Dans le vortex des dessins de Benjamin Hochart, par J. Emil
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1. donnant une orientation l ind fini Dans les ombres flottantes la ligne devient signe prend forme et sens par r flexion de la lumi re Mais c est dans le mouvement quand surgissant d une vague telle une longue ligne droite qui se brise elle se d ploie qu elle devient ligne Les lignes apparaissent et disparaissent dans un mouvement de flux et de reflux Dans une estampe de format vertical de 1855 Les tourbillons de Naruto Awa Hiroshige oppose mouvement et immobilit Les cercles concentriques des flots bouillonnants se calment aux abords du massif montagneux qui se dessine l horizon et leurs lignes apais es en pousent les courbes On a devant les yeux ce que d crit E A Poe 14 ans plus t t dans sa nouvelle Une Descente dans le Maelstrom L opposition clair obscur introduit de v ritables tableaux dans le r cit qui d filent devant les yeux horrifi s du spectateur Le tourbillon lui m me semble subir l attraction du regard Pendant que je regardais ce courant prit une prodigieuse rapidit Plus loin les rayons de la pleine lune ruissellent le long des murs noirs du vortex semblant chercher le fin fond de l immense gouffre L estampe de Hiroshige illustre le r cit de Poe L image peu importe que Hiroshige ait connu ou non le texte de Poe produit sur le texte une attraction irr sistible Le lecteur lisant la nouvelle de Poe est aspir dans les d clivi2. tra n e de sang Un fil rouge qui va entra ner le p cheur toujours plus profond ment dans le vortex des d sirs de sa femme Comment fonctionne une image Par dissolution du r el dans le mouvement du medium comme la coul e de sang rouge dans l eau La ligne que dessine le corps bless d clenche le r cit et immobilise le regard sur les profondeurs de l ab me Vortex Les images percent un trou dans la r alit De l provient leur attraction la force de leurs d sirs aspire le regard dans un monde fluide d o jaillissent les images qui nous promettent un appui tandis que nous d rivons toujours plus profond ment vers le fond de l ab me Larve Pouvons nous voir ce qui se trouve au fond de l il Le processus de l image lui donne forme et nous nous souvenons l s journent les esprits 11 28 06 Gilbert Simondon Imaginaire et Invention 1965 1966 Les Editions de la Transparence 2008 10 Paul Schindler L image du corps Paris 1968 p 73
3. Dans le vortex des dessins de Benjamin Hochart par J Emil Sennewald traduction de l allemand Catherine Debacq Grof Publi dans le livre de dessin La perspective cavali re Im Blick der Herrenreiter Stuttgart 2009 Repris dans Benjamin Hochart ditions Adera 2012 Ce texte suit les instructions re ues des dessins de Benjamin Hochart plus pr cis ment des dessins intitul s Dod caphonies en r f rence la musique atonale de Sch nberg au principe de composition utilisant la s rie des douze sons de la gamme chromatique Hochart applique ici des r gles pr cises les crayons qu il va utiliser pour un dessin sont plac s port e de main dans un ordre donn Hochart commence son dessin au milieu de la feuille avec le premier crayon qu il ne reprendra par la suite qu apr s avoir utilis tous les autres l un apr s l autre Cette contrainte lui permet comme il le dit dans un entretien avec Pascal Beausse de faire un travail qui n est pas le simple r sultat d un protocole de production mais une trace r siduelle de l apparition de la forme Le dessin r v le le moment de l apparition de la forme Il s accomplit par dilatation en cercles centrifuges s largissant vers la p riph rie chaque forme engendrant la forme suivante Ce texte est critique d art La critique d art appr hende l image d art l authentifie dresse des assignations la salue comme on salue une connaissance La cr
