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entrevue avec Vincent de Gaulejac
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1. s re fermer des entreprises m me rentables d truire les cosyst mes Cette gestion manag riale d abord appli qu e dans les multinationales est devenue l id ologie dominante de notre temps et tend envahir tous les do maines de la soci t notamment l ensemble de l organisa tion du travail y compris dans les syndicats mars 2012 RELATIONS La tension permanente la com p tition folle et les exigences de pro ductivit de rentabilit et d efficacit qui caract risent le mode de gestion manag riale g n rent beaucoup de souffrance psychique et un mal tre autodestructeur Dans La soci t malade de la gestion Seuil 2005 j ai essay de d construire les grands principes qui d finissent cette id ologie manag riale J en mentionne trois qui illus trent le potentiel de violence et de d shumanisation qu ils sous tendent Il y a d abord l objectivisme Toutes les acti vit s humaines et conomiques sont objectiv es de telle mani re qu elles se traduisent en variables en indicateurs de mesure en capitaux En d cidant de ce qui est rentable et de ce qui ne l est pas et par cons quent de ce qui doit tre gard ou abandonn ce principe permet d alimenter la financiarisation de la soci t Il y a aussi l utilitarisme travers lequel l activit humaine est consid r e recevable socialement seulement si elle est utile Autrement elle est jug e nuisible comme l imme
2. inqui tant qu il relie directe ment l emprise de l id ologie gestion naire sur l organisation du travail Relations Quelle est cette id ologie gestionnaire qui g n re de nouvelles souffrances dans le monde du travail Vincent de Gaulejac Cette id ologie est indissociable du n olib ralisme qui s est impos comme le seul mod le conomique valable depuis trente ans Tous deux pro viennent de l cole de Chicago de Milton Friedman o le n olib ralisme a t enseign Celui ci venait en quelque sorte avec un mode d emploi la th orie du capital humain de Garry Becker notamment selon laquelle l humain est consid r comme une simple ressource au service du d ve loppement de l entreprise ou un capital faire fructifier Dans cette perspective l humain n est surtout pas la finalit du d veloppement conomique Le concept de ressources humaines qui remplace dans les ann es 1980 celui de service du personnel dans les entreprises jug d pass l illustre bien Le moyen le rendement l efficacit la ges tion est devenu la finalit tout est mis son service humains y compris L conomie r elle la production de biens et de ser vices et le bien tre de la soci t ne comptent pas en comparai son du profit Tout est soumis la tyrannie du chiffre Si cela ga rantit une meilleure rentabilit du capital on est pr t jeter massivement des travailleurs au ch mage ou dans la mi
3. re du McDonald par exemple quand elle ferme sa caisse a devant ses yeux un bilan qui lui permet de savoir exactement le chiffre d affaires qu elle a fait celui qu elle a atteint la veille et celui de la caissi re d c t Si elle fait moins qu hier ou que sa voisine ce sera le signe en quelque sorte qu elle a t moins performante qu elle a moins bien travaill et elle en sentira de la honte voir H l ne Weber Du ketchup dans les veines r s 2011 Ce type de tension joue en effet sur des processus psy chiques conscients et inconscients C est ce qui explique qu un des sympt mes le plus d velopp aujourd hui dans le monde du travail est la d pression Pour un psychana lyste la d pression c est quand le moi n est plus la hau teur des exigences de l id al du moi pour pouvoir tre aim et aimable id al sur lequel la personne projette toutes les qualit s de performance et de r ussite qu elle voudrait pour elle Le rapport des salari s au travail devient de plus en plus un rapport narcissique dans lequel ils se perdent dans une soif inassouvie de reconnaissance Rel Devant cette souffrance de plus en plus manifeste qu est ce qui est fait et devrait tre fait V d G La mani re dont les entreprises affrontent le probl me participe malheureusement l aggravation de celui ci On le g re d une mani re technocratique quand on ne le nie pas tout simplement masquant ainsi le
