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Dossier pédagogique Minetti

1. Du monde entier Paris 1984 p 130 D s le premier instant l homme s enfuit de la vie qu il conna t d s le premier instant s enfuit parce qu il la conna t pour aller se r fugier dans la mort qu il ne conna t pas Tous nous fuyons toute notre vie sans d vier dans la m me direction Le th tre que j ai ouvert quatre cinq ou six ans pour toute ma vie est d j une sc ne engou e de ses centaines de milliers de personnages les repr sentations se sont am lior es depuis la date de la premi re on a renouvel les accessoires les com diens qui ne comprennent pas le spectacle qui est jou sont mis la porte il en fut toujours ainsi Chacun de ces personnages c est moi tous les accessoires c est moi le directeur c est moi Et le public Nous pouvons lar gir la sc ne l infini la r tr cir aux dimensions du panorama que nous regardons dans notre propre t te Comme il est bon d avoir toujours eu une fa on ironique de voir les choses si s rieuses qu elles aient toujours t pour nous en totalit Nous c est moi La Cave 1976 texte fran ais Albert Kohn ditions Gallimard coll Biblos Paris 1990 p 178 3e Tous les malades taient sans exception sous perfusion et comme de loin les tuyaux qui les reliaient aux r cipients contenant la solution avaient l air de ficelles j avais toujours l impression que tous les malades couch s dans leur lit taient des marionnettes
2. cran Le temps du th tre qui constitue le fondement de l illusion dra matique dans une dramaturgie classique au m me titre que le lieu et l action entre soudain en concurrence avec le temps du r el celui l m me auquel le spectateur consent volontairement se soustraire en se rendant au th tre pour y voir se lever le rideau sur une autre temporalit Or lorsque le rideau se l ve ce 31 d cembre les personnages sur sc ne f tent la Saint Sylvestre Et ils attendent sur sc ne les douze coups de minuit tout comme le spectateur qui en ce moment privil gi o la temporalit ordi naire laisse place une pl nitude du temps dans un rite collectif de passage essaie lui aussi de ruser avec la Saint Sylvestre en recherchant le divertissement au double sens th tral et pasca lien du terme Davantage qu un simple jeu d autor f rences ce miroir aux alouettes fait appara tre dans toute son artificialit le temps du th tre peut tre galement parce que le soir de la Saint Sylvestre le temps profane celui que l on s ing nie passer ou pire encore tuer s coule avec toute la lenteur rituelle et sacr e qu il a perdue dans la vie ordinaire La Saint Sylvestre est en soi un moment th tral Thomas Bernhard en a fait le temps privil gi de son th tre en trompe l il On comprend mieux pourquoi l auteur avait exig que sa pi ce ne f t repr sent e que le 31 d cembre avec M
3. on sache si c est l acteur qui r cite son texte ou si c est le sujet historique qui revendique son identit sur sc ne Sauf que la pi ce en fran ais ne s appelle pas Michel Piccoli Dommage car l on dit que Thomas Bernhard aurait demand au traducteur anglais de trouver un acteur anglais c l bre qui accepterait de jouer le r le du protagoniste et qui donne rait ensuite son titre la pi ce Si Thomas Bernhard avait encore t vivant on aurait pu lui demander s il accepterait d intituler sa pi ce Piccoli d apr s Minetti de Thomas Bernhard Ce qui aurait eu l avantage de respecter la sonorit du patronyme dont la r p ti tion concourt fortement la musicalit du texte dramatique l inverse il serait tout aussi faux de postuler une ressemblance voire une identit entre l acteur Bernhard Minetti et le person nage du pseudo Minetti S il y a quelques convergences au niveau des lieux et des r les interpr t s qui n excluent pas quelques clins d il malicieux de l auteur destination des initi s dans cette sorte de private game gratuit que Thomas Bernhard affectionne surtout lorsqu il ne contribue en rien la compr hension du texte de th tre l illusion dramatique de Minetti repose sur la figure de l artiste rat Le pseudo Minetti y appara t comme un vieux mime dont la prestigieuse carri re est autant sujette caution que son rendez vous avec le directeur de th tr
4. Le Livre de Job d apr s la Bible Th tre National de Chaillot 1989 Le R formateur du monde de Thomas Bernhard Centre Bilat ral de cr ation Maison de la Culture de Bobigny 1990 1991 L gendes de la for t viennoise 47 d Od n von Horv th Maison de la Culture de Bobigny 1992 spectacle nomin aux Moli res 1993 pour la meilleure mise en sc ne ann e o il re oit galement le prix Dominique Le Baladin du monde occidental de Synge Od on Th tre de l Europe 1995 L once et L na de Georg B chner spectacle cr la rentr e 2001 l Od on Th tre de l Europe qui valut ric Elmosnino dans le r le de Val rio le Moli re de la r v lation th trale Vidy en janvier 1997 il monte La Force de l habitude de Thomas Bernhard Plus r cemment Papa doit manger de Marie Ndiaye cr la Com die Fran aise en 2003 Enfin toujours l Od on Le Jugement dernier d Od n von Horv th 2003 reprise en 2004 prix du meilleur spectacle d cern par le Syndicat de la critique dramatique L aventure du Centre dramatique national des Alpes s ach ve pour Engel le 30 juin 2004 Georges Lavaudant lui propose alors de rejoindre l Od on Th tre de l Europe en qualit d artiste associ C est ce titre qu Engel cr e Le Roi Lear avec Michel Piccoli aux Ateliers Berthier en janvier 2006 spectacle pr sent en tourn e en France et repris Paris en 2007 En janvier 2008 toujours dans
5. On retrouve ici un topos courant de l uvre bern hardienne celui des Geistesmenschen non reconnus par leur pays ou leur ville natale et oblig s de trouver refuge sous des cieux plus accueillants la terre d accueil tant g n ralement l Angleterre 15 GEISTESMENSCHEN Hommes de l esprit figures r f rentielles de l univers bern hardien ils entretiennent un rapport de d fiance envers la mat rialit organique Ils reprennent le vieux dualisme axio logique qui distingue le corps et l esprit Cette perspective valorise l me et corr lativement d valorise le corps Elle implique une dialectique de la d ficience qui pose l exigence d une certaine liquidation du corps comme condition l ac c s la pl nitude du monde de l esprit Ils se reconnaissent ainsi entre autres leur rejet du corps ainsi qu l effacement prononc de leur nature physique Le corps et l esprit tant pos s comme deux principes antagonistes il convient alors pour affirmer la puissance et l panouissement de l esprit d op rer une r duction du corps au sens propre comme au sens figur Ainsi le Geistesmensch se soumettra une v ritable discipline du corps plus proche parfois de la r pression et tendra instaurer un rapport ma tre esclave entre ces deux entit s Cette id ologie du contr le de soi met en uvre des techniques corporelles afin de d truire la part dionysiaque en l homme Le pseud
6. abdique toute d fense toute r sistance et r signe toi tre aval dans le tourbillon de leur vide Aval dans la r it ration de leur insatisfaction morbide et de leurs questionnements sans r ponse Solution pour ne pas succomber au trou d ennui vers lequel risque de t attirer leur th tre d tats d me Ennui la Pascal dont les Pens es n ont jamais t aussi pertinentes pour t aider te d sint grer dans le nuage d impertinence qui t est lanc la t te Et quoi tout au bout Alors que sont potentiellement si riches de r ves et d sirs les voix auxquelles tu es pri d tre atten tif celles ci devraient te marquer d un vide ce point effrayant que rien d autre ne subsistera en toi sinon l envie de le combler Heureuse promesse de renouvellement dans ta volont de vivre Lionel Richard Extrait de revuecolline fr n 9 Thomas Bernhard Th tre National de la Colline 2007 Lionel Richard est crivain collaborateur r gulier du Magazine litt raire et du Monde diplomatique Apr s avoir traduit deux recueils de po mes de Nelly Sachs il a inaugur ses travaux sur l Allemagne en 1971 Il a crit de tr s nombreux ouvrages de r f rence sur l histoire de l Allemagne au xx si cle et de fa on plus g n rale sur la culture allemande Parmi ses der niers livres Suite et s quelles de l Allemagne nazie Syllepse Nazisme et bar barie Nazisme et culture Complexe Goebbels un
7. aujourd hui une pi ce crite par un auteur fran ais sur l antis mitisme ou le racisme en France Ce serait moins facile que de taper sur les Autrichiens Cela dit la pi ce n en est pas moins int ressante Au cours de sa carri re Bernhard est devenu je crois de plus en plus politique Les premi res pi ces ne le sont pas tellement ce sont des th mes beaucoup plus g n raux il s agit de La Force de l habitude L Ignorant et le Fou La Soci t de chasse etc partir de Avant la retraite il s attaque aux r surgences ou au reliquat la subsistance ou la persistance du nazisme Et l actualit a montr qu il n avait pas tout fait tort Au d but il paraissait provoca teur et tr s exag r Mais il s est quand m me pass des choses en Autriche entre autres et pas seulement Il est effectivement devenu de plus en plus politique Mais toutes ses pi ces y com pris celle l peuvent tr s bien tre jou es On a jou Avant la retraite en France avec beaucoup de succ s Il y a eu notam ment Michel Bouquet admirable comme d habitude J aimerais beaucoup qu il joue La Force de l habitude la premi re pi ce que j ai traduite J avoue que j ai gard une pr dilection pour celle l je la trouve magnifique On ne trouve pas beaucoup d acteurs capables de jouer le personnage de Caribaldi et je crois que j es sayerai de dire Michel Bouquet qu il devrait la jouer Mais il y a d autres pi ces
8. carts Il y a une phrase de Nietzsche qui pour moi exprime admirable ment ceci La r alisation est le masque de mort de l id e Je crois qu il n existe pas plus belle d finition de la mise en sc ne L histoire d un spectacle est l C est la raison pour laquelle il faut tre tr s exigeant avec ses id es au d part Il faut vouloir beaucoup Parce que l on sait qu il va rester peu Mais il faut que ce qui reste soit suffisant Je ne voudrais toutefois pas tre mal compris Je parle ici du processus de travail Les choses bougent en cours de travail Elles bougent parce que les acteurs apportent et souvent norm ment Elles bougent parce que ce que vous avez souhait se r v le ne pas tre si pertinent qu esp r Elles bougent parce que vous tes surpris par mille et une choses Je ne suis pas un metteur en sc ne laise dans l improvisation Si je wai pas un spectacle pr t dans la t te quitte en r aliser un autre parce que justement tout bouge dans le travail je ne commence pas Je ne sais pas improviser J ai besoin de beaucoup travailler sans doute pour me rassurer Je suis un grand anxieux et l anxi t na t de l inconnu du vide Le savoir me rassure Quelle est votre relation l image la sc nographie Tout cela a beaucoup volu Lorsque nous tions au Th tre National de Strasbourg avec Jean Pierre Vincent dans les ann es soixante dix nous allions faire du th tre
9. est dire la musique langagi re linguis tique si l on veut Mais chez tous les crivains il y a un c t musical Grass insiste beaucoup sur le rythme et la sonorit quand on discute avec lui de la traduction Je suis de ceux qui pensent qu un texte litt raire ce n est comme pas un mode d emploi de r frig rateur C est fait avec des mots c est de la musique certes avec des concepts Chez Bernhard le probl me c est qu il y a la musique et il y a les concepts Et surtout il y a la r currence C est abominable pour un traducteur en fran ais Un des exemples que je cite souvent c est ce mot impronon able pour un Fran ais R cksichtslosigkeit Il peut avoir un sens positif ou n gatif Si c est d un artiste qu on parle on dira qu il est intransigeant qu il est d une rigueur d une intransigeance extraordinaire avec son boulot Mais si c est un chef de troupe de cirque qui maltraite ses collaborateurs c est alors de la brutalit qu il s agit il sera impitoyable Je repense La Force de l habitude Au d but il m est arriv de traduire aveu de faiblesse par deux mots diff rents que selon les endroits j accouplais de mani re qu on r entende la premi re occurrence Mais en m me temps dans le nouveau contexte on ne pouvait pas le traduire de la m me fa on C est un gros probl me et c est vrai aussi de la prose Au th tre videmment la sonori
10. mort parce qu il avait t beaucoup jou beaucoup lu et beau coup publi peu de temps avant mais avec retard par rapport l Autriche et l Allemagne Et puis il y a eu une lassitude on lisait m me dans les journaux que Bernhard maintenant on en avait assez Effectivement il y a eu une petite dizaine d ann es de creux Mais je vois bien que depuis deux ou trois ans les jeunes metteurs en sc ne les jeunes acteurs recommencent non seule ment s int resser mais se passionner pour Bernhard Est ce aussi le cas pour le public Je ne sais pas mais apparemment les spectacles ont du succ s propos recueillis par Jean Marie Winkler entretien enregistr Paris f vrier 2007 THOMAS BERNHARD 1931 1989 Biographie Po te romancier et auteur dramatique autrichien reconnu d s les ann es soixante comme l crivain de langue allemande le plus original le plus important mais aussi le plus cinglant de sa g n ration Une jeunesse marqu e par la maladie N Heerlen Limbourg Pays Bas Thomas Bernhard passe son enfance chez ses grands parents Vienne tandis que sa m re est rest e travailler au pays Son grand p re Johannes Freumbichler crivain r gionaliste a sur lui une influence d cisive En 1940 son p re qu il ne conna t pas se suicide En 1942 sa m re l envoie dans un foyer d ducation national socialiste mais deux ans plus tard sur l initiative de son grand p re
11. pendant des fils qu on avait abandonn es dans ces lits marion nettes qui pour une grande part n taient absolument plus mises en mouvement sinon en de rares circonstances Cependant ces tuyaux qui m ont toujours sembl des fils de marionnettes n taient plus la plupart du temps que la seule relation avec la vie pour ceux qui taient suspendus ces fils donc ces tuyaux J avais pens tr s souvent si quelqu un venait couper les fils c est dire les tuyaux ceux qui y taient suspendus seraient morts instantan ment Le tout avait beaucoup plus en commun avec le th tre que j tais dispos l admettre en moi m me et c tait d ailleurs du th tre bien qu un th tre affreux et pitoyable Le Souffle 1978 texte fran ais Albert Kohn ditions Gallimard coll Biblos Paris 1990 DISCOURS AUX AUTRICHIENS Monsieur le Ministre Vous tous qui tes ici pr sents Il n y a rien exalter rien condamner rien accuser mais il y a bien des choses risibles tout est risible quand on pense la mort On traverse la vie on en re oit des impressions on n en re oit pas d impression on traverse la sc ne tout est interchangeable on re oit une formation plus ou moins bonne dans le magasin des accessoires quelle erreur On comprend un peuple qui ne se doute de rien un beau pays ce sont des p res morts ou consciencieusement sans conscience des hommes avec la simpli cit