4. Probl matique aussi dans la mesure o d s lors la ligne de d marcation entre deux registres cat goriels diff rents de l exp rience du r el l imaginaire et le symbolique tendent dispara tre Si nous partons avec Lacan de l id e d un entrecroisement de ces deux cat gories l il du sujet regardant se trouve pris dans les rets du regard de l image Le regardant est attir vers l image par son d sir d y reconna tre la fois quelque chose et lui m me comme sujet connaissant Au moment m me o s instaure ce processus le sujet est happ dans les structures de l image et dans ses lois Devient partie de l image Sans doute au fond de mon il se peint le tableau Le tableau certes est dans mon il Mais moi je suis dans le tableau En allemand im Bilde sein tre dans le tableau signifie reconna tre comprendre tre instruit de quelque chose L instruction de l image implique l institution d un sujet la mise au jour de son armature de son masque de son g nie tut laire car l image prot ge et enferme Le champ visuel de l image l instauration du sujet les instruments de protection c est dire tout ce qui attire le regardeur vers le tableau et l enferme dans le mode d tre de l image ne sont pas pr sents dans l espace au moment o il y p n tre C est lui qui les instaure qui met en place les structures de ce fond de l il dont
5. amin le langage tient les images rh toriques dans ses filets et les images forment ce qui s exprime dans le langage L attraction chez Mitchell se r f re l nonc m taphorique pr linguistique en m me temps qu l nonc m taphorique propre chaque langue Elle d lie les liens qui lient le regardeur On pourrait dire avec Merleau Ponty qu elle jette les poissons et garde le filet dans lequel le regard est pris dans un tissu de signification dans un r seau de vecteurs et un foisonnement de lignes de force bref dans le sens Katsushika Hokusai vers 1840 dans une estampe grav e sur bois appartenant la s rie des Cent vues du Mont Fuji repr sente ce filet qui tient l image Le Mont Fuji vu travers une toile d araign e repr sente une toile d araign e dont les fils convergents se disloquent en fragments lin aires au centre de la toile l o se trouve l araign e La montagne n est visible enti rement que derri re la toile intacte L araign e symbolise un d sir insatiable d images D images qui se prennent dans les fils comme la feuille d arbre de Hokusai trangement d taill e prise dans les fils obstrue la vue au travers de la toile d araign e Pour tre pris dans le filet des images il faut d sirer s en chapper Ce d sir est l essence m me de l image L attraction de l image est proportionnelle au d sir d en sortir Vortex C
6. dit Hochart Ce qui m int resse c est de voir ce qui est au fond de l il Mais comment faire surgir ce qui est au fond de l il Comment repr senter ce qui dispose l image La proposition de Hochart en traversant l espace am nag par l image Le texte plac en regard de l image est comme le sujet qui regarde l image la fois r ceptif l image et pris par elle il met en sc ne l image et est en m me temps positionn par elle Ensemble le texte et l image s actualisent leur tour en image dans un processus spatial Quand la gen se de ce processus passe au premier plan appara t alors ce qui d ordinaire ne doit pas tre vu la structure dans l agencement de ses parties En tant que r ponse aux images de Hochart et leurs directives le texte qui suit ob it trois r gles 1 Il s labore partir des m taphores convenues d avance et de leur champ s mantique Ici les m taphores sont utilis es comme les crayons dessin elles donnent corps et forme au 2 Jacques Lacan L Anamorphose dans Le S minaire livre XI Paris 1973 p 89 texte ont un halo s mantique tout comme dans un dessin ou une peinture la disposition des ombres ou des couleurs est ins parable de leur valeur s mantique Le texte n utilise pas uniquement des termes explicites mais aussi des m taphores et leur champ s mantique 2 Le passage d un champ m taphori
7. e d sir de lib ration est engendr par le mouvement vers l image Il s exerce dans un pouvoir d attraction excentrique inversement proportionnel la force d attraction centrifuge 5 Walter Benjamin ber das mimetische Verm gen dans Medien sthetische Schriften Frankfurt Main 2002 p 126 Maurice Merleau Ponty La prose du monde Gallimard Paris 1969 p 66 de l image Ce d sir part du corps de sa propre force de gravitation qui l attire dans le vortex des images Selon Henri Lefebvre le corps cr e l espace en projetant les filets qui le tiennent Le processus de l image emporte les filets sur son passage En 1857 un an avant sa mort And Hiroshige reprend un motif qu il avait utilis deux ans auparavant dans la s rie des Vues des sites c l bres des soixante et quelques provinces du Japon les tourbillons du d troit de Naruto entre les les d Awaji et de Shikoku Les tourbillons de Naruto au large d Awa est une planche appartenant une s rie de trois triptyques sur les th mes de la neige de la lune et de la mer Hiroshige un ma tre du dessin et de l estampe color e formule dans ses triptyques trois moments constitutifs de l image le fond r fl chissant la neige la lumi re r fl chie la lune et le mouvement rythmique la mer Sur le fond r fl chissant semblable la feuille blanche de papier la ligne jaillit d un ondoiement de couleur blanche
