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les effets de dénonciation et de distanciation

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1. la base du roman nigme une dualit et c est elle qui va nous guider pour le d crire ce roman ne contient pas une mais deux histoires l histoire du crime et l histoire de l enqu te Dans leur forme la plus pure ces A P 20 deux histoires n ont aucun point commun En r alit dans ce type de romans la premi re histoire celle du crime est d j termin e seuls des d tails pr sents pour nous aider r soudre l nigme sont 1 Ibid 46 20 Todorov Tzvetan Typologie du roman policier In Po tique de la prose Paris Seuil 1971 p 09 19 25 fournis la seconde histoire celle de l enqu te commence avec le livre en fait c est le livre Ce qui explique la r gle d immunit des personnages et principalement du d tective le crime s tant d j d roul il ne peut quasiment rien arriver ce dernier qui lentement va reconstituer les v nements en rassemblant preuve apr s preuve tous les l ments expliquant le crime En d autres termes Les cent cinquante pages qui s parent la d couverte du crime de la r v lation du coupable sont consacr es un lent apprentissage on examine i S E i 21 indice apr s indice piste apr s piste La particularit du roman noir quant lui r side dans l importance que prend la seconde histoire celle de l enqu te et la suppression de la premi re non pas qu elle n existe plus m
2. Le roman hard boiled litt ralement dur cuire est l anc tre d un genre que nous appelons aujourd hui plus commun ment le roman noir H Thid p 33 12 J Dubois Le Roman policier ou la modernit Paris Nathan 1992 p 103 21 Carroll John Daly cr e le premier v ritable priv dur cuire hard boiled dick Race Williams dans le magazine Black Mask mais c est avec les enqu tes de l anonyme Continental Op puis partir de 1929 de Sam Spade tous deux personnages de Dashiell Hammett que le genre parvient 13 5 panour Ce genre nouveau pr curseur du roman noir se distingue du roman policier classique par son r alisme sa noirceur et surtout l intensit de l action et le r alisme des personnages Quant au personnage central le d tective il perd dans ces romans son aspect lisse de parfait gentleman qui le caract risait dans les romans policiers classiques Selon E Maleski Contrairement au roman policier classique anglais ou fran ais de l poque le hard boiled intensifie l action vivifie le d roulement de l intrigue se construit autour de dialogues percutants qui participent v ritablement de l action Le temps n est plus la r flexion l examen interminable des indices la m ditation le temps est l action Le roman gagne la fois en r alisme noirceur amertume cynisme et en dynamisme dynamisme v hicul par un style
3. il se prend peut tre pour Sidna Azra n le rondouillard yA Ces interf rences entre arabe et fran ais sont assez nombreuses particuli rement dans Le dingue au bistouri et La foire aux enfoir s dit s en Alg rie Nous n en avons pris que quelques exemples pour illustrer notre propos nous pourrions toutefois signaler que si on en rel ve beaucoup moins dans les autres romans de la s rie dit s en France pour leur part cette intrusion de l oral dans le r cit crit et de l arabe dans un texte francophone se manifeste toujours travers le choix des noms propres comme nous l avons vu pr c demment 10 Khadra Yasmina La part du mort p 200 1I Khadra Yasmina Le dingue au bistouri p 73 118 I 3 Repr sentation de la mort et critique sociale dans l uvre de Khadra Pour clore notre tude nous consacrerons cette derni re partie l vocation d une mani re plus approfondie d une des caract ristiques constitutives des romans noirs laquelle ceux de Khadra accordent une place privil gi e Il s agit de la critique sociale exprim e dans son uvre et de ses moyens d expression les plus utilis s notamment l humour et l ironie Nous effectuerons par la suite une br ve analyse de la repr sentation de la mort dans les romans de notre corpus celle ci trouve en effet une premi re formulation dans le choix m me des titres Pour finir nous analyserons l effet que le trait
4. notamment le tabac l alcool et le sexe consid r s ici comme de v ritables vices auxquels ne s adonnent que les personnes vivant la merci de leurs pulsions c est dire les agents ennemis SM 15 se doit donc pour se diff rencier des autres agents secrets et pour r affirmer son identit arabo Riglet Marc Le roman d espionnage alg rien in Maghreb 52 juillet ao t 1972 p 45 cit par B Bechter p 75 1 R Escallier L Image de la ville arabe dans la litt rature de gare le cas S A S in Cahiers de la M diterran e n 60 Nice Centre de la M diterran e moderne et contemporaine juin 2000 p 65 72 cit par Maleski p 93 35 musulmane de demeurer totalement abstinent ce qui ne semble pas poser probl me notre h ros comme en t moigne l extrait suivant d crivant une rencontre entre SM 15 et une prostitu e quel dr le de type tu fais ch ri Tu ne bois pas d alcool tu ne fumes pas Est ce que par hasard pour le reste Tu comprends mon gros loup 81 besoin de savoir moi J ai ma cro te gagner mais il SM 15 posa sur cette viande bl me la prostitu e un regard impersonnel Les prostitu es ne faisaient vibrer aucune corde en lui mis part peut tre un vague sentiment de piti Toujours dans le m me roman l auteur d crit l attitude de SM 15 devant une autre femme il s agit cette fois ci de Malika la s ur de son meilleur ami
5. se r aliser puisque l on sait que dans Morituri elle se morfond en l absence de pr tendant En effet tant la fille d un commissaire de police dans les ann es 90 elle 8 peu de chance de faire un beau mariage Mina elle est la repr sentation de l pouse de la m re et de la musulmane parfaite Elle a abandonn la carri re d enseignante laquelle elle se destinait la 88 Pr face Morituri de Marie Ange Poyet Paris Edition Baleine 1997 Le dingue au bistouri p 56 63 demande de son mari qui lui interdisait de travailler Elle ne sort jamais sans foulard et ne rend m me pas visite ses parents qui vivent pourtant deux p t s de maison sans demander l autorisation son poux auparavant Cependant elle ne bl me jamais Llob d ailleurs elle ne prend presque jamais la parole et ne pose presque jamais de question et affirme tre heureuse dans son r le d pouse et de m re Nous pourrions nous demander cependant si cette repr sentation conservatrice des r les f minins dans l uvre de Khadra n ob it pas surtout un souci de r alisme En effet l auteur qui crit sous un pseudonyme f minin est cens retranscrire le point de vue qu aurait eu une femme d crivant une soci t masculine et la vision des choses que celle ci aurait pu imputer un personnage principal masculin car ne l oublions pas notre narrateur est un homme g rappelons le de plus d une cinquantain
6. une rancune tenace Nous sommes devenus visc ralement allergiques aux 177 La part du mort p 17 123 intellos Et chez nous l usure il arrive que l on pardonne la faute jamais ns 178 la diff rence Ce jugement assez s v re de Llob voque comme raison principale de ce rejet quasi syst matique des intellos en Alg rie la blessure ancienne de la colonisation qui suscite encore chez certains un refus cat gorique de tout ce que celle ci a pu engendrer En outre Llob insiste galement sur un aspect n gatif de la mentalit alg rienne qui rejette la diff rence quelle quelle soit Il s agit surtout de d montrer ainsi la part de responsabilit des Alg riens dans la situation actuelle C est ce point de vue que Llob accentue lorsque Lino lui demande la raison de l emploi du terme inculture C est cause d un regrettable lapsus Il y a tr s longtemps notre anc tre voulait crire un bouquin Comme il ne pouvait pas r fl chir le bide vide la tribu lui a mijot un festin incroyable et il a bouff avec un app tit tel qu au moment de s attaquer au manuscrit il s est aper u qu il avait bougrement envie de piquer une sieste Le probl me il craignait qu son r veil sa muse disparaisse Un vrai dilemme Alors saint Ziri notre p re tous lui est apparu Il lui a demand ce qui n allait pas Notre anc tre lui a expliqu qu il avait en m me temps une insurmontable
7. enseignement La seule certitude qu ils avaient concernait la grandeur de la France ce qui pour Labras explique pourquoi pour eux affronter ce pays semblait totalement inimaginable et surtout suicidaire Lorsque la r volution de la Toussaint a clat rares taient ceux qui la prenaient au s rieux S insurger contre sa m re de surcro t l une des plus grandes puissances de la terre il fallait tout de suite arr ter de d conner Et plus a bardait dans les maquis et moins on savait o donner de la t te D un cot les fellagas multipliaient les exactions contre les ind cis de l autre la pacification manipulait les plus d munis C tait du n importe quoi et a n aidait personne voir clair dans cette saloperie de remue m nage ce fut 12 La part du mort p 246 88 une guerre atroce immonde absurde et pas un ne pouvait croire une seule 130 seconde qu il se trouvait dans le mauvais camp Enfin dans cet autre passage l auteur faisant tenir au personnage de Labras les propos suivants d crits les crimes commis par certains militaires alg riens aid s des populations elles m mes Nous tions certes mis reux mais pas mis rables comme aujourd hui Puis il y a eu la guerre Elle n a pargn ni les uns ni les autres Lorsque le cessez le feu 8 t instaur tout le monde fut soulag H las 18 f te fut bien br ve D s que les militaires fran ais ont c
8. voir comme nous l avons constat travers la permanente opposition entre Hydra et le reste de la ville Alger pour ne pas dire le reste du pays et qui d peint une vision du monde on ne peut plus sombre L auteur d crit en effet l Alg rie comme un pays o la corruption et le n potisme font que les riches le deviennent encore plus et que les pauvres quant eux se retrouvent de plus en plus d munis et ne peuvent se permettre que le strict minimum l instar de Llob qui comme beaucoup d Alg riens ne peut pas changer de voiture ou tout simplement acheter un second poste de t l vision 76 IL 3 Les v nements inscription et prise en charge de l Histoire dans les polars de Khadra Les v nements d crits ont une importance cruciale dans le cas de l uvre de Khadra car c est travers ce param tre que s exprime plus particuli rement l aspect r aliste de l uvre qui se base comme nous l avons d j voqu pr c demment sur des v nement majeurs de l Histoire de l Alg rie Cela dit nous ne tenons pas pour autant dans ce travail nous attarder trop longuement sur la fameuse question de la qualit de ces crits qui reviennent sur la d cennie 90 D autant que cette question pourrait se poser ici doublement puisque les romans de notre corpus appartiennent galement un genre r put mineur En effet bien que les polars de Khadra soient parvenus en quelq
9. 47 Boucebci et de l universitaire Mohammed Boukhobza en juin ou encore du po te Youcef Sebti le 28 d cembre Le pays sombre d finitivement dans la violence les attentats se multiplient et l arm e de son cot intensifie ses op rations dans les maquis Les assassinats ciblent d sormais toute la population alg rienne sans aucune distinction entre hommes femmes enfants Tout ces bouleversements expliquent que le roman policier et plus particuli rement le roman noir se soit d velopp cette p riode En effet le polar ax sur la noirceur du quotidien son instabilit et sur la critique sociale ne pouvait trouver son inspiration dans une r alit plus sombre La r alit devenant en Alg rie bien plus noire que la fiction il ne pouvait y avoir de genre plus adapt pour la d crire Ainsi Khadra s inspirera principalement de la situation sociale politique et conomique du pays Dans La part du mort la peinture pessimiste des conditions de vies des alg riens que l on trouvait d j dans Le Dingue au bistouri trouve une suite logique Quant Morituri 1l reprend l histoire apr s octobre 88 et a donc pour cadre les ann es 90 Ce dernier roman publi donc en 2004 La part du mort constitue chronologiquement une suite au dingue au bistouri car 1 se d roule en 1988 Nous le pr senterons donc avant Morituri bien qu il ait t publi ult rieurement On peut ainsi y retrouver comme dans le Dingue
10. Pour lui elles sont l essence m me de son alg rianit En fait il semblerait que pour Llob l id al soit de parvenir une sorte d quilibre entre la modernit l mancipation et le respect des coutumes et de la religion Pour conclure on pourrait dire que les romans de Khadra dressent un portrait assez fid le des Alg riens et des probl mes auxquels ils sont confront s Du patron corrompu au fils exasp r par le ch mage en passant par le fonctionnaire qui n arrive pas Joindre les deux bouts Khadra donne vie des personnages aussi r alistes les uns que les autres IL 2 Les lieux L une des caract ristiques essentielles des uvres de Khadra comme nous l avons d j signal est le r alisme que celles ci v hiculent et que nous avons tudi pr c demment travers la description des personnages Ce r alisme trouve galement une expression tout fait remarquable avec la repr sentation des lieux D une part parce que ces lieux existent vraiment d autre part parce que ces descriptions sont souvent pour l auteur le point de d part de r flexions critiques tr s virulentes En outre les lieux de l action repr sentent un des l ments constitutifs de l unit de la s rie En effet les aventures de Llob se passent toutes Alger si l on excepte la visite qu il fera pendant quelques jours pour les besoins d une enqu te Sidi Ba dans La part du mort La capitale peut tre consid
11. auteurs alg riens et m me des romans qui n appartiennent pas au genre policier Ce recours des r f rences culturelles plus proches semble tre pour l auteur un moyen d inscrire son uvre dans une perspective de filiation naturelle et de continuit comme en t moignent les multiples r f rences Djamal Dib En outre cela lui permet galement de confirmer l alg rianit de ses uvres tout en conjurant leur cat gorisation au sein d un genre mineur par l vocation des plus grandes uvres de la litt rature Arabe Ainsi nous pouvons lire dans le dingue au bistouri Il Lino passe son temps confectionner son personnage dans les bouquins de Djamal Dib ensuite quand je le rappelle l ordre il n est pas content p 69 A son prochain anniversaire je lui offrirai deux recueils de Djamal Amrani promis p 105 Il doit penser que j ai piqu a dans un bouquin de Rabah Belamri p 93 Commenter un ouvrage essayer de d celer la force de Rachid Mimouni m abreuver dans un Moulessehoul ou encore tenter de saisir cette chose tactile qui fait le charme de Djemai p 14 Il y a une phrase int grale qui pue Tahar Djaout mille lieues la ronde Plagiateur va p 71 En effet le recours l intertextualit peut tre un bon moyen de revendiquer la litt rarit d une uvre C est justement ce que Khadra recherche en voquant les plus grands auteurs de la litt rature maghr bine
12. d mancipation sa fa on de se v tir entres autres incapable de se trouver un mari ultime crit re de r ussite sociale En effet aux yeux de Llob elle fait partie de ces bonnes femmes qui tout comme les mentalit s se sont d natur es en voulant s manciper Les jugements souvent s v res de Llob et son conservatisme vident vis vis de l mancipation f minine ne l emp chent toutefois pas d tre lucide quant aux fr quentes injustices que celles ci peuvent subir ainsi il d clare dans Double Blanc propos d une de ses indics gestionnaire bard e de dipl me qui est contrainte de se prostituer Elle comptait s offrir une belle carri re Seulement dans une soci t phallocentrique le seul crit re promotionnel qu on lui proposait tait le canap la longue elle a fini par lever les jambes en l air ce qui quivaut RES Ata 91 chez le m le lever les mains par dessus la t te N anmoins et pour reprendre l avis de Bernadette Dejean de la B tie qui consacre un chapitre de son tude sur les polars de Driss Chra bi ceux de Khadra le fait que Llob ait suffisamment de recul par rapport aux mentalit s traditionnelles ne veut pas n cessairement dire que ce dernier aimerait les voir voluer D ailleurs son comportement avec son pouse Mina le prouve Ma modeste Mina moi elle n a qu une seule ambition tre bien avec Dieu et avec so
13. en cela par l indiff rence de ses coll ges La suite de la carri re de ce personnage est encore plus brillante Un matin sans crier gare on le retrouva chauffeur asserment d un haut cadre de la nation qui tira sa r v rence de fa on si suspecte que de nombreux nababs jug rent prudent de conduire eux m mes leur voiture de service Il faut avouer qu en cette p riode de redressement r volutionnaire les fugues de cette nature taient presque un ph nom ne de soci t la fuite des cerveaux succ daient la fuite des capitaux et un tas d apparatchiks l s s ou ais s pr f raient prendre la large avant d tre pris dans les filets des conspirations Les d parts massifs engendraient des postes vacants et les opportunistes s en donnaient c ur joie Ce fut ainsi que Hocine El Ouahch squatta le bureau Investigation Bizarrement aucun huissier ne vint 16 d loger Khadra continue d crire l incroyable progression du personnage expliquant la raison pour laquelle ce dernier occupera un poste aussi important en d pit de son manque flagrant de qualifications 135 Ibid p 114 92 En v rit Hocine El Ouahch tait le meilleur postulant ce poste sur le march noir national La hi rarchie s adonnait la sp culation tous azimuts et il n y avait pas mieux pour mener bien ses petites combines que de confier le bureau Investigation un abruti z l doubl d
14. espionnage En conclusion nous pouvons constater comme le faisait Estelle Maleski dans sa th se que si ces ouvrages paraissent limit s d un point de vue litt raire ils pr sentent n anmoins l int r t de rendre compte de l atmosph re politique alg rienne de l poque ce qui confirme les propos de Bernard Mouralis qui estime que ce type de litt rature peut aussi bien d boucher sur une contestation des valeurs sociales que sur leur r affirmation en se faisant l expression d une certaine conception du monde troitement d pendante des structures de tous ordres politique sociale militaire gt C est bien cette dimension d une criture conservatrice aussi bien sur la plan esth tique qu id ologique qui transpara t dans les premiers romans policiers alg riens comme le constate Guy Dugas qui r sume en ces termes l objectif de ces romans D nonciation du sionisme et de ses alli s objectifs Etats Unis en premier lieu mais aussi l occasion France ou Espagne glorification de l Alg rie nationaliste et socialiste solidarit avec les pays opprim s dans une prometteuse troisi me voie dont l Alg rie serait la fois la preuve et le ferment il appara t comme une vidence que c est l id ologie du pouvoir en place particuli rement sous Boumediene 1965 1978 qui est ici illustr e selon une strat gie de p rennisation plus que de remise en
15. importance accord e au r f rent et la repr sentation du r el et qui lui a valu d tre d sign Pierre Boileau et Thomas Narcejac sous l appellation de fiction vraie Ce constat est confirm par la position de B Bechter qui consid re que les uvres de Khadra conduisent le roman policier en Alg rie son apog e en introduisant avec succ s le mod le du roman policier r aliste Nous nous proposerons donc dans ce chapitre d tudier plus amplement cet aspect tout en analysant les effets de cette repr sentation r aliste de l Alg rie qui se pr sente la fois comme un t moignage sur diff rentes p riodes de l Histoire du pays et comme une d nonciation des fl aux qui le rongent Nous verrons ainsi que le roman noir peut non seulement d crire les probl mes d une soci t un moment donn e de son volution mais qu il peut galement rev tir une dimension plus critique en d non ant ces probl mes et leurs responsables 14 Bonn Charles Boualit Farida Paysages litt raires maghr bins des ann es 90 t moigner d une trag die Paris Montr al 1 Harmattan 1999 p 38 71 8 Bechter p 101 52 Dans notre cas c est principalement deux phases de l Histoire contemporaine de l Alg rie qui sont mises en lumi re avec leurs divers probl mes Il s agit de la fin des ann es 80 poque marqu e par les difficult s conomiques et le ras le bol de plus en
16. issue de cette tude c est que le genre policier et plus particuli rement le roman noir tel qu il est con u par Khadra peut se vanter d apporter un clairage et un t moignage sur la situation de l Alg rie quelques ann es apr s son ind pendance L auteur transcende les limites du genre et ses contraintes pour en faire des atouts au profit d un d nonciation qui ne se fait pas sans humour Il participe galement la restitution d un pass et d une m moire occult e en voquant des v nements pass s de l Histoire du pays et par sa dimension de t moignage il inscrit sa fa on l Histoire pr sente du pays dans les m moires Le roman noir se fait alors un rem de contre l oubli car enfin Pourquoi le romancier ne peindrait il pas lui aussi ce monde de terreur policier s il en est et plus romanesque que nature Pourquoi n aurait il pas droit devoir de d voiler travers le vraisemblable fictionnel ce v cu pen 187 vrai que tant de t moignages peinent traduire Le polar chez Khadra peut donc non seulement pr tendre d crire 1 Alg rie d apr s 1962 il est m me comme nous avons tent de le d montrer le genre le plus adapt cette description car il est l image de l volution de nos soci t s de plus en plus violentes d concertantes d sordonn es C est sans doute ce qui explique pourquoi le polar est de plus en plus lu N anmoins c
17. malgr la Mercedes tincelante qu il conduit avec la gr ce d un hippopotame coinc dans un aquarium et la belle demoiselle souriante sur le si ge d cot il n arrive pas se d faire de son air de plouc arriviste et malodorant Mais il est plein aux as le salaud et 155 ne le cache pas Dans La part du mort on retrouve souvent ce style ironique et comique dans les descriptions des personnages Khadra qui prend de toute vidence pour mod le les riches cadres ou haut fonctionnaires d tat alg riens d montre par le biais de l ironie qui ici peut vraiment pr ter sourire le degr de corruption des responsables du pays Comme on peut le lire dans ce passage o Llob pr sente le personnage de Haj Thobane ancien maquisard qui comme beaucoup s est 125 La part du mort p 89 155 Thid p 89 109 empress au lendemain de l ind pendance de faire fructifier sa qualit d ancien moudjahid pour en tirer un maximum de profit Haj Thobane a au moins deux m rites l un philosophique l autre alchimique Primo il r duit en pi ces la fameuse th orie de Darwin selon laquelle l homme descend du singe Haj Thobane lui descend directement de son arbre Secundo pour ne pas tre emport par le vent qui tourne il s applique garder H 24 ses poches pleines n en extirpant qu une liasse de fafiots que pour la remplacer illico par un ripoux si bien que quand il fait tinter ses pi ce
18. phant conscient de sa mort prochaine j arrache mes fesses l treinte de mon si ge et me tape les soixante huit marches de l escalier l ascenseur tant r serv l usage strictement personnel du boss le patron se r pand derri re son bureau Dans le luxe ambiant il 8 l air d un monument Mais quand on le regarde de pr s c est juste une normit f 167 foraine qui s est tromp de chapiteau La gravit du premier extrait est 1 1 aussi instantan ment d samorc e par l humour d cal du suivant qui critique au passage les abus de pouvoir du boss qui se r serve l usage exclusif de l ascenseur et d core son bureau comme le hall d un grand h tel L auteur imite en quelque sorte les hauts et les bas de la vie Il ne laisse aller son personnage la verve po tique de sa m lancolie que pour mieux repartir dans la suite de son r cit entra nant ses lecteurs dans le rythme effr n de cette course contre la montre ou plut t contre la mort que Llob m ne constamment puisqu il fait partie lui aussi de ces morituri 17 Morituri p 19 20 116 ceux qui vont mourir que le titre voque Les instants o le personnage principal s autorise r fl chir ce qui l entoure sont par cons quent sont bien rares Outre cette fusion du s rieux et du comique Khadra int gre galement dans ses uvres des expressions appartenant au langage parl et l arabe qui
19. rienne de langue fran aise la r alit dans son sens le plus large sociale politique conomique est presque in luctable comme le signale Hadj Miliani dans ces propos Il est presque devenu rituel d interroger la pratique romanesque de langue fran aise en Alg rie pour cerner par le biais d une telle pratique discursive conduites et conflits sociaux ainsi on peut constater qu il y a des litt ratures qui semblent vou es par leur ancrage g ographique et historique des r les constants voire des emplois comme au th tre Les productions alg riennes de langue fran aise sont n es depuis les premiers crivains des ann es 20 dans un souci premier celui du dire la fois se dire et en se disant comprendre la trag die et les bouleversements de la soci t d origine Cela a produit comme on le sait toute une gamme d critures depuis lors des plus brillantes aux plus obscures toutes astreintes pourtant chaque poque A 3 r fracter malaises et r voltes espoirs et utopies Cependant si cette tendance n e avec la litt rature alg rienne semble se l gitimer naturellement lorsque le pays est encore colonis cela ne l a pas emp ch e de perdurer au del de l ind pendance alg rienne comme le soulignait d j Hadj Miliani cet gard on peut noter que si d sormais on ne voit plus dans cette litt rature uniquement sa dimension nationaliste et engag e da
20. sent et les interrogent En fait le roman policier dans le cas de Khadra est loin d tre con u dans une perspective exclusivement ludique l inscription de l Histoire comme nous allons le voir y est partie prenante En effet si le roman policier 8 in vitablement pour point de d part un n cessaire retour dans le pass pour les besoins de l enqu te comme le signale J Dubois qui affirme que l avenir du r cit policier est toujours en reprise d un pass il n y a rien de surprenant ce que les romans policiers de Khadra revisitent le pass souvent trouble de l Alg rie L auteur illustre en ce sens parfaitement le constat d j effectu par E Maleski propos ses uvres et de celles B Sansal Le genre policier offre l occasion d une mise au jour d v nements qui dans le cadre d une Histoire aussi dense que celle des soci t s maghr bines peuvent encore pr senter diff rentes zones d ombre Dans certains romans le propos historique se fait en ce sens pr gnant occupant une place centrale dans quelques uvres en particulier abordant x 7 2 gi UE IS l enqu te men e sur le pass comme mati re un vident r quisitoire Khadra parvient en effet construire un r cit qui revisite le pass de L Alg rie il s int resse plus particuli rement aux zones d ombres de son Histoire qui sont chez lui le point de d part d une critique virulente La cr
21. tude I 1 Origines et volution du genre Avant d aborder l apparition du genre policier en Alg rie et son volution qui de l avis de nombreux critiques atteindra son point culminant avec la publication 17 des romans de Yasmina Khadra il nous paraissait indispensable de consacrer la premi re partie de notre travail un bref parcours th orique Nous tenterons dans ce parcours de revenir chronologiquement sur les principaux auteurs qui sont consid r s comme les fondateurs de chaque forme du roman policier Nous poursuivrons ensuite cette partie en abordant chaque forme plus en d tails pour nous permettre de distinguer plus clairement les diff rents sous genres du roman policier et leurs sp cificit s et plus particuli rement celles du roman noir auquel les uvres de notre corpus appartiennent comme nous aurons l occasion de le d montrer plus tard Le roman policier appara t pour la premi re fois dans la litt rature la fin du XIX si cle et comme le souligne E Maleski dans sa th se c est l auteur am ricain Edgar Allan Poe comme la plupart des critiques s accordent le penser que l on doit son apparition sous formes de nouvelles Des pr mices du roman policier les plus c l bres sont intitul es Le Double Assassinat de la rue Morgue 1841 Le Myst re de Marie Roget 1842 ou encore La Lettre vol e 1841 Ces nouvelles sans adopter la forme polici re classique
22. ussi dans ces polars atteindre une sorte d quilibre parfait entre deux esth tiques celle du rire et celle du noir r aliste 185 Ibid 58 130 Conclusion Nous avons pu constater tout au long de cette tude que le roman policier est un genre intimement li aux bouleversements socio conomiques de la modernit Il est tabli en effet que c est principalement l urbanisation qui caract risa le XIX si cle que l on doit son apparition en Europe La ville favorise en effet par son architecture m me l apparition et la propagation du crime qui constitue l inspiration du roman policier Les tout premiers romans policiers publi s taient des romans nigme Le succ s de ce genre port par des auteurs tels Conan Doyle ou Agatha Christie n emp cha cependant pas l apparition d une variante plus sombre et plus r aliste aussi le roman noir Ce dernier plus ax sur le quotidien et sur les probl mes sociaux na tra au d but du XX si cle aux Etats Unis Depuis lors la branche sociale du roman policier n a jamais cess de se renouveler pour conqu rir un public de plus en plus large s duit par son aspect r aliste En Alg rie l apparition du genre policier se fit dans les ann es 70 avec une de ses variantes modernes le roman d espionnage Ces tout premiers romans n offraient pas comme nous l avons d montr un grand int r t litt raire car 1ls taient fortement s
23. Ali Benali Voici venir le temps des possibles 7 in N Redouane Y Mokaddem dir 1989 en Alg rie rupture tragique ou rupture f conde Toronto Les Editions de la Source 1999 p 43 54 44 Cit par E Maleski p 235 W Bouzar 1989 en Alg rie espoir et d senchantement op cit p 32 selon Maleski 46 on assiste galement l mergence d une presse plurielle ind pendante la suppression de la Cour de S ret de l Etat ou encore ratification de la Convention internationale contre la torture Mais malgr toutes ces r formes le gouvernement ne parvient toujours pas r soudre la crise v ritablement Le succ s du Front Islamique du Salut au premier tour des l gislatives 48 des voix apr s une premi re victoire en juin 1990 aux lections municipales le 26 d cembre 1991 confirme la popularit de ce parti particuli rement aupr s des jeunes en qu te d identit et le rejet du FLN d sormais per u comme principal responsable de la crise que traverse le pays Ce r sultat provoque la suspension des lections par la coalition politico militaire et l arrestation de nombreux militants du F LS ce qui plonge nouveau le pays dans le chaos Chadli Bendjedid d missionne le 11 janvier 1992 le processus lectoral est suspendu et Mohamed Boudiaf est appel la t te du Haut Comit d Etat Mais la situation ne se stabilise pas pour autant L ann e 1992 conna t une s
