naepels.etrange - Stage de formation au terrain dans la région de
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1. fl chi d identit doit d ailleurs permettre dans des situations conflictuelles de maximiser le recueil d nonc s concurrents tant factuels que normatifs l ethnologue pouvant passer de mani re impr cise pour capable d intervenir comme instance de validation d une revendication Mais c est en m me temps dans de tels contextes que le risque d enclicage est le plus fort et le plus dangereux tant th oriquement si on prend un nonc normatif ou auto justificatif d un de nos interlocuteurs pour la v rit empirique pour ce qui est le cas que pratiquement on est pris partie o donc la plus grande prudence est de r gle Le rapport entre l enqu teur et les gens qu il rencontre et interroge s appuie sur la violence initiale de sa pr sence personne n est venu le chercher quelques rares exceptions pr s sa politesse et son respect de l tiquette les effets induits positifs qu il est suppos pouvoir apporter l int r t qu il peut repr senter dans une construction narcissique ou sociale Rapport de sens et rapport social la relation ethnographique ne peut conserver une valeur scientifique que si nous avons conscience de ses conditions de ses limites mais aussi de son horizon la construction d une pr sence d sint ress e d une trange tranget La disparit subjective dans l enqu te ethnographique On pourra dire non sans raison qu une telle atopie ne peut jamais tre tenue e2. sir de savoir qui donnent l occasion au travail r flexif de ses interlocuteurs de trouver un cho dans ses questions De sorte que s instaure une relation telle que la r gle scientifique d objectivit se confond avec la r gle thique de fid lit et la pratique quotidienne ou intermittente de l amiti d crire au plus juste la situa tion c est restituer la richesse subjective de l action et de la r flexion de nos inter locuteurs de nos amis en s aidant tout la fois de leurs paroles de leur intelligence du monde social qui est le leur et de notre distance qui d cale notre regard du leur Si la relation entre l ethnologue et les personnes qu il rencontre est trange et ne ressemble aucun autre rapport social ce n est pas qu une bar ri re infranchissable s pare les acteurs de quelque lointain observateur Parfois dans leur rencontre se noue un rapport libre de sujets gaux quoique diff rents dans leurs int r ts MOTS CL S atopie pist mologie ethnographie terrain Nouvelle Cal donie 33 Il y a videmment diff rentes formes possibles de cette implication subjective de la simple compli cit qu voque Clifford Geertz 1983 165 170 Pamour Je ne m int resse ici qu l amiti 34 On se reportera notamment l hommage que lui a rendu Michel Leiris 1996 1983 cinquante ans apr s leur rencontre 35 Je ne me crois pas tr s loign de la fa on dont Pierre
3. autres et me mena a mots peine cou verts en m indiquant qu il ne faudrait pas s tonner s il m arrivait quelque chose Cet pisode d sagr able et d stabilisateur ma beaucoup appris D abord sur les relations entre unit s agnatiques int ress par le conflit opposant A B C et leurs alli s D et E aux gens de Z je n avais nullement per u les dissensions internes au premier groupe En me faisant expliquer l agressivit d Arnaud C je compris que le lignage C1 malgr l unit du groupe A B C D E dans la reven dication fonci re contestait Robert A de fa on virulente la possession de la chefferie administrative de leur village Y De leur c t Albert B Marcel D et les membres de C2 cherchaient conserver l appui du groupe A dans le conflit foncier l gitimant ce faisant la position administrative du chef En habitant chez Albert B Robert A puis Marcel D jai parcouru sans le savoir une subdivision pertinente du groupe A B C D E en n gligeant le sous groupe Ci E Si d sa gr able f t elle cette exp rience me permit de prendre conscience du fait que j avais eu tort de penser tre admis dans tout le groupe A B C D E sous pr texte que je connaissais assez bien certains de ses membres L autre le on fut d apprendre qu en tudiant des conflits ma bonne foi ne pouvait nullement suffire a priori m exclure des enjeux actuels du champ social tudi que ma position dans la situation locale
4. couvris ainsi qu il me fallait accepter la situation sociale dans son caract re violent et conflictuel pour pou voir ensuite tenter de men extraire Depuis j essaie peu peu de tisser des liens me permettant de me rapprocher d Arnaud C et de lui faire comprendre mon travail Je lai revu plusieurs reprises dans le bourg administratif de Houa lou le chef lieu de commune comme en d autres c r monies coutumi res sans ani mosit mais sans chaleur particuli re et sans qu il accepte jusqu pr sent de prendre rendez vous avec moi travers cet exemple se dessinent une r gle et un objectif pour la pratique eth nographique dans l tude de situations sociales notamment conflictuelles La r gle est videmment la prudence Prudence scientifique tout d abord dans l interpr ta tion des faits recueillis il ne faut pas surestimer la rapidit de notre intelligence des situations que nous observons et dans lesquelles nous entrons Ainsi les questions qu est ce qu une unit sociale pertinente un clan un lignage un r seau de rela tions quelle est la nature des liens de d pendance d influence ou de pouvoir de telle personne sur telle autre n offrent pas de r ponses imm diates alors m me que l anthropologue sp cialement d butant se sent commis d y r pondre au plus vite pour pouvoir faire montre de sa qualification professionnelle Mais aussi pru dence pratique dans la gestion des interactio