8. itique d art tablit un espace de convivialit entre l uvre d art l auteur et le lecteur Ecrire sur l art implique la constitution d un sujet La critique d art pose priori l existence de l artiste et de son critique Aussi ce texte une commande de l artiste destin e accompagner des dessins ne peut il ni tre un commentaire explicatif de ceux ci c est dire un mode d emploi de lecture des images ni les ennoblir par une approche historico philosophique ce que l on attend habituellement de la critique d art Il ne peut que suivre les directives impos es par les images auxquelles il est assign Ce texte constitue une tentative de r ponse De r ponse aux images de Hochart en particulier et la question de la relation entre le texte et l image en g n ral Relation ind cise qui s inscrit entre les pratiques de la d signation et de la description entre les figures de la ressemblance et de la diff rence Pensons aux phylact res de yvind Fahlstr m un artiste auquel Hochart s int resse beaucoup actuellement ils mettent en sc ne cette impr cision donnent l crit une assise bancale Une relation probl matique pour le m tier de la critique d art qui doit la fois s approcher de c est dire s impliquer dans et s carter de l uvre 1 Conversation Pascal Beausse Benjamin Hochart Paris 22 2 2008 publi e dans Semaine n 10 Paris 2008 picturale
9. que l autre s effectue dans un ordre d termin le pr c dent ne pouvant tre r introduit que quand les deux autres auront t utilis s l un apr s l autre 3 Les limites du texte comme les bords de la feuille de papier dessin sont fix es d avance sur la base d un nombre de signes typographiques et d un temps d criture impos s Ce faisant alors que le nombre de signes doit tre rigoureusement respect le temps s il ne peut pas tre d pass peut tre inf rieur On remarquera qu on a affaire ici une formalisation des conditions dites normales appliqu es aujourd hui aux textes de critique d art Un texte bien construit s articule en r gle g n rale l int rieur d un champ m taphorique coh rent et bien d fini dans un espace donn celui de la revue d art par ex en un temps d termin par les conditions conomiques honoraires en fonction du nombre de signes typographiques ind pendamment du temps employ et techniques date de parution et par cons quent date d impression La formalisation de ces param tres met en relief leur fonction de dispositif conducteur dans son rapport avec l image Ainsi la formule adopt e pour ce texte est elle en r f rence la musique dod caphonique le nombre 12 et ses multiples ou diviseurs a eye catcher b vortex c larve 9920 signes typographiques espaces compris soit 4 pages normalis es de 2480
10. r le fond blanc Form s par la rapidit de leurs volutes ils regardent dans les yeux le spectateur qui s attarde Larve Par le mouvement qui lui donne naissance l image subit une m tamorphose Dans le lacis de fils qu elle a tiss elle devient image corps Les Dod caphonies de Hochart passent du dessin l objet sculptural de la surface l espace s chappent du papier comme la trace laiss e par la chenille contiennent des bauches de paysage dans le style des ma tres de l ukiyo e des explosions avec des r f rences au vorticisme d un Percy Wyndham Lewis ou des plantes telles qu on pourrait les trouver chez Paul Klee G notypiquement identiques la r alit ces objets images contiennent le code de la r alit qui jaillit d eux Toute image est susceptible de s incorporer un processus de r currence mat rialisant ou id alisant crit Gilbert Simondon les objets images sont presque des organismes ou tout au moins des germes capables de revivre et de se d velopper dans le sujet Le germe de cette incarnation et du coconnage des images provient du geste qui les instaure La transformation des images dans le sujet correspond la mani re dont elles naissent elles Les dessins de Hochart ne repr sentent pas une r alit absente Plac s dans l espace en tant qu objets comme une sculpture ils d veloppent une identit ph notypique Ils se manifestent tels qu il
