VENUS NOIRE - Métropole Films
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1. ANDRE JACOBS HENDRICK CAEZAR Que connaissiez vous de l histoire de Saartjie Baartman avant de tourner V nus noire C est une ic ne pour de nombreux Sud Africains Je savais qu elle avait s journ Londres que son corps avait t restitu il y a quelques ann es par la France l Afrique du Sud mais je ne suis rentr dans le d tail qu au moment de la pr paration du film Les Sud Africains me d testeront s ils m entendent dire cela mais je trouve bien que des Fran ais et non des Sud Africains aient r alis ce film Saartjie est un symbole universel avant d tre un symbole national Son histoire est celle d une d shumanisation absolument terrible qui ne conna t h las pas de fronti re Abdel s est beaucoup document sur son parcours mais n a pas voulu r aliser un film historique Je trouve son choix judicieux Ce sont l aspect moral philosophique et les r sonances actuelles du film qui me touchent le plus Qu avez vous appris sur le personnage de Caezar au cours de vos recherches Dans la r alit c tait un fermier assez rustre illettr et qui vivait au Cap Sa femme tait tomb e malade durant sa premi re grossesse et Saartjie s tait alors occup e de Penfant Un m decin cossais pour lequel Caezar travaillait lui proposa de monter avec Saartjie un spectacle Londres pour y faire fortune Ils accept rent et partirent pour un voyage qui tourna au cauchemar Dans le film Caeza2. T chin 1984 LE THE A LA MENTHE de Abdelkrim Bahloul REALISATION ET SCENARIO 2010 VENUS NOIRE Mostra de Venise 2010 S lection officielle en comp tition 2007 LA GRAINE ET LE MULET C sar 2008 Meilleur Film Meilleur R alisateur Meilleur Espoir F mi nin Meilleur Sc nario Original Mostra de Venise 2007 Prix du Meilleur Jeune Espoir Prix Sp cial du Jury Prix de la Critique Internationale Lumi res de la Presse trang re 2007 Prix du Meilleur R alisateur Prix du Meilleur Espoir F minin Prix Louis Delluc 2007 2003 LESQUIVE C sar 2005 Meilleur Film Meilleur R alisateur Meilleur Espoir F mi nin Meilleur Sc nario Lumi res de la Presse trang re 2005 Prix du Meilleur Sc nario Festival de Turin 2004 Prix du Meilleur R alisateur Prix du Meilleur Sc nario Prix du Cin ma Avenir Festival de Stockholm 2004 Mention Sp ciale du Jury 2001 LA FAUTE A VOLTAIRE Mostra de Venise 2000 Lion d Or de la Premi re uvre Prix de la Jeunesse Festival du Film Francophone de Namur 2000 Prix Sp cial du Jury Prix de la Jeunesse Festival Premiers Plans d Angers 2001 Prix Sp cial du Jury Prix d in terpr tation l ensemble des acteurs Festival de Stuttgart 2001 Prix du Jury Prix d interpr tation masculine Festival de Cologne 2001 Prix d interpr tation masculine Une production MK2 En coproduction avec France 2 Cin ma Avec la participation de Canal France T l vis
3. mais l id e artisanale que je me fais de ce travail se nourrit d imagination et d une grande disponibilit Tout donner a para t g n reux mais le d fi est surtout de s approcher d une pens e ou d un sentiment justes d un engagement sinc re dans cet imaginaire qui alors devient r alit Il faut tendre vers ce vrai qui nous bouleverse chaque fois en tant que spectateur Certains com diens ne sont pas fondamentalement plus vrais que d autres mais ils savent nous raconter la vie avec de tels outils de v rit le sentiment l imagination et l motion que notre motion est saisie Je pense que l engagement total dont parlent Caezar et R aux c est cette exigence de ne pas tricher Cuvier est il pour Saartjie une sorte de metteur en sc ne Lorsqu il se l approprie elle est d j fortement marqu e par ses deux pr c dents metteurs en sc ne et Cuvier r cup re son corps dans un but tr s diff rent des autres La gloire scientifique n est pas plus artistique que l int r t personnel d un maquereau Mais c est au nom de quelque chose de soi disant sup rieur la v rit scientifique l avant garde de l humanit Apr s trente ans d hommages les gens de pouvoir peuvent avoir l impression que leur destin c est eux ce moment l la mise en sc ne ou l instrumentalisation des autres devient une tentation de chaque instant C est ce que fait Cuvier l gard de Saar
4. tre le squelette et les bocaux conte nant les organes g nitaux et le cerveau de Sarah sont expos s au Mus e de l Homme Paris jusqu en 1976 o ils sont rel gu s dans les r serves Apr s la fin de l apartheid en Afrique du Sud les chefs du peuple Kho san font intervenir Nelson Mandela afin qu il exige de Francois Mitterrand la restitution des restes de Sarah Cette demande se heurte un refus des autorit s et des scientifiques fran ais au nom du patrimoine inali nable du Mus e de l Homme et de la science 29 janvier 2002 La proposition de loi du s nateur Nicolas About u vrant pour le retour de la V nus Hottentote en son pays est adopt e l unanimit par ses pairs Le rapport de l Assembl e nationale du 30 janvier pr cise notamment Notre pays doit ainsi accomplir son devoir de m moire en particulier par rapport au fait colonial et reconna tre malgr les difficult s les erreurs qui entachent cette p riode de l histoire en particulier s agissant de l escla vage qui a constitu un crime contre l humanit s aout 2002 A l occasion de la Journ e des femmes en Afrique du Sud les restes de Sarah Baartman sont inhum s dans sa province natale du Cap La c r monie se d roule en pr sence du pr sident Thabo Mbeki de dignitaires trangers de pr tres et de po tes ABDELLATIF KECHICHE N en 1960 Abdellatif Kechiche fait l apprentissage du th tre et du cin
5. EST ESSENTIELLEMENT CELLE DU REGARD LE FILM EST N CESSAIREMENT UNE R FLEXION SUR LA DIRECTION DU REGARD DU SPECTATEUR SUR LE CINEMA AUSSI QU EST CE QU EN ESP RE LE SPEC TATEUR QUE FAUT IL LUI DONNER ET DE QUELLE MANI RE La question de la responsabilit d un cin aste en d coule Dans cette perspective ma d marche a t d tre dans chacun des personnages Caezar a beau penser s enrichir il n en est pas moins travers d obsessions artistiques R aux est un metteur en sc ne qui fera tout pour que le spectacle comble les attentes de son public M me Cuvier affiche au del de ses ambitions scientifiques une r flexion sur l esth tique Je voulais leur rendre leur v rit propre L intelligence de celui qui regarde un r cit comme celui l doit tre en veil Moi le premier car je n ai pas forc ment toutes les cl s d explication de compr hension malgr la passion que j ai pour le personnage de Saartjie Je ne lai jamais per ue comme un symbole encore moins une sainte mais comme quelqu un qui allait m apprendre parler de certaines choses Regardez l aura qu elle a encore aujourd hui Malgr tout ce qu on lui a pris il me semble que Saartjie a encore donner quelque chose nous dire Peut tre qu apr s dix ans pass s ensemble suis je devenu son instrument rires Propos recueillis par Philippe Paumier Quand avez vous entenc parler pour la premi r ois de la V nus
