PARA-MARX ET « LE MONDE (DES SCIENCES) »
Contents
1. agriculture les engrais les pesticides et maintenant les OGM et les biotechnologies le travail de 3 des habitants de l Am rique du Nord permettrait de subvenir aux besoins en nourriture de chaque tre humain L obstacle n est ni biologique ni technique il est politique Nous rejoignons le social Et la philosophie l application politique des id es philosophiques en particulier a eu galement des cons quences parfois terribles sur la vie des hommes IH Le plus bel exemple d un travail critique qui voudrait transformer le monde se trouve dans les premi res g n alogies de Michel Foucault par exemple Surveiller et punir On dit qu il est philosophe Pourquoi pas philosophe des sciences sociales Au moins philosophe des savoirs Foucault est beaucoup de choses pour beaucoup de gens plus que tout autre homme de sa g n ration Avec le couple pouvoir savoir il veut comprendre des effets de savoir On parle toujours des effets de pouvoir chez Foucault mais c est un malentendu ce sont les effets de savoir qui comptent Et ses tudes ont vraiment transform le monde en un sens assez direct Est ce en tant que philosophe qu il produit ces effets Je pr f re dire que c est simplement en Para marx page 5 tant que Foucault Sa critique du savoir psychiatrique a eu pour cons quence la sortie des asiles de beaucoup de gens dont un certain nombre sont devenus les SDF que nous voyons dans les rues Sans Fouc2. est de faire quelque chose d autre que la philosophie Quelle partie a agi comme si elle avait entendu la formule de Marx Ce ne sont pas les philosophes allemands Ce sont les chimistes qui en Allemagne entre 1848 et la premi re guerre mondiale ont transform le monde en cr ant des teintures des engrais des drogues des munitions de nouveaux types d acier MK Ce n est pas cela que visait Marx il parlait du monde social IH Les chimistes n ont ils pas transform le monde social La Saxe et la Ruhr sont devenues les centres industriels du monde peupl s d usines et d un prol tariat nouveau Les engrais chimiques ont chang pour toujours le travail et la vie des agriculteurs dans l ensemble du monde industrialis et notamment dans les plaines d Am rique Aux tats Unis le syst me universitaire agricole a t fa onn pour transmettre le savoir allemand Bien s r ce sont l des cons quences probablement tr s trang res aux intentions qui animaient ces chimistes et qui les Para marx page 2 d passent largement Mais on ne peut nier que leur travail et leurs d couvertes ont transform le monde des substances chimiques le monde social MK Mais les transformations chimiques et les transformations sociales sont elles ind pendantes l une de l autre Les d couvertes des chimistes ne sont elles pas elles m mes laboutissement d un processus qui d passe largement une science et une techniq
3. Para marx page 7 philosophique sur la probabilit pour le premier cycle Par cons quent ma critique est essentiellement une critique de sp cialiste des statistiques et on pourrait pratiquement faire le m me travail sans tre philosophe Et si le chapitre 7 est critique dans l ensemble le livre me semble tre moins un travail critique qu un essai de compr hension Disons pour reprendre les mots de Marx que j ai essay d interpr ter le monde de cette maladie un monde qui se compose de malades de m decins de th rapeutes de chercheurs qui pensent que le d doublement de la personnalit a pour cause les abus sexuels commis sur les enfants un monde qui inclut des f ministes militantes des talk shows comme Oprah la police les travailleurs sociaux et bien s r les enfants et leurs parents En publiant ce livre jai moi m me p n tr dans ce monde et jen fais d sormais partie J esp re du moins que le fait de donner une interpr tation a produit des effets ou m me des transformations fussent elles modestes de ce monde Dans Les fous voyageurs fai pris l exemple d une pathologie et d un personnage fascinants pour analyser ce que j appelle des maladies mentales transitoires des troubles qui n ont exist qu des poques et des lieux bien d termin s C est un essai d analyse et de compr hension destin la fois aux chercheurs et au grand public int ress par ces questions N anmoin
