les viols systématiques - Association des Revues Plurielles
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1. cette reconstruction des peurs des identit s historiques de l ennemi bon penser Les performances de cette propagande concernaient le corps les os des morts les r cits de torture il s agissait de prendre conscience de la menace atroce qui pesait sur les Serbes un g nocide cruel o l on allait collecter dans des paniers les yeux des enfants et violer les femmes serbes Confluences 50 syst matiquement L histoire des viols syst matiques dans le programme de l puration ethnique c est l histoire d une performance de la propagande qui devait pour inscrire ses sch mas grotesques dans le r el proc der une mont e aux extr mes des caricatures puis franchir le pas de l action En r alit tout ce folklore de la haine ethnique tait sociologiquement faux en voie de d su tude dans ce pays europ en o la vraie culture des banlieues c est le r ve technologique la vid o et esth tique le hard rock am ricain L argument le meilleur pour alimenter une haine ethnique en voie de d su tude c est le viol Une des causes apparemment la plus superficielle de la pratique des viols syst matiques dans cette guerre mais en fait la plus puissante et la plus profonde se situe notre avis dans la rh torique de la propagande officielle qui pr c de le conflit plus elle est mensong re et ignoble et plus elle est susceptible de saisir l imaginaire collectif l insu m me des acteurs sociaux si ces derni2. l encontre des femmes mais pas seulement Dans les r gions o il n y a pas eu de combats mais proclamation de la Confluences 40 r publique serbe autoproclam e et mise en place de l puration ethnique institutionnelle comme au Kosovo depuis 1989 la terreur nocturne avec viols tortures meurtres et pillages se double d un harc lement policier l gislatif et institutionnel qui petit petit rend toute activit professionnelle m me de d placement impossible aux non serbes qui vivent dans une sorte d enfer croissant les atrocit s commises la nuit et les stigmatisations bureaucratiques le jour se conjuguent Les viols et exactions ne sont pas punis et se d roulent dans une atmosph re de haine publique tal e au grand jour et d impunit qui constituent le fondement id ologique de cette situation 3 Enfin il faut distinguer les viols suivis de grossesse forc e Dans ce cas les femmes sont comme ins min es de force et gard es sur les lieux jusqu au sixi me mois au moins le rapport synth tique de l ONU d pos en mai 1994 fait tat de t moignages qui mentionnent la visite de m decins pour v rifier si la femme qui ne tombe pas enceinte ne porte pas de st rilet Ce type de pratique n a eu lieu me semble t il qu en Bosnie Il est impossible d valuer son importance num rique mais des t moignages pr cis attestent que cela a eu lieu Quelle que soit l extension de ce type de pratiques pendant le con
3. e l encontre des personnes civiles lorsque les tortures prennent cette dimension de profanation publique des valeurs sacr es de la victime religieuses culturelles familiales le viol s inscrit tout naturellement dans le programme Lorsque le viol est pratiqu devant les proches ou m me lorsque l injonction au proche est de participer l agression sexuelle la torture est exerc e aussi sur les proches qui partagent le traumatisme subi sous leurs yeux par l enfant D s la guerre en Croatie ces crimes de profanation tentative de saccager aux yeux de la victime ce qu elle a de plus sacr taient sensibles les viols et les tortures publiques s inscrivaient dans ce contexte Il a t dit que ces exactions premi res taient destin es faire partir par la terreur les populations non serbes et ainsi de vider l espace destin tre envahi Il nous a sembl que le viol est devenu plus syst matique et organis dans la guerre en Bosnie notamment avec ces t moignages sur des lieux d enfermement sp cialis s D s 1992 l extr me cruaut de l puration ethnique dont t moignaient les victimes et d j toute une s rie d enqu tes s rieuses rendaient plausible l existence des viols mais la question de leur ampleur num rique restait une nigme Pour nous la difficult d une valuation chiffr e n a jamais constitu la preuve qu ils n existaient pas Pourvu qu il y en ait le moins possible telle tait notre positi
4. passe les 500 000 comment d nombrer les viols Quelle est l chelle Notre opinion personnelle compte tenu du contexte d extr me cruaut est que la fourchette plausible est de l ordre de plusieurs dizaines de milliers de victimes au moins et non pas de l ordre de quelques milliers L expression viols syst matiques s est impos e apr s la lecture du premier dossier de la commission d enqu te Warburton en 1992 Depuis malgr la difficult pour les enqu teurs et encore plus pour les journalistes de travailler sur une telle question des zones enti res leur taient interdites en Bosnie les victimes doivent tre prot g es du regard port sur elles par le groupe social apr s avoir livr leur t moignage le dernier rapport de l ONU mai 1994 confirme les viols syst matiques et en value le nombre un minimum de 20 000 ce qui donne une estimation de l ordre de plusieurs dizaines de milliers hypoth se avanc e dans le dossier pionnier Warburton Si la d monstration pouvait tre faite que la r alit de ces viols est moindre quantitativement nous en serions heureux mais elle ne changerait pas la nature de ces pratiques av r es et la question de l usage politique des viols dans ce conflit continuerait de se poser Enfin l hypoth se qu il y ait un nombre plus important n est pas exclue L imaginaire du purificateur ethnique et la culture du soldat Le sentiment d horreur et le refus des atrocit s commises co
5. 1994 Citons aussi Mass rape The war against women in Bosnia ouv coll Ed Alexandra Stiglmayer University of Nebraska Press USA 1994 Vukovar Sarajevo la guerre en ex Yougoslavie ouvr coll sous la direction de V ronique Nahoum Grappe Ed Esprit 1993 Seasons in Hell understanding Bosnia s War Ed Vulliamy Simon and Shuster 1994 Il y a eu aussi de nombreux articles dans des revues sp cialis es psychiatriques par exemple sur les d g ts psychologiques dus aux polytraumatismes de guerre notion forg e par le Dr D Kovacic Kozaric Vrapce Hospital Universit de Zagreb pr psychiatrie qui d s 1992 publiait des articles psychiatriques tr s pr cis sur la question des viols syst matiques dans des revues sp cialis es en Croatie et aux Etats Unis pour les questions juridiques voir Lescure K et Trintignac F Une justice internationale par l ex Yougoslavie mode d emploi du tribunal p nal international de La Haye L Harmattan 1994 et Le tribunal P nal International Colloque d ICE ENS 1995 Ed ICE 2 Information entendue l Institut National des Hautes Etudes Juridiques Paris 1995 3 En 1993 nous avons effectu une enqu te aupr s des autorit s religieuses partir d un t moignage pr cis sur des viols qui auraient t commis dans un couvent ce qui nous a t confirm non pas pour le couvent en question mais par un autre que nous ne pouvons citer D autre part un dossier a t tablit p