5. n taient pas pr ts du tout m enseigner leurs coutumes et leurs croyances Ils n avaient que faire des pr sents que je d posais c t d eux que faire de l aide que je croyais pouvoir leur apporter C tait cause de moi qu ils abandonnaient leurs villages et c tait seulement pour me d courager moi pour me persuader qu il tait inutile que je m acharne qu ils choisissaient des terrains chaque fois plus hostiles s imposant des condi tions de vie de plus en plus terribles pour bien me montrer qu ils pr f raient affronter les tigres et les volcans les mar cages les brouillards suffocants les l phants les araign es mortelles plut t que les hommes Je crois conna tre assez la souffrance physique Mais c est le pire de tout de sentir son me mourir Je cite cet exemple litt raire parce que les faillites ethnographiques r elles sont pour la plupart tues Les conditions de la pratique ethnographique ne sont d ailleurs pas donn es universellement les ethnologues arrivent en g n ral et ce fut mon cas apr s les militaires les missionnaires les commer ants et les administrateurs et b n fi cient d une situation de domination pour imposer leur pr sence a contrario on peut rappeler le destin de l ethnologue William Jones voqu par Renato Rosaldo 1980 2 8 qui fut tu en 1909 par les Ilongots des Philippines qu il tait venu tudier dans un contexte non pacifi Il n est p
6. on m autorise donner un nom ce rapport d intimit ext rieure qui parfois se cr e dans la rela tion ethnographique c est l amiti Il y a l comme un coup de force vouloir faire d une relation psychologique imaginaire fragile un acquis d cisif dans le processus scientifique d enqu te alors m me que j ai d fini la relation d enqu te par sa disparit subjective qui s oppose la sym trie de la relation amicale Il me semble pourtant que l ext riorit par rapport aux enjeux sociaux d une situation rend possible au hasard de certaines rencontres l implication subjective de l en qu teur dans la relation qu il cr e avec certaines personnes Une telle relation d amiti n est pas n cessairement celle qui fournit le plus grand nombre d infor mations ce que sous entend au contraire la notion d informateur privil gi mais plut t celle qui permet l ethnographe de participer la situation qu il cherche d crire au plus pr s d un sujet mais de l ext rieur Peu d anthropo logues ont parl de cette dimension de leur travail mais elle transpara t pourtant parfois Quil me suffise d voquer les rapports de Michel Leiris avec Abba J r me la r flexion de Paul Rabinow 1988 127 132 ou encore le travail de Michel Pialoux avec Christian Corouge 1984 1985 Dans de telles relations c est l ext riorit la situation sociale de l enqu teur en m me temps que son d
7. situation d enqu te mais si le malaise constat et rapport par beaucoup a un sens et s il doit en tre tenu compte dans la compr hension de la pratique ethnographique Le probl me n est pas seulement psychologique mais au minimum technique C est ainsi que les choses se transmettent et le cas ch ant s enseignent la rencontre et l entretien apparaissent alors comme le moyen d obtenir des infor mations et la difficult psychologique comme le corollaire voire la mesure de leur valeur Plus on s avance vers un savoir priv mettant en cause l identit ou le statut de nos interlocuteurs plus leur r ticence est susceptible de cro tre et la tension de grandir La m thode ethnographique serait alors de l ordre d un savoir faire d une ma eutique d une technique de s duction destin convaincre les personnes que nous rencontrons de d livrer les informations qui nous importent Il faut faire preuve d une certaine finesse sociale et psycholo gique jouer sur les limites du dicible d velopper des strat gies d approche res pecter et violer la fois les r gles locales de l tiquette tout cela pour acc der un mat riau brut sans lequel nous ne pouvons rien faire Il y a l une sorte de cynisme de l enqu teur que lui permet sa position d tranger et qui se fonde sur son but d objectivation des ph nom nes sociaux 6 Notamment dans le chapitre VII Terray 1988 36 48 7 Sur ce th me
8. tait toujours probl matique et devait tre conquise C est pourquoi un journal de terrain pourrait aussi se lire comme un roman d apprentissage pour moi cet apprentissage culmina apr s l incident qui m opposa Arnaud C et l abattement qui en r sulta pendant de longs jours lors de ma rencontre suivante avec lui De retour Houa lou j as 19 Sur la valeur heuristique des m prises des gaffes ou des malentendus cf Marc Ab l s 1983 notam ment pp 35 40 20 Ce qui tait galement une mani re de prendre conscience de la logique d un syst me segmentaire dans lequel le conflit peut survenir n importe quel niveau de la structure sociale 21 On ne saurait trop insister sur la valeur heuristique du journal d enqu te pour qui veut r fl chir aux conditions de production du savoir anthropologique Cf Weber 1991 On se reportera aussi aux jour naux de Bronislaw Malinowski 1985 Michel Leiris 1996 1934 Georges Condominas 1957 Jeanne Favret Saada amp Jos e Contr ras 1981 191 EN QUESTION Une trange tranget sistai aux c t s des familles A B C et D une c r monie de deuil organis e par la famille A Arnaud C tant pr sent Or mon inqui tude initiale se transforma 192 progressivement en une v ritable jubilation qui accompagnait la prise de conscience que dans ce contexte c r moniel particulier je ne risquais rien tant mes appuis familles et D y taient forts Je d
9. Bourdieu 1993 910 914 caract rise l en tretien comme exercice en acte de la compr hension sociologique et comme amour intellectuel 197 EN QUESTION Une trange tranget 198 BIBLIOGRAPHIE Ab l s Marc 1983 Le lieu du politique Paris Soci t d ethnographie Histoire et civilisations de l Afrique orientale 4 Althabe G rard 1990 Ethnologie du contemporain et enqu te de terrain Terrain 14 126 131 Bourdieu Pierre 1993 Comprendre in La mis re du monde Paris Le Seuil 903 925 1997 M ditations pascaliennes Paris Le Seuil Clifford James 1983 De l autorit en ethnographie L Ethnographie 2 87 118 Condominas Georges 1957 Nous avons mang la for t Paris Mercure de France Favret Saada Jeanne 1977 Les mots la mort les sorts La sorcellerie dans le bocage Paris Gallimard Biblioth que des sciences humaines Favret Saada Jeanne amp Jos e Contr ras 1981 Corps pour corps Enqu te sur la sorcellerie dans le bocage Paris Gallimard T moin Foucault Michel 1966 Les mots et les choses Paris Gallimard Geertz Clifford 1983 Jeu d enfer Notes sur le combat de coqs balinais in Bali Interpr tation d une culture Paris Gallimard 165 215 G rando Joseph Marie de 1978 Consid rations sur les diverses m thodes suivre dans l observation des peuples sauvages 1800 in Jean Co