4. la science et externaliste situ ex dehors L internaliste tudie le contenu d une science ses nonc s et leurs preuves L externaliste consid re les conditions sociales et psychologiques de la production de la connaissance C est l opposition que Hans Reichenbach tablissait entre le contexte de justification et le contexte de d couverte Para marx page 9 IH Dans la philosophie des sciences anglo allemande l uvre de Thomas Kuhn 19621 a mis en doute cette distinction et dans l pist mologie fran aise d Auguste Comte Gaston Bachelard et jusqu aujourd hui elle ne marche pas MK La mode n est pas un argument La distinction est toujours pertinente Du point de vue internaliste la philosophie des sciences porte sur la production et la justification des connaissances Elle porte sur le discours scientifique qui entend d montrer et dire le vrai La philosophie des sciences a un r le jouer par rapport cette ambition de l activit scientifique La philosophie a d velopp traditionnellement un discours sur les limites de la science qui s inscrit chez Kant dans le contexte g n ral d un discours sur la raison et de la facult humaine de conna tre Il pose la question des pouvoirs et des limites de la science Il pose aussi la question du statut de la v rit scientifique la question des modes de justification du discours scientifique par rapport d autres discours Cette per
5. les scientifiques C est notamment la question du r alisme ou dans le cas de Comte de l anti r alisme concernant les entit s th oriques Au sens litt ral seule la m taphysique pose des questions sur les objets de recherche Mais dans la tradition grecque et galement dans la tradition issue de Comte se pose aussi la question de la connaissance scientifique qui est intimement li e aux questions de l is mologie C est par exemple le probl me de la fiabilit ou de la certitude des r sultats scientifiques MK Quels types d objets ont vraiment une existence De quoi avons nous vraiment connaissance Ces questions hyperboliques n puisent pas la liste Il y en a une troisi me Que devons nous faire Certains philosophes des sciences s occupent aussi de questions normatives Il y a des questions de w fhodologie Ainsi selon Karl Popper une hypoth se scientifique doit pouvoir tre mise l preuve se soumettre la possibilit d une r futation Peut tre Popper pensait il simplement donner la meilleure interpr tation de ce qui est l uvre dans l histoire des sciences mais il a impos une norme m thodologique Il y a aussi les questions hiques les Para marx page 4 responsabilit s des scientifiques envers le monde le choix des sujets de recherche et l usage des d couvertes les responsabilit s des scientifiques envers leurs coll gues l thique de la recherche et le pa
6. Le si cle du g ne Gallimard 2003 Elle est aussi l auteur d un ouvrage plus militant Reflections on Gender and Science Yale Univ Press 1986 une critique fascinante de la science occidentale commen ant avec Francis Bacon et sa vision de homme comme ma tre de la nature d sign e comme dame nature Keller et ses coll gues ont voulu ansformer le monde masculin des sciences D abord elles ont voulu changer son personnel et faire entrer plus de femmes dans les sciences dites dures m taphore ambigu 1 Plus important elles ont cherch transformer ce qui tait le mod le central des sciences depuis Bacon un mod le o l homme est le ma tre o la nature est la servante Et changer les images de lutte et de contr le l poque de Boyle les mol cules se frappent Pune l autre et de nos jours le code g n tique est le ma tre qui domine tous des aspects du d veloppement d un organisme et de la transmission de ses caract res Voil un courant activiste qui vise plus que l interpr tation et qui s efforce vraiment de transformer les sciences Mais rappelons que Keller si elle est devenue philosophe est au d part une biologiste qui conna t l histoire de son sujet De telles tudes pourraient tre crites par des chercheurs en biologie qu on ne consid rerait pas proprement parler comme des philosophes des sciences MK Mon second exemple est ton propre travail sur les troubles ment