6. disparition d un petit peuple cause des g nocides r ussis des autres ethnies une variante plus calme de cette hantise de la disparition se retrouve aussi dans l id e que l Autre ethnique pratique une invasion par le lit dans un d mographie galopante comme une peste blanche les hantises de la droite fran aise se retrouvent ici ainsi que les raisons profondes de toutes les politiques natalistes mais aussi le d but de la propagande nationaliste serbe sur la question du Kosovo c est bien d un double g nocide qu il s agit celui sanglant et oubli par l histoire des Turcs depuis leur victoire en 1389 sur la terre lue serbe le Kosovo g nocide relay par l action des oustachis ces fascistes croates au XX me si cle mais aussi l invasion d mographique des populations non serbes faisant trop d enfants cette peste blanche que les Albanais du Kosovo et les Bosniaques musulmans propagent en temps de paix et qui extermine invisiblement et en douceur les Serbes La sexualit prolifique de l autre est un des th mes du racisme Le viol est aussi une vengeance contre cela En fait toutes les guerres ne sont pas homog nes la sagesse des nations a tort mais le mod le reproduit par l puration ethnique se fonde sur une imagerie antique et grotesque la fois quelque chose de honteux force d tre d phas cela ne va pas et l explication par l imaginaire du nationalisme extr me est insuffisante comme plaqu e La clef est da
7. f minin qu il atteint dans sa diff rence identitaire un crime perp tr sur une masse indistincte ne fera pas la diff rence le bourreau br lera et gazera tout le monde en vrac Mais dans le cas de l puration ethnique le souci de diff renciation sexuelle est sensible d j dans cette s paration entre hommes valides jeunes et adultes et le reste de la population Les hommes sont souvent massacr s part imm diatement sur place ou plus loin sur la route ou plus tard dans les camps de concentration qui ne sont pas des camps d extermination mais o de nombreux massacres de masse ont lieu de fa on al atoire Les castrations ou viols d hommes ne sont pas des pratiques aussi syst matiques que le viol des femmes en revanche les hommes sont plus syst matiquement d port s et assassin s surtout s ils sont cens s constituer l lite du groupe instituteurs m decins avocats etc alors que le groupe des femmes des enfants et des vieillards seront souvent chass s dans des conditions plus ou moins graves apr s avoir t spoli s de tous leurs biens Souvent ils pourront enfin tre vacu s gr ce la Croix Rouge Internationale ou tre chass s travers les lignes de front et les champs de mines Dans les camps de r fugi s il y a surtout des femmes des vieillards et des enfants La culture de la virilit dans ce dispositif de mort a un r le contradictoire en ce qui concerne les femmes puisque d une certaine ma
8. la fille de cet autre homme Mais les viols syst matiques ceux qu un soldat et pas seulement un milicien ivre doit accomplir comme action inscrite dans le programme de la guerre cela n est pas possible En 1996 nous savons que non seulement en Bosnie mais aussi Ha ti en Alg rie Kaboul au Rwanda le viol s est inscrit de fa on visible Printemps 1996 37 depuis quatre ans dans le programme de r pression des groupes arm s qui massacrent d portent torturent une fraction de la population civile d finie selon des crit res particuliers et pour des raisons politiques Les rapports internationaux d enqu te ont non seulement confirm les viols syst matiques en ex Yougoslavie mais de plus ils ont constat un changement dans l usage politique des tortures sexuelles dans des espaces divers o se d roulent des conflits Amnesty International par exemple signale syst matiquement depuis quelques ann es l aggravation des violences contre les femmes non pas que l usage politique des tortures sexuelles soit nouveau non pas qu il ait t d montr qu il y ait plus de viols de guerre qu avant et la guerre d Alg rie devrait tre revisit e sur ce point par les historiens fran ais mais une sorte de visibilit s est impos e sur la pratique des viols dans les guerres depuis trois ou quatre ans Cette visibilit correspond elle une plus grande plainte des victimes ou et une plus grande impunit et sentimen
9. le paysan soldat serbe utilisait son couteau contre les envahisseurs turcs au moins dans les romans de Dobrica Cosic mais il constitue aussi la d capitation des chefs dans un syst me de croyance o les hommes sont les responsables majeurs de la transmission de l identit et les chefs politiques l expression la plus haute de cette identit Le viol est par cons quent dans le cadre de cet imaginaire viril une atteinte d lib r e au lien de filiation de l Autre ethnique la tentative sp cifique de le trancher de rendre impossible la transmission du sang Pour effacer radiquer liminer la pr sence de l autre collectif objet de la haine ethnique il y a deux choix soit l extermination radicale et syst matique de tous les membres du groupe ex cr et avec l aide de la rationalisation industrielle tenter cette extermination sur la surface enti re du globe Soit l limination hors d un paysage d limit par exemple Confluences 48 notre terre des signes identitaires de l Autre ethnique ou racial ha mais une limination pour toujours et depuis toujours si l on peut dire Dans ce second cas dont le choix tient en fait l impossibilit s rieuse de penser l extermination totale de nationalit s dont les proportions d mographiques valent celles de l exterminateur il faut parler de purification L id e de purification laisse entendre un nettoyage en profondeur une radication des germes toxiques l
