La religion, gestionnaire du sacré / Guy Ménard, Petit traité
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1. Article La religion gestionnaire du sacr Ouvrage recens Guy M nard Petit trait de la vraie religion l usage de ceux et celles qui souhaitent comprendre un peu mieux le vingt et uni me si cle Liber 230 p par Isabelle St Amand Spirale arts lettres sciences humaines n 184 2002 p 35 36 Pour citer cet article utiliser l information suivante http id erudit org iderudit 17136ac Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudlit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 06 36 SPIRALE MAI JUIN 2002 DOSSIER Les folies de Dieu LA RELIGION GESTIONNAIRE DU SACR PETIT TRAIT DE LA VRAIE RELIGION L USAGE DE CEUX ET CELLES QUI SOUHAITENT COMPRENDRE UN PEU MIEUX2. t de rendre compte dans un deuxi me temps des cons quences pour le monde contemporain de la perte de transcen dance li e l essoufflement de la querelle qui a oppos l Etat et la religion depuis quatre si cles Laicisation Avant d aborder la partie historique de son ex pos Marcel Gauchet pr cise l objet du parcours qu il nous propose qu il appelle d abord pro cessus de sortie de la religion Si les termes de s cularisation ou de la cisation peuvent se mon tr r ad quats pour d crire la surface de ce pro cessus ils restent incapables d rendre compte du dynamisme qui lie l tat et la religion au cours de ce processus Sortie de la religion ne signifie pas sortie de la croyance religieuse mais sortie d un monde o la religion est structurante f j et o elle d finit l conomie du lien social w Ce qu analyse ici Gauchet avec beaucoup de finesse c est le double mouvement de secon darisation et de privatisation du religieux par l tat mouvement qui peut se mesurer tant sur le plan politique que sur le plan civil Bien que les premiers mouvements du pro cessus de sortie soient ant rieurs Gauchet en voit la premi re manifestation lors de la fin des guerres de Religion en 1598 L Edit d Nantes marque en effet l av nement d une nouvelle con ception du partage des pouvoirs entre l Etat et l glise Cette nouvelle conception de la politique s appuie d une part sur l ascendant que prend le
3. LE VINGT ET UNIEME SIECLE de Guy M nard Liber 230 p h Enser le sacr en tant qu exp rience P consiste rep rer l essence du ph nom ne religieux et de ses caract ristiques travers la diversit de ses manifestations Dans son livre M nard tient donner en les illus trant divers outils et notions pour mieux saisir le r le le sens et la signification de la religion dans la culture actuelle I esp re dissiper l id e qui tend confondre la religion et les formes religieuses de la tradition jud o chr tienne notamment au Qu bec Selon lui la religion serait une dimension fon damentale constitutive de l tre humain au m me titre que la psychologie l conomie et la sociologie Cest donc dans l espoir de rep rer de nouvelles formes de religion que M nard s inspire d une con ception de la religion englobant une r alit beau coup plus large Il entreprend de revenir la source de toute r alit religieuse authentique c est dire l exp rience m me du sacr et d finit la reli gion comme la gestion de l exp rience du sacr Toutes les traditions religieuses ont eu recours diff rents ic nes mythes et rituels pour acc der au sacr L efficacit de l ic ne sorte de tremplin vers linvisible ne r side pas dans sa mat rialit mais bien dans la capacit de celle ci symboliser infiniment plus qu elle m me Pour sa part le mythe est un r cit sacr et pourvoyeur de se
4. pouvoir s culier sur le pouvoir religieux en se montrant capable de maitriser le conflit qui op pose les catholiques et les protestants et d autre part sur une nouvelle conception de la religion qui incorpore les r flexions des th ologiens pro testants qui s levaient contre les pr tentions h g moniques du clerg catholique Absolutisme C esl par un r quilibrage des Pouvoirs impos parun pouvoir d Etat en train de s instituer que 30 l tat r ussit d passer les antagonismes qui avaient nourri les conflits religieux de la deuxi me moiti du xvi si cle La raison d tat est la r ponse politique la d raison belli gueuse de la foi dont t moigne l affrontement des confessions Ce nouveau pouvoir d tat r ussit tablir un nouveau pacte avec le pouvoir reli gieux o ce dernier se voit non pas SOUMIS mais plut t englob si l glise est dans l tat l Etat n est pas dans l glise D j l tat se s pare de l glise C est au terme de deux si cles de luttes et de tractations port par le mouvement de rationa lisation des Lumi res et achev par le coup de force de la R volution fran aise que l tat arrive d finir et affermir sa domination du pouvoir religieux Marcel Gauchet insist particuli re ment sur ce moment o le pouvoir d tat et le pouvoir religieux arrivent un quilibre entre la domination et la libert Sur ce point plus clat ren