4. violence structurelle g n ralis e du monde du travail De r cents suicides en France se sont faits par immolation sur le lieu de travail C est un v ritable cri d alarme Quand on s immole par le feu on cherche donner un sens un geste d sesp r en le transformant en protestation radicale Prenons les suicides France T l com qui ont t pas sablement m diatis s Ils illustrent le mal tre qui d passe largement cette entreprise Les analyses ont montr qu ils sont li s la mise en place d un programme appel par la direction crash management Il s agissait de r duire de mani re significative le nombre d employ s sans avoir re cours un plan social Pour y arriver on a form des direc teurs charg s de mettre sous pression tous les travailleurs afin de les amener quitter l entreprise d eux m mes Fait souligner le suicide n pargne pas le secteur pu blic On assiste en effet une contradiction de plus en plus vidente entre d un c t les missions institutionnelles c est dire ce pourquoi on choisit le m tier de m decin d infirmi re de travailleur social etc et de l autre les modalit s op ratoires des syst mes de gestion que ces m mes institutions mettent en place soi disant pour tre plus efficaces efficientes productives Un chercheur d uni versit sera valu en fonction du nombre d articles qu il a publi s dans des revues qui l obligent se so
5. Article L id ologie manag riale d shumanisante entrevue avec Vincent de Gaulejac Jean Claude Ravet Relations n 755 2012 p 24 27 Pour citer cet article utiliser l information suivante http id erudit org iderudit 67019ac Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI http www erudit org apropos utilisation html rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al II a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit erudit umontreal ca Document t l charg le 11 April 2013 01 43 dOSSieR l id ologie manag riale d shumanisante Entrevue avec Vincent de Gaulejac Une souffrance psychique est de plus en plus v cue dans le milieu du travail Vincent de Gaulejac sociologue clinicien directeur du Laboratoire de changement social l Universit Paris VII et auteur entre autres de Travail les raisons de la col re Paris Seuil 2011 analyse ce ph nom ne
6. TREVUE R ALIS E PAR JEAN CLAUDE RAVET PROCHAiN NUM RO Le num ro d avril mai de la revue Relations sera disponible en kiosques et en librairies le 13 avril Pensez le r server I comprendra notamment un dossier sur la crise de la d mocratie au Qu bec et au Canada Dans un contexte o le n olib ralisme le n o conservatisme voire le th o conservatisme impr gnent notre soci t et l action des gouvernements en place les reculs d mocratiques se multi plient sous nos yeux Formons nous une communaut politique ma tre de son devenir tel que cela devrait tre le cas en d mocratie Plusieurs signes permettent d en douter Ce dossier les analysera en explorant aussi les initiatives citoyennes men es et les fon dements du renouvellement n cessaire de la d mocratie une controverse sur les publicit s religieuses une analyse sur le B nin une entrevue avec Serge Halimi journaliste et directeur du Monde diplomatique la chronique litt raire de Suzanne Jacob illustr e par Marie Surprenant le Carnet de Wajdi Mouawad les uvres de notre artiste invit Christian Tiffet Christian Tiffet Ind pendance et asservissement 2011 RELATIONS mars 2012
7. ait principale ment caus par la duret le caract re p nible du travail Cette duret n est videmment pas disparue mais un autre type de souffrance d ordre psychique tend pr valoir principalement dans nos soci t s d velopp es La tension permanente la comp tition folle et les exigences de pro ductivit de rentabilit et d efficacit qui caract risent le mode de gestion manag riale g n rent beaucoup de souf france psychique et un mal tre autodestructeur Non seu lement poussent elles l puisement mais le travail perd son sens et entre en conflit avec les valeurs des travailleurs au point o ils sont oblig s de tricher sur celles ci pour tre valu s positivement en fonction de crit res dans lesquels ils ne se reconnaissent pas Cette souffrance psychique s exprime sous forme de stress d puisement de d pression de burn out et touche plus de 50 des travailleurs des pays industrialis s selon les statistiques du Bureau international du travail On la retrouve partout dans les petites comme dans les grandes entreprises dans le secteur priv comme dans le secteur public dans l industrie le commerce et les services Elle touche indistinctement les patrons les cadres les em ploy s et les travailleurs Un petit nombre de personnes mais toujours croissant va jusqu au suicide Ce que ces cas de suicides li s au travail r v lent est de l ordre de la destruction du non sens et de la