6. d acier pour ne pas l cher prise et aller au bout de ses choix Contre soi m me bien s r parce que nous sommes tous p tris d influences de conventions Remettre tout en question n est pas facile Les conventions rassurent Aller 4 leur encontre nous met en danger nous expose a l incompr hension Le tournage n a pas toujours t confortable pour tout le monde notamment pour l quipe technique C est une impression diffuse tr s d licate expliciter Mettre en sc ne un personnage qui souffre notamment lors des sc nes se d roulant dans les salons libertins r p ter les prises pour atteindre la v rit de cette femme ne laisse personne indemne et sans interrogation Entre crire Il la frappe ou Elle s allonge m me le sol devant un public et le voir il y a un d calage qui peut susciter un malaise On n approche pas ce film comme on aborderait un sujet tendre et romantique en questionnant l humain on touche forc ment ceux qui sont impliqu s dans le processus de fabrication La sc ne du salon libertin en a t exemple le plus frappant Dans le sc nario elle tait beaucoup plus crue explicite Le regard que j allais porter sur cette sc ne l tait au centre de tous les regards Je me suis repos sur les t moignages qui existaient et jai fait acte d interpr tation notamment lorsque je sauve les libertins qui face aux pleurs de Saartjie stoppent l exhibition J aimai
7. en pointill s C est ce vide d explications qu il est int ressant de filmer Son myst re pr serv nous oblige nous interroger en permanence sur nous m mes Jai lu tout ce qui a t crit sur elle et jai trouv qu on avait souvent tendance a trop verser dans l explicatif Soit on en faisait une esclave totale sans nuance ce qui ma sembl un peu difficile croire parce qu elle aurait notamment pu profiter de la main tendue par l Institut Africain ce qu elle n a pas fait Et puis dans les derni res recherches historiques on sait qu elle se donnait d j en repr sentation au Cap Soit c tait trop romanc et elle perdait tout son myst re ce qui me paraissait irrespectueux Parce qu en fait Saartjie Baartman m a tout de suite inspir le respect Pas ce que l on a crit d elle mais son image L image parle parfois plus que tout ce que l on peut crire C est ce que j ai ressenti en voyant les portraits de Saartjie faits par les dessinateurs du Mus um et plus encore en d couvrant son moulage original conserv en France J ai t saisi d motion par son visage Il parle d elle mieux que personne On per oit bien s r toute sa souffrance elle a les traits boursoufl s par l alcool la maladie mais au del de a elle semblait dans les dessins comme dans le moulage appr hender la vie avec un d tachement d un ordre quasi mystique La souffrance qu elle a endur e y est ce
8. en tant qu acteur mes d buts Je souffrais de ce que l on attendait de moi non pas comme acteur mais comme arabe Je me sentais dans une prison Les r les qu on offrait aux arabes taient l poque tr s limit s LE R LE PREMIER DU R ALISATEUR EST D INSTAURER EN AMONT UN ESPRIT DE TROUPE F d rer une quipe autour d un projet aide le travail Jai toujours essay au cin ma d apporter la m me rigueur de travail que j ai connue dans le th tre C est dire ne pas commencer les r p titions au premier jour de tournage mais r p ter longtemps avant Les acteurs apprennent se conna tre forment une troupe et j apprends mieux cerner les possibilit s de chacun Ce souci de troupe a longtemps t pour moi une obsession Sur ce film trangement je me sentais plus apais confiant dans l interaction qui devait se nouer entre Yahima Olivier Andr Elina et Michel entre autres C est quasiment de l ordre de l intuition Si l on prend l exemple d Andr Jacobs mon regard s est arr t sur sa photo et l vidence tait l il serait Caezar Je ne l avais jamais vu jouer auparavant et je ne lui ai fait passer aucun essai LE CHOIX D UN ACTEUR NON PROFESSIONNEL TEL QUE YAHIMA TORRES GARANTIT L AUTHENTICIT DE SON JEU On peut n avoir aucune exp rience et avoir un jeu d j surfait Mon choix s est port sur elle parce je n avais pas trouv d actrice noire dont la morpholog
9. est s rement tr s jouissif de faire exister le pass dans le moindre d tail et de bien le faire comme un tableau Le risque est d y consacrer toute son nergie au point de ne plus savoir pourquoi on le fait En ce qui me concerne le risque s en trouvait limit par manque de moyens Le film avait t chiffr au d part au double de ce qu il a co t C est dans tout ce qui fait le d corum historique que j ai d sacrifier en premier Et puis l esth tique tr s l ch e du pass dans le cin ma ne me fascine pas particuli rement J ai toujours t plus attach a filmer les visages les moins fard s plut t que les d cors et les costumes et me lib rer des contraintes habituelles du cin ma comme les heures de maquillage d clairage etc De toute fa on mon principal int r t dans le parcours de Saartjie Baartman s est tout de suite inscrit dans une dimension qui mon sens d passe l histoire la complexit des rapports de domination les probl matiques des gens de spectacle et la place de humain dans tout a L HOMME EST UN LOUP POUR LA FEMME C est un peu dur pour le pauvre loup Les humains sont comme ils sont capables du pire et du meilleur Il est vrai que les hommes ont beaucoup opprim les femmes dans l Histoire Mais alors une femme noire et diff rente Elle synth tise en elle tous les motifs d oppression En r alit je mai pas cherch charger les hommes Jai plu
10. non Lorsque Sarah se montre cela ne signifie pas qu elle autorise quiconque violenter son corps Sinon c est un abus l expression d une domination qui n a rien d humain Dans la sc ne o Saartjie joue l esclave sexuel dans un salon parisien les libertins sont excit s la voient comme un objet de plaisir mais dans le regard de Saartjie elle se sait femme humaine et les regarde eux comme des animaux Avez vous depuis le d part envisag Sarah comme une artiste Oui Elle tait capable de faire de belles choses sur sc ne et de transmettre des mo tions au public M me si les spectacles qu elle donnait ne correspondaient pas aux promesses de Caezar elle avait son int grit Par exemple lorsqu elle se met a chan ter juste en convoquant ses racines africaines les spectateurs ne rient plus d elle ils se taisent ils sont conquis Elle aurait pu tre un vecteur de la culture africaine si les gens l avaient regard e diff remment Saartjie ne s exprimait pas beaucoup mais elle observait et r fl chissait intens ment Comment percevez vous les deux hommes Caezar puis R aux qui ont exerc leur emprise sur Saartjie Caezar est responsable de la tournure prise par les spectacles londoniens il a com pris qu en lui faisant jouer la V nus Hottentote il gagnerait plus d argent qu en mettant en sc ne les dons de Sarah Il l a manipul e par ambition et en franchissant des limites qui