24. Alors nos jeunes apr s avoir bousill les cabines t l phoniques agress les filles dans la rue cum les march s parall les s journ aux frais de la flicaille et comme 110 ils ont beaucoup d imagination ils inventent d autres occupations Et justement ces autres occupations n ont pas t difficiles trouver cette jeunesse d sesp r e d soeuvr e et naturellement vuln rable se laissera endoctriner La mouvance islamiste profitant du laisser aller ambiant fera de la col re que les jeunes prouvent l gard des dirigeants du pays et de leurs frustrations une v ritable rage Elle transformera au nom d Allah et de l Islam un simple ch meur un peu paum en v ritable machine tuer comme ce jeune homme dont le dossier tra ne sur le bureau de Llob Vingt huit ans Jamais l cole Jamais de boulot Des p r grinations messianiques travers l Asie des 108 La part du mort p 176 10 Le dingue au bistouri p 17 10 Thid p 16 74 pr ches d une virulence absolue et une haine implacable l encontre du monde entier La catastrophe que Khadra pr disait d j dans Le dingue au bistouri en ces termes Le bled chavire menace de sombrer et les rats conscients du naufrage imminent se construisent des palaces et rigent de fabuleux comptes bancaires en terre chr tienne est arriv e et elle est plus terrible que ce que pr disaient les avis les pl
25. Madame Martine JOB Universit Michel de Montaigne Bordeaux III 2003 p 29 19 observe coute raisonne et d joue les vidences afin d expliquer les circonstances d un v nement devenu myst rieux car survenu l abri des regards il est un arch type du d tective valoris qui plus est par la pr sence ses c t s d un assistant qui il peut livrer ses raisonnements et exposer ses conclusions Il est toutefois important de signaler que l arch type de l enqu teur m thodique dot d un sens du d tail tout fait extraordinaire entres autres caract ristiques mentionn ici et que l on retrouvera en effet sous diff rents traits dans d autres uvres plus ou moins c l bres est celui de l enqu teur des romans policiers classiques qui s oppose totalement celui du roman noir par exemple Ce dernier est en effet beaucoup moins m thodique organis et propre sur 191 mais 1 est aussi plus humain Ce premier pas en mati re de litt rature polici re est suivi quelques ann es plus tard en France dans les ann es 1860 avec un certain succ s par l auteur Emile Gaboriau qui est le premier adapter le r cit d nigme l criture romanesque en publiant dans un premier temps L Affaire Lerouge sous forme de feuilleton en 1863 puis ayant de plus en plus de succ s des romans tels Le Dossier 113 1867 Les Esclaves de Paris 1867 Le Crime d Orcival 1867 Monsieur
26. Nous nous gosillerons jusqu extinction de voix que personne ne viendrait notre rescousse puisque chacun n coute que son propre chant de sir ne Tu n as pas que des soucis m nagers dans la t te dis donc O t as appris causer comme a 6 En raccommodant tes chaussettes Dans ce passage l auteur en donnant la parole Mina d montre qu il est conscient qu une femme au foyer peut aussi avoir un avis sur la situation dans son pays et qu elle ne passe pas tout son temps penser au m nage Les passages o Llob critique la mentalit traditionaliste de ses concitoyens l gard des femmes ce qu il n avait pas vraiment fait auparavant sont galement plus nombreux pour autant il ne revient pas sur ses opinions sur la discr tion et la simplicit qui doivent pour lui rester des qualit s minemment f minines ainsi il d clare en commentant la tenue de Baya sa secr taire qui d barque dans son bureau elle a mis trop de carmin sur les l vres ce qui inflige sa bouche une configuration obsc ne et ses cheveux la veille noir corbeau sont teints en blond platine avant Baya tait jolie Elle s habillait simple et se voulait discr te A l poque les hommes avaient un faible pour les femmes discr tes La part du mort p 102 103 68 a faisait fille de bonne famille donc pr dispos e au statut de b te de somme ce qui constituait dans une soci t
27. Paris Karthala 1998 p 135 cit par E Maleski 1 Morituri p 14 15 112 Ainsi les forces de police menac es par les terroristes ignor es et rejet es par leurs concitoyens sont doublement mises l cart comme nous le d montrent les romans de Khadra Pour finir on peut signaler que les descriptions des personnages que l auteur r alise dans ces romans ne sont pas uniquement de simples caricatures elles sont partie int grante de la critique sociale que Llob entreprend dans ces romans et participent la production de cet effet comique qui rend supportable les horreurs quotidiennes 113 10 2 Rupture de style et m lange des genres Le m lange des styles et des tons constitue un autre type de proc d assez susceptible de d clencher le rire des lecteurs de Khadra tant les m langes que ce dernier ose sont parfois incongrus et improbables L auteur n a en effet peur de rien et l on peut dire qu il utilise parfois la langue fran aise d une mani re tr s inattendue et surtout tr s originale Loin de chercher imiter les grandes uvres de la litt rature mondiale Khadra construit son propre style dans ces polars comme le constatait avec enthousiasme la critique journalistique qui commentait les d buts du Commissaire Llob alias Yasmina Khadra Il devient inutile de chercher la gloire dans la confection de textes sot riques p dantesques Il vient d ouvrir une porte que peu ava
28. a construit avec Llob un personnage auquel il est facile de s identifier car il ressemble monsieur tout le monde il est mari p re de famille il n est pas particuli rement beau ou riche il affronte les m mes tracasseries quotidiennes que tous les Alg riens Bref il n est affubl d aucune des caract ristiques exag r es et grotesques qui faisait de ses pr d cesseurs des h ros ridicules et improbables dans leur perfection Le seul l ment qui semble distinguer le commissaire de ses compatriotes c est son travail qui l expose et le met en danger fr quemment Cela appara t particuli rement dans Morituri qui se d roule pendant les ann es 90 Il y est confront la violence quotidienne que vit le pays et dont il peut tre victime tout moment Face cette pression permanente Llob r agit comme tout tre humain il a peur et ne s en cache pas d ailleurs cette peur peut tre consid r e comme l un des crit res principaux qui assurent Llob sa vraisemblance Ainsi dans Morituri l auteur nous repr sente un personnage tourment et en proie une perp tuelle inqui tude pour lui et les siens tant commissaire de la police alg rienne et de surcro t crivain Llob figure en effet en t te des olympiades int gristes comme il le dit lui m me Ainsi son travail en fait donc une cible deux fois plus expos e mais le pire pour 7 Khadra Yasmina Le Dingue au bistouri Alger Edit
29. crivains Khadra Chouaki Lebkiri Laroui met en uvre une criture o le rire devient l essence du dire et de la pens e 14 Par cons quent nous nous int resserons dans cette partie l tude de cette esth tique du rire que Khadra met en place ses diff rentes manifestations ainsi qu ses effets Cependant avant d entamer cette derni re partie de notre travail nous tenons signaler que nous ne ferons pas de distinction entre certains termes tels l humour ou le comique car cela risquerait de nous loigner de notre sujet et n cessiterait une tude bien plus approfondie De plus la confusion des d finitions propos es rend cette t che encore plus ardue comme le signale Pierre Schoentjes propos de ces deux notions 145 i Lis i Chaouli F L ironie esth tique du rire sur fond tragique dans Morituri de Yasmina Khadra in Alg rie Litt rature Action P 47 58 102 Les angles d approche sont trop diversifi s et les conclusions des sp cialistes souvent incompatibles C est ainsi par exemple que certains voient dans l humour une cat gorie du comique alors que d autres rangent le 146 comique sous la rubrique de l humour Nous nous contenterons donc ici de pr senter quelques exemples pour illustrer notre propos sans nous attarder sur une d finition quelconque Nous rejoignons en cela lavis de J Stora Sandor qui pr conise une grande prudence l
30. d espionnage alg rien Dans sa th se R Belhadjoudja affirme que c est Abdelaziz Lamrani que l on doit le tout premier roman de ce genre intitul Pi ge Tel Aviv et qui aurait t crit en 1967 pour notre part nous nous rallierons la position de B Bechter et de Jean D jeux qui avancent 1980 comme date certaine de parution de ce roman leurs arguments tant plus convaincants 29 Cette apparition somme toute quelque peu tardive s explique notamment par le fait que le d veloppement de la litt rature polici re est intimement li celui de l urbanisation Il suffit pour s en convaincre d tudier l apparition du genre en Europe par exemple En effet comme le signalait B Bechter Les conditions les plus importantes du d veloppement du roman policier en Europe sont la naissance d une civilisation urbaine et les d buts de l industrialisation durant le XIXe si cle la ville se pr sente avec ses fa ades faussement rassurantes ses arri res cours et ses cachettes qui servent des refuges aux criminels avec ses rues longues et vastes o la foule bouge et vaque ses affaires et o le criminel peut facilement dispara tre cette m me ville dispose de ruelles troites et anguleuses dans lesquelles les personnes poursuivies peuvent dispara tre c est cet espace citadin peupl de milliers d ouvriers ayant fui les campagnes au profit de le ville et qui dans leur mis re sont pr
31. d initi s Les autres ignorant tout de Morituri p 31 87 leur pass manipul s par un syst me colonial qui en un si cle de pr sence avait r ussi faire croire aux Alg riens que leur m re patrie tait la France n envisageaient aucunement qu il puisse en tre autrement Pour Labras un harki c est Quelqu un qui manque de pot a fait le mauvais choix un moment o rien ne lui r ussissait Voila ce que c est un harki Le souffre douleur puis le bouc missaire de l Histoire c tait l chec tous azimuts la d route l ignorance l tat brut Hormis quelques lettr s et une poign e de citadins initi s le nationalisme relevait de l sot risme Qui tions nous l poque Des indig nes voila ce que nous tions de pauvres h res recouverts de hardes et de meurtrissures aux mains taillad es pas les taches ingrates et aux culottes si lourdement rapi c es qu on les tra naient comme des boulets de for at des spectres hagards dont les pouses allaient tous les vendredis allumer des cierges au marabout du coin pour assagir les sortil ges tandis que 5 Fes fi LE 129 leurs rejetons gueusaient perdre haleine l ombre des damnations Dans cet extrait le personnage admet que la situation des Alg riens l poque se r sumait une simple qu te de survie Vivant en grande majorit la campagne ils n avaient re u pour la plupart aucune forme d
32. demand quoi ressemblerait le pays si sur un coup de t te une fatwa ou un d cret pr sidentiel d cidait de mettre les caf s sous scell s Il fut un temps o l on rencontrait par ci par l des cinoches un 105 La part du mort P 24 1 Morituri p 105 107 Morituri p 29 13 th tre un attroupement autour d un charlatan ou d un saltimbanque ce n tait pas forcement la joie mais c tait bien On pouvait glaner une boutade un petit quart d heure de d tachement et le soir en regagnait le taudis on n avait pas l impression de rentrer bredouille Aujourd hui part le caf o l on se regarde en chiens de fa ence faute de se regarder en face c est partout le m me sentiment de nullit qui vous traque L auteur critique dans ce passage la politique culturelle du pays ou plut t son absence les jeunes qui d j sont victimes du ch mage et du d s uvrement ne disposent d aucune structures pour les distraire d ailleurs ceux que l cole jecte se contente de tra ner dans les rues sans but Ce sont comme on les nomme des hittistes ils se contentent d emp cher les murs de s crouler et d faut d tre encadr s ils finissent souvent par tomber dans la d linquance ainsi que le rel ve Lino C est l ennui qui pousse les hittistes faire tout ce qui leur passe par la t te y a rien pas de culture pas de boulot pas d inspirations
33. donc trouver d expression plus vraisemblable et plus adapt e que celle que lui offrait le roman noir De plus l auteur en prenant en charge des v nements historiques dissimul s par des ann es de manipulations parvient restituer d une certaine mani re une page de l Histoire du pays Cependant le r alisme de l uvre de Khadra remplit d autres fonctions 1l exprime entre autres une volont de l auteur de se d solidariser des mod les classiques du roman policier pour r affirmer en quelque sorte la vraisemblance de ses romans comme nous allons le voir dans ce dernier point 137 Dugas op cit p 135 94 IL 4 R f rences culturelles identit et effets de r el D autres crit res r affirment le r alisme des romans de Khadra ainsi que la volont de l auteur de se dissocier du roman policier traditionnel qui met en sc ne des h ros irr prochables et fait toujours triompher le bien du mal En effet chez Khadra les choses sont loin d tre aussi simples la vision du monde manich enne qui caract rise souvent les grandes uvres de la litt rature polici re est absente de ses polars comme c est souvent le cas dans les romans noirs toutefois le danger et la caract re impr visible des v nements est ici encore plus pr gnant Dans ces romans on voit souvent des flics corrompus l instar du patron ou de Bliss que l on a plus de chance de croiser chez les maires louches et dans
34. duit rendent les rapports humains plus intenses plus conflictuels plus violent Le roman policier et le roman noir traduisent une bonne partie des mutations en cours dans une soci t donn e X z za 31 une poque donn e 3 Stora Benjamin Histoire de l Alg rie depuis l ind pendance 1954 1962 Paris La d couverte coll Rep res 115 1994 24 25 cit par B Bechter p 35 7 Wadi Bouzar Noirs propos in R volution africaine 1225 21 ao t 1987 Cit par 8 Bechter p 35 31 Au vu de ces explications il nous appara t clairement que la naissance du genre policier et plus particuli rement du roman noir est largement tributaire de l volution et de la croissance de la ville qui cr e un climat favorable l apparition et la multiplication de certains probl mes qui seront d crits et d nonc s dans le roman policier et plus particuli rement dans le roman noir plus port sur la repr sentation des probl mes sociaux conomiques et politiques Dans ce contexte il semble compr hensible que le roman policier ne se soit d velopp qu apr s l ind pendance du pays ainsi comme le relevait R Belhadjoudja dans sa th se On comprend alors beaucoup mieux que le roman policier ait vu le jour vers les ann es 70 p riode d intense industrialisation et d urbanisation Cette phase de mutation du mode de vie puis du mode de pens e a largi notre imaginaire du cadre troit d un village la
35. e tous les tracas du quotidien affecte ses rapports avec son entourage sa famille et ses coll gues Llob devient de plus en plus bougon parfois m me agressif Au tracas qu il peut trouver dans son travail se rajoutent ceux du quotidien par exemple il ne peut m me pas prendre un bain pour se relaxer en rentrant chez lui car son quartier n est pas ravitaill en eau r guli rement L extrait suivant montre bien les incidences du stress dont il est victime sur son caract re et sur sa vie de famille Dans ce passage Llob rentre chez lui harass par une journ e de travail durant laquelle il assiste la mort d un enfant la suite d un attentat il ne supporte plus 75 Ibid 71 76 Ibid p 13 77 Ibid p 13 78 Ibid p 14 57 les ventuelles questions de sa famille Ses enfants n osent m me pas lui adresser la parole Mes gosses sont au salon Ils vitent de s asseoir table d engager la conversation avec moi 115 connaissent par c ur mes sautes d humeur et ils m en veulent de g cher leurs rares instants de r pit Ma fille est nerveuse d s que je d barque Il suffit que je me racle la gorge pour qu elle se recroqueville sur elle m me Il ne m est pire frustration que de voir mes gosses sursauter quand j essaie seulement de demander un verre d eau 79 Saloperie de guerre D ailleurs la guerre ne fait pas qu affecter les rapports entre les membres de la famille Elle finit par
36. fait cela t moigne d une sorte de tendance assez prononc e lorsqu il s agit de litt rature alg rienne et qui tend assigner celle ci une dimension fondamentale de t moignage sur la r alit sociale politique et conomique du pays Les uvres qui se d partissent de cette orientation ne sont pas par cons quent celles que l on retient 16 plus Cette quasi obligation de coller au r el de le prendre en charge par le 1815 de l criture va conditionner toute la production litt raire alg rienne ainsi que la production sur cette litt rature critique journalistique universitaire moins que ce ne soit le contraire En d autres termes il se pourrait que certains crivains n aient choisi des sujets engag s ou plut t en prise avec une certaine r alit alg rienne que pour se conformer aux attentes du lectorat et de la critique Pareillement la tendance des critiques rechercher presque syst matiquement l inscription du r el dans le texte r sulte peut tre d une propension des crivains eux m mes rester trop proches de ce r el dans leurs uvres et de n gliger les autres th matiques Mais que le besoin d exprimer le r el soit un choix totalement assum et voulu et par les crivains ou qu il soit au contraire d termin par une n cessit de r pondre aux attentes des lecteurs importe peu Le fait est que le r sultat demeure le m me le rapport de la litt rature alg
37. gangr ne prenait 16 pas sur celle du computer 189 180 La part du mort p 27 125 Ce passage l humour grin ant insiste sur la syst matisation de ce genre de pratiques puisque Allouche semble tre un des rares professeur en tre encore r volt comme le souligne son opposition au reste de ces coll gues Mais le plus alarmant c est que cette situation de crise ce d ni de la culture et du savoir touche aussi les valeurs humaines les plus l mentaires Ainsi tous les personnages int gres dans les romans de Khadra sont pr sent s comme des rat s Il semblerait que pour r ussir en Alg rie les qualit s morales ou m mes les dipl mes ne soient d aucune utilit Cette vision pessimiste s illustre avant tout avec le personnage de Llob Ce dernier r siste r guli rement aux diff rents cadeaux corrompus qu on lui propose tels les stages en Europe ou aux Etats Unis et confirme ainsi son incorruptibilit Mais cela ne rend pas son quotidien plus agr able car financi rement Llob parvient tout juste faire vivre sa famille Comme beaucoup d Alg riens 1 ne peut pas se permettre les d penses les plus ordinaires comme changer de voiture ou acheter un second poste de t l vision ni m me s habiller correctement En r alit la vision que Khadra nous propose est celle d une soci t o droiture rime avec mis re comme le confirme cette conversation entre les membres de la famille T
38. genre Nous verrons ensuite comment le roman policier a pu voluer pour enfin se subdiviser en plusieurs variantes que nous tenterons de d finir ici rapidement Ainsi apr s avoir voqu l mergence et l volution du roman policier dans les sph res qui l ont vu na tre savoir le Royaume Uni les Etats Unis et la France nous pourrons aborder son apparition en Alg rie Nous constaterons que celle ci fut relativement tardive et nous tenterons d en d gager les raisons ce qui nous am nera expliquer les liens que l apparition du roman policier en Alg rie entretient avec certains facteurs socio conomiques 12 Enfin pour clore ce premier chapitre nous reviendrons chronologiquement sur les premiers auteurs de romans policiers alg riens et nous voquerons rapidement les caract ristiques de ces premi res uvres Ce qui nous permettra ult rieurement de constater quel point les romans policiers de Khadra sont innovants par rapports ces crits Quant nos deux autres chapitres ils seront consacr s aux deux grands axes de notre tude la dimension d nonciatrice de l uvre et les effets de distanciation qui s y op rent Notre objectif sera de d montrer que ces deux aspects en apparence contradictoires sont en fait parfaitement compl mentaires dans les romans policiers de Khadra En effet si les romans de Khadra comme nous tenterons de le d montrer d crivent et d noncent une situat
39. l atmosph re extr mement tendue de l poque due entre autres la crise conomique qui constitue une des raisons qui donn rent lieu aux meutes de 88 Cependant le n ud de l intrigue est un v nement qui se d roulait des ann es auparavant l ex cution d un grand nombre de harkis au lendemain de l ind pendance en juillet ao t 1962 Cet v nement comme nous le verrons plus tard dans le chapitre suivant est surtout l pour d noncer la politique du pays et de ses dirigeants face certains pisodes de l Histoire L intrigue de ce roman porte sur la poursuite d un dangereux psychopathe qui aurait commis une s rie de meurtres horribles avant de se livrer et que la justice 48 alg rienne est sur le point de gracier Ce criminel surnomm SNP finira malgr les efforts de Llob par tre lib r Entre temps le co quipier de Llob Lino amoureux d une certaine Nedjma ma tresse du tout puissant Haj Thobane in puisable stock de pots de vin et de passe droit et personnage influent au Grand Alger se voit accus apr s que celle ci l a quitt de la tentative de meurtre perp tr contre ce personnage le motif de la jalousie tant tout indiqu Pour innocenter son co quipier Llob s embarquera dans une enqu te avec une certaine Soria Karadach une historienne qui pense que la tentative d assassinat perp tr contre Haj Thobane n est pas fortuite Pour elle ce dernier aurait beau
40. la soci t contemporaine Depuis l apparition du roman noir dans les ann es 1930 la puissance de la branche sociale du genre policier n a cess de s affirmer contribuant vraisemblablement la 2 R Woga 19 long vit du genre et son inscription dans la modernit Enfin la derni re variante du roman policier que nous pourrions citer est le roman suspense qui s inspire aussi bien du roman policier classique que du roman noir et que l on doit essentiellement aux crivains et essayistes Pierre Boileau et Thomas Narcejac qui seront suivis par des auteurs tels Louis C Thomas Hubert Monteilhet Ren R ouven ou encore S bastien Japrisot Ainsi comme nous avons eu l occasion de le constater le roman policier compte trois formes principales le roman policier classique le roman noir et enfin le roman suspense mais outre les diff rences entres les personnages les lieux ou les v nements d crits dans ces romans un autre param tre peut nous permettre de distinguer d une mani re plus fiable ces multiples variants du roman policier Ce param tre est expliqu par T Todorov son article intitul typologie du roman policier En effet dans cet article Todorov d montre que le roman policier classique ou roman nigme se caract rise surtout par la pr sence simultan e de deux histoires dans le r cit on peut effectivement relever comme le faisait T Todorov
41. le h ros est un officier de police sympathique Ainsi que le d montre cette analyse l une des raisons principales qui a facilit l adh sion de ces jeunes la cause des islamistes c est qu ils ont t tout comme eux victimes de la violente r pression des forces de l ordre per ues apr s 1988 comme les sbires de l tat C est pr cis ment ce d nominateur commun qui les engagera dans la lutte terroriste con ue pour eux comme un bon moyen de se venger de leurs bourreaux d hier Tous ces v nements aboutissent la marginalisation graduelle mais perceptible des agents de police en particulier comme en t moigne l amertume de Llob l gard du comportement de ses concitoyens J tais le bon flic du quartier constamment disponible et d sint ress et mon gourbi d faut de faire figure de confessionnal accueillait sans distinction de m urs ou de race d interminables cohortes de marginaux Je n tais pas le proph te cependant me semblait il je disposais d un contingent d ouailles de quoi ravitailler dix r volutions Puis on s est mis canarder mes coll gues et mon univers s est subitement d peupl Dans la rue on fait comme si on ne me connaissait pas tre proche d un poulet c est s exposer bougrement Surtout quand a mitraille tous azimuts 161 L Martinez La Guerre civile en Alg rie C E R I Centre d tudes et de recherches internationales
42. le voir au 13 rue des pyramides j tais deux doigts de me noyer dans mon verre lorsque sa voix 8 retenti au bout du fil sauf votre respect quelque chose s est refroidi dans 166 mon cale on L incongruit du d calage entre les deux passages et le franc parler du commissaire dans le second ne peuvent que faire sourire le lecteur m me s il 165 5 52 166 Khadra Yasmina Morituri p 115 n oublie pas vraiment la piti que lui inspire le pauvre humoriste car 1 sait bien que celui ci peut tre consid r comme un repr sentant de tant d autres artistes alg riens qui existent r ellement et que cette situation n est pas si fictive N anmoins gr ce l humour et au cynisme du commissaire le lecteur parvient sans difficult se replonger avec lui dans la suite de ses aventures Un autre passage constitue un bon exemple des m langes que Khadra ose bien souvent Ici on retrouve Llob qui se lance dans une longue tirade m lancolique en employant un langage des plus soign s Plus rien ne sera comme avant Les chansons qui m emballaient ne m atteindront plus La brise musardant dans les chancrures de la nuit ne bercera plus mes r veries Rien n gaiera l clairci de mes rares instants d oubli car jamais plus je ne serai un homme heureux apr s ce que j ai vu Et quelques lignes plus loin appel par le patron le ton change enti rement Avec la d licatesse d un l
43. les an antir en quelque sorte puisque la famille de Llob comme tant d autres familles alg riennes devra d m nager Le commissaire ayant re u des menaces se voit oblig de se s parer des siens en les envoyant dans une autre ville pour les prot ger Ainsi la famille de Llob est d compos e le fils a n a d j quitt la famille pour chercher du travail et Mina et ses deux autres enfants sont confi s aux soins de proches parents B ja a Cette famille ignore encore qu elle ne se r unira plus jamais au grand complet Llob finira par tre assassin l issue du roman L automne des chim res Ainsi il laissera seuls femme et enfants Cet v nement illustre encore une fois l ancrage dans la r alit des romans de Khadra qui met en sc ne la mort de son h ros principal ce qui du reste demeure un fait tr s rare dans 18 litt rature polici re mondiale Mais totalement r aliste vu le contexte du roman En effet mettre en sc ne un h ros invuln rable n aurait pas t cr dible dans l Alg rie sanglante des ann es 90 d autant que personne n ignore que les policiers et les agents de s curit figuraient parmi les principales victimes de cette guerre Toutefois 1l serait important de signaler que la mort de Llob n est pas uniquement due son statut de commissaire en fait l assassinat de Llob dans L automne des chim res repr sente surtout la mort de l crivain comme nous 16 verrons dans notre d
44. percutant des personnages secondaires marquants beaut s fatales gangsters redoutables entre autres et une volont d inscrire le genre dans un registre nouveau l humour noir nonchalant grin ant L humour est ici essentiellement le fait du personnage central le Priv Ainsi le roman policier tel qu il est con u par Dashiell Hammett se distingue de son pr d cesseur par son r alisme r sultant essentiellement de l introduction de types de personnages de lieux et m mes de situations totalement diff rents de ceux qui taient d crits jusque l En effet le roman policier classique notamment le roman anglo saxon avait habitu ses lecteurs des lieux plus feutr s et plus l gants alors que le roman policier tel qu il est con u par D Hammett nous entra ne dans la rue et nous confronte la vie r elle et ses probl mes loin du confort des salons anglais SE Maleski op Cit p 38 14 Thid 40 22 ce propos Raymond Chandler deuxi me p re du roman noir d clarait tr s justement en voquant l uvre de Hammett il a sorti le crime de son vase NT 2 5 15 v nitien et l a flanqu dans le ruisseau mais l apport de son uvre est bien plus important en effet comme le relevait Francis Lacassin La contribution de Hammett va bien au del d un renouvellement de la th matique du personnel et du d cor par le biais d une optique r aliste M rite pl
45. que l on put observer notamment partir des ann es 50 C est effectivement cette p riode que l on assista la publication d uvres ouvertement engag es qui avaient pour but avou la critique et la d nonciation du colonialisme comme le rappelle ici Charles Bonn N oublions pas que cette litt rature la litt rature alg rienne de langue fran aise fut d abord une arme une r ponse un discours d id es n gateur y r 2 tenu par la colonisation Les crits de cette p riode ont si bien marqu les esprits qu encore aujourd hui ils demeurent parmi ceux que la m moire collective retient le plus souvent d ailleurs au d triment 1 uvres tout fait remarquables 1 A ce sujet on peut lire les propos suivants se trouve exacerb chez l crivain maghr bin de langue fran aise le probl me de l identit la fois parce qu il est colonis ou ex colonis et parce qu il est un crivain c est dire un homme de doute et de tension Madelain Jacques L errance et l itin raire lecture du roman maghr bin de langue fran aise Paris Sindbad 1983 p 153 E Bonn Charles La litt rature alg rienne de langue fran aise et ses lectures Qu bec Naaman 1974 p 16 Le cas de Mohammed Dib qui n a jamais cess de produire mais qui n est connu aupr s du grand public que comme l auteur de La grande maison ou de L incendie est suffisamment loquent cet gard En
46. r e comme un des personnages de la s rie tant l auteur y est attach et tant les descriptions de celle ci abondent L image que l auteur nous donne Alger se caract rise avant tout par sa dualit Il y a l Alger des privil gi s qui vivent loin de la mis re du terrorisme et de la d linquance dans de somptueuses villas Et l Alger que Llob conna t celle des HLM de la surpopulation et de la pauvret celle dans laquelle il vit comme la grande majorit de ses compatriotes La premi re lui semble irr elle car elle ne repr sente pas l Alg rie et 165 escapades qu il y fait parfois 191 laissent toujours 71 un go t amer comme lorsqu il se rend Hydra le quartier le plus chic d Alger qui est d crit ainsi Villas cossues qui d gagent un sentiment d extr me b atitude Ici les gens ne baisent pas ils se font plaisir Ils sont ce que la bourgeoisie alg roise 8 r ussi f ze 102 de mieux l ombre du mimosa et des impunit s Ce quartier qui ne conna t ni les pannes de courant ni les coupures d eau qui font le quotidien des Alg riens semble encore plus outrageant dans sa tranquillit quasi immuable dans Morituri Pendant que le pays souffre et subit des attentats quotidiens Hydra et ses habitants continuent de vivre l cart du malheur comme le souligne Llob Hydra rappelle une cit interdite Jamais barbe d int griste n a effleur ses mimosas jamais
