie et de l agriculture Les premiers instruments forg s permettent la culture des l gumes ou racines autour des habitations La nourriture joue un r le non n gligeable dans l conomie rousseauiste du r el Les activit s aff rentes la nourriture exigence vitale rel vent de castes les hommes qui travaillent la terre Alors qu ici on produit l outil l on produit l aide dudit outil de quoi assurer la subsistance Les uns sont m me de
122. que de la nutrition Absent chez les fanatiques d extase il est on ne peut plus pr sent chez les jouisseurs La g ographie du colombin telle qu elle appari t dans Les Cent Vingt journ es de Sodome est ce titre expressive Le lieu commun qui veut que les extr mit s finissent par se rejoindre se v rifie si l on met en parall le les exp riences gnostiques ou religieuses de sainte Marguerite Marie et celles de Sade Laissons No lle Chatelet le soin d un catalogue Au fil des pages on note avec une g ne grandissante la succession d ingestions inattendues qui vont de celles du mangeur de morve celles du mangeur d embryon en passant par l avaleur de salive de pus de sperme de pets de menstrues de larmes de rots de nourritures pr m ch es et de vomi Rien ne se perd Parmi les invit s au banquet y a t il omnivore capable de rivaliser Diog ne peut tre Il est vrai que l on retrouve chez le marquis un souci de manger diog nien non pas tant naturel que contre culturel anticulturel L interdit alimentaire est transgress au profit d une ingestion libertaire Rien ne contient ni ne limite les possibles Au royaume festif sadien rien n est interdit D o dans cette optique la coprophagie le meurtre ou le cannibalismef D o galement les pratiques vampiriques et autres mises en sc ne d volues la satisfaction du d sir h matophage D o enfin la consommation de petites filles r ties ou en
123. quel notre grand et glorieux chef d uvre c est de vivre propos Le cynique est profond ment anim du d sir de r soudre le probl me de l existence de mani re esth tique Sa volont est architectonique plut t l all gresse d une vie plac e sous le signe de la jouissance pure du plaisir simple que le d sespoir d un quotidien soumis la r p tition l identique un interlocuteur qui lui disait que vivre est un mal Diog ne r pondait Non mais mal vivre Le philosophe au tonneau bien que l amphore fut plus pertinente le tonneau est une invention gauloise va faire un usage p dagogique des aliments La cl de vo te de l difice th orique cynique est l affirmation de la sup riorit absolue de l ordre naturel sur tout autre La civilisation est un auxiliaire de perversion elle filtre l innocence positive et cristallise la corruption sur le r el transform en objet hideux autour duquel gravitent interdits scandales et complexes L artifice est bannir Le projet de Diog ne est le retour une sauvagerie premi re et la nutrition est marqu e par cette volont Sur le plan th orique et dans leur pratique quotidienne t Hegel Le ons sur l histoire de la philosophie Vrin t 1 p 371 Ibid p 378 3 Nietzsche Par del le bien et le mal 10 18 p 148 Id Ecce Homo Id es Gallimard p 89 Ibid p 67 Selon Platon Diog ne La rce Vie doctrin
124. ques trop complexes Pour cong dier les bruits inutiles Marinetti proscrit l loquence le bavardage et la politique table Tous les efforts doivent tre concentr s sur les sensations L intellection et ses usages labor s n ont aucune pertinence en pareilles occasions Science du rythme la po sie pourra remplir un office identique celui de la musique Qu on songe la ectio dans les r fectoires de monast res Enfin la stimulation du go t se fera par la cr ation de bouch es simultan es et changeantes contenant dix vingt saveurs go ter en quelques instants Ces bouch es auront dans la cuisine futuriste la fonction d amplification par analogie qu ont les images dans la litt rature telle bouch e pouvant r sumer toute une tranche de vie le d roulement d une passion amoureuse ou un voyage en Extr me Orient La th orie marinettienne int gre comme on pourrait s en douter les acquis de la science d alors Ainsi les cuisines doivent elles s ouvrir aux instruments modernes ozonisateurs qui donneront aux aliments liquides et solides le parfum de l ozone symbole des grands espaces travers s par les avions auxquels Marinetti vouait un culte tout particulier lampes ultraviolets qui enrichissent en les activant les nourritures expos es dont les qualit s nutritives sont ainsi d multipli es toujours le souci de rentabiliser des lectrolyseurs qui isolent des aliments les propri t s essentielles et pe
125. qui cherchaient s en nourrir et nombre d autres ennuis oblig rent l homme une adaptation D o la naissance de l agilit de la force et de la vigueur Silencieux sur le moteur de l volution qui conduit tragiquement l irr m diable la civilisation le philosophe d crit la nature dialectique du mouvement qui conduit l labor La rudesse des saisons la disparit des climats les imp ratifs g ologiques et g ographiques incitent l initiative les hommes qui vivent pr s des rivi res inventent l hame on la p che et se rendent ma tres et possesseurs des cours d eau des lacs des tangs et des mers Ils devinrent p cheurs et ichtyophages Dans les for ts ils se firent des arcs et des fl ches et devinrent chasseurs et guerriers le 1 Ill p 15 2111 p 79 III p 95 4111 p 164 5 II p 134 6 III p 165 tonnerre un volcan ou quelque heureux hasard leur fit conna tre le feu Ils apprirent conserver cet l ment puis le reproduire et enfin en pr parer les viandes qu auparavant ils d voraient crues Retenons que le cru est un fait de nature et le cuit un fait de civilisation Rousseau saura l oublier pour les besoins de sa d monstration Nul doute chez le penseur suisse l volution peut se lire de mani re alimentaire de la cueillette la p che et la chasse du cru au cuit des baies aux poissons et viandes crus puis appr t s Le com
126. r ce faire il faut dire quelques mots des spermatophages et de leurs fr res en table les f tophages Epiphane l v que de Pavie V si cle apr s J sus Christ raconte que pour g rer les grossesses non d sir es les gnostiques r cup raient les f tus avec les doigts les pilaient dans une sorte de mortier y m langeaient du miel du poivre et diff rents condiments ainsi que des huiles parfum es Le repas se faisait ensuite en commun et la nourriture tait consomm e avec les doigts Lointains parents eux aussi des Indiens Guayaki visit s par l ethnologue Pierre Clastres qui a d crit le plaisir pris par eux sucer les pinceaux imbib s de la graisse humaine qui suinte des brasiers o grillent les corps morts Lydia Flem La Vie quotidienne de Freud et de ses patients Hachette Voir tout de m me les pages 238 240 sur Freud les vins les baies sauvages les artichauts les asperges et les pis de ma s No lle Chatelet intervention sur Sade au Colloque de Cerisy Voir les Actes 3 Andr Castelot L Histoire table Plon Perrin p 42 Claude L vi Strauss Tristes Tropiques Plon gt Jacques Lacarri re Les Gnostiques Id es Gallimard p 105 Jacques Lacarri re Les Gnostiques Id es Gallimard p 105 Ni agueusiques ni originaux il faut dire quelques mots de ceux qui auraient pu r vons un peu modifier le rituel du 25 d cembre et faire de telle sorte qu on ne f te plus
