Le Sens Propre
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1. Le Sens Propre Figures de la d figuration chez Magritte et Camille Goemans L uvre n est qu un fragment d tach d un vo lant en rotation Camille Goemans De la critique NTRE le 16 f vrier et le 16 mars 1929 Camille Goemans et Ren Magritte lancent Paris en s rie et intervalles r guliers au rythme d un tous les sept jours cinq tracts pr sentant la m me confi guration de texte et d image un po me de Goemans surplomb par la reproduction d un tableau de Ma grittel Le tout rassembl dans sa dispersion sous 1 En voici le d tail entre parenth ses le titre des tableaux 16 f vrier La statue errante Jeune fille mangeant un oiseau 23 f vrier L arbre de chair A travers le jour 2 mars Les deux statues Le paysage isol 9 mars La charmeresse Le genre nocturne 16 mars L automate L automate A l exception du cinqui me ces tracts sont reproduits dans le catalogue de l exposition Ren Magritte et le surr alisme en Belgique Mus es royaux des Beaux Arts de Belgique Bruxelles 24 septembre 5 PASCAL DURAND AT pet he TT e SO ER SE Po DUR A POSE MAROC PU un intitul g n ral et g n rique imprim en ita liques dans le coin inf rieur droit de chaque tract Le Sens Propre Dans le cadre des activit s surr alistes qu elles soient de Belgique ou de Paris une telle d marche n a rien d inattendu Collectif ou anonyme politi que ou2. au tableau lui m me De m me d autres moments Goemans insiste t il sur la port e ou la d monstration d un ordre plus g n ral l qui font ses yeux le prix de son entreprise commune avec Magritte et anonce t 1 un texte qui pr cise ra s il se peut leur point de vue 19 C est dire que les feuilles du Sens Propre et la singuli re in er ind pendance texte image qu elles organisent exc dent de beaucoup la recherche d une perfor mance ou d une qualit po tique in dites Bien da vantage s agissait il peut on supposer de susciter chez les r cepteurs l exercice d une compl te li bert et d administrer en acte la d monstration d un nouveau mode de communication valant de mani re g n rale non seulement pour les rapports entre pratiques artistiques d cloisonn es 20 mais peut tre aussi entre les sujets humains Un mode de communication reposant litt ralement et dans tous les sens sur l change somptuaire la perte de propri t et la dissolution de toute identit fixe H n y pas d un c t le po te de l autre l artiste el par ailleurs le lecteur spectateur tous contribuent l acte de cr ation galement libres et tenus l mergence de l Impossible Nul n est en droit propri taire de l uvre ni gestionnaire attitr de son sens C est dans l exp rience d un tel entrela cement d nergies et de d sirs de peinture et de po sie d criture
3. et la suit inquiet et jaloux de savoir cette apparence sourde au monde se mouvoir d prise indiff rente sa gr ce mortelle On la voit cependant de tout son corps peser dans l entaille profonde o sa prouesse lente recouvre chaque pas la trace d un baiser vivant de se sentir tout moment vivante Quel enjeu reconna tre pareille pratique re venant emprunter la forme fixe pour aussit t l occulter ou la laisser vibrer arc des signes sous l intercession lumineuse des lignes Il ne s agit videmment pas de payer quelque tribut la tradition avant de la renier affirmation puis d n galion mais plut t d op rer sur la prosodie et au travers d elle un patient travail de d figuration et de la contraindre ainsi dit Goemans d velopper des possibilit s non encore exploit es 24 En quoi l on reconna t l une des d marches rituelles du surr alisme de Belgique On sait que la ligne de fracture s parant les surr alistes bruxellois de leurs pairs parisiens passe par un rapport diam tralement oppos la question des formes et des contraintes de l criture Quand les seconds s en remettent aux prouesses in gales de l automatisme et du happening verbal les premiers Noug en t te entreprennent en ing nieurs poseurs de mines 25 un travail de sape autrement plus mesur agissant sur les contraintes en les creusant par l int rieur Au double plan de la r