7. Para marx page 1 Para Marx et le monde des sciences Avec Marc Kirsch quoi sert la philosophie des sciences N 41 2003 Rue Descartes 82 95 PARA MARX ET LE MONDE DES SCIENCES Ian Hacking et Marc Kirsch Coll ge de France Nous sommes invit s appuyer notre r flexion sur la paraphrase d une formule c l bre de Marx Jusqu pr sent les philosophes des sciences n ont fait qu interpr ter le monde des sciences l objectif cependant serait de le transformer MK Dela formule de Marx celle qui est propos e comme th me du d bat s op re un d placement charg de sens Ce monde des sciences quel est il Est ce le monde que les scientifiques tudient et dans ce cas s agit il d autre chose que du monde tout court ou est ce un monde qui serait particulier la science avec ses objets propres ses activit s ses processus particuliers etc Un monde th orique et sociologique habit par des sp cialistes d crit par la philosophie des sciences et les tudes de sociologie des sciences La question est de savoir qui transforme quoi quel r le joue la science vis vis du monde et la philosophie des sciences vis vis du monde des sciences et du monde tout court IH Revenons pour commencer la formule originelle Transformer le monde De qui cela doit il tre l objectif selon Marx Des philosophes allemands Je crois que non L injonction c
8. ault cela n aurait pas eu lieu Bien s r il y a d autres facteurs c est moins cher pour les autorit s d avoir des gens dans la rue que dans des institutions psychiatriques mais sans Foucault et d autres anti psychiatres comme R D Laing et Erving Goffman la lib ration des malades mentaux ne se serait pas produite MK Foucault est un cas exceptionnel Mais c est un point de rep re pr cieux D ailleurs on peut voir dans la philosophie des sciences un travail sur les croyances la fois les croyances et les pr suppos s des scientifiques mais aussi les croyances des gens la mani re dont les id es scientifiques se r pandent dans le corps social et forment un corps de croyances IH Je ne suis pas exactement d accord Ce th me du travail sur les croyances des scientifiques me rappelle un peu trop l ambition de donner des fondements aux sciences Pambition de Descartes celle de Bertrand Russell et de ses admirateurs positivistes de langue allemande Bien s r certains philosophes des sciences m me aujourd hui se consid rent comme critiques et peut tre m me juges des croyances scientifiques Nous sommes d accord pour carter l id e que les philosophes pourraient ou devraient se poser en juges des sciences Mais m me si l on voulait dire que la vulgarisation des nonc s scientifiques l acceptation aveugle des sp culations du jour exige la critique ce qui ne fait pas de doute il re
9. aux qui les resitue entre science r alit naturelle et construction sociale On trouve notamment dans l Ayme r crite une critique des id es trop simples qu on pourrait se faire de la maladie mentale si on s en tenait au discours des m decins et des psychiatres ou aux th ses de la construction sociale Cette critique remet les diff rents discours leur place non pas de fa on dogmatique mais en d voilant certains de leurs pr suppos s d une telle mani re qu ils s effondrent de l int rieur Une critique qui s adresse aux scientifiques et aux professionnels mais touche aussi les id es communes que peut se former le profane sur ces questions Il ne s agit pas d attaquer la l gitimit du travail du psychiatre mais de relativiser la port e par exemple d un classement tel que le DSM ou d autres manuels de diagnostic m dical et de les remettre en situation en croisant les perspectives et les int r ts conduisant ce r sultat qui se donne pour un ach vement acad mique lest du poids de la science IH Ilest vrai que dans L me r crire ch 7 il y a une critique tr s sp cifique des usages de la statistique par les chercheurs qui favorisent le diagnostic de personnalit multiple Je lai faite en philosophe qui conna t bien la th orie et la pratique de la statistique Mon premier livre qui remonte 1965 l portait sur la logique de la statistique et en 2001 j ai publi un cours