127. r par tous les pores de la peau Le corps est la seule voie d acc s la connaissance Grimod de La Reyni re a fort bien montr qu il n y a de g ographie sans ennui que gourmande Les d go ts de l existence s vaporent lorsque l on se retrouve entre amis autour d une table Je suis familier de quelques unes qui toutes r p tent l envi qu une gastronomie c est un style il y a lamie lunaire qui calcine ses pigeons celle originale qui acclimate tous les continents ses fourneaux ainsi des fondues chinoises ou des poissons crus japonais celui qui Parisien converti la campagne s est fait le sp cialiste des viandes en sauce du navarin au b uf carottes Il y a aussi l amie t tue qu un mode d emploi de bo te de conserve d route et qui s vertue manquer les recettes les plus simples ou celui qui fabrique ses plats comme des jardins zen ou des architectures sovi tiques L un pr f re le vin de paille l autre le cru p riph rique d un grand bourgogne L un arrose le tout de cidre ou de poir l autre lu local affili un parti plut t tourn vers l Est accompagne ses foies gras de Hongrie avec des vins imbuvables des diff rents pays de la communaut sovi tique Et combien de confits mijot s au micro onde et de poissons presque lyophilis s par trop d ardeur sur les br leurs Pour effrayer tout ce monde l il m est venu l impertinente et mauvaise id e d un infarctus en fin d ann e 1987 Ce trait d
128. re et le N ant p 721 722 Voir aussi Cahiers pour une morale Gallimard 1983 p 330 l d autres moyens que la mort On peut toujours sortir d une prison Les r volutionnaires de 1793 n ont probablement pas assez tu Du moindre danger de l thylisme La consultation m dicale de 73 avait aussi fait appara tre une anoxie une asphyxie du cerveau L tat des art res et des art rioles tait lamentable L alcool y tait pour beaucoup le tabac galement Dans L tre et le N ant Sartre propose une petite th orie du tabac fumer c est pratiquer un c r monial th traliser des gestes ritualiser C est aussi une r action appropriative destructrice Le tabac est un symbole de l tre appropri puisqu il est d truit sur le rythme de mon souffle par une mani re de destruction continu e qu il passe en moi et que son changement en moi m me se manifeste symboliquement par la transformation du solide consomm en fum e Ce sacrifice cr matoire comme le nomme Sartre est sa dimension le jeu d un sacrifice entier de l humanit une destruction appropriative du monde entier travers le tabac que je fumais qui se r sorbait en vapeur pour rentrer en moit Fumer manger sont deux modes d une m me logique Mais le tabac semble un substitut pratique de l aliment substitut magique inconsistant vanescent presque neutre en saveur tant son pouvoir est astringent sur les papilles gustativ
129. re extr mement utile pour des raisons di t tiques de s abstenir quelque temps de viande Mais pourquoi selon les mots de G the en faire une religion ainsi que le comportent in vitablement toutes les fantaisies de ce genre Lorsque l on est m r pour le r gime v g tarien on l est g n ralement pour la mac doine socialiste C P Janz le biographe de Nietzsche ne comprend gu re le rapprochement sinon qu l poque o le philosophe crit cette lettre de B le septembre 1869 la ville accueille le IV Congr s de l Association internationale des travailleurs et Bakounine Il n en est rien En fait le v g tarisme a son repr sentant illustre en Rousseau il en fait le r gime alimentaire le plus proche de celui que conna t l homme primitif L auteur de l mile met d ailleurs en garde les carnivores Il est certain que les grands mangeurs de viande sont en g n ral cruels et f roces plus que les autres hommes D o l quation viande force cruaut l gumes faiblesse douceur qui induit une partition en forts et faibles en aristocrates lites et d mocrates socialistes La di t tique nietzsch enne est science de la mesure ni exc s riz pommes de terre ni carences viandes et proscriptions alcools excitants de quoi promouvoir une harmonie une ad quation entre la n cessit et usage hygi nique C est pour avoir m connu ces r gles l mentaires de la nutrition que les m
130. reille aune le philosophe est discr dit Jamais Nietzsche ne mettra en pratique la di t tique qu il th orise Au bord de la folie il crivait dans son dernier texte Je suis une chose ce que j cris en est une autre La di t tique nietzsch enne est en fait une vertu r v e un souci fantasm une conjuration de l ingestion susceptible de devenir indigestion L aliment est l analogon du monde Faute d avoir t po tique effective la rh torique nietzsch enne de la nutrition reste une esth tique de la liaison harmonieuse entre le r el et soi mais une esth tique r v e l encore Le r gime alimentaire rel ve galement d une volont de produire son corps de d sirer sa chair Devant la n cessit pure de la dysharmonie Nietzsche ne pouvait pas conomiser une volont aussi prometteuse la transparence de l organisme la fluidit des m canismes la l g ret de la machine La di t tique nietzsch enne est une dynamique essentielle de la confusion de l thique et de l esth tique l un des beaux arts dont la finalit est le style du vouloir Elle est un auxiliaire de l exercice jubilatoire de soi tout du moins de l effort vers l all gresse Art de soi conjuration de la n cessit technique de l immanence elle vaut comme logique th orique et comme volont d ennoblissement du corps par un style de vie noble De quoi donner forme Dionysos quand le Crucifi persiste en remugles Du gai savoir
131. rience dans la mesure o cet tat r sulte de la Ibid p 1056 2 Op cit p 174 3 Wasianski art cit p 128 Borowski art cit p 16 consommation d mesur e d un breuvage C est aussi un moyen corporel de stimuler l imagination de l accro tre ou tout du moins d en exacerber le sentiment Les instruments de cette divine alchimie les boissons ferment es vin ou bi re ou l esprit qui en est extrait l eau de vie toutes ces substances tant contraires la nature et artificielles Kant conc de que ces techniques de l oubli de soi permettent d chapper un monde trop rude oublier le fardeau qui semble r sider originairement dans la vie m me Le philosophe th orise les effets obtenus ivresse taciturne par l eau de vie stimulation par le vin nutrition par la bi re ces ingestions servent la griserie conviviale avec toutefois cette diff rence que les beuveries de bi re sont plus port es s enfermer dans le r ve et bien souvent frustes alors que celles du vin sont gaies bruyantes et d une spirituelle prolixit D crivant les sympt mes de l bri t qu il a pu observer tituber bredouiller Kant condamne l ivresse au nom des devoirs envers la soci t et envers soi m me sans omettre un codicille temp rant Mais on peut all guer bien des arguments pour att nuer la rigueur du jugement tant il est facile d oublier et de franchir la limite