47. recours l humour s av re d ailleurs n cessaire pour faire passer le r alisme du t moignage Pour d montrer comment s exprime cet effet de r el galement synonyme de critique sociale politique et conomique dans l uvre de Khadra et pour prouver que le genre policier peut d passer la dimension de simple litt rature de consommation qu on lui assigne g n ralement et se r v ler ici parfaitement adapt au t moignage et la prise en charge du r el nous avons effectu une analyse des proc d s que l auteur utilise pour ancrer son uvre dans la r alit Dans un premier temps nous avons tudi la repr sentation des personnages principaux dans les uvres de notre corpus ce qui nous a permis de conclure que ces dernier sont repr sentatifs de la r alit de la situation des populations en Alg rie en ce qu ils partagent les probl mes quotidiens que la majorit des Alg rien connaissent En outre ces personnages et c est l un des aspect les plus int ressants de leur construction voluent au fil de la s rie 115 ne restent pas pareils eux m mes Leur personnalit ainsi que leurs aspirations se modifient au gr des ann es pour 132 imiter les changements que pourrait subir tout tre humain confront une r alit aussi tragique Dans un second temps nous nous sommes int ress e aux lieux que Khadra d crit dans son uvre En fait il s agit principalement de la vill
48. remet en cause le pouvoir alg rien et ses d cideurs ce qui ne l emp che pour autant pas de restituer aux Alg riens leur part de responsabilit dans la d rive du pays Quant notre dernier chapitre nous l avons consacr l tude de cet effet de distanciation que nous voquions pr c demment et qui s exprime particuli rement par le biais de l humour et de l Ironie que Khadra utilise avec habilet 133 Cette caract ristique fondamentale des polars de Khadra rev t une importance cruciale car elle s av re tr s utile la fois pour captiver les lecteurs et pour d noncer une situation tragique sans choquer ces derniers Cette fonction particuli re que peut remplir l humour est ainsi soulign e par Charles Bonn qui voque la litt rature alg rienne des ann es 90 L humour f roce et d pouill la fois est plus efficace tant pour la critique politique que pour l int r t du lecteur qui d couvre en ces temps de r el oppressant que la distance litt raire est souvent bien utile pour faire passer tre 186 le t moignage Pour illustrer l utilit et les r les de l humour au sein des romans policier de Khadra nous avons effectu pour commencer une analyse des personnages travers l onomastique et les descriptions de ceux ci ce qui nous a permis de d voiler la capacit de l auteur brosser des portraits o se m lent d rision humour et ironie Ces descriptio
49. rienne ou peut tre est ce les deux la fois Il aurait t int ressant sans vouloir retomber dans l ternel d bat sur la condition f minine dans les pays du Maghreb d avoir l avis de l auteur Une chose est s re le changement par rapport aux pr c dents romans de la s rie est difiant d ailleurs d s les premi res pages de ce roman l auteur ou plut t le narrateur Llob annonce la couleur en d clarant son arriv e chez une amie qui s tonne de sa visite tu t es tromp de chemin 95 Mes lecteurs trouvent qu il n y a pas assez de femmes dans mes textes Ce passage o l auteur semble s adresser son lecteur plac au d but du roman permet en quelque sorte Khadra de faire son mea culpa en admettant que ses ouvrages pr c dents mettaient en sc ne peu de personnages f minins du moins selon ses lecteurs tout en rappelant que c est Llob qui crit et que c est donc principalement sa vision des choses que l on est cens retrouver 1 1 Llob Khadra annonce toutefois sa volont de faire voluer son criture d montrant ainsi qu il prend en consid ration les remarques de son lectorat La part du mort se distingue donc consid rablement des pr c dents romans de la s rie non seulement le nombre des personnages f minins est plus important de plus ils ou plut t elles tiennent une place importante dans le d roulement de l intrigue Quant aux personnages d j pr
50. ruelles hideuses pas un empan d espace vert pas un difice 113 raisonnable Cette description repr sente assez bien un certain nombre villages alg riens construits sans faire appel de v ritables professionnels pour viter des d penses MT Morituri p 17 112 Le dingue au bistouri p 50 13 La part du mort P 228 75 inutiles et qui se caract risent souvent par leur d sordre flagrant le manque total d harmonie entre les diff rentes b tisses et surtout le manque d infrastructures consacr es aux jeunes Dans ce type de bourgade c est v ritablement le dernier souci de responsables qui profitent justement de cet isolement pour se remplir les poches tranquillement Cependant 1 est vrai que le manque d harmonie et de coordination dans les constructions n est pas perceptible uniquement dans les petits villages recul s les grandes villes alg riennes ne sont pas pargn es Ainsi on peut voir cohabiter dans la m me ville de grands et massifs ensembles de logement sociaux souvent peu esth tiques de vastes lotissement de villas aux formes aux styles et aux dimensions aussi diff rentes et aussi voyantes que possible Et enfin plus l cart les tendues de bidonvilles o logent dans la plupart des cas des familles fuyant les zones les plus recul es pour chapper la menace int griste C est justement cette configuration particuli re que les romans de Khadra donnent souvent
51. sait qu il s agit ici d ironie On ne peut raisonnablement pas penser que l Alg rie de la fin des ann es 80 offrait ses citoyens une vie de ch teau L ironie est ici d celable dans la contradiction qui s observe entre les faits pr sent s et les jugements auxquels ils conduisent Au del du d calage entre la r alit et la repr sentation qui en est faite on peut lire galement une critique plus explicite de l attitude du peuple alg rien et de ses d cideurs leur paresse tout d abord et leur d tachement ensuite Rien en effet ne semble pouvoir d ranger les petites habitudes des uns et des autres tout le monde vit dans l attente de ce qui peut arriver demain sans essayer de l anticiper Le mot d ordre tant la paresse Ce type de critique est assez fr quent dans l uvre de Khadra l auteur reproche ses concitoyens leur manque de civisme leur d tachement et leur indiff rence l gard de leur patrie et aussi leur l chet Le narrateur et porte parole de ces critiques Llob est d autant plus choqu par ces comportements qu il en est lui m me devenu victime Le commissaire est en effet devenu du jour au lendemain un paria Lorsque le terrorisme s est propag dans le pays tout ceux qui lui t moignaient respect et reconnaissance pour ses multiples petits services se sont mis l ignorer Les Alg riens ont selon Llob une facult d oubli surprenante comme en
52. tard par Morituri 1997 Double blanc 1997 L automne des chim res 1998 et enfin La part du mort en 2004 ces quatre romans ont t publi s dans le cadre de ce que l on Luz 4 44 Khadra le syndrome de Conan Doyle contraint 6 ressusciter son h ros ne 1 64 semble pas si loin Yasmina Khadra cr e donc avec le commissaire Llob un personnage de flic qui deviendra l un des plus c l bres de la litt rature alg rienne Les aventures de ce dernier auront pour cadre les ann es 90 l exception du Dingue au bistouri La Joire des enfoir s et plus tard La part du mort les v nements d crits dans ces romans se d roulent avant 1988 L auteur donne voir partir de Morituri une repr sentation de la situation en Alg rie et pr sente galement une bauche d explication la guerre qui la ravage apr s octobre 88 Cette date peut d ailleurs tre consid r e comme le point de d part de l horreur que conna tra le pays durant la d cennie suivante Le lien entre les uvres de Khadra et l actualit du pays est si essentiel qu il nous semble n cessaire d entamer cette partie avec un rappel des bouleversements qui ont conduit l Alg rie cette guerre qui a perdur pendant plus d une dizaine d ann es et qui a laiss de terribles s quelles Pendant les ann es 80 l Alg rie est d j en proie des probl mes socio conomiques consid rables le pays compte gal
53. telle qu on la d finit aujourd hui pr sentent l int r t nouveau pour l poque de s inscrire dans la logique du r cit d nigme prenant pour point de d part l exposition d une nigme elles s ach vent finalement sur sa r solution la suite d un processus intellectuel proc dant par observation raisonnement puis d duction Le Double Assassinat de la rue Morgue signe en ce sens bien des gards les futures 8 Cfles nombreux articles logieux parus dans la presse nationale et internationale Pour la premi re fois Voil donc un polar la hauteur La pudibonderie et la respectabilit hypocrite y volent en clats D jeux jean La litt rature maghr bine d expression fran aise Paris Presses Universitaires de France 1992 p 90 18 pistes qui seront exploit es quelques d cennies plus tard par le genre 9 policier Dans cet extrait Maleski ne manque pas de signaler que ces nouvelles ne correspondent pas v ritablement ce qui deviendra plus tard le roman policier classique mais qu elles pr sentent la particularit de contenir une nigme pr sent e au d but du r cit qui se terminera bien videmment par la r solution de cette derni re apr s observation r flexion et d duction tapes indispensables de toute enqu te Or ces tapes composeront des constantes dans ce genre encore na tre qu est le roman policier Cependant l l ment essentiel qui constituer
54. traditionnellement esclavagiste un investissement probant Puis les mentalit s ont chang s de cap Baya rabat le bas de sa jupe sur son genou Mais l chancrure est si importante que A 97 m me une taupe d c lerait les motifs de son slip Llob d nonce ici le fait que les femmes soient traditionnellement rel gu es un rang inf rieur et qu on n exige d elles que l ob issance la plus totale aux d sirs des hommes Il prouve ainsi qu il a un certain recul par rapport ces mentalit s Mais en d crivant Baya et en caricaturant l apparence de cette derni re 11 d nonce galement l attitude de certaines femmes qui tant pr tes tout pour se faire remarquer ou pour trouver un mari tombent dans la vulgarit et n attirent finalement que des personnages douteux aupr s d elles Cependant 1 est ind niable que le personnage f minin le plus fort de toute la s rie se retrouve bien dans ce dernier roman qui marque d finitivement la volont de Khadra de repr senter la soci t alg rienne d une mani re encore plus r aliste et plus compl te en mettant en sc ne dor navant des personnages f minins moins st r otyp s que ceux qu on voyait habituellement La parfaite femme au foyer ou la secr taire un peu idiote Khadra invente enfin 1 1 un personnage f minin assez fort pour donner la r plique Llob et v hiculer une image de femme intelligente ind pendante et active
55. vaste et myst rieuse tendue de la ville m re ill gitime du polar Paradoxalement les premiers romans publi s en Alg rie n ont pas pour cadre de leurs actions des villes alg riennes ce qui selon B Burtscher ne remet pas en question l influence des facteurs pr c demment cit s l urbanisation lindustrialisation et les changements que ceux ci provoquent car ils constituent au moins implicitement une condition importante pour le d veloppement du genre en Alg rie En r alit le transfert du lieu de l action vers des pays trangers s explique vraisemblablement par le fait que ces romans n appartiennent pas v ritablement aux genres du roman policier nigme au roman noir ou au roman suspense les trois formes classiques du roman policier mais plut t une des variantes du roman noir le roman d espionnage Ce chargement du lieu de l action peut galement s expliquer par le fait que ces romans visaient plut t v hiculer l id ologie dominante et les id es politiques du gouvernement alg rien Le 7 Belhadjoudja R da Traitement de la notion de suspense dans le roman policier alg rien ou la naissance du polar en Alg rie 1993 p 16 33 Bechter p 40 Ibid p 40 32 pays tant en pleine phase de construction 1 fallait en donner une image forte et saine hors de question donc d en faire le lieu d un crime quel qu il soit quand bien m me la configuration des
56. ve Marc Riglet Sous couvert d aventures exposaient des th mes les plus oppos s aux choix alg riens de politique trang re et distillait un racisme anti arabe sans fard L exemple le plus flagrant de cette criture raciste et n anmoins tr s en vogue l poque est bien sur la s rie de S A S de G rard de Villiers Cet auteur comme le d montre Robert Escallier dans son tude fait r f rence dans bon nombre de ces uvres au monde arabe Pour l auteur de S A S les soci t s arabes ne sont que l agr gat d individus indiff renci s st r otyp s physiquement et psychologiquement dont il d crit les caract res les m mes que ceux qu appliquait la propagande l gard du juif Les termes employ s injurieux et virulents avilissants et ignobles vis vis de l arabe appartiennent au vocabulaire des partis racistes et x nophobes d extr me droite au langage refoul et d foul du caf de commerce Les poncifs cul s les plus racistes sont repris et tal s 21 40 v hiculant une pens e sommaire Ainsi pour mettre un frein l extr me popularit du genre aupr s du lectorat alg rien et r pondre aux clich s et aux st r otypes v hicul s par cette litt rature il fallait cr er un h ros la fois aussi fort que ses cong n res trangers mais qui se distingue de ces derniers par une attitude tout fait diff rente l gard de certaines faiblesses
57. 10 octobre les islamistes manifestent Bab el Oued et se heurtent la r pression violente de l arm e qui fait une trentaine de morts et des centaines de bless s Cet v nement en particulier fera des islamistes des martyrs victimes de l oppression de l arm e et plus g n ralement du pouvoir alg rien et leur offrira une l gitimit inesp r e comme le souligne Wadi Bouzar Ils vont disposer apr s octobre 1988 d atouts uniques En effet ils s imposent la faveur d un v nement dont ils n ont pas pris l initiative octobre 1988 mais o il est vrai ils laissent des victimes Le pouvoir leur donne des martyrs De plus se substituant aux carences de l Etat les i 66 islamistes s efforcent de prendre en charge la question sociale Les r percussions d octobre 88 seront assez importantes puisque cet v nement occasionnera de profondes r formes ou du moins en acc l rera l apparition En effet le 3 novembre 1988 le peuple approuve massivement la modification de la constitution lors d un r f rendum qui est ratifi le 23 f vrier 1989 L opposition politique jusque l ill gale est enfin autoris e On assiste la cr ation de nouveaux partis politiques et la l galisation des partis qui travaillaient auparavant dans la clandestinit 44 partis politiques apparaissent donc entre 1989 et 1990 En outre on autorise la cr ation d associations caract re politique 65 7
58. 14 119 p 14 26 Une autre caract ristique du roman noir moderne est qu il s est construit autour du milieu des personnages et des m urs particuli res qu il repr sente autrement dit sa caract ristique constitutive est th matique Todorov reprenait d ailleurs dans son article Marcel Duhamel qui d crivait ainsi le roman noir en 1954 on y trouve de la violence sous toutes ses formes et plus particuli rement les plus honnies du tabassage au massacre L immoralit y est chez elle tout autant que les beaux sentiments Il y a aussi de lamour pr f rablement bestial de la passion d sordonn e de la haine sans merci Ainsi la violence la tension le crime plus ou moins sordide en bref tout ce qui est sombre tout ce qui est choquant aussi constitue l atmosph re du roman noir Nous pourrions toutefois signaler enfin que la suppression de la premi re histoire n est pas tout fait obligatoire en effet les premiers auteurs de la s rie noire en France tels R Chandler ou D Hammett ont gard le myst re mais en prenant soin de ne pas lui assigner la fonction primordiale qui tait la sienne dans le roman nigme La derni re variation du roman policier est bien s r le roman suspense qui se situe entre les deux genres que nous avons cit s et qui combine leurs propri t s puisqu il garde le myst re et les deux histoires pass pr sen
59. B Bechter Dans l volution du roman policier alg rien Djamel Dib doit tre consid r comme l auteur le plus important et le plus int ressant depuis Youcef Khader pendant la m me p riode on assiste galement la publication des romans de Salim A ssa Mimouna 1987 Adel s emm le 1988 Les romans de ces deux auteurs se distingueront par leur approche d finitivement plus sociale en ce sens que 5 A ssa et D Dib laissent transpara tre l influence que le quotidien et les transformations que la soci t alg rienne continue de subir exercent sur l laboration et m me sur la parution et la publication de ces uvres comme le souligne Hadj Miliani A partir du milieu des ann es 80 l ouverture vers l conomie de march les derni res d sillusions du socialisme sp cifique la volont de r pondre une demande diversifi e du lectorat la d couverte galement d univers sociaux jusqu ici pieusement tus et que la presse embl matise hittiste tchi tchi bouhi lunivers interlope des boites de nuit et leur cort ge de fl aux sociaux vont constituer le cadre socio conomique pour l mergence du livre policier Mimouna et Adel s emm le de Salim Aissa racontent tr s bien 8 Bechter Burtscher Entre affirmation et critique Le d veloppement du roman policier alg rien d expression fran aise op cit p 91 Ces diff rents romans ont t publi s Alger
60. B Dejean de la B tie semblent en effet le confirmer Dejean de la B tie d clare l issue de son tude sur la repr sentation du f minin et du masculin dans l uvre de Khadra que L analyse de ces repr sentations trahit leur auteur Certes elles voquent un point de vue f minin sans complaisance envers les hommes et leur androcentrisme mettant en doute leurs d monstrations de virilit d non ant la soumission des femmes Mais elles refl tent n anmoins une prise de position masculine r sistance au changement et au r tablissement de la justice entre les sexes L auteur r it re les st r otypes sur les r les et les comportements des hommes et des femmes soit pour les bl mer soit pour les approuver Mais il laisse finalement leur perp tuation l emporter sur leur remise en question Cette br ve analyse que nous venons d effectuer ne concerne en r alit que les romans de la s rie ayant t publi s avant 2004 C est dire tous l exception de La part du mort en effet soit que l auteur ait pris connaissance des critiques qui lui ont t adress es et ait voulu y rem dier soit ce dernier roman exprime sa Ki Dejean de la B tie Bernadette Les Romans policiers de Driss Chra bi Repr sentations du f minin et du masculin Paris l Harmattan 2002 p 111 Ibid p 111 112 66 v ritable perception des r les f minins ou de ce qu ils devrait tre dans la soci t Alg
61. Banderilles et muleta la SNED Mimouna chez Laphomic et les autres rel vent de PENAL 42 ce climat de d liquescence douce et d arrivisme clinquant qui annonce le grand chambardement d octobre 88 Ainsi ces deux auteurs apporteront vers la fin des ann es 80 un changement non n gligeable au niveau des th matiques abord es Cette volution sera d ailleurs reconduite par les uvres de l auteur auquel nous consacrons ce travail En effet Yasmina Khadra comme nous allons le constater s orientera comme ses deux pr d cesseurs vers le roman noir en abordant avec beaucoup de succ s la probl matique sociale l H Miliani Le Roman policier alg rien in C Bonn F Boualit dir Paysages litt raires alg riens des ann es 90 t moigner d une trag die 2 Paris Montr al l Harmattan 1999 p 105 117 107 43 I 2 3 les romans policiers des ann es 1990 Le cas Yasmina Khadra L volution du genre en Alg rie conna tra enfin un tournant important avec la publication de la premi re uvre du Commissaire Llob alias Yasmina Khadra Le dingue au bistouri Ce premier roman recevra un accueil des plus favorables compte tenu de son originalit et surtout de son style percutant ainsi que le rel ve Jean D jeux Enfin en 1990 Commissaire Llob publie Le dingue au bistouri o le lecteur est vraiment pris d un bout l autre Enfin on sort des conventions et des pr cautions critiqu
62. DANS LES POLARS DE YASMINA KHADRA S nee E as 99 11 1 Descriptions des personnages et onomastique 102 IMI 2 Rupture de style et m lange des genres 111 II 3 Repr sentation de la mort et critique sociale dans l uvre de Khadra 116 CONCLUSION man nue nee Ra 128 BIBLIOGRAPHIE nn rene 134 INTRODUCTION Introduction La litt rature alg rienne d expression fran aise s est v ritablement d velopp e durant le XX si cle Cet essor est incontestablement une cons quence de l implantation du fran ais en Alg rie cons cutive la colonisation du pays Ainsi l apprentissage de la langue fran aise en Alg rie ne fut donc pas le fruit d un choix mais plut t le r sultat impos d un traumatisme important celui de la colonisation Cela 8 sans nul doute conditionn le rapport assez ambigu et parfois m me douloureux que certains crivains ont entretenu avec cette langue N anmoins le fait que ces derniers aient choisit la langue du colonisateur pour s exprimer et surtout pour crire ne signifie pas du moins pour une grande majorit de ces crivains un rejet de leur identit alg rienne bien que ce th me de la qu te identitaire ait longtemps occup crivains et critiques ni m me une quelconque forme d adh sion la cause colonialiste En effet ce fut m me le contraire
63. Dingue au bistouri La part du mort la fin n est jamais tout fait propre Ainsi si le lecteur du Dingue au bistouri a la satisfaction de voir la fin du roman le coupable neutralis cela ne l emp che pas d avoir un sentiment d injustice En effet les crimes du dingue ne sont que le r sultat des crimes de la soci t elle m me En r alit si cet homme n avait pas perdu sa femme et son nouveau n cause de la n gligence du personnel hospitalier il n aurait sans doute jamais bascul dans sa folie meurtri re et cherch venger leur mort Il est donc lui m me une victime du syst me Ainsi le roman bien que se concluant d une fa on assez classique par l immobilisation du coupable laisse un go t amer au lecteur qui ne peut qu adh rer au constat final de l auteur qui d clare en cl turant son roman Apr s tout qu est ce qu un criminel sinon le crime parfait toujours impuni re a 140 de la soci t elle m me Il en va de m me pour les autres romans de la s rie Dans Morituri par exemple si Llob parvient arr ter l un des hauts responsables alg riens impliqu s dans la mafia politico financi re qui gangr ne le pays et cause la mort de centaines de victimes ce n est que parce qu on veut bien le laisser y parvenir Constatant qu il s est laiss manipuler Llob comprend enfin qui est le v ritable cerveau de cette supercherie et le commanditaire de nombreux assassin
64. Lecoq 1869 La Corde au cou 1873 L volution du genre et sa popularit ne cesseront de cro tre pour atteindre leur apog e avec la publication de l uvre d Arthur Conan Doyle Une Etude en rouge en 1887 Ce roman donne en effet naissance un personnage qui marquera pour longtemps la litt rature polici re et l imaginaire collectif l enqu teur Sherlock Holmes Apr s le triomphe de ce personnage la litt rature polici re conna t dans les ann es 1920 au Royaume Uni une importante progression Le roman policier prend le pas sur les publications traditionnelles sous formes de feuilleton c est l ge d or du roman d nigme ou du roman policier classique 136 nombreux auteurs s illustrent dans cette p riode parmi eux la c l bre Agatha Christie notamment avec son non moins c l bre d tective Hercule Poirot 10 Thid 31 20 En France le succ s des uvres de Gaston Leroux et plus particuli rement de son c l bre roman le Myst re de la chambre jaune 1907 et la popularit d Ars ne Lupin personnage cr e par Maurice Leblanc en 1905 ne suscitent pas un int r t aussi important En effet ce n est qu partir de 1927 ann e o est cr e la collection Masque qui se sp cialisera dans la traduction de romans d nigme anglo am ricain que le public s int ressera v ritablement au genre Cependant alors que le roman policier commence peine conqu rir en France
65. MINIST RE DE L ENSEIGNEMENT SUP RIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE UNIVERSIT D ALGER FACULT DES LETTRES ET DES LANGUES INSTITUT DES LANGUES TRANG RES D PARTEMENT DE FRAN AIS LES EFFETS DE D NONCIATION ET DE DISTANCIATION DANS LES POLARS DE YASMINA KHADRA CORPUS D TUDE MORITURI LA PART DU MORT M MOIRE DE MAGISTER PR SENT PAR MOULOUDJ Rim SOUS LA DIRECTION DE MADAME BEKKAT Amina MAITRE DE CONF RENCE L UNIVERSIT DE BLIDA DISCIPLINE LITT RATURE ALGER 2005 2006 MINIST RE DE L ENSEIGNEMENT SUP RIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE UNIVERSIT D ALGER FACULT DES LETTRES ET DES LANGUES INSTITUT DES LANGUES TRANG RES D PARTEMENT DE FRAN AIS LES EFFETS DE D NONCIATION ET DE DISTANCIATION DANS LES POLARS DE YASMINA KHADRA CORPUS D TUDE MORITURI LA PART DU MORT M MOIRE DE MAGISTER PR SENT PAR MOULOUDJ Rim SOUS LA DIRECTION DE MADAME BEKKAT Amina MAITRE DE CONF RENCE L UNIVERSIT DE BLIDA DISCIPLINE LITT RATURE MEMBRES DU JURY Pr sident Rapporteur Examinateur ALGER 2005 2006 4 mon p re REMERCIEMENTS Je remercie madame Amina BEKKAT pour l attention qu elle a bien voulu accorder cette tude pour ses pr cieux conseils et pour la disponibilit et l exigence stimulante dont elle 8 fait preuve tout au long de l laboration de ce travail Je tiens exprimer ma gratitud
66. NARCEJAC Thomas Le Roman policier Paris Presses Universitaires de France Collection Que sais je 1975 CHASTAING Maxime Le Roman policier classique in Europe n 571 572 novembre d cembre 1976 p 26 50 DUBOIS Jacques Le Roman policier ou la modernit Paris Nathan 1992 FONDANECHE Daniel Le Roman policier Paris Ellipses 2000 FREEDMAN Eric 1 6 commissaire d missionne Entretient avec Estelle Monbrun in Europe n 872 avril 2002 p 180 182 TODOROV Tzvetan Typologie du roman policier In Po tique de la prose Paris Seuil 1971 p 09 19 VERDAGUER pierre repr sentants de la loi dans le roman policier fran ais in Europe n 872 avril 2002 p 169 179 V Ouvrages g n raux sur La litt rature maghr bine BECHTER Burtscher et 8 MERTZ BAUMGERTNER dir Subversion du r el strat gies esth tiques dans la litt rature alg rienne contemporaine Etudes litt raires maghr bines n 16 Paris l Harmattan 2001 139 BONN Charles La litt rature alg rienne de langue fran aise et ses lectures Qu bec Naaman 1974 p 16 BONN Charles BOUALIT Farida Paysages litt raires maghr bins des ann es 90 t moigner d une trag die Paris Montr al l Harmattan 1999 BONN Charles Le Roman alg rien au tournant du si cle d une dynamique de groupe mergent une diss mination postmoderne in B Bechter Burtscher et B Mertz Baum
67. Paris Editions Julliard 2004 p 343 60 une cible encore plus vidente que le reste de ses concitoyens 1 n a donc plus qu un seul choix se battre Lino a divorc d avec ses exc s d exaltation La richesse des autres il sait ce que c est Lino est un homme aguerri maintenant Aigri mais aguerri Il en r 2 83 a mis du temps pour comprendre mais il y est arriv Quant aux autres coll gues de Llob ils repr sentent chacun un mod le diff rent de flic et d alg rien Le patron par exemple est l pour rappeler la corruption et le n potisme qui r gnent souvent en Alg rie lorsqu il s agit de d crocher un poste important Ainsi Llob en voquant la r ussite de ce dernier d clare Le patron c tait un petit amuseur de bas tage Dans le temps on donnait pas cher de sa carri re Pas plus de cervelle qu une t te d pingle Puis il s est fait un beau fr re dans l administration et il s est mis br ler la hi rarchie comme un poivrot les feux rouges Du jour au lendemain le ciel s ouvre pour lui et il se retrouve patron de ceux l m mes qui le tournaient en bourrique 184 R sultat le patron se venge Une fois ce poste acquis le patron profite de sa position non seulement pour abuser de son pouvoir et tre odieux avec ses subalternes mais il s offre galement tout le luxe que sa position exige d corant son bureau de tableaux de peintres connus et de meubles co te
68. Tarik en contemplant la jeune fille Mourad bien qu il se rende compte de sa beaut ne manifeste son gard aucune pens e ambigu Sans la moindre arri re pens e quivoque il prit plaisir la d tailler Malika avait cette maigreur souple et ardente des filles du d sert l il noir et direct une bouche bien ourl e sans fard des dents petites aigues blanches comme des perles Elle tait reposante Il souha ta qu un jour la m re de ses enfants 2442 lui ressembl t La morale exag r e presque ridicule de SM 15 ne caract rise pas uniquement son comportement avec les femmes elle se traduit galement dans les sc nes de combats bien que le h ros soit oblig de tuer l auteur insiste bien sur le fait que c est un acte qui lui r pugne Mourad ne tuait jamais que contraint par les circonstances lorsqu aucune autre solution n tait envisageable Les prises de paroles incongrues du h ros sont elles aussi significatives cet gard comme le remarquait Belhadjoudija 4l Khader D livrez la Fidayia op cit p 54 Ibid p 38 8 Bechter p 48 36 Saber parle beaucoup et souvent des moments de tension fictionnelle critique ses prises de paroles apparaissent alors comme insolites Il ne tue jamais sans expliquer son acte ses motivations politiques et id ologiques 44 bref sans s pancher longuement Cette mani re de se justifier presque syst matiquement lor
69. a dans quelques ann es le fondement du roman policier classique et qui fait que ces nouvelles sont tout fait innovantes pour l poque est cette particularit qu elles ont de contenir et d avoir pour point de d part de l action une nigme Car c est autour de cet l ment qui prendra une importance cruciale que se constituera le roman policier ses d buts D ailleurs le roman policier classique est galement connu par la critique sous le nom de roman nigme comme on peut le lire dans la distinction que proposait Tzvetan Todorov dans son article sur la typologie du roman policier entres les diff rentes esp ces du roman policier En effet le premier sous genre que Todorov distingue est le roman nigme Nous reviendrons ult rieurement sur la d finition que ce dernier propose de ce sous genre Ainsi comme nous l voquions pr c demment l apparition du genre policier 8 t amorc e avec les nouvelles de Poe qui transposait dans un cadre litt raire les tapes d une enqu te criminelle On lui doit galement comme le relevait E Maleski La cr ation de la figure de l enqu teur du rationaliste la logique implacable sous les traits de son personnage Charles Auguste Dupin Dupin Maleski Estelle Le roman policier l preuve des litt ratures francophones des Antilles et du Maghreb enjeux critiques et esth tiques Th se de doctorat r alis e sous la direction de
70. a Khadra 1 Les romans policiers Khadra Des polars l alg rienne Cette premi re partie de notre travail aura pour objectif de d montrer comment se manifeste l appartenance des uvres de Yasmina Khadra que nous tudions ce sous genre du roman policier qu est le roman noir et d expliquer comment l auteur parvient adapter ce genre l expression de th matiques profond ment alg riennes Ceci nous am nera dans un premier temps effectuer un bref parcours th orique o nous reverrons les d finitions du roman policier et de ses diff rentes variations et plus particuli rement le polar ainsi que les principaux auteurs qui furent au fondement de chaque sous genre Nous aborderons ensuite l apparition du genre en Alg rie et les diff rentes tapes de son volution phase n cessaire dans notre travail puisque elle permet de revenir sur le parcours et le d veloppement du roman policier alg rien parcours fortement influenc par des facteurs sociaux politiques et historiques et qui aboutira l apparition des romans de Khadra La troisi me partie de ce chapitre sera enfin consacr e la derni re tape de l volution du genre policier en Alg rie Apr s avoir abord chronologiquement les premi res uvres des ann es 70 et des ann es 80 nous finirons par voquer les ann es 90 pour pr senter l auteur Yasmina Khadra et surtout les ouvrages qui constitueront notre corpus d