10. euil 2002 et The Taming of Chance Cambridge University Press 1990 Et il existe des tudes de sociologie de la d monstration logique IH La r f rence pour l tude de la science en action ici et maintenant c est toujours Bruno Latour Il peut y avoir une sociologie et aussi une psychologie ou une science cognitive des math matiques et de la logique mais est ce de la philosophie La plus belle tude de la d monstration en action c est Preuves et r futations d Imre Lakatos Hermann 1984 internaliste et rationaliste avou Dans les notes de bas de page il y a beaucoup d histoire des math matiques Mais son dialogue rel ve d abord de ce qu il appelle une reconstruction rationnelle de l histoire C est une critique de la p dagogie math matique et aussi d une philosophie de la certitude absolue des d monstrations math matiques Lakatos a tendu la philosophie de Popper aux math matiques il n a pas critiqu les math maticiens comme math maticiens mais comme p dagogues emp tr s dans un malentendu philosophique sur la nature de leur activit Il a essay de comprendre la nature des preuves en math matiques Toujours en math matiques le r sultat le plus important de la logique du 20 si cle est le th or me d incompl tude de G del La chose qu il a d montr e est absolument claire et bien comprise Comme beaucoup d tudiants en fin de 1 cycle fai appris la d monstration ou p
11. herche de soci t s industrielles de start ups de revues de listes lectroniques Un monde de coll gues et de concurrents un monde qui a ses rites d initiation et ses structures de pouvoir Un monde non beaucoup de mondes qui se chevauchent et qui sont tous ancr s dans des mondes mat riels et sociaux plus vastes MK Des mondes qui correspondent assez bien ce que Pierre Bourdieu d crivait en termes de champ scientifique En bref monde social des sciences Dans ces conditions la question se divise encore Est il que vrai que a Les philosophes des sciences ont interpr t le monde des objets de recherche Et b Les philosophes des sciences ont interpr t le monde social des sciences Peut tre les deux propositions ne sont elles pas aussi distinctes qu on aurait pu le penser IH Du point de vue historique elles sont distinctes Dans la tradition occidentale les philosophes ont essay d interpr ter le monde des objets de recherche au moins depuis Platon Para marx page 3 Mais les philosophes des sciences n ont pas vraiment interpr t le monde social des sciences avant les ann es 1970 et la naissance des scence studies avec l cole d dimbourg et de Bruno Latour et ses associ s Paris La question n est pas simple parce que les membres de l cole d dimbourg se veulent sociologues et scientifiques et non philosophes mais pour le meilleur ou le pire tout le monde pense qu
12. il y a une bonne dose de m taphysique radicale derri re ces tudes des sciences La position de Bruno Latour qui travaille au Centre de Sociologie de l Innovation l cole des Mines est mon avis l une des plus originales dans le paysage intellectuel mondial Beaucoup de ses nonc s sont vraiment philosophiques Et vraiment pol miques ils lui valent des oppositions tr s vives et parfois la col re des philosophes des sciences qu ils soient de tendance traditionnelle ou analytique MK Pour un anglophone comme toi la distinction entre la sociologie et la philosophie est plus nette qu en France Bourdieu tait philosophe de formation et il a continu de se penser comme philosophe sociologue bien s r mais aussi philosophe Donc la distinction entre les questions a et b n est pas nette IH Bourdieu a vraiment chang le monde de la sociologie Et ces derni res ann es il essayait de transformer le monde dans le sens de Marx je pense ses luttes contre la t l vision et contre la mondialisation Mais mon m tier c est de faire des distinctions La philosophie et donc la philosophie des sciences se divise en plusieurs directions Il y a des choses diff rentes interpr ter C tait clair apr s les d buts de la philosophie des sciences comme branche ind pendante de la philosophie du temps d Auguste Comte Il y a des questions w faphysiques quelle est la nature des objets dont s occupent
