"Hypertexte et fiction, une affaire de liens", in Salaün, J.
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1. Eastgate Systems 1994 est propos et choisir le fragment cible avec un minimum de discernement Le rapport tabli entre l ancre et le fragment qu elle d signe peut tre qualifi de m tonymique dans la mesure o l ancre fonctionne comme signe qui d signe le fragment comme signifi Cette s mantique des liens est au c ur de la probl matique hypertextuelle Dans les syst mes les plus simples comme le web elle repose enti rement sur la s miotique de l ancrage du lien et ou sur celle du curseur qui le survole Le cas de l ic ne est le plus simple dans la mesure o elle propose un ancrage con u pour tre le moins univoque possible Certaines ic nes sont m mes devenues des classiques et constituent un vocabulaire commun minimum consacr par l usage L image quant elle est davantage pluris mique Mais quand elle est contextualis e elle constitue un ancrage efficace Dans 20 d amour en plus les objets d une pi ce les portes ou les fen tres sont des invitations explorer un univers l image n a pas besoin d explication Le cas du texte est le plus complexe car il repose enti rement sur l interpr tation que fait le lecteur du mot ou du groupe de mots Si le lecteur se doute bien qu en cliquant sur un nom propre il en saura plus sur le lieu ou le personnage Apparitions inqui tantes dans la plupart des cas il lui est difficile d anticiper sur ce qui l attend Fragments d une Histoire Certains auteurs peuvent faire de ce2. Guy Debord Comme le pi ton qui s approprie l espace urbain et par ses d placements le reconfigure sa fa on le lecteur d hypertexte d limite un espace de lecture qui ne recouvre pas la totalit de l uvre mais lui en donne une image suffisante pour qu il ait le sentiment de la conna tre tout en pr servant le plaisir de la revisiter pour y faire de nouvelles d couvertes La brisure du lien produit encore une derni re figure par augmentation de la charge polys mique des fragments hypertextuels Chacun d eux se trouvant l intersection de plusieurs liens il doit pouvoir faire sens dans tous les parcours o 1l est pris La non explicitation du lien permet ces changes Comme la m taphore qui fait image en croisant les champs lexicaux le fragment est un miroir changeant qui prend les couleurs du chemin qui l emprunte Le lien calcul Dans la th orie hypertextuelle les liens se divisent en deux classes celle des liens dit s et celle des liens calcul s Les liens dit s sont des liens simples comme ceux que l on rencontre sur le Web Mais certains syst mes hypertextuels autorisent la cr ation de liens plus complexes qui ne s activent qu certaines conditions tiennent compte du parcours du lecteur ou op rent des choix al atoires Dans les hypertextes non fictionnels ces liens calcul s contribuent am liorer la navigation La prise en compte du parcours du lecteur permet de mieux adapter le texte son profil
3. nouvelles L criture du lien est un art difficile et complexe mais elle ouvre la litt rature de nouveaux horizons Quant aux hyperlecteurs ils auraient tort de croire que la lecture de l hypertexte s apparente au zapping L hyperfiction exige au contraire une attention non seulement au texte mais au dispositif nonciatif elle ne procure de plaisir que par l exploration de formes nouvelles et par la tension cognitive qu elles exigent uvres cit es BALPE Jean Pierre et le groupe graphe Trajectoires http wWwww trajectoires com De BOUTINY Lucie NON roman http www synesthesie com boutiny index htm BRANDENBOURGER Anne Cecile Apparitions inqui tantes Editions 00h00 2000 CAMUS Renaud Vaisseaux br l s http perso wanadoo fr renaud camus COULON Fran ois 20 d amour en plus Kaona 1997 COULON Fran ois Pause 2002 DUFOUR Frank CHIFFOT Jacky ARMANETTI Gilles Sale Temps Microfolie s 1997 JACKSON Shelley Patchwork Girl Eastgate http www eastgate com JOYCE Michael Afternoon a story Eastgate http wWww eastgate com LAFAILLE Jean Michel Fragments d une histoire SWIGART Rob About Time http wordcircuits com gallery abouttime 11