4. fait d elle un objet d imaginaire susceptible de garantir au r cepteur la plus grande libert possi ble Si l auteur a vis un sens celui ci serait il m me pluriel le spectateur n a plus qu le rep rer ou l num rer sans avoir l imaginer En l absence de toute signification pr alable quand l uvre s auto signifie celui qui elle s adresse est par contre tenu l Impossible dans lequel l auteur lui m me s tait engag son tour il lui incombe de penser au Sens comme ce qui toujours chappe au sens Le tableau est une surfa ce dont le regard fait un volume ou une fen tre son sens n est rien d autre que l vanouissement du sens Ce qui suppose au concret que les images de Magritte soient re ues en s abstenant de toute lec ture all gorique qui subordonnerait le geste pictu ral quelque intention masqu e dont l uvre re marquerait en clin d oeil l implicite Ceci valant aussi bien pour les tracts mis l enseigne du Sens Propre entreprise dont Goemans soutenait que par elle m me elle s explique 7 6 La Pens e et les Images cit par Bemad No l Magritte Paris Flammarion 1977 p 40 7 Lettre Jo Bousquet dans uvre d cit e p 247 Qu on ne s y trompe pas cependant s il est ferme rejet de l all gorisme le Sens Propre ne cong die pas pour autant la rh torique Magritte et Goemans n appellent en rien au nivellement de l
5. de d codeur dont elles sont d j pour elles m mes redevables chacune est donn e voir telle qu elle est r plique d uvre expos e au regard et fait en m me temps office de mod le herm neutique indiquant d exemple quelle mar che et quelle marge de lecture s offrent au r cepteur 3 Par dispositif il faut entendre ici la fois l organisation mat rielle de chaque feuillet distribution du texte et de l image des signatures du titre etc et la relation qu entretiennent dans cet espace le texte et l image ue ne une ee me en i i i i j d ORESONDANCI du tract4 Fonction r percut e en bas de page par la mention Le Sens propre qui oriente son tour l usage auquel se destine l ensemble texte image qui pr c de encore qu elle en fasse aussi partie int grante Mais que signifie ici Sens Propre Au propre comme en figur On sait on croit savoir ce qu il en est du propre et du figur deux notions en miroir dont l une suppose Fautre et se d finit en la renversant Autour de leur relation hautement r versible invalidant par avance toute d finition s est nou sans parvenir se r soudre un d bat gordien dont a Rh torique est n e et qui devait causer terme son d clin s ext nuant impuissante le trancher en classifications dilatoires C est dire qu en pla ant leur entreprise sous le signe du Sens Propre Magritte et Goemans on
6. po tique le tract a constitu en effet l un des Supports privil gi s du mouvement marquant avec d autres pratiques contre institutionnelles comme les spectacles performances ou les enqu tes pi g es sa volont d chapper par la contrebande aux fili res balis es de l art et de la litt rature Forme sauvage de publication et d exposition mise en circulation imm diate du texte et de l image le tract ou papillon r pondait en outre mieux que tout autre mode d action esth tique au projet fondateur du surr alisme dynamiter et dynami ser la vie par l art en arrachant ie po me ou le tableau au livre ou la galerie marchande pour les projeter dans la rue comme autant de facteurs de r ve et de r volte Mais l entreprise commune men e par Magritte et Goemans n est pas simplement r ductible au mod le habituel du tract surr aliste D une certaine fa on elle semble moins novatrice que d autres d un genre semblable m me si elle retient de toute vidence quelques traits des feuilles volantes de Correspondance De prime abord aucune intention pol mique ou proclamatoire une reproduction suivie d un po me rien de plus Chacun des feuillets est sign lieu et dates d mission sont pr cis s gauche sous le texte une m me r partition du texte et de l image la reproduction au dessus le po me en dessous et le retour en bas droite d un syntagme identique vale