12. porte pour rentrer chez moi cette main de Curd J rgens c est un acteur vous le connaissez la Mort Salzbourg avec ces doigts de squelette et jentre et l crac Je sens constamment ce poids ici c est pour a aussi que j ai si vous regardez bien que j ai une paule plus basse que l autre cause du poids de la mort a personne ne peut me le prendre on ne peut pas me l enlever en me faisant une op ration c est mon angoisse n est ce pas elle est perch e sur mon paule droite comme un il rit eh bien comme un oiseau de malheur n est ce pas il s est tabli l Entretiens avec Krista Fleischmann L Arche diteur Paris 1993 p 80 81 Je me suis toujours estim heureux de survivre il ne me restait rien d autre faire qu me r fugier dans l entendement et d en treprendre n importe quoi avec lui puisque ce qui relevait du corps ne donnait rien L c tait vide Cit in Kurt Hofmann Entretiens avec Thomas Bernhard je n insulte vraiment personne texte fran ais Jean Luc Moreau ditions de La table ronde Paris 1990 L artiste l crivain en particulier qui ne va pas de temps en temps dans un h pital donc ne va pas dans un de ces districts de la pens e d cisifs pour sa vie n cessaires son existence se perd avec le temps dans l insignifiance parce qu il s emp tre dans les choses superficielles Le Souffle 1978 texte fran ais Albert Kohn dit
13. porte son nom mais parce que ce combat avec et pour un r le de toute une vie chez un acteur est aussi sa propre cause Nous com diens connaissons tous ces efforts ces nostalgies envers un r le et les peines souvent perdues pour l atteindre Souvent nous avons de graves angoisses dans ces tentatives qui ne trouvent pas d accomplissement en partie en raison d insuffisances dans nos propres capacit s en partie aussi cause de la disposition du public de ses l thargies et de ses r sistances Le com dien doit livrer sans cesse le combat avec le public il doit aussi avoir le cou rage du scandale qui est en r alit le courage de l auteur il doit 17 accomplir le courage de l auteur en tant cruel amer tragique et en suscitant la peur et l pouvante Mais il est aussi d pendant du directeur du th tre de la presse qui le c l bre ou le descend avec l arbitraire qu on lui conna t et comme le Minetti de la pi ce il doit en m me temps veiller garder ses forces pour Shakespeare pour Lear C est notre probl me tous et quel acteur peut soutenir pareilles tensions pendant de nombreuses ann es qui ne se r signerait pas et ne s abandonnerait pas face au public pour obtenir un succ s facile Dans sa pi ce Les apparences sont trompeuses Bernhard fait dire Karl que les acteurs sont m diocres et se rendent les choses faciles en restant dans leur m diocrit Il ma pas tort Il pense ce
14. rature minci tait pas aller le titiller L originalit de son criture se situe t elle au niveau de la mise en sc ne des personnages ou est ce le langage dramatique lui m me C est un peu tout je crois Pour ce qui est du th tre il y a un lan gage extr mement particulier et qui n est pas le m me que celui de la prose contrairement aux apparences Cela me parait abso lument fondamental puisque j ai traduit les deux peu de prose mais pas mal de th tre Pour simplifier on conna t dans la prose la grande phrase tourbillonnante de Bernhard la phrase hyper allemande pouss e quasi jusqu l absurde alors que dans le th tre c est au contraire une langue hach e Et tous les acteurs derni rement encore pour les spectacles de la Colline viennent m interroger Mais cette ligne c est crit par ligne ce ne sont pas des vers mais des lignes assez courtes en g n ral cette ligne se rapporte t elle ce qui pr c de ou ce qui suit Je leur r ponds que je n en sais rien Il y a une ambivalence une ambigu t totale dans le th tre qui n existe pas dans la prose La prose c est un flot qui coule un tourbillon si l on veut tandis que le th tre c est en zigzag permanent o videmment il y a aussi des retours C est une langue diff rente je veux dire un style diff rent Est ce que vous verriez en Bernhard un dramaturge novateur ou au co
15. s garer En r p titions on cherche J ai besoin d une mati re sur laquelle rebondir Donc voici deux l ments qui comptent mes yeux que l acteur vienne aux r p titions en sachant son texte et qu il soit capable de faire spontan ment des propositions de jeu Cela permet d utiliser le temps de r p tition avec le maximum d intensit Parlez vous beaucoup aux acteurs Pas pendant qu ils jouent Je ne les interromps pas Le travail s organise de la mani re suivante Nous commen ons par faire un travail la table avec Dominique M ller le dramaturge les com diens et les autres camarades qui participent au projet C est un travail cons quent dans la mesure o nous passons une bonne semaine discuter C est l que nous informons les com diens de nos intentions L que nous disons pourquoi nous montons tel texte comment nous envisageons de le monter et le r sultat que nous escomptons C est un moment d change tr s important Apr s cette tape tout le monde doit en savoir autant que nous sur les raisons que nous avons de monter la pi ce Nous disons aussi ce que nous pensons des personnages des situations Durant toute cette p riode la parole est centrale Ensuite lorsque nous sommes sur le plateau il m arrive de jouer m me si je joue mal j essaie de montrer la direction d indiquer m me grossi rement les intentions L acteur peut il vous surprendre Il doit le faire Jamais un acte
16. s clairement la pi ce se passe Ostende dans le hall d un h tel pendant la nuit de la Saint Sylvestre alors qu il y a une temp te de neige Je me dis qu arriverait il si nous tions en Bolivie dans un univers de paum s un peu comme dans Le Salaire de la peur de Clouzot par exemple Ou que se passerait il si cet homme tait tout seul sur une banquise discuter avec des phoques Ma premi re tentation est l de partir l oppos C est une mani re d prouver la proposition initiale mais aussi une mani re d exister Quand j tais plus jeune j avais m me le culot de pr tendre que si je n avais pas autant de choses dire sur le sujet que l auteur je ne montais pas la pi ce C tait gonfl Mais j avais la na vet d y croire Apr s Le R formateur du monde et La Force de l habitude c est la troisi me fois que vous revenez Thomas Bernhard Pourquoi Quand j ai lu Bernhard pour la premi re fois je me suis dit tiens voil quelqu un qui sait comment on peut crire du th tre apr s Samuel Beckett Il a fait une vraie proposition une proposition tr s originale Il emprunte la musique Et l criture rend compte d une maladie psychologique Tous les personnages sont des logorrh es perp tuelles Ici la parole est vitale On a le sentiment que si ces gens l ne parlaient pas s ils ne parlaient pas autant de cette fa on et sur ce ton ils mourraient Quoi de plus tonnant pour l
17. tout et toi m me avec si ce n est ton intelligence pour retrouver les exigences du Geistesmensch bernhardien Le paradoxe de l artiste Le paradoxe de l artiste bernhardien veut que celui ci l image du pseudo Minetti conjugue la souveraine ma trise au sein de t Lettre Louise Colet n 321 15 16 mai 1852 in uvres compl tes de Gustave Flaubert 2 s rie Correspondance 1847 1852 ditions Louis Conard Paris 1926 p 415 5 Lettre Alfred Le Poittevin 16 septembre 1845 in Correspondance t I janvier 1830 mai 1851 Jean Bruneau d ditions Gallimard coll Biblioth que de la Pl iade n 244 Paris 1973 son art ou de sa pens e avec la solitude qui est la sienne face une soci t contre laquelle s inscrit toute la d marche de l artiste v ritable Si Minetti se mesure la figure tut laire du Roi Lear c est peut tre dans cette dimension extr me o la solitude du g nie qui confine la folie est acquise au prix de son isolement ou de son exclusion par la soci t Paradoxalement la soci t bour geoise h rit e des Lumi res a permis puis pr n le triomphe de la subjectivit radicale de l individu rig en absolu Mais dans sa r alisation concr te et collective cette m me soci t rel gue l in tellectuel ou l artiste dans une magnifique impuissance o se refl te la m fiance de la bourgeoisie face l esprit libre d s lors que
18. 1978 coll L Imaginaire n 512 2005 Oui 1978 texte fran ais J C H mery coll Du monde entier 1980 coll Folio n 2932 1997 L Imitateur 1978 texte fran ais J C H mery coll Du monde entier 1981 sous le titre L Imitateur choix Der Stimmenimitator Auswahl coll Folio bilingue n 66 1997 Les Mange pas cher 1980 texte fran ais C Porcell coll Du monde entier 2005 Le Neveu de Wittgenstein Une amiti 1982 texte fran ais J C H mery coll Du monde entier 1985 coll Folio n 2323 1992 45 B ton 1982 texte fran ais Gilberte Lambrichs coll Du monde entier 1985 coll L Imaginaire n 490 2004 Le Naufrag 1983 texte fran ais B Kreiss coll Du monde entier 1986 coll Folio n 2445 1993 Des arbres abattre Une irritation 1984 texte fran ais B Kreiss coll Du monde entier 1991 coll Folio n 3028 1988 Ma tres anciens Com die 1985 texte fran ais G Lambrichs coll Du monde entier 1988 coll Folio n 2276 1991 Extinction Un effondrement 1986 texte fran ais G Lambrichs coll Du monde entier 1990 coll Folio n 3216 1999 Dans les hauteurs Tentative de sauvetage non sens 1989 texte fran ais C Porcell coll Du monde entier 1991 Po sie Po mes Sur la terre comme en enfer 1957 In hora mortis 1958
19. Depuis Gilles Kneus est com dien Un peu au cin ma Une poque formidable de G rad Jugnot 1992 mais surtout au th tre sous la direction de G rard Desarthe Lorenzino d apr s Musset et lectre de Giraudoux d Andr Engel qui fait appel lui d s 1998 pour son Woyzeck de B chner puis pour Le Jugement dernier d Od n von Horv th et Le Roi Lear de William Shakespeare d Anne Alvaro L le des esclaves de Marivaux 1998 d Adel Hakim ou de J r me Kircher Je sais qu il existe aussi des amours r ciproques d apr s Romain Gary 2005 Gilles Kneus a mis lui m me en sc ne une demi douzaine de spectacles dont L preuve de Marivaux en 2001 2002 et Coco perdu d apr s Louis Guilloux en 2004 Arnaud Lechien Il commence sa formation d acteur au Cours Florent et au Cours Simon puis avec Stuart Seide au Conservatoire National Sup rieur d Art Dramatique Au th tre il joue dans une dizaine de pi ces mises en sc ne par Jean Christophe Dhondt Jean Pierre Savinaud Jean Simon Karine Vauthier Mathieu Mevel Christine Hopper J r me Kircher dont il a galement t l assistant aux Bouffes du Nord pour L poustouflante performance de madame Berthe Tr pat m daille d or ou Andr Engel qui le dirige dans sa mise en sc ne du Roi Lear la t l vision il tourne sous la direction de Marion Handwerker G rard Vergez St phane Kapp s Nicolas Picard Miguel Courtois ou Williams Cr pin 50 Julie Marie
20. Minetti s interroge suffisamment sur l homme et sur la vie pour que le danger du nombrilisme soit cart Il s in terroge bien s r aussi sur l art et sur le th tre mais pour qu on voie bien qu il est impossible de s y limiter En plus d s le d part ce grand acteur qu est Minetti est un peu pr sent comme un clown il a une norme valise on a l impression que ses v te ments sont trop grands Cela me fait penser Grock Pourquoi Pourquoi un grand trag dien tout de m me interpr te du roi Lear aurait il soudain l allure de Grock Il y a donc une mise en question de la figure de l artiste comme bouffon C est d embl e int ressant Propos recueillis par Ren Zahnd directeur adjoint du Th tre Vidy Lausanne le 8 septembre 2008 TROIS CONDITIONS POUR SE METTRE EN SITUATION D ASSISTER AUX PI CES DE THOMAS BERNHARD 1 Oublier toutes les id es sur le th tre Ni codes ni dogmes au fond de l esprit Surtout ne pas se raccrocher des l ments que la connaissance des auteurs classiques depuis l Antiquit grecque a rendu familiers une action une intrigue des h ros qui luttent et souffrent ou des personnages afflig s de tels ridi cules qu il faut en rire Les v nements d terminants se sont pro duits avant les p rip ties auxquelles maintenant nous sommes convoqu s en tant que t moins nous de les reconstituer de les recomposer happant leurs contrecoups au fur et mesure qu
21. est un th tre novateur Comme je vous l ai dit je me r f rais au d but des mod les existants Beckett pour la s cheresse la bri vet etc et Tchekhov Bernhard connaissait bien Tchekhov il a tent de refaire Les Trois Soeurs pour toute une atmosph re qu on trouve par exemple dans La Soci t de chasse Je crois que son style est unique et s il a t par la suite tr s imit ce n est en tout pas rest dans les annales Est ce que vous pensez qu on peut jouer Bernhard hors d Autriche Oui et a marche d ailleurs tr s bien Certaines pi ces posent probl me Heldenplatz par exemple Elle n tait pas pr vue pour a d ailleurs elle ne devait pas tre jou en dehors de l Autriche Je crois qu il n y a que deux pays trangers qui lont pr sent e La premi re fois c tait la Colline dans une excellente mise en sc ne de Jorge Lavelli Tout est parti d un malentendu Je crois que Bernhard tait d j tr s malade mourant et que probable ment son fr re administrativement a accept que la pi ce soit jou e alors que Bernhard m aurait pas aim qu elle le soit C est vrai qu elle est difficile parce qu elle est tr s paradoxale Il est un peu facile pour nous Fran ais de taper sur les Autrichiens en tant que nazis Il y a eu une pol mique lors de la mise en sc ne la Com die Fran aise Et je suis de ceux qui pensent qu il serait int ressant d avoir
22. et la bassesse la pauvret de leurs besoins Tout est pr histoire hautement philosophique et insupportable Les si cles sont pauvres d esprit le d monique en nous est la per p tuelle prison du pays des p res o les composantes de la b tise et de la brutalit la plus intransigeante se sont faite quotidienne n cessit L tat est une structure condamn e en permanence l chec le peuple une structure condamn e sans cesse l infamie et la faiblesse d esprit La vie est d sespoir auquel s appuient les philosophies dans lesquelles tout finalement est promis la d mence Nous sommes Autrichiens nous sommes apathiques nous sommes la vie la vie comme indiff rence vulgairement partag e la vie nous sommes dans le processus de la nature la folie des grandeurs le sens de la folie des grandeurs comme avenir 33 Nous n avons rien dire sinon que nous sommes pitoyables que nous avons succomb par imagination une monotonie philoso phico conomico m canique Instrument de la d cadence cr ature de l agonie tout s claire nous nous ne comprenons rien Nous peuplons un traumatisme nous avons peur nous avons bien le droit d avoir peur nous voyons d j bien qu indistinctement l arri re plan les g ants de l angoisse Ce que nous pensons a d j t pens ce que nous ressentons est chaotique ce que nous sommes est obscur Nous n avons pas avoir honte mais nous ne som