4. Hypertexte et fiction une affaire de liens Jean Cl ment Universit de Paris 8 iclement magic fr Introduction La premi re caract ristique de l entreprise de num risation l uvre dans les arts et les lettres est la d mat rialisation de leurs supports sp cifiques Dans le cas de la litt rature cette d mat rialisation conduit une rupture avec notre culture du livre qui va au del d un simple changement de support Nos modes de pens e et nos formes de mise en discours sont en effet si intimement li es au livre que son effacement programm dans l univers du num rique produit un branlement qui n est pas seulement technologique mais aussi intellectuel et pist mologique Pour le dire bri vement le livre de par sa nature propre est fond d abord sur la succession des pages et secondairement sur une organisation hi rarchis e de sa mati re rendue possible par la mise en place progressive d outils destin s en faciliter la consultation tels que la division en chapitres ou la table des mati res Ces deux caract ristiques essentielles que sont la lin arit des pages et la hi rarchisation des contenus ont contribu modeler durablement notre habitus discursif et rh torique Avec l hypertexte elles sont toutes les deux remises en question Dans le domaine de la litt rature et plus particuli rement de la litt rature fictionnelle la lin arit discursive est s v rement atteinte par le dispositif hypertextue
5. a petite hutte ou retourner l autre crique en passant par les rochers Raymond Queneau en fait un usage parodique par anticipation dans son Conte votre fa on propos de l histoire des trois petits pois 12 Mark Berstein a recens quelques unes de ces figures dans son article Patterns of hypertext http www eastgate com patterns Si vous d sirez savoir ce qui se passe sur le th tre de leurs ablutions passez 16 si vous ne le d sirez pas vous passez 21 Comme on le voit dans ces deux exemples l usage du paratexte est une fa on de mettre en sc ne les relations narrateur narrataire et conduit m me parfois instituer le narrataire comme personnage principal du r cit Dans ce cas le lien paratextuel tend privil gier la navigation comme jeu le paratexte sur la narration proprement dite le texte Une autre fa on de guider le lecteur consiste non plus cr er des ancrages paratextuels mais proposer des liens vers des espaces paratextuels Dans Sale Temps le paratexte est tr s habilement ins r dans la narration Il fonctionne la fois comme r cit et comme mode d emploi Vendredi 13 septembre 1996 Jan a t tu au pied de l immeuble de Blocksberg Rendu la vie par une voix myst rieuse il dispose de 12 heures pour tenter d viter la mort Comment utiliser ce temps Vers qui se tourner Comment chapper un destin qui semble inscrit depuis si longtemps Que faire des traces d un pas
6. c le plus souvent bris e Le ph nom ne est particuli rement sensible dans l hyperfiction qui se voit ainsi priv e des moyens habituels de l encha nement narratif Mais dans le m me temps il est le signe d une v ritable criture hypertextuelle qui peut trouver dans la discontinuit le moyen de cr er des effets de surprise de d sorientation de rapprochements inattendus Les figures de la disjonction sont la marque de fabrique de l hypertexte narratif 3 Dans l dition de po sies par exemple 4 Pour une tude exemplifi e de cette question voir Serge Bouchardon Hypertexte et art de l ellipse d apr s l tude de NON roman de Lucie de Boutiny para tre 5 Comme en t moigne le nom d Anacoluthe donn par l auteur d Apparitions inqui tantes son site http www anacoluthe com La synecdoque est une autre figure de cette brisure du discours l inverse de l asynd te qui supprime le lien un rien la place de quelque chose la synecdoque prend le fragment pour sa totalit un moins la place du plus Le parcours d un hypertexte en effet est pour le lecteur une fa on de s approprier l espace hypertextuel en d coupant dans la totalit des fragments un sous ensemble qui fait sens son chelle et vaut pour le tout qui lui reste inaccessible De ce point de vue on peut comparer la lecture d un hypertexte une promenade une d ambulation une d rive dans la ville pour reprendre l expression de
7. de tenir compte de ses centres d int r t de ses habitudes de navigation ou de ses connaissances acquises Dans le domaine de la fiction loin de faciliter la navigation les liens calcul s y ajoutent une contrainte suppl mentaire et favorisent une esth tique de la d sorientation et de la d ception Car si dans un livre le dispositif est peu pr s transparent dans un hypertexte le programme qui interagit avec le lecteur est inaccessible la lecture Et la 6 Guy Ernest Debord Th orie de la d rive in L Internationale situationniste Paris 1956 1 Le langage HTML ne permet que ce type de lien Pour d passer ces limites il faut faire appel des langages de script comme javascript qui permettent d introduire des liens calcul s en attendant que le langage XML ne prenne le relais d HTML Le syst me Connexion offre cet gard des outils int ressants pour les non programmeurs http wordcircuits com connect 8 L esth tique de la d ception dans les uvres num riques a t th oris e par Philippe Bootz 9 Il faut cependant mettre part les ouvrages fond s sur des contraintes non explicit es comme l Oulipo en a produit quelques uns C est ainsi que certains des premiers lecteurs de La Disparition ne se sont pas aper u du programme d criture qui a conduit Georges Perec crire un roman sans jamais utiliser la lettre e diff rence des jeux vid os fond s sur un r pertoire limit d action et d effets rapide