7. uvre au ras de sa propre litt ralit ils revendi quent au contraire l mergence d une lettre radi calis e dont il n est plus question d ignorer l inqui tante tranget en la dissipant dans quelque commode sens second ou signification symbolique qui en r primerait la force de rupture au profit d une quelconque qualit ornementale ou d un simple rendement figuratif une femme sans t te dont les mains cachent l absence est une femme sans t te Processus de d figuration part enti re la d marche qui s en tient au Sens Propre exige ainsi du r cepteur une pleine adh sion ce qui est dit ou montr en dehors de tout mat rialisme comme de tout id alisme autrement dit sans qu il puisse s agir de r duire le texte ou l image ce dont ils se sont soustraits les sens les repr senta tions d usage ni de les projeter dans quelque arri re Sens dont Magritte et Goemans en un geste nietszch en d noncent l illusion En cela ils retrouvent l injonction adress e par Rimbaud sa m re comme quoi ses po mes devaient tre compris litt ralement et dans tous les sens et plus pr s d eux encore la diatribe de Breton contre tel ex g te de Saint Pol Roux s autorisant fraduire les m taphores du po te Parti pris en faveur de la m taphore vive donc Mais au del cette radicalisation de la lettre appel e par Magritte et Goemans poursuit avec une gale insistance u
8. che g n rale 12 Une premi re explication de cette insertion du titre dans le bloc du texte tient au fait que si tel n avait pas t le cas si donc le titre avait pr c d de fa on centr e le texte les deux titres auraient occup des positions parfailement sym triques de part et d autre du centre de la page On regrettera peut tre que cette option qui e t d autant renforc l inter ind pendance du texte et de l image n ait pas t retenue A moins qu une autre explication ne l emporte que nous avan cerons plus loin 13 Lettre Paul Eluard dans uvre d cit e p 248 On notera cet gard que l ordre des signatures au bas du tract coordonn es par un et qui marque l enti re coresponsabitit partag e par l artiste et par le po te dispose leurs noms en renversant l ordre de succession de leurs contributions respectives Camille Goemans et Ren Magritte sans qu un ff deux syst mes de repr sentation articul s par les tracts des micro l ments th matiques transitent en effet de part et d autre chos m tonymiques fragments de d cor ou d action allusions des points de suture ou de contagion s tablissent au prix d ph m res quivalences de technique le marbre m tonymique a la pesanteur du bloc peint l aile de feu la cruaut sensuelle de la bouche d voreusel entre eux surtout s organise un jeu de relance po tique tel que le texte isol de
9. e r f rence insistante l criture mallarm enne et plus largement symboliste dont maints motifs ou marques rh toriques sont repris Exemple emprunt La Charmeresse elle h site sachant une profonde absence v tir et plus loin lorsqu enfin le cri vient d chirer l azur Signes parmi d autres de Ja dette contract e par le surr alisme envers l esth tique symboliste entre lesquels restent encore tablir les courroies de transmission souhait es par Breton 27 Op cit p 246 28 De la critique dans uvre d cit e p 149 Souvent active chez Goemans cette dialectique de la mobilit et de la Bref comme chez Magritte la r gle du jeu chez Goemans c est le jeu avec la r gle Il consiste dans les texte du Sens Propre utiliser la r gu larit comme facteur d irr gularit Le po me en vers est retourn comme un gant le dessus devient le dessous la distribution prosodique n est plus mise en sc ne de surface mais insistance int rieure le vers se dissipe en lignes et persiste comme rythme de fond la rime2 d chue de son pouvoir d mar cateur fait du texte un r seau d chos et de court circuits s mantiques En sorte que le texte en prose est de l int rieur travaill par le vers comme par quelque force qui lui intimerait de manquer sa coh rence discursive sa lin arit sa rationalit L objet du travail de d figuration n est donc pas seulement ni pr