132. rigidit mettre au compte du christianisme Un savoir ath e est une sapience esth tique La confusion d une science de l agir et de l art de vivre invite cette di t t h ique soucieuse d eud monisme Destin e la putr faction et l clatement en fragments multiples la chair n a de destin que dans l ant riorit la mort Le m susage du corps est une faute qui contient sa sanction en elle m me on ne rattrape pas le temps perdu Fin
133. ris e par une conomie de raret de manque et de d faut l Harmonie quant elle est riche d une conomie du superflu d exc s et d abondance La p nurie est cong di e au profit d une production pertinente susceptible de r pondre aux besoins de l Ordre soci taire La logique productive de la Civilisation est volontairement aveugle elle ignore dessein la demande sous ses formes aussi bien qualitatives que quantitatives L o les modernes ne peuvent que constater l cart creus entre l offre inappropri e et la demande insatisfaite les harmoniens n ont que l embarras du choix La surabondance deviendra le fl au p riodique comme aujourd hui la disette Ainsi pour assurer la consommation de leur superflu ils seront oblig s de descendre aux d tails de convenances individuelles diff renci es selon les temp raments th orie qui exige le concours de quatre sciences chimique agronomique m dicale et culinaire La gestion de cette production se fera par une cat gorie particuli re de savants les gastrosophes Le gastrosophe est avant tout un vieillard il aura pass quatre vingts ans et montr plusieurs reprises son excellence dans les domaines qui constituent sa discipline Di t ticien agriculteur m decin sage et go teur m rite c est lui qui d cide en mati re de nourriture lors de conciles pr vus cet effet Les gastrosophes deviennent m decins officieux de chaque individu
134. rmettent la synth se de sucs qui combin s donneront des substances nouvelles aux go ts r volutionnaires des moulins collo daux qui illustrent l entr e dans les cuisines des arguments machinistes modernes ces instruments faciliteront la pulv risation des farines des poudres des pices des fruits secs ces nouvelles technologies domestiqu es des fins culinaires il faudra associer des distillateurs pression normale ou vide des autoclaves centrifuges des dialyseurs des indicateurs chimiques pour obtenir la pr cision des acides et des bases dans les compositions alimentaires Toute cette th orie para t le 28 d cembre 1930 dans la Gazzetta del Popolo de Turin Marinetti y concentre l essentiel de son programme et des moyens pour le r aliser Deux imp ratifs cat goriques s en d gagent avec vidence susciter simultan ment les cinq sens pour produire l ingestion plaisante et int grer les technologies modernes dans ce processus gastronomique le projet tant de construire des plats comme on labore des uvres d art Nombre de banquets ont permis la r alisation de ces principes futuristes D s 1910 Trieste la premi re soir e futuriste fut l occasion d intervertir l ordre des plats Le premier repas en tant que tel est contemporain des th ories et des manifestes Les plats sont nomm s de mani re po tique Roland Barthes a mis en vidence l existence d une langue singuli re d une rh torique inventive
135. robl me de la nourriture alors que les d veloppements contenus dans L tre et le N ant ne l ignorent pas Dans le ma tre ouvrage de Sartre l alimentation fait son apparition sous la forme d une analyse ph nom nologique en bonne et due forme La tendance remplir est certainement une des plus fondamentales parmi celles qui servent de soubassement l acte de manger la nourriture c est le mastic qui obturera la bouche manger c est entre autres choses se boucher En jargon philosophique la traduction est la suivante Boucher le trou c est originellement faire le sacrifice de mon corps pour que la pl nitude d tre existe c est dire subir la passion du Pour soi pour fa onner parfaire et sauver la totalit de l En soi Boucher les trous c est aussi bien manger que copuler et si Sartre n h site pas parler de l obsc nit du sexe f minin il ne dit rien de d finitif sur la bouche qui mange distingue les 1 Simone de Beauvoir La C r monie des adieux suivie de Entretiens avec J P Sartre ao t septembre 1974 Gallimard 1981 p 422 Ibid 3 Ibid p 422 423 4 Voir les analyses de Suzanne Lilar propos de Sartre et de l amour Grasset J P Sartre Les Carnets de la dr le de guerre Gallimard 1983 p 187 Ibid p 191 7 Id L tre et le N ant Gallimard 1948 p 705 Ibid p 706 saveurs associe les parfums d cante les substances al
136. rofonde m ditation une d cision importante Le Guerrenlit qualifiera une polyboisson f condatrice la Paix en lit une polyboisson somnif re et le Viteau lit une polyboisson hivernale r chauffante polyboisson valant pour cocktail Enfin les r alisations culinaires sont nomm es de mani re vocatrice la po tique des menus est suggestive Un Bombardement d Adrianopolis met en sc ne ufs olives c pres anchois beurre riz lait savamment associ s puis frits apr s formation en boule et passage dans la chapelure Le go t des futuristes pour l aviation est manifeste dans nombre de formules Vrombissements au d collage d j rencontr risotto de veau l orange avec marsala Fuselage de veau tranches de veau accroch es un fuselage compos de marrons oignons cuits recouverts de cacao A roport piquant salade russe mayonnaise l gumes verts petits pains fourr s l orange fruits anchois sardines le tout dispos en un champ de verdure sous la forme d coup e de silhouettes d a roplanes et autres A roplane libyen R ticul s du ciel Atterrissage digestif Avec de la pur e de marrons bouillis dans de l eau sucr e et des b tons de vanille former montagnes et plaines Au dessus composer avec de la glace couleur d azur des strates d atmosph re sillonn es d a roplanes en p te bris e inclin s vers le bas Parfois lon songe a
137. rps avec les l ments porteurs de l g ret d inviter la danse Pour une g n alogie du dieu des forces obscures Apollon n est pas inutile Le souci di t tique est apollinien il est l art du sculpteur de soi de la force plastique et de la ma trise mesur e Il est dialectique subtile de la sobri t de l nergie contenue et auxiliaire de jubilation Le dionysisme est alchimie puissante avec lui l homme n est plus artiste il est lui m me uvre d art La di t tique est m taphysique de l immanent ath isme pratique Elle est aussi l incarnation du principe d exp rimentation fondateur des logiques alcyoniennes le corps est mobilis pour une esth tique nouvelle de la connaissance La gastrosophie nietzsch enne est passage ouverture sur de nouveaux continents Nietzsche Ecce Homo Id es Gallimard p 58 2 Id Le Gai Savoir 8 299 Id Ecce Homo p 36 id Le Gai Savoir 8 2 Id La Naissance de la trag die Id es Gallimard p 26 Dans Le Gai Savoir Nietzsche invite les penseurs pr occup s de questions morales les laborieux reconsid rer leurs domaines d investigation Il constate d abord que jusqu ce jour rien de ce qui donne de la couleur l existence n a encore eu son histoire Rien sur lamour la cupidit l envie la conscience la pi t la cruaut Rien sur le droit et les peines sur la division des journ es et la logique des emplois du temps Rien sur