5. de d finir Dieu comme une ic ne L me pour sa part exprimerait l id e que les hu mains se font d eux m mes et de ce qui restera d eux apr s la mort Notre conception de l me se rapprocherait de celle de Qoh let penseur juif qui crivait il y a trois mille ans Va mange avec joie ton paire et bois ede bon c ur ton vin LL Tout ce ju ta mar trouve capable de farre fars le par tes propres Jerces car il n ya niwuvre ni bilan ni sagesse dans le s jour des morts o tu t en iras Qoh let 9 5 7 10 En fin de compte la religion serait d abord et avant tout une dramatique de salut En effet si toutes les religions ne promettent pas le salut per sonnel leurs adeptes toutes sans exception leur offrent une raison de vivre et de mourir La vraie religion conclut M nard serait ce qui fait vivre les humains au maximum et les rendrait sereins de vant la mort peu importent le lieu o elle s installe et la forme qu elle prend Isabelle St Amand Les folies de Dieu LA RELIGION ET SON DOUBLE LA RELIGION DANS LA D MOCRATIE de Marcel Gauchet Gallimard Essais 175 p U EST CE qui lie des choses en appa rence si oppos es que l tat et la reli gion C est cette question que r pond Marcel Gauchet dans La religion dans la d mocratie en insistant con trairement ce que l on fait habituellement sur ce que doit l tat r publicain au christianisme Cette tude permet Gauch
6. du sacr et du profane Penser la dialectique du sacr et du profane c est tenter de saisir l exp rience du sacr de mani re la fois plus dynamique et la fois plus enracin e dans le tissu socioculturel des groupes humains pour ainsi dire dans le mouvement perp tuel o on peut la re p rer travers l histoire Ainsi alors que le profane est le lieu o l an vit le sacr lui est l a espace d o l on tire ses raisons de vivre Pour tenir en res pect la puissance du sacr l humanit l enferme dans l interdit Le profane pour se revivihier doit de temps autre retourner la source de la puissance du sacr en transgressant les interdits Le r le de la religion serait de g rer la circulation entre ces deux sph res fonction assur e par certains personnages et pratiques rituelles Pr tres gourous et sorciers ces personnages la fois v n r s et craints servent d interm diaires entre l humanit et les puissances du sacr Les d placements de l exp rience du sacr rep rables notre poque ont fait apparaitre de nouveaux pontifes m diums t astrolagues mais aussi stars et sex symbols qui par leur charisme ou leurs accomplissements singuliers vivent dans un univers diff rent du n tre chappant aux normes de la vie profane Les vedettes ont pour r le de nous faire acc der au sacr travers une des hi rophantes contemporaines concert d Iron Maiden m ga party Black and Blu
7. e match de la Coupe mondiale de football ete On le voit le sacr de transgres sion serait l affaire des vedettes celui de respect ap partiendrait au monde cl rical Pour la majorit des humains la transgression des interdits se vit le plus souvent travers la f te La f te moment de d bauche o l on chappe la logique productiviste du travail se caract rise par la permissivit et l exc s exc s de d pense de bouffe de boisson de danse de soleil de farniente ou de sexe La f te que ce soit un carnaval un sou per entre amis ou une nuit rave r actualise un mythe d origine dissout les rigidit s de la vie pro fane et am ne la possibilit d un nouveau com mencement videmment la transgression de l in terdit du sacr ne vient pas sans risques et on subit parfois des dommages collat raux au contact de l exub rance de la vie Chaque ann e le carnaval de 35 Rio fait des centaines de morts moindre chelle on pense un party de bureau ou une overdose lors d un spectacle rock La f te perp tuelle utopie souvent entretenue par le xx si cle serait insens e car elle dissoudrait la dialectique entre le sacr et le profane En effet Ua f te en tant qu exp rience du sacr m a de sens que dans la mesure o elle est la transgression ponctuelle d un interdit que la vie pro jane doit habituellement respecter ne serait ce que pour en conserver le d sir intac
8. e aux nouvelles tribus de la modernit il est possible d adh rer plus d un univers mythique tribal sans que le passage d un univers l autre cause probl me Enfin la r ligiosit postmoderne se Caract riserait par sa l g ret r sultat d une cons cience aigu et tragique de l in vitabilit de la mort ainsi que par un h donisme g n ralis Man geons buvons dansons parce que demain Dans l histoire des civilisations humaines les religions ont souvent t associ es de sombres vi s es cannibalisme b chers des h r tiques croi sades ete Le caract re ambivalent du sacr est ga lement visible dans la popularit des figures diaboligues comme Dart Vader Ozzy Ozbourne et Charles Manson qui hantent l imaginaire de notre poque La tradition jud o chr tienne nourrie par la grandiose utopie d un projet tout entier orient vers le Bien a red fini le p le du sacr en y incluant uniquement les c t s positifs de la vie profane et de la vie sacr e et en le rebaptisant saint plut t que sacr Le p le positif du sacr enti rement oc cup par Dieu a entrain une d sacralisation de l existence D autres traditions religieuses pour leur part ont reconnu l in vitable part d ombre que comportait aussi leur exp rience du sacr et ont tent de n gocier avec elle pour en limiter les fiets destruct urs Vu la diversit des repr sentations du sacre M nard sugg re