10. egarder et les tableaux de Magritte comme les textes de Goemans exigent toujours d y regarder au moins deux fois cette sobri t fait suspecter qu elle est peut tre chez le double metteur des tracts fa on duplice de d jouer les formes convenues en en jouant Sous pareil angle tr s oblique la fid lit aux Conventions t moign e de surcro t autre pi ge sur Un support non conventionnel appara t comme une strat gie de truquage agissant en trompe l oeil elle ne stabilise la lecture et la vision de surface qu afin de laisser s ouvrir par dessous l espace second d un vacillement et d une errance sans rep res ni balisage On reconna t I mais tendue l ensemble du dispositif du tract3 la ruse m me dont les tableaux de Magritte tirent une part essentielle de leur pouvoir d enchantement et d inqui tude Tout y para t lisse et paisible au premier regard aucune volont expressive ou expressionniste n ali re la pr cision froide du trait mais cette impassible objectivit de la repr sentation n a d autre enjeu que de rendre irr ductible par contre coup l objectivit po tique du repr sent et par cons quent de d choir la r alit de son statut de r f rent premier c est la vision qui fait l objet vis et qui lui donne poids de r alit Occupant la partie sup rieure de la feuille les reproductions de Magritte y assument donc ce qu on pourrait appeler une fonction
11. et de lecture que s est forg e la radicalit patiente des surr alistes belges Ravivant 17 Ibid p 230 18 Lettre Paul Eluard dans uvre d cit e p 248 19 Lettre Jo Bousquet dans uvre d cit e p 247 Ce texte ne nous est pas connu s il a jamais t crit 20 Ajoutons mais cela va de soi que ke tract repr sente sa mani re un mode de communication de l uvre qui rompt avec les cloisonnements qu instituent le livre ou le mus e CORRESPONDANTE par l l utopie en moins l un des mythes fonda teurs du surr alisme g n ral celui d une a socialit heureuse r gie par le principe de plaisir et l conomie de la transgression 1 La forme implosante fixe Qu en est il pr sent des po mes eux m mes aussi peu s parables soient ils du dispositif d ensemble Comme il en va chez Magritte leur facture apparente ne c de en rien la tentation si vite neutralisable de la rupture spectaculaire C est qu il leur revient de conduire le processus de d figuration par des voies souterraines et paradoxales dont on ne peut entrevoir l orientation qu en s insinuant au sens propre sous les lignes de Goemans Au titre d op ration surr aliste par excellence Noug recommandait de d couper une phrase dite prosa que pour la transformer en po me 22 Dans ses textes Goemans proc de l inverse il part d un po me r gulier par exemple un sonnet dont il soude entre eu
12. globale du tract au bas duquel elle se d veloppe On peut penser en effet qu en int grant le m tre et la rime dans un texte en prose Goemans r plique en aby me la strat gie de truquage pr sidant ainsi qu on l a not l ensemble du tract une forme d apparence conformiste pour un contenu en rupture Et peut tre la mise en correspondance du texte et de l image passe t elle par un dispositif dans lequel le po me de Goemans ta prosodie sous la prose la r gle sous l anti r gle r pondrait sy m triquement et de fa on sp culaire au tableau de Magritte la surr alit sous l acad misme l anti r gle sous la r gle Inutile ici encore de relier cette sym trie en miroir quelque intention architecturale recherche d harmonie ou de perfection d coratives Le tract est une machine la Duchamp quoique non c li bataire un appareillage produire du Sens et dont le fonctionnement reste pour chaque op rateur inventer C est son utilit potentielle qui im porte non sa facture Car s interrompt Goemans Il ne s agit pas de ciseleur 30 EH 30 C est sur celte phrase inachev e que vient buter le manuscrit de l avant propos entrepris par Camille Goemans op cit p 246
13. igueur transgressive et d une conscience exacte de ce qui fonde toute op ration d criture Bruxelles a sans doute raison contre Paris La fa on la plus efficace d chapper aux routines techniques h rit es de la tradition reste coup s r de les acclimater pour les y dissoudre aux d marches po tiques nouvelles Mais c est aussi reconna tre que tout po te m me son corps d fendant est engag dans une histoire qui est celle des formes et des syst mes qu avant lui d autres ont labor s et exploit s En mati re d esth tique toute novation est d abord r novation On n crit qu avec des d bris d criture on n difie sa po tique que sur 24 Avant propos aux Po mes dans uvre d cit e p 246 25 L expression est de Marc Quaghebeur Au c ur de l image le texte dans Correspondance 1 noviembre 1990 p 13 66 les d combres parses de celles dont on a pr cipit l effondrement26 En ce sens la ruine est fondation el toute po tique une Babel de formules et de bribes th oriques dont chaque texte redispose o modifie lentrelacement Et cela quelquefois au prix de tensions de distorsions pouvant soit perturber l agencement autonome du texte alors simple pastiche ou bricolage en porte faux sur sa propre laboration soit au contraire en renforcer l nergie comme ici chez Goemans Mais quelle nergie Dans un Avant propos inachev Goemans s est expliqu sur