10. Ex Yougoslavie La haine ethnique et ses moyens les viols syst matiques V ronique Nahum Grappe A la fin de l t 1992 puis pendant tout l hiver suivant la presse occidentale a fait tat d une pratique stup fiante et horrible vrai dire incroyable le programme de l puration ethnique pratiqu e en ex Yougoslavie comporterait aussi le viol syst matique des femmes soit imm diatement au moment de l action militaire soit dans une organisation institutionnelle dans des lieux sp cialis s o les femmes parfois avec leurs enfants taient viol es et tortur es souvent assassin es ou bien rel ch es enceintes de plus de six mois Depuis la chute de Vukovar en novembre 1991 la dimension militaire du conflit dans l ex Yougoslavie tait spectaculaire mais les raisons de son irruption sur la sc ne europ enne en pleine m tabolisation du post communisme restaient comme brouill es le conflit d interpr tations battait son plein dans les colloques europ ens pendant que l on massacrait l bas des populations pour des raisons de d finition ethnique Les viols syst matiques en plus c tait trop et il a t facile de tourner cette information incroyable en un r cit suspect et plausiblement manipulateur les viols en temps de guerre c est normal comme les viols en temps de paix c est une histoire de pulsion et de m chancet humaine puisque l homme est un loup pour l homme et surtout pour la femme et
11. ar l id e de vengeance et par la haine apprise de l ennemi haine qui lorsqu elle est ethnique trouve son objet non seulement dans le corps de l ennemi adulte et m le mais aussi dans ceux de toute sa famille 2 Le second type de viol suppose une organisation minimale et donc un minimum d aide de la part des sommets de l autorit militaire Des t moignages montrent par exemple des viols plus syst matiques maison par maison comme une sorte d action de guerre particuli re lors de l invasion d une petite ville Ici les informations venues des d serteurs sont pr cieuses et la question de la cha ne du commandement se pose A ce niveau les forces croates ultranationalistes de l ancienne Herceg Bosna o l puration ethnique a t pratiqu e contre les Bosniaques musulmans en 1993 1994 sont coupables aussi d avoir organis de telles pratiques contre les populations civiles bosniaques Mais la majorit des cas doit tre attribu e aux forces responsables de l agression c est dire le pouvoir de Belgrade et Pale L organisation des viols comprend aussi la cr ation de lieux sp cialis s dans les tortures sexuelles mais il semble que le plus souvent le syst me concentrationnaire mis en place en Bosnie serbe et o les massacres non syst matiques coexistaient avec un usage permanent de tortures ait t l occasion surtout lorsque la population enferm e tait mixte d un usage syst matique des tortures sexuelles surtout
12. ar une quipe psychiatrique sur des cas tr s pr cis de viols ayant eu lieu lors de la prise de Vukovar Les t moignages pr cis de personnes dignes de foi comme cet observateur international qui avait fait tat du viol public d un couple de croate se multipliaient et allaient tous dans le m me sens Une lettre d une m re bosniaque et de ses deux filles adress e sa famille en France en 1993 montrait que dans leur petite ville les viols avaient eu lieu rue par rue maison par maison la m re et les deux filles attendaient pr s de la fen tre du 4 me tage pr tes s y jeter mais l entreprise s est arr t e avant leur rue Nous ne pouvons en dire plus sur cette correspondance strictement priv e 5 Voir Michel Roux Les Albanais en Yougoslavie minorit nationale et d veloppement ed MSH 1992 Et aussi Ibrahim Printemps 1996 53 Rugova La question du Kosovo entretiens avec M F Allain et X Galmiche preface de I Kadar Fayard 1994 6 Information qui nous a t communiqu e la commission des crimes de guerre Sarajevo en Septembre 1994 Avec la paix relative le travail d enqu te devrait tre facilit 7 Saint Augustin La Cit de Dieu Descl es de Brouer 1959 p 189 8 Des historiens ont tudi ce m canisme qui fait des victimes des viols collectifs des exclues rejet es de la soci t cf par exemple J Rossiaud La prostitution m di vale Flammarion 1988 Bien des cas de ten
13. e type d action et au monde de valeurs du soldat ses r ves de gloire ou d objets ses d sirs d excellence son id e du devoir sa capacit d signer comme son devoir un crime contre l humanit en amont de la probl matique de la peur et de la contrainte La perspective propos e par Hannah Arendt sur l absence de pens e et le sens du devoir chez certains des agents du g nocide nazi serait poursuivre en ce qui concerne les acteurs des viols syst matiques en ex Yougoslavie Une telle pratique a bien d tre imagin e avant d tre pratiqu e en effet la question des viols syst matiques politis s pourrait on dire met en perspective la diff rence entre masculin et f minin la question de la filiation et de la f condit l imaginaire de la transmission l opposition entre la ville et la campagne Virilit et impunit la loi du plus fort Le simple fait de pouvoir faire ce que l on veut sur l autre sur son corps prisonnier et terrifi sur sa vie en suspens suffit quelquefois d clencher la spirale des crimes jusqu au viol et l assassinat final comme si le seul vrai pouvoir le pouvoir enivrant tait celui qui peut s exercer sur le corps d autrui celui de produire de la souffrance celui de vie et de mort sur l autre Du point de vue d une sociologie interactive et non pas dans une perspective psychiatrique ou psychanalytique le pouvoir sur l autre peut tre d fini comme une jouissance com
14. end accentuer la diff renciation masculin f minin en investissant l homme de tout le poids du politique et la femme de celui de son propre fonctionnement sexuel le viol se retrouve tre une agression plus exacte plus accord e la nature m me de son objet pour tuer le f minin le viol est un bon moyen et pour tuer le masculin l gorgement et l assassinat seront plus appropri s Ce qui n emp che pas les viols de gar ons et d hommes les tortures sexuelles sur les hommes ou les tueries de groupes mixtes comme ce fut le cas dans les villes purifi es par les milices d Arkan par exemple L imaginaire patriarcal r duit aussi le corps social de l Autre ethnique dans une sorte de figure qu il s agit d assassiner comme on tue un homme en liminant prioritairement et de fa on syst matique la t te du groupe les hommes jug s importants ils pensent d capiter la communaut pens e comme un corps En violant des femmes qu on laisse partir enceintes on les investit d une identit alternative celle de l ennemi vainqueur La survie de ces femmes une fois habit es par le vainqueur ethnique en germe est l exact quivalent de la mort des premiers et de l effacement des traces historiques de la m moire du groupe le pass est effac et l avenir envahi par avance La pr f rence de l gorgement surtout dans les groupes paramilitaires mani re virile de tuer un homme est non seulement un souvenir mythologique
