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1. Le soir venu elle rentre chez elle l heure o les portes des restaurants l chent sur la rue leurs odeurs de cuisine Derri re les vitrines les clients d plient des serviettes consultent la carte bavar dent boivent l ap ritif Certains mangent d j On les voit prendre de la moutarde dans un pot de terre l taler sur le bord de leur assiette ou bien couper un mor ceau de viande juteux le piquer de la fourchette rompre un morceau de pain et le porter distraitement leur bouche Entre les tables les serveurs glissent tr s vite vestes blanches et pantalons noirs les vestes seules visibles les jambes se confondant avec l ombre des tables pre nant les commandes portant plusieurs assiettes la fois qu ils remporteront souvent demi pleines puis les vitrines s embuent bient t on ne voit presque plus rien et l a rateur plac au dessus de la porte souffle vers la rue une paisse odeur de cuisine qui se coagule dans l air plus frais avant de se dissiper 19 Personne Dans l entr e de l h tel l h telier semble ne pas avoir boug depuis le matin Il y a toujours devant lui ce registre noir dans lequel sont marqu s les noms des locataires c t de lui le t l phone et derri re lui le tableau de bois auquel pendent les clefs des chambres avec leur num ro d coup dans un rond de cuivre poli par le frottement des mains Les marches de bois de l escalier r son nent cha
2. Personne En g n ral elle ne s assoit pas ne s agenouille pas mais reste debout der ri re un pilier les l vres agit es de ce mouvement perp tuel de succion qui ressemble une pri re Puis elle s en va dans les rues approfondies et violettes o la trace du soleil ne demeure plus que sur le haut des fa ades L hiver son itin raire change Elle par court la ville la recherche de la chaleur Peut tre aussi de la distraction Ses refuges favoris sont la gare et la poste Elle aime le va et vient des gens autour d elle M me si pi tinant devant les guichets ils ont lair las et ennuy ou s nervent parce qu on tente de leur pas ser devant ou parce qu un voyageur met vraiment trop de temps payer Quand elle en a assez de regarder les gens elle va du c t du kiosque jour naux Les couvertures des magazines luisent sous la clart du n on On y voit des femmes nues des princesses des ministres des financiers des g n raux ou des assassins Parfois des hommes sanglants se tra nent dans la boue On devine autour d eux le sifflement des balles Les branches d un arbre pendent d chiquet es ou bien un blind au centre d une place d serte tire sur une fa ade noircie ou encore des enfants nus au 16 Personne ventre ballonn aux yeux immenses cou verts de mouches toujours les m mes et jamais les m mes depuis tant d ann es qu elle vient l regardent sans voir au de
3. e main port e au front r v lent grossi rement leur trouble Soudain ils entrouvrent la porte de leur intimit et quand ils sortent de la cabi ne ils paraissent plus fragiles un instant leur masque a gliss r v lant leur vrai visage mais ils se redressent vite rede viennent conformes et disparaissent dans la rue Une fois dans une heure creuse elle est entr e dans une cabine Les employ s travaillaient derri re les guichets et elle ne se sentait pas surveill e Elle a effleur de la main le combin a regard les boutons marqu s de num ros a lu le mode d emploi de l appareil puis elle est ressortie Une autre fois elle a ouvert l annuaire au hasard Elle a vu des milliers de noms Elle s est dit que le sien se trouvait peut tre l et en effet il sy trouvait mais ce nom semblable au sien n tait pourtant pas le sien ni m me celui d un parent puisqu elle n a pas de parents Ce nom tait comme une veste que lon met et que l on quitte Qui va aux uns et aux autres puis us dispara t pour toujours 18 Personne midi t comme hiver elle va tra ner autour des Halles Parmi poubelles et monceaux de d tritus elle cherche si par hasard elle ne trouverait pas des fruits et l gumes encore en bon tat Quand elle en trouve un elle l examine avec soin l enveloppe dans une des feuilles de pa pier journal qu elle emporte toujours avec elle et le fourre dans son sac
4. l de ceux qui les regardent Elle soul ve timidement une feuille pour essayer de lire un bout de feuilleton mais ses doigts tremblent la femme tronc immobile au milieu de son reposoir journaux la regarde sans am nit et peureuse elle s carte s loigne du kiosque pour aller s asseoir de nouveau sur un banc Quelquefois pr s d elle press s l un contre l autre un jeune homme et une jeune fille restent silencieux ondulant peine au rythme de leur respiration puis un haut parleur dit quelque chose les couples se d font s en vont d autres ar rivent un roulement sourd branle le sol et soudain cette salle des pas perdus tout l heure si morne est travers e de courants f briles qui poussent les voyageurs vers les quais la poste c est un peu la m me chose Des gens entrent et sortent sans arr t Ils glissent des lettres dans les bo tes ou bien vont t l phoner puisqu ils peuvent crire et t l phoner quelqu un Elle les voit s enfermer dans les cabines s asseoir quelquefois sur les tabourets mis leur disposition ou rester debout tant t im mobiles graves l couteur contre l oreille 17 Personne les yeux fix s sur la paroi couverte de graffiti tant t mimant tout ce qu ils disent gesticulant r v lant sur leur visage les sentiments qui les traversent Un sourire une crispation des sourcils des yeux gard s un moment ferm s une t te qui se penche un
5. que pas et la rampe vibre sous la main comme si les barreaux mal scell s allaient se d tacher mais la rampe vibre ainsi depuis des ann es et elle ne s est jamais d tach e pr sent l ampoule de faible puissan ce claire mal la chambre Sur le rebord de la fen tre les pigeons ont mang les miettes qu on leur avait pr par es Sous les mouvements d un corps qui s aban donne les ressorts du lit grincent Dans le verre sur la table de chevet un tourbillon de miettes gris tres s apaise autour d un dentier puis l lectricit s teint Peu peu le rectangle bleut de la fen tre va s assombrissant et dans le silence au bout duquel tr s loin on devine la rumeur de la ville on entend monotone un bruit obs dant de succion
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