71. a mort violente 183 g f S Tak Freedman Eric Le commissaire d missionne Entretient avec Estelle Monbrun in Europe n 872 avril 2002 p 180 182 184 i A Lis F Chaouli F L ironie esth tique du rire sur fond tragique dans Morituri de Yasmina Khadra in Alg rie Litt rature Action P 47 58 128 En effet la mort durant les ann es 90 faisait paradoxalement tellement partie de la vie des Alg riens que l annonce d un assassinat ou d un attentat devenait un fait si courant qu il en provoquait de moins en moins l moi des populations C est ce sentiment de r signation et de renoncement que Khadra l instar d autres auteurs de cette d cennie semble vouloir combattre en mettant en sc ne la mort brutale et injuste de personnages familiers C est notamment le cas avec la disparition d un des co quipier de Llob Serdj enlev tortur puis assassin dans Morituri ou encore avec la disparition de Llob lui m me En repr sentant la mort de fa on ce qu elle puisse encore choquer Khadra entend combattre sa banalisation qui est le v ritable pi ge que nous tend cette quotidiennet de l horreur En effet si la mort d autrui nous semble plus admissible car trop courante c est que la mort a triomph de nous et de notre humanit en nous faisant perdre ce qui nous diff rencie des auteurs de ces crimes notre compassion notre empathie et notre respect de la vi
72. ais le crime n est plus ant rieur au moment du r cit qu on nous relate le r cit co ncide maintenant avec l action les deux histoires fusionnent ainsi et se d roulent au m me moment L int r t du lecteur n en est pas pour autant r duit s il a plus de myst re ou d nigme r soudre trouver le coupable on se rend compte qu il y a comme le soulignait T Todorov deux types d int r t la curiosit celle l m me qui nous pousse nous int resser au roman nigme pour d couvrir la fin du r cit le coupable Et le suspense et dans le roman noir c est du suspense qu il s agit Le lecteur est tenu en haleine car il sait qu un ou plusieurs crimes vont se produire on nous montre d abord les donn es initiales des gangsters qui pr parent des mauvais coups et notre int r t est soutenue par l attente de ce qui va arriver c est dire des effets cadavres crimes bagarres Un des l ments essentiels du roman noir est donc son caract re impr visible le crime ne s tant pas produit avant le temps du r cit il peut se produire n importe quel moment et la victime peut tre la fois l un des personnages principaux le d tective lui m me ou un inconnu pour r sumer on pourrait dire que dans le 2 5 24 roman noir tout est possible et le d tective risque sa sant sinon sa vie 21 Ibid p 11 Tbid p 14 2 Ibid p
73. ait remarquer quelques ann es auparavant en publiant en Alg rie en 1990 un roman policier sous le nom de Commissaire Llob intitul Le dingue au bistouri suivi quelques ann es plus tard par La foire des enfoir s Dans sa premi re uvre l auteur emprunte son nom celui de son h ros de ce fait le narrateur est conduit s exprimer la premi re personne du singulier et adopte ainsi une posture autodi g tique Bien que ce premier roman ait valu son auteur un accueil des plus favorables aupr s de la critique en Alg rie et m me en France o Jean D jeux notamment 7 constatait avec enthousiasme la naissance d un polar la hauteur c est Bonn Charles Le Roman alg rien au tournant du si cle d une dynamique de groupe mergent une diss mination postmoderne in B Bechter Burtscher et B Mertz Baumgertner dir Subversion du r el strat gies esth tiques dans la litt rature alg rienne contemporaine Etudes litt raires maghr bines n 16 Paris l Harmattan 2001 p 252 258 Tini S P P x i se D jeux jean La litt rature maghr bine d expression fran aise Paris Presses Universitaires de France 1992 p 90 11 v ritablement sa publication en France qui lui offrira la carri re internationale que nous lui connaissons aujourd hui Cette carri re d butera par la parution d une suite la s rie polici re d j entam e en Alg rie Khadra gardera
74. arniers d aujourd hui inspirent et titillent la vocation 122 des charognards Ces personnages opportunistes et influents vont trouver rapidement des hommes qu ils pourront mettre leur service Ils les recruteront directement aupr s des jeunes les plus paum s qui ont v cu dans la mis re pendant la crise des ann es 80 et ont particip aux meutes d octobre 88 Ces derniers qui ne subsistaient que gr ce des petits larcins ou en pratiquant le trabendo taient en effet souvent pr ts tout pour am liorer leurs conditions comme le d montre cet extrait o l un d entre eux explique comment se sont d roul es ces meutes Mourad m a trouv dans ma boutique Il tait excit Il m a dit Tu me fais confiance J ai dit Je demande voir d abord Il m a dit On va foutre le bordel dans la ville J ai dit C est d j le bordel Il m a dit Justement Va y avoir du grabuge grande chelle La rue va se rebiffer Du g teau Tu 12 Ibid p 161 83 investis dans une bo te d allumettes et tu rentres la maison avec vingt cinq briques J ai dit Adjug Deux jours apr s la rue d bordait de partout On a mis le feu des magasins et des bus On nous a arr t s et crou s 1 Capables de saccager et de d truire leur propre ville ces jeunes qui font partie des moins scrupuleux seront vite recrut s par la mafia politico financ
75. asser par l appr ciation brutale du conflit 18 L autre r le de l humour dans les polars de Khadra est de faire passer les critiques les plus virulentes et de remettre en question jusqu aux plus hautes sph res du pouvoir alg rien en les tournant en d rision et en d montrant leur chec sur tous les plans sans tomber dans un ton moralisateur ni ennuyeux L auteur d voile les failles du syst me sans que l on ait l impression que cela soit v ritablement son but Ainsi l humour est ici la fois un outil de d nonciation et de distanciation comme nous allons tenter de le d montrer 148 Khadra Yasmina du roman noir au roman blanc in Subversion du r el strat gies esth tiques dans la litt rature alg rienne contemporaine Etudes litt raires maghr bines op Cit P 115 116 104 Dans un premier temps nous tudierons les descriptions souvent caricaturales des personnages ainsi que l onomastique et les effets recherch s travers la cr ation de ces diff rents portraits Nous voquerons par la suite certains des proc d s que l auteur utilise le plus souvent pour cr es des effet comiques entre autres l ironie le m lange des styles des tons et m me des langues Nous conclurons notre travail avec une analyse de la critique sociale dans l uvre de Khadra qui s exprime principalement travers l humour et l ironie galement tr s pr sente dans ces romans HI 1 Descr
76. ateurs que l auteur s l ve Il est vrai que dans un souci de r compenser les acteurs de l ind pendance du pays on a souvent accord des postes et des responsabilit s des personnes qui n avaient pas n cessairement les qualifications requises Khadra nous en donne d ailleurs de nombreux exemples dans son roman tel celui de Hocine El Ouahch dont il voque l incroyable carri re dans cet extrait Hocine El Ouahch n a jamais fr quent d tablissement scolaire il 8 exerc en qualit d artificier durant la guerre de lib ration et a fait sauter tant de rails et de pont que le r seau ferroviaire alg rien ne s en est toujours pas remis l ind pendance il s est content d un grade de caporal chef dans une unit de g nie passant le plus clair de son temps plastronner au douar une cigarette Bastos au bec la vareuse ouverte sur sa bedaine de poivrot r leur et belliqueux Puis au bataillon on se mit r ceptionner du mat riel sophistiqu et les choses commenc rent se compliquer il ne s agissait plus de bricoler des engins explosifs et de les faire p ter au passage d un camion ennemi Les instructeurs sovi tiques brandissaient des grimoires inqui tants et insistaient sur la n cessit de se conformer aux modes d emploi Hocine ne suivait pas Il tait d pass il dut d clarer forfait pour tenter sa chance dans le civil Il fut tour to
77. ation Ne valant d sormais que par ce qu il suscite chez les autres chacun s vertue ne point passer inaper u quitte se 105 foutre poil au c ur d une mosqu e Llob est donc d go t par ces mentalit s de nouveaux riches mais ce qu il d nonce surtout ce n est pas tant ce r gne des apparences qui domine Alger 1 la mani re plus ou moins louche dont ces fortunes ont t gagn es Ce qui l inqui te le plus c est l avenir du pays dont personne ne semble plus se soucier car en Alg rie comme il le remarque dans Morituri tout le monde se d merde pour b tir un palais pour ses rejetons et personne ne consent leur lever une patrie 9 7 De retour chez lui loin de ces ch teaux modernes dans le monde r el Llob ne peut s emp cher de constater l normit du foss qui s pare ces deux mondes car il s agit bien de deux mondes qui semblent exister ind pendamment l un de l autre en s ignorant mutuellement il d clare L Alg rie que je connais ce n est pas a Dans mon pays moi les cimeti res ne d semplissent pas de larmes et de sang les braves rasent les murs pour se pr server du mauvais il gt Ainsi pendant que la jeunesse dor e alg roise fr quente clubs et restaurants selects Les jeunes des quartiers populaires se morfondent dans leurs rues d labr es sans autres lieux de rencontre que les caf s ainsi que le rel ve Llob Je me suis souvent
78. ats Le commissaire fou de rage se rend dans la villa du responsable Ghoul Malek et tapisse ses murs de centaines de photos de victimes du terrorisme et attend que ce dernier d barque Celui ci nullement impressionn ou m me attendri par la mise en sc ne de Llob lui explique que cette guerre est une n cessit Llob compl tement exasp r finit par perdre son sang froid 1 oublie son r le de flic pour endosser celui de vengeur et tue le personnage dans une sorte d acc s de folie soudain Il marque ainsi une nouvelle fois son cart de la norme du flic traditionnel il rend la justice lui m me Le Dingue au bistouri p 157 96 Les autres romans du cycle n chappent pas cette r gle tous ont une fin des plus nuanc es o le lecteur reste sur une impression d inachev presque insupportable en ce qu elle renvoie justement une r alit des plus impr visibles Cette impression est due au fait que le probl me initial n est pas vraiment r solu dans ces romans 16 lecteur loin d tre rassur comme c est la coutume dans le roman policier par une fin qui apporte une solution une situation probl matique est d stabilis par l absurdit qui cl ture tous les romans du cycle Cette absurdit souligne le caract re choquant de la r alit alg rienne et trouve son expression la plus marquante avec la mort de Llob lui m me Ainsi comme nous avons pu le constater l effet de r el pr sent dans l u
79. au gar on en m me temps que ses illusions comme le d montre cette description que Llob fait de lui apr s avoir r ussi le d livrer de sa prison Sur son visage asc tique marqu jamais par l infamie des hommes l expression du malheur se surpasse Le beau gosse de Bab el Oued n est plus 1 qu une loque cacochyme Je ne l aurais pas reconnu si j tais venu seu D sormais d go t par le syst me ayant constat qu il n tait pas malgr sa jeunesse et son ambition de taille faire face aux perp tuelles magouilles des riches et puissants de ce pays il n aura plus que de modestes ambitions Dans le Dingue au bistouri il r ve de pouvoir s acheter un frigidaire et d avoir un petit chez lui Mais lorsqu on le retrouve dans Morituri quelques ann es plus tard sa situation n a absolument pas chang elle 8 m me empir Il 8 abandonn ses r ves pourtant si modestes et il vit au commissariat depuis qu un barbu l a menac dans son quartier de Bab el Oued L volution de ce personnage se poursuivra au fil des diff rents romans de la s rie 1 gagnera en lucidit et en courage et sera confront des v nements qui le marqueront et transformeront sa perception des choses La mort de son coll gue l inspecteur Serdj assassin dans le roman Morituri par un groupe terroriste l affectera particuli rement il comprendra que son travail fait de lui 82 Khadra Yasmina La part du mort
80. autres des traduction des romans de Chandler Hammett et plus tard de Chester Himes Cette collection ne tarde pas rencontrer le succ s le public recherchant en effet la nouveaut et le roman d nigme classique tant comme le relevait E Maleski quelque peu essouffl du point de vue de ses potentialit s narratives et en d calage de par son aspect ludique par rapport au contexte socio historique boulevers de l poque Le roman noir qui transpose la violence du monde moderne la litt rature devient donc incontournable de nombreux auteurs fran ais mergeront peu peu et r ussiront se faire un nom parmi eux Albert Simonin Jos Giovanni Auguste Le Breton Jean Amila Michel Lebrun ou encore l incontournable Fr d ric Dard San Antonio Mais la violence n est pas l unique caract ristique du roman noir En r alit ce genre se distingue surtout par l importance qu il accorde la soci t et sa repr sentation tant n pr cis ment une p riode de profonds bouleversements il ne pouvait que s en faire le miroir ainsi pour reprendre les propos d Estelle Maleski 17 E Maleski op cit p 40 8 Tbid p 42 24 Aujourd hui encore et peut tre plus que jamais le roman policier et notamment ses variantes dites noires roman noir polar n o polar etc demeurent vivaces pr cis ment parce qu elles s inspirent de l volution des mutations et des errements de
81. cause des st r otypes et topo pr existants S1 les ann es 70 ne produisent pas en mati re de litt rature polici re des uvres d une grande qualit les ann es 80 comme nous allons le constater amorcent une nette volution dans cette production du moins en ce qui concerne les th matiques d velopp es Belhadjoudja p 129 130 50 Maleski p 80 Bernard Mouralis Les Contre litt ratures Paris PUF 1971 p 51 52 5 Ibid 52 8 G Dugas Ann es noires roman noir in Alg rie litt rature action vol XX VI d cembre 1998 p 132 141 39 I 2 2 Les romans policiers des ann es 1980 C est partir des ann es 80 et plus pr cis ment partir de la deuxi me moiti de cette d cennie que l influence des transformations que le pays a connus et dont nous parlions auparavant l urbanisation l industrialisation massive et l exode rural qui ont largement contribu l apparition de certains probl mes sociaux tels la pauvret le ch mage commencera se faire sentir dans la litt rature polici re d autant plus que celle ci se tournera peu peu vers le roman noir qui comme nous l avons d j pr cis s int resse particuli rement la critique sociale Les premiers romans policiers de cette p riode se distinguent comme le signale E Maleski par leur l approche relativement conventionnelle et peu novatrice comme les romans de Larbi Abahri Banderil
82. comme le constate Guy Dugas L intertextualit est g n ralement consid r e comme l unes des marques essentielles de 18 litt rarit d un texte Or les romans de Yasmina Khadra ne cessent de jouer avec un intertexte foisonnant litt rature maghr bine classique du genre policier etc des ph nom nes d cho tant m me 142 recherch s 12 Dugas op cit p 137 98 Nous pouvons en effet lire dans La part du mort ce passage o Llob va voir son ami libraire pour lui emprunter quelques livres et o il admet qu il manque d inspiration ces derniers temps p 16 L auteur par le biais de son personnage principal revendique ainsi indirectement son recours l intertextualit en citant quelques grands noms de la litt rature arabe et confirme par la m me occasion son admiration pour ces derniers comme en t moigne cette r ponse que Llob donne son ami qui lui propose un ouvrage de Akkad J avais un Akkad quelque part Vas y mollo J suis pas trap ziste faut pas placer 18 barre trop haut GA Au bout d un remue m nage J opte pour un Driss Chra bi Llob finit par opter pour un roman de Driss Chra bi qui rappelons le s est galement essay au genre policier Enfin si le recours cet intertexte local intervient beaucoup moins fr quemment dans les romans de Khadra dit s en France cela ne signifie pas pour autant qu il a disparu en fait il se fait plu
83. contribuent la fois l affirmation de l alg rianit des romans d j voqu e pr c demment avec les r f rences culturelles et l laboration d un effet comique Cependant on peut remarquer que le recours des termes arabes intervient beaucoup plus rarement dans les romans qui ont t dit s en France Ainsi on retrouve plus souvent des mots arabes ou appartenant au langage parl des Alg riens dans le tout premier roman de Khadra Le dingue au bistouri dit en Alg rie Dans l extrait qui suit par exemple Lino est ahuri Il a l air d une vache qui voit un roumi gt 63 L auteur utilise le terme traditionnellement utilis dans le langage commun pour d signer un fran ais ou plus g n ralement un europ en Toujours dans le m me roman on peut lire la page 26 le fameux tfou expression intraduisible s il en est et qui en v rit d signe plut t une onomatop e qui mime le geste de cracher ce qui pour un Alg rien constitue l insulte supr me et un moyen de marquer son d dain vigoureusement La pr sence de ce mot qui appartient incontestablement l oralit dans le domaine de l crit produit par son incongruit m me un effet comique certain Toujours dans le meme registre l auteur introduit une autre expression typiquement alg rienne que la d cence ne permet pas de traduire Tozz Sur toi et tes z 16 anc tres monsieur le pistonn D cla
84. coup voir avec les ex cutions de harkis qui ont ensanglant la r gion de Sidi Ba village imagin par l auteur situ e entre M d a et Alger apr s l ind pendance et que de ce fait l hypoth se la plus plausible serait que SNP ait tent de l assassiner pour venger les siens Car il semblerait que celui ci soit le seul survivant de la tuerie qui avait d cim sa famille Soria pourrait ainsi faire son travail d historienne en faisant la lumi re sur un des v nements des plus sombre de l histoire du pays et Llob laverait Lino des soup ons qui p sent sur lui Cependant et cela ne nous est r v l qu la fin du roman l int r t de Soria pour cette affaire d passe largement ses pr tentions professionnelles c est une vengeance personnelle qu elle accomplit en se d barrassant de Haj Thobane car l enfant rescap de Sidi Ba c est elle Llob c est donc tout simplement fait pi g par Soria et ses alli s pour faire tomber cette figure historique Quant aux v nements de Morituri ils se d roulent dans les ann es 90 L auteur poursuit dans ce romans sa description des probl mes quotidiens des Alg riens et sa critique du pouvoir en place d j entam e avec Le dingue au bistouri mais le th me central du roman est l int grisme qui s vit dans le pays Le roman d bute lorsque Llob est charg de retrouver la fille de Ghoul Malek ancien personnage important du F L N qui conserve cependa
85. ction de personnages de situations ou de p riodes pr cises qui donnent au lecteur l impression de coller au r el et de le prendre en charge Nous d buterons cette analyse en abordant dans un premier temps les personnages qui par leurs v cus leurs convictions ou leurs appartenances sociales peuvent 72 Nous devons le terme effet de r el Roland Barthes qui l emploi notamment dans un article intitul L effet de r el publi au sein d un ouvrage collectif Litt rature et r alit Paris Seuil coll Points 1982 53 repr senter les diff rentes strates de la population alg rienne et la fa on dont chacun a v cu les v nements qui ont boulevers le pays avant et apr s octobre 1988 Nous voquerons galement l influence de ces v nements sur leur vie sociale et familiale Tout ceci nous am nera constater que les descriptions de ces personnages et de leur quotidien constituent souvent pour l auteur un pr texte pour entamer ses r flexions critiques Nous verrons ensuite comment les lieux sont eux aussi repr sentatifs d une certaine r alit alg rienne le d labrement des quartiers populaires oppos au luxe des villas des dirigeants et de leurs proches tant l pour rappeler l cart qui ne cesse de se creuser entre riches et pauvres en Alg rie Notons que ces descriptions constituent ici galement le point de d part et le pr texte aux remarques critiques de l aute
86. de la m me cause on sacrifia tout simplement ceux qui n y avaient pas adh r Le prix en a t des centaines de morts Cependant l auteur ne cherche pas pour autant amoindrir la noblesse de la r volution ni de ses h ros int gres dont le personnage principal Llob est un exemple Ce dernier voue d ailleurs un amour sans fin sa patrie On le voit bien dans les multiples extraits o Lob exprime sa d solation l gard de la situation en Alg rie C est plut t aux nombreux responsables de ces erreurs et de la situation actuelle que l auteur s attaque commencer par tous ceux qui d s 86 l ind pendance ce sont consacr s exclusivement leurs int r ts personnels Il s agit notamment d un certain nombre d anciens moudjahid qui se sont d p ch s de rentabiliser leur engagement pour la patrie comme on peut le lire dans cet extrait o Llob se demande que peut on attendre d un syst me qui au lendemain de son ind pendance s est d p ch de violer la veuve de ses propres martyres N anmoins nous ne pouvons nous emp cher de constater que Khadra insiste particuli rement sur les horreurs que les harkis ont subies sans d crire les crimes que ces derniers ont commis L auteur estime sans doute qu il serait mal venu de leur refaire un proc s apr s ce qu ils ont d endurer ou que leurs erreurs leur ont t suffisamment reproch es Il semblerait que Khadra bien qu il sach
87. dra est tr s virulent en ce qui concerne le laisser aller des autorit s alg riennes dans le domaine culturel cela ne l emp che pas de se montrer tout aussi virulent l gard de certaines pratiques parfois utilis es en Europe Ainsi on retrouve le personnage du professeur Allouche qui apr s avoir t forc l exil est en Europe l objet d une vive consid ration Toutefois le professeur ne tarde pas se rendre compte que cette consid ration ne tient pas uniquement l importance de ses travaux scientifiques Son s jour en Europe bien qu il l lev t au rang des r f rences mondiales et lui val t d innombrables distinctions ne lui monta pas la t te Si nul n est proph te dans son pays personne n est ma tre chez les autres non plus Tr s vite notre minent savant s aper ut que les gards de ses confr res occidentaux n taient que des pi ges succulents que les prix qu on lui d cernait avaient un arri re go t d valoir et que ses travaux d rudit se d couvraient des accents politiques puisqu il passait plus de temps hanter les salles de r daction et les salons des ONG que les ateliers universitaires On ne l applaudissait plus pour ses recherches on saluait ses prises de position contre la dictature qui s vissait au bled Les gens qui venaient l couter pr sentaient des faci s de brutes et laissaient tra ner dans leur sillage des documents orn s de cache
88. e Alger qui peut tre consid r e comme un personnage part enti re de la s rie La description que Khadra donne de cette ville fait tat d une nette opposition entre l un de ses quartiers Hydra et le reste d Alger En fait cette dichotomie est le v hicule d une critique acerbe qui tend mettre en vidence l cart grandissant qui s pare la grande majorit des alg riens qui vivent dans des HLM pitoyables et insalubres parfois m me dans des bidonvilles et les nantis profiteurs d un syst me corrompu isol s dans leurs somptueuses villas d Hydra Enfin la description des v nements dans l uvre de Khadra est sans doute l une des manifestations les plus importante du r alisme au sein de ses romans d autant plus que l auteur s attache reprendre des faits qui trouvent leur source dans la r alit historique du pays et b n ficient notamment dans le cas de l actualit plus r cente d un traitement tr s m diatique dans la presse nationale et internationale Khadra revisite ainsi la post ind pendance alg rienne en voquant les pisodes les plus troubles de son Histoire Des massacres de harkis durant l t 1962 la p riode plus proche des ann es 90 marqu e par la violence int griste en passant par la crise des ann es 80 l auteur trouve en effet la mati re un violent r quisitoire Khadra entend ainsi dresser un bilan de ces quelques ann es d ind pendance o il
89. e Khadra nous pr sente ainsi des uvres o la violence tout comme l humour sont pouss s leur paroxysme et o se m lent rires et larmes dans un m lange qui permet au lecteur de lire la fois la trag die d un pays et d en appr cier l ampleur sans tre pour autant rebut par le caract re insoutenable des v nements d crits L auteur parvient en effet principalement gr ce l humour d noncer habilement l horreur de la situation sans que cela se fasse d une mani re trop brutale Il arrive en quelque sorte d mystifier la mort violente sans pour autant la banaliser et le terrorisme en l expliquant et en analysant ses rouages et les motivations de ceux qui l ont engendr Dans les romans de Khadra l humour est un r ceptacle d informations qui sont les indices de ce que la soci t pense de la mort violente Opposer le rire cette angoisse c est vacuer exorciser ses peurs mais surtout annoncer le triomphe de la vie sur la mort L auteur de Morituri tente d apprivoiser cette 129 derni re par le rire envisage en outre de l int grer de la classer et par 185 cons quent d exercer un pouvoir de contr le sur elle Ainsi l humour dans les romans noirs de Khadra peut v ritablement tre consid r comme un antidote cette violence du quotidien et cette omnipr sence de la mort Pissu de ce chapitre nous pouvons conclure que Yasmina Khadra a r
90. e aux membres de ma famille sans leur soutien leurs encouragements et leur patience cette tude n aurait pu aboutir Ma reconnaissance va galement mes professeurs des universit s de Blida et Bouzar ah Et enfin je remercie celle qui malgr une vie bien remplie reste toujours l pour moi mon amie Meriem j esp re qu elle me supportera encore quelques ann es SOMMAIRE INTRODUCTION ne anne 05 I LES ROMANS POLICIERS DE KHADRA DES POLARS L ALGERIENNE ES ns dudit 14 I 1 Origines et volution du P RT se 59 an Tes nn tn pen ST 14 I 2 Apparition et volution du genre en Alg rie 26 2 1 Les romans d espionnage des ann es 1970 26 1 2 2 Les romans policiers des ann es 1980 37 I 2 3 les romans policiers des ann es 1990 Le cas Yasmina Khadra 41 II EFFET DE R EL D NONCIATION DANS L UVRE DE KHADRA 49 5515 80 6 1111 5 57 51 118578 771 et 68 L ESTH TIQUE DU RIRE CHEZ KHADRA LES R LES DE L HUMOUR ET DE L IRONIE
91. e d ann es issu de la campagne alg rienne et n ayant jamais vraiment eu la possibilit de faire des tudes En d autres termes si Khadra pr tend tre une femme il se doit de d crire la situation telle qu une femme aurait pu la percevoir Cela implique peut tre un certain parti pris puisque tous les hommes alg riens de plus de cinquante ans ne pensent pas n cessairement que la place d une femme est la maison N anmoins cette vision des choses t moigne aussi d une certaine r alit sociale B Bechter se demande dans sa th se si cette repr sentation extr mement id alis e de certains personnages f minins et notamment celui de Mina n aboutit pas une image inverse une sorte de caricature de cet l id al visant le d mystifier Mais en constatant que l auteur g n ralement tr s virulent l gard du d veloppement du pays ne critique pas du tout la soci t alg rienne traditionnelle B Bechter en d duit que cette repr sentation du personnage de Mina vise plus une p rennisation des r les traditionnellement attribu s aux femmes en Alg rie Il est vrai que si l on tudie le dernier personnage f minin r current pr sent dans l uvre de Khadra celui de Baya la secr taire pas tr s fut e de Llob on se rend compte que sa description confirme cette position Non seulement Baya ne brille pas par son intelligence mais elle est galement cause de ses choix 64
92. e de la soci t pourrie style enfi vr argot savoureux clins d il par ci par l Du sang il y en a autant qu on en veut avec ce dingue qui tripe ici et l De la tendresse aussi Pour la premi re fois Voil donc un polar la hauteur La pudibonderie et la respectabilit 62 hypocrite y volent en clats Khadra d veloppera dans ce tout premier roman dit en Alg rie les principaux th mes que l on retrouvera plus tard dans sa s rie Il abordera des sujets en prise avec la r alit alg rienne avec humour et ironie et s attachera d noncer les lacunes du pouvoir alg rien le laisser aller des populations mais aussi leurs probl mes quotidiens en d crivant l Alg rie de la fin des ann es 80 Ce roman dont la r ussite donna naissance une s rie export e avec succ s en France compte aujourd hui six ouvrages Le dernier en date La part du mort ressuscite le commissaire Llob mort victime de l int grisme ravageant le pays l issue de L automne des chim res roman qui cl turait le cycle jusqu en 2004 date de parution de La part du morf Cette derni re uvre illustre parfaitement le propos de E Maleski qui en 2003 d clarait En ce qui concerne Yasmina 62 D jeux jean La litt rature maghr bine d expression fran aise Paris PUF 1992 p 90 amp Ce premier roman sera en effet suivi en 1993 par La foire des enfoir s galement publi en Alg rie et plus
93. e de son personnage l image d un agent quasi invincible En effet les exemples o ce dernier parvient vaincre ses ennemis alors que ceux ci taient en position de force ne manquent pas Il r ussit m me l exploit de venir bout d un requin tigre de huit m tres de long l aide d un simple couteau dans Halte au plan Terreur mais ce qui le distingue des autres agents sp ciaux c est son attitude vis vis des femmes la sexualit l alcool et la tabac L analyse du profil sexuel de SM 15 et de S A S a permis de mettre au jour la nette opposition entre un h ros asexu et un h ros hyper sexu Dans la multitude de combats que m ne l espion alg rien il en est un qui lui tient particuli rement c ur la sauvegarde de la morale arabo musulmane face 38 la d pravation sexuelle occidentale Ce constat que fait Belhadjoudja dans sa th se r v le en effet un point tr s important dans la construction du personnage de SM 15 Ce dernier Khader Youcef D livrez la Fidayia Alger SNED 1970 p 15 37 Ibid p 15 38 R Belhadjoudja op cit p 217 34 particuli rement en ce qui concerne sa vie amoureuse semble tre en nette opposition avec le profil des espions occidentaux et pour cause 1 semblerait que l une des vis es essentielles de l auteur et de son diteur ait t de r pondre au succ s des roman d espionnages fran ais car ces derniers comme le rel