10. P rsee_ Michel Naepels Une trange tranget Remarques sur la situation ethnographique In L Homme 1998 tome 38 n 148 pp 185 199 Citer ce document Cite this document Naepels Michel Une trange tranget Remarques sur la situation ethnographique In L Homme 1998 tome 38 n 148 pp 185 199 doi 10 3406 hom 1998 370583 http www persee fr web revues home prescript article hom_0439 4216_1998_num_38_148_370583 G creative commons AFS Une trange tranget Remarques sur la situation ethnographique Michel Naepels aimerais examiner quelques unes des difficult s auxquelles j ai t confront au cours du travail d enqu te qui ma permis de r diger une th se portant sur les conflits fonciers survenant dans la r gion de Houa lou Nouvelle Cal donie en faisant l hypoth se qu elles peuvent nous clairer sur la nature de la relation eth nographique J ajoute que si cette r flexion est in vitablement li e la particula rit de mon exp rience d enqu teur les id es que j avance ici reprennent pour une large part une s rie de remarques propos es r cemment en sociologie comme en ethnologie Le contexte de mon travail est le suivant pendant les v ne ments de 1984 1988 de nombreux colons europ ens ont t chass s des zones de la Grande Terre majorit kanake l tat a rachet leurs terrains et les redis tribue aujourd hui le plus souvent la popula
11. PR m tropolitain 18 Union Cal donienne composante majoritaire du FLNKS Michel Naepels chez moi ayant v cu chez Albert B puis une semaine chez le chef administratif du village Y Robert A membre du RPCR et ayant effectu des entretiens avec plu sieurs membres des trois familles B et C Mieux je participai une r union des trois familles visant adopter une position commune dans le conflit foncier qui les oppose aux gens de Z et visitai le terrain litigieux avec notamment Robert A Albert B Arnaud C et d autres membres de ces trois familles Or quelque temps plus tard Arnaud C m arr ta au bord de la route me demandant de lui expliquer pourquoi j tais venu Houa lou Je lui r pondis que mon travail portait sur les migrations et sur l histoire de Houa lou et que j essayais dans ce cadre de rencontrer toutes les familles de la vall e Il me fit remarquer que la famille C tait divis e en deux lignages C le sien et C2 Je pr cisai que j avais rencontr un membre de chacun de ces deux lignages afin d avoir une perspective compl te sur sa famille J ajoutai que j tais dis pos faire un entretien avec lui Il refusa et la conversation s arr ta l Deux mois plus tard je r sidai chez Marcel D alli aux familles A et B De nouveau Arnaud C m arr ta sur la route et tr s en col re me dit que a suffisait que je devais partir de son village et cesser d aller chez les uns et les
12. as impossible que l ethnologue occidental soit d abord re u parce qu il est suppos riche ou blanc ou savant etc Dans une situation telle que celle de la Nouvelle Cal donie d aujourd hui o la souverainet fran aise est contest e par une large majorit des Kanaks l vi dence de ce rapport de domination est cependant assez probl matique et la reconduction des pratiques coloniales d enqu te est purement et simplement impossible il ne saurait tre question de convoquer des informateurs ou de leur 10 Sauf dans les cas assez exceptionnels de Gregory Bateson qui a voqu en plusieurs endroits de son uvre les difficult s d implantation qu il rencontra lors de sa premi re enqu te chez les Baining de Nouvelle Bretagne en 1927 ou de Denise Paulme 1979 15 qui fit part publiquement de l chec de son travail chez les Baga de la c te de Guin e 11 Cf Mauger 1991 132 134 Michel Naepeis imposer malgr eux un questionnement vite assimil un interrogatoire policier Au contraire lors de mes premi res prises de contact avec mes interlocuteurs il m a fallu expliquer longuement pourquoi je sollicitais des entretiens et bien des fois sans refus explicite j ai attendu un interlocuteur absent lors de rendez vous pourtant pris d un commun accord Encore plus directement de jeunes gens so ls ont contest ma pr sence par linsulte encul de Blanc ou une mise en cause plus pr cise T
13. da 1977 Jeanne Favret Saada amp Jos e Contr ras 1981 et Clifford Geertz 1983 mais mon intention n est pas ici de faire uvre d his torien de la discipline Reste que le renouveau contemporain de la r flexion sur la situation erhnogra phique est frappant qu on peut sans doute associer pour partie aux transformations des conditions de l enqu te dans des terrains que ne mod lent plus des relations de domination coloniale L HOMME 148 1998 pp 185 200 EN QUESTION insultes bagarres incendies de terrain ou de maison etc Ces situations de conflit constituent ainsi un angle d attaque f cond pour d crire les rapports 186 sociaux actuels dans la r gion de Houa lou J ai effectu trois s jours en Nouvelle Cal donie le premier de quinze mois en 1991 1992 en tant que coop rant l ORSTOM en ayant pour sujet d tude les migrations Noum a de personnes originaires de Houa lou J ai pass envi ron cinq mois Houa lou et de plus j ai pu rencontrer Noum a plusieurs natifs de cette commune Deux autres s jours de trois mois pendant les t s 1993 et 1995 mont permis de compl ter mes investigations De mon enqu te j ai en g n ral dit mes interlocuteurs qu elle portait sur les migrants s installant Noum a puis sur l histoire de la r gion de Houa lou J ai proc d avec eux par entretiens formalis s et enregistr s par discussions b tons rompus avec ou sans prise de notes