23. et malgr l extr me indigence de sa famille il re oit des cours de violon de dessin et de peinture Salzbourg l ge de seize ans il commence un apprentissage chez un picier tout en poursuivant ses cours Atteint de tuberculose il entre l h pital quelques jours apr s son grand p re qui y meurt le 11 f vrier 1949 Thomas Bernhard doit faire plusieurs s jours au sanato rium de Grafenhof et c est cette immobilisation forc e qui Pin cite lire et crire Il y fait aussi la connaissance d Hedwig Stavianicek de trente cinq ans son a n e qui est sa compagne jusqu en 1984 date de sa mort 42 partir de 1952 Thomas Bernhard devient journaliste au Demokratisches Volksblatt de Salzbourg o il tient la chronique judiciaire Parall lement et jusqu en 1957 il suit des cours de mise en sc ne et d art dramatique au Mozarteum et publie ses premiers recueils de po sie dans diverses revues En 1963 Gel son premier roman est salu par la critique Suivent en 1964 Amras un livre que Thomas Bernhard ch rit particuli rement dans l ensemble de sa production puis Perturbation en 1967 D s lors et jusqu la fin de sa vie il publie chaque ann e plu sieurs ouvrages Des rapports difficiles avec l Autriche Son discours de remerciements pour le Petit Prix national de lit t rature en 1968 est inscrire au nombre des multiples scandales qui jalonnent les uvres et les apparitions publiques d
24. l Allemagne mais qui porte un nom bien bavarois charnu comme Gaspoltshofen Et d autres mots encore qui sont des interjections et qu il faut bien entendu garder tellement ils sont intraduisibles videmment les acteurs ont parfois du mal parce qu ils ne sont pas facilement pronon able pour un gosier fran ais Et les noms compos s de concepts philosophico funambu lesques Je mwai gu re de solutions On fait ce qu on peut Il n y a pas de mots compos s en fran ais ou tr s peu Dans La Force de l habi tude je crois il y a du Novalis des citations canul es arrang es etc C est un tr s gros probl me On opte pour le moindre mal encore une fois on fait ce qu on peut Est ce que vous reconnaissez Thomas Bernhard dans l image g n rale qu on en a C est dire un auteur qui a une haine de l Autriche un auteur qui d teste tout D un c t oui et de l autre bien entendu il en joue C tait sa marque de fabrique Je pense qu il avait effectivement une ran c ur contre l Autriche c est vrai jusqu son testament que je trouvais injustifi parce qu interdire aux jeunes Autrichiens d aller voir des pi ces de Bernhard cela ne me paraissait finalement pas tr s judicieux Mais il l a fait par testament Je ne sais pas si on peut parler de haine je parlerais plut t de ranc ur Par son autobiographie tout ce qu on sait de sa biographie il a eu une enfa
25. le cadre de sa collaboration avec l Od on Andr Engel met en sc ne La Petite Catherine de Heilbronn de Heinrich von Kleist un spectacle distingu aux Moli res 2008 Moli re des Compagnies Le Vengeur Masqu Il poursuit par ailleurs sa carri re de metteur en sc ne d op ra dont les jalons les plus r cents comptent Don Giovanni Op ra de Lausanne 1996 reprise au Th tre des Champs lys es en 2006 Siegfried Scala de Milan 1997 Der Freisch tz Op ra du Rhin 1999 The Rake s Progress Op ra de Lausanne 1999 Th tre des Champs lys es 2001 La Petite Renarde rus e de Leo Jan ek Op ra de Lyon 2000 Th tre des Champs lys es 2002 K d apr s Le Proc s de Franz Kafka de Philippe Manoury Op ra National de Paris reprise en avril mai 2003 Reprise en 2008 l Op ra de Paris de Cardillac de Paul Hindemith cr en 2005 et Louise de Gustave Charpentier cr en mars 2007 48 velyne Didi Elle participe la cr ation du Th tre clat Annecy avec Alain Fran on Christiane Cohendy et Andr Marcon De 1976 1983 elle est com dienne permanente de la troupe du T N S et tra vaille avec Jean Pierre Vincent Michel Deutsch Andr Engel Elle joue sous la direction de nombreux metteurs en sc ne Bernard Sobel Klaus Micha l Gr ber Bob Wilson Jean Jourdheuil Jean Fran ois Peyret Ann Bogart Jean Louis Martinelli Moshe Lelser Matthias Langhoff et partic
26. nous agresser construit sur des segments r p tition Monologues machines logomachiques Faux dialogues o l change avec autrui finit toujours par d river vers le d lire d un soliloque Concert sans unit o chaque mem bre de l orchestre se retrouve jouer pour lui seul Musique d s accord e D truisant peu peu les liens sociaux ou refusant ces derniers d offrir l individu toute possibilit d harmonie toute congruence toute coh rence dans une vie en communaut Le caract re palpable des r alit s se d robe sous des voix qui ne sont que l exutoire de divagations Pr s ance d apparences d histoires trompeuses Qui vont notre rencontre flotter nos oreilles Et dont les motifs nous sont assen s dans un retour obsessionnel Aspiration de tous ces fantoches bavards laisser tomber le masque des conventions pour essayer d tre soi se payer de mots se projeter dans des succ dan s de beaux arts de culture l vation spirituelle et d l guer leurs vell it s de puret des repr sentations de protestataires d insoumis auxquels ils deman dent illusoirement de les sortir de leur nullit existentielle 3 Se laisser absorber dans le vide Ne pas prendre au s rieux leur symbolique jeu de massacre Mais accepter leur invite d un d pla cement hors d existences o la v rit est incommunicable o le conformisme p se d un mensonge de simulacres Oui specta teur
27. originalit de l criture de Bernhard Mais cela est venu assez vite Apr s j ai continu tra duire des pi ces avec je dois le dire beaucoup de plaisir Avez vous rencontr Thomas Bernhard Non je wai pas cherch le rencontrer Il avait une r putation terrible d auteur solitaire enferm dans sa forteresse Quand on 35 voit la ou les fermes de Thomas Bernhard ce sont des fermes traditionnelles tout fait referm es sur elles m mes comme elles le sont dans ce pays On lui avait donc fait une r putation de Fort Chabrol et il raconte d ailleurs parfois que des dames tomb es follement amoureuses de lui sont all es l importuner Moi je wai jamais cherch aller le voir Je me souviens que ce n est pas moi qui ai traduit la pi ce mais Michel Fran ois Demet et c est Henri Ronse qui l a mont e je crois au Th tre de la Bastille Ronse disait Si si coutez Tel que je vois le bonhomme on emporte une caisse de cham pagne on va directement chez lui je suis s r qu il nous recevra tr s bien Mais le projet n a pas t mis ex cution Les auteurs je ne cherche pas les emb ter Avec Grass ce n est pas pareil C est quelqu un de tr s sociable bon vivant qui r unit ses traducteurs chaque bouquin dans une atmosph re dirait on aujourd hui tr s conviviale Donc les rapports avec lui sont beaucoup plus faciles Bernhard son type de litt
28. personne n est jamais chez soi le pseudo Minetti ressemble involontairement un voyageur de commerce qui proposerait des articles d mod s dont personne ne voudrait plus Ironie de l histoire puisque c est pr cis ment l re des marchands qui a eu raison de son art Minetti n aura t un artiste v ritable que durant ses ann es de r clusion Dinkelsb hl o il affirme avoir jou devant son miroir pour lui m me sa mani re Thomas Bernhard a su crire une grande trag die de l artiste qui s inscrit sans le dire dans la lign e des grands drames allemands la suite du Tasse de Goethe o l artiste doit choisir entre ce qui pla t et ce qui convient pour se ranger finale ment du c t de la convenance et de la morale Ce n est sans doute pas un hasard si l image du Sturm und Drang allemand et de ses exc s dans la forme comme dans le fond Thomas Bernhard choisit lunivers shakespearien et sa d mesure comme contre mod le l harmonie dont le renoncement goeth en et le moralisme schill rien taient l aboutissement le plus visible dans la trag die id aliste classique Dans la sourde rivalit qui l oppose Goethe Thomas Bernhard joue le jeune Goethe fougueux et t m raire contre le sage de Weimar auquel il ne r serve que des diatribes au vitriol Or l acteur Bernhard Minetti fut retenu en 1982 pour jouer le protagoniste dans le Faust de Goethe l ann e du 250 anniversai
29. qui n ont jamais t jou es en France Les 37 C l bres par exemple qui se moque du festival de Salzbourg mais qui pourrait se passer nimporte o Seulement c est une pi ce qui exige de nombreux moyens mat riels il y a des marion nettes et un nombre consid rable de personnages C est vrai qu il n est pas facile de monter Bernhard Les metteurs en sc ne choi sissent g n ralement des pi ces qui exigent le moins possible de personnel tant entendu qu il y a d j des personnages qui n ont qu une seule ou deux r pliques dire Vous faites allusion La Force de l habitude Est ce que vous voyez chez Bernhard en particulier dans les pi ces de th tre un aspect grotesque Oui videmment Mais cela d pend des moments Par exemple je le vois peu dans Heldenplatz m me si comme d habitude on mange on fait la f te on s enivre Mais dans La Force de l habitude par exemple il y a Caribaldi le chef de la troupe de cirque qui veut absolument faire jouer sa troupe le quintette La Truite et qui prend sa jambe de bois pour la contrebasse sur laquelle il passe avec son archet L c est videmment grotesque Dans Une f te pour Boris aussi il y a beaucoup de grotesque Je crois que c est un th tre qui au d part se voulait comique j allais dire grotesque la fois tragique et comique donc grotesque mais l volution vers le politique a sans doute fait que le comiq
30. re Mais on y retrouve quelque chose et en m me temps on rigole Moi je crois que c est dr le Bernhard Encore une fois dans Heldenplatz je ne crois pas qu on puisse voir du grotesque ni dans Avant la retraite ou alors un comique tr s grin ant Mais en g n ral oui comme dans Au but ou dans Le Pr sident Pourtant le Pr sident est un abominable dictateur mais c est quand m me grotesque La chose qui me para t importante c est que je ne vois pas de hi rarchie ou de diff rence de nature dans les personnages de Bernhard Entre l artiste par exemple qui devrait tre un id al et par exemple un dictateur comme le Pr sident au fond le langage est le m me Et c est cela qui est inqui tant Leur langage est le m me leur style est le m me d ailleurs il parle de l art politique Je crois qu il y a une esp ce de continuum chez Bernhard Il n y a pas de dialectique pas d alternative parce que l alter native au Pr sident ce serait l anarchie Non je ne crois pas qu il y ait d alternative Au fond dans les romans par exemple dans Ausl schung Extinction quelle est l alter native C est l extinction d une part et puis c est l explosion c est foutre le bordel tout donner la communaut juive ou tout faire exploser Il y a un c t disons un peu situationniste Est ce qu il y croit lui m me Je n en sais rien mais c est un emp cheur de tou
31. une des premi res sc nes allemandes et il y avait assist la repr sentation de sa derni re pi ce naturellement pas la pre mi re mais la troisi me ou quatri me repr sentation Apr s avoir vu ce que les acteurs de D sseldorf avaient fait de sa pi ce il avait intent devant le tribunal comp tent de D sseldorf une action qui avant m me de donner lieu une audience de ce tri bunal l a amen tout droit au fameux h pital psychiatrique de Bethel dans la ville toute proche de Bielefeld Il voulait que le directeur du th tre de D sseldorf soit condamn lui restituer sa pi ce ce qui voulait tout simplement dire qu il exigeait que toute personne ayant d une mani re ou d une autre particip au spectacle lui rende et restitue tout ce qui lavait un tant soit peu mis en rapport avec cette pi ce Bien entendu il avait galement exig que les spectateurs pr s de cinq mille qui avaient entre temps vu sa pi ce lui restituent ce qu ils avaient vu p 612 613 Sentiment intime Un autre auteur de th tre devant le tribunal o l avait tra n un spectateur vex qui se sentait ridiculis par lui sur la sc ne du Th tre municipal de Bochum que cet auteur de th tre m me devant le tribunal n appelait jamais autrement que l asile municipal de Bochum o un directeur d asile se pr tendant directeur de th tre avait selon lui pour pensionnaires non des acteurs mais des fous
32. y a entre nous une tr s belle com plicit Quatorze ans se sont coul s entre le moment o je lui ai propos de jouer le Roi Lear et la premi re r p tition Ce laps de temps a permis qu un rapport un peu trange mais tr s fraternel s tablisse entre nous En plus je crois que nous nous aimons bien Dans nos m tiers a compte aussi C est donc d abord un bon acteur ensuite un homme remarquable quelqu un qui ne joue pas du tout de son prestige et de sa carri re J aime l id e qu il se fait d tre un artiste interpr te quelqu un qui coute tr s attentivement ce que dit un metteur en sc ne Vous pouvez aussi tomber sur des acteurs qui estiment tout savoir Michel Piccoli conna t au contraire cette relation qui existe entre l acteur et le metteur en sc ne Il essaie toujours de comprendre dans quelle direction nous allons ensemble Et quand je dis ensemble c est tous ensemble Qu est ce au juste selon vous qu un bon acteur de th tre C est par exemple quelqu un qui doit comprendre ce que je dis quand je lui demande de venir aux r p titions texte su plut t que de profiter des r p titions pour apprendre son texte J ai du mal r p ter avec un acteur qui a le nez dans sa brochure Je ne sais pas trop quoi lui dire en dehors de va apprendre ton texte La cons quence de tout a est que j attends d un acteur qu il soit capable de faire rapidement des propositions de jeu quitte
33. I AUTEUR DE TH TRE textes de Thomas Bernhard VII MINETTI O L ART DRAMATIQUE SIMPLEMENT COMPLIQU texte de Jean Marie Winkler Un th tre total Il est un autre La nuit de la Saint Sylvestre Une tragicom die L re des marchands Le paradoxe de l artiste VIII DU CORPS ET DE L ESPRIT textes de Thomas Bernhard IX DISCOURS AUX AUTRICHIENS texte de Thomas Bernhard X ENTRETIEN AVEC CLAUDE PORCELL XI THOMAS BERNHARD 1931 1989 Biographie Bibliographie p 5 p 12 14 p 17 p 19 p 21 T TT TT 30 33 35 42 XII L QUIPE ARTISTIQUE p 47 Andr Engel velyne Didi Gilles Kneus Arnaud Lechien Julie Marie Parmentier Michel Piccoli Ce que je ressens l de sp cifiquement minettien cela reste mon secret d acteur Vous voulez des citations L artiste en fureur l artiste pouvant c est ce que je suis la diff rence d autres Bernhard Minetti cit par Claude Porcell ENTRETIEN AVEC ANDR ENGEL crite en 1977 par Thomas Bernhard pour l immense acteur allemand Bernhard Minetti ce texte montre un vieil acteur qui attend dans le hall d un grand h tel d Ostende C est le soir de la Saint Sylvestre Pam biance est aux cotillons et au champagne Dans la valise du com dien se trouve un masque r alis par James Ensor pour le Roi Lear Car l acteur a rendez vous un rendez vous improbable avec un directeur de th tre dans l espoir d interpr ter encore une fois le monarque