94. e le choix des p riodes et des v nements cit s renforce l ancrage dans la r alit des romans et t moigne d une volont de prise en charge de l Histoire du pays et notamment de ces pisodes les plus sombres Enfin nous verrons un dernier facteur qui renforce le r alisme des uvres de Khadra qui se manifeste particuli rement travers un certain pessimisme r current dans ses romans Ces derniers se cl turent en effet invariablement sur une fin des plus nuanc es qui ne consacre pas comme c est g n ralement le cas dans les romans policier traditionnels la victoire du bien sur le mal Nous voquerons galement pour conclure ce second chapitre les r f rences culturelles que Yasmina Khadra convoque tout au long de ses romans et nous analyserons les effets produits par le recours ces r f rences Le dernier chapitre sera comme nous le signalions pr c demment consacr au second axe principal de notre travail les effets de distanciation perceptibles dans les romans policiers de Khadra Nous tenterons de d montrer que c est travers l humour et l ironie tr s pr sente dans ces polars que se cr e la distance n cessaire une appr ciation moins brutale des tenants et aboutissant de la trag die alg rienne Ainsi nous d montrerons que l Humour est une caract ristique essentielle des polars de Khadra Ce param tre est d une importance non n gligeable car il parvient la fois prolonger la d
95. e mort qui survient dans le roman L Automne des chim res r sulte directement de la publication de Morituri En effet apr s avoir refus de pr senter ses excuses pour avoir crit ce livre Llob est mis aux arr ts Ce n est donc pas le flic qui est assassin dans L Automne des chim res mais bien le romancier qui d range les puissants du pays et d nonce leur implication avec les int gristes La disparition de Llob n est pas sans rappeler celle de nombreux intellectuels alg riens et notamment celle de Tahar Djaout auteur de cette phrase devenue c l bre et que Llob cite dans Morituri comme pour rappeler qu il est conscient que dans l Alg rie des ann es 90 le choix de dire peut s av rer fatal Si tu parles tu meurs Si tu te tais tu meurs Alors parle et meurt Khadra tend sa critique la situation de l enseignement sup rieur en Alg rie qui conna t et qui connaissait peut tre encore plus l poque d crite de graves dysfonctionnements Dans l extrait qui suit on retrouve le professeur Allouche rentr en Alg rie pour enseigner l universit Les modules se mirent se n gocier sur des bases strictement pornographiques et les dipl mes transiter par les h tels de passe Horrifi le professeur Allouche tenta de sauver quelques meubles ce qui d plut norm ment ses coll gues qui refusaient de sauter leurs tudiantes m me le 801 En r sum l re de la
96. e nous allons le constater Khadra excelle en effet lorsqu il s agit de d crire ses personnages Ces portraits o se m lent humour d rision ironie et caricature sont de v ritables illustrations du talent comique de l auteur Ils permettent aussi d apporter une certaine dimension critique lorsqu il s agit de d crire des personnages influents souvent repr sent s comme tant r solument corrompus Ainsi dans ce passage de Morituri o l on retrouve 1 10 dans le fastueux salon du tr s riche et non moins pistonn gendre de Ghoul Malek l auteur nous d crit les convives travers le regard incisif de Llob Une sorte de duchesse me remarque me fait une petite virgule de la main ensuite elle d ferle sur moi sa carcasse de cachalot en me tendant sa nageoire elle rejette la t te dans un rire si grand qu on peut d celer les motifs de sa culotte Fa Cette comparaison pour le moins comique est d autant plus risible que le lecteur est seul conna tre ce que pense r ellement le commissaire de cette pauvre femme ce qui cr e une sorte de complicit entre le lecteur et l auteur narrateur En r alit bien que la dame ne s en rende pas compte Llob est sinc rement exasp r par le luxe ambiant et vraiment tr s peu soucieux de plaire celle ci Les exemples de descriptions caricaturales parmi les riches convives de cette f te sont nombreux Llob s applique faire ressortir chez ces ric
97. e que les harkis n taient pas vraiment exemplaires fasse n anmoins preuve d une certaine indulgence leur gard estimant sans doute que quels que soient leurs torts 115 ne m ritaient certainement pas d tre ex cut s aussi sauvagement L auteur pr f re donc nous donner plus de d tails sur la partie la plus sombre de l Histoire de la r volution alg rienne celle qui est aussi la moins connue en opposant Llob son personnage principal et aussi un ancien moudjahid et un ancien harki le personnage de Labras Dans l extrait qui oppose Llob et Labras Llob d fend videmment avec une grande conviction sa position une querelle clate m me entre les deux hommes Llob ne supporte pas que Labras nomme Fellagas les anciens combattants dont il faisait partie Les deux hommes se battent jusqu ce que le personnage de Soria Karadach les s pare en tirant un coup de feu L et pour prouver la cruaut de ceux que Llob d fend et lui faire admettre qu ils n taient pas si nobles que a Labras baisse son pantalon et d voile Llob et Soria horrifi e l infirmit que ces bourreaux lui ont inflig e 1l est en effet mascul Dans la suite du roman Labras nous claire sur la position dans laquelle il tait pris entre deux feux comme beaucoup 0 Alg riens qui ne savaient pas vraiment qui se vouer Le personnage explique qu cette poque de mis re et de famine le nationalisme tait r serv une poign e
98. ement des tensions d ordre politique caus es par le pouvoir absolu du parti unique le FLN qui perdure depuis l ind pendance et interdit toute opposition Le 4 octobre 1988 des manifestations de jeunes alg riens clatent Ces jeunes tiennent ainsi exprimer leur col re principalement contre la hausse g n ralis e des prix et la rar faction des produits de premi re n cessit Ces manifestations qui ont d but Alger se propagent ensuite d autres villes du pays Pendant des jours entiers ces jeunes vont parcourir les rues d truisant tout ce qui symbolisait la hogra qu ils subissaient jusque l Sans Dieu ni ma tre serait on tent de dire Sans autre but que celui de casser Ce n est qu au bout de quelques jours que les dirigeants islamistes comprendront seuls ou Maleski p 122 45 leur en a t on souffl l id e qu ils peuvent se mettre la t te du mouvement 3 Ces manifestations se transformeront en v ritables meutes s v rement r prim es par les forces de l ordre et l arm e et donnant lieu des centaines de morts Il semblerait aussi que nombre des jeunes manifestants arr t s aient t victimes de tortures Tout ceci instaurera la m fiance et parfois m me la haine tenace des populations et surtout des jeunes l gard des forces de l ordre Les manifestations se poursuivront durant plusieurs jours cr ant un chaos sans pr c dent dans plusieurs villes Le
99. ement humoristique et ironique de la r alit a sur cette repr sentation Dans les polars de Yasmina Khadra la critique sociale s exprime souvent par le biais de l humour et de l ironie L auteur s attaque en effet par ce biais aux principaux probl mes que conna t l Alg rie Toujours dans une perspective r aliste il consacre notamment une place importante la critique du peuple alg rien lui m me Il d nonce entres autres le manque d int r t des Alg riens pour leur pays leur hypocrisie et parfois aussi leur d faitisme Ainsi nous pouvons lire d s la premi re page de La part du mort cet extrait qui d crit la vie Alger dans les ann es 80 On se couche tard on se l ve rarement L tat providence se d lecte du farniente avec le m me d tachement que d cideurs Du matin au soir le petit peuple remue paresseusement a et 18 un doigt dans le nez et l il dans le vague On voit bien que quelque chose de terrible est en train de sourdre mais on s en fout Nous autres Alg riens nous ne r agissons qu en fonction de ce qui nous arrive jamais en fonction de ce qui risquerait de nous arriver En attendant le d luge on fait du chichi Nos saints patrons veillent au grain 119 nos poubelles d bordent de victuailles et la crise conomique qui menace la plan te fait figure de com te chez nous Bref c est la vie de ch teau 7 De toute vidence le lecteur un tant soit peu averti
100. envie de roupiller et un incommensurable besoin de r diger ses m moires Saint Ziri qui fut un grand m c ne de son vivant a eu ce malencontreux lapsus Au lieu de lui dire r dige il a dit dig re Et depuis nous n arr tons pas de dig rer Jamais grand p re 6 m a cont une chose pareille C est parce qu il ne pouvait pas parler la bouche pleine Ainsi Llob rend compte avec cette explication la fois grotesque et dr le puisqu elle n est pas d pourvue d une bonne dose d autod rision d un tat de fait les Alg riens ne pensent plus qu leur ventre et plus g n ralement satisfaire leurs besoins vitaux de fait la nourriture de l esprit est pour eux bien secondaire Le narrateur impute la responsabilit de cette situation saint Ziri 178 Morituri p 77 Thid p 77 78 124 notre p re tous qui au lieu de guider l anc tre inspir sur le chemin de la cr ation lui conseille par un malencontreux lapsus celle de la digestion Cette explication certes exag r e peut tre interpr t e comme la volont de l auteur d exprimer encore une fois l incapacit de l lite des Alg riens guider ses enfants Mais l v nement qui reste le plus significatif et le plus repr sentatif de ce que peut tre la situation des crivains en Alg rie et qui souligne galement l importance de l acte d criture est la mort de Llob Cett
101. ernier chapitre Morituri p 51 58 Un autre trait principal de la personnalit de Llob est son profond attachement ses principes notamment son refus cat gorique de toute forme de corruption et sa fid lit aux principes de la r volution de Novembre 1954 laquelle il 8 bien s r particip Nous verrons que cet l ment est tr s important dans le roman La part du mort En effet bien que Llob agisse parfois de mani re r pr hensible cela ne le dispense pas d avoir des principes qui comptent norm ment pour lui et m me s il demeure conscient de vivre dans un pays o l int grit ne nourrit pas son homme il tente cependant de conserver cette qualit Cependant cela ne l emp che pas d tre parfois en proie l envie face ceux qui ne se sont pas encombr s de scrupules et de probit Il se qualifie d ailleurs lui m me d envieux frustr lorsqu au hasard d une mission il se retrouve entour par le luxe des villas de riches corrompus IL 2 La famille les coll gues et les Amis du commissaire L autre personnage principal de l uvre de Khadra est bien sur Lino le fid le co quipier de Llob Ce dernier est d crit comme une sorte d intello lunette au physique peu avantageux Mais il semblerait qu il n en ait pas toujours t ainsi Pourtant les lecteurs habitu s de la s rie qui connaissent l origine de son surnom savent qu il n a rien voir avec Ventura L
102. es interdits 160 singer les lendemains forger en silence des repr sailles terribles Ainsi pour Khadra la d gradation de la situation tait tout fait pr visible Tous ces jeunes errant sans but et dont le pays n a pas su canaliser l nergie deviennent en effet souvent des d linquants Et le traumatisme d octobre 88 ach vera de m rir leur haine envers les autorit s du pays et envers tout ses repr sentants aussi petits soient 115 Les militaires et surtout les forces de police en feront les frais comme le souligne Luis Martinez qui apporte quelques explications cette situation 158 Ibid p 116 15 Thid p 116 18 Le Dingue au bistouri p 97 111 Alors que les forces de s curit se sont concentr es sur les militants du FIS r pertori s la DGSN Direction g n rale de la s ret nationale mergent des moudjahidin de quartier qui s lancent mobylette l assaut des patrouilles de la gendarmerie ou des jeunes gens heureux d assouvir leur envie de revanche contre des forces de s curit qui n ont pas h sit en octobre 1988 r primer les meutiers Les mirs de bandes arm es qui structurent cette violence et la canalisent contre les forces de s curit mergent comme de nouveaux meneurs et leur ennemi s incarne dans la figure de l inspecteur honni en d pit du succ s de la s rie t l vis e Tahar l inspecteur t l film comique dont
103. es yeux Le mal a t fait Pour le conjurer il faut l admettre d abord Mon coll gue et moi en sommes persuad s Nous avons un devoir de m moire accomplir Un peu plus loin Soria continue s adressant Llob et par l m me tous ceux qui comme lui auraient du mal mettre de c t leur ressentiment l gard des harkis et qui ne comprendraient pas la d marche de l auteur Aujourd hui nous sommes oblig s de revenir sur des atrocit s inimaginables et d couter et ceux qui les ont perp tr s et ceux qui les ont subies Il ne s agit pas de pardonner ou de condamner il est question de reconstituer les faits 133 afin d en tirer les enseignements qui nous font d faut Qu il s agisse ou non pour l auteur de l accomplissement d un devoir de m moire il demeure ind niable que le roman poss de une dimension de 132 La part du mort p 244 133 Thid p 249 90 t moignage vidente Cette uvre a le m rite de nous clairer sur une p riode assez m connue de l Histoire du pays particuli rement chez les jeunes g n rations qui bien souvent ne la connaissent qu travers les manuels scolaires qui pr sentent majoritairement des versions revues et corrig es de l Histoire et font soigneusement l impasse sur ses pages les plus funestes Peut tre est ce justement contre cette id alisation excessive de la r volution alg rienne et de ses instig
104. ette simple supposition n cessiterait elle aussi une longue r flexion pour y apporter une r ponse satisfaisante tant 1 est clair que le roman policier n a pas encore puis toutes ses ressources 187 Dugas Guy op cit p 135 188 Ibid 140 135 BIBLIOGRAPHIE 136 I Corpus d tude KHADRA Yasmina Morituri Paris Editions Baleine Collection Instantan s de polar 1997 d r f Folio policier 1999 KHADRA Yasmina La part du mort Paris Editions Julliard 2004 I Autres uvres KHADRA Yasmina Le Dingue au bistouri Alger Editions Laphomic 1990 d r f Flammarion 1999 KHADRA Yasmina Double blanc Paris Editions Baleine Collection Instantan s de polar 1997 d r f Folio policier 2000 KHADRA Yasmina L Automne des chim res Paris Editions Baleine Collection Instantan s de polar 1998 d r f Folio policier 2000 KHADER Youcef D livrez la Fidayia Alger SNED 1970 KHADER Youcef Pas de Phantoms pour Tel Aviv Alger SNED 1970 11 Etudes consacr es au roman policier maghr bin BECHTER BURTSCHER Beate Entre affirmation et critique Le d veloppement du roman policier alg rien d expression fran aise Th se de 137 doctorat r alis e sous la direction des Professeurs Guy Dugas et Robert Jouany Universit s Paris IV Sorbonne et Innsbruck 1998 BECHTER BURTSCHER Beate Nai
105. euil 2001 p 221 Stora sandor Judith L humour juif dans la litt rature de Job Woody Allen Presses Universitaires de France Paris 1984 p 17 103 Quant aux fonctions de L humour chez Khadra on en compte principalement deux La premi re est de cr er au sein des romans une atmosph re moins pesante et moins angoissante ce qui permet au lecteur de garder une certaine distance vis vis de la cruaut des v nements d crits m me s il reste conscient de leur v racit En effet dans les polars de Khadra les faits d crits s inspirent malheureusement principalement de la vie quotidienne des Alg riens dans les ann es 80 et 90 Ainsi comme le d clare l auteur Ecrits conform ment au genre noir mes romans policiers r pondaient un souci d ordre purement p dagogique pour rendre compte du d rapage politique et de la r gression sociale qui caract risait 1 Alg rie des ann es 80 avant de sombrer corps et me dans le gouffre int griste Ce choix consistait surtout rapporter des atrocit s inou es sans traumatiser le lecteur L humour et le cynisme hilarant de mon commissaire s exer aient sous une forme th rapeutique De cette fa on on pouvait voir sans se culpabiliser La trag die alg rienne d passait l entendement Mes polars l expliquaient dans la fid lit mais avec un maximum de pr caution le choc est ainsi att nu et la lucidit du lecteur s enclenche sans p
106. eur stupeur se d couvrent des plaies des horreurs Tout de suite c est la panique En quelques minutes le soleil se voile la face et la nuit 9 toute la nuit s installe en plein c ur de la matin e Ce passage est en quelque sorte une reconstitution d une journ e d attentat comme le pays en a v cu de nombreuses Tous les l ments d une description r aliste s y retrouvent notamment travers les bruits le son de la d flagration qui branle violemment le b timent tout d abord puis le bruit de la bousculade des employ s qui d valent les escaliers Et enfin les cris des bless s et surtout leurs stupeur leur incr dulit face ce qui leur arrive et la difficult de r aliser qu ils sont bel et bien victimes d un attentat Cette stupeur ne dure que le temps de constater les blessures et rappelle au lecteur les cons quences horribles de l attentat Enfin l agent en faction qui r pond comme un automate voiture pi g e souligne le caract re habituel et d autant plus choquant de ce type d v nements On ne lui demande m me plus de quoi il s agit on le sait d j on veut juste savoir comment Lui m me n attend m me plus que la question soit pos e pour y r pondre 118 Morituri P 50 81 Mais la repr sentation du terrorisme trouve avec la mort de Serdj son expression la plus choquante Ce personnage familier de Lob et du lecteur est assassin sauvagement apr s a
107. evendiqu e est aussi un moyen pour Khadra de parer en quelque sorte la cat gorisation de ses uvres au sein d un genre mineur 100 CHAPITRE III L esth tique du rire chez Khadra Les r les de l humour et de l ironie dans les polars de Yasmina Khadra II 1 Descriptions des personnages et onomastique MI 2 Rupture de style et m lange des genres IMI 3 Repr sentation de la mort et critique sociale dans l uvre de Khadra 101 IN L esth tique du rire chez Khadra Les r les de l humour et de l ironie dans les polars de Yasmina Khadra L uvre de Khadra est une uvre qui parvient concilier le r alisme d nonciateur pr c demment tudi travers l analyse des personnages lieux et v nements des deux romans de notre corpus et une prise de distance vis vis de la situation d nonc e d autant plus efficace qu elle passe par le biais du choix du genre particulier qu est le polar et surtout par l utilisation assez nouvelle dans le litt rature maghr bine de l humour sans pour autant abandonner ou minimiser le parti pris de d nonciation et de t moignage qui caract rise cette uvre L criture de Yasmina Khadra illustre en effet avec brio une nouvelle tendance de la litt rature maghr bine qui a pour caract ristiques essentielles humour sous toutes ses formes ainsi que l ironie comme le d clare F Chaouli La nouvelle g n ration d
108. ge d artiste un humoriste plus exactement Le personnage d A t M ziane un ami d enfance de Llob est assassin apr s avoir t menac plusieurs reprises Sa mort symbolise celle de nombreux artistes alg riens et l impuissance des autorit s prot ger ces 120 Morituri p 121 121 Ibid p 122 82 personnes M ziane 8 en effet fait appel aux services de Llob qui n a rien pu faire pour lui Mais Khadra ne se contente pas de mettre en sc ne les atrocit s commises par le terrorisme en Alg rie et qui s inspirent directement de la r alit L auteur effectue une analyse plus approfondie de l int grisme en Alg rie et des circonstances qui ont t favorables sa recrudescence Il tente en exploitant ainsi d une fa on optimale les possibilit s que le genre offre de d signer les coupables par le biais des enqu tes de son commissaire et met galement en vidence les liens qui unissent les commanditaires de ces actes qui sont souvent des personnages hauts plac s et les int gristes En fait selon Khadra les v ritables responsables de la situation sont Un ramassis d anciens politiques qui n ont pas pardonn d avoir t vinc s d anciens patrons kleptomanes qui ont fini de purger leur peine et qui reviennent sur sc ne se venger des administrateurs destitu s des revanchards qui veulent prouver je ne sais quoi toute une confr rie de responsables irresponsables dont les ch
109. gertner dir Subversion du r el strat gies esth tiques dans la litt rature alg rienne contemporaine Etudes litt raires maghr bines n 16 Paris l Harmattan 2001 p 252 258 DEJEUX Jean Dictionnaire des auteurs maghr bins de langue fran aise Paris Karthala 1984 DEJEUX jean La litt rature maghr bine d expression fran aise Paris Presses Universitaires de France 1992 MILIANTI Hadj Une litt rature en sursis Le champ litt raire de langue fran aise en Alg rie Paris l Harmattan 2002 MOKHTARI Rachid La graphie de l horreur Essai sur la litt rature alg rienne 1990 2000 Batna Chihab ditions 2002 VI Ouvrages th oriques AMOSSY Ruth Les id es re ues S miologie du st r otype Nathan Paris 1991 BARTHES Roland L effet de r el in R Barthes L Bersani Ph Hamon M Riffaterre 1 Watt Litt rature et r alit Paris Seuil coll Points 1982 140 HAMON Philippe L ironie litt raire Essai sur les formes de l criture oblique Paris Hachette 1996 MADELAIN Jacques L errance et l itin raire lecture du roman maghr bin de langue fran aise Paris Sindbad 1983 SCHOENTJES Pierre Po tique de l ironie Paris Seuil 2001 STORA SANDOR Judith L humour juif dans la litt rature de Job Woody Allen Presses Universitaires de France Paris 1984 141
110. h et confirme s il demeurait encore un doute l alg rianit des ouvrages de Khadra qui trouve avec l onomastique une nouvelle forme d expression Morituri p 21 150 Ibid p 21 106 Ainsi Llob signifie par exemple c ur pur noyau dur Le nom d un de ses co quipiers Serdj d signe quant lui l ensemble des quipements qui forment le harnais ou la selle d un cheval 1 faut rappeler que cet animal 8 une image fortement positive dans la civilisation et la culture arabes Le lieutenant Chater de la section Ninja et le commissaire Dine ont galement des noms aux significations positives le premier d signe une personne rus e habile et d brouillarde Le second veut dire religion en arabe Enfin Lino d faut d avoir un nom franchement flatteur a du moins le m rite de faire sourire comme nous l avons d j vu Son surnom invent par Llob insiste sur la ressemblance du lieutenant avec Ces monstres hideux qui hantent les abysses oc anes et que les scientifiques appellent Lino arborifer Si les noms des coll gues et amis de Llob d signent plut t des qualit s admirables ceux des personnages antagonistes sont naturellement beaucoup moins flatteurs A commencer par l inspecteur Bliss Nahs le l che bottes du patron son nom complet signifie litt ralement diable et malheur ou plus simplement poisse car on reproche justement ce dernier de l attirer sur tous ceux qu i
111. hes et puissants personnages leurs pires d fauts une mani re pour lui de les remettre leurs 5 Morituri p 26 108 places en les ridiculisant et de se venger de l irrespect dont il font preuve son gard Ce genre de descriptions est aussi fr quent dans La part du mort comme en t moigne l exemple suivant Cette fois c est d un homme dont il s agit Hadi Salem ancien camarade de promotion de Llob l cole de police qui gr ce ses petites combines et ses pots de vin s est construit en quelques ann es une importante fortune et a fini par chouer au cabinet du ministre en qualit de conseiller pluridisciplinaire expert s magouilles en tout genre yt pour enfin se retrouver la t te d un tablissement s curitaire important Une esp ce de crapaud buffle tr s en vogue dans le pays en ces ann es de vache maigre Le genre qui pour un kilo de laitue ingurgit en chierait dix Contrairement la grenouille de Jean de la Fontaine il a r ussi de fa on magistrale sa mutation bovine Couronn d une norme t te de veau blanche et ras e comme celle que les boucheries fran aises exposent en vitrine il d veloppe un goitre plus bas une panse capable de contenir deux airbags un m decine ball et avec un peu de bonne volont un bon paquet de serpilli res Malgr les lunettes opaques qui lui voilent la face tel un pare brise de voiture officielle et son costume italien flambant neuf
112. humour virtuose comme nous le verrons dans cette partie avec quelques exemples tir s des romans de notre corpus Le style de Yasmina Khadra se distingue par l audace des m langes qu il se permet Aussi il n est pas rare de constater que dans ces uvres la gravit de certains passages s rieux se trouve en quelque sorte d samorc e par ces m langes En effet l humour ravageur de certaines prises de parole du narrateur succ dant ou pr c dant les passages les plus s rieux diminue la gravit de ceux ci et participe la cr ation d une atmosph re moins tendue Comme on peut le voir dans cet extrait o Llob apr s avoir fait comprendre son ami l humoriste Ait M ziane venu lui faire part des menaces terroristes dont il fait l objet et lui r clamer son aide qu il ne pouvait rien pour lui et que les personnes menac es comme lui taient trop nombreuses pour tre toutes prot g es L auteur par le biais de son personnage Llob se lance dans une description navrante du d part de l humoriste que l on sait d sormais condamn Il se l ve comme un rideau sur des planches honnies Les coulisses de son me corch e me paraissent d un coup aussi opaques que les abysses J ai honte de le voir s en aller ainsi d u et perdu tel un espoir qui s effiloche l heure o se fossilisent les consciences Puis il encha ne tout de suite ainsi Quand Ghoul Malek m a ordonn de passer
113. i re en tant qu hommes de main pour effectuer le sale boulot Une fa on comme une autre pour eux d avoir leur part du g teau Car comme les explications de l auteur semblent le sugg rer les enjeux r els du terrorisme int griste en Alg rie n ont rien d id ologique Il s agirait plut t de d tourner l attention des populations en faisant en sorte que leur seule pr occupation soit leur survie et de les maintenir dans l ignorance en assassinant ceux qui pourraient d noncer les faits et veiller les esprits crivains journalistes pendant que la mafia politico financi re d p ce le pays en instaurant le chaos propice ses magouilles Cette th orie d un vaste complot savamment organis par des personnages influents impliqu s avec des terroristes s exprime particuli rement dans Morituri Dans le passage qui suit un des collaborateurs de cette mafia explique Llob quel point elle est organis e et comment ses membres se sont servi de lui dans l affaire de l mir responsable des assassinats d intellectuels commissaire g n ralement quand on se croit malin on n est jamais que le dindon de la farce Tenez cette histoire d Abou Kalybse c est quoi C est tout simplement l histoire d un autre malin d un autre dindon Un mir qui ne figurait pas sur l organigramme officiel des terroristes s est mis faire des siennes Comme ce qu il faisait n tait pas pr
114. i jur du talent o le g nie est trait en hors la loi Auteur d un tas de bouquin tous dit s en France faute de preneurs au bled l poque comme aujourd hui d ailleurs et demain sans aucun doute l lite du s rail veillait scrupuleusement maintenir le QI des Alg riens hauteur de celui de leurs responsables c est dire aux alentours des braguettes il a connu pas mal de tracasseries avec les autorit s qui voyaient en ces travaux scientifiques des man uvres subversives l instar des gens de bonne volont soumis aux bons soins d une bande de voyou messianique le professeur Allouche fit l objet de plusieurs enl vements de s questrations de brimades de simulacres d ex cution et fut 1 175 m me forc l exil Khadra d nonce ici tout en se moquant avec humour de l lite des responsables alg riens la situation des intellectuels il met galement en lumi re les diff rentes pressions et intimidations dont ces derniers peuvent tre victimes et qui peuvent aller jusqu l incarc ration On peut noter ici que cette d nonciation est toujours d actualit aujourd hui puisqu on continue encore d emprisonner des journalistes et des intellectuels en 175 La part du mort p 26 121 Alg rie L auteur n omet pas de signaler galement dans ce passage le peu d importance accord la culture et l dition Mais si Yasmina Kha
115. iens d ailleurs il semblerait qu il n en ait commis aucun part peut tre celui de ne pas choisir clairement son camp et il chappe m me aux descriptions caricaturales et hilarantes qui 130 La part du mort P 247 BI Thid 245 89 caract risent la grande majorit des personnages des romans de Khadra Les autres victimes voqu es bri vement dans le roman ne nous sont d crites qu en tant que telles les harkis endossent ainsi le r le de victimes absolues puisque aucun exemple concret de trahison n est voqu L explication la plus plausible serait que Khadra ait estim qu il est inutile aujourd hui apr s tant d ann es de remuer le couteau dans la plaie Quoiqu il en soit peut tre aurait il t int ressant d avoir l avis de l auteur sur cette question et sur ce qui a motiv son choix pour un sujet aussi pineux Ces interrogations l auteur semble cependant les avoirs anticip es puisqu il y donne en quelque sorte des r ponses dans l extrait suivant qui r unit l historienne Soria Karadach et Labras que se demande justement pourquoi celle ci et Llob cherchent remuer le pass en voquant les massacres des harkis dans sa r gion C est un sujet tr s controvers vous ne trouvez pas j esp re que vous savez o vous mettez les pieds Il est grand temps de faire le deuil de cette guerre dit Soria La seule fa on d y parvenir est de la regarder droit dans l
116. ient os franchir jusque l prisonniers d une culture fran aise et du souci de bien pasticher Sa premi re uvre envo tante et blouissante o se m lent clins d il motion sensibilit quasi f minine tendresse dr lerie po sie et humour ravageur pr te rire quant elle ne donne pas pleurer C est ce qu il faut appeler sans forcer les mots du grand d art Tant de fra cheur et d ironie douce am re a ne se fait gu re chez 095 Khadra n h site donc pas m langer langage familier et soutenu Fran ais et Arabe passages s rieux voire m me dramatiques et passages l ger et comiques Les sujets trait s sont eux aussi associ s malgr leur diversit Ainsi se c toient dans les romans de Khadra richesse et pauvret beaut et laideur grandeur d me et bassesse absolue rires et larmes 163 Nacer Ouramdane Enigmes C R De La Foire aux enfoir s Alg rie Actualit 21 27 D cembre 1993 Cit par Hadj Miliani dans Paysages Litt raires alg riens des ann es 90 p 109 164 Le dingue au bistouri arr t par un draguerillero par Abderrahmane Loun s Le jeune ind pendant N 64 28 janvier 3 f vrier 1992 Cit par Hadj Miliani dans Paysages Litt raires alg riens des ann es 90 p 109 114 Tous ces assemblages tous ces m langes n ont pour but comme le sugg re F Chaouli que de cr er une tranget profitant la recherche d un
117. imension d nonciatrice de l uvre en ce qu il permet l expression de critiques tr s virulentes sans tomber dans un ton moralisateur et permettre au lecteur de lire en filigrane l inscription d une Histoire souvent trouble et mouvement e sans en tre trop affect Nous tudierons ainsi dans ce dernier chapitre les diff rentes moyens que l auteur utilise pour cr er ces effets comique Nous verrons que l humour et la d rision transparaissent particuli rement travers les descriptions des personnages et m mes travers les choix des noms que l auteur leur invente Le m lange des langues des tons et des registres langagiers fait galement partie des l ments qui parviennent cr er des effets comiques originaux et cr atifs 14 dans les polars de Khadra comme nous le d montrerons dans cette seconde partie de notre dernier chapitre Pour finir nous voquerons la dimension de critique sociale exprim travers l humour et l ironie dans les uvres de notre corpus ainsi que les effets de ce recours l esth tique du rire sur la repr sentation de la mort 15 CHAPITRE I LES ROMANS POLICIERS DE KHADRA DES POLARS L ALG RIENNE I 1 Origines et volution du genre I 2 Apparition et volution du genre en Alg rie 2 1 Les romans d espionnage des ann es 1970 I 2 2 Les romans policiers des ann es 1980 2 3 les romans policiers des ann es 1990 Le cas Yasmin