8. directionnels on quitte un fragment pour un autre les seconds retardent la narration par des digressions ils sont bi directionnels on fait un aller retour 11 Selon l ancienne tradition des scoliastes les chants des pop es ou les chapitres des romans taient pr c d s d un r sum appel argument Le proc d s est maintenu sous forme parodique de Cervant s Voltaire Bien que les digressions soient parfois consid r es en litt rature romanesque comme anti narratives elles constituent souvent dans l hyperfiction un arri re plan essentiel qui permet l auteur d enrichir son sc nario par un changement de voix narrative ou de point de vue et de ralentir le parcours de l hypertexte en permettant au lecteur de choisir son rythme et son degr d investissement dans l histoire Les liens bifurcations quant eux construisent des structures narratives complexes qu il est illusoire de vouloir recenser de fa on exhaustive Parmi les plus classiques on peut citer les figures de l arborescence divergente ou convergente de la boucle du contrepoint de la r p tition de l impasse etc 2 Les figures narratives ainsi dessin es rel vent tout autant d un parcours de lecture que d une criture consciente de la part de l auteur Elles se distinguent des figures du r cit classique par leur absence de vis e t l ologique La construction de l histoire ne se fait pas selon un ordre unique et orient Elle est al atoire incertain
9. e lecteur peut choisir sa p riode et son fragment identifi s par de mots cl s Dans Patchwork Girl Shelley Jackson propose des liens partir du graphe des parcours possibles Les m taliens permettent ainsi de survoler l hypertexte d en avoir une vue g n rale d en apercevoir les contours Cependant l hypertexte de fiction fait rarement un usage purement fonctionnel des m taliens comme si les auteurs cherchaient en faire un l ment de la fiction part enti re Tel auteur propose une navigation partir d une carte des tats unis tel autre utilise un tableau des l ments chimiques pour acc der aux diff rents fragments de son r cit Dans Patchwork Girl c est une repr sentation phr nologique des zones du cerveau qui sert de plaque tournante une partie de l hypertexte L interface de navigation propos e par Fran ois Coulon dans Pause est une toile d araign e o sont accroch s les acteurs de l histoire et les phrases cl s de chaque pisode Le m talien est pour l auteur de fiction l occasion de fournir une repr sentation de son hypertexte qui r unit sous une nouvelle forme quelques uns des attributs qui dans l univers de l imprim construisent le livre comme objet manipulable la jaquette la reliure le titre la table des mati res l index etc Conclusion L hypertexte n est pas encore un genre tabli et il ne le sera sans doute jamais En l absence d une d finition g n tique culturellement partag e chaq
10. e parfois m me sans commencement ni fin Michael Joyce en avertit le lecteur dans Afternoon Closure is as in any fiction a suspect quality although here it is made manifest When the story no longer progresses or when it cycles or when you tire of the paths the experience of reading it ends Le lien renforc Le parcours d un hypertexte narratif on l a vu s av re d routant pour le lecteur qui a souvent l impression d avancer t tons dans un labyrinthe dont il ne per oit ni les contours ni la sortie Les liens ancr s dans le texte ne lui offrent pas une visibilit suffisante de son parcours les structures de l hypertexte sont trop loign es de notre culture de l imprim les rep res familiers ont disparu C est pourquoi les auteurs d hyperfiction prouvent le besoin de guider le lecteur de s adresser lui pour une explication de lui fournir un mode d emploi de lui proposer un nouveau contrat de lecture Le texte lui m me n tant plus porteur de ses propres r gles c est dans le paratexte que le lecteur trouve parfois secours L hypertexte en fait un usage bien plus fr quent que le livre et il est parfois difficile de le distinguer du texte lui m me Un cas de figure couramment rencontr consiste utiliser le paratexte comme moteur narratif en lui assignant la fonction d ancrage du lien Les livres dont vous tes le h ros font un usage syst matique de ce proc d Allez vous traverser la plage jusqu l