14. incipalement la forme fixe elle m me mais fout autant sinon davantage le texte qui la d figure et qui du m me coup se transfor me C est qu il s agit moins pour Goemans de faire clater la forme fixe elle est au contraire comme on l a vu scrupuleusement pr serv e malgr sa mise plat que d en user comme d une force d implosion comprimant le texte le maintenant dans des limites strictes notamment de longueur afin d en d ployer par contrecoup la signification l implosion du texte r pond l explosion du Sens fixit marque par excellence les po mes du Sens Propre en particulier le premier de la s rie La statue errante qui adopte comme on l a vu la forme du sonnet y compris le jeu des rimes ceci pr s qu il la renverse les tercets y pr c dant les quatrains 29 Relevons sans pouvoir ici en tirer les cons quences que Goemans a utilis les trois combinaisons possibles de rimes plates crois es embrass es et respect de mani re scrupuleuse l alternance rime f minine rime masculine quitte recourir te cas ch ant aux licences po tiques disponibles par exemple le vieil encor RQ CORRE ONDANCE Dans l uvre de Goemans d autres po mes que ceux du Sens Propre reposent sur la m me logi que d constructrice Mais l op ration rencontre dans l entreprise men e avec Magritte un enjeu suppl mentaire qui touche l organisation
15. l image semble n tre plus que bricolage rh torique et l image un tableau parmi d autres priv de l incandescence que lui conf rait le texte m me si en pleine modestie Goemans concevait que les tableaux pussent eux tre s par s sans perte de ses po mes 5 Jeu de relance qui est donation de Sens frappant d impossibilit tout arr t de la signification toute suspension du mouvement de r flection par lequel le texte claire l image qui lui r pond 16 Sous pareil gard les po mes de Goemans ont dans leur rapport aux tableaux qu ils accompagnent fonction de titre ou plus exactement reprennent leur compte ici en la redoublant la fonction remplie habituellement par les titres chez Magritte qu ils aient t choisis par la peintre ou propos s lui par un tiers par exemple un po te ami De l peut tre que le titre des po mes eux m mes aient t virtuellement effac s par int gration dans le texte Goemans est sur ce point tr s explicite J ai toujours pens que ces po mes faisaient l dans une certaine mesure le m me office tel ordre indique un fait de pr s ance le po te avant l artiste ou rel ve de la simple convenance alphab tique G avant M C est ici torsion voulue de chiasme effet miroir de deux pratiques dont les places respectives se veulent indiscernables On verra plus loin que cette disposition en miroir concerne des aspects plus cach s et p
16. lus essentiels des tracts l4 On notera au titre d exemple le plus remarquable la s rie d oxymores et d antith ses faisant cho dans La statue errante l image contradictoire de la Jeune fille mangeant un oiseau 15 Aucun de ces textes ne vaut rien mes yeux sans la reproduction qui l accompagne les tableaux de Magritte leur donnent le sens complet que je d sire qu ils aient s ii est vrai d autre part que ces tableaux pourraient se passer du texte Lettre Roger Allard dans uvre d cit e pp 248 249 16 Eclairer et r pondre sont les deux mots que Goemans utilise pour rendre compte du rapport s tablissant entre les tableaux de Magritte et leur titre Voir la citation ci apr s extraite de sa conf rence sur Ren Magritte dans uvre d cit e p 230 que les titres de Magritte faisaient ailleurs et que leur prix s il leur arrivait d en avoir ne tenait qu la recherche de ma part d une correspondance comme celle dont j ai parl Et il me semble que ces feuillets auraient tout aussi bien pu s intituler R ponse ce titre qui couvrit un num ro de revue unique que je publiai aussit t apr s la derni re guerre avec quelques amis Mais r ponse moins au tableau lui m me qu ce qui nous vaut son existente et qui commande son efficacit 17 Relevons cependant la restriction terminale la r ponse s adresse l enjeu et l efficace du tableau plut t qu