118. ion aussi complexe pour ne pas dire tragique que celle qu a v cu l Alg rie dans les ann es 90 cela n emp che pas le lecteur de conserver une certaine distance vis vis de l horreur d crite Cet effet de distanciation qui d coule entre autres du recours de l auteur l humour et l ironie sera donc le th me de notre dernier chapitre Ainsi nous tenterons de r pondre dans le second chapitre aux questions suivantes le genre policier peut il malgr sa r putation de genre mineur t moigner et d crire les probl mes sociaux conomiques et politiques d un pays en proie une guerre aussi violente que celle que l Alg rie a v cue Et par quels moyens tente t 1l de le faire Pour r pondre cette question nous examinerons les diff rents proc d s que Khadra utilise pour ancrer ses romans dans cette r alit qu il d crit Dans un premier temps nous nous int resserons aux personnages que l auteur imagine et nous verrons jusqu quel point ils sont repr sentatifs des diff rentes strates de la soci t alg rienne Nous voquerons par la suite les lieux que Khadra choisit de nous faire visiter dans ses romans et nous tenterons de d duire travers ses diverses descriptions souvent pr textes des critiques assez virulentes le caract re r aliste de l uvre Nous poursuivrons ce chapitre avec 13 une analyse des v nements d crits dans les deux romans du corpus nous verrons qu
119. ions Laphomic 1990 p 49 14 Khadra Yasmina Morituri Paris Folio policier 1999 p 18 56 Llob est de savoir que sa position ne constitue pas une menace pour sa seule personne En voquant son fils il constate Il est fils de flic Dans la convention int griste il m rite le m me sort que son p re On a gorg pas mal de gosses simplement parce qu ils avaient des parents soldats ou policiers Ce sentiment de peur qui 8 t partag par des milliers d alg riens pendant plus d une d cennie apporte au personnage la vraisemblance d un sujet d actualit qui fait que le lecteur veut le suivre dans ses enqu tes et qu il y adh re totalement En outre il en fait dans le cas du lecteur alg rien un personnage auquel il peut s identifier puisqu il vit les m mes tourments et les m mes inqui tudes quotidiennes En effet d s la premi re page de Morituri la r alit nous rattrape les temps sont durs un malheur est si vite arriv d clare le commissaire en s extirpant de son plumard compl tement d vitalis par un sommeil l aff t du moindre friselis M me le sommeil perd ses vertus reposantes Au r veil Llob est fatigu d vitalis parcourir les deux cents m tres qui le s parent du garage o il range sa voiture semble tre une v ritable exp dition parfois il a tellement les jetons qu il envisage de rebrousser chemin Cette pression permanente rajout
120. iptions des personnages et onomastique Khadra brosse dans ses uvres une multitude portraits plus hilarants les uns que les autres Le choix des personnages leurs descriptions et m me leurs noms pr tent sourire et cela qu ils soient amis ou ennemis du commissaire n anmoins on d c le bien une certaine volont de ridiculiser les personnages antagonistes en les affublant de caract ristiques encore plus risibles Mais ce qui est vraiment remarquable c est que le narrateur ne s pargne pas lui m me Sa lucidit lui octroie un grand sens de l autod rision dont il ne manque pas de faire profiter le lecteur comme nous pouvons le lire dans ce passage o Llob se rend une sompteuse f te organis e par le gendre d un personnage politique tr s influent dans sa villa Hydra Llob d crit ici sa tenue vestimentaire tout en ironisant au passage sur l habilet des leaders du r gime en mati re de politique interne pendant l poque socialiste alg rienne C est un costume que je portais du temps o le r gime nous sortait des r volutions tout bout de champ avec l adresse patante d un prestidigitateur A cette poque le tergal bon march faisait socialiste conformiste et les 105 d magogues l appr ciaient m me lorsque leur alpaga tincelant frisait 3 22 2 149 P h r sie Le tout est agr ment avec Une cravate clownesque d avant la nationalisation des hydrocarbures Mina
121. ise de la fin des ann es 80 le drame du terrorisme ainsi que les tueries dont ont t victimes des centaines de familles de Harkis au lendemain de l ind pendance de l Alg rie en 1962 sont les principaux faits historiques que l auteur traite Khadra nous renseigne sur une partie de l Histoire du pays d un point de vue interne et tr s lucide 117 Dubois Jacques Le Roman policier ou la modernit Paris Nathan 1992 147 18 Maleski P 289 80 Dans les deux romans qui accompagnent le quotidien du commissaire on retrouve une multitude de situations r alistes qui renvoient au quotidien des Alg riens Entre autres deux exemples d attentats sont pr sents dans Morituri Le premier se d roule tout pr s du commissariat Llob qui est l int rieur d crit l incident et la panique des employ s l int rieur de l tablissement Une formidable d flagration branle le b timent Aussit t des piaillements et des cavalcades nous cascadent dessus tout le monde se rue vers 18 cour la figure violac e et le dos frissonnant dans 18 rue les badauds regardent le drame sans le r aliser Une voiture br le les quatre fers en l air Une fum e noire z bre les fa ades Des corps disloqu s saignent sur le pav voiture pi g e balbutie l agent en faction Le gosse il a vol comme une flamm che Quelqu un hurle apr s des ambulances Ces cris nous d grisent Les gens mergent de l
122. itorial le succ s des aventures de SM 15 ait sans doute eu un impact b n fique il n en demeure pas moins regrettable que ces premiers pas en mati re de litt rature polici re n aient pas b n fici d une approche plus originale o l influence des id es politiques et du discours id ologique du moment soit moins perceptible Pour conclure nous reprendrons les propos de Belhadjoudja qui fait le constant suivant Initialement destin e faire face au racisme anti arabe v hicul par les polars occidentaux l dition alg rienne ne fait qu inverser les p les actantiels le h ros tant cette fois ci un arabe tandis que la fonction d opposant est remplie par les Isra liens et leurs alli s occidentaux L inversion ne va pas plus loin puisque d une mani re directe ou insidieuse Belhadjoudja p 228 Le lien entre les id es politiques et l uvre de Khader appara t d autant plus vident que ces romans semblent r sulter comme le signale E Maleski dans sa th se d une d marche politique d une commande laquelle Y Khader a bien voulu r pondre Cette perspective extra litt raire para t d autant plus ambigu que Youcef Khader pseudonyme de Roger Vilatimo dit Vlatino 1918 1980 n est en r alit pas alg rien 38 les forces du bien et du mal s affrontent coup de sobriquets et qualificatifs s P 4 racistes dans la plus pure tradition du sous genre
123. l approche Toute la flicaille du pays pr f re rencontrer un chat noir la nuit du destin plut t que de deviner l inspecteur Bliss dans les parages Le probl me avec lui c est qu on 8 beau r citer des incantations beau se barder de talismans J3 152 rien faire le sortil ge a immanquablement le dernier mot On retrouve galement parmi les principaux ennemis 6 Llob dans Morituri un certain nombre de personnages aux noms la fois burlesques et hautement significatifs Ghoul Malek par exemple qui fut et qui demeure un personnage tr s influent a pour pr nom Malek qui signifie propri taire ou roi et pour nom Ghoul autrement dit ogre On retrouve galement dans ce m me roman des personnages tels haj Garne la corne ou encore Abou Kalybse nom form d un jeu de mots partir du fran ais apocalypse et de l arabe abou p re de ce dernier comme son 12 Khadra Le dingue au bistouri p 12 152 Thid 93 107 nom l indique est l mir responsable des assassinats d intellectuels alg riens que Llob recherche et dont le v ritable nom est Sid Lankabout l araign e Dans La part du mort l auteur fait toujours preuve de beaucoup d imagination 101549 1 s agit de baptiser les adversaires de son commissaire on retrouve donc ici des personnages tels que Haj Thobane le serpent ou Hocine El Ouahch le monstre dont les descriptions sont aussi parlantes que les noms comm
124. le ci et sur les principales cons quences n gatives d coulant de la m connaissance du pass pour d montrer quel point cette connaissance est n cessaire pour parvenir se forger une identit fi re et forte et viter de reproduire les erreurs du pass Khadra qui avec ses polars parvient revisiter sa fa on la post ind pendance alg rienne dresse un bilan certes pessimiste mais offre en m me temps les clefs pour viter de r it rer les erreurs qui ont conduit cette situation Il pr conise 136 Ibid p 114 115 116 93 avant tout de se tourner vers l avenir au lieu d id aliser son pass et de regarder ce pass en face pour en tirer les enseignements qui s imposent Nous avons pu constater tout au long de ce chapitre que Khadra parvient par le biais du r alisme de ces polars non seulement d crire la complexit de la situation en Alg rie mais qu il r ussit galement en exploitant d une fa on id ale les potentialit s du genre d signer les coupables de cette d rive L efficacit de cette d nonciation et son caract re r aliste s expliquent par le fait que le polar est ind niablement le genre le plus adapt la description de la r alit alg rienne En d autres termes la situation en Alg rie est malheureusement bien proche de l atmosph re que les polars d crivent Ce monde de terreur policier s il en est et plus romanesque que nature gt ne pouvait
125. le de l intellectuel et de l crivain en particulier qui se doit 1 veiller les consciences en d non ant et en informant ses compatriotes Ce r le ne peut tre assum et rempli pleinement si l crivain se laisse acheter ou compromettre En d finitive c est d int grit intellectuelle et d ind pendance qu il s agit si l intellectuel prend parti ou se laisse acheter il perd n cessairement son droit d exercer sa libert d expression Il semblerait que Khadra veuille avant tout d montrer ici ceux qui pourraient en douter qu il n est au service de personne que ses crits ne font que d crire une certaine r alit pour mieux la d noncer ainsi que ses responsables et que ses choix th matiques ne r sultent pas de commandes ditoriales trang res visant exploiter un filon rapporteur L auteur interroge galement la situation de l intellectuel en Alg rie dans Morituri Dans ce dialogue entre Lino et Llob le commissaire r pond cyniquement son subalterne qui se demande pourquoi les gens de lettres sont aussi marginalis s dans la soci t alg rienne Quel g chis Pourquoi diable s acharne t on comme a sur les gens de lettres commy a ne date pas d aujourd hui Lino C est une vieille histoire Traditionnellement dans notre inculture s culaire le lettr a a toujours t Autre l tranger ou le conqu rant Nous avons gard de cette diff rence
126. le m me h ros le commissaire Llob mais ne signera plus ses romans sous son nom c est en effet partir de la publication de ces uvres en France qu il adoptera le pseudonyme f minin de Yasmina Khadra Pr cisons d ores et d j que c est deux de ses romans policiers publi s en France que nous nous int resserons N anmoins cela ne nous dispensera pas d voquer les premiers romans du cycle ceux publi s en Alg rie notamment Le dingue au bistouri De plus notre approche sera sensiblement semblable celle que nous voquions plus t t en ce sens que nous aurons pour but dans ce travail de d montrer le lien entre l uvre et la r alit qu elle refl te Certes cette approche comme nous le signalions n est pas tout fait in dite dans le domaine des litt ratures maghr bines mais elle l est sensiblement plus lorsqu il s agit de litt rature polici re compte tenu de la jeunesse de celle ci en Alg rie et de la parution assez r cente des uvres de notre corpus d tude Ce corpus se constituera du premier roman policier de Khadra publi en France Morituri et du dernier de la s rie La part du mort Mais avant de nous int resser l tude de ces deux uvres de d une fa on plus d taill e nous effectuerons dans un premier temps un bref parcours th orique Nous voquerons ainsi pour commencer les pr mices du genre policier ainsi que les auteurs qui l on doit la cr ation de ce
127. les bars interlopes qu avec une loupe pench sur les traces d un d linquant Cette phrase tourne en d rision en quelque sorte le mod le absolu qu est Sherlock Holmes que l on reconna t bien videmment dans cette allusion et affirme que cette vision n est qu un st r otype ou une 1d alisation du flic qui en Alg rie n a rien de r aliste Cette vocation d un autre personnage de fiction dans le r cit peut tre interpr t e comme le relevait E Maleski comme un moyen de transformer les pr tendus fins limiers repr sent s notamment par Sherlock Holmes en purs personnages de fiction et de donner l impression de promouvoir l inverse de mani re plus ou moins raffin e 1 enqu teur 9 dans la vraie vie Ainsi en insistant sur l aspect irr aliste de ce type de personnages l auteur en y opposant les siens assure leur vraisemblance et donne encore plus l impression de les faire voluer dans la vie r elle En outre si la lecture d un roman policier classique on peut tre quasiment certain que la fin consacrera la victoire du bien sur le mal en ce qui concerne les polars de Khadra rien n est moins s r En effet nul ne peut pr dire le d roulement des v nements les romans se veulent aussi impr visibles et aussi absurdes que la 138 La part du mort p 90 13 Maleski Estelle Op cit p 161 95 r alit alg rienne elle m me peut l tre Du
128. les et muleta 1981 Houfani Berfas Le Portrait du disparu 1986 Les Pirates du d sert 1986 Rabah Zeghouda Double Djo pour une muette 1988 et Mohamed Benayat Fredy la rafale 1991 N anmoins ils sont int ressants dans la mesure o ils occupent selon B Bechter une position transitoire entre les romans d espionnage de la premi re p riode et les romans noirs qui vont peu peu prendre une place importante dans la production de l poque Ceux ci se caract riseront pour leur part par une nette volution au niveau stylistique et th matique en ce sens que ces romans plus particuli rement ceux de Djamel Dib La R surrection d Antar 1986 La Saga des djinns 1986 L Archipel du Stalag 1989 et de Salim A ssa Mimouna 1987 Adel s emm le 1988 se distingueront par une approche plus critique et plus impr gn e socialement Nous ne nous attarderons pas plus longtemps sur les premiers romans de cette p riode car ils sont unanimement jug s comme tant d une qualit litt raire assez limit e Nous retiendrons cependant un certain changement en ce qui concerne les romans noirs de Houfani Berfas qui transf re l action des ces Maleski p 95 72 Bechter p 90 Ces diff rents romans ont t publi s Alger Banderilles et muleta la SNED Mimouna chez Laphomic et les autres rel vent de l ENAL 40 romans en Alg rie avec des enqu teurs qui ne sont plus des espions mais p
129. lob l avait surnomm ainsi parce qu il ressemble trangement sobhane Allah ces monstres hideux qui hantent les abysses oc anes et que les scientifiques appellent Lino arborifer ces lecteurs ont d tre surpris par l allure que ce personnage arbore dans La part du mort En effet Lino est pr sent comme un beau gar on soucieux de son apparence et tr s ambitieux Il semblerait que son changement soit principalement d la m saventure qu il vivra dans La part du mort lorsqu il sera s duit par une jeune femme de la haute soci t alg roise qui n est autre que la ma tresse de Haj Thobane Celle ci le d laissera apr s quelques jours de bonheur parfait pour revenir dans les bras de son amant Cette machination n avait en fait pour seul but Morituri P 26 1 Le dingue au bistouri p 12 59 que de provoquer la d ception et la jalousie de Lino faisant ainsi de lui le coupable id al lors de la tentative d assassinat dont allait tre victime son Haj Thobane Ainsi le pauvre inspecteur sera non seulement totalement an anti par cette d ception amoureuse mais il sera galement accus de tentative de meurtre et jet dans une prison ultra secr te L 1 sera victime pendant plusieurs jours des mauvais traitements que lui infligeront ses ge liers Lino sortira de cette exp rience qui l a en quelque sorte remis sa place presque enti rement d truit 1l perdra son physique de be
130. lut t des inspecteurs sp ciaux charg s de leurs missions par la police ou le minist re ce qui n est pas encore le cas chez Larbi Abahri qui avait crit un roman d espionnage N anmoins L Abahri aborde dans son roman la crise conomique qui touchera 1 Alg rie d s le d but des ann es 1980 Les principaux sympt mes de cette crise sont comme le rel ve le sociologue W Bouzar la baisse des revenus des hydrocarbures l apparition du trabendo la multiplication des cas de fraudes fiscales et de d tournements de fonds favoris s par un certain laxisme l gard de ces questions du Pr sident Chadli Ainsi toujours d apr s W Bouzar D une fa on g n rale les d buts de la lib ralisation conomique n ont fait qu aiguiser les app tits de la nomenklatura Pour toutes ces raisons l Etat 5 57 perd norm ment d argent Cependant bien que l auteur tente de porter un certain regard sur cette situation 1l ne parvient pas ancrer son uvre dans la r alit alg rienne puisque le plus souvent c est des pays trangers qu il impute la responsabilit de la crise conomique qui touche le pays comme le souligne R Belhadjoudja en ces termes Il ne s agit plus de combattre le sionisme mais de s attaquer aux crimes conomiques grevant les finances du pays et perp tr s par des op rateurs alg riens et internationaux En cela la rupture n est que partielle car m me si l int
131. me contemple dans la glace trop amoureuse pour me trouver l air du p quenot affranchi que j incarne pourtant avec beaucoup d authenticit Khadra semble insister ici sur l aspect caricatural de la tenue vestimentaire de son commissaire comme pour minimiser la m fiance que pourraient avoir son gard ses principaux adversaires et pour signifier encore une fois que Llob accorde peu d importance son apparence qu il n a de toutes fa ons pas les moyens d am liorer D ailleurs les passages o Llob se fait chasser cause de son apparence des endroits les plus hupp s de la capitale sont nombreux et plus loufoques les uns que les autres Les autres personnages ne sont pas en reste ils sont d ailleurs affubl s de noms tout fait significatifs L auteur concentre en effet dans l onomastique l oralit des sonorit s arabes tout en utilisant des mots qui ne sont pas d nu s de sens pour celui qui conna t la langue Aussi presque tous les noms que Khadra invente peuvent renseigner d une mani re ou d une autre le lecteur averti sur la personnalit le caract re ou la fonction de celui qui le porte Et bien que la totale compr hension de la signification de ces noms et donc de l aspect comique de ces derniers exige une certaine ma trise de la langue arabe elle cr e pour peu que cette condition soit pr sente une certaine connivence entre scripteur et lecteur Ce qui garantit l effet recherc
132. mportance capitale dans l uvre de Chandler et dans la litt rature polici re en g n ral car selon E Maleski 5 Encyclop die Microsoft Encarta 2002 F Lacassin Mythologie du roman policier Mesnil sur l Estr e Editions Bourgois 1993 nouvelle dition augment e et mise jour p 199 200 Cit par E Maleski op cit p 30 23 il incarne le d tective priv sous sa forme d finitive En marge des lois et des institutions mais du c t du Bien Marlowe puise sa force dans une forme de cynisme aiguisant son sens critique tout en masquant une profonde sensibilit sous ses airs de dur cuire le Priv cache une bont d me remarquable Alors que le d tective type du roman d nigme para t motiv essentiellement par son go t de l nigme par cette forme de jeu intellectuel dans lequel l entra ne le myst re du crime le d tective de roman noir semble agir par compassion Raymond Chandler a donc apport au roman noir inaugur par Dashiell Hammett une touche d humanit suppl mentaire qui 8 sans doute fortement contribu l attachement du public pour le Priv et qui en a fait la figure mythique qu il est rapidement devenu et qu il 17 demeure encore aujourd hui En ce qui concerne l arriv e et la diffusion du roman noire en France on la doit notamment Marcel Duhamel qui lance aux ditions Gallimard la collection s rie noir qui proposait entre
133. n h ros de Mari qui la tient en laisse depuis vingt huit ans qui ne sait pas lui gazouiller des vers qui ne sait pas lui offrir des bijoux pas m me des fleurs pour son anniversaire qui ne lui paie pas des voyages pour 7 92 les centres commerciaux d outre mer Llob montre qu il sait ce qui pourrait faire plaisir sa femme mais il n en fait rien puisque celle ci semble se contenter de ce qu elle a Khadra souligne ainsi un fait important tout en relevant l injustice de cette situation Le dingue au bistouri p 83 A Khadra Yasmina Double blanc Paris Folio policier 2000 p 63 2 Le dingue au bistouri p 57 65 Il fait remarquer que l ordre patriarcal est aussi imputable aux femmes qu aux hommes Khadra sugg re que ce statu quo n est pas pr s de changer Tant que la majorit des hommes ressembleront Llob et la majorit des femmes Mina la situation stagnera 1 pense que les hommes tiennent trop leurs privil ges et que les femmes s en sont si bien accommod es que sc 3 les mentalit s ne changeront pas Ce pessimisme de la part de l auteur quant l volution de la condition f minine explique jusqu un certain point que son engagement pour cette cause soit limit mais en fin de compte il t moigne surtout d un certain attachement de l auteur aux valeurs traditionnelles des soci t s maghr bines Les deux tudes de B Bechter Burtscher et de
134. ns le combat contre la colonisation du fait que les principaux auteurs de cette p riode se sont peu peu loign s de ces th matiques cela peut tre surtout interpr t comme une entr e de la r ception de ces textes dans une re postcoloniale Cette modification de la perception de ces textes n entra ne pas pour autant un changement par rapport aux attentes qu ils suscitent il s agit en effet tout au plus d un d placement dans les p riodes temporelles voqu es Ainsi on attend toujours de la litt rature alg rienne d expression fran aise qu elle r fracte le r el Il y 8 seulement d placement de 18 focalisation v nementielle de cette lecture Prise en compte d une actualit qui a chang Il ne s agit plus ni d anticolonialisme ni de contestation des tats en place mais d une sorte de prise en charge directe de la lourdeur du r el 5 Cette prise en charge d une actualit plus contemporaine notamment avec l vocation de la d cennie 90 se fait particuli rement sentir dans les textes des nouveaux auteurs d autant plus si ceux ci sont dit s en France En effet les Miliani Hadj Une litt rature en sursis Le champ litt raire de langue fran aise en Alg rie Paris L Harmattan 2002 p 213 cet gard Charles Bonn relevait l abandon de ces crivains reconnus de ces th matiques et le fait que ces derniers d sormais d centrent souvent le lieu de
135. ns participent ainsi la cr ation de cette atmosph re comique n cessaire pour captiver le lecteur et faire passer les critiques des plus os es des comportements de certains Alg riens toutes cat gories sociales confondues Le comique et l humour s expriment galement dans l utilisation assez particuli re de la langue fran aise que Khadra met en place En effet l auteur parvient r aliser dans ces textes des m langes tout fait inattendus Ainsi le lecteur peut lire des passages s rieux voire m me dramatiques auxquels succ dent imm diatement des passages l gers et comiques ce qui a pour effet de d dramatiser les situations les plus complexes sans en att nuer l importance et de permettre au lecteur de poursuivre sa lecture et de se replonger instantan ment dans la fiction De la m me fa on Khadra 8 galement recours d autres m langes tout aussi impr visibles en mati re de vocabulaire ou de langue l auteur n h site pas par 186 Bonn Charles Paysage litt raire des ann es 90 op Cit p 11 134 exemple m langer fran ais et arabe registre familier et registre plus litt raire ce qui aboutit 18 cr ation d un humour cr atif et original Enfin ces effets comiques participent la prolongation de la critique sociale d j amorc e par le r alisme de l uvre et participent la d mystification de la repr sentation de la mort Ce que nous pouvons retenir l
136. nt un certain pouvoir L enqu te m ne le commissaire sur les traces d un certain Abou Sans nom patronymique initiales par lesquelles on d signait les orphelins de la guerre d ind pendance dans les ann es 1960 La part du mort P 64 49 Kalybse un mir responsable des assassinats de plusieurs intellectuels qui pr tend ainsi corriger la mentalit du peuple alg rien Pendant cette enqu te o il tente de d couvrir la v ritable identit d Abou Kalybse Llob est menac par les int gristes plusieurs reprises il perd m me un de ses coll gues et ami l inspecteur Serdj qui est enlev puis assassin par ces derniers Lorsque Llob parvient enfin d couvrir la v ritable identit Abou Kalybse ce dernier se fait assassiner sous ses yeux et le commissaire comprend enfin que cette histoire de disparition n tait en v rit qu un pr texte pour l attirer dans une enqu te qui n avait pour autre but que de d masquer un mir g nant pour que ses ennemis puissent enfin se d barrasser de lui N anmoins Llob ne parvient pas renoncer cette affaire il continue ses investigations et d couvre que c est une v ritable organisation mafieuse qui s occupe de recruter des hommes de main pour organiser des op rations terroristes Ce qui met en vidence les liens de certains personnages puissants du pays avec les int gristes En effet la t te de cette mafia politico financi re se trou
137. odeur de poudre n a fauss les senteurs de sa f licit Les nababs du bled y vivent en rentiers la panse bien garnie l il riv sur le trip sec 103 des cupidit s Les habitants y trouvent m me le moyen d organiser des f tes ce qui exasp re encore plus Llob lorsqu il se voit oblig d y assister en voyant tout ce luxe tal sous ses yeux il d clare non sans amertume Je reste un chouia admirer le palais du pistonn un rez de chauss e faire saliver un mir du Kowe t deux tages me faire crever plut t deux fois qu une Que de marbre d outre mer que de provocations assassines le J 104 salon est presque aussi vaste que mon fiel En r alit ces gens incarnent tout ce que Llob d teste Pour lui ces grosses fortunes dans cette p riode de crise conomique sont beaucoup trop louches Mais ce qui exasp re le plus Llob c est surtout le mode de vie de ces personnes 102 Ibid 166 15 Morituri P 22 104 Ibid p 22 23 72 leur facult d ignorer ce qui se passe autour d eux et de ne se consacrer qu a l accroissement de leurs fortunes Chacun s vertue construire une villa plus belle que celle du voisin ou une piscine plus grande le souci premier tant de s afficher et de se faire remarquer comme il le constate dans La part du mort A Alger plus personne ne tient vivre pour soi m me a rappelle trop l indig nat La mode est l ostent
138. ogramm ben il sapait la chor graphie mise en place Le plus grave l intrus ne s emp chait pas de puiser dans la r serve du contingent et c tait pas bien du tout Il discr ditait les vrais commanditaires aupr s de leurs partenaires Il devenait par cons quent urgent de localiser la cellule canc reuse Il fallait un bon d pisteur et il n y avait pas mieux sur le march que le commissaire Llob 13l Morituri p 114 84 Vous avez mordu l hame on Gr ce vous on a fait d une pierre deux coups On s est d barrass de l intrus et on l a fait dans la l galit Pour le commun des contribuables la police a r gl son compte Sid Lankabout alias Abou Kalybse L affaire est class e 17 Plus loin l int ress explique Llob qu il ne peut en aucun cas esp rer vaincre la mafia politico financi re car ces responsables ont des appuis partout Ces gens l sont les plus forts Inexpugnables Ils ont la rigueur de l Organisation du Crime la solidarit de 18 Cosa Nostra l immunit des parlementaires et l impunit des dieux Ici ce n est ni l Italie ni la France ni les Etats Unis Ici la justice se prostitue aux plus offrants Les valeurs fondamentales sont inh rentes aux relev s bancaires Si vous avez du fric vous tes chics Tout fait chics Absolument chics Si vous n avez x 126 pas le sou m me si vous tes le Messie tout le monde s en fo
139. ommenc vacuer les lieux les atrocit s ont repris en redoublant de f rocit Des familles taient traqu es de jour comme de nuit par ceux qui taient cens s les avoir d livr es Les fellagas se d cha naient ils mettaient le feu et aux champs des vaincus les ex cutions sommaires se prolongeaient dans des purges inou es Dans les ruelles tous les matins on faisait d filer les tra tres auxquels on avait coup le nez et les l vres avant de leur trancher le cou sur la place du village Je n oublierai jamais ces centaines de corps charcut s qui pourrissaient dans les vergers ces pauvres bougres livr s la vindicte populaire que les galopins lapidaient en leur crachant dessus ces femmes et ces mioches terroris s qui fuyaient vers 2 131 les montagnes d o ils ne reviendraient plus Ces passages constituent une analyse assez pertinente de ce qu tait la situation des harkis l poque ils expliquent la confusion qui r gnait chez des populations souvent pauvres et d munies et justifient le choix ou l absence de choix de certains non comme une preuve de l chet ou de trahison mais plut t comme une incompr hension de la situation et de ses enjeux r els L indulgence de l auteur vis vis des harkis transpara t particuli rement dans la description qu il nous fait de Labras En effet nous ne connaissons pas en r alit les crimes qui l ont rendu coupable de traftrise aux yeux des s
140. orsqu il s agit d appr hender ce type de notions Quand il s agit de l humour d finition est un mot plein de dangers On peut tendre cette mise en garde tous les ph nom nes qui rel vent de ce qu on peut appeler le risible En effet depuis que les peseurs se sont pench s sur ce probl me la s rie commence avec Platon et Aristote aucune d finition n a pu tracer des fronti res universellement reconnues entre les diverses cat gories de ce ph nom ne On trouve de l humour dans 18 com die du comique dans l ironie du tragique dans l humour de l ironie dans la satire du cynisme ou du scepticisme dans l esprit du comique dans 147 l ironie humoristique etc De plus si nous voquons galement l ironie chez Khadra dans ce chapitre consacr l esth tique du rire c est que souvent l ironie cr e un effet comique dans ses oeuvres Il est galement important de relever que d une mani re g n rale ce ne sont pas v ritablement les situations qui sont risibles dans ces polars le comique r side plut t dans le choix des mots et leur agencement Ce sont donc surtout les r pliques les dialogues et les descriptions qui confirment l habilet de l auteur qui use d un vocabulaire cr atif en m langeant les styles les tons voire m me les langues pour produire les effets comiques que nous tudierons 1 1 146 Schoentjes Pierre Po tique de l ironie Paris S