11. ecture Qu te enqu te exploration rem moration parcours d espaces labyrinthiques sont en effet parmi les th mes les plus fr quemment rencontr s dans les hyperfictions Le m talien Quel que soit son degr d implication narrative le lien hypertextuel reste toujours marqu par deux caract ristiques g n tiques sa nature a discursive et son caract re local Pour le lecteur comme pour l auteur ce handicap narratif peut tre une contrainte stimulante et ludique Il est parfois aussi source de d couragement et de d ception C est pour y rem dier que la plupart des hypertextes pr voient des outils sous la forme de m taliens permettant au lecteur de prendre une vue panoptique sur la structure du r seau de liens propos s au parcours ou d j parcourus Ces m taliens peuvent donner acc s des plans des cartes des listes des r sum s des retours en arri re ou des sauts en avant des signets ou des mots cl s Dans Apparitions inqui tantes par exemple l auteur propose sur chaque page un lien guide qui donne acc s la liste des pisodes et des sous pisodes tandis qu un autre lien permet de parcourir l hypertexte vers l avant ou vers l arri re Renaud Camus propose un index des fragments de ses Vaisseaux br l s Dans Trajectoires de Jean Pierre Balpe le lecteur peut acc der aux diff rentes journ es d un roman g n ratif par l interm diaire d un calendrier Dans About Time de Rob Swigart l
12. ertexte s affranchit de cette continuit mat rielle en s affichant sur un cran Sur cette surface unique et sans profondeur le texte appara t d tach de son contexte suspendu au temps de son affichage isol dans sa singularit Cette discontinuit mat rielle est aussi une discontinuit discursive L hypertexte en effet n est pas seulement un nouveau dispositif de publication il est aussi indissolublement une technologie la fois intellectuelle et nonciative qui rompt avec la lin arit du discours introduit des ruptures produit du d sordre et du jeu dans les activit s d criture et de lecture Il favorise une criture fragmentaire elliptique d li e des r gles de la rh torique traditionnelle Ce faisant il s inscrit dans une histoire des formes discursives et nous rappelle que la lin arit n est pas la figure unique de l nonciation m me si tout texte a massivement affaire avec le lin aire Ainsi la non lin arit est elle le plus souvent per ue l expression l indique assez comme une absence un d ficit un manque sinon un manquement Dans l histoire des textes la litt rature fragmentaire est souvent le r sultat d une perte Dans le corpus de la philosophie grecque les textes de D mocrite d Epicure d Eudoxe ou d H raclite qui nous sont parvenus sont les vestiges de textes disparus Les Pens es de Pascal avant de relever d un genre litt raire sont d abord les fragments d une pens e en mouvement qui consti
13. inuit sugg r e par les pages m me si la plupart du temps ils sont organis s selon un ordre qui fait sens pour leur auteur ou leur diteur mais au hasard des humeurs ou des occasions tant destin s le plus souvent tre m moris s ou repris sous forme de citation Dans l histoire de la litt rature europ enne moderne les romantiques ont t les premiers revendiquer le fragment comme genre part enti re Friedrich Schlegel l a d fini comme une petite uvre d art d tach e du reste du monde et ferm e sur elle m me comme un h risson Les Bl tenstaub de Novalis en sont un exemple classique Notre poque contemporaine qui se veut modeste et post moderne a adopt le fragment comme signe d un renoncement aux discours constitu s aux id ologies aux trait s philosophiques la constitution d un sens d finitif C est ainsi par exemple que Roland Barthes pr sente ses Fragments d un discours amoureux C est le principe m me de ce discours et du texte qui le repr sente que ses figures ne peuvent se ranger s ordonner cheminer concourir une fin un tablissement il n y en a pas de premi res ni de derni res Pour faire entendre qu il ne s agissait pas ici d une histoire d amour ou de l histoire d un amour pour d courager la tentation du sens il tait n cessaire de choisir un ordre absolument insignifiant 2 Le refus de la tentation du sens peut tre aussi dans certains cas le signe d une c