138. s Poursuivant sa r flexion Sartre dit C est de la nourriture enfouie dans un objet et qu il faut extirper C est surtout cette notion d extirper qui me d go te Le fait que la chair de la b te est tellement calfeutr e par la coquille qu il faut utiliser des instruments pour la sortir au lieu de la d tacher enti rement C est donc quelque chose qui tient au min ral Dans son appr hension du coquillage Sartre ne peut dissocier l aliment de sa qualit une forme quasi v g tative de l existence qui ne cache pas sa parent avec le glaireux le visqueux pour lesquels il a tant manifest de r pugnance Dans l hu tre la coque ou la moule il distingue de l organique en train de na tre ou qui n a de l organique que ce c t un peu r pugnant de chair lymphatique d trange couleur de trou b ant dans la chair Tr s t t Sartre posera les bases de ce qu on pourrait appeler sa m taphysique du trou dans Les Carnets de la dr le de guerre il d marque quelque peu les th ories freudiennes qui associent le trou la f calit la b ance et la jouissance Prosa quement il fait du trou le manque par excellence qui appelle le comblement Puis il disserte avec application pour montrer que le culte du trou est ant rieur celui de lanus et joue si l on peut dire loisir avec ce trou qui l occupe quelques pages durant En d cembre 1939 la m taphysique des trous pour l homme vite le p
139. s comme des rites tabous Aucune existence n acc de la beaut sans une mort la hauteur Celle de Diog ne n est pas sans rapport avec la nourriture Les traditions pr tent au philosophe plusieurs fa ons de prendre cong du monde L une pr tend qu il en aurait fini avec la vie en retenant volontairement sa respiration Ou de la ma trise L autre qu il aurait t victime d un chien m content de se voir disputer un poulpe cru Ou de l ironie du combat des chiens La derni re suppose qu il aurait eu raison de l animal et succomb d une indigestion apr s ingestion de son butin Ou de la punition des r gles alimentaires transgress es moins qu il ne s agisse d une fa on de rendre cons quentes les pratiques cyniques du ma tre Plutarque rapporte ainsi les faits Diog ne osa manger un poulpe cru afin de rejeter la pr paration des viandes par la cuisson au feu Alors que beaucoup d hommes l entouraient il s enveloppa de son manteau et portant la viande sa bouche il dit C est pour vous que je risque ma vie que je cours ce danger Peu avant de mourir il avait demand qu apr s son tr pas on le jette au dehors sans s pulture en proie aux b tes sauvages ou qu on le culbute dans Dion Chrysostome op cit VI 62 2 Diog ne de Sinope Lettre Monime XXXVII 46 Diog ne La rce op cit p 23 Ibid VI 61 Plutarque De esu carnium 6 995 quelque foss
140. s du dortoir nous invitaient errer dans les rues de la petite ville la recherche d un caf ouvert dix heures du soir en plein hiver nous toussions en avalant de travers nos premiers alcools forts le cointreau avait ma faveur Le bar de la m re d un de mes compagnons de fortune fut r guli rement mis contribution Elle avait la bonne id e de travailler pendant nos heures de libert Avec l Universit vint l poque des ivresses gratuites J ai le souvenir d une bacchanale au cognac avec un tudiant en philosophie qui partageait avec moi le m me ennui morne lors des deux heures hebdomadaires d pist mologie Abandonn s au campus en pleines vacances de No l en rupture de ban avec nos familles respectives nous avions liquid deux une bouteille subtilis e dans une grande surface de la ville Le geste tait politique bien s r car nous branlions ainsi les fondements de la soci t de consommation Apr s avoir rempli nos verres dents de cinq ou six morceaux de sucre et recouvert le tout par l alcool inf me et br lant puis plusieurs fois r p t l op ration nous avons sombr tr s rapidement dans une inconscience qui dura de longues heures et qui frisa le coma thylique La nourriture des restaurants universitaires faisait le quotidien et ajoutait nos mis res Sardines cassoulet bananes Les premiers succ s de facult furent le pr texte des f tes moins primaires plus styl es Je pris go t
141. s enfants l attraction elle les portera d abord la gourmandise aux partis cabalistiques sur la nuance de go ts une fois passionn s sur ce point ils prendront parti aux cuisines et du moment o les cabales gradu es s exerceront sur la consommation et sur la pr paration elles s tendront d s le lendemain aux travaux de production animale et v g tale travaux o l enfant cuisinera fort des connaissances et pr tentions closes tant aux tables qu aux cuisines Tel est engrenage naturel des fonctions De la sorte les enfants auront graduellement pris contact avec toutes les parties qui constituent cette science nouvelle qu est la gastrosophie Avec cette m thode un enfant de dix ans dans l Harmonie est un gastronome consomm capable de donner des le ons aux oracles gastronomiques de Paris Fourier naime pas ceux qui en Civilisation s improvisent savants dans la chose alimentaire Il r fute les pr tentions des gastronomes de la capitale qualifi s d avortons qui n ont jamais connu le premier l ment de la science dont ils pr tendent donner des le ons Dans l Ordre soci taire il ny a pas de castes jalouses de leurs pr rogatives artificiellement fabriqu es la cuisine se d mocratise le savoir gastronomique galement la confection savante et esth tique de plats devient plus ou moins la science de tout le monde Principe didactique d s l enfance la gastronomie est aussi un fragment majeur
142. s entraves de la gravit En des sens multiples la mort des p tes signifiera la renaissance du corps corps singulier et corps politique De la di t tique comme principe conomique La r volution alimentaire futuriste prendra en consid ration les vertus nutritionnelles et les besoins L conomie g rera les modalit s du boire et du manger dans l optique de la rationalisation Marinetti formulera cette exigence lors du repas servi La Plume d Oie Milan Son discours exprime les deux temps s par s par la transmutation copernicienne qu il op re avant les p tes apr s le riz avant la r p tition apr s l imagination L Italie fig e du pass contre l Italie mobile du futur Ainsi Je vous annonce le prochain lancement de la cuisine futuriste pour le renouvellement total du syst me alimentaire italien qu il est urgent d adapter aux besoins des nouveaux efforts h ro ques et dynamiques impos s la race La cuisine futuriste lib r e de la vieille obsession du volume et du poids aura d abord pour principe l abolition des p tes Les p tes m me si elles plaisent au palais sont une nourriture pass iste parce qu elles alourdissent parce qu elles abrutissent parce que leur pouvoir nutritif est illusoire parce qu elles rendent sceptique lent pessimiste Il convient d autre part d un point de vue patriotique de favoriser le riz Suivent un bouillon de roses et de soleil favori de la M diterran e zig zug za