141. paradis moi je me ferais ch trer par un plombier 156 La part du mort P 64 157 Morituri p 18 110 Au del de l aspect comique de cet extrait l auteur travers le regard de son commissaire analyse la motivation de certains terroristes et d montre qu ils ne sont que de faux d vots opportunistes des truands notoire en kamis de mollah de la religion 11 5 retenaient pas un seul verset Il s croyaient en un seul dieu le seul dieu qui n a pas besoin de proph tes pour lui faire de la pub le pognon Et bien que Khadra d crive ces terroristes avec un certain m pris il demeure conscient que la violence dont ils font preuve aujourd hui est une cons quence logique et quasi in vitable d ann es de privations Pour Khadra ces jeunes ont pour la plupart t entra n s dans la barbarie int griste pouss s par les frustrations et la col re de se savoir sans avenir L auteur d montre d ailleurs souvent dans ses uvres que l int grisme en Alg rie est une des cons quences de la dangereuse oisivet dans laquelle on a abandonn ces jeunes Dans le dingue au bistouri 1 pr dit m mes les ventuelles repr sailles que ces derniers pourraient imaginer Pas de librairies pas de salle de cin ma rien que des nu es de gosses livr s eux m mes des gosses amers agressifs rancuniers vou s toutes 165 frustrations et qui apprennent le plus t t sera le mieux braver l
142. parents d autant que Tamanrasset est situ e plusieurs centaines de kilom tres d Alger Mais malgr sa tristesse Llob est presque soulag par ce d part car il est vrai qu tre le fils d un flic Alger n est plus tr s s r Les personnages f minins Les personnages f minins sont quant eux peu nombreux dans l uvre de Khadra le reproche lui en a t fait d ailleurs assez souvent D j en 1997 alors que son identit et son sexe taient encore inconnus la journaliste Marie Ange Poyet dans sa pr face Morituri s tonnait que l auteur n ait pas imagin dans cette uvre ne serait ce qu un seul petit personnage f minin positif En effet part l pouse de Llob Mina ou encore sa fille Nadia les r les f minins dans l uvre de Khadra sont quasi inexistants D ailleurs Mina et Nadia n ont que des r les tr s conventionnels Nadia par exemple est d crite ainsi dans Le dingue au bistouri Nadia est tout simplement merveilleuse Cheville ouvri re de la maison elle s est content de son BEM et attend sagement son prince charmant Elle a dix huit ans des yeux grands comme des aurores bor ales mais je ne vous 89 donnerai pas mon adresse Nadia incarne donc pour beaucoup l id ale de la jeune fille de bonne famille jeune jolie et ma trisant parfaitement les taches m nag res Elle ne semble pas avoir d autre ambition que celle de se marier ambition qui tardera
143. plus en plus perceptible de la jeunesse alg rienne qui aspire un mode de vie qui lui semble inaccessible dans son pays Ce malaise ambiant d bouchera sur les v nements d octobre 1988 et sera d crit comme nous le verrons assez fid lement dans La part du mort L autre p riode abord e dans le second roman de notre corpus Morituri est les ann es 90 qui repr sentent plus d une dizaine d ann es d instabilit politique de guerre et de terreur pour le peuple alg rien elles sont voqu es travers les destins des diff rents personnages principaux ou secondaires que l on y croise Toutefois en ce qui concerne La part du mort une autre p riode bien ant rieure est ressuscit e En effet Yasmina Khadra nous ram ne une quarantaine d ann es en arri re aux jours qui suivirent imm diatement l ind pendance du pays plus pr cis ment aux mois de juillet et ao t 1962 1 nous replonge ainsi dans une page de l Histoire du pays qui est bien souvent absente des manuels et pour cause elle en a t volontairement occult e Il s agit des massacres des familles de harkis qui n ont pas pu quitter l Alg rie au lendemain de l ind pendance un certain nombre de harkis 8 pu au contraire fuir pour s tablir en France Ainsi nous voquerons dans ce chapitre les diff rentes manifestations de ce que l on nommera ici des effets de r el et qui d signent les repr sentations r alistes au sein de la fi
144. r ation et pr tendre au statut de litt rature Il est vrai en effet que le drame alg rien a suscit de grandes interrogations dans le monde et plus particuli rement en France la presse relatant quotidiennement le r cit des atrocit s commises en Alg rie chacun y allant de son couplet et de sa propre version le sujet est ainsi devenu par la force des choses tr s vendeur ig Dugas Guy Ann es noires roman noir in Alg rie Litt rature Action vol XXVI d cembre 1998 p 132 141 78 Certains en ont donc profit pour publier des r cits douteux dans le seul but de vendre ou de se faire remarquer Cependant on ne peut nier la qualit de certains ouvrages qui l instar des romans de Khadra ont re u un accueil des plus favorables de la part de la critique internationale D ailleurs on ne peut reprocher la litt rature quand bien m me il s agirait d un genre dit mineur de puiser son inspiration dans le quotidien Khadra qui assume pleinement la dimension de t moignage que rev t son uvre r cuse justement cette cat gorisation abusive et revendique pour ses crits le droit de puiser dans le r el d clarant m me que son uvre est un plagiat de la r alit alg rienne Dans une interview o on lui demande son avis sur la question 1l d clare Qualifier la litt rature alg rienne des ann es 90 de litt rature d urgence rel verait beaucoup plus d une op
145. r f rence de leur texte il cite en exemples Assia Djebar avec Les Nuits de Strasbourg ou encore Mohammed Dib avec Les Terrasses d Orsol Le Sommeil d Eve etc Bonn Charles Boualit Farida Paysages litt raires maghr bins des ann es 90 t moigner d une trag die Paris Montr al 1 Harmattan 1999 p 09 Ibid p 10 10 crivains alg riens de langue fran aise se voient plus moins contraint pour susciter l int r t aussi bien des lecteurs que des diteurs de t moigner sur le quotidien des Alg riens durant la guerre civile qui ravagea le pays pendant plus d une quinzaine d ann es Le caract re presque incontournable voire obligatoire de ces t moignages est galement soulign par Charles Bonn le t moignage sur la terreur du quotidien dans ce pays semble en effet devenu depuis peu une sorte de parcours oblig pour les textes de nouveaux auteurs alg riens publi s en France Certes tout cela donnera lieu des textes de qualit variable mais cela permettra galement de d couvrir des auteurs au talent ind niable Ce qui nous am ne l auteur auquel nous avons choisi de consacrer ce travail Yasmina Khadra Y Khadra de son vrai nom Mohammed Moulessehoul compte en effet parmi les crivains qui furent r v l s dans les ann es 90 apr s avoir publi en France des romans profond ment li s cette actualit dont nous parlions pr c demment N anmoins l auteur s tait d j f
146. r s virulente de la situation sans tomber dans un ton moralisateur Cependant l omnipr sence de l humour dans les romans que nous tudions n occulte pas la violence de l actualit laquelle se rattachent les uvres D ailleurs nous pouvons constater que le roman La part du mort contient d j en son titre une r f rence directe la mort Quant Morituri qui tait le terme utilis pour d signer dans la Rome antique les gladiateurs et qui signifie litt ralement ceux qui vont mourir Il nous laisse deviner que le combat que les h ros du roman m nent contre l int grisme est d avance vou l chec et que ces derniers l instar des gladiateurs d antan sont appel s mourir Ainsi bien que l auteur traite un sujet grave avec humour il n est nullement question de banaliser ou de minimiser la gravit des v nements d crits d autant plus qu il s agit 1 1 d une des plus effroyables guerres civiles que le bassin m diterran en ait connues Ceci explique que quand s agit d voquer plus concr tement et plus directement la mort l auteur ne mette plus en sc ne celles de simples anonymes comme c est bien souvent le cas dans les romans policiers 182 La part du mort p 414 127 classiques par exemple o la mort n est que l v nement d clencheur de l enqu te et du r cit et o la victime n est pas connue du lecteur et n est pas un personnage p
147. rait Llob son patron dans Morituri cette fois exasp r par l enqu te qu il est oblig de mener aupr s des nababs alg rois cette expression qui vise rabaisser son interlocuteur et lui d montrer le peu de cas qu il fait de son opinion produit de par son caract re inattendu le meme effet hilarant que la premi re Dans La part du mort on retrouve galement ce type d expressions particuli rement lorsque Llob est nerv D ailleurs d une mani re g n rale dans 5 Le DAB P 13 1 Ibid p 60 c est nous qui soulignons 117 les romans dit s en France c est surtout lorsque Llob sort de ses gonds ou qu il se dispute avec quelqu un qu il se prend utiliser des termes appartenant au parl alg rien peut tre parce que ces mots appartenant sa langue maternelle 191 semblent plus percutants ce qui conf re ses col res un aspect th tral qui ne manque pas d humour Ainsi d barquant au commissariat un matin et d couvrant sa place de parking occup e par une grosse cylindr e 1 tourne en rond quelque instants pour trouver une autre place puis exc d il finit par se garer derri re celle ci et d clare furieux tre pr t en d coudre avec Azra n en personne Azra n tant pour les musulmans l ange de la mort celui ci est galement voqu dans Le dingue au bistouri lorsque Llob exc d encore une fois par son patron a cette r flexion son propos
148. re a subies pour donner naissance aux diff rentes variantes que nous lui connaissons aujourd hui Apr s ce parcours il nous semblait n cessaire d entamer une d marche similaire o nous reviendrions sur la naissance et l volution du genre en Alg rie cette fois ci Cela qui nous permettra de mieux comprendre le contexte dans lequel s inscrit la parution des uvres de Yasmina Khadra ainsi que leur importance et leur innovation par rapport aux tout premiers romans policiers alg riens Ceux ci se caract risent comme nous le verrons par une criture tr s st r otyp e qui volontairement o involontairement se faisaient l cho de l id ologie dominante C est pr cis ment cet gard que l apport des uvres de Khadra nous parait significatif en ce sens que ses romans se d marquent profond ment aussi bien de par leur th matique que leur construction de ceux de ses pr d cesseurs 1 2 1 Les romans d espionnage des ann es 1970 La plupart des travaux et des articles consacr s l apparition et l volution du genre policier en Alg rie s accordent faire remonter sa naissance l ann e 1970 En effet c est en 1970 que la Soci t nationale d dition et de diffusion S N E D publie les quatre premiers romans d espionnage de Youcef Khader qui seront suivis par deux autres volets de cette m me s rie Toutefois il existe une divergence d opinion quant la datation du premier roman
149. re son nom Llob qui signifie noyau dur c ur pur En fait son comportement ne diff re gu re de celui de l homme alg rien traditionnel ou de l id e que l on s en fait id e qui cela dit est souvent confirm e par la r alit qui manifeste rarement son affection pour les siens ouvertement avec des mots tendres mais qui la laisse deviner travers sa col re et son m contentement qui sont pour lui souvent les seuls moyens ou du moins les plus simples de montrer son inqui tude et son int r t pour ceux qui l entourent Tout cela lui permet en m me temps de garder sa carapace d Homme et de masquer sa sensibilit et ses sentiments comme en 55 t moignent les multiples passages o Llob affirme son d sarroi l gard de ce qu est devenu son pays et o il critique entre autres non sans humour d ailleurs l abandon par la jeunesse alg rienne des valeurs ancestrales dans leur course vers la r ussite et la modernit comme en t moigne le passage suivant Il y a aussi cette secte constip e qu on appelle Tchitchi et qui croit dur comme fer que le seul moyen d tre de son temps c est d imiter les ringards d cadents de l occident Et a roule des paules Et a d porte les l vres sur le c t quand a patatipatatasse Et a se serre le croupion dans des jeans triqu s Et a cause en fran ais sans accent avec des mani res de p dales 73 Ecoeurant En r alit Khadra
150. rie d attentats et de troubles publics violents Mohamed Boudiaf qui est l origine de la dissolution du 1 5 le 4 mars 1992 et qui affiche sa volont d instaurer une d mocratie solide en s en prenant la corruption sous toutes ses formes militaire et politique notamment est finalement victime d un attentat meurtrier le 29 juin 1992 Une f roce r pression militaire s engage alors contre les mouvements islamistes clandestins comme l A LS Arm e Islamique du Salut bras arm du 1 5 ce qui provoque une nouvelle vague d attentats et la formation de plusieurs groupes islamiques et plus pr cis ment les Groupes Islamiques Arm s G I A le Mouvement de l Etat Islamique M E I ou encore le Front Islamique du Djihad Arm F I D A sp cialis dans l assassinat d intellectuels Cette branche sera particuli rement active en 1993 Cette ann e conna tra de nombreux assassinats comme celui de l crivain Tahar Djaout le 26 mai il meurt le 2 juin apr s un profond coma du psychiatre Mohammed 57 Cr en mars 1989 et l galis en septembre de la m me ann e dans le cadre de la Constitution du 23 f vrier et de la loi du 5 juillet relative aux associations caract re politique ce parti religieux est rapidement devenu une force politique incontournable incarnant pour beaucoup et notamment pour les jeunes le triple refus de l occidentalisation de la paup risation et de la dictature du pouvoir
151. rigue d bute en Alg rie elle se d place rapidement vers l espace ext rieur suppos g n rer et reproduire des fl aux comme des crimes 2 58 conomiques la France l Espagne et l Occident d une mani re g n rale 5I W Bouzar 1989 en Alg rie espoir et d senchantement in N Redouane Y Mokaddem dir 1989 en Alg rie rupture tragique ou rupture f conde Toronto Editions la Source 1999 p 16 42 Cit par Estelle Maleski p 97 R Belhadjoudja Traitement de la notion de suspense dans le roman policier alg rien ou la naissance du polar en Alg rie op cit p 234 41 Les romans de Houfani Berfas quant eux ne donnent toujours pas une image r aliste du pays en d pit du fait que leur intrigue se situe en Alg rie Les descriptions que cet auteur donne des lieux de l action sont en effet Selon B Bechter souvent artificielles Le Portrait du disparu se passe Alger mais pourrait avoir pour cadre n importe quelle autre ville et dans Les Pirates du d sert les descriptions id alis es de Tamanrasset et de la vie dans le sud de l Alg rie paraissent dans la plupart des cas tre des extraits de documentaires Mais le d veloppement du roman policier alg rien se poursuit pour atteindre une nouvelle phase gr ce aux romans de Djamel Dib La R surrection d Antar 1986 La Saga des djinns 1986 L Archipel du Stalag 1989 Selon l avis de
152. rincipal Khadra fait donc mourir des personnages auxquels le public s est habitu et qu il a pris soin de nous pr senter auparavant tel l humoriste ami de Llob A t M ziane dans Morituri Dans ces cas l l humour ne sert pas minimiser l importance de la mort il permet au contraire au lecteur de la d passer et ainsi de la vaincre en se moquant d elle pour se replonger dans le r cit Cette fonction que l humour peut remplir par rapport la repr sentation de la mort dans le r cit policier est soulign e par les propos d Estelle Monbrun professeur de litt rature fran aise et auteur de romans policiers Le roman policier est actuellement le seul genre qui permette de pratiquer la d rision une des formes parodiques possibles Le grand sujet c est la mort la mort injuste La seule fa on de se moquer de la mort c est de l int grer SE PES Lot 183 dans un r cit qui se moque lui m me des formes habituelle du r cit Enfin si Khadra n h site pas int grer dans ses romans des morts de plus en plus violentes inattendues et choquantes c est aussi une mani re de combattre cette banalisation de l horreur perceptible au quotidien en Alg rie comme le sugg re ici F Chaouli Si la litt rature maghr bine de langue fran aise met en sc ne une mort de plus en plus atroce c est justement en guise de r ponse la banalisation et au contr le de l angoisse quotidienne de l
153. rner la perfection laquelle semblaient pouvoir pr tendre les personnages des tout premiers romans policier alg riens toujours jeunes beaux et forts Ceci lui conf re galement un aspect beaucoup plus r aliste et nous le rend plus proche En revanche si l apparence physique du commissaire n est pas v ritablement connue les descriptions concernant son allure g n rale et plus particuli rement sa fa on de se v tir abondent et renforcent l aspect parfois comique du personnage qui fait ainsi preuve d un grand sens de l autod rision que nous analyserons plus amplement dans le prochain chapitre Mais l aspect imparfait et donc plus cr dible du personnage ne transpara t pas uniquement travers les descriptions de son apparence en r alit c est surtout la personnalit de Llob qui lui assure sa vraisemblance L aussi il est loin d tre un h ros au courage in branlable qui sait garder son sang froid en toute circonstance qui ne se laisse pas emporter par ses sentiments et qui ne conna t ni la peur ni le doute ni la col re Bien au contraire ce sont ses sentiments ses motions et ses intuitions qui d terminent bien souvent ses actes et qui en font un personnage sensiblement plus complexe plus nuanc et surtout plus attachant Llob n est pas flic par hasard Derri re son attitude de policier grognon se cache un homme au bon c ur qui fait de son mieux pour aider ses cong n res comme le sugg
154. s complexes du pass de 1 Alg rie Il s agit de l t 1962 qui fut marqu par l assassinat d un grand nombre de harkis qui avaient t abandonn s par le gouvernement fran ais et livr s ainsi la haine et la soif de vengeance de certains Alg riens L vocation de cette p riode et de cet v nement en particulier procure cette uvre un rapport encore plus troit l Histoire En effet avec La part du mort Khadra effectue en quelque sorte un travail d historien 1l revient sur des v nements que beaucoup m connaissent et tente avec le recul que les ann es apportent de nous en donner un clairage plus ou moins objectif En ce sens les deux parties repr sent es par les personnages de Llob et Talbi respectivement ancien moudjahid et ancien harki ont la parole mais ce qui semble tre le v ritable sujet de l crivain n est pas de d montrer qui a tort et qui a raison En fait il semblerait que son but ultime comme nous tenterons de l tablir est de d montrer la capacit des r gimes autoritaires falsifier l Histoire d truisant ainsi tout pisode pouvant nuire l image de marque du r gime L auteur d voile donc la face cach e d une r volution et d une guerre qui pour tre cit e en exemple absolu de combat contre le colonialisme et l oppression fut lav e de tout ce qui pouvait entacher sa grandeur Ainsi pour donner au monde l image d une Alg rie unie autour
155. s de monnaie c est toute la ville qui tire la langue pareille un joli toutou En ce qui concerne les quelques exemples que nous venons de citer on pourrait remarquer le recours syst matique de l auteur des comparaisons avec des animaux cachalot crapaud buffle singe Cette animalisation ou plut t ce recours ce que l on nomme le zoomorphisme dans la description des personnages est en effet assez fr quente dans les portraits que l auteur imagine puisqu on peut retrouver ce proc d dans tous les romans de la s rie Cela produit la fois un effet comique certain et offre une vision assez caricaturale de certaines cat gories sociales que l auteur tente de stigmatiser 1 s agit notamment des riches profiteurs du syst me dont nous avons d j vu quelques exemples Outre les riches corrompus que Khadra excelle d crire on retrouve galement dans Morituri quelques passages o l auteur repr sente des terroristes en les tournant en d rision et en remettant en question leur suppos e foi en l islam J ai connu un petit dealer Un merdeux tout en r pugnance aussi l aise dans le p ch capital qu un morpion dans une culotte de hippie Aujourd hui il a un fusil canon sci un verset sur le bout des l vres et il se venge all grement de ceux qui lui mettent le grappin dessus N en d plaise aux imams r v r s si sue se 157 ce fumier choua it au
156. s habitu voir des femmes sans voile et comble de l impudeur en pantalon se retourne sur leur passage en crachant sur la chauss e comme si un d mon venait de passer Plus loin au moment d interroger le fils d un t moin ce dernier tourne carr ment le dos Soria et refuse de lui adresser la parole il demande m me Llob si on ne vend pas de hidjab chez eux Llob comprend pourquoi Soria a fait appel lui pour mener cette enqu te non pas qu il ignor t que ce genre de comportement put exister Mais 1 semble ici comprendre quel point cela peut tre handicapant pour une femme au quotidien Le lendemain de ce premier jour Sidi Ba il continue donc seul ses d marches en d clarant L exp rience de la veille mest rest e en travers de la gorge Soria n a pas rousp t Sa pr sence mes cot s diminue nos possibilit s d avancer et elle le sait A Sidi Ba les mentalit s ont encore pas mal de cataclysmes subir avant d voluer ici lorsqu on voque la femme on dit sauf votre 101 respect Dans cet extrait l auteur par le biais de son personnage admet que le respect des traditions pouss l extr me peut s av rer beaucoup plus nuisible qu il ne l avait laiss para tre auparavant Cependant comme nous l avons vu dans notre travail Ibid p 227 10 Ibid p 230 0 Ibid 232 70 Llob n est pas pr t renoncer d finitivement ces traditions
157. s subtile comme le r v le cette analyse de Guy Dugas qui reconna t dans le personnage de Fouroulou jeune voisin de Llob g de dix sept ans dans L automne des chim res le pr nom donn par Mouloud Feraoun au h ros de son roman Le fils du pauvre 1953 Par ailleurs L automne des chim res est de 1998 le printemps berb re de 1981 1998 1981 17 144 ans En outre l auteur parvient toujours ancrer son uvre dans une forme d intertextualit en ayant recours galement l auto citation Cette forme d intertextualit se manifeste particuli rement dans les notes o l auteur renvoie ses lecteurs aux num ros pr c dents Ainsi nous pouvons lire la premi re page de La part du mort depuis la neutralisation du Dab Alger respire accompagn de cette note explicative Dingue au bistouri Flammarion Pareillement dans L automne des chim res le roman o Llob se fait assassiner 153 La part du mort p 16 17 1 Dugas Guy Ann es noires roman noir op cit p 138 99 pour avoir crit Morituri Khadra renvoie constamment le lecteur au pr c dent volume de la s rie Gr ce ce type de proc d s Khadra parvient revendiquer l inscription du genre policier au sein d un ensemble qui lui tait a priori tranger celui des litt ratures maghr bines le roman policier comme nous le savons tant issu de la sph re litt raire occidentale De plus cette intertextualit r
158. sents dans la s rie 115 prennent beaucoup plus d importance notamment Mina qui ne se contente plus de son r le d pouse et de m re attentive mais souvent silencieuse L auteur lui donne d sormais la parole comme dans ce passage o l occasion d une sortie avec 1 10 Alger le couple constate que le pays est entrain de sombrer dans la mis re le commissaire ne s attendant peut tre pas cette r ponse demande sa compagne Tu t rappelles 1 Alger des ann es baraka 685816 de ne pas trop remuer le pass soupire t elle La part du mort p 14 67 Ce sont les m mes rues les m mes gens les m mes lumi res Qu est ce qui 8 bien pu changer Les mentalit s Les mentalit s Avant on partageait tout On n avait pas grand chose pourtant Mais on y mettait du c ur Tu penses que notre malheur vient du fait que le c ur n y est plus C est ce que je crois le colon parti On s est perdus de vue force de chercher co te que co te croquer la lune nous avons renonc l essentiel la g n rosit Les hommes Brahim c est comme les l phants Un pas en dehors du groupe et d j ils courent leur perte Nous sommes devenus go stes Et nous avons rompu les amarres Nous croyons prendre nous distances vis vis des autres en v rit nous d rivons parce que nous avons choisi de man uvrer en solo nous nous d composons
159. sque le h ros se doit d abattre un t moin g nant ou un ennemi constitue une autre fa on d insister sur la cruaut des adversaires en nous laissant supposer que ces derniers tuent gratuitement La morale in branlable de SM 15 ses combats qu il gagne toujours invariablement font de ce h ros un personnages aga ant puisque trop parfait D ailleurs cette exag ration des qualit s de SM 15 ne peut que conduire la lecteur se d tacher de ce h ros comme le remarquait R dha Belhadjoudja En d finitive l invuln rabilit permanente oh la belle lapalissade de SM 15 devient exasp rante d invraisemblabilit or la vraisemblance est un crit re de lisibilit important dans ce type de litt rature puisqu elle conditionne l identification du lecteur au h ros ou plus sp cialement au discours qu il tient en texte Ainsi en exag rant de la sorte les capacit s et les qualit s de son personnage l auteur d voile son but Il s agit tout au plus de cr er un personnage d identification pour le lecteur Ce faisant il ne parvient en d finitive qu reproduire en les inversant pour les attribuer aux Juifs les m mes st r otypes que les romans d espionnage trangers propagent propos des Arabes En somme Youcef Khader ne fait que contrecarrer le st r otype de l arabe irascible revanchard cruel obs d sexuel par un autre st r otype qui manque tout autant de nuance et de cr dibili
160. ssance et enracinement du roman policier en Alg rie in Alg rie Litt rature Action n 31 32 mai juin 1999 p 221 229 BELHADJOUDJA R dha Traitement de la notion de suspense dans le roman policier alg rien ou la naissance du polar en Alg rie Th se de Magister sous la direction du Professeur Christiane Achour Universit d Alger 1993 CHAOULI F L ironie esth tique du rire sur fond tragique dans Morituri de Yasmina Khadra in Alg rie Litt rature Action P 53 DEJEAN DE LA BATIE Bernadette Les Romans policiers de Driss Chra bi Repr sentations du f minin et du masculin Paris l Harmattan 2002 DUGAS Guy Ann es noires roman noir in Alg rie Litt rature Action vol XXVI d cembre 1998 p 132 141 MALESKI Estelle Le roman policier l preuve des litt ratures francophones des Antilles et du Maghreb enjeux critiques et esth tiques Th se de doctorat r alis e sous la direction de Madame Martine Job Universit Michel de Montaigne Bordeaux 11 MILIANI Hadj Le Roman policier alg rien in C Bonn et F Boualit dir Paysages litt raires alg riens des ann es 90 t moigner d une trag die Paris l Harmattan 1999 p 105 117 VIROLLE Marie Quand la s rie noire s crit l Alg rienne in Alg rie Litt rature Action n 10 11 avril mai 1997 p 171 173 138 IV Ouvrages et articles sur le roman policier BOILEAU Pierre
161. stiques de ce dernier qui nous permettront de reconstituer par la suite les vis es id ologiques de cette repr sentation En fait l agent SM 15 n a rien envier aux autres agents sp ciaux de la litt rature mondiale 1l rassemble en effet tous les crit res physiques et moraux pour incarner ce r le la perfection il est la fois beau fort et intelligent comme le d montre le portrait suivant ce gar on de trente deux ans en imposait physiquement Un m tre quatre vingt cinq de muscles et de nerfs il avait un visage asc tique aux Ibid p 40 33 pommettes saillantes un nez long et busqu en forme de bec d oiseau de proie une bouche au pli s v re qu adoucissait parfois d une mani re inattendue un sourire empreint de bont Bref il tait beau d une beaut Ms 36 virile assez fascinante Quant ses aptitudes physiques elles n en taient pas moins impressionnantes L il et le geste prompts tireur m rite et rompu tous les sports de combats il donnait une extraordinaire impression de force souple d quilibre Mourad paraissait avoir entra n son corps d athl te ne r agir qu son commandement Une flamme passionnelle faisait luire parfois ses nas ne 37 prunelles noires au hasard d une injustice ou d une opposition En plus de toutes ces qualit s l agent SM 15 conna t et parle couramment plusieurs langues trang res Bref Youcef Khader donn
162. t l image des intrigues o l on distingue clairement les bons des mauvais 1 se pr sente comme un personnage irr prochable sans d faut sans moments de doute ou d h sitation en bref c est le h ros parfait et Belhadjoudja 1993 p 110 Ibid 103 Bechter p 49 37 l incarnation de l Arabe fort intelligent bon invincible qui ne se laisse pas gouverner par ses app tits et qui repr sente 1 1168 de l homme musulman L auteur participe donc volontairement ou involontairement au ressassement et donc la p rennisation de ces st r otypes puisque la seule diff rence qui distingue ses uvres de celles du m me genre en Europe et en Occident d une mani re g n rale c est que Youcef Khader et son h ros SM 15 se posent en d fenseurs de la cause arabe Toutefois cette cause est finalement desservie par la faiblesse de composition du h ros qui se traduit essentiellement comme le rel ve Belhadjoudja par une survalorisation du statut de h ros dont l invuln rabilit extravagante tente tout moment de se justifier travers un pass guerrier pique frisant parfois le mythique se Nous ne pouvons donc nous emp cher de constater que les diteurs alg riens probablement encourag s par certains dirigeants dans leur projet de r pondre au racisme des romans trangers reproduisent le m me discours que celui qui est pr sent dans les uvres trang res Bien qu au niveau d
163. t mais ne se borne pas faire de la seconde une simple reconstitution en qu te de la v rit tout comme dans le roman noir celle ci conserve un int r t primordial comme l explique T Todorov Les deux types d int r t se trouvent donc r unis ici il y a la curiosit de savoir comment s expliquent les v nements d j pass s et il y a aussi le suspense que va t il arriver aux personnages principaux Ces personnages jouissaient d une immunit on s en souvient dans le roman nigme ici ils risquent leur vie sans cesse Le myst re a une fonction diff rente de celle 2 Ibid p 15 7 19 p 15 27 Ibid p 17 27 qu il avait dans le roman nigme il est plut t un point de d part l int r t 28 principal venant de la seconde histoire celle qui se d roule au pr sent Nous avons tent dans cette partie d effectuer un rapide survol des diff rents sous genres du romans policier et de leur d finitions ce qui nous permettra dans la partie suivante d appr hender plus ais ment l apparition et l volution du genre en Alg rie Ibid p 17 28 1 2 Apparition et volution du genre en Alg rie Nous avons voqu dans notre chapitre pr c dent l volution du genre policier dans les sph res qui l ont vu na tre le Royaume Uni la France les Etats Unis nous nous sommes galement attard e sur les transformations que le gen