14. et par simple observation de la vie quotidienne ou de situations sociales plus exceptionnelles c r monies de deuil ou de lev e de deuil kermesses organis es par des coles des paroisses ou des formations politiques etc J ai centr mon travail sur la zone de la haute vall e de Houa lou une dizaine de villages sur les trente six que compte la commune tout en cherchant avoir galement des contacts ailleurs Le choix de cette localisation est d au hasard de mes introductions j ai rencontr avant mon premier d part pour la Nouvelle Cal donie dans le cadre d une association de soutien aux ind pendantistes deux Kanaks qui ont jou un r le dans mon enqu te Le premier originaire de Houa lou membre de la famille A alors tudiant en France a pr venu deux per sonnes de mon s jour son p re et son cousin Albert B membre du m me regroupement patrilin aire de clans Le second originaire d une autre commune de Nouvelle Cal donie chercheur et membre du Palika a annonc mon arriv e l un des responsables de la section locale de Houa lou de ce parti qui s est av r tre Albert B C est donc chez lui que j ai r sid lors de mes premiers s jours Houa lou ce qui m arrive encore m me si j ai essay de diversifier mes lieux de r sidence mes contacts se sont d velopp s autour de lui et il est devenu un ami Le temps logique de ethnographie L exp rience de terrain ne va pa
15. housiasme et d exasp ration de joies et de d ceptions Mais c est peut tre encore trop dire quand la tonalit dominante est le malaise Peut tre ne devrais je pas g n raliser et faut il renvoyer ce malaise la parti cularit psychologique de tel ou tel Mais comment savoir alors que la discussion sur enqu te prend g n ralement la forme d un change de dates jai fait x mois de terrain et de la complicit initiatique que fonde une exp rience magnifi e et l gitimatrice Le trouble v cu est alors d autant plus inqui tant qu il est soi gneusement refoul Or il me para t important de rappeler que l objectif d une enqu te c est d abord de produire du savoir vouloir faire passer l enqu te eth nographique pour une initiation on s expose s entendre dire que toute initia tion est une tromperie et que le seul secret qu elle transmet c est qu il n y a pas de secret ce que pr cis ment clame sur tous les tons la postmodernit anthro pologique Aussi en cessant de renvoyer les probl mes v cus de l enqu te aux faiblesses psychologiques d un pur esprit sujet id al de la science que nous ne saurions tre version positiviste ou la mystique aventuri re du terrain ver sion romantique doit on refuser de formuler la question de l enqu te ethnogra phique en termes psychologiques D s lors le point essentiel n est pas de savoir si certains ethnographes vivent sans tats d me la
16. ir et que nous n interf rons pas en tant que concurrent qu atout majeur ou qu arbitre dans le champ tudi On le sait la Lido sciendi n est pas un don du ciel et lindividu qu est l ethnologue n est pas absolument d sint ress il peut escompter tirer de son travail des b n fices institutionnels financiers ou symboliques des cr dits un poste une publi cation la reconnaissance de ses pairs De m me sa pratique renvoie parfois sa propre histoire psychologique ou politique attrait pour l exotique ou la margi nalit conscience de l arbitraire social d nonciation de l injustice coloniale etc et peut lui apporter diverses satisfactions Mais ces b n fices surviennent de sur cro t dans un champ qui n est pas celui que d crit enqu teur ils sont des pro duits d riv s de l enqu te qui peut s en passer en tant qu elle vise dans sa nature m me la description la perception et l explication d une configuration sociale Cette vis e d sint ress e de l ethnographe avait t remarqu e par Michel Foucault 1966 388 Lethnologie s enracine dans une possibilit qui appartient en propre l histoire de notre culture plus encore son rapport fon damental toute histoire et qui lui permet de se lier aux autres cultures sur le mode de la pure th orie Il n y a aucune raison d admettre le privil ge ethno 27 Je pense notamment James Clifford 1983 87 92 28 B
17. lation qu on puisse aussi caract riser par sa disparit subjective Essayons de rep rer la concordance des traits caract risant l enqu te ethnogra phique avec la situation analytique Dans l enqu te la demande est clairement au moins l origine du c t de l enqu teur Et c est d ailleurs lui qui paye le cas ch ant de son argent en tout cas de sa personnel Pourtant j ai essay de montrer que l enqu teur cherche aussi ne pouvoir tre assign identifi une place localisable dans les rapports sociaux qu il examine et que c est m me la condition d une description compl te notamment dans des situations de conflit qu il doit traverser et parcourir transversalement Or une telle position d atopie suscite aussi comme une analyse des effets dans l entretien au del de la simple transmission d informations si c est de l enqu teur que vient la demande comme d un analysant c est aussi lui qui comme un analyste laisse la parole de son interlocuteur une latitude sans quivalent De l l intensit affective des entretiens les plus int ressants et aussi l horreur ou la m fiance qu ils suscitent parfois apr s coup Qu allez vous faire de la cassette Allez vous publier ce que j ai dit Pour qui travaillez vous L entretien s av re d autant plus riche qu il diff re du simple questionnaire du recueil d informations et qu il met en cause la sub jectivit m me de no