14. l Celui ci se caract rise en effet par une d lin arisation du discours narratif auctorial et par sa relin arisation par un lecteur singulier Ce report de l auteur vers le lecteur de l ordonnancement des unit s narratives n est certes pas total L auteur garde la pr rogative de l offre C est lui qui d cide des liens qui seront propos s au lecteur Mais cette offre se trouve priv e des secours habituels de la rh torique narrative Le lecteur est plac devant des choix difficiles qui sont facteurs de dissonance cognitive quel lien suivre Comment anticiper sur le fragment venir Comment savoir o en est l histoire Quant l auteur il doit inventer une rh torique hypertextuelle pour pallier le caract re d sormais elliptique de la narration Comment qualifier la nature des liens propos s au lecteur Comment guider ses choix Sur quoi fonder sa relation avec lui en l absence de pacte de lecture assur Toutes ces questions n ont pour le moment re u que des r ponses singuli res Ce sont quelques unes de ces r ponses que je me propose d examiner maintenant l Gilles Deleuze et F lix Guattari ont crit ce sujet des pages tr s essentielles dans l introduction leur ouvrage Mille Plateaux ditions de Minuit 1980 Le lien absent L hypertexte se pr sente avant tout comme une figure de l ellipse qui th matise la solution de continuit Quand les pages du livre se proposent la lecture dans un ordre immuable l hyp
15. ment assimil s par le joueur l hyperfiction est souvent un jeu intellectuel dont le lecteur ne conna t pas les r gles Un exemple classique de cette d sorientation consiste revenir sur un fragment d j lu pour constater que les liens activ s lors d une premi re lecture ont disparu ou ne pointent plus vers les m mes fragments Dans un hypertexte classique la r currence est le moyen gr ce auquel le lecteur peut imaginer la structure du r seau hypertextuel qu il parcourt et en dresser une cartographie mentale Mais quand la structure devient mouvante au gr des parcours le lecteur est confront l absurde de sa situation L hypertexte quitte alors le domaine de la narration pour privil gier une exp rience de lecture totalement in dite Le lien typ Cette exp rience de la d sorientation n est cependant pas toujours souhait e par les auteurs La plupart au contraire cherche rem dier la d g n rescence du r cit par un renforcement du s mantisme des liens en d veloppant ou en utilisant des outils d aide l anticipation en travaillant l ergonomie de leurs interfaces Pour faire face aux probl me de d sorientation et de surcharge cognitive la th orie hypertextuelle a labor d s ses d buts la notion de typage des liens Sur le plan intellectuel le typage consiste d finir des types de relations entre documents On peut par exemple concevoir des liens de type note ou bibliographie ou commentaire etc Ce
16. ontestation de l ordre institu par la tradition litt raire et par la langue elle m me C est ainsi que le m me Roland Barthes s tait risqu jadis une condamnation du fascisme de la langue Les vell it s de d construction de la langue et du sens apparaissent souvent dans les p riodes o la civilisation doute d elle m me Les po mes dada stes la litt rature combinatoire l ordre des mots livr au hasard sont des formes qui t moignent d un rejet des liens institu s inscrits au c ur m me du langage De ce point de vue la g n ration automatique de textes s inscrit dans ce courant comme en t moigne sur le Web le site charabia net l appellation provocatrice M me quand elle est tr s labor e et parvient mimer la production d nonc s litt raires dans des genres aussi tablis que la po sie ou le roman la g n ration automatique de textes t moigne de l artificialit de notre mise en discours en d montrant de fa on souvent convaincante que celle ci rel ve de m canismes accessibles la mod lisation par un programme informatique Le lien bris S1 la question du lien est centrale dans la probl matique hypertextuelle c est d abord parce que l hypertexte est par nature discontinu Il en va ainsi dans les hypertextes documentaires qui sont d abord con us comme un nouvel outil de navigation dans des bases de donn es Les informations qu elles contiennent y sont h t rog nes organis es de fa on struct
17. rtains auteurs ont m me con u des syst mes hypertextuels sp cialis s destin s soutenir une argumentation en distinguant des liens exemple contre exemple argument contre argument etc Dans le cas des hypertextes de fiction le typage des liens peut apporter la narration un suppl ment de visibilit en cat gorisant les fragments et en typant les relations qui les unissent Un auteur pourra proposer au lecteur de choisir des parcours typ s par la couleur de leurs liens Ce dernier pourra ainsi par exemple s attacher un personnage ou une voix narrative ou encore un point de vue particulier Dans tous les cas le typage repose sur un contrat implicite ou explicite pass avec le lecteur il est l hypertexte ce que les conventions typo dispositionnelles sont au texte Le lien s mantis La fragmentation hypertextuelle privant l auteur et le lecteur des ressources de la rh torique discursive textuelle pour assurer le passage d un fragment l autre le typage des liens ne peut se faire que par l interm diaire de la forme que prend leur ancrage dans le fragment source C est en effet au niveau de l ancrage et de son contexte que le lecteur peut interpr ter le type de lien qui lui 10 Voir par exemple le syst me Author s Argumentation Assistant dont on trouvera une description dans Laufer R et Scavetta D Texte hypertexte hyperm dia PUF 1992 ou Kolb D Socrates in the Labyrinth Hypertext Argument Philosophy