17. man geant un oiseau aile de feu renvoie m tonymi quement l oiseau d vor baiser par litote l acte de d voration vivant de se sentir tout moment vivante par antith se la mort de l oiseau 10 Apparaissant de mani re significative en oblique en italiques o lettres pench es au bord inf rieur droit de chaque tract Le Sens Propre constitue donc tout la fois une marque de fabrique c est moins un litre qu une attestation d origine une cl interpr tative convenant l image au texte et leur r partition sur la page et une proclamation d ordre manifestaire cernant d un trait bref et minimal la d marche des deux auteurs ainsi que l usage particulier auquel leur entreprise se dispose d marche et usage qui sont peut tre bien celles du surr alisme belge dans son ensemble ORESTO ENCI dans L arbre de chair qui suit A travers le jour chaque r f rence l image est d ordre m tonymi que son vibrant bruit rumeur pour tuba marbre pour bloc de marbre etc Seule La charmeresse peut passer pour un quivalent acce ptable de l image Le genre nocturne ceci pr s que l quivalence y d vie aussit t en prolongement ou accentuation des donn es du tableau notam ment en substituant la simultan it plane de la toile un d veloppement d ordre chronologique lt Malgr sa position de l gende le texte ne r plique donc
18. n autre objectif pratique et r volution naire R duite ses figures aussi complexes et inattendues soient etles l uvre serait rendue tri butaire des codes et des valeurs esth tiques en usage elle serait du coup r emprisonn e l int rieur du champ dont elle a tent de s chapper A cet empri sonnement le Sens Propre r agit bloquant en principe tout essai de r acclimater la lettre au 8 Le genre nocturne reproduction du quatri me tract 9 J s est trouv quelqu un d assez mathonn te pour dresser un jour dans une notice d anthologie la table de quelques unes des images que nous pr sente l uvre d un des plus grands po tes vivants on y lisait Lendemain de chenille en tenue de bal veut dire papillon Afamelle de cristal veut dire une carafe Etc Non monsieur ne veut pas dire Rentrez votre papillon dans votre carafe Ce que Saint Pol Roux a voulu dire soyez certain qu il l a dil Andr Breton introduction au discours sur le peu de r alit dans Point du jour Paris Gatlimard coil id es 1970 p 23 if CORRESPONDA E r pertoire des figures admises Il est ainsi de qui permet l uvre surr aliste de se faire acte part enti re et d engendrer des effets en dehors du cadre litt raire ou artistique dans lequel une appr hen sion de type symbolique tendrait la contenir En somme se r clamer du Sens propre Magritte et Goemans affirment haut e
19. pas en r gle g n rale l image qui le surplombe La distribution des deux sur l espace de la page en remarque d ailleurs nettement la s paration par un large blanc deux titres distincts sauf dans l exception relev e et deux formes d inscription titulaire l image a suivant l usage son titre centr par dessous le texte int gre par contre le sien dans sa premi re ligne en le diff renciant par des capitalesl2 C est dire que si l image occupe la moiti sup rieure du tract elle n en retire pas pour autant un statut d ant riorit par quoi elle pr c derait le texte qui lui ferait suite ni un pouvoir de pr minence qui ravalerait par dessous le texte au rang subalterne d un simple discours d escorte Quel rapport alors entre eux Certainement pas d explication de l un par l autre ni d illustration r ciproque mais plut t un rapport de correspondance d change d inter circulation Goemans y a insist parlant propos des feuilles du Sens Propre de ces po mes par lesquels sJon activit se m le celle de Magritte et l activit de Magritte la slienne 13 Entre les it La place manque pour une analyse plus d taill e des rapports entre L laboration rh torique des textes et Ia composition des tableaux IE semble toutefois qu une telle analyse n aboutirait pas des conclusions tr s diff rentes de celles que nous proposons ici la faveur d une appro