11. C est essence m me des plus grands films ce sont ceux qui invitent le spectateur se forger sa propre histoire et se positionner Il n y a pas a prendre le spectateur par la main lui d montrer par A B que l est la morale Au c ur de ce film il y a une histoire forte une fa on de l aborder suffisamment intelligente pour laisser le spectateur libre de son propre jugement e et du re Je n avais que le souvenir confus du fameux moulage que j avais vu expos au Mus e de l Homme Je ne savais rien des d tails de la vie de cette femme ni de son calvaire jusqu en 2002 avec la restitution de ses restes l Afrique du Sud Quant Cuvier je ne connaissais que le nom de sa rue rires a entre Il semblerait que Cuvier au del de sa recherche scientifique soit d une certaine fa on devenu amoureux de son sujet Ce qui implique un trouble ventuel qui donne sa recherche une dimension la fois myst rieuse et totalement humaine Son attachement a cette femme a probablement bouscul certaines de ses habitudes de savant Son ent tement vouloir prouver son improbable th orie para t invraisemblable de la part d un homme intelligent Linhumanit de cette obsession reste encore un myst re pour moi Que vous De la fa on dont elle est racont e dans le film elle est tr s intelligente tout en restant dans une sorte de candeur Elle a une curiosit de la vie et des choses sans tr
12. Hottentote Je savais peu de choses propos de Sarah jusqu ce qu Abdel men parle On s tait rencontr par hasard Belleville en 2005 alors qu il pr parait La graine et le mulet et on s est retrouv trois ans plus tard lorsqu il tait en plein casting de V nus noire C tait tr s mouvant et un honneur qu Abdel me propose de l incarner Je me suis mise collecter toutes les informations que je pouvais trouver sur Internet Cette femme a v cu beaucoup de souffrances int rieures s est tr s souvent sentie seule m me lorsqu elle tait prot g e par Caezar ou lorsqu on la voit entour e de figures f minines amies dans le bordel Ce que j ai aim dans l approche d Abdel c est la multiplicit des facettes de Sarah Son d sir profond tait d tre artiste une poque o les gens n taient pas capables de voir au del des apparences Sarah est rest e pour eux une curiosit quelqu un de diff rent physiquement et culturelle ment Humainement c est une histoire qu il fallait raconter Saartjie s est construite petit petit ses c t s C est un r le lourd en motions fortes en tristesse mais il y avait aussi son acharnement et sa ma trise de diff rents arts J ai d apprendre les rudiments de l Afrikaans sa mani re tr s personnelle de danser de jouer d un instrument de chanter Il fallait que je sois la hauteur de ses multiples talents Je compr
13. aux est aussi un metteur en sc ne qui a un ego surdimensionn et qui cherche la popularit probablement davantage que Cae zar L int r t du film est aussi de montrer que Saartjie n est pas arriv e en France forc e par Caezar Elle tait consciente que lui et R aux taient en train de la manipuler Et malgr tout elle a continu Cest un film o les limites de chacun sont difficiles d finir comme il est compliqu aujourd hui de faire la part entre la tol rance et l intol rance Il y a dans l univers des forains dans l attitude m me de R aux une sensualit la quelle on ne s attendait pas Il y en avait norm ment l poque dans ces milieux l A partir du moment o il y a de l alcool et de la boisson une certaine sensualit se manifeste Chez les forains c est de l ordre de l instinct sans pr jug s on se frotte on se caresse et c est naturel R aux est un bon vivant guid par la qu te de sensations d excitation et de cet argent qu il n avait pas C est probablement pour cela qu il n a pas conscience de d truire les gens auxquels il touche R aux est l arch type du forain un homme physique donc sensuel Cela me parlait parce que je suis un acteur qui s exprime davantage par le physique que par les mots Je crois aussi qu il y avait chez Abdel une volont de choi sir des acteurs enclins s incarner physiquement Est ce que porter un personnage comme R aux con
14. e dupe des rapports de pouvoirs qu on lui impose Cette cruaut du regard port sur l autre elle existe aujourd hui sous d innombrables formes Alors que l on a d sormais tous les l ments pour savoir que c est inhumain on se dit Quelle fichue soci t on se tra ne depuis des si cles T GEORGES CUVIER M me si j ai fait beaucoup de th tre je suis comme une midinette par rapport au cin ma rires Quand Abdel que je connais depuis longtemps m a propos ce r le j tais heureux comme un d butant D autant que j aime ses films son coute sa capacit saisir tous les d tails vivants qui font qu un tre humain et sa v rit sensible ne sont pas r ductibles Abdel accorde aussi du temps aux com diens et ce temps est une chance chance de mettre en doute d prouver ou de contredire C est un luxe au cin ma surtout pour moi qui ne suis bon qu au bout de dix sept prises rires L je n ai donc aucune excuse lu tot gt est ce Je dirais qu il y a dans la d marche d Abdel un rapport artisanal qui me convient parfaitement J ai t fascin par son refus obstin de se priver des surprises de la vie et par cons quent de la cr ation On sent qu il a infiniment travaill son sujet et en m me temps il laisse place un certain empirisme Abdel laisse chacun le soin de r inventer ce qu il a r v sans tre un chef d orchestre machiav lique qui nous condu
15. ends aussi sa solitude li e au d racinement Jai v cu Cuba avant de venir m installer en France il y avait cet trange m lange de d couverte d apprentissage mais aussi une nostalgie Tout tranger a besoin de rester connect ses racines par des rencontres une musique des souvenirs concrets j ai cette chance Saartjie ne l a jamais vraiment eue u del de votre premier r le au cin ma c est une approche artistique compl te Oui c est un personnage tr s physique En amont j ai pris des cours de chant de danse africaine m me si j avais acquis de bonnes bases Cuba C est une danse tr s ancr e tribale une sorte de transe comme une nergie qui vient de la terre M me pendant le tournage jai continu m entrainer pour tre en phase avec l nergie d ploy e par Saartjie J avais un coach sportif je faisais des exercices pour la respiration Pour r sister et la faire exister Saartjie avait un r ve venir en Europe pour s accomplir en tant qu artiste En Afrique du Sud elle travaillait pour Caezar en change d un minimum de salaire l esclavage tait aboli en th orie parce qu elle et sa famille ont toujours travaill pour les colons Elle a aussi t la complice de Caezar certainement parce qu il tait sa seule protection dans un continent inconnu Quant son rapport au corps personne ne peut soutenir l id e qu une femme n a pas le droit de dire