143. s morbides L hypocondrie dont il se disait atteint est d finie plusieurs reprises dans son uvre Dans un Essai sur les maux de t te il crit L hypocondriaque souffre d un mal qui o qu il se trouve traverse vraisemblablement le tissu nerveux dans toutes les parties du corps Il en r sulte principalement une vapeur m lancolique qui se r pand dans l homme de sorte que le sujet s imagine avoir toutes les maladies dont il entend parler De m me dit il ailleurs de ce sujet qu il lui arrive d tre las de lui m me et du monde Un autre texte qu il consacrera aux maladies mentales lui fera d terminer le si ge de ces affections psychiques dans les organes de la digestion On comprend la disposition particuli re qu il manifestait l gard des consolations et des techniques ap ritives de l oubli de soi Le rigoureux ma tre de l imp ratif cat gorique est un hypocondriaque pessimiste d sireux d une consolation efficace Ainsi labore t il un syst me hygi nique dont le postulat est domine ta nature sinon c est elle qui te dominera Les principes en sont multiples et divers en mati re de chaleur Kant invite garder les pieds au froid et la t te au chaud en mati re de sommeil dormir peu le lit est un nid pour les maladies en mati re d instant propice penser au bon moment jamais table synchroniser les activit s de l estomac et celles de l esprit respirer au bon moment p
144. s un demi si cle de pr sence du premier le troublera au point de l emp cher d avaler une seule goutte de son breuvage d une ou deux tasses de th l ger Jusqu tr s tard il s interdira le caf dont il aimait pourtant l odeur Il y sacrifiera dans sa vieillesse pour ajouter un dynamisme qui lui faisait de plus en plus d faut dans ses derni res ann es R B Jachmann raconte Ses menus taient simples trois plats fromage et beurre L t il mangeait la fen tre ouverte sur son jardin Il avait un gros app tit et il aimait beaucoup le bouillon de veau et le potage l orge et au vermicelle sa table on servait des viandes r ties mais jamais de gibier Kant commen ait en g n ral ses repas avec du poisson il mettait de la moutarde presque dans chaque plat Il aimait fort le beurre ainsi que le fromage r p surtout le fromage anglais bien qu il pr tend t qu on le colorait artificiellement Quand les invit s taient nombreux il faisait servir des g teaux Il adorait le cabillaud J en mangerais disait il une pleine assiette m me en sortant de table Kant m chait longuement la viande pour n avaler que le jus Il rejetait le reste et s effor ait de le cacher sous des cro tes de pain dans un coin de son assiette Ses dents taient fort mauvaises et lui donnaient beaucoup de souci Il buvait un vin rouge tr s l ger en g n ral du m doc dont il mettait une petite bouteille pr s du couvert de
145. s une solution S il fut l lection de Wagner pendant quelque temps et d Hitler par la suite il ne correspond pas la volont de Nietzsche Pour lui le v g tarien est un tre qui aurait besoin d un r gime fortifiant un tre puis par les l gumes l o les autres le sont par ce qui leur fait du mal Toutefois par amiti pour Gersdorff Nietzsche exp rimentera quelque temps le tout l gume Dans une lettre son ami il s ouvre au pr alable de ses r serves La r gle que fournit l exp rience en ce domaine est la suivante les natures intellectuellement productives et anim es d une vie affective intense ont besoin de viande Tout autre r gime ne peut convenir qu aux paysans et aux boulangers qui ne sont que des machines dig rer Cependant afin de te montrer mon courage et ma bonne volont j ai jusqu pr sent observ ce r gime et je le ferai tant que tu ne Id Aurore 8 208 Ibid Ibid 8 171 Id Ecce Homo p 37 5 Id Le Cr puscule des idoles p 76 Id Ecce Homo p 38 7 Id Le Voyageur et son ombre Deno l M diations 8 98 Id Le Gai Savoir 8 145 Id Le Cas Wagner Id es Gallimard p 33 m auras pas donn toi m me la permission de vivre autrement Je te conc de que le r gime des auberges nous habitue un v ritable gavage aussi me refus je d sormais y prendre le moindre repas Je comprends tout aussi bien qu il puisse t
146. saveurs fortes et puissantes auxquelles on ne prend plaisir que contraint et forc par l habitude Il s oppose aussi aux mets compos s aux mixtes L aliment miracle et embl matique du pur du sain du vrai du naturel c est le lait Le reste est corruption Notre premier aliment est le lait nous ne nous accoutumons que par degr s aux saveurs fortes d abord elles nous r pugnent Des fruits des l gumes des herbes et enfin quelques viandes grill es sans assaisonnement et sans sel firent les festins des premiers hommes L eau et le pain compl tent cette saine triade Le refus du sel doit signifier le refus des techniques n cessaires sa production donc le refus de la civilisation qui est en fait l obsession rousseauiste Le go t malsain c est le go t compos labor Et l on voit qu aux yeux du philosophe est compos tout ce qui n est pas utilis dans sa forme naturelle Le vin bien s r et les liqueurs ferment es font partie de ces produits de la civilisation fermentation distillation conditionnement Beaucoup trop d op rations pour des aliments L usage de l alcool est une pratique civilis e et non eud monique Nous serions tous abst mes si l on ne nous e t donn du vin dans nos jeunes ans Pas de boissons ferment es pas de viandes non plus car le go t de la viande n est pas naturel l homme La preuve en est aux yeux de Rousseau l indiff rence des enfants l gard du r gime c
147. science de son temps l id alisme obsessionnel de Hegel il faut pr f rer l id e fixe de Nietzsche pour lequel le penseur est avant tout de la dynamite un terrifiant explosif qui met le monde entier en p ril par la vertu duquel on acc de dans un second temps au Gai Savoir la science de l all gresse et de la jubilation Fort de la d finition nietzsch enne du cynisme comme ce qui peut tre atteint de plus haut sur la terre on peut sereinement aborder les contr es sillonn es par Diog ne nous y trouverons l impertinence avec laquelle il faut compter pour toute nouvelle positivit Nos ges d intraitable m lancolie sacrifient pourtant toutes les illusions possibles L esth tique cynique de Diog ne est contrepoison cette d rive obscurantiste volont de lucidit L exigence kunique est de plier le quotidien une forme improvis e mais sobre et pure d barrass e des scories et de l affectation parentes des civilisations Le d sir cynique est de saper la confiance dans les id aux qui sont aussi les principes de l illusion le sacr la convention l habitude la passivit Il est aussi fort d un projet positif o l exp rimentation d une vie naturelle soit condition de possibilit d une esth tique de soi d une salutaire p dagogie du d sespoir Ce Socrate furieux qu tait Diog ne aurait sans conteste souscrit l invitation de Montaigne cr er sa propre vie et pour le