8. carac t re pathologique de l organisation du travail C est la fragi lit personnelle qui est point e du doigt Si on constate par exemple qu il y a du stress dans une entreprise on labore un plan de pr vention de risques psycho sociaux on offre des s minaires de gestion du stress des s ances de m ditation par le yoga des th rapies par le rire etc Cette approche comportementale est tr s en demande Elle ne s int resse pas aux causes ni au fond du probl me elle POUR PROLONGER LA R FLEXION LIVRES BENASAYAG Miguel et al L thique de la souffrance Paris Le Bord de l eau 2002 BOLTANSKI Luc La souffrance distance morale humanitaire m dias et politique Paris Gallimard 2007 DANEAULT Serge et al Souffrance et m decine Qu bec PUQ 2006 GAGNON ric Les promesses du silence Essai sur la parole Montr al Liber 2006 GAULEJAC Vincent de De la souffrance au mal tre dans F Giust Desprairies et V de Gaulejac dir La subjectivit l preuve du social Paris L Harmattan 2000 GEBARA Ivone Les eaux de mon puits Wavre d Mols 2003 GEBARA Ivone Le mal au f minin Paris L Harmattan 1999 HIRSH Emmanuel L existence malade dignit d un combat de vie Paris Cerf 2010 BJ mars2oi2 RELATIONS LE BRETON David Exp riences de la douleur entre destruction et renaissance Paris M taili 2010 MESLIN Michel et al La qu te de gu rison m d
9. ecine et religions face la souffrance Paris Bayard 2006 PASSI Martial La souffrance psychique dans l espace public une question politique dans J Furtos et C Laval dir La sant mentale en actes Paris r s 2005 P RILLEUX Thomas et CULTIAUX John dir Des tins politiques de la souffrance Paris r s 2009 QUIVIGER Andr e Ne meurs pas Montr al Bayard 2009 RENAULT Emmanuel Souffrances sociales Philosophie psychologie et politique Paris La D couverte 2008 REVUES Autrement Souffrances n 142 f vrier 1994 Cahiers de recherche sociologique dossier Nouveau malaise dans la civilisation Regards sociologiques sur la sant mentale la souffrance psychique et la psychologi sation n 41 42 automne 2005 CORIN Ellen L autre en ab me Anthropologie et soci t s vol 34 n 3 2010 GAGNON ric Figures de la plainte la douleur la souffrance et la consid ration M S m decine sciences vol 21 n 6 7 2005 GAULEJAC Vincent de Management les maux pour le dire Revue Projet CERAS n 323 2011 PIOTET Fran oise Le pi ge de la souffrance au travail Revue Projet CERAS n 323 2011 Relations dossiers Solitudes n 710 ao t 2006 Fragilit s n 736 ao t 2008 Silences n 742 ao t 2010 controverse Peut on trouver un sens la souffrance n 707 mars 2006 FILMS Ce c ur qui bat de Philip
10. l C est sur ce plan aussi qu il faut agir en modifiant entre autres la formation dans les coles de gestion qui ne proposent que le mod le ac tuel une v ritable catastrophe Mais avant tout c est sur le plan politique qu il faut intervenir de mani re urgente Le drame c est que les poli ticiens sont contamin s par l id ologie gestionnaire et sont li s aux int r ts financiers Il suffit de voir ce qui se passe actuellement la politique se r sume comment chapper la d cote du triple A donn e par les agences de notation montrant par l que ce sont bien les march s financiers qui dictent les politiques nationales Au lieu de mettre fin la destruction financi re de l conomie r elle ils la soutien nent Devant cet abandon de leur responsabilit c est donc nous citoyens de l assumer Les Indign s sont encore une minorit courageuse mais ils sont bien dans le sens de l histoire Il revient nous tous qu ils soient la majorit xk Quand trop de s cheresse br le les c urs Quand la faim tord trop d entrailles Quand on rentre trop de larmes Quand on b illonne trop de r ves C est comme quand on ajoute bois sur bois sur le b cher la fin il suffit du bout de bois d un esclave Pour faire dans le ciel de Dieu Et dans le c ur des hommes Le plus norme incendie MouLouD MAMMERI LA COLLINE OUBLI E CIT DANS TRAVAIL LES RAISONS DE LA COL RE P 317 EN