15. ers ne croient pas litt ralement tous ces r cits d lirants ils finissent pas adh rer au monde qu elle leur construit plein de vertigineuses menaces sexuelles et g nocidaires les formes du cauchemar collectif qui en temps de paix sont repr sent es dans les uvres artistiques trouvent alors leur porte d entr e dans le r el Une intrusion comme un viol cause de la peur V ronique Nahum Grappe est chercheur l Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales Paris D s la premi re ann e du conflit des organisations non gouvernementales diverses ONG internationales et nationales venues d horizons professionnels diversifi s humanitaire juridique de nombreuses associations ont lanc des enqu tes syst matiques dont la plus connue est celle du rapporteur sp cial de l ONU Mazoviecki qui a communiqu en tout 17 dossiers au Secr tariat g n ral de l ONU avant de d missionner l t 1995 apr s la trag die des habitants des villes bosniaques de Srebrenica et Zepa appartenant des zones prot g es par l ONU Le nombre des dossiers est impressionnant et accablant un r cent congr s qui s est tenu Boon International congress for the documentation of the g nocide in Bosnia Herzegovina du 31 ao t au 4 Septembre 1995 organis par la Society for Threatened People international a tent d effectuer une synth se sur l tat de la documentation plus de 200 sp cialistes trangers repr sentan
16. flit d ores et d j le fait de son existence pose la question de l imaginaire du violeur de son syst me de croyance qui fait partie des conditions qui ont rendu possibles de telles pratiques Avant de tenter de le d crire il faut aborder la question des chiffres L argument des chiffres a eu l effet d une douche glac e jet e sur l motion collective qu avaient suscit e les premiers t moignages publi s dans la presse la fin de l ann e 1992 La difficult de chiffrer les viols a servi r futer leur existence oubliant que quelquefois c est lorsqu on n a pas de chiffres que la situation est plus s rieuse C est pour cela qu il faut parfois au contraire faire l hypoth se que le chiffre r el est plus important que le chiffre attest comme c est le cas par exemple pour les viols en temps de paix dans nos d mocraties occidentales Les premiers cas auxquels nous avons eu acc s nous m mes en d cembre 1992 viennent d un dossier psychiatrique concernant des r fugi s des cas de suicide des cas d hospitalisation d urgence pour h morragie provoqu e en tat de grossesse avanc e des probl mes de violence dans les familles dus au rejet d une des femmes victimes et enfin le suivi psychiatrique de certaines femmes ont fait merger des r cits terribles Tous les dossiers o la femme accepte de t moigner en personne sont transmis au tribunal de La Haye Seule une petite partie des viols dont nous avons eu pour notre par
17. i aux hommes de la famille souvent oblig s d assister voire de participer il y a des exemples de tentative de faire commettre l inceste ou des pratiques homosexuelles entre membres masculins d une m me famille ainsi qu au chef politique de la victime comme s il tait la synth se de toutes les images possibles de la paternit comme si c tait lui que l on adressait le message du viol Un imaginaire patriarcal de la chose publique est l uvre ici dirig vers le futur comme l exprime la phrase Tu auras un enfant tchetnik au grand p re qui d tient le pouvoir on offre le petit fils qui est d un autre qui est l ennemi condition d tre persuad que seul l homme transmet l identit collective Quels que soient les ordres donn s obligeant le soldat consid rer le viol d un enfant comme un devoir les m canismes de transmission de ces ordres devront tre lucid s par les enqu teurs du tribunal international s ils en ont les moyens et le temps cette pratique r pond une logique des images partir du moment o elle est investie de sens politique tout le rapport masculin f minin est ici en jeu tout un imaginaire social de la virilit et du pouvoir toute une d finition implicite de la f condit et de la famille s inscrivent en n gatif ici Mais avant de cerner cet aspect de fa on plus pr cise il faut ajouter la dimension de la haine une haine artificielle puisque tous ces soldats serbes connaissaien
18. ils augmentent r ellement dans les pratiques Il n est pas question ici d aborder ce probl me en g n ral mais de noter qu en l espace de trois ans cette question des viols syst matiques accueillie au d part avec incr dulit est devenue une vidence et une banalit sans qu il y ait eu pour autant un retour sur l objet En ce sens la suspicion non ce n est pas vrai et la sagessse des nations c est vrai et c est toujours comme a vont dans le m me sens celui de laisser hors du champ de l analyse la pratique du viol en temps de guerre comme d ailleurs en temps de paix D j l accumulation des t moignages lors de la guerre en Croatie en 1991 faisait tat de pratiques qui ne correspondaient pas l image d un conflit arm mais autre chose une arm e avec chars et parfois avions avec des corps h t rog nes parfois distincts parfois m l s milices ici soldats de la JNA arm e f d rale yougoslave l envahit un village un Confluences 38 espace d sarm Elle trie les hommes et en massacre imm diatement une partie ce qui s est pass Srebrenica en juillet 1995 n innove en rien elle vole et d porte les autres vieux femmes enfants D s 1991 les t moignages taient tels sur les tortures que les viols chappaient l attention Nous avons eu confirmation de viols depuis la guerre en Croatie ils nous apparaissaient comme inscrits l int rieur d un contexte d extr me cruaut exerc
19. me on jouit d un beau paysage une sorte de tranquilit vertigineuse lorsqu en situation il peut s exercer sur le corps d autrui en toute impunit De nombreux t moignages des victimes de l puration ethnique montrent quel point cette situation de pouvoir favorise irr sistiblement une mont e des atrocit s En fait que ce soit en temps de guerre ou de paix le facteur crucial est celui de l impunit due non seulement la raison du plus fort mais aussi l ascendant du dominant le p re violeur de son enfant le repr sentant de l ordre assassin l instituteur bourreau sont la fois plus forts physiquement mais aussi plus puissants politiquement l impunit Printemps 1996 45 extr me est toujours p trie de ces deux dimensions l une li e l in galit du rapport de force l autre li e l avantage d une situation de majest d autorit sociale donc morale C est la situation sadienne par excellence dans laquelle Juliette fait face des moines des puissants politiques riches et influents qui lui assurent que jamais ils ne seront inqui t s et cette assurance redouble son d sespoir et accro t leur plaisir Les propos des bourreaux rapport s par les victimes sont en ce sens caract ristiques O est il ton Alija pr nom du pr sident bosniaque ou bien Tu auras un enfant tchetnik du nom du combattant nationaliste serbe Le viol ne s adresse pas seulement la victime mais auss