16. icalement diff rente de celle hollywoodienne pragmatique et minut e laquelle j tais habitu en Afrique du Sud Ce fut une r v lation pour moi Il y a aussi cette coh sion de groupe tr s proche de l esprit d une troupe de th tre qu installe Abdellatif K chiche sur tous ses tournages Dans la sc ne du tribunal lorsque Caezar se d fend d tre un esclavagiste il pr sente Saartjie comme une artiste et le fait qu elle le confirme son tour devant les juges est alors plus important que sa condition de femme libre On ressent profond ment cette consid ration de l artiste au contact d Abdel De fait il rassemble des com diens susceptibles de travailler en troupe et le m lange est fascinant Olivier est un acteur tr s pr cis qui parvient ma triser son nergie alors que j ai davantage tendance ext rioriser mes motions Une vraie alchimie s est produite entre nous Yahima quant elle jouait son premier r le et quel r le Le tournage fut difficile pour elle nous l avons beaucoup entour e mais elle a en elle m me une incroyable force int rieure Elle a fait preuve d une t nacit qui lui ont permis d aller au bout du personnage de Sarah de s accomplir Comment d finiriez vous ce singulier m lange d amour d affection et de domination qui unit Saartjie Caezar C est compliqu car leur relation se d cline plusieurs niveaux Caezar attend beaucoup d elle dun poi
17. ie se rapprochait de celle de Saartjie Baartman Yahima je lai vue pour la premi re fois en 2005 Elle est pass e dans la rue c t de chez moi J ai t saisi par sa pr sence et des traits qui mont fait imm diatement pens Saartjie Lorsque je l ai recontact e quelques ann es apr s pour lui faire passer des essais c est la l g ret avec laquelle Yahima prend la vie qui a confort mon choix Jai compris que je pourrai la pousser loin dans l motion sans qu elle en soit meurtrie Jai ensuite choisi un groupe d acteurs qui la soutiendrait cette troupe si pr cieuse mes yeux Tous ses partenaires ces acteurs du m tier taient non seulement exceptionnels mais aussi et spontan ment protecteurs g n reux envers Yahima Penser que l on prend des acteurs non professionnels pour des raisons de spontan it dans le jeu est un mythe Il est beaucoup plus facile de travailler avec des acteurs professionnels du moment qu ils sont talentueux qu avec des non professionnels qu il faut former et qui il faut tout expliquer Au d part ils ont un don assez r pandu finalement le reste c est beaucoup de travail pour les amener un professionnalisme Et l impression d authenticit ne provient que du travail LE D CORUM HISTORIQUE AU CIN MA TUE LA GRANDE ET LA PETITE HISTOIRE Se lancer dans une adaptation historique fait craindre le risque de ne mettre en sc ne que le d corum et de s y perdre Il
18. ieter Hendrick Caezar et fait la rencontre de Hendrick van Jong un Europ en sans le sou dont elle devient la compagne Ils ont ensemble un enfant lequel d c de comme les deux autres qu a eus Saartjie avec des hommes dont le nom reste inconnu Hendrick van Jong la quitte en 1806 pour rentrer en Hollande Hendrick Caezar conscient du potentiel exotique de Saartjie la convainc de faire commerce de ses attributs Caezar s associe Alexander Dunlop chirurgien cos sais qui leur obtient des laissez passer pour quitter l Afrique du Sud 1810 Saartjie arrive en Angleterre o elle est la servante de Dunlop et Caezar tout en conqu rant le public londo nien lors de spectacles populaires o elle joue son per sonnage de Hottentote apprivois e 28 novembre 1810 Suite la plainte de l Institution Africaine accusant Cae zar d esclavagisme la plus haute cour de droit commun d Angleterre cl t l affaire Interrog e notamment par des officiers de police judiciaire Saartjie d clare a cette occasion Je n ai pas de plaintes a formuler contre mon maitre ou ceux qui m exhibent Je suis parfaite ment heureuse dans ma pr sente situation et n ai pas de d sir quelconque de retourner dans mon pays 1811 A l initiative de Dunlop Saartjie est baptis e dans la cath drale de Manchester Aux yeux de la loi elle est d sormais Sarah Baartman 1814 Sarah quitte Londres pour Paris probab
19. il a observ e face au pouvoir correspondait peut tre une id e r actionnaire si ses th ories taient remises en cause tout le syst me sur lequel reposaient certains int r ts de cette soci t s effondrerait A l inverse s il affirmait que les blancs taient sup rieurs aux autres cela l gitimait toutes les colonisations Si tel fut son raisonnement en toute conscience on peut parler de crime contre humanit Comment appr hende t on l ambigu t d un tel personnage Avec g n rosit La moindre vell it de critique doit tre amen e par d autres personnes que les acteurs C est en toute objectivit qu il faut discuter des th ories de Cuvier concernant Saartjie de ses approximations et aberrations Nous n avions pas le temps de d velopper cette facette de Cuvier mais personnellement j aurais aim questionner la dimension psychologique d un personnage objectivement odieux Comment un homme de cette qualit intellectuelle a t il pu rester ancr dans ses convictions C est un viol incroyable de la logique intellectuelle Il va m me l encontre de ses propres notes Que la raison soit sociale politique ou sentimentale il n en demeure pas moins que scientifiquement c est tr s tonnant Caezar puis R aux v hiculent cyniquement l id e qu un acteur doit tout donner au nom de l art Est ce une conception du m tier qui fait cho en vous Je ne me prends pas pour un artiste
20. ions Le Centre National de la Cin matographie et de l image anim e Cin cin ma En association avec Soficin ma 5 Art mis Productions Patrick Quinet Avec le soutien de la R gion Ile de France l Acs Fonds images de la diversit le Programme M dia de la Communaut Europ enne AVEC MARIN KARMITZ NATHANA L KARMITZ CHARLES GILLIBERT YAHIMA TORR S ANDRE JACOBS OLIVIER GOURMET ELINA LOWENSOHN FRANCOIS MARTHOURET MICHEL GIONTI JEAN CHRISTOPHE BOUVET ABDELLATIF KECHICHE ABDELLATIF KECHICHE ET GHALYA LACROIX LUBOMIR BAKCHEV SOFIAN EL FANI CAMILLE TOUBKIS GHALYA LACROIX LAURENT ROUAN ALBERTINE LASTERA NICOLAS WASCHKOWSKI JEAN PAUL HURIER FLORIAN SANSON MATHIEU MENUT FABIO PERRONE ANNE FREMIOT MONYA GALBI SLAHEDDINE KECHICHE ABDELLATIF KECHICHE