13. lut t quelques m thodes de d monstration celles de G del Turing Post et Church du premier et du deuxi me th or me d incompl tude Mais beaucoup de philosophes per oivent les difficult s profondes que ces th or mes ont soulev es par rapport l id e de la v rit des nonc s math matiques Voil un probl me de compr hension et d explication mais pas de critique Je passe sur les inepties dites post modernes qui pr tendent que le th or me des implications en dehors des math matiques et des th ories de la computation par exemple dans le domaine social 10 Para marx page 11 Cela manifeste leur ignorance de la d monstration du th or me Or si l on ne comprend pas la d monstration de G del on ne comprend pas le th or me MK Reste la question de savoir si les contributions les plus c l bres en philosophie des sciences g n rale ont un effet sur le monde des sciences si elles peuvent le transformer et si c est souhaitable quoi sert la notion d obstacle pist mologique de Bachelard ou de r volution scientifique de Kuhn dans le travail concret du scientifique Peut tre la question n est elle pas tant quoi mais qui sert la philosophie des sciences IH La philosophie a plusieurs publics M me chose pour la philosophie des sciences T S Kuhn a parl au grand public On dit que sa Srructure des r volutions scientifiques Flammarion 1983 a t un temps le livre le
14. monter au point le plus loign dont puisse nous parler la cosmologie scientifique mais l id e qu elle suffise nous faire sortir de l antinomie est probablement discutable Quoi qu il en soit ce que je vise c est l image du monde que nous pouvons d gager du discours scientifique Il s agit pat exemple de linterpr tation de la th orie de l volution que penser de l adaptationnisme l volution est elle progressive Lorsque ces questions sont trait es par les biologistes de Para marx page 10 l volution eux m mes ils font alors uvre de philosophie vrai dire c est un cas de figure de plus en plus fr quent la sp cialisation des disciplines et l inflation du discours scientifique aidant les plus qualifi s pour faire de la philosophie des sciences sont parfois les scientifiques eux m mes Evelyn Fox Keller en est une illustration Nous avons parl du point de vue internaliste Le point de vue externaliste consiste d gager les conditions de l activit scientifique et les liens qu elle entretient avec le reste de l environnement culturel La science se fait ici et maintenant c est la science d une poque et d une soci t c est peut tre moins videmment valable pour les math matiques mais il y a des exceptions notables comme l introduction des probabilit s et plus tard des statistiques ce qui appara t entre autre choses dans L mergence de la probabilit Le S
15. nne un r sultat qu on produise du savoir Le point sur lequel le philosophe peut nourrir la r flexion concerne le statut de ce savoir et ses enjeux qui ne se limitent pas au domaine scientifique IH L id e d un statut du savoir me para t confuse C est le contenu d un savoir la qualit de ses preuves et ses applications pures ou appliqu es qui d terminent son statut et sa valeur Quant ses enjeux ce sont les scientifiques et quelquefois tout le monde qui ont des enjeux dans un programme de recherche Les enjeux des scientifiques et des unit s de recherche sont personnels professionnels ou simplement id alistes mais quel est l enjeu de savoir MK Par le mot statut je visais plusieurs choses la d marcation entre science et non science la constitution et les crit res de la scientificit d un savoir qui renvoient des auteurs aussi diff rents que Latour et Popper etc Il y a des enjeux internes la science mais les enjeux externes sont souvent consid rables par exemple dans le cas du VIH il y a une grande diff rence entre chercher un vaccin et chercher un traitement Et tout le monde est concern quand il est question de l orientation de la recherche de la d termination des politiques de recherche o entrent en jeu des int r ts tr s divers Je reprends ici une tradition du positivisme logique qui distingue le point de vue internaliste situ l int rieur de
16. plus souvent cit avant Freud avant la Bible Kuhn a donn tout le monde une image nouvelle des sciences plus importante encore pour les Anglo saxons qui n ont pas de Bachelard et qui sont plus positivistes que les Fran ais D s la premi re phrase L histoire si on la consid rait comme autre chose que des anecdotes ou des dates pourrait transformer de fa on d cisive l image de la science dont nous sommes actuellement empreints il l chait une bombe sur les conceptions populaires des sciences Ce livre fut un v nement mondial Il vraiment transform la compr hension des activit s que nous appelons scientifiques Pas toujours pour le meilleur je pense aux sociologues qui scandaient apr s 1962 que le probl me de