34. Jacques Rouffio Youssef Chahine Il r alise par ailleurs deux courts m trages avant de mener bien l aventure de son pre mier long m trage Alors voil 1997 prix de la critique italienne 51 au Festival de Venise En 2001 il r alise La Plage noire d apr s l uvre de Fran ois Maspero puis en 2005 C est pas tout fait la vie dont j avais r v En 2007 il re oit le L opard pour la meilleure interpr tation masculine au Festival international du film de Locarno pour son r le dans Les Toits de Paris d Hiner Saleem On a pu le voir au th tre depuis 2001 dans La Jalousie de Sacha Guitry mise en sc ne Bernard Murat en 2003 dans Ta Main dans la mienne d Olga Knipper Anton Tchekhov mise en sc ne Peter Brook et en 2006 dans Le Roi Lear de William Shakespeare mise en sc ne Andr Engel
35. MINETTI G977 Grand Th tre du 9 janvier au 6 f vrier 2009 du mercredi au samedi 20h30 mardi 19h30 dimanche 15h30 rel che lundi texte Thomas Bernhard mise en sc ne Andr Engel avec velyne Didi Une dame Gilles Kneus Le portier Arnaud Lechien Lextra Julie Marie Parmentier Une jeune fille Michel Piccoli Minetti texte fran ais Claude Porcell version sc nique Andr Engel Dominique M ller dramaturgie Dominique M ller sc nographie Nicky Rieti lumi re Andr Diot costumes Chantal de la Coste Messeli re son Pipo Gomes maquillages et coiffures Marie Luiset assistant mise en sc ne Arnaud Lechien assistant sc nographie Fran ois Revol production Th tre Vidy Lausanne Le Vengeur Masqu Th tre National de la Colline avec le soutien de la Fondation Leenards L Arche est diteur et agent du texte repr sent Le spectacle a t cr au Th tre Vidy Lausanne le 9 d cembre 2008 pr sent jusqu au 21 d cembre Service p dagogique 0144625253 mj pages colline fr Sommaire I ENTRETIEN AVEC ANDR ENGEL propos recueillis par Ren Zahnd Il TROIS CONDITIONS POUR SE METTRE EN SITUATION D ASSISTER AUX PI CES DE THOMAS BERNHARD texte de Lionel Richard Ill LA GEN SE DES TEXTES DRAMATIQUES texte de Manfred Mittermayer et Jean Marie Winkler IV MINETTI texte d H l ne Francoual Contexte d criture La pi ce Pistes d analyse V SOUVENIR D UN COM DIEN texte de Bernhard Minetti V
36. Mittermayer Universit de Salzbourg et Institut Ludwig Boltzmann Vienne Bernhard Judex et Martin Huber Archives Thomas Bernhard Gmunden Haute Autriche et Marie Christine Baratta Dragono Fondation Thomas Bernhard Vienne DU CORPS ET DE L ESPRIT Thomas Bernhard fragments Et puis je me suis dit aussi que je n avais pas d organe comme les autres qui taient avec moi les gar ons pour les filles je ne me posais pas de questions parce que de toute fa on c tait diff rent Et je me souviens tr s bien que mon meilleur ami de l poque il avait je crois six sept ans avec lequel je jouais tou jours un petit voisin donc Gusti Fackler Fackler c est un nom bavarois c tait Traunstein et celui l est mort en l espace de quelques jours d une appendicite Alors je me suis dit mon Dieu ce pauvre Gusti Fackler il meurt parce qu il a une appendicite et moi je ne peux pas en avoir parce que je n ai pas d appendice sans doute Tout ce dont on peut mourir moi je ne lai pas Donc pour quoi de quoi pourrais je mourir je me sentais confortablement en marge Je crois que j avais d j des ann es et des ann es quand j ai fini par m apercevoir que moi aussi j avais des organes dont on pouvait mourir Non l id e c tait pas de p re pas d or ganes rien en moi qui soit mortel Je crois que c tait un des pr suppos s essentiels pendant des ann es de nombreuses ann es jusqu
37. Paris dans la collection Ces Oubli s de l Histoire les volumes L Euthanasie nationale socialiste Mauthausen Hartheim 1940 1944 paru en 2005 et Le Douaumont de la D portation Le projet d ossuaire du camp de concentration de Mauthausen Exhumations des cimeti res identifications et r inhumations 1955 1961 paru en 2007 Manfred Mittermayer Enseigne la litt rature allemande contemporaine et l allemand langue trang re l Universit de Salzburg Manfred Mittermayer fait partie de l quipe de chercheurs charg e de la publication des uvres compl tes de Thomas Bernhard en 22 volumes en cours de publication aux ditions Suhrkamp et est l auteur de nombreuses tudes sur Thomas Bernhard Membre de l Institut de recherche Ludwig Boltzmann pour l Histoire et la Th orie de la Biographie cr Vienne en 2005 il pr pare notamment une biographie de Thomas Bernhard En 2006 il a publi une courte biographie de l auteur dans la s rie BasisBiographie des ditions Suhrkamp Il est galement le commissaire des expositions Thomas Bernhard et ses compagnons de vie Les archives pr sent e la Biblioth que Nationale d Autriche en 2001 et Thomas Bernhard et Salzburg pr sent e au Mus e Carolino Augusteum de cette ville en 2001 Il en a r alis les cata logues publi s respectivement aux ditions Suhrkamp Francfort et JUNGundJUNG Salzburg MINETTI Contexte d cr
38. Parmentier Apr s avoir suivi des cours de th tre d s l ge de neuf ans et pass un baccalaur at option th tre elle commence sa carri re de com dienne en 1993 No mie Lvovsky l engage en 1997 pour tre une des quatre adolescentes de son t l film Petites sorti en salle sous le titre La Vie ne me fait pas peur prix Jean Vigo En parall le elle tourne dans plusieurs t l films En 2000 elle est la fille prostitu e et toxicomane d Ariane Ascaride dans La ville est tranquille de Robert Gu diguian et joue deux ans plus tard dans Marie Jo et ses deux amours Entre temps on peut la voir au c t de Sylvie Testud dans Les Blessures assassines 2000 de Jean Pierre Denis Le Ventre de Juliette 2002 de Martin Provost la ram ne une nouvelle fois Marseille la com dienne y tient le r le principal En 2002 elle tourne galement Folle embellie de Dominique Cabr ra au c t de Jean Pierre L aud Apr s Le Jugement dernier d Od n von Horv th Andr Engel fait nouveau appel elle pour Le Roi Lear o il lui confie de r le de Cord lia depuis Anne Dimitriadis a dirig e dans Les Folles d enfer de la Salp tri re de M khi Xenaxis MC93 2007 Au cin ma elle tourne dans Sheitan de R mi Chapiron avec Vincent Cassel et dans Charly d Isild le Besco 2006 derni rement dans Baby Love de Vincent Garenq 2007 Michel Piccoli N Paris en 1925 d un p re violoniste et d une m re pianiste il regr
39. Pierre Chabert et Barbara Hutt d ditions Minerve Paris 2002 L QUIPE ARTISTIQUE Andr Engel N en France Andr Engel a tudi puis enseign la philosophie jusqu en 1969 Il fait ses d buts de metteur en sc ne en 1972 dans le cadre du Th tre de Esp rance associ Jean Pierre Vincent avant de d velopper ses activit s au sein du Th tre National de Strasbourg partir de 1982 il m ne une carri re de metteur en sc ne ind pendant Son r pertoire ne se limite pas aux textes th traux Il croise les crits classiques et contempo rains et s attache parcourir des sentiers inexplor s Il d place le terrain du spectacle hors des th tres dans des lieux insolites hangar haras h tel mine de fer par exemple Dell inferno spec tacle donn tout d abord dans une usine d saffect e de la Plaine Saint Denis en collaboration avec le Th tre G rard Philipe en 1982 Il fonde en 1988 le Centre Bilat ral de Cr ation Th trale et Cin matographique financ par le minist re de la Culture et de la Communication qui lui permet de coproduire la plupart de ses spectacles Il met en sc ne entre autres Lulu d apr s Wedekind Bataclan Th tre des Amandiers 1983 Venise sau v e d apr s Hugo von Hofmannsthal Maison de la Culture du Havre Festival d Avignon Maison de la Culture de Bobigny 1986 La Nuit des chasseurs d apr s Woyzeck de B chner Th tre National de la Colline 1988
40. a pi ce est bien plus pr sente que ne le laissent penser le cadre trivial de la Saint Sylvestre Ostende et la mort du protagoniste En relisant les r flexions de Herbert Gamper dans le livret qui accompagnait la premi re de la pi ce Stuttgart en 1976 on voit combien cet intellectuel engag et contestataire qui tait aussi le meilleur connaisseur du th tre de Thomas Bernhard poque reconnaissait ses propres pr occupations sociales poli tiques et esth tiques dans ce drame de l artiste Par sa radicalit le pseudo Minetti incarne le refus du monde mercantile et le repli sur l art au prix d un isolement physique et intellectuel face une soci t du plaisir et des loisirs o l art a t transform sournoisement en une marchandise parmi d autres les artistes acceptant tacitement de se soumettre au go t dominant afin de pouvoir vivre de leur art transform en gloire et en billets de banque tandis que la soci t s accommode de ces trouble f tes et ternels emp cheurs de penser en rond leur laissant le r le tra ditionnel du bouffon Par son refus de ce que l on appellerait aujourd hui l establishment par l absence de compromis pass avec la m diocrit du public qui est l image de la m diocrit sociale triomphante le vieux mime accepte de ne pas devenir c l bre car il refuse de devenir une marchandise comme les autres Le directeur de th tre de Flensburg ne viendra pa
41. acrifie tout et se coupe compl tement pr tend il de la soci t Or bien entendu au moment o il commence le faire il meurt On trouve l aussi un aspect grotesque c est dire qu il n y croit pas lui m me Il y a videmment la mort son obsession depuis le d but depuis sa maladie On se moquait de lui on lui disait coutez si vous pensez que la mort est si importante pourquoi ne vous suicidez vous pas Et il r pondait que ce n tait pas la peine car il n allait pas tarder mourir On ne le croyait pas et pourtant il est mort 57 ou 58 ans pas tr s vieux Il ne l a pas fait expr s je crois 38 propos du langage et de la possibilit de traduire peut on traduire Thomas Bernhard Oui il est important de dire qu on ne peut jamais rien traduire et je vais me faire assassiner par mes coll gues traducteurs Mais je pense aussi que c est une activit indispensable et n cessaire Il m arrive de dire que c est un mal n cessaire et j exag re sans doute un peu C est l histoire de la Tour de Babel il y a diverses langues il faut videmment traduire Bien entendu on ne va pas faire de statistiques mais il est vident notamment dans le cas de Bernhard que certaines choses ne passent pas Je me sou viens d un article je ne sais plus propos de laquelle de mes tra ductions qui disait que ce n tait plus la Sprachmusik qu il y avait en allemand c
42. artistique de Minetti na t de cette complexit dra matique force est de reconna tre que la qualit de la pi ce ne rel ve pas de ce seul artifice L id e a beau tre un trait de g nie il ne suffit pas d exploiter un artifice formel ni d ailleurs une structure dramatique ing nieuse pour cr er un chef d uvre Dans lunivers th tral de Thomas Bernhard Minetti occupe une place part La dimension existentielle la solitude de l individu y compris et surtout au beau milieu de la soci t y sont visibles sans fard Au m me titre que la Saint Sylvestre repr sente un moment de rituel social dont les solitaires sont doublement exclus parce qu ils n y participent pas et parce que leur solitude choisie ou subie leur appara t d autant plus douloureuse qu elle se distingue de la collectivit de la f te rig e en norme sociale d un soir Deux figures atypiques la jeune fille et son amoureux font une apparition furtive sur sc ne avant de sortir de l espace dramatique o leur vie ne peut pas se r aliser et o par cons quent ils n ont pas leur place c t des solitudes juxtapos es Le fait que la jeune fille offre un transistor Minetti peut sembler une consolation mais ce substitut de communication rel ve au mieux de l illusion et du divertissement La dame au masque de singe appara t quant elle comme un double de Minetti comme le com dien essaie de faire de son art un moyen de survi
43. ater 1990 Claus Peymann s ach te un pantalon et va d jeuner avec moi 1990 texte fran ais C Porcell 1991 ditions s par es Une f te pour Boris 1970 texte fran ais C Porcell 1996 L Tgnorant et le Fou 1972 texte fran ais Michel Fran ois Demet 1984 La Force de l habitude 1974 texte fran ais C Porcell 1983 La Soci t de chasse 1974 texte fran ais C Porcell 1988 Le Pr sident 1975 texte fran ais C Porcell 1992 Minetti Portrait de l artiste en vieil homme 1977 texte fran ais et postface C Porcell 1983 Emmanuel Kant 1978 texte fran ais M F Demet et C Porcell 1989 Avant la retraite Com die de l me allemande 1979 texte fran ais C Porcell 1987 2007 44 Le R formateur 1979 texte fran ais Michel Nebenzahl 1988 Au but 1981 texte fran ais C Porcell 1987 Ma tre 1981 texte fran ais C Porcell 1994 Les apparences sont trompeuses 1983 texte fran ais dith Darnaud 1985 D jeuner chez Wittgenstein 1984 texte fran ais M Nebenzahl 1990 Le Faiseur de th tre 1984 texte fran ais E Darnaud 1986 Simplement compliqu 1986 texte fran ais M Nebenzahl 1988 Place des h ros 1988 texte fran ais C Porcell 1991 Romans et r cits aux ditions Gallimard Paris Recueils Amras et autres r cits 1964 1971 Amras 1964 Le Crime d un fils de commer ant d Innsbruck 1967 Le Charpentier 1967 Jauregg 1967 Deu
44. c t de notre m tier par o s insinue le dilettantisme Parce que Bernhard repr sente tout cela dans cette pi ce fait raconter par un artiste les probl mes d un com dien je mai jamais eu le sentiment comme dans Minetti de me jouer moi m me Celui qui joue son r le ici pourrait tout aussi bien s appe ler Markowsky ou Mitterwurzer ou Werner Krauss ou Ulrich Wildgruber On ne cesse pas de me demander si je suis le Minetti auquel Bernhard a donn forme Je ne peux alors r pondre que par un bref sourire et me dire que des pans entiers de ma vie n apparaissent pas dans les pi ces de Bernhard D un autre c t il touche au c ur de ma nature d acteur Dans une mesure que Bernhard largit la dimension d un hommage l art du com dien Minetti est repr sentatif L On me demande souvent Est ce que vous parlez de vos r les avec Bernhard Pourquoi r pliqu je Je ne parle pas non plus avec Shakespeare je ne suis donc pas oblig d en parler avec Bernhard Il n attend d ailleurs de moi aucune question dans ce sens Je suis fascin par Bernhard Par sa langue par la n cessit qu a la succession de ses phrases M me les personnages qui chez lui n ont rien d autre dire que oui ne sont pas des caricatures J ai eu tr s t t le sentiment que les phrases de Bernhard dans leur musicalit correspondent la mienne Quand r cemment la Gorvin m a vu dans un r le de Bernhard qui tait