11. nse cohorte des exclus des sans emplois et des sans domicile fixe sans oublier les artistes les marginaux et tous ceux qui ne veulent pas perdre leur vie la gagner Enfin il y a le positivisme selon lequel il n y a de valeur que dans ce qui est analysable tech niquement N est un probl me que ce qui a une solution technique sinon il n existe pas Une anecdote illustre bien cette mentalit Un jour un directeur d entreprise vient me voir pour me faire un reproche propos de mon livre Le co t de l excellence Seuil 1991 C est comme si vous nous disiez qu il y a un cancer sans nous donner de th rapie Je lui r ponds c est vrai et alors Mais on ne peut pas faire a Il faut donner la th rapie sinon il ne faut pas dire qu il y a cancer Sa m taphore disait tout de la pens e unique dans laquelle les dirigeants de la plan te sont prisonniers C est plut t en osant un r el diagnostic qu on pourra chercher et trouver des solutions capables de changer le cours des choses Au lieu de cela nous avons affaire une fuite en avant inqui tante qui nous m ne la destruction de l co nomie r elle de la nature et des per sonnes dont la souffrance au travail de plus en plus criante est un sympt me manifeste Rel Pouvez vous nous d crire plus pr cis ment en quoi consiste cette souffrance V d G Auparavant le type de souffrance le plus cou rant li au travail tait d ordre physique et t
12. pe Lesage Qu bec 2011 Les signes vitaux de Sophie Deraspe Qu bec 2010 Maisons de fous s rie documentaire d Alexandre Hamel Qu bec 2011 Maladies vendre d Ann Georget France 2010 Travailler en mourir de Paul Moreira France 2008 cherche plut t aider les travailleurs s adapter la pres sion jug e in vitable en leur enseignant des techniques leur permettant de la supporter D ailleurs qualifier la souf france psychique de risque psycho social comme on le fait n est pas innocent C est un moyen d aseptiser cette violence structurelle Cela justifie en outre une strat gie de gestion qui consiste rep rer rapidement les personnes les plus risque et les carter avant qu elles ne tombent malades Ce qu on devrait plut t faire c est accompagner les gens dans leur souffrance les couter les laisser parler du non sens qu ils ressentent du conflit de valeurs qui les ronge Les m decins et les psychologues devraient r pondre la d tresse psychologique et physique des gens sans pour autant m dicaliser leur souffrance Il ne faut pas seulement se contenter de faire en sorte qu ils aillent mieux mais aussi les aider faire le lien entre leurs sympt mes et leurs conditions de travail source de leur mal tre Cela de mande une formation du corps soignant Car il ne faut pas oublier que leur souffrance trouve son origine en grande partie dans l organisation du travai
13. umettre un syst me de normes contraires ses valeurs En France un m decin valu en fonction de la tarification l activit devra choisir entre un malade qui fera gagner des points son service hospitalier et un autre qui risque d en faire perdre dilemme en compl te contradiction avec le ser ment d Hippocrate S il prend des malades peu rentables le directeur de l h pital menacera de fermer son service Ce type de tension entre les valeurs et la loyaut devient insup portable pour un nombre croissant de gens Prenons un autre exemple qui illustre bien la comp titivit f roce la culture du r sultat et celle de la haute performance qui dominent actuellement Il s agit du ma nagement par objectifs Chacun est plac en permanence Nadia Nad ge Ceux l bas 2010 techniques mixtes sur toile 44 x 32 RELATIONS mars 2012 dOSSieR Nadia Nad ge Le matador 2010 techniques mixtes sur toile 122 x 91 cm devant des d fis de plus en plus grands relever la ma ni re de sportifs de haut niveau Dans ce contexte atteindre des objectifs fix s est peu satisfaisant voire m diocre Ce qu on attend de vous c est que vous alliez au del des at tentes Et c est chaque fois recommencer jusqu ce que vous craquiez ou soyez remplac C est la logique du trader de l op rateur financier mais de plus en plus appliqu e tous les domaines et types d entreprises La caissi
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