la sociologie est qu il lui manque un paradigme Paradoxalement alors que Kuhn tait physicien de formation et que ses exemples taient tout emprunt s la physique et la chimie les physiciens et les chimistes n en ont tenu aucun compte Ce sont les sciences humaines qui ont r agi MK Kuhn comme Foucault a eu un succ s foudroyant Prenons des exemples plus techniques quoi sert ce qu on appelle la th se de Duhem Quine quoi sert le long chapitre de Ernest Nagel ou l article de Paul Oppenheim et Hilary Putnam sur la r duction des th ories Est ce un mode d emploi Y a t il jamais eu un scientifique qui ait essay de r duire une th orie une autre en
17. pper c est le signe de la bonne science La mauvaise science emploie des raisonnements d fectueux ou choisit des hypoth ses pour des raisons id ologiques et non la lumi re des preuves On le voit par exemple dans le cas des abus du QI employ des fins racistes et d nonc s par Ned Block un philosophe de la psychologie J ai moi m me d nonc l abus des mesures et des statistiques par les partisans du diagnostic de personnalit multiple Claudine Cohen vient de publier La Femme des origines Herscher 2003 qui conteste toute une partie de la pal ontologie humaine y compris la c l bre 2 P Oppenheim H Putnam 1958 L unit de la science une hypoth se de travail in P Jacob d De Vienne Cambridge Gallimard 1980 12 Para marx page 13 Lucy Ses autres travaux Le destin du mammouth Le Seuil 1994 Boucher de Perthes Les origines romantiques de la pr bistoire Belin 1989 sont aussi des critiques au sens de d nonciation d un corps de connaissances trop confiant Ces ouvrages historiques philosophiques ou de science studies pourraient aussi tre crits par des pr historiens La discipline est sans importance ce qui compte ce sont les livres Mais j insiste sur l id e que ce genre de critique ne doit pas tre le r le premier de la philosophie des sciences 13
18. pper est mieux connu parmi les intellectuels et les scientifiques que tous les autres philosophes du si cle Je Pai constat en Iran et en Chine C est la fois parce qu il semble parler de la science telle qu elle est vraiment et parce qu il tablit des liens entre sa m thodologie et les politiques lib rales Il reste peut tre une question de mots J ai tendance prendre critiquer dans un sens p joratif On analyse on juge et on passe quelque chose la censure Tu veux dire quelque chose de plus neutre qui revient demander un discours de rendre compte de sa validit Mais le verbe comme le nom ont toujours un sens d valuation et se sp cialisent en philosophie pour d signer d apr s l allemand la partie de la philosophie qui traite le probl me devenu classique depuis la Critique de la raison pure de Kant de la valeur de la connaissance et en particulier de la valeur de la raison Le Robert Dictionnaire historique Je soutiens comme tu Pas vu que la critique au sens d valuation d une connaissance ou d un raisonnement doit avoir un r le secondaire Elle est pertinente quand la connaissance ou le raisonnement sont d fectueux Ajoutons que malheureusement il existe de la mauvaise science et que souvent ce sont les philosophes qui la d noncent Mauvaise ne veut pas dire simplement erron e ou fausse on fait des hypoth ses fausses tous les jours on a tort Selon Po
19. rtage des connaissances Sans oublier la bio thique IH l avenir se posera galement de plus en plus le probl me moral des brevets Qui est propri taire des d couvertes scientifiques l humanit ou les soci t s qui ont r alis ou financ la recherche Il ne s agit pas seulement de soci t s commerciales le pr sident et les fellows de Harvard College d tiennent le brevet de Poncomouse la malheureuse esp ce de souris utilis e dans la plupart des exp riences fondamentales sur diff rents types de cancer Elle est brevet e dans le monde entier l exception du Canada o la cour supr me a d cid que la souris n tait pas brevetable MK Et nous n avons pas voqu les questions d inspiration heidegerienne les oppositions de principe vis vis du raisonnement instrumental Voil beaucoup de questions pour les philosophes Mais si nous en revenons notre point de d part la paraphrase de Marx il faut reprendre la question que signifie transformer le monde quoi mesure t on cette transformation Les physiciens ont ajout des l ments physiques non pr sents sur terre auparavant les chimistes ont r alis des synth ses de milliers de substances chimiques qui n existaient pas dans l univers Ils ont permis l invention de techniques qui appliqu es en m decine ont conduit sauver des vies humaines en perdre dans le cas des applications militaires Avec l industrialisation de l