20. sa d marche r v lant davantage ce qu elle n est pas que ses objectifs eux m mes Pas question pour lui de renouer avec la pass avec la tradition Le m tre la rime qui se retrouve souvent ne sont ici que des moyens d exploration Is ne sont point l pour conf rer une valeur po tique aux textes ou une beaut extrins que 7 Autrement dit l artifice prosodique est adopt non par souci d ornementation mais afin de susciter l int rieur du texte des effets de sens inattendus et cela d autant plus qu il entre en conflit avec la forme prosa que qui f absorbe sans le neutraliser Par quoi Goemans met en uvre en les appropriant son propre discours les tensions et contradictions qui agissent en tout texte po tique Et s il semble ailleurs se prononcer en faveur de r gles invent es neuf selon ce qu exige chaque po me c est pour aussit t reconna tre l encore qu elles se dialecti sent par confrontation avec les formes fixes Chaque crivain invente les r gles de son jeu Il lui arrive chaque pas d en inventer une nouvelle Il confronte cette fantaisie extr mement mobile dont les lois varient avec elle m me au gr de l inspiration avec des lois fig es mortes depuis qu elles furent d couver tes comme s il n tait accessible qu ce qui est immobile 28 26 On notera que chez Goemans cette int gration dialectique de l h ritage passe galement par un
21. t fort leur pleine res ponsabilit de cr ateurs d objets bouleversants pour reprendre l expression de Noug c est dire d objets impensables et irrepr sentables mais dont la pens e et la repr sentation telles qu elles sont risqu es par le po te ou par le peintre consti tuent de facto une d claration de rupture envers la raison pratique et l esth tique d corativel0 Miroirs et faux reflets L exigence du Sens Propre ne laisse pas in demne non plus le rapport traditionnellement tabli entre l image et son texte d accompagnement Commentaire ou description le texte fait d ordinaire escorte l image illustration ou compl ment orne mental l image donne ancrage visuel aux repr sentations verbales H en va ici tout autrement On notera d abord qu une seule exception pr s L automate les titres des tabeaux et des po mes ne co ncident pas Chaque l ment du tract est ain si dot non d ind pendance mais de compl tude sans pour autant il faudra l expliquer pouvoir tre dissoci de celui qu il ou qui l accompagne A une exception pr s ici encore on rel ve galement que le contenu des po mes ne correspond que de mani re tr s distante et allusive aux repr senta tions picturales quelques mots diss min s renvo yant ici et l mais toujours rh toriquement tel ou tel composant du tableau Deux exemples dans La statue errante l gendant la Jeune fille
22. t tout la fois livr aux r cepteurs des tracts une cl interpr tative et im pliqu ces m mes r cepteurs dans un probl me aigu d interpr tation en leur proposant en quelque sorte un mode d emploi difficilement d chiffrabie la cl est donn e mais manque la serrure Essayons n anmoins d y voir plus clair La d finition courante ne nous sera gu re utile et d ailleurs chacun de ses termes devrait se pr ter la plus vigilante d construction Le sens propre d un nonc dit on c est son sens premier lt lit t ral ou primitif tant entendu qu il se livre avant tout d crochage rh torique On voit tout de suite qu une telle acception n est pas recevable s agissant de rendre compte et a fortiori d orienter la r ception d un objet surr aliste texte ou image S en tenir au sens propre des mots ou des repr sen tations reviendrait en effet renoncer de mani re inconcevable ce qui fait l essentiel de l exp rience po tique et son irr ductibilit aux routines du lan gage et de la vie dite r elle savoir cette chance inscrite dans les mots ou les images de se pr ter la toute puissance de la m taphore et de s ouvrir par elle au monde magique de la surr alit 4 Entendons par l que le mode de lecture requis par les tableaux de Magritte et que formule en acte leur facture particuli re vaut pour l ensemble du tract texte et images confondus 5 On notera la posi