11. s sont des images en d veloppement Les exp rimentations de Hochart sur le dessin aveugle comme ses dessins r alis s selon des r gles de composition rigoureuses se d veloppent partir de l id e que l image en train de se faire r v le son mode d apparition en tant qu image la mani re des larves qui produisent partir d un germe d actions possibles une forme qui bouge Il est certain que ce germe du plan d un mouvement explique Paul Schilder au sujet de l image corps ne trouve son d veloppement que pendant l ex cution de l acte et que les sensations provoqu es par l acte m me auront une influence sur le d veloppement du plan La m tamorphose induite par l image r agit sur l image c est seulement de la perspective du papillon que la chenille est un stade pr liminaire prometteur de la perfection venir eye catcher Le processus de l image tire son nergie de la tension dialectique entre prendre et l cher L image prend le spectateur par consanguinit ressemblance le retient par son alt rit diff rence le rel che quand le d sir fait corps avec l image Dans le conte de Philipp Otto Runge de 1809 le P cheur et sa femme compos pour les fr res Grimm le p cheur prend un turbot Celui ci demande gr ce Impressionn d entendre parler un poisson le p cheur le rel che Celui ci replonge au fond de l eau laissant apr s lui une longue
12. signes Temps disposition 12 heures 00 00 00 Un mot en entra ne un autre Un dessin crit W J T Mitchell renvoie l id e d attraction d attrait Mitchell cite un po me de Turner dans lequel la peinture se sent attir e par un objet Le mot anglais drawing signifie dessin attraction traction Jean Luc Nancy souligne cette derni re signification dans le trait de por trait Quel est le mode d tre de l image Par sa g p 8 Das Leben der Bilder M nchen 2008 p 80 4 Jean Luc Nancy Au fond des images Galil e 2003 force d attraction L image est attirante et tire elle pour captiver et capter encha ner sa structure Mais comment agit cette attraction comment se produit elle Tout d abord par le langage Celui ci structure la surface sur laquelle jaillissent les images donne voir les traits d une personne ou l attrait d une ligne Le langage attire vers l image dans la mesure o il intime de se tourner vers elle et o il la pare des crit res conventionnels de l interpr tation Dans le mot allemand Zeichung dessin se trouve le mot Zeichen signe la chose manifest e et le pr sage Les signes selon Walter Benjamin permettent de lire ce qui n a jamais t crit Cette lecture est la plus ancienne c est la lecture avant le langage dans les entrailles les toiles ou la danse Pour Walter Benj
13. t s de l image invisible et du r cit imag Il entre dans le r cit voit en m me temps que le p cheur la surface de l eau clair e par la lune dans 7 Walter Benjamin ber die Malerei oder Zeichen und Mal dans Medien sthetische Schriften ibid p 271 Edgar Allan Poe Une Descente dans le Maelstrom traduction de Charles Baudelaire l il du cyclone Le bateau ne semblait pas plonger dans l eau mais la raser comme une y bulle d air qui voltige sur la surface de la lame D river comme une calebasse sur la rivi re crivait le po te Asai Ry i au XVII si cle c est ce qui s appelle ukiyo Comparable l image de la vanitas baroque l ukiyo signifiait le monde flottant li la notion de l impermanence de toute chose Au XVII si cle dans un v ritable retournement de sens le terme devient la vie flottante refl tant une attitude existentielle nouvelle vou e au culte des plaisirs ph m res du luxe et des spectacles Les estampes ukiyo e qui ont conserv l ancienne signification d images du monde flottant comme la vague se brisant sur les rochers se heurtent aux limites du support et au bloc d impression en bois attirant le regard dans les profondeurs du monde de l ph m re Le triptyque horizontal de 1857 adoucit la dramaturgie Dans le paysage les remous de la mer d cha n e produisent des ouvertures dans l image des yeux ouverts su
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