45. cette subjectivit radicale s arrogerait le droit de remettre en question la primaut du mat riel en refusant la r ification de l uvre d art Au prix de l chec dans une lucidit inflexible Pr ner une repr sentation unique et ultime du th tre c est aussi attaquer le principe de la reproductibilit de l art sur lequel reposent la r ification de l uvre d art et sa transformation en objet commercial On objectera que la pi ce de th tre est unique de toute fa on lors de sa repr sentation et que cette unicit se continue jamais l identique de soir en soir Il m ton nera personne de voir que dans ce domaine comme dans d au tres Thomas Bernhard appara t comme l adepte d une radicalit artistique dont la cons quence ultime serait le nihilisme puisque selon son postulat l uvre d art parfaite ne serait plus jamais repr sent e apr s la premi re Ou alors Bernhard double rait la perversit du public Au but par la perversit de Pau teur qui crit une pi ce dans laquelle le public viendra chaque 28 soir applaudir un acteur qui le gifle du haut de la sc ne Et le public paie pour voir ce qu il croit tre un spectacle mais qui est un camouflet L auteur dramatique dans Au but sait lui aussi que tout auteur m me un auteur succ s a chou Comme tout acteur serait on tent d ajouter Avec sa valise hors d ge dans un hall d h tel lieu de passage o
46. chec plus exactement il triomphe en jouant son propre chec et en le jouant la per fection comme son habitude Une probl matique toute bern hardienne en somme La nuit de la Saint Sylvestre Comme si ce jeu constant de trompe l il n tait pas suffisant pour en faire un art de irritation Thomas Bernhard inclut dans le texte de sa pi ce de th tre une s rie d autres r f rences dont le but premier est de perturber le spectateur en incluant des signaux qui font soit appara tre la th tralit dans tout son arti fice soit qui tablissent des liens normalement impossibles entre 23 le temps de la vie r elle et le temps fictif jou sur sc ne Dans les lignes qu il adresse en avant premi re son diteur Thomas Bernhard crit que la pi ce est destin e tre jou e une seule fois avec un seul acteur un moment tr s pr cis jou et retransmis la t l vision un 31 d cembre Ainsi par la magie de l illusion du spectacle virtuel qui vient relayer le spectacle vivant les t l spectateurs ont ils vu tout comme les spectateurs un r veillon de la Saint Sylvestre se d rouler sur sc ne au moment pr cis o eux aussi dans la vie r elle f taient cette Saint Sylvestre Aussi Bernhard Minetti jouait il un autre d nomm Minetti un 31 d cembre dans un hall d h tel Ostende tandis que le spectateur f tait le 31 d cembre au th tre Stuttgart ou chez lui devant son petit
47. e par allusions ou bribes les protagonistes daignent les voquer Au gr de leurs r miniscences de leurs pulsions de leur disposi tion s pancher ils d vident un flux mental o s entrecroisent leurs aigreurs actuelles leurs impr cations leurs invectives les apostrophes qu ils adressent leur entourage Mis re de linti mit o les tensions s ext riorisent si brutalement et en des formes si extr mes qu il ne nous est pas permis d y entrer Aucune compassion n est sollicit e de nous Aucune participation affective Nous ne pouvons tre que des voyeurs Passivement Sans tre pouss s nous demander si nous aurions agi ou r agi comme les pantins qui nous sont donn s entendre La sc ne Un artifice nous renvoyant la photographie des affres de chacun d eux vouloir exister individuellement malgr son insertion dans des relations sociales qui le privent irr m diablement de toute innocence M nagerie humaine de schizophr nes narcis siques masochistes ou parano aques aux prises avec leurs fan tasmes dans une marche d s quilibr e vers le n ant Ce n ant seul destin auquel ils sont au moins s rs de parvenir 2 Se rendre absolument disponible l coute Les actes des person nages sur sc ne sont banals leurs gestes et comportements ne sont pas spectaculaires Mais ils s expriment cancanent d blat rent Leurs phrases composent un arrangement vaguement musical de sons et de sens pour
48. e Nadeau Paris 1986 L Envers du miroir n 1 Cahier Thomas Bernhard Rencontre avec Thomas Bernhard entretien 1986 propos recueillis par Werner W gerbauer Victor Halbnarr Un conte d hiver r cit 1966 la lisi re des arbres r cit 1969 texte fran ais E Kaufholz Lettre au Dr Spiel sur Ludwig Wittgenstein 1971 Deuil po mes extraits d Ave Virgil 1981 texte fran ais K Han et H Holl La Casquette r cit 1966 Goethe se meurt r cit 1982 texte fran ais E Kaufholz Herv Lenormand et W W gerbauer d ditions Arcane 17 1987 46 v nements 1965 1988 v nements r cits 1969 Un jeune crivain r cit 1965 texte fran ais Jeanne tor et B Lortholary Montaigne r cit 1982 texte fran ais C Porcell Monologues Majorque entretien 1981 texte fran ais Dominique Petit Le Mois de Marie th tre 1988 Claus Peymann et Hermann Beil sur la Sulzwiese th tre 1987 Mon heureuse Autriche article 1988 texte fran ais C Porcell L Arche diteur 1988 Thomas Bernhard Po mes 1957 1963 texte fran ais Suzanne Hommel avec la collaboration de Joseph Atti et Jean Michel Maulpoix Thomas Bernhard la r daction du Watzmann lettre 1984 texte fran ais Olivier Mannoni Les Roses du d sert argument de ballet 1958 texte fran ais Olivia Stephan
49. e Thomas Bernhard Ce dernier re oit cependant deux ans plus tard le prix B chner le plus prestigieux des prix allemands pour la Pl tri re 1970 sans cesser pour autant d reinter f rocement les insti tutions autrichiennes Controvers mais combatif Thomas Bernhard se joue des provocations Mon existence tout enti re ne r pond qu la seule volont de d ranger et d irriter En 1972 il se d fait officiellement de tout lien d appartenance au catholicisme et en 1979 il d missionne de l Acad mie allemande de langue et de litt rature Son d go t pour la soci t autrichienne est tel qu il en vient interdire la vente de ses livres en Autriche Fascination r pulsion pour le th tre Bernhard affiche son horreur pour le th tre ce qui paradoxa lement et dans la dynamique de cette n gation ne l emp che pas d crire une quinzaine de pi ces sur le mode de la fascination et du d fi Il confie Claus Peymann la mise en sc ne d Une f te pour Boris 1970 puis de L Ignorant et le Fou 1972 et par la suite de presque toutes ses pi ces de Minetti 1976 au Faiseur de th tre 1985 Le th tre de Thomas Bernhard s tend dif f rents registres celui de la politique la Soci t de chasse 1974 Le Pr sident 1975 Les C l bres 1976 Avant la retraite 1979 celui du th tre lui m me Au but 1981 Le Faiseur de th tre Les apparences sont trompeuses 1983 Simplement comp
50. e d un ch ur antique devenant farandole ano nyme le soir de la Saint Sylvestre Si Minetti est une trag die ou bien une tragicom die itin raire potentiellement tragique d un individu en qu te de sens dans un monde sans rep res livr au divertissement de la com die universelle c est bien la trag die d un artiste La pi ce rejoint le th me bernhardien fondamental la lutte entre le corps et l esprit la mati re et l intellect le r el mortif re et l art salvateur Le pseudo Minetti partage la soli tude des autres grandes figures d artistes philosophes intellec tuels strat ges militaires ou penseurs politiques qui par leur qu te d absolu rig e en syst me de pens e cherchent s affran chir des contraintes du r el pour trouver dans l esprit une dimen sion et un ordre salvateurs Et Minetti choue comme la plupart des Geistesmenschen bernhardiens Il partage leur profil gro tesque o la r alit du corps la r alit sur sc ne s opposent aux grandes envol es du logos th orique parfois cousues de fil blanc Minetti r ve de Flensburg ou de Dinkelsb hl deux hauts lieux de la provincialit tandis qu il attend Ostende la fin anticip e par le nom de la localit Mais le vieux mime se rapproche davantage que d autres personnages de la fin tragique qu il incarne dans un r le mis en abyme S il choisit de mourir sur sc ne face public le vieux mime aura atteint une dimension
51. e de Flensburg petite ville provinciale situ e non loin de la fronti re danoise et qui pour la majorit des Allemands voque seulement l endroit o sont enregistr s les points de leur permis 2e de conduire Dire que le directeur de th tre de Flensburg se rend Ostende c est lui pr ter l intention d entreprendre en plein hiver un voyage vers un autre pays et une autre c te occidentale et non plus septentrionale p riple dont l utilit est loin d tre vidente Ce directeur de th tre est sans doute un lointain cou sin d un certain Godot et le pseudo Minetti rel ve peut tre de la cat gorie des mythomanes g niaux et autres affabulateurs volubiles dont la prose de Thomas Bernhard regorge En ce sens l acteur Bernhard Minetti dont le talent et la c l brit ont tra vers le si cle est aux antipodes du pseudo Minetti qu il incarne Cette contradiction ne se r soudra jamais pour le spectateur qui voit le grand Bernhard Minetti que l on vient acclamer de fort loin interpr ter un acteur m connu et d sesp r ment ignor du public Le th tre est le royaume du faux de l artifice rig en art et auquel le spectateur succombe sans opposer de r sistance lorsque le jeu est parfait voir Minetti jouer sur sc ne le r le de son chec en tant qu acteur et voir comment il met toute sa pr sence et sa virtuosit au service de sa m diocrit jou e voil un rare moment d artifice et a
52. e th tre a je ne l avais lu nulle part Beckett avait dyna mit le th tre par la rar faction C est d ailleurs tr s beau tr s efficace mais apr s il fallait retrouver un souffle Et ce souffle Bernhard l avait Ce n est d ailleurs pas par hasard si Le Souffle est le titre d un de ses r cits Tout a m a paru vident d s la premi re lecture Ensuite au del du style je me suis senti en fraternit avec l auteur sur un certain nombre de points notamment le refus des bassesses des salet s du mensonge d tat C est quelqu un qui a condamn son poque et son pays avec une pret incroyable Ce genre d attitude ne me d pla t pas Bernhard a en plus une iro nie une autod rision qui l emp chent d tre un vrai donneur de le ons C est plut t un impr cateur Dans Thomas Bernhard beaucoup de personnages ont affaire avec l art Ainsi Minetti est com dien Est ce pour vous une dimension importante Oui et non Il y a un danger dans ce genre de personnage le nom brilisme C est dire que les hommes de th tre parlent de th tre Par rapport a j ai toujours essay de prendre mes distances L je wai aucune difficult le faire puisque le personnage de Minetti dans la pi ce reprend son compte des choses d j entendues chez d autres personnages Il y a des invariants chez Bernhard des l ments qui reviennent de fa on r currente d une pi ce l autre
53. ette toute sa vie de n avoir pas su comprendre cet apprentis sage de la musique Il tudie l cole alsacienne au coll ge Sainte Barbe et au coll ge d Annel o est n son d sir d tre com dien Apr s des cours au sein de diverses coles d art dramatique cours Simon il partage son travail entre cin ma et th tre Il est r v l au grand public avec Le M pris de Jean Luc Godard et devient l acteur f tiche de Claude Sautet Les Choses de la vie Max et les ferrailleurs et Vincent Fran ois Paul et les autres ainsi que de Luis Bu uel avec qui il entretient une longue complicit il colla bore plusieurs uvres majeures dont Le Journal d une femme de chambre Belle de jour Le Charme discret de la bourgeoisie La t l vision naissante lui offre des r les qui marqueront sa carri re Les Joueurs Montserrat Hauteclaire ou le bonheur dans le crime Dom Juan Il travaille avec Marco Ferreri dans Dillinger est mort La Grande Bouffe qui lui vaudront autant d loges que de fureurs puis avec Claude Faraldo Themroc Luis Berlanga Grandeur nature ou encore Pierre Granier Deferre et Louis Malle Changement de registres avec Claude Mourieras Manoel de Oliveira Jacques Doillon Agn s Varda Jacques Demy Hiner Saleem Marco Bellochio avec Le Saut dans le vide qui lui vaut un prix d interpr tation au Festival de Cannes 1980 Il collabore avec ses amis r alisateurs Jacques Rivette La Belle Noiseuse 1991
54. grandiose de Shakespeare King Lear Voici deux ans Michel Piccoli a interpr t ce r le sous la direction d Andr Engel Ce fut un v nement Aujourd hui l histoire se prolonge les deux hommes se retrouvent pour donner souffle Minetti o r de le fant me de Lear comme il r de sans doute dans leur m moire Le choix de cette uvre donc est tout sauf innocent La parole est au metteur en sc ne Andr Engel C est comme une esp ce de blague Avec Michel Piccoli nous avons eu d excellentes relations et avions tous les deux envie de continuer travailler ensemble Mon probl me est que je ne sais jamais quelle pi ce monter Nous avons parl de Shakespeare dans un premier temps mais il me paraissait diffi cile avec les moyens conomiques qui sont les miens aujourd hui d encha ner deux productions d aussi grande ampleur ce moment en pensant tout ceci l id e de dire Shakespeare de vouloir jouer Shakespeare je me suis souvenu de Minetti de Thomas Bernhard et il ma sembl amusant de faire Piccoli cette contre proposition qui est une r duction totale du projet Nous sommes alors convenus que ce serait une formidable blague Ren Zahnd Qu est ce qui vous lie Michel Piccoli qu est ce qui vous int resse chez lui C est un tr s grand acteur de th tre Peut tre que le public ne le sait pas vraiment parce qu il est connu surtout pour son extra ordinaire carri re au cin ma Il
55. grement et la noirceur L obsession de la mort ne l abandonne jamais ni celle du suicide elles l accom pagnent tout au long de ses uvres selon des modulations et des registres vari s Elles sont pr sentes dans Le Naufrag 1983 b ti sur son amiti avec Glenn Gould et prenant aussi pour mod le l criture contrapunctique des Variations Goldberg de Bach comme dans Ma tres anciens 1985 un texte de r flexions sur l art sans doute le plus abouti n de la contemplation de L Homme la barbe blanche du Tintoret Mais au c ur des t n bres le rire parfois clate dans le d sastre m me Thomas Bernhard trouve encore mati re jubilation Thomas Bernhard est mort le 12 f vrier 1989 dans sa maison de Gmunden quelques heures apr s le quaranti me anniversaire de la mort de son grand p re Microsoft Encarta Collection 2002 1993 2001 Microsoft Corporation tous droits r serv s Bibliographie N le 10 f vrier 1931 Heerlen aux Pays Bas mort le 12 f vrier 1989 Gmunden en Haute Autriche Th tre L Arche diteur Paris Recueils Les C l bres 1976 lisabeth II Pas com die 1987 texte fran ais Claude Porcell 1999 Dramuscules 1978 1990 r unis en 1988 Un mort 1988 Le Mois de Marie 1988 Match 1988 Acquittement 1988 Glaces 1988 Le D jeuner allemand 1988 Tout ou rien 1988 Claus Peymann quitte Bochum et va Vienne comme directeur du Burgthe