20. n Rapport sp cial sur les viols syst matiques en ex Yougoslavie sous la coordination de W Tamzali 1994 dont une synth se a t publi e dans Confluences M diterran e N 13 Hiver 1994 1995 Il faut savoir que les enqu tes de l ONU et celles de la CEE sont disponibles Nations Unies Conseil conomique et social Commission des Droits de l Homme Gen ve diffusion semi publique Les publications qui aident comprendre la sp cificit de ce type de g nocide se multiplient par exemple War crimes in Bosnia Helsinki Watch 1992 2 vol Le livre noir de l ex Yougoslavie purification ethnique et crimes de guerre Ed Arlea Nouvel Observateur 1993 extraits de rapports d enqu tes effectu s en 1992 Mass Killing and genocide in Croatia 1991 1992 A book of evidence Hrvaska Sveicilisna Naklada Zagreb 1992 Roy Gutman Bosnie T moin d un g nocide traduction fran aise 1994 Descl es de Brouer Norman Cigar Genocide in Bosnia The policy of ethnic cleansing Texas A amp M University Press 1995 Slaughter hous David Rieff Forging War The media in Serbia Croatia and Bosnia Herzegovina Mark Thompson article 19 International Centre against Censor ship May 1994 V libor Colic Les Bosniaques Ed Le serpent plume 1994 La Croix Rouge Internationale a aussi publi un livre brisant l son habitude historique de r serve Crimes sans Confluences 92 Ch timent Michelle Mercier Ed Bruylant Belgique
21. ne et son f minisme malthusien la culture des biblioth ques la d cadence amollissante et frelat e des zones urbaines Choisir en 1994 la f condit naturelle celle des plantes et de la reproduction sexu e comme valeur constitue en fait un message loquent sur ce qui est d ni savoir toute une repr sentation de la soci t moderne voire occidentale qui ne laisse pas beaucoup de place la po tique de la terre et celle d un ventre prolifique des femmes Cet nonc identitaire de Mladic ne doit videmment pas tre pris la lettre et tenu pour une vibrante profession de foi mais plut t pour un signe de reconnaissance une indication sur un ensemble id ologique particulier qui ne se retrouve pas seulement dans la litt rature nationaliste serbe mais aussi dans la plupart des ultra nationalismes la phrase de l hymne fran ais qu un sang impur abreuve nos sillons appartient ce m me imaginaire Le dossier de l puration ethnique pratiqu e surtout par l arm e f d rale et ses milices en Croatie d abord et en Bosnie ensuite offre ce m me programme de mort le g nocide est ici pris la lettre au sens litt ral du mot g ne qui propose un autre fil associatif d vider autour de la pelote f condit L atteinte identitaire que constitue le viol s inscrit Printemps 1996 43 alors dans un contexte politique et en amont dans un syst me de croyances qui accorde certaines id es du sen
22. ni re elle les pargne et les laisse filer consid rant qu elles n ont ni poids politique ni existence sociale ni consistance identitaire Les femmes jug es importantes seront susceptibles d tre privil gi es dans ce syst me c est dire tortur es et massacr es comme les hommes Mais en m me temps cet imaginaire viril qui implique une forte dissym trie entre les deux sexes identifie le f minin la diff rence sexuelle et donc il lui r serve un sort sp cial le viol Les femmes chappent plus la mort que les hommes dans l puration ethnique ce qui n tait pas le cas dans l extermination nazie mais elles seront viol es plus syst matiquement que les victimes f minines de la shoah ne l taient par les acteurs du g nocide aucune enqu te n a cependant t entreprise sur cette question Dans la shoah le style tait diff rent la peur de la souillure et de la contamination allait de pair avec l image d une population grouillante et asexu e qu il faut liminer Le rapprochement sexuel tait donc un risque pour la puret aryenne dans cette vision le couple mixte souille la race l invasion identitaire vient de la femme alors que dans le cas des Serbes qui connaissent leurs ennemis de pr s les viols sont des conqu tes ethniques par matrice interpos e et les femmes viol es sont proches comme de la m me famille comme des cousines loign es Le g n ral Mladic notre principal informateur involontai
23. nique le peuple ennemi dispara t de la plan te en tant que groupe autonome reconnaissable travers les signes de sa culture m me si les membres f minins de ce groupe survivent Les viols suivis de grossesses perp tr s par les conqu rants auront raison du sang ethniquement pur et la dispersion identitaire sera comme celle de l eau dans le sable au fil des g n rations Dans cette imagerie les femmes ne survivent que parce qu elles sont mineures politiquement et qu elles ne transmettent pas l identit du groupe L assassinat de l h ritier m le du fils m me au berceau devient logique La sagesse des nations aurait elle raison au bout du compte et les viols en Bosnie seraient ils de tout temps les m mes que depuis toujours dans toutes les guerres En fait la raison de notre g ne terrible tient cette banalit du projet antique que constitue l puration ethnique revivifi en pleine fin du XX me si cle toujours le m me lorsque la haine virile s accroche une collectivit d truire l autre absolument pour toujours et jamais faire en sorte m me qu il n ait jamais exist en passant par une conception fortement sexu e de la transmission virile Nous ne saurons jamais Printemps 1996 49 combien d purations ont t r ussies totalement au cours de l histoire puisque leur caract ristique tient cette disparition Mais nous retrouvons ici un th me cher au nationalisme litt raire serbe la
24. ns la politique contemporaine dans la nature du r gime de Milosevic son rapport la r alit sociale sa sp cificit Un r gime qui se caract rise sur le terrain et dans les pratiques par une grande f rocit potentielle et au plan de sa ligne politique explicite par une plasticit extr me qui lui permet d effectuer des volte faces des changements tactiques d nonc s extraordinaires au point d aider au financement de films baroques et grandioses o il emprunte aux t moins leurs sanglots Ah la la comme c est triste quand le fr re tue le fr re plus jamais a voil le dernier tat de la propagande officielle Belgrade Mais il y a quatre ans les titres taient diff rents Quelques ann es avant la guerre et jusqu en juin 1994 l instrumentalisation par une propagande particuli re de cette imagerie au fond banale et d su te du nationalisme extr me propagande d une impudeur inou e dans le mensonge et dans le choix des injures et des images a chang l atmosph re ambiante des ann es 80 90 en ex Yougoslavie elle a comme renforc par la caricature son peu de r alit elle a construit une surench re baroque des cruaut s d nonc es surench re qui conduisit quasi m caniquement aux r cits du pire c est dire les tortures sexuelles contre les plus innocents enfants femmes etc L enjeu tait d inscrire partiellement dans la r alit la haine et la menace L Eglise orthodoxe a collabor activement