164. t moigne l extrait suivant Dans la rue on fait comme si on ne me connaissait pas Etre proche d un poulet c est s exposer bougrement Surtout quand a mitraille tous azimuts Plus personne n ose m adresser un petit signe pas m me un regard furtif plus personne ne se souvient des petits services que je lui rendais du gu pier d o je le tirais Au pays des quatre vents les girouettes voltigent 7 172 La part du mort p 09 13 Schoentjes Pierre op cit p 143 14 Morituri p 14 15 120 L autre dysfonctionnement que l auteur d nonce r guli rement dans ses crits est l absence totale d une politique culturelle tablie en Alg rie ainsi que la situation alarmante de ses intellectuels Le pays semble en effet vivre dans une sorte de d ni totale de la culture Khadra tente d illustrer cette d ch ance du savoir et de la connaissance avec de nombreux exemples d tudiants d artistes et de savants qui peinent s en sortir financi rement et qui sont en plus rejet s et ignor s dans leurs pays Ainsi nous pouvons lire dans La part du mort le portrait du professeur Allouche Ce dernier est un exemple d intellectuel honn te qui ne b n ficie dans son pays d aucun des gards qu il m rite Le professeur Allouche est un minent psychanalyste Il 8 t ami avec Frantz Fanon Mais que peut faire un rudit dans un pays r volutionnaire o le charisme s applique tre l ennem
165. t r otyp s et refl taient l id ologie dominante de l poque N anmoins on constatera partir du milieu des ann es 80 une certaine volution de la production litt raire dans ce domaine avec la publication des romans de Djamal Dib et de Salim A ssa Ces derniers ont tent d crire des romans noirs au caract re plus alg rien et qui prenaient plus en consid ration l volution et les probl mes de leur soci t 131 Mais c est v ritablement partir des ann es 90 avec les polars de Yasmina Khadra que le roman noir alg rien rencontra le succ s Cette r ussite s explique par le profond ancrage dans la r alit alg rienne de ces uvres qui ont s duit dans un premier temps le lectorat alg rien qui pouvaient s identifier au h ros le tr s attachant commissaire Llob dans un deuxi me temps un lectorat tranger particuli rement fran ais et europ en plus motiv par la curiosit d en savoir plus sur la guerre qui s vissait en Alg rie et que l auteur d crivait dans son uvre Aussi avons nous choisi de concentrer notre tude sur le rapport qu entretiennent les uvres de Khadra avec le r el Ce qui nous a permis de constater que l auteur parvient la fois d crire les bouleversements que 1 Alg rie a v cues depuis quelques ann es d une mani re tout fait r aliste tout en mettant cette m me r alit distance Cet effet de distanciation op r ici notamment par le
166. t presque dans la pauvret et a du mal joindre les deux bouts il ne se plaint cependant jamais Ce n est que le jour de son enterrement que Llob comprend enfin que Serdj ne l a jamais invit chez lui pour ne pas l indisposer car son taudis est tellement insalubre que les locataires paraissent plus fr les que les fant mes Serdj repr sente peut tre plus encore que Llob la droiture et le s rieux Sa position rappelle encore une fois que ces qualit s sont bien souvent inutiles pour r ussir dans l Alg rie des ann es 1980 et 90 Le dernier personnage masculin que nous aborderons ici n est pas un flic cette fois ci mais il repr sente lui aussi une partie de la population alg rienne Il s agit de Mohamed le fils a n de Llob Ce dernier est dipl m de l universit de Ben Aknoun o il a m me r ussi d crocher un doctorat s histoire g ographie Cependant 1 ne parvient pas trouver un travail d cent Son p re tente pourtant de lui trouver un poste chez ses connaissances mais 1l n a que des propositions sans grand int r t D j en 1988 il ne pensait qu quitter Alger Lorsqu on le retrouve dans Morituri des ann es plus tard il a tout essay sans succ s et il se d cide s installer Tamanrasset dans le sud du pays en esp rant y trouver un travail correct Le d part de Mohamed est v cu comme une v ritable Ibid 78 87 Ibid p 123 62 d chirure pour ses
167. tif aux formes plus complexes du roman noir vis e sociale ou du roman suspense qui d bouche sur une probl matique psychologique L auteur s loigne ainsi la fois du style mais aussi des sujets qu abordaient les premiers crits du genre en Alg rie comme le souligne Guy Dugas qui voque les romans du commissaire Llob Il est d sormais loin le temps o jouant avec l identification dans la glorification des valeurs nationales et la d testation de l autre le genre ne servait que de d fense et illustration de l id ologie dominante Quant l ventuelle assimilation des romans de Khadra ce que l on nomme litt rature de l urgence il convient d y apporter quelques claircissements en voquant tout d abord la notion elle m me et son apparition La multiplication incontr l e d uvres ayant un rapport plus ou moins important avec la description de la trag die alg rienne souvent pr sent es comme des t moignages fut l origine de ce que l on nomme aujourd hui litt rature de l urgence En effet cette surabondance de publications 8 soulev de multiples questions quant la qualit de ces crits D aucuns sont all s jusqu affirmer que cette production n tait que circonstancielle et con ue dans urgence dans le seul but de d crire la situation du pays et que par cons quent elle ne pouvait relever v ritablement de l acte de c
168. tion de Marketing que d une approche 3 deoh A 11 objective L auteur admet que cette vogue du sujet a ouvert la porte des talents douteux heureux de se soustraire au n ant sinon l ostracisme mais cela n a pas emp ch selon lui d authentiques g nies jusque l larvaires l ombre d une politique culturelle d sastreuse d tre interpell s et de se d couvrir une envergure insoup onnable Un romancier comme Boualem Sansal aurait pu ne jamais clore sans ce choc id ologique qui 8 failli disloquer le pays 88 manifestation bien que tardive a r v l un auteur hors air un talent gigantesque qui r conforte pleinement la litt rature en g n ral Apr s ce constat peut on avancer sans risquer de se couvrir de ridicule qu un crivain x x 116 de sa dimension soit conjoncturel 115 Mokhtari Rachid Je fais abstraction de ma col re entretien avec Yasmina Khadra in La graphie de l horreur Essai sur la litt rature alg rienne 1990 200 Batna Chihab ditions 2002 171 181 M6 Ibid 172 79 Ainsi cette repr sentation revendiqu e de la r alit alg rienne qui produit un effet de r el certain doit beaucoup comme nous allons le voir dans cette partie la repr sentation d v nements tir s du quotidien des Alg riens et de leur pass ce qui donne souvent aux romans l aspect d une fiction documentaire qui relate la fois le pass et le pr
169. totalement diff rente des femmes dociles voire m me soumises que l on croisait dans Morituri Ce personnage c est celui de Soria Karadach Bien que celle ci n apparaisse qu la moiti du roman son importance n en est aucunement diminu e Lob qui la rencontre la premi re fois chez son ami le professeur Allouche la d crit ainsi C est une brune aux yeux immenses belle et coquette la bouche charnue et la pommette orn e d un magnifique grain de beaut Ces trente cinq quarante ans ajoutent son look peaufin une maturit qui donnerait plus saliver qu r fl chir 77 Ibid p 24 25 La part du mort p 211 69 On apprend par la suite que Soria enseigne l Histoire l universit de Ben Aknoun et collabore plusieurs revues sp cialis es en outre son personnage a une importance cruciale car elle est elle m me la cl de l nigme C est au cours de l enqu te qu il m nera en sa compagnie au village de Sidi Ba un norme bourg informe pi g par des montagnes en dents de scie entre M d a et Alger que Llob sera confront aux mentalit s conservatrices et archa ques de la plupart des habitants et aura l occasion de marquer son rejet de ces derni res du moins en partie En effet Soria aura beaucoup de mal mener son enqu te dans ce village D s le premier jours de leur arriv lorsqu elle marche aupr s de Llob dans la rue la population qui n est manifestement pa
170. ts devenir criminels qui est une des 55 32 composantes du roman policier L Alg rie conna tra son tour des transformations similaires apr s l ind pendance l exode rural et l industrialisation intense marqueront cette p riode et modifieront consid rablement les paysages urbains du pays tout en influen ant et modifiant les modes de vies En effet beaucoup de paysans quitteront leurs r gions dans l espoir de trouver du travail dans les villes comme nous l explique Benjamin Stora Le d part massif des pieds noirs a entra n un processus d appropriation des espaces laiss s vacants La vacance des emplois entra ne un tr s vaste et brutal glissement de populations vers les zones urbaines Compos s en majorit de paysans sans terre ou de fellahs d pourvus de disponibilit s mon taires ces nouveaux courants migratoires marqueront durablement le paysage des villes saturation des m dinas anciennes 2 iA A Bechter burtscher Beate Entre affirmation et critique Le d veloppement du roman policier alg rien d expression fran aise Th se de doctorat r alis e sous la direction des Professeurs Guy Dugas et Robert Jouany Universit s Paris IV Sorbonne et Innsbruck 1998 P 34 30 expansion foudroyantes de l habitat pr caire et dification de bidonvilles Durs 30 proximit de villes nouvelles Comme le constatait B Stora cet exode rural aura pour principal effet la m
171. ts officiels Bref on le manipulait comme une vulgaire marionnette Cela l avait beaucoup affect Entre la probit intellectuelle et les gesticulations politiciennes la patrie flou e et le porte monnaie renflou le d bat devait tre tranch de fa on nette et pr cise Pas question de se maintenir le cul entre deux chaises le professeur n y alla pas de main morte Il rendit Clovis ce qui appartenait la Gaule 6 Outre la critique de ces manipulations caract re politique commandit es par des personnes qui d sirent discr diter encore plus l Alg rie Khadra donne l impression de vouloir d montrer sa lucidit en tant qu intellectuel et en tant qu crivain 176 La part du mort p 27 122 En d crivant ce genre de pratiques Il prouve qu il n en est pas dupe et qu il est loin d tre un de ces petits r actionnaires sur commande qui se d couvrent subitement du talent partir de l le de Saint Louis ni un scribouillard la solde du r gime Ce passage nous renseigne sur les r les que Khadra assigne l intellectuel et l crivain alg rien En valorisant la position et le choix du professeur Allouche qui refuse de se laisser acheter pour porter pr judice l image de son pays et pr f re plut t y rentrer pour le servir m me 51 cela ne lui apporte que des ennuis comme nous le verrons plus tard l auteur explique implicitement sa conception du r
172. u trouves que je ne gave pas assez Demande Mina son mari ce n est pas avec 168 sous que tu me fournis au compte goutte que tu vas tre servi comme un roi Dois je comprendre que je suis un avare Pis tu es pauvre C est pas vrai proteste mon benjamin Mon p re n est pas pauvre il est honn te 181 C est du pareil au m me lui signale son a n Ce genre de repr sentation est assez fr quent dans l uvre de Khadra en fait 1l n existe aucun exemple de personnage int gre et droit qui ait une situation 8 La part du mort p 377 126 financi re convenable Cette vision illustre encore une fois la d ch ance des valeurs morales en Alg rie En revanche les personnages corrompus et malhonn tes qui r ussissent sont dans les romans de Khadra assez nombreux Souvent d crits avec ironie et humour comme nous l avons relev pr c demment ils accaparent les richesses du pays et talent leurs fortunes sans pudeur sous les yeux des affam s Comme nous avons pu nous en rendre compte tout au long de ce chapitre Khadra parvient d velopper en un style original et tr s cr atif une esth tique du rire o l humour sous toutes ces formes devient un moyen d expression part enti re Cette esth tique permet la fois d crire les v nements les plus choquants sans trop heurter la sensibilit des lecteur et de mettre en place une critique t
173. ues ann es conqu rir un large public et chapper jusqu un certain point la vision d valorisante dont est victime le genre et peut tre m me redonner au polar maghr bin un souffle nouveau il faut admettre que la mauvaise r putation du roman policier n est pas tout fait injustifi e Il suffit pour s en rendre compte de se rem morer les premi res tentatives de cr ation de romans policier en Alg rie qui l instar des romans de G rard de Villiers la s rie des SAS ont contribu la d valorisation du genre en v hiculant des positions st r otyp es et caricaturales L apport de Khadra est significatif en ce sens qu il est loin de reproduire cette vision du monde fig e et marqu e par des id es pr con ues tenaces en vitant de tomber dans un discours moralisateur nationaliste l exc s ou trop conformiste Ses romans peuvent tre consid r s en quelque sorte comme l aboutissement de l volution du genre en Alg rie Ses polars d bouchent sur une critique sociale tr s virulente qui s exprime gr ce l utilisation de la langue fran aise et de l humour avec une grande ma trise Ainsi l uvre de Khadra peut tre consid r e comme la derni re tape d une volution du genre en Alg rie qui pourrait tre comparable celle connue en 77 occident o le roman policier est pass au terme d une volution progressive du roman nigme par essence r p ti
174. ultiplication des habitations pr caires autour des villes et l augmentation du ch mage le nombre d emplois cr s par les services tant g n ralement insuffisant Ainsi tout comme ce fut le cas en Europe ce sont les aspects n gatifs qui accompagnent souvent l industrialisation et l urbanisation comme 18 surpopulation la pauvret et le ch mage qui engendreront le crime et qui par extension fourniront l inspiration aux premiers auteurs de romans policiers Le lien entre la r volution industrielle et urbaine et le genre policier est de ce fait plus qu vident comme en t moignent les propos du sociologue alg rien Wadi Bouzar On ne peut tudier des ph nom nes comme le roman policier ou le roman noir qu en les mettant en parall le avec la r volution industrielle et surtout avec la r volution urbaine autrement dit avec l extension de la ville et la pr pond rance de son univers Qui dit extension de l espace citadin et verticale augmentation de sa population dit accroissement de l go sme de l individualisme de la solitude de l inadaptation social de la soif de gain et de pouvoir de la corruption de la violence verbale et physique de la d linquance de l alcoolisme de la prostitution du racisme y compris le racisme r gional paradoxalement plus d velopp en agglom ration de la criminalit La trop rapide croissance de l espace citadin la difficile cohabitation dans cet espace r
175. un lectorat plus large le genre se renouvelle d j particuli rement en Am rique o l on rejette certaines r gles telles celles propos es par le journaliste et auteur de romans policier S S Van Dine Celui ci qui publie en 1928 un article intitul Vingt r gles pour le crime d auteur dans The American magazine Cet article poussait comme le relevait E Maleski une forme de m canisation du genre qui se r sumerait en effet la simple ex cution d une recette recette qui ne devait jamais contenir d intrigue amoureuse par exemple qui exigeait que le coupable ne soit pas un criminel professionnel qu il ne soit pas le d tective lui m me qu il tue pour des raisons professionnelles et qu il jouisse d une certaine importance en ce sens qu il ne devait pas tre domestique par exemple etc propos de ces diff rentes tentatives de codification du genre policier Jacques Dubois d clarait La fiction polici re propose des objets en kit les l ments de bases sont l le mode d emploi aussi il n y a plus qu monter 7 Toutefois d s la fin des ann es 1920 et avec l apparition de la premi re Variante du roman policier le roman hard boiled aux Etats Unis le genre s enrichit gr ce la vogue des pulps magazines revues sp cialis es dans les r cits criminels et de science fiction qui publient ces romans originaux ce propos E Maleski expliquait dans sa th se
176. un merdouillard m rite Hocine n tait pas b te il tait seulement analphab te Il joua le jeu fond signant bras raccourcis et la grande satisfaction de ses sup rieurs factures bidon annulations d enqu tes gel de dossiers rapports antidat s faux t moignages etc il devint tr s riche ce qui lui valu d tre absous de ses p ch s et tr s influent ce qui l leva au rang des divinit s locales Aujourd hui il est un za m part enti re Il ne sait toujours pas lire le journal mais chaque fois qu un ressortissant des grandes coles tale ses dipl mes dans l espoir de b n ficier d un minimum de consid ration Hocine lui rabat derechef le caquet en retroussant son veston sur ses blessures de guerres et en grenant sur son chapelet de faux d vot ses innombrables fait d armes sans lesquels l Alg rie serait encore sous la botte fran aise l heure qu il est C est dire combien l Histoire par endroits est le pire ennemi de 136 P Avenir Le dernier constat de Llob nous renseigne sur la position de l auteur qui de toute vidence rejette le respect inconditionnel que l on voue aux anciens maquisards qui pour avoir particip la guerre de lib ration n en sont pas pour autant tous dignes de respect Ce qui se d gage enfin de l tude de 18 prise en charge de l Histoire dans nos deux romans c est que l auteur tient manifestement 5 appuyer sur cel
177. ur Nous voquerons ensuite la manifestation de cet effet de r el travers les v nements d crits qui souvent renvoient des faits authentiques ce qui peut galement tre interpr t comme une volont de l auteur de prendre en charge l Histoire du pays en revisitant ses pisodes les plus troubles Pour finir nous consacrerons une derni re partie de ce chapitre aux r f rences culturelles que l auteur voque dans ces uvres et aux rapports que ces r f rences entretiennent avec la repr sentation du r el dans les romans tudi s IL 1 Les personnages Llob sa famille et ses amis Le commissaire Llob Le commissaire est le personnage principal ainsi que le narrateur des deux romans que nous tudions il est g de cinquante cinq ans dans La part du mort dont l intrigue se situe en 1988 Ce personnage qui est le pivot de le s rie parvient s assurer la sympathie des lecteurs gr ce son humour sa sinc rit et son franc parler notamment lorsqu il s agit de d noncer la 54 d ch ance que conna t l Alg rie comme nous le verrons tout au long de cette partie Son portrait physique part les quelques allusions son poids relativement important semble t il est quasiment inexistant dans les six romans de la s rie Ce qui peut tre interpr t comme une volont de l auteur d en faire un personnage auquel on peut s identifier d autant plus que ce dernier est loin d inca
178. ur garagiste livreur pr teur sur gages avant de louer un chalutier Il se fit coffrer pour usage 5 A 134 abusif de dynamite au cours de ses sorties de p che On pourrait croire qu en toute logique l avenir de ce personnage grossier agressif sans dipl mes ni v ritables comp tences se terminerait en prison mais 134 La part du mort 113 114 91 c est sans compter sur la reconnaissance de ses anciens camarades et sup rieurs et sur le d sordre et la confusion caract risant la p riode Les conditions alarmantes de sa d tention parvinrent jusqu son ancien chef maquisard entre temps devenu dieu int rimaire qui rappliqua dare dare foutant le feu au p nitencier et d clarant qui voulait l entendre que jeter au cachot un h ros de la r volution tait le summum de l ingratitude et de l ignominie Hocine El Ouahch fut lib r sur le champ Il s engagea aussit t dans la police pour se venger de ses ge liers Flic le jour prox n te la nuit ses magouilles prosp raient au vu et au su de tout le monde sans susciter la moindre objection Dans la police l esprit de corp primait sur l ensemble des autres consid rations Hocine s en inspira pour mettre les bouch es doubles Ainsi non seulement El Ouahch est lib r on le gratifie de surcro t malgr sa r putation d un poste au sein de la police qui lui offre un certain pouvoir dont 1 ne tarde pas abuser aid
179. us important il a renouvel les structures narratives du roman policier Au roman du discours tel que l ont pratiqu Agatha Christie ou Van Dine il oppose le roman du regard avec toutes les cons quences qui en d coulent bannissant la r flexion l analyse le commentaire qui s exprimaient par le discours il r duit la parole des dialogues brefs et incisifs et retient surtout le mouvement ou le geste Hammett ne sollicite pas l intelligence du lecteur mais ses nerfs ou ses tripes il n glige la perception au profit de la sensation Les personnages ne se d finissent plus par une psychologie des connaissances un caract re dont l auteur ne dit rien mais par ce qui tombe sous le regard ou accroche le regard particularit s physiques signal es d s la premi re apparition Ainsi pour le lecteur de roman noir l heure n est plus la qu te des indices pour parvenir r soudre l nigme du crime il ne s agit plus pour lui d un exercice mental qui ferait de lui une sorte de double du d tective il est entra n par les v nements et c est une tout autre forme d int r t qui captive son esprit le suspense notion sur laquelle nous reviendrons ult rieurement L autre grand ma tre du genre comme nous l voquions pr c demment est Raymond Chandler On lui doit notamment le c l bre d tective priv Philip Marlowe h ros de son roman Le Grand sommeil 1939 Ce dernier conserve une i
180. us pessimistes Il y a enfin dans La part du mort un dernier exemple de la d ch ance du pays visible dans les lieux Il s agit du village de Sidi Ba repr sentation typique d un petit village de l int rieur du pays o s vit la corruption grande chelle et o la d tresse alg rienne s exprime d une mani re on ne peut plus visible travers l architecture des lieux entre autres comme le constate Llob J ai vu des tas de foutaises dans ma vie mais celle qu incarne Sidi Ba m riterait une mention sp ciale elle est la preuve que les hommes ont atteint le summum de leur g nie et que court d imagination ils entament avec le m me enthousiasme que les premiers troglodytes le sens inverse de l aventure humaine c est dire le retour l age de pierre Sauf qu Sidi Ba la pose de la premi re pierre inaugurant l re du d clin s est prolong e dans une anarchie urbaine outrepassant les limites de l entendement Des immeubles con us dans l urgence pour r sorber une d mographie galopante ont mobilis toute la crapule r gionale qui stimul e par une administration fondamentalement sc l rate s est jet e corps et me dans des magouilles que le diable n aurait pas imagin es En ouvrant la fen tre de ma chambre d h tel je re ois de plein fouet un torrent de dissonances puis le spectacle traumatisant d un vaste ghetto aux chauss es l preuses aux trottoirs teigneux et aux
181. ut Ce passage insiste sur un fait important la d gradation de la situation est essentiellement due la corruption qui s vit dans le pays En effet on ne peut esp rer construire un tat fort et sain si son syst me Judiciaire cens prot ger et garantir les droits de tous les citoyens se vend au plus offrant Pour finir l auteur souligne une nouvelle fois les liens qui unissent mafia politico financi re et int grisme Un grand nombre d int gristes fr quentaient le salon des nababs connaissaient intimement les rouages des hautes sph res Celui l tait garde du corps de tel PDG le voici mir d une horde cannibalesque Celui ci tait chauffeur d un tel n o bey le voici v hiculant des tracts subversifs travers le pays Au fil des r v lations je suis t tanis par ce sentiment qui vous prend la gorge lorsque vous vous apercevez que la lueur au bout du tunnel de ci 127 n est que la r verb ration de l enfer 124 Morituri p 165 125 Thid p 166 126 Thid p 167 1277 Thid p 158 159 85 Le second roman de notre corpus La part du mort se base galement sur une p riode et des incidents r els et qui font partie de L Histoire de l Alg rie contemporaine Il s agit comme nous avons pu le constater de la fin des ann es 80 et de leur cort ge de probl mes sociaux et conomiques Mais l auteur fonde son intrigue sur des v nements peut tre encore plus troubles et plu
182. ux L inspecteur Bliss Nahs quant lui est le bras droit du patron de ce fait il est d test par la quasi totalit du commissariat qui lui reproche entres autres de tout rapporter au patron d tre son l che bottes attitr et surtout d tre un v ritable porte malheur Tout comme le patron dont il a su se faire un alli Bliss ne risque pas de perdre son poste puisqu il semble user merveille de son don de polyglotte en l che et qu il a une s ur dans l administration qui dispose d innombrables connaissances 5 Morituri op cit p 141 Le dingue au bistouri op cit p 10 Morituri p 67 61 Enfin l inspecteur Serdj est sans doute l un des coll gues les plus appr ci s de Llob extr mement d vou son travail il est selon les propos de ce dernier La cheville ouvri re de la boite Il ne sait pas dire non quand on le sollicite Ses camarades de promo sont commissaires ou hauts fonctionnaires Lui il clopine beno tement sur sa douzi me ann e d inspecteur de bas tage Parce qu il est ob issent et indispensable on refuse de le laisser b n ficier de stage ou de bourse ces deux crit res promotionnels tant r serv s exclusivement 86 aux pistonn s et aux ind sirables dont on veut se d barrasser Victime de son s rieux Serdj n a pas les dents assez longues pour b n ficier d une promotion Comme beaucoup de fonctionnaires consciencieux et incorruptible 8 1 vi
183. ve le personnage qui l avait engag au d part Ghoul Malek Comme nous avons pu le constater travers cette rapide pr sentation des deux romans de notre corpus les th mes d velopp s par l auteur sont en prise avec la r alit alg rienne et se caract risent ainsi par un lien fondamental avec celle ci C est justement ce lien que nous nous proposons d tudier dans notre chapitre suivant 50 CHAPITRE 1 EFFETS DE R EL ET D NONCIATION DANS L UVRE DE KHADRA IL 1 Les personnages IL 2 Les lieux IL 3 Les v nements inscription et prise en charge de l Histoire dans les polars de Khadra IL 4 R f rences culturelles identit et effets de r el 51 II Effet de r el et d nonciation dans l uvre de Khadra La litt rature alg rienne des ann es 90 se con oit comme une criture t moignage dont la caract ristique principale est la vraisemblance C est comme on peut le constater la lecture des textes une litt rature r aliste qui fonctionne comme un compromis entre l exactitude historique et la libert de 0 l crivain Ainsi que le rel vent les propos de Farida Boualit la litt rature alg rienne des ann es 90 se caract rise par un vident retour au r f rent qui concerne particuli rement les uvres de notre corpus d autant plus que celles ci appartiennent comme nous l avons d montr pr c demment au roman noir Ce dernier se caract rise notamment par l
184. villes alg riennes s y pr terait enfin L actualit de l poque tant profond ment marqu e par le conflit isra lo arabe propos de la Palestine l ennemi combattre tait tout d sign En effet en combattant l tat d Isra l on r affirmait la fois l identit arabe et l engagement de l Alg rie dans les combats contre le colonialisme et l imp rialisme tout en d pla ant le lieu de l action vers des pays ennemis repr sent s comme des viviers du vice et de l immoralit en opposition l Alg rie et ses villes qui demeurent ainsi des lieux immacul s Les six romans d espionnages de la s rie de Y Khader ainsi que les deux romans d Abdelaziz Lamrani ont pour point commun d avoir pour personnages principaux des sortes du super h ros au service de l tat ayant tout deux particip en tant que lieutenants de ALN arm e de lib ration nationale la guerre de lib ration et qui s engagent par la suite travailler pour l tat alg rien Il s agit de Mourad Saber h ros des romans de Y Khader et d Emir 17 dans ceux de Lamrani Mourad Saber alias SM 15 est le premier agent sp cial de la litt rature alg rienne il appara t pour la premi re fois sous la plume de Youcef Khader dans D livrez la Fidayia en 1970 Sans vouloir reproduire l excellente analyse de cet agent effectu e par R Belhadjoudja dans sa th se nous retiendrons surtout les principales caract ri
185. voir t enlev par un groupe terroriste Lorsque la nouvelle de son enl vement fait le tour du commissariat ses coll gues souhaitent seulement qu il ait t tu par balles Ce n est malheureusement pas le cas l auteur ne se soucie pas plus de m nager ses lecteurs que la r alit elle m me Dr le d poque Lorsqu un coll gue est tu par balle on estime que c est ce qui pouvait lui arriver de mieux au vu des cadavres horriblement d pec s qui jalonnent la malheureuse terre d Alg rie La mort d un coll gue est un fait assez rare dans la litt rature polici re mais elle constitue 1 1 un rappel brutal de 18 r alit du danger qui guette au quotidien les agents des forces de l ordre Khadra continue son analyse de la r alit alg rienne en d voilant les strat gies que les terroristes peuvent utiliser ainsi il voque plus loin la possibilit que l assassinat de Serdj ne soit qu un pi ge que ses assassins tendent ses coll gues pour frapper encore plus fort lors de l enterrement de ce dernier Les terroristes nous ont habitu s des abjections inimaginables Il leur arrive de tuer la m re uniquement pour pi ger le fils le jour de la lev e du corps et d assassiner un flic pour mitrailler ses coll gues venus se recueillir sur sa 21 tombe Enfin il y a un autre exemple de la cruaut de la situation en Alg rie dans Morituri Il s agit cette fois ci d un personna
186. vre de Khadra est renforc par les v nements d crits et contre toute attente par le caract re r aliste de la fin de ses uvres qui ne se conforment plus vraiment ce que la norme du genre policier impose comme conclusion au roman Cet effet est aussi renforc par le recours certaines r f rences culturelles qui par leur d nigrement m me renforcent le r alisme de l oeuvre Cf l exemple de Sherlock Holmes Cependant on ne peut s emp cher de constater que ce type de r f rences est beaucoup moins fr quent lorsqu il s agit d uvres occidentales leur ventuelle pr sence ne sert g n ralement qu a marquer l ind pendance de l auteur leur gard Khadra est ainsi fid le au mod le occidental en mati re de construction comme le constate E Maleski Les diff rents ressorts propres au roman noir classique tel qu il s est notamment d velopp ses d buts sont repris pr sence d une organisation mafieuse l origine du mal sc nes d actions filatures courses poursuites confrontation de l enqu teur mis reux avec le faste des villas des corrompus et des profiteurs du syst me et bien videmment peinture sombre de la ville et de ses habitants Mais l auteur revendique beaucoup plus volontiers son appartenance un mod le culturel maghr bin et arabe en g n ral Khadra n h site pas voquer les polars 141 Maleski P 248 97 d

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