56. hors des murs Nous avions alors une r flexion qui touchait l espace non th tral afin de modifier les r gles du jeu Il s agissait de casser la relation uni lat rale de la repr sentation o le vivant se trouve d un c t et que l on attend de l autre une absence de corps une absence de bruit et ainsi de suite On voulait que tout cela soit chahut Et on a chahut pendant au moins dix ans ce moment on ne cherchait pas l image mais le lieu juste et un rapport particulier que j aurais qualifi il y a encore vingt ans de dialectique un rapport dialectique juste entre un texte et un lieu C tait la mise en relation entre un texte et une mat rialit du r el qui nous excitait avec Nicky Rieti le sc nographe Il y a donc eu dans cette perspective quelques exp riences assez hallucin es Mais aujourd hui cette p riode a laiss place une autre p riode Pourquoi Parce que ces spectacles n taient pas reproductibles Ils taient organiquement li s un lieu et ne pouvaient donc pas tourner Lorsque vous avez puis le public sur place c est ter min Le changement a donc t provoqu la fois par des rai sons conomiques le temps de l ultra g n rosit tait derri re nous et par des raisons artistiques puisque dans le fond nous avions un peu fait le tour de la question Riches de toutes ces exp riences nous sommes donc retourn s sur les plateaux de th tre Aujourd h
57. humaine et existentielle dont les autres raisonneurs bernhardiens ont tout au plus un sombre pressentiment Leur mort survient souvent comme paroxysme de la folie et sombre par l m me dans le grotesque Seul le vieux g n ral dans La Soci t de chasse incarn par le m me Bernhard Minetti aura t il compris que face l omnipr sence de la maladie mortelle dans la for t min e par le bostryche comme dans son propre corps la libert de l esprit ne pouvait se traduire que par le geste irr parable Cela ne change rien labat tage de la for t apr s son suicide grands coups de tron onneuse dans une sorte de version m canique de La Cerisaie tout comme le suicide de Minetti ne change rien l absurdit du monde o la com die et le divertissement triomphent Mais par leur dimen sion tragique ces deux personnages r ussissent poser la ques tion du sens de l existence ou celle de l alternative la destin e unique et anonyme telle qu elle est rig e en mod le par la soci t de masse actuelle Bostryche typographe Ips typographus petit col opt re ravageur ligniforme des for ts d pic as 26 L re des marchands En regardant Minetti on n a pas forc ment l impression de voir un th tre engag qui s inscrit dans les grandes discussions id o logiques des ann es soixante dix finissantes On ne trouvera ni dans la pi ce ni ailleurs chez Bernhard de messages politiques explic
58. i attend son ami il voque son existence pass e toujours en guettant l arriv e de plus en plus improbable du directeur de th tre L pilogue verra Minetti assis sur un banc sa valise devant lui se suicider en prenant des comprim s le masque de Lear sur le visage avec en arri re plan les clats de la f te les rires des personnages masqu s qui passent d ambulant devant l acteur immobile sous la neige qui va peu peu le recouvrir de son blanc linceul l expres sion pouvant tre ici prise au pied de la lettre Cette fin n est pas sans rappeler la mort du peintre Strauch dans Gel notamment Pistes d analyse Ce portrait de l acteur vieillissant nous pr sente un homme en plein d sarroi existentiel souffrant de la solitude pauvre ce qui est notamment visible travers son accoutrement vestimentaire d pe naill et en marge de la soci t Minetti autrefois lui m me direc teur de th tre s est retrouv dans l isolement le plus total apr s selon ses propres termes avoir t chass de L beck par les s na teurs chass Dinkelsb hl o il passera trente ann es de r clu sion abrit dans la mansarde de sa s ur sans plus remonter sur une sc ne lui qui ne vit pourtant que par ses r les S il a t cong di apr s avoir perdu le proc s engag par la ville de L beck c est cause de son refus d finitif de se consacrer la litt rature classique Lear except
59. inetti jouant Minetti Une sorte de th tre total dont la pl nitude se fait troublante irritante oppressante parfois pour un spectateur constamment ballott entre le vrai et le faux l ici et l ailleurs authentique et l alt rit le tout dans un pr sent absolu qui rend possible la co ncidence des contraires avant que le temps suspendu ne bascule d finitivement dans une nouvelle comptabilit qui marquera l av nement du r el et de fait l chec d un sauvetage par l art La contrepartie de cette pl nitude du spectacle th tral o lac teur jouerait son r le tout en triomphant de son personnage o les personnages et les spectateurs seraient unis dans l exp rience d une temporalit commune r siderait dans l impossibilit de reproduire ce moment de gr ce De m me que nul autre acteur que Minetti ne saurait jouer Minetti la pi ce Minetti ne saurait tre jou e qu au soir du 31 d cembre comme pi ce de la Saint Sylvestre pour la Saint Sylvestre La temporalit du spectacle th tral ultime et unique est le temps de la premi re repr sentation Et pour tout connaisseur de lunivers bernhardien o la qu te de la perfection c toie sans cesse le nihilisme qu elle 24 pr tend combattre mais dont elle se rapproche dangereusement parfois il n est pas tonnant de savoir que l auteur souhaitait que sa pi ce ne f t repr sent e qu une seule fois Une tragicom die Si le charme
60. ion Le premier tour de passe passe consiste crire un r le pour un acteur chose courante au th tre objec tera t on Et comme Bernhard se veut artiste de l exag ra tion le r le destin Bernhard Minetti serait un personnage appel Minetti lequel comme son alter ego serait com dien le vieux mime Minetti dont l euphonie souligne travers Palli t ration et l assonance en allemand galement qu il n est crit que pour l acteur Minetti au paroxysme de sa carri re mais aussi au cr puscule de sa vie On sait que par la suite Thomas Bernhard a parfois essay d interdire des mises en sc ne de Minetti avec des acteurs qu il jugeait trop jeunes ou trop peu talentueux la raison de fond tient au fait qu il serait impossible de jouer Minetti sans Bernhard Minetti dans le r le principal Le clin d il ironique de l auteur veut que de toute fa on jouer le r le de Minetti destin Minetti et nul autre revienne pour tout acteur chouer et rejoindre ainsi paradoxalement le personnage qu il incarne Il est un autre Il y a un moment magique dans la pi ce lorsqu on demande sur sc ne au pseudo Minetti s il est bien le mime Minetti que l on attend cet instant l acteur Bernhard Minetti r pond simple ment Oui Un peu comme si un personnage demandait Michel Piccoli s il est bien Piccoli et que ce dernier r pondait par l affirmative sans que l
61. ions Gallimard Paris 1983 p 54 55 Se faire comprendre est impossible a n existe pas La solitude l isolement deviennent un isolement encore plus grand une soli tude encore plus grande On finit par changer de cadre inter valles toujours plus rapproch s On croit que des villes toujours plus grandes la petite ville ne vous suffit plus Vienne ne suffit plus Londres m me ne suffit plus Il faut aller sur un autre conti nent on essaie de p n trer ici et l les langues trang res Bruxelles peut tre Rome peut tre Et l on va partout et on est toujours seul avec soi m me et avec son travail toujours plus abominable On revient la campagne on se retire dans une 31 ferme on verrouille les portes comme moi et c est souvent pendant des jours on reste enferm et de l autre c t la seule joie et le plaisir toujours plus grand est alors le travail Ce sont les phrases les mots que l on construit En fait c est comme un jouet on met les cubes les uns sur les autres c est un processus musical Quand on a atteint une certaine hauteur au quatri me cinqui me tage on arrive construire cela on voit la r alit de l ensemble et on d molit tout comme un enfant Mais alors qu on croit qu on en est d barrass il y a d j une autre de ces tumeurs que l on reconna t comme un nouveau travail un nou veau livre qui vous pousse quelque part sur le corps et qui ne cesse de gross
62. ipe au montage de Va t en chercher le bonheur et ne reviens pas les mains vides par Sentimental Bourreau On peut la voir dans M d a Mat rial de Heiner M ller Pascal Dusapin dans la mise en sc ne d Andr Wilms dans L once et L na de Georg B chner et dans Le Jugement dernier d Od n von Horv th mis en sc ne par Andr Engel Au Th tre National de la Colline elle est dirig e par Andr Wilms dans Pulsion de Franz Xaver Kroetz et Histoires de famille de Biljana Srbljanovi Alain Fran on dans Visage de feu de Marius von Mayenburg et Ivanov d Anton Tchekhov Barbara Nicolier dans Essaim de Toni Negri En 2005 elle joue sous la direction de Matthias Langhoff dans Do a Rosita la c libataire de Federico Garcia Lorca de Jean Liermier dans Le M decin malgr lui de Moli re en 2006 tout derni rement avec Bruno Geslin dans Kiss me quick adaptation Ishem Bailey et avec Andr Engel dans La Petite Catherine de Heilbronn de Heinrich von Kleist Au cin ma elle tourne avec Claude Chabrol Philippe Garrel Aki Kaurismaki 49 Gilles Kneus En 1988 il est interne des h pitaux de Paris Deux ans plus tard il entre dans la classe sup rieure des conservatoires de Paris o il a pour professeurs Jean Laurent Cochet et Fran oise Kanel Son premier spectacle Les Caprices de Marianne d Alfred de Musset mis en sc ne par Robert Kimich au Th tre de Meudon En 1994 il passe son doctorat en m decine sp cialit chirurgie
63. ir En fait un de ces livres n est rien d autre qu une tumeur maligne une tumeur canc reuse On op re pour enlever et on sait naturellement tr s bien que les m tastases ont d j infest le corps tout entier et qu il n y a plus de salut Et cela devient naturellement toujours pire et toujours plus fort et il n y aucun salut ni aucun retour en arri re Trois jours 1970 in R cits autobiographiques texte fran ais Claude Porcell ditions Gallimard coll Quarto Paris 2007 Mon pneumop ritoine bien gonfl mon pneumop ritoine n ces saire mon existence ne m avait pas emp ch apr s ce solo de chanter r guli rement les parties de basse dans les messes durant la semaine j avais eu r guli rement rendez vous l glise avec l organiste bien entendu toujours secr tement donc der ri re le dos des m decins pour que nous fassions ensemble de la musique nous tudiions les grands oratorios de Bach de Haendel je d couvris Henry Purcell je chantai Rapha l dans La Cr ation de Haydn Je n avais pas perdu ma voix au contraire de semaine en semaine mon instrument s am liorait bien plus je le perfec tionnais je nourrissais un d sir insatiable et inflexible de ces heures de musique l glise pr sent j tais derechef sur le bon chemin contre tous les avertissements La musique tait ma destin e Le Froid 1981 texte fran ais Albert Kohn ditions Gallimard coll
64. ites pas davantage un appel une quelconque insurrection sociale L angle d attaque de l uvre reste r solument individuel individualiste la solitude de l artiste tant consubstantielle sa qu te d mancipation et son combat par essence solitaire contre l ali nation collective Celui qui appara t dans sa vie et dans ses textes comme un anarchiste conservateur n est pas r cup rable au profit des id aux de Mai 68 et leurs divers avatars Une autre figure de cette remise en cause radicale du monde serait le personnage du Prince dans Perturbation Sa folie g niale et son isolement insurmontable rappellent certains aspects du pseudo Minetti m me si les moyens diff rent philosophie pour Saurau art dramatique pour le vieux mime Et l on ne peut sem p cher de penser au protagoniste du Pr sident lui aussi confin dans une posture philosophique hautaine qu il pr ne au nom de l art politique Dans l exergue l une de ses uvres Bernhard fait dire Montesquieu qu il avait longtemps h sit entre la Sorbonne et la com die Ce qui dans la citation originelle signi fiait l alternative entre la Sorbonne et la Com die Fran aise cor respond parfaitement la dualit Saurau Minetti la pens e ou l art dramatique Or si l on relit Minetti dans le contexte de la fin des ann es soixante dix avec leurs cort ges de revendications et de provocations il appara t que la dimension critique de l
65. iture Cr au Staatstheater de Stuttgart quelques mois seulement apr s Les C l bres dans une mise en sc ne de Claus Peymann Minetti est d abord un hommage l acteur Bernhard Minetti 1905 1998 monstre sacr du th tre allemand com dien du si cle et roi de l art th tral comme le d clarait l annonce du d c s du com dien Claus Peymann directeur du Burgtheater de Vienne Bernhard qui a lui m me suivi des cours de com die et de mise en sc ne au Mozarteum de Salzbourg entre 1955 et 1957 savait reconna tre et appr cier sa juste valeur les talents d acteur de Minetti comme il l expose dans les lignes suivantes Il faut que je profite tant qu il en est encore temps de ce com dien immense sans doute le plus grand de nos com diens du pouvoir d envo tement incroyable qu il a sur le public tout simplement parce qu il est un homme de l esprit On trouve peu de com diens comme lui qui nous triture si profond ment l esprit J ai toujours crit pour des com diens jamais pour un public car je n cris pas pour des idiots seulement pour des com diens comme Minetti c est dire des hommes de l esprit m me si des idiots ont jou dans mes pi ces Le public est l ennemi de l esprit c est la raison pour laquelle je me contrefiche de lui Il est et doit rester mon ennemi 14 La pi ce On peut certes s amuser un peu vainement rep rer les l ments biographiques empru
66. jou de mani re tr s r aliste elle a dit En r alit tu fais de la musique Bernhard est pour moi le souverain absolu dans le domaine de la tragicom die Combien de fois je rencontre des spectateurs de mes repr sentations de Bernhard qui me citent le m me passage les uns le trouvent comique les autres tragique mais en jouant je ne pense ni au comique ni l motion J y sens toujours le point philosophique o je commence me poser des questions com ment d finissons nous l existence Dans la perspective comique noble tragique Sommes nous des animaux sommes nous des h ros ou des gens rabougris Cela d pend de la mani re dont nous nous voyons dont nous agissons et dont nous vivons les choses Mais nous passons aussi de l une l autre de toutes ces d finitions comme si ce n taient que des sensations Bernhard a perc jour jusqu au fond ce qu il y avait de douteux dans nos t Joana Maria Gorvin com dienne 1922 Sibiu Roumanie 1993 Vienne Autriche actions d couvrir et reproduire cela c est ce qui fait mon bon heur de com dien Bernhard Minetti Texte fran ais Claude Porcell Extrait de Bernhard Minetti Erinnerungen eines Schauspielers Deutsche Verlags Anstalt Stuttgart 1985 p 270 272 AUTEUR DE TH TRE Com die Quatre com diens d une troupe avaient eu l id e de s crire une com die les livraisons des auteurs de com dies leur semblant de