18. mpiriquement pour acquise et que la relation d enqu te au m me titre que toute interaction est un rapport social avec ses r gles et ses enjeux propres qui peut toujours tre interpr t e en ces termes Certes l ethnographe n est jamais 23 Cf Rabinow 1988 Weber 1989 24 25 et Althabe 1990 129 130 24 Platon qualifie plusieurs reprises Socrate d atopos sans lieu Jacques Lacan voque cette d signation en introduisant le concept d atopie dans son analyse du transfert c est d tre nulle part dans l quilibre de la Cit qui permet Socrate de cerner la dimension imaginaire de tout lien social Cf Lacan 1991 126 Pierre Bourdieu 1997 158 fait lui aussi r f rence Platon qui d signe Socrate comme aropos 25 Cf Althabe 1990 126 26 Cf Althabe 1990 Mauger 1991 129 et Bourdieu 1993 905 909 193 EN QUESTION Une trange tranget certain d tre l tranger absolu et d sint ress qui pourrait voir et d crire avec des perturbations minimes le monde social qu il tudie mais refuser la possibilit 194 au moins hypoth tique celle d une id e r gulatrice d une telle position revient limiter la science sociale la description de la trace que l enqu teur produit sur son objet ne d crire que le parcours de l enqu teur en renon ant d finitive ment dire quelque chose de l objet ce qui laisse la voie libre toutes les ana lyses dites postmodernes
19. ns et des rencontres L objectif qui d coule de cette r gle c est de r ussir dans la dur e construire son ext riorit rela tivement aux conflits tudi s devenir r ellement et dans la perception d autrui tranger par rapport aux int r ts de tous c est dire ni joueur ni arbitre mais hors jeu hors champ relativement aux rapports sociaux tudi s Par exemple j ai tou jours refus d assister aux r unions fonci res tenues par l organisme d tat redistri buteur des terres de peur d tre confondu avec ses agents que j ai par ailleurs rencontr s La d finition de ce qui fait ou non partie du jeu est videmment fonc tion de l objet d tude qu on se donne qu on construit en m int ressant aux rapports politiques et conflictuels contemporains dans les hameaux kanaks j ai privil gi des interlocuteurs ayant un statut de chefs de famille souvent des hommes assez g s et suis rest de ce fait assez loign des jeunes et des femmes ou a fortiori des Caldoches L ext riorit que je cherche construire n est pas totale il s agit simplement de m exclure des r seaux sociaux que j examine Un autre sujet par exemple l tude des savoirs th rapeutiques et des repr sentations de la sorcellerie aurait donn lieu un autre d coupage des interlocuteurs pertinents surmontant et r v lant d une autre mani re la barri re des sexes C est donc par approximation qu on peut dire que l e
20. on peut aussi se r f rer au texte de Remo Guidieri Introduction l dition fran aise du Journal d ethnographe de Bronislaw Malinowski 1985 7 15 8 Cf Mauger 1991 127 9 Cf Schwartz 1990 50 57 187 EN QUESTION Une trange tranget Il me semble cependant que cette mani re h ro co cynique de pr senter les choses plus c est dur mieux c est en m me temps qu elle enferme l ethnologue 188 dans une culpabilit plus ou moins d ni e simplifie la nature de la relation qui se noue entre l ethnographe et ses interlocuteurs et lude ainsi le probl me pos le malaise J voquerai donc certains pisodes de mes enqu tes afin de pr sen ter ce que j appellerai le temps logique de lethnographie La premi re difficult qu on rencontre consiste simplement tablir des contacts prendre des rendez vous voire quand le travail de terrain s y pr te s installer chez les gens On se souvient du passage tragi comique de La vie mode d emploi dans lequel Georges Perec 1978 150 d crit la d tresse d un ethno logue qui outre une indiff rence absolue n arrive susciter dans le village qu il tudie que le d m nagement subit de tous ses habitants qui cherchent se d faire de lui Au terme d une exaltante recherche je tenais mes sauvages et je ne demandais qu tre l un d eux partager leurs jours leurs peines leurs rites H las eux ne voulaient pas de moi eux
21. ou du RPCR et d autre part les gens du village de Z village forte majorit catholique et dont les habitants sont presque tous proches de l UC Ayant compris que je risquais d appara tre li au groupe A B C D E j ai essay petit petit par des chemins d tourn s de rencontrer les gens de Z Expliquant un jour cette d marche Albert B il me dit en riant Tu fais bien parce que pour l instant dans la vall e tu as une grosse tiquette Palika sur le front La difficult demeure cependant que les divisions sociales et les r seaux d entraide ou de relations ne se donnent pas n cessairement voir aussi simplement qu une tiquette politique J tais en effet convaincu d tre admis dans le groupe A B C pour ainsi dire 14 On peut aussi appeler cela la participation Cf Weber 1989 24 15 J avais lu les travaux de Maurice Leenhardt et de Jean Guiart qui ont travaill dans la m me r gion de Houa lou afin d avoir la meilleure connaissance pr alable de la situation sociale Mais outre que les textes publi s ne faisaient pas toujours appara tre les mat riaux ethnographiques qui pouvaient m int resser la diff rence des poques et des conditions d enqu te laissait des lacunes dont je ne pouvais mesu rer l ampleur a priori 16 Union Progressiste M lan sienne composante du FLNKS 17 Rassemblement Pour la Cal donie dans la R publique mouvement anti ind pendantiste proche du R
22. ourdieu 1997 notamment pp 40 54 129 158 29 Le cas de sociologues sp cialistes du monde universitaire a ici plus valeur d exception que de paradigme Michel Naepels centrique que Foucault accorde ici l Occident mais on peut souscrire l id e qu il existe un mode proprement th orique d approche du social dont l enqu te est la manifestation empirique Reste savoir si une telle relation humaine caract ris e par une certaine dissy m trie dans les positions subjectives des personnes qu elle implique est conce vable Pour penser la relation trange qui unit l ethnologue ses interlocuteurs je m appuierai sur le dispositif conceptuel que la th orie psychanalytique a la bor en men tenant n tant pas sp cialiste au niveau d un simple rep rage de notions Il s agit ici non pas de faire une psychologie de la relation ethnogra phique mais de consid rer le concept de transfert comme un exemple th orique montrant qu une telle dissym trie est effectivement concevable Jacques Lacan 1991 11 introduit sa r flexion sur le transfert en voquant d abord la disparit subjective pr sente dans la relation analytique concept ainsi motiv ce terme s insurge si je puis dire d s le principe contre l id e que l intersubjectivit puisse elle seule fournir le cadre dans lequel s inscrit le ph nom ne du transfert Le transfert doit tre pens en ce que la position de l analyste e