23. tion paradoxale qui est ici r serv e l intitul sugg rant que celui ci a en v rit moins valeur de titre lequel figure d ordinaire en t te de page que de marque m ta g n rique nous allons l instant y revenir 64 L exigence quoi rappellent Magritte et Goemans ne saurait donc reposer sur le sens propre du Sens Propre sauf d finir autrement la notion m me de Sens comme y incite la majuscule Magritte dont toute l oeuvre th orie et prati que m l es n a pas cess pr cis ment de conduire une r flexion des plus insistantes sur cette question du sens du Sens s est expliqu l dessus non sans c der la tentation du paradoxe Pouvoir r pondre la question quel est le sens de mjes images correspondrait faire ressembler le Sens impossible une id e possible Tenter d y r pondre serait lui reconna tre un sens Le specta teur peut voir avec la plus grande libert possible mes images felles qu elles sont en essayant comme leur auteur de penser au Sens ce qui veut dire l impossible Ainsi non seulement le Sens n est pas le sens mais il n a pas de sens En aurait il ou en serait 1 dot apr s coup que l uvre qu il habite tomberait hors d elle m me dans l ordre du possi ble L image telle que la con oit et la pratique Magritte est un irr ductible elle montre ce qu elle montre et son irr ductibilit est justement ce qui
24. ur d intitul Le Sens Popre affichent leur appartenance un ensemble comme s il s agissait de pages d tach es d un livre ou d un catalogue venir et sugg rent qu ils proc dent non du hasard mais d un projet ou d un programme m rement orient s tr s sobre l impression garantit la parfaite lisibilit du d cembre 1982 p 122 Les textes de Goemans coup s des tableaux qu ils accompagnaient ont t quant eux recueillis quelques variantes pr s dans l dition de Rache de l uvre de Goemans Bruxelles 1970 pp 11 12 2 Cf lavant propos inachev r dig par Goemans en vue de la publication en volume de ses Po mes Les textes du Sens propre taient publi s sur des feuilles volantes rappelant celles qui jalonnaient une aventure aujourd hui oubli e mais qui fit quelque bruit l poque Correspondance dans uvre d cit p 245 texte et exhibe son apparente conformit aux conventions typographiques en vigueur Bref rien ici hormis le support lui m me avec son caract re mobile et sa distribution al atoire qui rompe de fa on imm diatement visible avec les convenances du bien imprimer et du bien reproduire On est tr s loin en tout cas du chaos percutant des tracts dada stes ou de la violence verbale des papillons surr alistes de confection courante eux souvent anonymes erratiques et peu respectueux des r gles apprises Toutefois mieux y r
25. x les vers colmate les blancs noie les rimes pour composer un texte qui n est pas tout fait en prose et qui n est plus tout fait de la po sie versifi e sans pour autant constituer ce qu il est convenu d appeler un po me en prose lequel ignore en principe la scansion interne du vers bien les couter ses textes d accompagnement sont en effet compos s d alexandrins parfaitement compt s et rim s avec di r ses et c sures mais en quelque sorte mis plat contraints la lin arit quelconque de la prose Exemple la statue errante 23 D un long regard aveugle elle heurte l espace et seule de la terre elle tend son miroir Voit elle ses yeux morts us s ne rien voir battre et se fendre la blancheur o elle passe et glissant ses pieds cette ombre qui se meut parmi ses mouvements comme une aile de feu 21 Surce mythe je me permets de renvoyer mon article Entre Narcisse et Pygmalion La communaut motionnelle surr aliste dans M lusine Cahier du centre de recherches sur le surr alisme VIL Paris L Age d homme 1985 pp 33 48 22 Cit par Marc Quaghebeur dans sa Lecture in Paul Noug Fragments Paris Bruxelles Nathan Labor coll Espace Nord 1983 p 248 23 I va de soi que nous nous en sommes tenu la lettre exacte du texte original f i il H I 1 l 1 f t d 1 TENUE voit elle le regard qui se m le avec elle
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