148. t l insensibilit des l vres l absence de dents et la s nilit s y ajoutant Sartre finit par passer tous les repas se barbouiller le visage de sauces et de nourritures tout en refusant avec v h mence l aide qu on lui proposait Le repas sartrien type est lourd riche en charcuteries choucroutes g teaux au chocolat sur un litre de vint Les noix et les amandes lui ab maient la langue et il avouait aimer l ananas un fruit pourtant parce qu il ressemblait quelque chose de cuit Toute nourriture est un symbole disait il Le miel ou la m lasse le sucr taient ses yeux associ s au visqueux R miniscence des correspondances symbolistes Sartre convie d tranges synesth sies Si je mange un g teau rose crit il dans L tre et le N ant le go t en est rose le l ger parfum sucr et onctuosit de la cr me au beurre sont le rose Ainsi je mange rose comme je vois sucr Lors de leurs voyages en Italie Sartre jouait ce jeu des sym tries inattendues Il rapprochait par exemple les palais de G nes et le go t des g teaux italiens leur couleur Les associations sartriennes m riteraient une psychanalyse existentielle c est le moins qu on puisse pour leur g niteur Le go t du visqueux du p teux du graisseux de l indigeste du compact du liquide tout cela est minemment significatif La naus e s appr hende sur le mode du blanch tre du mou du ti de et de
149. t au plat Le pr fixe co issu du latin permet quelques mots nouveaux cobruit columi re comusique coparfum ou cotactile Tous signifient l affinit d une sensation et d un mets Le cobruit se rencontre lors du mariage riz au jus d orange moteur de mobylette d o le nom du plat Vrombissements au d collage La columi re est pr sente dans l association porexcit clair rouge la comusique dans celle du plasticoviande et du ballet musical tandis que le coparfum caract rise l association pomme de terre rose et le cotactile la r union de la pur e de banane et du velours ou de la chair f minine De m me d autres mots sont constitu s avec le pr fixe dis afin de signifier la compl mentarit entre une sensation et un mets disbruit pour la Mer d Italie alli e avec le gr sillement de l huile ou le p tillement d un liquide gazeux avec le chuintement de l cume marine dislumi re pour le couple glace au chocolat Iumi re orang e dismusique pour les dattes aux anchois et la Neuvi me Symphonie de Beethoven disparfum pour la viande crue et le jasmin et distactile pour le mariage de quateur P le Nord ponge Le vocabulaire est aussi adapt aux plats nouveaux une d cision n a plus rien voir avec un sens pr alable Si elle continue se prendre c est par voie buccale puisqu elle caract rise les polyboissons chaudes toniques qui servent prendre apr s une br ve mais p
150. t que l homme utilisait la viande pour faire des choses tout fait nouvelles par exemple une andouillette une andouille un saucisson Tout a n existait que par les hommes Le sang avait t pris d une certaine mani re avait ensuite t dispos d une certaine fa on la cuisson tait faite d une mani re bien d finie invent e par les hommes On avait donn ce saucisson une forme qui pour moi m me tait tentante termin e par des bouts de ficelle La charcuterie suppose Id Les S questr s d Altona acte Il sc ne I Id L tre et le N ant p 707 3 S de Beauvoir La C r monie des adieux p 423 la transformation la modification des donn es brutes le sang la chair les graisses Elle est l alchimie qui transcende l aspect fruste des composants Elle est l unit laquelle on acc de apr s une s rie d op rations cod es culturelles et artisanales L andouille comme embl me de Sartre l o Diog ne est poulpe cru La viande rouge m me appr t e reste gorg e de sang Un saucisson poursuit Sartre une andouille a n est pas comme a Le saucisson avec ses piquetures blanches et sa chair rose ronde c est autre chose Sur la fin de sa vie Sartre avait abandonn le rituel alimentaire qui le conduisait le midi La Coupole le soir n importe o avec Beauvoir Il avouait se contenter pour d ner d un morceau de p t ou de n importe quoi d autre La c cit aidan
151. tes de ros e Elles taient destin es aux tartes Tatin aux bourdins ou aux compotes Pas de cannelle Les pices sont les artifices de la ville Couch s sur des tapis de pur e de fruits les quartiers faisaient une rosace Du gothique au four Quant la cr me elle signait tous les plats lapins ou morues volailles et fruits Lorsque des caprices d adultes me valurent la pension il fallut rompre ma proximit avec les choses de la nature Je ne pouvais plus go ter les m res l poque de la rentr e des classes ni croquer les pommes chapard es dans le jardin public Je dus abandonner les noisettes et les fraises des bois les ch taignes et les griottes Je d sertai les chemins creux les foss s et les haies sauvages J oubliai le go t de l herbe m ch e sous un soleil d t celui des vairons p ch s dans la rivi re ou des tanches sorties de l tang et frits la po le Je perdis de vue les enfants de mon ge qui avalaient des vers de terre crus pour une cigarette ou des mouches pour une poign e d inf mes sucreries bon march L orphelinat me valut d apprendre sous d autres auspices qu il ny a pas d alimentation neutre Le go t de la libert me manqua cruellement Le r fectoire rempla ait la cuisine et les fumets de la maison furent supplant s par les effluves gras et lourds des laboratoires de collectivit Je fis connaissance avec les gel es flasques et insipides avec l eau satur e de chlore et le pain calci
152. toire de la sexualit se trouvent magnifi es les logiques essentielles l amour les plaisirs la sexualit le corps Apr s les passages par les machines sociales exclure les diff rences et produire de la normalit Foucault s engage dans les arcanes les plus secrets mais les plus stimulants Enfin mergeait un authentique souci nietzsch en des soucis essentiels Dans L Usage des plaisirs la di t tique est d crite comme ce que nous pourrions appeler un art sans mus e Elle est lue comme une fa on de styliser une libert f une logique du corps en m me temps qu une apologie de la ma trise Le choix d un aliment devient vraiment ce qu il est un choix existentiel par lequel on acc de la constitution de soi Une g n alogie de la di t tique isole le souci m dical comme principe fondateur la sant est l objectif du di t ticien II faut lire ce sujet les textes du corpus hippocratique et poursuivre avec Galien L volution de ce souci marque une autonomie progressive du mobile Le r gime alimentaire devient une cat gorie fondamentale travers laquelle on peut penser la conduite humaine elle caract rise la mani re dont on m ne son existence et elle permet de fixer la conduite un ensemble de r gles un mode de probl matisation du comportement qui se fait en fonction d une nature qu il faut pr server et laquelle il convient de se conformer Le r gime est tout un art de vivre Mani re d