21. istoire est rapport e elle appara t parfois comme une esclave au sens premier du terme c est dire une femme mise en cage exploit e et maltrait e ou plut t comme une femme qui se donnait en spectacle de son plein gr ce qui ne l emp chait pas d tre maltrait e Je crois que le d bat n est pas l Le fait qu elle se serait donn e en spectacle de sa propre volont n enl ve rien la puissance du symbole d asservissement du peuple noir qu elle repr sente Il lui en donne peut tre m me bien plus Parce que la violence morale inflig e Saartjie est plus intol rable que tout acte de brutalit physique Mais aussi parce qu en rendant sa complexit son asservissement lequel a d tre avant tout moral on le relie toutes les formes d oppressions encore pratiqu es Ainsi l oppression symbolique au travers de la repr sentation caricaturale des minorit s et des petites phrases racistes qui justifient la domination d un homme d une femme ou d un groupe d hommes par un autre C est toujours d actualit LE PROCESSUS DE FABRICATION D UN FILM EST UNE N GOCIATION PER MANENTE Y COMPRIS AVEC SOI M ME POUR EN PR SERVER L INTEGRI TE ARTISTIQUE Lint grit artistique est un id al On se bat pour l approcher D abord contre les autres car chacun voit le film sa mani re Arriver f d rer toute un quipe vers une m me id e du film est tr s compliqu Il faut avoir un moral
22. it l o il a d cid qu on aille Parce qu il s agit de la vie et que la vie a ne se formate pas Et la vie sur le visage d un com dien a peut prendre des variations inou es alors pourquoi s en priver Pensez vous l instar d Abdellatif Kechiche que Cuvier et son comit de scienti fiques ont fait preuve de malhonn tet intellectuelle Lorsque l on aborde un personnage on essaie de le d fendre Quels que soient ses utopies ses d sirs avou s ou non avou s je n arrive pas imaginer que Cuvier ait fait preuve d une malhonn tet intellectuelle Au niveau politique par exemple il a t d une remarquable souplesse et adaptation aux diff rents r gimes On pourrait penser que c est pour lamour de la science mais il s av re qu il a t couvert d honneurs chaque fois C est compliqu honn tet intellectuelle On a beaucoup d exemples dans la politique d aujourd hui o des gens probablement honn tes ne se rendent pas compte qu ils sont gangren s par un syst me qui leur permet de ne plus regarder les autres mais uniquement le cercle privil gi dans lequel ils nagent Et parce qu ils pensent que la vie Cest nager ils estiment nager et donc ne pas tre malhonn tes Hormis l hypoth se sentimentale quelles motivations pourraient expliquer l ent te ment de Cuvier prouver ses th ories aberrantes Cette forme d opportunisme qu
23. lement en com pagnie de Caezar qui a d changer entre temps d iden tit et la loge 4 proximit du Palais Royal alors lieu de toutes les d cadences La V nus Hottentote s duit un nouveau public et va jusqu a inspirer un op ra comique qui porte son nom de sc ne 181 5 Pass e sous la coupe de R aux nigmatique boutiquier et montreur d animaux Sarah devient la star des sa lons de la haute soci t parisienne Mars 1815 La V nus Hottentote attire la curiosit des scienti fiques dont celle de l anatomiste en vogue Georges Cuvier Celui ci obtient de R aux l examen de Sarah trois jours durant dans son Mus um d anatomie au sein du Jardin des Plantes Sarah refuse alors cat gorique ment de d voiler son sexe malgr la pression des scien tifiques 9 bre 1815 La chute de popularit exhibition dans des music halls miteux la bascule dans la prostitution enfin la rudesse de Vhiver parisien ont raison de la sant de Sarah Elle s teint probablement victime d une pneumonie et des suites de maladie v n rienne Deux ans apr s avoir r cup r la d pouille de Sarah pour la diss quer et en mouler le corps l anatomiste Georges Cuvier livre le compte rendu de ses recherches devant l Acad mie de m decine Ses conclusions sont formelles Les races cr ne d prim et comprim sont condamn es une ternelle inf riorit 817 1994 Le moulage de pl
24. m tropole Films Distribution Pr sente VENUS NOIRE un film de Abdellatif Kechiche France 2010 159 min Distribution Presse M tropole Films Distribution M lanie Mingotaud 5266 boulevard St Laurent Brigitte Chabot Communications Montr al Qu bec H2T 1S1 1117 Ste Catherine Ouest t 514 223 5511 suite 500 Montr al QC H3B 1H9 f 514 227 1231 t 514 861 7871 f 514 861 7850 e info metropolefilms com melanie bchabotcom ca Photos haute r solution au http www metropolefilms com RO VENEZIA CINEMA 2010 Veseria 67 Concorso MK2 pr sente VENUS NOIRE un film de ABDELLATIF KECHICHE SORTIE EN SALLES LE 27 OCTOBRE 2010 France 2010 35 mm et DCP couleurs 1 85 Dolby SRD Fran ais anglais afrikaans hollandais 2h39 www venusnoire lefilm com DISTRIBUTION PRESSE MK2 Diffusion Monica Donati 55 rue traversi re 75012 Paris 55 rue traversi re 75012 Paris Tel 01 44 67 30 81 01 43 44 20 18 Tel 01 43 07 55 22 distribution mk2 com monica donati mk2 com Les photos du film sont t l chargeables sur www mk2images com Paris 1817 enceinte de l Acad mie Royale de M decine Je n ai jamais vu de t te humaine plus semblable celle des singes Face au moulage du corps de Saartjie Baartman l anatomiste Georges Cuvier est cat gorique Un parterre de distingu s coll gues applaudit la d monstration Sept ans plus t t Saartjie quittait Afrique du Sud avec so
25. ma en tant qu acteur avant de devenir r alisateur Sur sc ne il joue notamment Garcia Lorca Eduardo Manet et monte une pi ce de Fernando Arrabal Avignon Au cin ma il d croche en 1984 le r le principal du premier long m trage d Abdelkrim Bahloul Le th la menthe puis traverse les univers de Nouri Bouzid Bezness et d Andr T chin Les innocents En 2000 Abdellatif Kechiche passe derri re la cam ra avec La faute Voltaire dont il signe galement le sc nario cheminant sur les traces d un immigr id aliste dans le Paris des exclus Trois ans plus tard le r alisateur confronte dans L esquive la langue de Marivaux aux maux d adolescents amoureux puis s attelle La Graine et le Mulet produit par Claude Berri Tout en dressant le portrait d un p re en bout de course le film d roule le fil d une chronique familiale dans le cadre lumineux de S te Avec sa V nus Noire inspir du destin r el et hors norme de Saartjie Baartman connue au d but du XIXe si cle comme la V nus Hottentote le cin aste continue de questionner le spectateur sur son rapport la diff rence et l humain ACTEUR 2005 SORRY HATERS de Jeff Stanzler 2001 LA BOITE MAGIQUE de Ridha Behi 1992 BEZNESS de Nouri Bouzid Prix d interpr tation au Festival International de Damas 1993 Prix d interpr tation au Festival Francophone de Namur 1992 UN VAMPIRE AU PARADIS de Abdelkrim Bahloul 1987 LES INNOCENTS de Andr