20. s ce ne sont pas des uvres typiques de la philosophie des sciences Certains coll gues mont demand alors vous ne faites plus de philosophie maintenant Pour moi ces travaux sont ancr e dans mon tude de ce que j appelle fa onner les gens qui porte sur l interaction entre la classification des gens et les gens eux m mes C est la fois une interpr tation du monde des objets de recherche de la connaissance scientifique et du monde social des gens des scientifiques et des institutions qui d ploient des connaissances Mais ta derni re remarque appelle une r ponse plus incisive Premi re mise au point plut t mesur e L me r crite n est pas une tude sur les maladies mentales p le m le et sans distinction C est l tude d une maladie la personnalit multiple qui a son origine en tant que diagnostic Bordeaux vers 1875 et qui conna t un d veloppement explosif aux tats Unis apr s 1970 Il s agit d un exemple paradigmatique d une maladie mentale transitoire Elle n est donc pas typique des maladies mentales et dans le chapitre 4 de Entre science et r alit Yai nettement distingu de tels troubles par rapport la schizophr nie par exemple Soit j ai raison soit j ai tort c est au fond une question m dicale et sociale Deuxi me r action pas du tout mesur e tu as dit que je place cette je mets l accent sur cette maladie entre r alit et construction J ai di
21. spective critique peut d boucher sur un travail d interpr tation des donn es scientifiques permettant d tablir un tableau argument de ce qu on peut croire aujourd hui pr senter un tat de notre repr sentation inform e du monde et s interroger sur sa validit IH Voil notre d saccord Tu parles de Kant La physique a r fut Kant Il pensait que c est une v rit a priori que l espace et le temps sont absolus Newtoniens et que la loi de causalit est universelle Aujourd hui nous avons la th orie de la relativit et la th orie quantique Je n ignore pas que la critique philosophique de l espace absolu a des origines dans la philosophie de Leibniz reformul e par Ernst Mach la fin du 19 si cle Ce dernier a une influence sur la pens e d Einstein Mach tait il philosophe ou physicien Les deux Et il en va de m me pour Einstein Dans l antinomie de la raison pure Kant pose la th se Le monde a un commencement dans le temps et l antith se Le monde est infini aussi bien par rapport au temps Il conclut que la question est en dehors des limites de la raison et donc de la science Aujourd hui nous avons des preuves tr s fortes de la th orie du Big Bang et dans la th orie des cordes il y a m me la th orie du pr big bang un peu sp culative mais tr s active actuellement MK Je ne suis pas s r que la th orie du Big Bang ait r fut Kant elle nous fait re
22. ste que les philosophes ne sont pas sp cialement qualifi s pour cette t che mon avis la critique des croyances ou des nonc s scientifiques a toujours un r le secondaire MK Je vais illustrer ma position l aide de deux exemples Le premier porte sur les sciences naturelles il concerne la critique par des philosophes des sciences de la conception courante du g ne et des espoirs plac s en lui ce qui englobe tout un ensemble de processus le savoir scientifique sur le g ne son interpr tation par les scientifiques mais aussi la communication scientifique et ses enjeux qui rel vent de la politique scientifique et peuvent conduire sur valuer certains aspects pour obtenir la reconnaissance les cr dits etc quoi il faut ajouter la diffusion par les m dias et la r ception dans le public IH Il est important que nous ayons ces critiques g n rales de la science ou d une science particuli re comme la g n tique mol culaire Mais ce n est pas la t che sp cifique des philosophes des sciences Certains journalistes font de bonnes critiques quand leurs analyses sont assez profondes on dit C est de la philosophie a Dans les ann es r centes un des plus beaux exemples d une critique g n rale des sciences est le travail des philosophes des Para marx page 6 sciences d inspiration f ministe L une de leurs repr sentantes les plus minentes Evelyn Fox Keller vient de publier