23. pans amp Jean Jamin eds Aux origines de l anthro pologie fran aise Les M moires de la Soci t des Observateurs de l Homme en l an VIII Paris Le Sycomore 127 169 2 d aug ment e Paris Jean Michel Place 1993 Michel Naepels Lacan Jacques 1973 S minaire XT Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse Paris Le Seuil 1991 S minaire VII Le transfert Paris Le Seuil Leiris Michel 1996 Miroir de l Afrique Paris Gallimard Comprend notamment L Afrique fant me 1934 et Encens pour Berhan 1983 Malinowski Bronislaw 1985 Journal d ethnographe Paris Le Seuil Mauger G rard 1991 Enqu ter en milieu populaire Gen ses 6 125 143 Olivier de Sardan Jean Pierre 1995 La politique du terrain Sur la pro duction des donn es en anthropologie Enqu te 1 71 109 Paulme Denise 1979 Quelques souvenirs in Gens et paroles d Afrique Ecrits pour Denise Paulme Cahiers d tudes africaines 19 73 76 9 17 Perec Georges 1978 La vie mode d emploi Paris Le livre de poche Pialoux Michel amp Christian Corouge 1984 1985 Chroniques Peugeot Actes de la recherche en sciences sociales 52 53 89 95 54 57 69 57 108 128 59 72 74 Rabinow Paul 1988 Un ethnologue au Maroc R flexions sur une enqu te de terrain Paris Hachette Rosaldo Renato 1980 Zlongot Headhunting 1883 1974 Study in Society and History Stanford Ca Stanfo
24. qui ne font de la r f rence au r el qu un moyen rh torique qu utilise l ethnologue pour asseoir son autorit et sa l gitimit 7 Dans les M ditations pascaliennes Pierre Bourdieu reproche la r flexivit narcissique dans sa forme postmoderne et plus g n ralement aux philo sophes de revendiquer un statut d atopie d extraterritorialit sociale alors m me que tout le monde rel ve d une analysis situs que les philosophes sont comme tout le monde compris dans l espace qu ils pr tendent comprendre Dans cet ordre d id es ne serait il pas possible de voir dans l id al d atopie que je propose une variante m thodologique du postmodernisme si ce n est le plus grand des id alismes Je pense qu on ne peut faire de l atopie telle que je la con ois une utopie une id ologie na ve et illusoire qu en acceptant d en payer le prix soit la suspension de toute revendication de v rit et d objectivit dans les sciences sociales lorsqu elles utilisent les techniques de l enqu te ethnographique Il demeure qu il faut penser positivement la possibilit d une telle situation d ext riorit et s interroger sur ses conditions en la consid rant non comme le privil ge inn ou essentiel mais comme l horizon de la position d ethnographe Construire notre atopie revient faire admettre nos interlocuteurs que nos int r ts d enqu teur se limitent notre d sir de savo
25. rd University Press Salomon N kiriai Christine 1993 Savoirs savoir faire et pouvoirs th ra peutiques Gu risseurs kanaks et relation de gu rissage dans la r gion centre nord de la Grande Terre Paris m moire de l EPHE Schwartz Olivier 1990 Le monde priv des ouvriers Hommes et femmes du Nord Paris PUF 1993 L empirisme irr ductible in Nels Anderson ed Le Hobo Sociologie du sans abri Paris Nathan 265 308 Terray Emmanuel 1988 Lettres la fugitive Paris ditions Odile Jacob Weber Florence 1989 Le travail c t Paris ditions de la Maison des sciences de l homme INRA 199 1991 L enqu te la recherche et l intime ou pourquoi censurer son journal de terrain Espaces Temps 47 48 71 81
26. s de production du savoir n implique en elle m me aucune disqualification th orique des uvres consid r es 13 En m r aji langue de Houa lou kw v r litt ralement le terme de la marche e l offrande d arriv e En fran ais local ce genre de pratiques est englob e dans l expression faire la coutume ou plus simplement faire un geste 189 EN QUESTION Une trange tranget la chance de voir son cousin partir de l Guillaume m a re u bras ouverts j ai pu prendre rendez vous avec lui effectuer plusieurs entretiens puis habiter chez lui 190 PON i i Ainsi le respect des formes de politesse et des r seaux sociaux existants ma permis de nouer des relations de partager la vie quotidienne de diff rentes familles et d observer un certain nombre d aspects de la vie sociale C est en m inscrivant d lib r ment dans les modes de sociabilit locaux et dans les r seaux sociaux que l arbitraire de ma venue et un rapport initial de non communication ont pu se transformer en rapport de sens et en rapport social Cela dit une telle d marche qui assume l entr e de l ethnographe dans des rapports sociaux pose son tour des probl mes en particulier en risquant d enfermer l ethnographe dans un r seau social particulier ce que Jean Pierre Olivier de Sardan 1995 101 102 appelle P enclicage ph nom ne parti culi rement g nant lorsqu on veut examiner des si