26. montrent qu il pouvait n avoir que peu de respect envers Sarah En m me temps il prenait soin d elle sa mani re Ils taient aussi partenaires Quand il l abandonne l alcool dans lequel elle s tait r fugi e depuis des ann es devient son unique compagnon Je ne dis pas que Saartjie avait envie de mourir mais elle ne s est pas battue pour vivre R aux n a rien voir avec Caezar hormis le fait qu il a galement promis la lune Sarah A mes yeux il est pire que lui et n avait aucun sentiment envers elle c tait un homme de cirque qui voulait juste faire fortune et qui est all jusqu la prostituer elle et Jeanne sa propre compagne C est Georges Cuvier qui au nom de la science transgresse le plus violemment Pin t grit de Sarah Lui et son comit ont choisi d oublier l tre humain qu tait Sarah pour la r duire un animal un objet Cuvier a catalogu Sarah sur ses particularit s physiques parce que cela servait ses ambitions Elle l a parfaitement compris et a fait la diff rence entre ses spectacles o elle montrait ses formes particuli res et ces journ es pass es avec les scientifiques Elle leur a refus l examen de son sexe parce qu il s agissait d une vio lence faite 4 son corps Il n y a que Jean Baptiste Berr qui la consid re dans son int grit et la respecte Il la dessine lui rend son humanit comme s il la remerciait d tre ce qu elle est in
27. n maitre Caezar et livrait son corps en p ture au public londonien des foires aux monstres Femme libre et entrav e elle tait l ic ne des bas fonds la V nus Hottentote promise au mirage d une ascension dor e ABDELLATIF KECHICHE ENTRETIEN Abdellatif Kechiche r agit aux questions majeures du film formul es pour l exercice dans un style affirmatif voire p remptoire A l image des jugements port s l poque sur son h ro ne Saartjie Baartman LA PSYCHOLOGIE NE SUFFIT PAS R SUMER LA COMPLEXIT D UN ETRE Le psychologisme limite m me la compr hension de l tre humain L image seule r v le parfois beaucoup plus de nuances dans la nature humaine que toutes les tentatives d explications psychologiques Quand le cin ma parvient tre aussi fin que la vie Cest magnifique Le jeu de l acteur y fait beaucoup Il faut toujours garder l esprit que la technique au cin ma peut aussi nuire ce jeu et le rendre compl tement herm tique la vie Et puis parfois il n y a pas d explications chercher il y a le myst re Saartjie est un personnage tr s myst rieux C est ce qui m a tout de suite int ress Finalement on ne sait pas grand chose de ses motivations r elles on a juste quelques dates s res le voyage d Afrique du Sud en Angleterre les repr sentations le proc s Londres son bapt me et son passage devant les scientifiques fran ais Tout le reste est
28. nt beaucoup d informations mais lorsque j ai tap le nom de R aux sur Internet je n ai quasiment rien trouv Abdel avait videm ment men une enqu te plus pouss e rires Je lai surtout nourri d instinct d un naturel et une jouissance de tous les instants R aux est quelqu un d intelligent qui analyse les situations et qui tire profit de son entourage avec tout ce que cela com porte comme d fauts et perversit Abdel ne voulait absolument pas qu il soit diabolis ou d embl e machiav lique D abord parce qu il y avait dans sa relation avec Saartjie une affection et un respect A sa mani re puisqu il baignait dans un univers o la conscience des limites de l autre n existait pas Le contexte de l poque et du monde des forains parle pour lui beaucoup de gens n avaient jamais t duqu s quant aux limites entre le bien et le mal entre respect et humiliation Ensuite parce qu Abdel parle du personnage de mani re ce que vous vous en empariez avec une certaine libert En tant qu acteur cette d marche me convenait parce que j ai toujours abord un r le en creusant sa part d humanit A vos yeux R aux est donc un homme sans autre barri re que sa propre satisfaction A aucun moment il ne fait preuve de remords de regrets ou d une prise de conscience Il y a chez lui quelque chose d instinctivement animal tort videmment parce que ce qu il fait avec Saartjie est terrifiant R
29. nt de vue artistique Il la pousse l engagement total Lorsqu il sent une r sistance de la part de Saartjie il peut devenir tr s violent En m me temps il prend soin d elle un peu comme un p re avec son enfant A sa mani re bien s r Quand Caezar s enivre il la voit comme une femme et d rape sexuellement A l poque c tait un comportement assez courant en Afrique du Sud sp cialement au Cap o je vis Il tait presque insultant de ne pas entretenir ce genre de rapports Caezar avait donc cette possibilit d abuser d elle Mais son obsession tait davantage de gagner de l argent Saartjie tait son ticket pour un r ve d ascension sociale Consid rez vous Caezar comme un metteur en sc ne Pas au strict sens artistique Caezar n est m me pas un homme de th atre il n en a pas le go t Sur sc ne il traite Saartjie comme un g n ral commanderait son soldat il lui donne des ordres plus qu il ne la dirige Son but est davantage de se mettre en valeur lui m me Quand Saartjie chappe son contr le en chantant et en jouant de la musique avec d licatesse il est furieux parce qu il craint qu elle ne lui vole la vedette Fondamentalement il se fiche de la prestation artistique de Saartjie et de son impact sensible sur les spectateurs Caezar estime que l artiste ne doit pas avoir de limites d s lors qu il se livre son public Partagez vous cette conception du m tier Ce
30. r se r v le autant attir par largent que par le succ s S il tait musicien Saartjie serait son violon son instrument Comment tes vous parvenu l incarner sans le juger Abdel ne voulait porter aucun jugement sur ses personnages et sa d marche intellectuelle donne au film toute sa force Pour moi c tait plus compliqu j ai eu besoin d en discuter longuement avec Abdel Lors de la premi re semaine o nous tournions les sc nes Piccadilly je m interrogeais encore sur Caezar et ma mani re de l interpr ter Abdel a tr s simplement r pondu mes doutes en me disant Tu penses trop Ce que tu fais est bien Je me suis enfin laiss aller la confiance en son regard tait suffisante Cette confiance Abdellatif vous l a manifest e d une mani re surprenante d s votre premi re rencontre C tait miraculeux D but 2009 mon agent m a appel pour me dire qu une soci t de production fran aise cherchait des acteurs sud africains de mon ge et de mon profil Une quarantaine de jours plus tard je me suis rendu pour la premi re fois de ma vie Paris Lorsque j ai vu Abdel il ma regard et a juste souri J ai su que le r le tait pour moi Tous ses films questionnent mon sens l identit fran aise et son rapport a l alt rit mais V nus noire ouvre le champ vers une approche plus universelle D s la premi re sc ne j ai r alis qu Abdel tournait selon une m thode rad