67. liqu 1986 Minetti Deux figures de philosophes y apparaissent notamment dans Emmanuel Kant et dans D jeuner chez Wittgenstein 1984 Quant sa derni re pi ce Heldenplatz litt ralement la Place des h ros 1988 elle fera nouveau scandale L obsession de la mort En v rit sa maladie pulmonaire et ses probl mes cardiaques ne lui laissent plus que le temps le plus bref son criture parti cipe de cette urgence Thomas Bernhard fait de la litt rature son ultime moyen de survie Comme en marge de la folie il s y mon tre hant par l absurdit fondamentale de la vie Ses livres sont pour lui l occasion la fois de disserter en profondeur et d non cer les plus anodines banalit s tant sur les prix litt raires que sur les caf s viennois sur la campagne autrichienne ou sur la maladie au cours de soliloques hallucin s et it ratifs Les uvres de 43 Thomas Bernhard ont un ind niable caract re autobiographique Dans plusieurs r cits on retrouve ainsi la personnalit de son grand p re comme dans L Origine 1975 La Cave 1976 ou encore dans Un enfant 1982 qui sont autant de t moignages d amour de respect et de reconnaissance intellectuelle Dans Le Neveu de Wittgenstein 1982 il fait part de son admiration pour ce philosophe dont il souligne l originalit et la v rit path tique Nombre des textes de Thomas Bernhard se caract risent par un go t manifeste pour le d ni
68. mes rien non plus et nous ne m ritons que le chaos Je remercie en mon nom personnel et au nom de ceux que l on distingue aujourd hui avec moi ce jury et tr s express ment tous ceux qui sont ici pr sents Thomas Bernhard Discours prononc le 22 mars 1968 l occasion de la remise du Prix national de litt rature in T n bres Textes discours entretien sous la direction de Claude Porcell ditions Maurice Nadeau Paris 1986 p 43 44 Mais une fois que j ai eu prononc pour ainsi dire en guise de remer ciement pour le prix quelques phrases que j avais jet es sur une feuille de papier en toute h te et avec la plus grande r pugnance juste avant la c r monie une petite digression philosophique pour ainsi dire o je me bornais rappeler que l homme est mis rable et que la mort lui est assur e l un dans l autre je n avais pas parl plus de trois minutes le ministre qui m avait absolument pas compris ce que j avais dit a bondi de son si ge indign en me brandissant son poing sous le nez cumant de rage il m a encore trait de saligaud devant toute l assistance et il a quitt la salle non sans avoir claqu derri re lui la porte vitr e avec une telle violence qu elle s est bris e en mille clats Dans la salle tout le monde avait bondi sur ses pieds et avait suivi des yeux avec stup faction la sortie du ministre Pendant un instant avait r gn comme on dit un prof
69. nce difficile et il y a eu le nazisme un certain nombre de 40 choses Est ce qu il d teste tout Peut tre pas Par exemple vis vis de la France il a beaucoup plus d am nit il y a chez lui beaucoup de citations d auteurs fran ais Voltaire Montaigne etc Je crois qu il en a t nourri Ou encore son go t pour le Portugal et l Espagne o il allait souvent Mais il tape sur l Europe centrale l Autriche et l Allemagne d abord Alors vi demment nul n est proph te en son pays Et puis il a subi quelques avanies lors de ses premiers prix et succ s notamment un ministre qui ne le reconna t m me pas ou dit de lui qu il est hollandais seulement parce qu il est n en Hollande Il en tait vex et on le comprend C est un impr cateur on ne peut pas dire le contraire mais en m me temps je pense qu il y met de l humour et de la distance On l a vu on l a dit il en joue c est tout un jeu le faiseur de th tre Dans tous les sens du terme Voil faire du th tre cin ma L il faudrait dire le type qui fait son cin ma un fai c est faire du cin ma c est faire son seur de th tre qui fait son cin ma Personnellement je le trouve tr s sympathique force de travailler dessus on finirait par s identifier non pas que je me prenne pour Bernhard mais on s y retrouve chez soi alors que je ne pense pas avoir du tout le m me caract
70. nt s l existence de Bernhard Minetti homme de chair et int gr s la pi ce Ainsi Minetti a interpr t comme le Minetti de la pi ce le r le de Lear d s dix huit ans son r le pr f r il a t de m me directeur du th tre de Flensburg ou Kiel sa ville natale au nord de l Allemagne qu il a d quitter suite un proc s Cependant la dualit acteur personnage reste enti re C est bien d un Minetti de fiction dont il s agit ici incarnation d une figure type de lunivers bernhardien l artiste en proie aux affres de l existence et de la cr ation plus pr cis ment comme l indique le sous titre un portrait de l artiste en vieil homme Le pseudo Minetti vieil acteur autrefois c l bre si l on en croit ses dires revient 32 ans apr s Ostende pour rencontrer le direc teur du th tre de Flensburg avec lequel il a pr tendument rendez vous afin de jouer Lear encore une fois le jouer une fois rien qu une et puis plus Il attend dans le hall de l h tel o circulent des groupes de f tards c est en effet le soir de la Saint Sylvestre proximit de sa valise o est rang le pr cieux masque de Lear r alis par le peintre Ensor et dans un long monologue entrecoup par de vaines tentatives d int resser son sort les quelques individus pr sents une dame qui s efforce m thodiquement de s abstraire du monde en absorbant force champagne plus tard une jeune fille qu
71. ntraire y a t il une dramaturgie des personnages de l action qui serait tr s traditionnelle Le croyez vous tradi tionnel ou en rupture Je le vois en rupture La preuve c est qu il d sar onne aussi bien les acteurs que les metteurs en sc ne Je crois que Bernhard est tr s difficile jouer et qu il y a des tentations de mise en sc ne compl tement diff rentes soit trop naturalistes soit trop abs traites Alors que comme pour Beckett il faut s en tenir aux indi cations sc niques Chez Beckett s il y a trois feuilles sur l arbre de Godot il n y en a pas douze il y en a trois C est pour cette raison que certaines mises en sc ne de Bernhard ne m ont pas plu parce qu elles ne respectaient pas du tout ce que disait Bernhard On arrive vite alors l absurdit Il y a galement chez lui un c t cela para tra paradoxal disons 36 r aliste c est dire pour ce qui rel ve du d tail Quand dans Heldenplatz la servante cire les chaussures elle cire les chaus sures Quand elle regarde par la fen tre elle regarde par la fen tre elle ne regarde pas le public Or dans certaines mises en sc ne les fen tres sont ferm es et on ne comprend pas tr s bien alors dans le dialogue si dialogue il y a pourquoi On comprend qu elle regarde par la fen tre alors que l actrice elle ne regarde pas par la fen tre Mais pour r pondre votre question je crois oui que c
72. o Minetti s il soliloque cherche d sesp r ment une oreille o verser les confidences sur sa vie pass e ce qu il a t et ce qu il attend encore Il cherche un cho ses paroles parmi les personnes pr sentes autour de lui Ainsi dans la premi re sc ne il tente de forcer l attention d une dame qui ilinflige ses lamen tations Or cette derni re se retranche dans le mutisme noyant son chagrin et sa solitude dans des flots de champagne et le vieux mime poursuit son soliloque avec ce silence en toile de fond chaque individu restant seul de son c t dans l isolement de sa souffrance respective M me une communaut de souffrance semble exclue La troisi me sc ne reproduit quelques variations pr s quoique avec un l ger progr s cette relation sinon d incommunicabilit du moins de distance entre les tres et reconduit encore une fois ce paradigme des pi ces bernhardiennes l opposition entre silence et mutisme Une jeune fille est en effet galement pr sente dans le hall qui attend elle aussi que son amoureux vienne la chercher meublant le temps de l attente en coutant la musique qui sort de son transis tor Minetti ne manque pas de la prendre t moin de sa grandeur pass e et n h site pas dans un geste path tique lui montrer les preuves outre le masque d Ensor de vieilles coupures de jour naux d fra chies relatives ses prouesses d acteur Si la jeune fille fourni
73. ond silence Thomas Bernhard Extrait du Neveu de Wittgenstein texte fran ais Jean Claude H mery in R cits ditions Gallimard coll Quarto Paris 2007 p 759 34 ENTRETIEN AVEC CLAUDE PORCELL Jean Marie Winkler Vous traduisez actuellement G nther Grass prix Nobel Vous avez l exp rience du lecteur l exp rience du traducteur et une grande connaissance de l oeuvre de Thomas Bernhard pouvez vous nous parler de votre premier contact Claude Porcell Je men souviens tr s bien C tait je crois la fin des ann es 70 ou au d but des ann es 80 Le traducteur du th tre de Thomas Bernhard l poque c tait Michel Fran ois Demet On connaissait peu de choses de Bernhard Gel pour la prose et il y avait eu L Ignorant et le Fou Je pense que c est la pre mi re pi ce qui a t mont e en France Il se trouve que Michel Fran ois Demet avait beaucoup de travail il m a alors propos de prendre un peu sa suite et traduire des pi ces de Bernhard C est donc par le th tre que j ai commenc J ai d ailleurs traduit assez peu de prose Derni rement il y a eu Les Mange pas cher chez Gallimard mais j ai essentiellement traduit des pi ces de th tre une quinzaine ou un peu plus Le premier contact ce fut donc L Tgnorant et le Fou Je nai pas t imm diatement s duit C est tr s curieux je pensais Tchekhov et je pensais Beckett et je mai pas tout de suite vu l
74. plus en plus rebutantes et emb tantes et tous quatre s taient aussit t install s leur table et naturellement chacun n a crit que sur lui m me bien que leur projet ait t l origine que cha cun crive un r le pour lui m me dans cette com die intitul e L Auteur faute d avoir trouv mieux apr s s tre creus les m ninges pendant des semaines et qu ils ont jou e dans leur th tre douze semaines apr s en avoir eu l id e Mais avec cet Auteur non plus ils n ont ce qu on dit pas eu de succ s p 593 Impossible Un auteur de th tre dont les pi ces ont t jou es sur toutes les grandes sc nes s tait fait un principe de n assister aucune de ces repr sentations et des ann es durant lui qui avec les ann es avait un succ s toujours grandissant avait r ussi s en tenir ce principe Il avait syst matiquement d clin toutes les invitations des directeurs de th tre venir voir leurs mises en sc ne et la plupart du temps il n avait m me pas r pondu ces invitations D ailleurs il ne d testait rien plus que les directeurs de th tre Un jour il avait fait une entorse son principe et il tait all D sseldorf o l on jouait une de ses pi ces au Schauspielhaus qui passait alors pour une des premi res sc nes allemandes ce qui ne veut naturellement pas dire que le Schauspielhaus de D sseldorf tait effectivement ce moment l
75. portrait Andr Versaille LA GEN SE DES TEXTES DRAMATIQUES L dition critique du th tre de Thomas Bernhard a conduit s interroger plus avant sur la gen se des textes dramatiques ainsi que sur sa place au sein de l uvre bernhardienne Une des premi res d couvertes lors de la lecture des tapuscrits conserv s et consultables aux archives Thomas Bernhard Gmunden Haute Autriche tient la date de la premi re pi ce de th tre Ce quine s appelait pas encore Une f te pour Boris mais Le Casse cro te ne datait pas de la fin des ann es 1960 mais au contraire du milieu des ann es 1950 Si la pi ce ne fut repr sent e qu en 1970 Hambourg ce n est pas tant parce qu elle devait tre r crite mais parce qu aucun th tre ne voulait prendre le risque d une telle mise en sc ne On d couvrait ainsi que dans les ann es 1950 Thomas Bernhard menait de front les po mes la prose narrative et les crits drama tiques contrairement la vision traditionnelle qui voulait qu apr s avoir abandonn la po sie la suite d une crise de l expression artistique Thomas Bernhard s tait tout d abord consacr la prose avant de se tourner galement vers le th tre apr s 1970 Les archives contiennent aussi des feuillets sur lesquels Bernhard r crivait ses anciens po mes en les herm tisant parfois grands coups d ellipses et de ratures qui rendent ces po mes davantage inspir s de ceu
76. qu il pr sentait longueur d ann e un public abus cet auteur donc avait d clar qu il n avait tou jours eu un tel succ s que parce que la diff rence de ses confr res qui m avaient pas de succ s il avait honn tet de tou jours pr senter ses com dies comme des trag dies mais ses tra g dies comme des com dies Un jour qu il avait effectivement pr sent une trag die comme trag die cela lui avait valu un chec m morable Depuis lors il s en tenait de nouveau son principe qui consistait pr senter une com die comme trag die et une trag die comme com die et le succ s lui tait chaque fois assur Comme entre temps il tait devenu si c l bre qu il pou vait peu pr s tout se permettre il avait t acquitt par le tri bunal devant lequel le spectateur vex lavait tra n parce qu il avait qualifi ce spectateur de tout aussi abruti que tant de mil liers d autres spectateurs dans le monde entier Le pr sident du tribunal lavait acquitt affirmait l auteur de th tre apr s lau dience parce que lui pr sident du tribunal ne d testait rien au monde plus que le th tre et tout ce qui se rapporte au th tre ce que lui auteur de th tre pouvait parfaitement comprendre parce que c tait aussi son sentiment intime p 613 Un auteur peu commode Un auteur qui n a crit qu une pi ce de th tre dont il n a auto ris qu une unique repr senta
77. que cette place s appelle comme a Heldenplatz ne dira rien un Fran ais moyen qui ne conna t pas l allemand ou qui n est pas all Vienne Il comprendra vaguement que c est une place parce qu il y a le mot Platz mais c est tout On lui expliquera que c est l qu Hitler etc Mais l id e que c est une place d di e aux h ros de l Autriche et que c est l qu Hitler est venu et que l Autriche et les Autrichiens se comportent comme n importe quel autre peuple du reste d une mani re parfaitement h ro que me semblait int ressante mettre en relief D autres ont pens ensuite metteurs en sc ne ou diteur que ce titre sonnait moins bien Heldenplatz est un cas particulier Il se trouve que c est l histo riquement que les faits se sont pass s et ce n est pas pour rien que Bernhard a choisi cette place et le nom qu elle porte Apr s il y a des noms de lieux grotesques et sans doute m me pour un Autrichien Par exemple dans Le Faiseur de th tre il me semble il est sans arr t question de Gaspoltshofen M me pour un Autrichien cela veut dire Trifouillis les chaussettes Il y a des mots de ce type ou encore des noms de lieux qui d signent des trous perdus pas forc ment cause de la sonorit Flensburg par exemple dans Minetti qui se situe tout fait au Nord et une localit de Bavi re dont j ai oubli le nom qui est l autre bout de