27. s de soi pour l enqu teur Quand retombait l excitation de la science en train de se faire j ai fr quemment eu le sentiment de ne pas tre ma place j ai ressenti une tension diffuse jai dout de la l gitimit de ma d marche et il ma fallu comme on le dit d une fa on vague qui corres pond bien l incertitude dans laquelle je me trouvais prendre sur moi De nom 3 J ai transform tous les pr noms cit s ici et mis des initiales fictives aux noms de famille A B C D E et de lieux X Y Z 4 Parti de Lib ration Kanak une des composantes du FLNKS ind pendantiste 5 Olivier Schwartz 1993 267 qualifie d ethnographique tout type d enqu te qui repose sur une insertion personnelle et de longue dur e du sociologue dans le groupe qu il tudie Dans la m me pers pective Florence Weber 1989 19 crit Le travail de terrain ethnographique est une investigation approfondie qui repose sur une insertion de longue dur e du chercheur dans un milieu social o tout le monde se conna t m me si cest parfois simplement de vue ou indirectement par des relations communes Michel Naepels breux r cits voquent ce genre de trouble tels le Journal d ethnographe de Bronislaw Malinowski 1985 Un ethnologue au Maroc de Paul Rabinow 1988 ou les Lettres la fugitive d Emmanuel Terrayf Dans ces textes la situation d en qu te appara t comme essentiellement ambivalente m lange d ent
28. se l tre m me de l ana lyste et ne constitue pas seulement une technique un comment faire Ces indications sont sommaires et ne sauraient valoir telles quelles dans la des cription de la relation ethnographique mais elles permettent d j de poser un certain nombre de questions quant la pratique ethnographique aux rapports qui sy nouent et ce qui s y produit Le concept de transfert est d termin par la fonction qu il occupe dans la pra tique analytique mais comme l crit Lacan 1973 114 cela n exclut nulle ment l o il ny a pas d analyste l horizon qu il puisse y avoir proprement des effets de transfert exactement structurables comme le jeu du transfert dans l analyse La question qui se pose alors nous est de comprendre ce qui se passe 195 EN QUESTION Une trange tranget dans la relation ethnographique du point de vue des sujets qu elle implique Peut on structurer la situation comme intersubjectivit comme un rapport de 196 semblable semblable La relation entre l enqu teur et ses interlocuteurs s iden tifie t elle aux liens sociaux qui apparaissent dans leurs interactions habituelles serait ce sur le mode du malentendu chacun apportant dans la relation son propre habitus et sa propre trajectoire Ou bien se produit il des ph nom nes de transfert dans la pratique ethnographique Ou encore c est hypoth se que je suivrai s instaure t il une autre re
29. t celle de l analysant n y sont pas quivalentes mais marqu es d une dissym trie essentielle alors que Lacan caract rise le souci de reconna tre en l autre un semblable qui d finit l intersubjectivit comme une relation inscrite dans le champ de l imaginaire La dynamique de la cure analytique s explique par r f rence au transfert qui y appara t comme le soutien de l action de la parole de l analyste c est dire de Pin terpr tation Dans le transfert le sujet place l analyste en position d objet de son d sir Lamour ou la haine qui survient dans les ph nom nes de transfert peut se lire comme volont narcissique d tre aim et appara t alors comme fermeture de l inconscient comme r duction de la cure un rapport imaginaire Mais c est pr cis ment de ne pas accepter ce rapport d interpr ter cette situation en montrant que l analyste n est que le support d un investissement qui vise un autre objet que lui qu il peut produire des effets sur le sujet en cours d analyse L efficacit de l analyse tient ce que l analyste en d pla ant par l interpr tation le rapport ima ginaire o l analysant veut inscrire renvoie la r alit du d sir de ce dernier la structure symbolique qui le constitue Ce processus suppose que l analyste soit de son c t au clair avec son propre d sir pour ne pas se satisfaire du rapport o on le place C est pourquoi pour Lacan le transfert int res
30. thnographe arrive sur son lieu d enqu te en tant qu tranger ou qu il se caract rise par l loignement de son regard L tranget de l ethnologue comme du sociologue n est pas une donn e 22 Cf Salomon N kiriai 1993 Michel Naepels mais un objectif Il me para t ainsi que l ext riorit de l ethnographe n est rien d autre qu une id e r gulatrice de sa pratique un but atteindre qui se monnaye empiriquement par l occupation de places bien d termin es successivement ou conjointement pour moi tranger dominant M tropolitain en situation coloniale tranger accueilli gr ce telle relation pr cise tranger ins r vivant chez Untel parcourant son r seau social tranger d sint ress rencontrant tout le monde participant la vie quotidienne en essayant de limiter ses interf rences dans le jeu que jouent ses interlocuteurs Je propose d appeler cette position finale id al de toute enqu te l atopie de lethnographe qu il ne faut nulle ment confondre avec une impossible et d ailleurs peu souhaitable non partici pation C est pour moi un horizon qui ne distingue nullement l ethnologue du sociologue et qui d crit la transmutation de l exigence d objectivation propre aux sciences sociales dans la r alit de leur fabrique l enqu te Un usage habile de cette ext riorit de enqu teur c est dire de ce flotte ment plus ou moins ma tris mais en tout cas r
31. tion m lan sienne sous r serve d un accord local sur le b n ficiaire Dans la r gion de Houa lou en l absence d un tel consensus de nombreuses r attributions sont bloqu es et certains ter rains demeurent parfois depuis plus de dix ans la propri t des organismes redis tributeurs successifs Les proc dures de r forme fonci re sont l occasion d une activit sociale intense r unions convoqu es par l organisme d tat redistri buteur assembl es familiales spontan es discussions informelles mais aussi Une premi re version de ce texte a t pr sent e et discut e en avril 1996 au s minaire de Jean Bazin et d Alban Bensa l cole des hautes tudes en sciences sociales Je les remercie ainsi qu Olivier Schwartz et Jean Jamin qui ont bien voulu me faire part de leurs remarques et suggestions 1 Histoires de terres kanakes Conflits fonciers et rapports sociaux dans la r gion de Houa lou Nouvelle Cal donie Paris ditions Belin 1998 2 Je pense notamment Paul Rabinow 1988 Florence Weber 1989 G rard Althabe 1990 Olivier Schwartz 1990 1993 G rard Mauger 1991 et Jean Pierre Olivier de Sardan 1995 Il va sans dire que la r flexion sur l enqu te de terrain est bien plus ancienne Sans m me remonter aux travaux pr curseurs de Joseph Marie de G rando 1978 1800 il faudrait voquer les uvres classiques de Michel Leiris 1996 1934 Georges Condominas 1957 Jeanne Favret Saa