153. triser les sentiments de ses sens par un principe qu il se donne lui m me d termine le mode de vie R concili e avec la philosophie la di t tique acquiert ses lettres de noblesse elle est entendue comme argument pour une science de la sagesse corporelle D charn dess ch comme un pot de terre cuite se plaignant de manger une choucroute trop douce alors qu il d jeunait de pruneaux sucr s consommant la viande tr s avanc e parce que plus tendre mastiquant longuement pour en extraire le jus abandonnant la fourchette pour une petite cuill re Kant encombre sa correspondance avec Kiesewetter de betteraves commander Octog naire et r cup rant le b n fice d une sage di t tique Kant finit sa vie tout doucement comme en roue libre En 1798 il avait crit L art de prolonger la vie humaine nous am ne enfin n tre que tol r parmi les vivants ce qui n est pas pr cis ment la condition la plus r jouissante Fid le lui m me nourri aux tartines de beurre pour lesquelles il avait une passion maniaque sur ses derniers temps le go t d r gl l app tit teint lorsqu il d couvrira dans son assiette des aliments mal coup s et de fa on irr guli re il s criera De la forme de la forme pr cise 1 O P m p 921 Borowski art cit p 15 3 Kant Le Conflit des facult s p 135 V Fourier ou le petit p t pivotal Rarement volont de modifier le r e
154. u go t et qu il ne saurait tre possible de faire une analyse objective de quelque perception que ce soit visuelle auditive olfactive ou gustative aussi bien que du toucher Dont acte Cela n exclut tout de m me pas et l quelques consid rations du philosophe sur l aliment ou sur la boisson Sans oublier le solide coup de fourchette kantien d vou une pratique nutritive sans ambigu t Borowski raconte que lorsqu un plat lui plaisait il s en faisait donner la recette Il n appr ciait gu re la cuisine compliqu e mais il tenait surtout ce que la viande soit tendre et le pain et le vin de bonne qualit Il n aimait pas manger vite ni se lever de table aussit t apr s le repas Entre deux pages de la Critique de la raison pure il faut imaginer Kant recopiant des recettes qu il donnait Lampe son domestique un peu niais comme tous les militaires sortis de leurs casernes ce qui tait son cas mais ob issant et soucieux de pr parer dans les d lais le repas que lui commandait Kant tous les jours pour le lendemain Sorti de l tat d bri t o nous l avions laiss dans les ann es 1760 Kant reprendra ses esprits et tirera vraisemblablement les le ons de l exp rience pour faire une th orie de l ivresse Dans l Anthropologie d un point de vue pragmatique elle est d finie comme l tat contre nature fait de l incapacit ordonner ses repr sentations sensibles selon les lois de l exp
155. uerre alimentaire De ces combats singuliers Fourier donne le d tail L objectif est de d terminer la perfection du moindre mets dans chacune de ses vari t s Par la suite ils permettent de promouvoir un pays et de l lire parmi les meilleurs il existe crit le philosophe des renomm es de nations tablies sur des omelettes souffl es ou m me fouett es Les troupes confectionnent leurs plats et des jurys les d gustent pour choisir un vainqueur La lutte s effectue avec les petits p t s les omelettes assorties et les cr mes sucr es Les pr cisions ne manquent pas Dans les cuisines c est le coup de feu elles ne pr parent que l objet de th se qui va d cider de la renomm e des empires et sur lequel doit se concentrer toute la sollicitude et tous les soins Prenant les devants d ventuels d tracteurs Fourier d fend ses principes pol mologiques On va d abord traiter de pu rilit ces batailles sur la palme des cr mes sucr es ou des petits p t s on pourrait r pondre que ce d bat ne sera pas plus ridicule que ceux de nos guerres de Religion sur la Transsubstantiation et autres querelles de m mes valeurs S r de lui il persiste dans le d tail La guerre est l un des moyens pour d terminer l excellence d une hygi ne alimentaire destin e aux habitants d Harmonie Il faut trouver la perfection susceptible d engendrer de produire et de maintenir la perfection Les premiers a
156. uffoqu en 1754 Le petit fils sera digne d un pareil tr pas et brillera par une vidente singularit N avec des mains monstrueuses mi pattes mi pinces il cachait ses membres palm s sous des gants blancs qui dissimulaient en m me temps un appareillage m tallique compliqu lui permettant la pr hension Sacrificateur l humour le plus noir il posait parfois ses mains sur un fourneau br lant et invitait les spectateurs pr sents en faire de m me Il est aussi l instigateur des d jeuners philosophiques bihebdomadaires et semi nutritifs pastiches grin ants des rites ma onniques o il fallait boire dix sept tasses de caf en pr sence de seize convives soit dix sept personnes au total Le repas tait th tralis la nourriture fantasm e Toujours dans la veine cynique Grimod prouvera gastronomiquement la fid lit de ses amis en envoyant des papillons qui annon aient sa mort ses relations Il les invitait un repas sa m moire D faits d un excentrique dont ils se croyaient d livr s pour toujours les opportunistes l amiti ti de s abstenaient de venir Les autres se d pla aient Pendant le repas fun bre Grimod apparaissait et d mentait la nouvelle en chair et en os Puis s attablant il poursuivait les agapes avec ses fid les La seule v ritable ind licatesse qu il commit fut de r diger un opuscule intitul Avantages de la bonne ch re sur les femmes Tout eud moniste dig
157. uire le d sir Les couleurs et les harmonies sont soigner tout particuli rement G n ralement oubli le toucher est exacerb par une mise en sc ne singuli re Marinetti abolit d abord l usage des fourchettes et des couteaux Les mains et les doigts sont les nouveaux instruments d un plaisir inaugur toucher c est appr cier une temp rature distinguer le chaud le froid d terminer les consistances dur mou tendre conna tre les qualit s d une portion grains liaisons lissages De m me sont invent es des plaquettes recouvertes de tissus de diff rentes natures ou de mat riaux destin s exercer le toucher lin soie laine satin papier de verre des aliments particuliers sont associ es des sensations tactiles particuli res Outre le regard et le toucher il faut aussi stimuler l odorat avec les senteurs naturelles des plats soit mais aussi avec le concours de parfums ext rieurs susceptibles de favoriser la d gustation ce qui reste le principe de base Des essences combin es seront donc ventil es pendant les repas Elles seront soigneusement choisies pour leurs qualit s harmoniques avec les couleurs formes et qualit s des plats pr sent s De m me l ou e est aiguis e des diffusions musicales sont associ es aux effluves Toutefois pour ne pas troubler les sens l usage de la musique se fera prioritairement entre les services La langue et le palais viteront ainsi les cueils synesth si