18. s qui le condamne Comment assembler les l ments de sa m moire sans reconstituer le drame que fut sa vie Dans d autres uvres 1l est davantage rejet hors de la fiction la mani re d une pr face ou d un avant propos Ce n est plus le narrataire qui s y manifeste mais l auteur lui m me Ainsi Fan ois Coulon propose t il des liens vers des espaces o il s explique sur les conventions narratives les conventions techniques et donne conseil sur les conditions de perception id ales de son uvre Tout se passe comme si l auteur vacu du processus d nonciation d sormais transf r au lecteur et s par de lui par le dispositif technique cherchait par un renforcement du lien renouer avec lui C est sans doute ce qui explique que quelle que soit sa nature narrative ou extra narrative le paratexte ne cherche pas se constituer dans un rapport hi rarchique avec le texte et peut parfois s installer dans un rapport de concurrence avec lui Il faut voir dans ce franchissement de la fronti re entre texte et paratexte une des caract ristiques de l hypertexte Celui ci tend en effet exhiber son dispositif narratif pour en faire l enjeu de la lecture Si bien que l on pourrait soutenir sans trop d exag ration que lire un hypertexte c est d abord comprendre comment il fonctionne C est sans doute aussi de ce point de vue qu il faut interpr ter les cas fr quents de mise en abyme r ciproque du texte et de son dispositif de l
19. sion qu offre le livre et qui le constitue en volume Elle ne peut tre situ e sur l axe syntagmatique de l nonc tel que le mat rialise la continuit des pages Son mode d existence est essentiellement paradigmatique Cette brisure du lien si elle n est pas contourn e par un dispositif de type tourne page mais prise en compte comme contrainte d criture produit ses effets dans la mise en oeuvre du dispositif nonciatif L criture et la lecture doivent se placer sous le signe d une nouvelle rh torique dont les tropes les plus caract ristiques sont des figures de la non explicitation du lien et de l ellipse asynd te synecdoque m tonymie m taphore L asynd te ou la parataxe sont des figures de la disjonction qui suppriment tout lien logique entre deux propositions l chelle de l hypertexte elles manifestent une de ses caract ristiques essentielles le lien hypertextuel se pr te mal l articulation explicit e de ses fragments Son ancrage s mantique sur les mots du texte source ne suffit pas rendre sensible sa nature discursive cette faiblesse du lien il faut ajouter une autre difficult fr quemment rencontr e par les auteurs la n cessit d articuler selon des configurations diff rentes les fragments hypertextuels De sorte qu un fragment peut se trouver potentiellement reli plusieurs autres qui n auront pas forc ment le m me rapport logique ou chronologique avec lui La continuit discursive est don
20. tte difficult un moteur narratif C est ainsi que Michael Joyce dans sa pr face d Afternoon a story se contente d indiquer au lecteur qu il doit cliquer sur les mots qui c dent yield sans les signaler autrement Mais le plus souvent les concepteurs n h sitent pas renforcer le s mantisme du lien par l usage d une typographie ou d une couleur distinctives ou encore d un curseur qui peut prendre diverses formes de l index d une main au point d interrogation quand il survole une ancre activable La n cessit de renforcer le s mantisme du lien peut m me parfois passer par un tiquetage qui appara t lors du survol de l ancre par le curseur Un court texte appara t alors dans une fen tre jaillissante qui donne des informations suppl mentaires sur le fragment cible Cette pratique n est pas sans rappeler celle ancienne des r sum s appel s arguments plac s par les auteurs ou les diteurs en t te de chapitre dans certains ouvrages O Passepartout voit bien que m me aux antipodes il est prudent d avoir quelque argent dans sa poche Transpos e au niveau des fragments elle permet au lecteur de faire des choix plus ou moins motiv s Lien narratis Dans l hypertexte de fiction la fonction essentielle du lien est de produire des effets narratifs Pour pouvoir les identifier il faut d abord distinguer entre deux grandes familles les liens bifurcation et les liens incises Les premiers construisent des parcours ils sont uni