31. rait pas oppos de refus C est peut tre ce que je leur reproche le plus la malhonn tet intellectuelle Ils n taient pas aveugl s par leurs id es ils s aveuglaient d lib r ment par ambition C tait la course dans les milieux scientifiques celui qui apporterait la justification de l exploitation de l Afrique qui se d roulait parall lement Il fallait enlever aux africains toute forme d humanit pour pouvoir se donner le droit de les opprimer LA CULTURE AFRICAINE ET LIDEE MEME DE CIVILISATION SONT ANTI NOMIQUES Ce genre de phrase illustre pour moi l acharnement de tout un courant pseudo intellectuel a faire des africains des sous hommes Je refuse de participer 4 un tel d bat C est du m me ordre que Cuvier qui pr tend que les gyptiens ont beau avoir t noirs ils appartenaient a la race des blancs Je laisse le soin aux intellectuels africains qui le feront bien mieux que moi de d fendre leur place dans l histoire de l humanit Il est essentiel pour une soci t de conna tre son histoire Je suis convaincu qu il est malsain d occulter le pass En donnant chair Saartjie Baartman j esp re avoir contribu ma mani re mettre un peu en lumi re une zone d ombre de l histoire de France et faire que les langues se d lient SAARTJIE N EST PAS CE SYMBOLE DE L ASSERVISSEMENT DU PEUPLE NOIR TEL QUE L A C L BR L AFRIQUE DU SUD EN 2002 Suivant la mani re dont son h
32. rtainement pour beaucoup Les d sillusions aussi C est ce quoi j ai t le plus sensible Elle inspire le d tachement l abn gation la plus totale et l intelligence Elle doit en savoir sur la nature humaine En rencontrant son image j ai prouv le devoir de raconter son histoire TRE ARTISTE COMME PRETEND L TRE SAARTJIE C EST S OFFRIR SANS BARRI RES AU PUBLIC Saartjie ne s offrait pas sans barri res au public elle tait sans cesse viol e par tout le monde Ce que voyaient les gens ce n tait pas elle c tait une caricature ce n tait pas ce qu elle voulait donner c tait ce qu ils voulaient voir Se conformer au regard de l autre lorsque ce regard est avilissant c est tr s douloureux compliqu et en un sens elle tait une v ritable esclave Saartjie tait une artiste c est rapport un peu partout elle jouait d un instrument avait des pr dispositions pour le chant et dansait tr s bien Une artiste compl te dont le drame est peut tre qu elle n a jamais pu s exprimer parce que ce n est pas ce que l on attendait d elle Elle ne devait pas s exprimer elle devait illustrer un discours donner raison la mentalit de l poque Elle tait prisonni re du regard de lautre Finalement c est peut tre le th me principal du film oppression du regard Je me suis beaucoup identifi cette dimension du personnage C est ce que je ressentais
33. s plus on est riche de ces choses parce que ces moments soudent tous les acteurs impliqu s Lorsque R aux harangue les libertins du salon Masa en leur lan ant Approchez vous et d passez votre g ne on se sent interpell comme spectateur et d fi en tant qu humain Dans l esprit de R aux c est peut tre une invitation la tol rance mais je nai pas r fl chi cela Ce que j ai fait dans cette sc ne promener un sexe en ivoire prendre les seins de la femme qui chevauche Yahima je n imaginais pas en tre capable Il a fallu y aller tous ensemble donner donner donner Cela ne s est jamais pass dans la douleur parce que c tait Abdel et que personne n avait se br ler ou se d truire Cette sc ne r sume parfaitement le sujet du film questionner notre sens de la dignit humaine Je lai aussi prouv de mon point de vue de com dien M me en impro visant jai observ une distance pour ne pas faire un num ro d acteur ou perdre les intentions de la sc ne Je n ai alors eu comme seules r f rences que mes propres sen sations de limites qui sont physiques et intellectuelles pas th oriques C est aussi une question de pudeur de respect de sa partenaire en l occurrence Yahima que je n aurais jamais risqu d abimer Entre elle et moi change a toujours t complice et joyeux nous sommes tous les deux mont s au front c te c te Abdel peut vous pousser loin dan
34. s l id e qu apr s avoir subi la violence des scientifiques Saartjie rencontre des gens qui voient en elle une source de d sir de beaut et finissent par la respecter Je voulais aussi questionner le ph nom ne de groupe dans lequel l individu se sent moins expos parce que sa responsabilit est dilu e Tout en montrant ce qui est humainement insoutenable je n ai jamais perdu de vue les r gles de pudeur et de respect envers l quipe Je me suis laiss guider autant par la pr paration en amont que par ce qui jaillit de l instant C est l acteur son motion sa violence et son rythme qui vous donnent la sensation que c est dans telle direction qu il faut aller Comme sur mes films pr c dents j ai essay de faire en sorte que le plateau soit un lieu de cr ation et non pas d ex cution LE REGARD D UN CINEASTE DICTE ET INFLUENCE CELUI DU SPECTATEUR Je n ai jamais ressenti autant que dans la r alisation de ce film la pression du regard du spectateur Pour approcher Saartjie au plus juste jai men une sorte d enqu te de reconstitution des faits Et ce sont les d tails qui font l histoire comme ce moment o l une des spectatrices londoniennes touche les fesses de Saartjie avec un parapluie il est rapport tel quel dans un t moignage de l poque Les gens allaient vraiment voir la V nus Hottentote pour s amuser toucher ses grosses fesses en ayant peur d tre mordus LA VIOLENCE C
35. s vos retranchements parce qu il vous a mis en confiance et que vous tes assur de son respect de sa propre retenue Estimez vous que l essence du m tier d acteur est de mettre en cause chaque nou veau film ses limites Je pense que chaque artiste a sa pudeur son sens de l intimit et qu il y a des limites qu il ne faut pas sp cialement outrepasser car cela n apportera rien son talent N anmoins il y a une part de v rit dans l id e d avoir tellement de distance qu on peut tout montrer c est en tous cas la conviction de R aux Personnellement comment r sonne aujourd hui le parcours de Saartjie Baartman videmment l appr hension du monde dans sa globalit a volu mais cela n em p che ni l intol rance ni l humiliation Il n y a peut tre plus de foires aux monstres on ne communique plus avec autrui par le m me biais mais on montre autre chose d autres monstres surgissent et tout cela passe par Internet A l poque du film les gens avaient l excuse de la d couverte scientifique de l tranget du jamais vu Il y avait une v ritable curiosit de l inconnu Pas sp ciale ment une peur Aujourd hui il n y a plus vraiment d inconnu Pourtant je trouve nos soci t s davantage perverses et tent es par le voyeurisme Est ce important qu un film comme V nus noire laisse un tel champ d action et d interpr tation au spectateur