25. ntre les populations civiles vaincues n est pas une nouveaut humanitaire et le refus de consid rer la victime du viol comme automatiquement souill e ne date pas des seules prises de conscience f ministes comme en t moigne le chapitre XVI du livre I de la Cit de Dieu livre r dig par saint Augustin au d but du V me si cle Les violences que parfois au cours de leur captivit ont pu subir des vierges consacr es n ont pu souiller leur vertu sans un consentement de la volont Le souci de caract riser un crime et de d crire les responsabilit s est l uvre dans la pens e morale et philosophique en Occident la question du viol est cruciale dans une soci t qui en temps de paix tend faire porter la Confluences 42 victime du viol la souillure du crime En temps de guerre les autorit s religieuses et civiles auront tendance d fendre l image de la victime du viol En 1993 les autorit s religieuses islamiques bosniaques se sont prononc es publiquement la femme viol e doit tre consid r e comme une martyre et sa famille en particulier les hommes doivent d autant plus l entourer de chaleur et de respect Dans un entretien r cent le g n ral Mladic chef militaire des Serbes de Bosnie a d clar Ce qu il y a de plus sacr pour moi ce sont la terre et les femmes parce qu elles cr ent la vie Les programmes politiques prennent leur sens dans un ensemble culturel qui ne se rest
26. o ils n existent pas encore et l o bien que n existant plus ils ont laiss des traces le labourage des cimeti res et la d molition des monuments historiques embl matiques anciens renvoient en miroir cette invasion de l avenir ethnique que constituent le viol et le projet de grossesse forc e Un jeune Bosniaque citait cette phrase d un g n ral serbe qui affirmait vouloir reconstruire un Vukovar plus ancien qu avant il s agit peine d une blague mais d une mani re de se r f rer au pass et de vouloir reb tir son h ritage L injure fran aise am ne ta m re que je te refasse est caract ristique de cette mani re de voir il s agit de toucher la sexualit de la m re en tant qu elle est l origine de la vie de l autre pour le recommencer Le purificateur ethnique doit refaire l autre toucher son essence le recommencer son image et dans cet esp ce d trange projet sont contenues et l id e du viol et celle de la destruction de la m moire D truire l Autre pour toujours et jamais Lorsqu on relit Iliade et l Odyss e ou bien l histoire latine tout coup un sentiment bizarre nous treint une esp ce de sombre reconnaissance honteuse mais oui lorsque l arm e victorieuse br le d truit rase et recouvre de sel une cit lorsqu elle gorge les hommes et met en esclavage les femmes et l esclavage pour les femmes est toujours potentiellement sexuel elle pratique l puration eth
27. on en 1992 et elle l est encore Au d but de cette ann e 1996 o la reconnaissance officielle des charniers en Bosnie t moigne des massacres qui ont eu lieu surtout durant l t sanglant de 1992 et qui ont accompagn l avanc e des troupes de Mladic de Brcko en 1992 jusqu Srebrenica en 1995 la question des viols syst matiques est comme abandonn e Pourtant il nous semble que certaines donn es sont maintenant acquises Avant d aborder la question des chiffres il faut donc tenter de d crire ces pratiques Typologie des pratiques de viol On peut distinguer trois types de viols pratiqu s au cours de l agression 1 Certains viols se d roulent au moment de l action militaire lorsque les chars entourent le village d sarm et que les soldats m l s ou non aux miliciens trient les hommes de 16 60 ans Parfois lorsqu une milice occupe seule la place avant ou apr s l arm e pendant les quelques jours de pillage et de bombance la situation pr sente des sp cificit s comme ce fut le cas dans un village pr s d Ilock dont est originaire une paysanne Printemps 1996 39 r fugi e que nous avons personnellement interrog e A ce premier niveau d j l aspect public de certains de ces viols laisse penser qu ils ont plus que l accord des autorit s militaires Pourtant on peut encore parler de viols de guerre tels que Flaubert les repr sente dans Salammb butin du guerrier victorieux et ivre pouss pa
28. r une mentalit forc ment virile et la frustration sexuelle li e la vie militaire L intense propagande qui r gnait dans l arm e de Mladic concernant les crimes et les viols que les oustachis puis les Turcs ou autres moudjahidin auraient perp tr s contre les enfants et les femmes serbes offrait la possibilit au violeur de d finir son action comme une vengeance la fois r trospective et pr ventive A ce niveau toutes les parties ont commis ce type de viols ne serait ce que parce que la question de la vengeance est inscrite au c ur du syst me de valeur du soldat viril quels que soient son bord et son ethnie Toute situation o des groupes d hommes en armes avec chars mitrailleuses et coutelas en bandouli re entourent des populations civiles d sarm es est susceptible de produire ce type de pratiques qui a t notamment attest pendant la guerre en Croatie Certains t moignages concernant la guerre en Bosnie montrent qu au moment des transferts et des d portations des jeunes filles sont emmen es sans tre viol es dans l imm diat Tu devrais tre contente tu vas te marier avec un combattant serbe est une phrase entendue Srebrenica juillet 1995 lorsqu une jeune fille a t arrach e sa m re et emmen e de force par un soldat de Mladic Ces jeunes filles disparaissent L nous ne sommes plus en pr sence de viols de guerre accomplis pendant le court terme de l action souvent l gitim s p