23. suivant le sch ma indiqu IH Le sch ma de Putnam et Oppenheim n est pas une recette pour la r duction mais un mod le logique de la forme d une r duction id ale Le mot lectromagn tisme sugg re que les quations de Maxwell servent de fondement pour deux groupes de ph nom nes La recherche de th ories unifiantes est encore une motivation puissante Les physiciens recherchent une th orie qui unirait la th orie quantique et la gravit Avec la th orie des cordes ils disent nous 1 E Nagel The Structure of Science London Routledge amp Kegan Paul 1961 11 Para marx page 12 approchons Comme tu vois m me si je pense qu il y a beaucoup de types de d sunion parmi les sciences j admire aussi les r sultats de l attitude oppos e Souvent c est une attitude presque mystique une conception de ce que le monde doit tre MK Les id es de Popper ont elles eu une incidence plus grande sur les chercheurs et sur leur fa on de travailler IH Peut tre trop Il y a des sociologues qui soutiennent qu une hypoth se qui n est pas mise l preuve et soumise la possibilit d une r futation ne vaut rien Popper a t le plus cout et le plus influent des philosophes des sciences du 20 si cle Son syst me de pens e est assez subtil mais des versions simplifi es de ses r gles de m thode sont comprises par tous Fait instructif dans les pays r gimes tr s autoritaires Po
24. t souvent combien je d testais ces deux mots J ai beaucoup de raisons pour cela et notamment le fait que r alit est un mot philosophique un mot ascenseur comme vrai et fait qui nous fait glisser de la langue saine des objets vers une m talangue confuse qui parle des mots Quant Para marx page 8 construction pris dans ce sens c est un mot fatigu et impr cis J ai crit ces deux livres pour viter ce langage qui cr e et r cr e des confusions persistantes Cela oui c est de la critique mais pas la critique des croyances scientifiques la critique du langage une t che courante pour la philosophie analytique Voil j ai d charg ma col re Revenons notre propos MK Nous sommes d accord sur l id e que la philosophie des sciences ne doit pas et ne peut pas tre une police ou un tribunal des sciences C est le travail des scientifiques eux m mes La culture scientifique l histoire d une science et la r flexion sur son objet ses m thodes ses modes de d couverte etc sont probablement utiles Rien ne garantit qu ils soient efficaces scientifiquement qu ils am liorent la productivit du travail scientifique ni qu ils permettent d viter des erreurs Les sciences n ont pas besoin qu on leur dise comment proc der on peut faire un usage pragmatique de Paul Feyerabend et admettre avec lui que toute m thode est bonne en pratique pourvu qu on obtie
25. ue donn e Le chimiste cr e la substance qui transforme le monde mais son geste a t amorc bien avant lui il est ins parable d un processus collectif et historique o s inscrivent les noms de Bacon des philosophes et des scientifiques du XVII si cle et o il faut aussi faire entrer l volution historique et sociale qui conduit la constitution d une science et d une technique scientifique capable d apporter des instruments utiles une agriculture organis e selon les modalit s propres PAllemagne du XTX si cle IH J ai toujours tendance dire la chose la plus banale Oui les chimistes sont imbriqu s dans une histoire des connaissances et des techniques qui a commenc de s panouir en occident depuis deux si cles L exemple des chimistes visait simplement illustrer ta question Quel monde quel monde des sciences Le monde des sciences c est d abord le monde des substances chimiques des particules atomiques des astres des cellules des esp ces d tres vivants des prions des quarks des grammaires des galaxies des champs d nergie des cordes et bien s r des entit s sociales qui sont des objets d tudes sociologiques syndicats SDF tribus de Papouasie ou laboratoires du CNRS En bref monde des objets de recherche Dans un autre sens le monde des sciences peut d signer le monde social des scientifiques un monde de laboratoires d institutions d unit s de rec
Download Pdf Manuals
Related Search