158. ure De m me mange t elle la nourriture qu une malade n avait pu garder et une autre fois soignant une religieuse atteinte de dysenterie toucha t elle avec sa langue ce qui lui faisait bondir le c ur Lorsqu un plat tombe terre et que la pr paration roule sur le sol elle se r serve les morceaux particuli rement souill s Compagnon de fortune le divin marquis de Sade tait aussi par bonheur au banquet Avec la sainte la nourriture est un moyen pour r aliser le m pris de soi avec le libertin elle est un argument pour l expansion des d sirs et des plaisirs L homme au drageoir rempli de friandises la cantharide le familier de la Bastille est un mangeur singulier Soucieux de r diger les statuts d une Soci t des amis du crime il crit en mani re d article 16 Tous les exc s de table sont autoris s Tous les moyens possibles sont fournis pour y satisfaire Comme tout chez l rotomane l alimentation est asservie au sexe elle r pare d une d pense sexuelle ou y pr pare Au contraire des mystiques qui invitent au d faut le libertin incite l exc s f tes orgies et c l brations culinaires sont associ es Chaque moment initiatique sexuel est comm mor de mani re alimentaire La religion sadienne du digestif c l bre les deux termes die la dialectique ingestion d f cation L tron est sacralis dans la gastronomie th orique du marquis c est lui le moment t l ologi
159. ux f ves on entend comme l cho d un chant doux et automnal celui de l utopiste ou des astres perdu entre ses miroirs sacrifiant au doux d lire d une nourriture asservie l Harmonie Le vieux philosophe qui fut aussi le beau fr re d un Brillat Savarin auteur de la Physiologie du go t nous apprend que la v rit po tique ne saurait souffrir de d monstrations Le p remptoire est sa modalit Roland Barthes Sade Fourier Loyola Points Seuil p 103 VI Nietzsche ou les saucisses de l ant christ La lecture d Ecce Homo invite consid rer la nutrition comme l un des beaux arts ou du moins faire d une n cessit la vertu d une po tique La science hyperbor enne de l aliment n est pas sans parent avec la gastrosophie fouri riste le go t est investi d une mission architectonique dans un essai pour r soudre les probl mes du r el Nietzsche appelle casuistique de l go sme le souci de soi dont rel vent l alimentation les lieux les climats et les d lassements Pareilles pr occupations permettent de faire de sa vie une uvre d art L id e ma tresse d un gai savoir actif est dans cette injonction Soyons les po tes de notre vie et tout d abord dans le menu d tail et dans le plus banal La di t tique est un moment de l dification de soi Le souci nietzsch en des choses prochaines et uniquement d elles suppose cette polarisation sur soi Le lecteur est averti de la h
160. ux intitul s humoristiques des pi ces musicales d Erik Satie dans telle ou telle formule de Veau intuitif de Lait la lueur verte ou de Mamelles italiennes au soleil Skieur comestible Soupe zoologique ou ufs divorc s Les repas concrets sont de v ritables happenings o la dr lerie voisine avec l exp rimentation forcen e Dans un repas officiel qu il voudrait arch typal Marinetti propose qu un boute en train amuse les convives avec des blagues obsc nes qui se devront pourtant d viter la vulgarit II ne donne pas les moyens de distinguer les deux logiques On apporte ensuite sur la table les anthropophages s inscrivent Gen ve qui est un plat compos de diverses viandes crues d coup es la Ibid P 165 Ibid P 154 155 fantaisie de chacun et assaisonn es dans des coupes contenant des condiments des pices ou du vin Puis est servie La Soci t des Nations une sorte de cr me anglaise au milieu de laquelle nagent des petits saucissons noirs et des b tonnets de chocolat Pendant la d gustation un n grillon d une douzaine d ann es plac sous la table chatouillera les jambes et pincera les fesses des dames Le repas se terminera avec un Solide trait sorte de g teau au nougat multicolore rempli de minuscules bombes qui en explosant d gageront un parfum de bataille dans la pi ce Apr s tout cela un cuisinier se confondra en ex
161. x id aux de tous les r volutionnaires utopistes Les machines formeront bient t un prol tariat ob issant de fer acier aluminium crit il au service des hommes presque totalement d livr s du travail manuel Celui ci tant r duit deux ou trois heures il sera possible de consacrer le temps qu il reste au perfectionnement et l ennoblissement par la pens e les arts et la pr figuration de repas parfaits L homme total souhait par Marx est r alis par Marinetti le penseur allemand lib re l homme des ali nations par la r volution sociale le penseur italien par la r volution alimentaire La finalit futuriste est politique sa t l ologie est esth tique La cuisine est l un des beaux arts par lesquels on peut parvenir r soudre le probl me de l existence On retrouve ici la pr occupation du philosophe artiste ch re au jeune Nietzsche pour lequel l art est la t che supr me et l activit v ritablement m taphysique de cette vie Les v rit s du philosophe artiste tant l invention l exp rimentation la destruction la l gislation la ma trise on est en droit de faire de Marinetti cet homme d un style nouveau pour lequel l art est un moyen de parvenir la transfiguration du r el Soucieux d int grer la casuistique de l go sme dans ses pr occupations Ibid p 29 Ibid p 45 Nietzsche La Naissance de la trag die Id es Gallimard p 19 fondamentales Nietzsche n
162. y avait en lui aucune corruption Revenons Marguerite Marie une sainte du Grand Si cle Au psychanalyste qui passait par l il s agissait d ailleurs de Ren Major sp cialiste du d lire sur le d terminisme contenu dans le nom propre pr cisons que dans le civil la sainte s appelait Alacoque Cela ne s invente pas Pr cisons galement qu elle d testait par dessus tout le fromage dont elle faisait un usage mystique puisqu elle se for ait en consommer malgr sa r pugnance Au menu de la sainte mortifications multiples n gation des imp ratifs corporels l mentaires jouissance dans le m pris de soi discipline cilice flagellations absence de d f cation c est une manie parmi les extatiques et refus de la nourriture Sa pr f rence quand elle daigne ing rer quoi que ce soit Va aux aliments marginaux pour le moins Qu on en juge elle jouit tout Annick Le Gu rer Les philosophes ont ils un nez Autrement Odeurs Gilles Deleuze et F lix Guattari L Anti dlipe et Mille Plateaux Minuit 3 Michel Serres Les Cinq Sens Grasset Jacques Lacarri re Les Gnostiques Id es Gallimard p 43 5s Ren Major La Logique du nom propre et le transfert Confrontation n 15 Aubier Montaigne Le Discernement et De l lection Aubier Montaigne particuli rement des breuvages amers que lui prescrit le m decin Plus le go t est inf me plus elle tarde avaler plus elle savo

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