32. tre interlocuteur Une telle progression dans l intimit carac t ristique de nombreuses enqu tes mest possible que dans la mesure o nos interlocuteurs sont assur s de notre ext riorit et de notre d sint ressement Rien n assure jamais videmment qu une enqu te r ussisse que l enqu teur atteigne ses objectifs qu il soit re u et accueilli dans des conditions telles que son travail soit possible c est dire en construisant une relation exceptionnelle par rapport aux relations sociales courantes et qui manifeste une disparit d int r ts entre les sujets qu elle implique On comprend cependant que cet effort de construction d une position sociale trange se manifeste parfois psychologique ment par le sentiment qu on n est pas sa place Si l on admet que l atopie constitue bien une id e r gulatrice de la pratique ethnographique il me semble qu une certaine dur e d enqu te appara t alors comme une condition n cessaire la construction d un ensemble de relations dans lesquelles l ethnographe se fait accepter comme tel Mais surtout cette posi 30 Le rapport avec l argent est une dimension tr s largement occult e de la pratique ethnographique Cf Terray 1988 42 44 31 Cf Schwartz 1990 52 53 32 Cf Bourdieu 1993 915 Michel Naepels tion d ext riorit la situation sociale peut lui permettre d acqu rir une plus grande intimit avec quelques uns des sujets qu il rencontre Qu
33. tuations de conflit Or la dif ficult pratique li e ce probl me tient ce qu en arrivant Houa lou je ne connaissais pas l avance la carte des r seaux sociaux puisque c est pr cis ment l enqu te qui permet de la dresser progressivement De sorte que pour avancer dans la compr hension de l univers qu on explore il faut tout la fois faire jouer les relations sociales de nos premiers interlocuteurs pour entrer en contact avec de nouvelles personnes et d terminer les relations sociales localement valoris es tout en vitant tout prix d tre identifi au r seau que l on parcourt Lors de mon arriv e chez Albert B je ne savais pratiquement rien de lui et de sa posi tion sociale Les deux personnes qui m avaient conseill de le rencontrer m avaient simplement dit qu il s int ressait aux questions relatives la tradition La premi re fois que j ai v cu chez lui il tait install dans l ancienne maison d un colon au milieu de terres dont j appris par la suite qu elles taient l objet d un litige depuis le d part sept ans auparavant de leur propri taire europ en Je compris progressivement que le conflit majeur propos de ces terres opposait certaines familles de deux villages Y et Z d une part le regroupement de clans A B C et leurs alli s D et E les membres de ces cinq familles r sidant pour la plupart Y sont presque tous protestants et membres du Palika de PUPM 6
34. u viens travailler sur notre coutume mais tu n as pas de coutume chez toi De sorte que pour parvenir tablir une situation d interlocution j ai d me d partir de ma position initiale c est dire de la fa on dont j tais per u d s l abord celle de Fran ais m tropolitain en Nouvelle Cal donie soit d une mani re ou d une autre de profiteur afin de transformer un rapport de domi nation en rapport de communication Lune des modalit s en fut mon inscrip tion politique pr alable pro ind pendantiste qui ma ouvert les premi res portes en l gitimant mon travail sur la culture kanake ce qui ne signifie videmment pas que je mai rencontr que des ind pendantistes Il ny a l rien d exception nel dans la m me r gion le pasteur Maurice Leenhardt fut d abord l ethnologue de ses ouailles et sa suite Jean Guiart est pass par le r seau tiss par les insti tutions missionnaires et scolaires protestantes 2 Mais le point d cisif fut mon apprentissage progressif des formes habituelles de politesse et de comportement ce qu on appelle localement le respect L une d entre elles consiste en la pra tique du don et du discours d arriv e Quand on arrive pour la premi re fois chez quelqu un on lui fait un don coupon de tissu billet de banque et paquet de cigarettes ventuellement monnaie de coquillage qu on lui pr sente en Pac compagnant d un discours succinct expliq
35. uant les motifs de notre venue C est donc un moyen fort pour se pr senter pour tenter de l gitimer sa pr sence et de s inscrire autant que possible en tant qu tranger dans des r seaux sociaux locaux au del du simple rapport M tropolitain Kanak Ainsi de ma rencontre avec Guillaume dans le village de X Emmen par un membre de la famille A en cet endroit j ai fait un premier entretien collectif avec quatre per sonnes de quatre familles diff rentes dont Guillaume et Arthur Puis j ai cherch les revoir s par ment en commen ant par Arthur trois reprises plusieurs semaines d intervalle Guillaume a argu de ses multiples occupations travaux des champs acti vit s religieuses courses Noum a pour refuser de me donner un rendez vous et m accueillit tr s froidement Ensuite j ai appris que Guillaume et Arthur taient en conflit de fa on assez aigu au sujet d une parcelle de terre Par d autres voies j ai pu rencontrer un cousin parall le de Guillaume membre d un autre lignage de son clan install dans une autre commune de la Grande Terre Je suis alors retourn chez Guillaume j ai refait la coutume en pr cisant que je voulais m entretenir avec tout le monde que le hasard de mes rencontres m avait amen travailler un peu avec Arthur mais que la famille de Guillaume m int ressait tout autant et que j avais d ailleurs eu 12 Est il n cessaire de pr ciser que l vocation des condition
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