29. re sur la question des viols a r pondu en ao t 1995 une question sur les rapts de jeunes filles musulmanes par ses soldats que ses soldats n en voudraient pas qu elles ne pourraient les contenter il affirmait ainsi la fois son culte de la virilit quelle femme pourrait contenter ces guerriers et son m pris raciste pour les femmes musulmanes le racisme tant l une des composantes de l imaginaire du violeur Printemps 1996 47 syst matique Trop trang re culturellement et physiquement la femme de l ennemi est moins bonne violer trop proche elle entre dans l espace sacr de la protection patriarcale des femmes de la famille alors l inceste impose son tabou Mais la femme bosniaque est pour le nationaliste serbe une sorte de figure famili re issue d une branche cousine mais ennemie ce qui constitue une bonne distance pour le viol Il y a dans ces viols syst matiques un parfum d inceste du second type sensible dans les paroles que les Serbes adressent aux femmes qu ils violent Ces situations d incestes non pas entre consanguins inceste proprement dit mais entre alli s semblent pouvoir caract riser l trange lien d intimit m prisante dont t moignent les bourreaux l gard de leurs victimes La transgression ici aussi est sensible lorsque les t moignages d signent les voisins et coll gues parmi les violeurs L imaginaire viril l uvre dans cette pratique du viol syst matique t
30. reint pas au seul champ du politique qui mod le son insu les discours et les d cisions du pouvoir de domination et qui permet en amont de la menace ou de la propagande manipulatrice d exercer une r elle persuasion sur les acteurs sociaux l int rieur d un tel ensemble Toute une po tique de l authenticit virile de la nature f minine de la terre maternelle se devine dans cette phrase que l on peut retrouver travers bien des textes embl matiques de la culture serbe ou fran aise La f condit symbolis e par les champs de bl et le ventre gonfl des femmes l ensemencement f cond du labour et de l amour physique sous la conduite de l homme dress au haut des collines Toutes ces images o l hiver est vieillesse et la st rilit crime contre le sacr sont contenues dans cette pr f rence qu exprime Mladic une certaine logique qui associe dans l id e de f condit la terre et les femmes matrices de vie engendrant enfants et r coltes Cette phrase implique une opposition naturelle contre tout ce qui ne serait pas sacr pour ce g n ral qui du haut des collines de Pale au dessus de Sarajevo donne l ordre de tirer sur femmes et enfants de saccager mosqu es biblioth ques villages d finis comme non serbes et commande un dispositif militaire qui a imagin et mis en place les viols syst matiques des femmes ennemies Pour lui ce qui n est pas sacr ce sont les villes et les livres la modernit urbai
31. s et de l int r t ainsi le viol ce crime que l on croirait plut t produit par le d sordre des pulsions irr pressibles peut aussi trouver un sens et tre accompli sur ordre par devoir comme tactique de guerre des fins strat giques pens es consenties En effet le but politique de l agression commande notamment l attitude des vainqueurs en face des populations civiles vaincues une invasion d un territoire tranger n est pas obligatoirement un g nocide et inversement Ce dernier se d finit par la volont politique d liminer en partie ou totalement une communaut d finie en termes raciaux ethniques religieux sociaux ou tout autre crit re Un conflit arm peut tenter d pargner au moins dans les principes les populations civiles d sarm es Les m mes horreurs perp tr es dans un climat d ill galit ou d impunit ne prennent pas le m me sens pour les bourreaux que pour les victimes Il y a des guerres o les victimes sont principalement des militaires o il faut l ivresse de l alcool l impunit nocturne ou le vertige de l occasion pour que les soldats s autorisent le viol Il y a des cas o une signature au bas d un trait et l acceptation d une domination soumise des r gles suffit Les villes prises sont quelquefois ras es la population d port e et les femmes vendues D autres fois elles paient un tribu et le vainqueur fait le tour des remparts A assassinat gal le choix des pires conditions n e
32. st pas jou et les viols ne sont pas obligatoires Le pire n est jamais oblig et la cruaut implique toujours un choix d action que l assassin rationalise avec brio et qui exc de la cha ne des causalit s les d portations de population lors du nettoyage ethnique en 1994 auraient pu se passer toujours mal mais sans camps de concentrations ni viols syt matiques ni gorgements au couteau La cruaut politique est toujours un surplus une surench re gratuite et choisie dont il faut analyser les ressorts Dans le choix de la mani re de tuer tout un style tout un langage non verbal est tenu par l assassin sur son utopie int rieure Les viols syst matiques les gorgements au couteau la torture la d figuration d un cadavre le double meurtre de la femme enceinte et de l enfant port dans son ventre le saccage des cimeti res celui des lieux de culte et de culture tout cela rel ve de la m me d marche qui fait qu on vise l enfant plut t que le soldat qui se tient c t qu on prenne pour cible les proches venus chercher leurs morts ou leurs bless s moment sacr que bien des tr ves dans les guerres anciennes cens es tre moins civilis es que les n tres ont respect Ce style d une cruaut extr me peut tre d fini par le terme de profanation une profanation qui pour tre aboutie suppose que la victime ne soit pas encore morte mais assiste au saccage l avilissement de ce qu elle a de plus cher sans do
33. t connaissance sont dans ces dossiers Les diff rentes autorit s religieuses et civiles ont pris des dispositions quant aux enfants n s de ces viols Sont ils nombreux Aucune enqu te exhaustive n a t effectu e Parfois les t moignages ne parviennent que deux ans apr s les faits lorsque des relations de confiance s tablissent entre la victime et quelqu un qui peut l aider Selon le milieu par exemple lorsqu il s agit d une f ministe universitaire ou bien d une paysanne bosniaque selon l ge de la victime selon les circonstances en Printemps 1996 41 particulier la gravit du traumatisme le degr d humiliation subie selon les cons quences plus ou moins visibles du viol grossesse par exemple selon la place qu occupe la victime au sein de sa famille fille moins aim e pouse ayant peur d un mari violent le silence sera plus ou moins la r gle Pour un t moignage recueilli sur la base d un dossier digne de foi il faut consid rer qu il existe un nombre noir de cas invisibles comment les chiffrer Le nombre noir de cent viols pour un dossier d pos avait t avanc Esp rons qu il est sur valu car d j environ trois mille dossiers taient r pertori s en mai 1994 Dans cette guerre o le nombre de personnes d plac es d passe le million o celui des morts atteint selon les estimations les plus courantes 200 000 pour la plupart des civils non serbes o le nombre de bless s d