36. stamment en eaux troubles ins pire un plaisir ou un inconfort d acteur Cela d pend Je n ai pas trouv assez d l ments sur lui pour me faire une id e per sonnelle de l homme voire d tre tent de le juger Jai envisag R aux comme un homme d affaires dont la baraque doit tourner Par exemple je ne me suis jamais demand s il avait un probl me avec les Noirs ou s il tait macho et voulait dominer les femmes C est au spectateur de se forger une opinion La ligne directrice du film est de le pousser s interroger sur la condition de Saartjie et sur ce qui a permis certains de la manipuler Pas de choquer ou de susciter un quelconque voyeurisme Le voyeurisme est pr cis ment l cueil vit par Abdellatif Kechiche lors des deux sc nes o R aux exhibe Saartjie dans les salons parisiens tel un objet de d sir puis de sexen La sc ne du premier salon bourgeois on l a r p t e et tourn e sur cinq nuits avec deux cam ras au long de prises de cinquante minutes non stop Nous tions comme des lectrons libres d improviser partir d indications de sc nario C tait comme se lancer de la falaise se laisser tomber dans le vide en esp rant attraper une chose ou une autre dans la chute Et c est ce qui est arriv soir apr s soir en t tonnant en trouvant enfin en peaufinant Quelque part on va jusqu l puisement pour que la v rit merge Avec Abdel plus on vit les chose
37. t rieure ment C est une sc ne tr s mouvante une respiration dans le film Le regard respectueux et authentique que porte Abdellatif Kechiche sur Saartjie il le porte aussi sur vous en tant que femme et com dienne Oui et son regard est tout autant celui d un artiste que d un tre humain Il ne s est jamais permis de juger Saartjie ni aucun autre des personnages ce qui se traduisait sur le tournage par un respect absolu de l acteur C est pour cette raison que je mai jamais t g n e par les sc nes de nu et celles de soumission dans les salons libertins Au del des r p titions et de mon travail Abdellatif s est assur que je ne sois ni mar qu e ni bless e par de telles sc nes de violence J tais aussi tr s entour e par les autres com diens Je me sentais en confiance totale Quelles sont pour vous les r sonances contemporaines de la trajectoire de Saartjie Il tait imp ratif qu elle revienne dans son pays parce que toute personne a le droit d tre enterr e respectueusement En Afrique du Sud l association qui d fend les femmes maltrait es porte le nom de Saartjie Baartman Elle est un symbole forc ment Aujourd hui elle est enfin reconnue comme un tre humain Le film transmet l id e simple et universelle que l on a tout apprendre des autres Et apprendre a signifie respecter ce qui nous est tranger un physique une culture un langage C est cela tre humain
38. t t questionn l image dans le sens o j ai montr ce qui a t rapport pour comprendre comment une telle oppression pouvait tre concevable Jai essay autant que possible de ne pas porter de jugement sur les personnes mais c est vrai que parfois cela n tait pas vident Par exemple en ce qui concerne les scientifiques j ai simplement mis en image ce qu ils ont eux m mes crit ou fait cela suffisait amplement Jai trouv cela parfois tellement violent que j ai d att nuer un peu les faits Lorsque j ai appris que le comit de scientifiques qui a observ Saartjie vivante ce qui d j vu les commentaires qu ils ont consign s a d tre tr s humiliant pour elle a profit de sa mort pour chercher voir ce qu elle leur avait interdit de son vivant j ai trouv cela d une horreur absolue On ne peut pas sous couvert de la recherche scientifique perdre autant son humanit Je ne croyais pas possible que des gentilshommes dans de beaux habits charcutent le corps d une femme en toute impunit la mettent dans des bocaux et aillent se pavaner discourir avec a comme s il s agissait d un troph e Bien s r on peut dire qu ils la consid raient comme un animal mais en v rit pas tant que a Ils cherchaient prouver qu elle tait plus proche de l animal que de Phomme mais tout dans leurs r cits porte croire qu ils en doutaient eux m mes D ailleurs un animal ne leur au
39. tjie En outre il ne la consid re pas comme une vraie personne alors qu il en a la preuve et la sensation personnelle inverses L absence de jugement sur les personnages voulue par Abdellatif Kechiche oblige le spectateur s impliquer regarder La plupart des personnages restent opaques d o l obligation du spectateur d tre effectivement actif C est faire preuve de respect envers le public que lui livrer des vies sans mode d emploi comme le ferait un peintre ou un musicien A mon sens l une des questions fondamentales que suscite le film notamment travers l attitude de Cuvier est Comment peut on voir go ter la r alit de l autre et pourtant passer outre en campant sur ses pr jug s Je m interroge toujours LA VENUS HOTTENTOTE REPER 1770 date estim e Naissance de Saartjie Baartman originaire du peuple Khoikhoi dans l actuelle Afrique du Sud alors sous do mination Boer 1770 1795 Au service des colons l instar de sa famille elle tra vaille dans la ferme de Hillegert Muller avant d tre vendue a Pieter Caezar un commer ant du Cap Au fil des ann es elle trouve r confort dans l alcool D s son adolescence la jeune fille est affect e de st atopygie hypertrophie des fesses et de macronymphie organes sexuels protub rants sympt mes qui susciteront curio sit s et fantasmes en Occident 1795 Saartjie devient la servante du fr re de P
40. tte perception diff re suivant les artistes C est chacun de savoir s il a besoin de limites et quel niveau il les place Personnellement je pense qu il est n cessaire de tutoyer ses limites pour cr er Il arrive alors que la fronti re entre soi et le personnage devienne tr s mince certains moments Caezar et moi tions la m me personne ne serait ce que par sa condition d tranger Londres J tais moi m me un tranger Paris participant un tournage o tout le monde parlait une autre langue que la mienne Ce film a t il questionn votre propre perception de humanit Fortement En tant que Sud Africain vivant dans une culture marqu e par le rapport de classes et de races ce film r sonne plus que jamais Je le trouve puissant et universel parce qu il ne fait pas du racisme son th me principal V nus noire traite de l inhumanit Saartjie a t humili e quand elle tait en vie et a continu l tre apr s sa mort Elle n a jamais cess d tre viol e jusqu ce qu elle soit ramen e en Afrique du Sud C est certainement un film prouvant mais pousser les gens au del des apparences envisager l autre dans sa complexit est fondamental pour notre volution quotidienne d tre humain OLIVIER GOURMET R AUX Comment avez vous nourri le personnage de R aux dont les traces historiques res tent parses Sur la V nus noire il y a effectiveme
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