9. ent encore que sur d autres on mesure comt bien l entreprise r volutionnaire a consist sor tir le papillon tatique de la chrysalide royale Cette m taphore dans un texte qui en est prati quement d pourvu nous fait bien voir la dia l ctique particuli re qui lie l tat la religion C est ce mouvement particulier fait de domina ton mais aussi d int gration et de d passement que tente de nous faire voir Gauchet par son ex pos historique Tout en d passant la religion l Etat s en imspire Lib ralisme Mais le mouvement d acc l ration historique d la R volution allait emporter ce fragile gui libre comme il a emport beaucoup d autres choses Dans les ann es qui ant suivi la R volu tion les rapports de la religion et de l Etat ont connu deux phases La premi re d finie par la Constitution civile du clerg tente de d pouiller l glise de toute influence qu elle pourrait avoir sur le plan politique La religion est en quelque sorte vacu e de l tat Ensuite port e par le mouvement pacihcateur du Consulat l glise est r int gr e dans l tat mais au prix d un encadrement strict Domination de l tat sur l glise et pr dominance de l glise dans l tat Marcel Gauchet passe sur le xix si cle pour s arr ter aux circonstances qui ont pr par l adoption des lois de 1905 et 1906 qui marquent l aboutissement de la phase hb rale I s arr te un
10. ns ayant pour fonction principale non pas d expliquer les ph nom nes mais plut t d exprimer l exp rience des humains dans le monde plus particu li rement leur exp rience du sacr Quoi qu on en pense le mythe est loin d avoir t d laiss au profit de la modernit et des avanc es de la science On n a qu songer au mythe am ricain ou aux mythes fondateurs de pays dont celui du Qu bec qui res tent encore bien vivants ou encore celui de la Science du Progr s et de la Technologie duquel on attend aujourd hui la m me chose qu on attendait autrefois des dieux Enfin les rites nous font sortir du quotidien pour nous redonner l exp rience in tense et vitale qui a donn naissance au mythe Ils donnent un surplus de sens des v nements par ticuliers Nos soci t s marqu es par les valeurs de la modernit souffrent d un d ficit de symbalisa tion rituelle compens tant bien que mal par des d marches spontan es de ritualisations initia tiques observables entre autres chez les jeunes de la rue La recrudescence de la demande rituelle qu on observe de nos jours se manifeste de diff rentes fa ons Mais puisqu une culture n improvise pas du jour au lendemain ses heux de ritualisation ni ses rituels nombre de nos contemporains encore ont recours ceux de l glise bapt me mariage fun railles m me s ils n adh rent pas forc ment au contenu doctrinal explicite de celle ci La dialectique
11. rsuivre d en favoriser la r actualisation gr ce aux mythes et aux rituels Le tam tam montr alais forme de re hgiosit urbaine qui dure depuis des ann es illustre bien le caract re indispensable de l institu tion quand il s agit de rendre l exp rience du sacr accessible un grand nombre de personnes La religiosit postmoderne On remarque de nouvelles formes d une religiosit diffuse travers de nombreux lieux de la culture contemporaine comme en t moignent la fascina tion pour les extraterrestres les nouvelles r alit s 12 T mr SPIRALE MAI JUIN DOSSIER virtuelles de m me que les diverses superstitions vi vents dans toutes les couches de la soci t Parmi les principales ruptures susceptibles d influer sur l conomie postmoderne de la religion on pense l effritement des grands r cits fondateurs leur d sancrage par rapport aux institutions au carac t re ph m re des nouveaux mythes et l inversion de la s quence entre le mythe et le rituel Pr sent dans toutes les traditions religieuses le syncr tisme deviendrait un trait habituel et d lib r de la reli giosit postmoderne De plus les nouvelles formes mythiques et rituelles engendr es par la postmo dernit auraient souvent un caract re tribal comme en t moignent les tatouages et les percings et le culte vou Star Trek aux X Files ou aux raves Vu l caract re mouvant et non exclusif de l ap partenanc
12. t La diff rence entre l exp rience domestique du sacr et sa contrepartie sauvage ne tient pas essen tiellement l intensit de leurs formes mais bien plu t t l intentionnalit de leurs manifestations Par exemple certains rites de religions br siliennes d origine africaine d chain s nos yeux sont en fait domestiqu s au sens o ils sont parfaitement int gr s au sein de la communaut qui les pratique Le sacr sauvage quant lui pourrait tre vu comme une entr e dans le sacr sans intention de retour Dans cette perspective l usage de drogues et d autres substances hallucinog nes notamment parmi les jeunes de notre poque ne pose pas de probl me en soi mais plut t du fait de l absence de mode d emploi domestique qui guiderait le re tour au profane Si nous admettons facilement l utilit de la fonction domestique de la religion nous avons par contre du mal accepter celle des institutions de qui rel ve cette fonction Notre m pris des institutions se heurte toutefois l incon tournable paradoxe une exp rience instituante meurt si elle refuse de s instituer mais donne in vitablement naissance de l institu d s qu elle se prolonge I arrive souvent que les institutions en racin es dans la vie profane finissent par touffer l intuition fondatrice qui les a fait na tre N an moins il reste que leur but premier est de per mettre celle ci de survivre et de se pou
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