34. t leurs victimes avec lesquelles ils avaient grandi fabriqu e par une propagande qui a invent la menace des viols syst matiques pesant sur les femme serbes de la part des Albanais du Kosovo et de tous ceux dont la Serbie se venge actuellement La source nerg tique des viols se loge dans cette haine qui et c est la logique de la cruaut sera d autant plus meurtri re et sadique que la victime est totalement innocente La haine aussi a voir avec la virilit guerri re qui se d ploie travers la capacit consommer la vengeance Le viol d une fa on g n rale est le plus souvent perp tr par l homme contre la femme et si l inverse est vrai dire possible il est moins vident moins pr sent sur la sc ne sociale Dans certains cas des femmes peuvent seconder voire aider le violeur et m me tre bourreau mais cela n est pas fr quent On peut dire que la mixit d un groupe constitue une sorte de pr vention sociologique contre les crimes sexuels c est pour cela que les bandes de jeunes non mixtes militaires sportifs ou chasseurs souvent en tat d ivresse sont plus dangereux pour la femme seule que les m mes individus tout aussi saouls mais accompagn s de leurs amies filles Des viols perp tr s par des bandes de filles sans gar on sont pratiquement invisibles statistiquement Confluences 46 En plus du fait qu il constitue une agression contre la sexualit humaine le viol est une agression contre le
35. t de l gitimation des bourreaux A une plus grande attention des enqu teurs Les viols en Bosnie ont t les premiers exemples de ce glissement de sens o les viols ne sont plus seulement une bavure c t de l action de guerre mais au c ur du projet politique qui constitue l argument de cette guerre apparemment ils ont t encourag s organis s ordonn s par l institution militaire polici re et bureaucratique caract ristique de ce type de r gime qui a mari les vieilles habitudes du communisme d Etat une ligne politique ultranationaliste Ce n est qu en juin juillet 1994 que Milosevic a abandonn officiellement la ligne guerri re et ultranationaliste Ce changement a t une des conditions qui ont rendu possibles les accords de Dayton novembre d cembre 1995 Mais sur le terrain l emprise conomique logistique institutionnelle de Belgrade sur Banja Luka capitale de la r publique auto proclam e serbe est quasi totale et l implication du pouvoir central de la nouvelle Yougoslavie dans le programme et l organisation du syst me concentrationnaire viols compris mis en place en Bosnie serbe depuis trois ans reste d finir Notons aussi que parall lement dans la soci t civile en temps de paix en France par exemple les proc s pour d lits et crimes sexuels apparaissent en augmentation mais aussi changent de forme soit qu ils soient mieux d nonc s soit que surveillance et d nonciation gale
36. t diverses organisations ayant constitu des dossiers taient pr sents Il n est possible ici d en faire la liste compl te la CIA am ricaine a rendu public en 1995 son dossier constitu sur la base de photographies a riennes en plus des t moignages De Printemps 1996 31 nombreux dossiers r unis par la FORPRONU notamment fran aise sont encore sous le coup du secret d fense alors que juridiquement ils doivent tre mis la disposition du tribunal La plupart des grandes ONG humanitaires comme MSF ou MDM Helsinky Watch Amnesty International etc ont constitu et collect des dossiers ainsi MDM s est constitu e partie civile de Tribunal P nal International sur la base de sa propre enqu te cf M decins du Monde C Boulanger B Jacquemart Granjon P L enfer Yougoslave les victimes de la guerre t moignent Belfond 1994 Il faut savoir qu en Mai 1994 une synth se des enqu tes mandat es par cet organisme a t d pos e Gen ve et le dossier Bassiouni est venu confirmer l crasante responsabilit du pouvoir de Belgrade dans l agression le crime contre la paix et la pratique de l puration ethnique en termes qualitatif et quantitatif les autres parties ont commis des exactions mais jamais de fa on comparable Le terme de g nocide a t accept par l ONU pour qualifier l entreprise de purification ethnique ex yougoslave apr s qu il ait t accept pour le Rwanda L UNESCO a publi u
37. tative de meurtre sur l pouse ou de parent voulant chasser leur tr s a jeune fille ont t signal s notamment l quipe psychiatrique Zagreb qui a effectu un suivi des personnes victimes du polytraumatisme de guerre expression et d finition de D Kozaric Kovacic Universit de Zagreb 10 VSD 869 Avril Mai 1994 Les exemples de toutes ces pratiques et bien d autres encore nourrissent les rapports d enqu te et les dossiers adress s au tribunal international Citons juste ceci venu du prudent CICR 30 Ao t 1993 A Banja Luka le nettoyage ethnique continue Confirmation d un acte barbare commis l encontre d une a eule de 102 ans dont les membres ont t bris s dans Crimes sans Ch timent l action humanitaire en Ex Yougoslavie 1991 1993 M Mercier Bruylant Bruxelles 1994 p 226 12 Hannah Arendt Eichman J rusalem Gallimard 1966 voir aussi Christopher R Browning Des hommes ordinaires pref P Vidal Naquet Les Belles Lettres 1994 13 Cf F H ritier La m re et les deux s urs ed O Jacob 1994 14 Zeljko Raznajativic dit Arkan chef des tigres une milice paramilitaire impliqu e dans les crimes au premier rang de l puration ethnique Confluences 54
38. ute est ce l que r side la diff rence avec l holocauste nazi qui tente l extermination de tous les germes Ici il y a une sorte de proximit culturelle et communautaire entre bourreaux et victimes qui accro t la pr cision l exactitude du geste cruel qui sait toucher l espace int rieur de la victime dont la mort ne suffit pas Les viols s inscrivent tout naturellement dans ce style ils en sont l expression m me Si le cort ge des atrocit s de guerre est toujours le m me d une Confluences 44 certaine fa on c est la mani re l atmosph re de plus ou moins grand confort pour le bourreau et enfin le sens collectif donn tout cela qui fait la diff rence en quantit soutenus par une id ologie les crimes sont innombrables et en qualit de pire en pire Il y a des cas o cet aspect de profanation et ce vertige de la transgression irr sistible en face de l a eule de 102 ans ou du ventre de la femme enceinte semblent moins autoris s que dans cette guerre ci Il faut donc penser les viols syst matiques l int rieur de ce contexte d extraordinaire permissivit Ainsi la pratique des atrocit s de guerre dont les viols sont une expression majeure est li e essentiellement au but politique au nom duquel la guerre est men e son extension en nombre et son aggravation en tant que torture sont li es aussi l atmosph re de plus ou moins grande impunit r gnant dans le dispositif militaire l gard de c
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