21. tuent l avant texte d une Apologie de la religion chr tienne que l auteur projetait d crire et que la mort a interrompu Le Tractacus logico philosophicus de Wittgenstein est un recueil fragmentaire qui de l aveu de son auteur est le r sultat d une impuissance produire un discours organis en trait Les exemples sont nombreux dans la litt rature qui tendent qualifier la litt rature fragmentaire comme une litt rature de l inach vement Le lien contest Mais cette non lin arit qui est la marque d une criture de la rupture et de la discontinuit peut aussi tre le signe d une volont d lib r e Les genres brefs comme les slogans les proverbes les aphorismes ou les maximes doivent tre consid r s comme des genres fragmentaires particuliers ils ne r sultent pas d un manque ou d un d faut ils ne renvoient pas une totalit absente Ils sont une forme litt raire part enti re qui s inscrit en marge des mod les rh toriques discursifs dominants Les Maximes de La Rochefoucauld les 383 fragments du Gai savoir de Nietzsche les psautiers de la liturgie chr tienne les versets du Coran le petit livre rouge des mao stes sont quelques exemples d une litt rature qui privil gie le jaillissement de la pens e philosophique l inspiration spirituelle ou politique aux artifices et aux d tours de la rh torique classique M me si ces nonc s fragmentaires sont r unis en recueil ils sont lire non pas dans la cont
22. ue fiction hypertextuelle est tenue d inventer ses propres r gles Pour l essentiel celles ci se ram nent toutes la question du lien Or le statut de ce dernier est paradoxal L hypertexte en effet est d abord apparu comme une tentative de d construction du texte comme une lib ration des contraintes et des artifices de la rh torique classique subordonn e la lin arit du discours Dans la culture am ricaine qui l a vu na tre il a accompagn le mouvement libertaire et servi d tendard une contestation de l ordre litt raire tabli Dans ce contexte le lien est apparu comme la d l gation au lecteur d une partie des pouvoirs de l auteur La d sorganisation du discours lin aire ouvrait la voie un transfert des privil ges de l nonciation vers le lecteur Mais cet effacement n est pas sans inconv nients pour 10 le lecteur n1 sans frustrations pour l auteur Si bien que le lien qui tait cens par sa vacuit s mantique autoriser une plus grande coop ration du lecteur peut s av rer impuissant g n rer des effets narratifs Pour retenir leur lecteur et produire un univers de fiction les auteurs doivent r investir le lien le charger s mantiquement narrativement le typer le programmer le cartographier l exhiber reprendre leur r le enfin et offrir aux lecteurs de reprendre le leur La t che n est certes pas ais e L hypertexte n est pas une lib ration des contraintes textuelles il en cr e au contraire de
23. urelle destin es tre produites la demande ind pendamment de tout contexte Leurs modes de classement et de consultation ob issent des logiques non discursives On le voit bien dans le cas du Web 2 Roland Barthes Fragments d un discours amoureux Seuil 1972 Souvent consid r comme l hypertexte par excellence le plus court chemin d acc s l information y passe plus souvent par des moteurs de recherche que par une navigation fond e sur des parcours de liens hypertextuels Dans le domaine de l hypertexte de fiction cette discontinuit est plus inhabituelle et souvent d concertante Elle ne peut s interpr ter que par rapport la continuit discursive qui caract rise la majorit des uvres litt raires Elle est induite par le dispositif lectoriel lui m me la diff rence du livre en effet ce dispositif appara t d abord au lecteur comme une surface un espace deux dimensions Pour autant 1l ne peut tre assimil une page de livre Cette derni re r sulte d un d coupage qui n ob it sauf cas particulier qu aux sp cifications du format de l ouvrage La coupure qu elle introduit est arbitraire et se laisse facilement traverser par la lecture La page cran ne peut jouer de cet enjambement Elle doit trouver en elle m me sa justification elle est isol e de l ensemble des autres pages crans qui attendent leur tour d apparition Cet isolement est encore renforc par l absence de la troisi me dimen
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