78. re de la mort du grand classique allemand Six ans apr s Minetti Minetti incarnait sur sc ne et au petit cran la figure tut laire du th tre allemand dans un hommage national au fondateur des lettres allemandes Paradoxalement travers sa pratique th trale Thomas Bernhard le provocateur appara t comme un homme de tradition Il ne remet pas en cause les grands acteurs et s inscrit lui m me dans la tradition th trale de langue allemande Contrairement Elfriede Jelinek qui stigmatise dans ses pi ces les ann es obscures des grands acteurs allemands avec leurs silences et leurs com promissions en des temps sombres et qui en r action va jusqu d molir sur sc ne la notion m me de personnage Thomas Bernhard en d pit de sa radicalit n aura jamais franchi ce pas Il aura toujours d velopp pour le th tre et les acteurs une admiration sans borne qui pouvait certes se muer en haine f roce mais il s est efforc d crire pour le th tre sa fa on au risque de choquer ou d irriter le public On retiendra aussi qu il a su saisir la chance de pouvoir crire pour les plus grands acteurs de son temps en Allemagne et en Autriche auxquels il a parfois offert leurs plus beaux r les sans compromission en partageant avec eux outre une estime r ciproque et une amiti ind fectible une exigence formelle radicale mise au service de l art Jean Marie Winkler 29 Remerciements Manfred
79. rner en rond ou de danser en rond Il l a toujours dit et je pense que c est vrai Bernhard c est l pine dans le pied et c est tr s salutaire Pr cis ment et ce sera une fa on de conclure sachant qu on ne peut jamais conclure sur Bernhard Depuis sa mort sans vouloir parler de r cup ration n avez vous pas l impression que Thomas Bernhard serait devenu un classique qu on l aurait un peu d samorc Et si oui o voyez vous encore les possi bilit s de Bernhard a t il encore des choses nous dire 41 Il est certainement devenu un classique mais les classiques ont a des choses nous dire Moli re a continu nous dire des choses J ai vu L Avare r cemment et la pi ce parle encore Il y avait beaucoup de jeunes dans la salle et je vous jure que a marche Ce n est pas parce qu on est un classique qu on n a plus rien dire Je ne crois pas qu on l ait tellement affadi Je vois peu de repr sentations en Autriche ou en Allemagne je vois ce qui se fait en France et on n affadit pas Le texte garde sa force les grands textes les classiques justement ils gardent leur force On peut tout faire Shakespeare a t mis toutes les sauces Moli re et Corneille aussi et a r siste Oui je pense qu il est devenu un classique comme il tait normal mais je ne pense pas qu il ait t r cup r il continue faire du bruit Il y a eu un creux apr s sa
80. rs bernhardien entretiennent un rapport de d fiance envers la mat rialit orga nique Ils reprennent le dualisme axiologique qui distingue le corps et l esprit Cette perspective valorise l me et corr lativement d valorise le corps Elle implique une dialectique de la d ficience qui pose l exigence d une certaine liqui dation du corps comme condition l acc s la pl nitude du monde de l esprit H l ne Francoual Thomas Bernhard et l criture du corps Revue Colline fr n 9 2007 85 th tre Or prononc e l allemande l vocation du nom Ostende scand tel un leitmotiv ne manque pas de rappeler une fin Ende l Orient Ost symbolique La m me dimension mortif re se d gage du tableau final o la neige appa ra t comme symbole du froid mortel dans une vision qui doit autant Horv th pour la temp te de neige mortelle qu Mort Venise de Thomas Mann l infini de la mer r v lant celui de la mort tandis que le masque du Roi Lear devient masque mor tuaire consignant l chec ultime de l artiste qui aura repr sent toute la pi ce durant le moyen par lequel le com dien esp rait atteindre la perfection salvatrice de son art Minetti est sans doute la pi ce de Thomas Bernhard o le dialogue avec la trag die classique affleure le plus travers un syst me voquant ici la trag die shakespearienne et l une strate plus archa que encore avec la pr senc
81. s et l acteur g nial mais radical maura d autre issue que la mort 3 Herbert Gamper Un dr le de Monsieur R flexions sur la place de l artiste dans la soci t bourgeoise l occasion de Minetti un drame de l artiste par Thomas Bernhard Ein komischer Herr berlegungen zur Stellung des K nstlers in der b rgerlichen Gesellschaft anl sslich Thomas Bernhards K nstlerdrama Minetti in Programmbuch Staatstheater Stuttgart 1976 p 103 134 2 puisqu il ne pouvait ni ne voulait accepter ce qu il jugeait tre une compromission M me si le tableau final de la pi ce poss de une dimension symbolique et mythique l accusation muette de l acteur qui choisit de mourir face public donc tr s concr tement de mourir silencieusement derri re son masque face une soci t qui lui refuse une existence fond e sur des valeurs diff rentes rel ve bien de la contestation Herbert Gamper l avait compris qui cite en fran ais dans le texte des passages de Flaubert Qu est ce donc que l galit si ce n est pas la n gation de toute libert de toute sup riorit et de la nature elle m me L galit c est l escla vage Voil pourquoi j aime l art C est que l au moins tout est libert dans ce monde des fictions On y assouvit tout on y fait tout on est la fois son roi et son peuple actif et passif victime et pr tre Gamper se joint l imp ratif flaubertien envoie faire foutre tout
82. t est encore plus importante parce qu un acteur aura le dire Parfois des acteurs disent qu ils ne peuvent pas mettre un mot en bouche et c est une expres sion que je naime pas beaucoup Et puis ils s aper oivent sou vent apr s les r p titions qu il vaut mieux finalement revenir la traduction originelle parce qu elle n tait pas tout fait hasar deuse Les deux probl mes que pose la traduction du th tre c est d abord l aspect du zigzag et ambivalence qu il faut res pecter puisqu elle est dans le texte et qu on ne peut pas clarifier le texte l expliciter De plus pour Bernhard comme pour Grass qui le fait parfois quand on demande l auteur ce qu il a voulu dire il r pond coute je n en sais plus rien Il y a donc cette ambivalence en zigzag et puis la r currence Les deux ph no m nes font un m lange explosif effectivement tr s difficile tra duire En r ponse la question de tout l heure on n est jamais satisfait du r sultat on n est jamais satisfait d une traduction 33 Encore deux obstacles suppl mentaires pour compliquer l affaire le premier les noms de lieux par exemple le second les mots compos s Exact propos des noms de lieux par exemple tes vous pour Heldenplatz ou pour Place des H ros La premi re fois j avais traduit Place des H ros parce qu il me semblait int ressant
83. t quelques r ponses laconiques aux questions pos es par l acteur la communication ne s tablit pas plus profond ment Le geste de la jeune fille qui joue avec le volume de la radio et en particulier augmente le son jusqu couvrir les paroles de Minetti appara t tr s nettement comme une mani re de se d fendre contre l exposition passive au flot de paroles d vers par le vieux com dien Ce dernier cherche travers les r f rences Ensor comme autorit culturelle et morale r assurer son identit menac e Je ne suis pas rien semble t il vouloir dire or il semble que ces r f rences n ont plus cours dans le monde o il se trouve Ce recours se r v le bien plut t destructeur et produit l effet inverse celui escompt lui faisant percevoir qu il appartient un temps r volu et que ses espoirs sont vains Cette situation un vieil homme confront la jeune g n ration configuration que l on retrouvera d ailleurs dans Simplement compliqu avec les personnages du vieil acteur et de l enfant Catherine sera quelque peu embellie par le geste de la jeune fille qui s adressant directement Minetti pour savoir s il aime la musique lui laissera en guise de rem de sa solitude le poste de radio lorsqu on viendra la chercher L indiff rence n est pas totale et comme rarement dans les pi ces de Bernhard on entrevoit ici la possibilit d une claircie H l ne Francoual Ex
84. te attitude qui consiste dire je fais du th tre je suis en r sistance J ai surtout l impression d tre parmi les derniers dinosaures Je suis un des derniers qui maintient encore contre vents et mar es un d sir ludique de partager g n reusement un bon g teau bien cr meux avec des spectateurs Mais cela devient de plus en plus difficile et des gens comme moi sont financi rement de plus en plus fragilis s Qu est ce qui fait de vous l un des derniers Mohicans Le rapport au texte La jeune g n ration a aussi un vrai rapport au texte sans doute simplement d autres textes Il y a une autre g n ration avec d autres auteurs et d autres points d int r t que les miens Moi aussi l poque je faisais du th tre contre ce qui existait Donc le fait que le th tre soit un lieu de r sistance o l on tient montrer une opposition un courant qui ne serait pas simple ment esth tique mais qui exprimerait aussi un point de vue sur le monde je trouve a tr s bien Il faut maintenant trouver des formes appropri es cela Dans ce que je propose l int r t r side sans doute dans l acharnement de maintenir haut un certain nombre de principes Mais je ne saurais m me pas les num rer Dans le th tre que je fais il y a toujours de grands auteurs il y a une mati re r fl chir et pourtant j aime bien que l ensemble soit populaire Voyez vous des images en lisant Minetti Tr
85. texte fran ais Roland Hofer Bury ditions S guier Paris 1987 Po me de nouvel an Manie de pers cution 1982 texte fran ais C Porcell in Th tre Public n 50 Gennevilliers 1983 Je te salue Virgile texte fran ais Kza Han et Herbert Holl ditions Gallimard s rie Litt rature 1988 Sc narii L Italien r cit et sc nario 1971 texte fran ais C Porcell ditions Arcane 17 Saint Nazaire 1987 Kulterer 1974 texte fran ais C Porcell ditions Arcane 17 2003 Entretiens Je n insulte vraiment personne 1988 entretiens avec Kurt Hofmann texte fran ais J L A Moreau ditions de la Table ronde Paris 1990 Entretiens avec Krista Fleischmann 1991 texte fran ais C Porcell L Arche diteur 1993 Recueils de textes divers Thomas Bernard T n bres Le froid augmente avec la clart Discours pour le Prix de litt rature de Br me 1965 la recherche de la v rit et de la mort Deux discours Discours pour le prix Wildgans 1968 Discours pour le prix de l tat autri chien 1968 L immortalit est impossible Paysage d enfance r cit 1968 N en finir jamais ni de rien Discours pour le prix B chner 1970 texte fran ais C Porcell Entretien avec Thomas Bernhard 1979 propos recueillis par Andr M ller texte fran ais C Porcell Trois jours auto interview 1970 texte fran ais Jean de Meur C Porcell d ditions Mauric
86. tion sur ce qui tait son avis la meilleure sc ne du monde par toujours son avis le meil leur metteur en sc ne et encore son avis les meilleurs acteurs du monde s tait pour la premi re avant m me le lever de rideau post la place du balcon qui s y pr tait le mieux mais ne pouvait tre vue du public et il avait point le fusil mitrailleur sp cialement construit son usage par la firme suisse Vetterli 20 et une fois le rideau lev il logeait une balle dans la t te tout spectateur qui son avis riait contretemps la fin de la repr sentation il n y avait plus dans la salle de th tre que des spectateurs ex cut s par lui et donc des spectateurs morts Pendant toute la repr sentation les acteurs et le directeur du th tre ne s taient pas laiss distraire un instant par cet auteur peu commode et l v nement qu il avait cr p 613 614 Thomas Bernhard Texte fran ais J C H mery Extrait de L Imitateur in R cits 1971 1982 ditions Gallimard coll Quarto Paris 2007 MINETTI O L ART DRAMATIQUE SIMPLEMENT COMPLIQUE Un th tre total Sous une apparence banale ou faussement famili re encore une histoire d artistes comme il y en a tant chez Thomas Bernhard dira t on voici une uvre crite pour un seul artiste qui incarne lui seul plus d un demi si cle d histoire th trale alle mande et dont l a
87. trait de revuecolline fr n 9 Thomas Bernhard Th tre National de la Colline 2007 H l ne Francoual Docteur es lettres elle a soutenu une th se sur Thomas Bernhard inti tul e Le spectre de Physis L criture du corps chez Thomas Bernhard 1931 1989 Entre chair souffrante et raisons de l esprit des figures de l incarna tion une criture incarn e Elle a galement crit divers articles sur Thomas Bernhard SOUVENIR D UN COM DIEN Bernhard d cha ne des com dies dans l opinion publique par les com dies qu il crit pour le th tre Il a un instinct particulier pour faire appara tre l opinion publique comme comediante de soi m me Il savoure aussi probablement la volupt qu il y a le lendemain matin tre le th me du jour Moi il ma un jour rendu sans voix puis fait de moi un sujet permanent de conver sation C est lorsqu il donna mon nom une nouvelle pi ce Je ne voulais pas le croire lorsqu un jour Claus Peymann qui avait fait ses preuves comme metteur en sc ne principal de Bernhard avec Une f te pour Boris Hambourg L Tgnorant et le Fou Salzbourg et La Soci t de chasse lors de la premi re au Burgtheater de Vienne fit le voyage et me dit J ai une surprise pour vous Puis il me parla de cette pi ce J tais enthousiaste Je constate aujourd hui comment une pi ce comme Minetti aurait elle pu ne pas attirer un com dien du nom de Minetti Non parce qu elle
88. ue a pu moins exister On rigole beaucoup moins d un juge nazi ou de juifs qui se jettent par la fen tre et entendent encore les cla meurs de la Place des h ros en 1938 C est beaucoup moins dr le qu une troupe de cirque qui joue le quintette La Truite ou qu un asile pas tout fait de fous mais d invalides et de vieillards qui sont tous en fauteuils roulants Ce n est pas dr le non plus sion veut mais il y a l un motif traditionnel de l autod rision Apr s on trouve je crois de moins en moins de d rision dans le th tre de Bernhard Ses personnages vous apparaissent ils comme des mod les des id aux de recherche artistique intellectuelle Non je ne le crois pas Il le dit d ailleurs dans certaines inter views Les mod les de recherche plus exactement ce sont mon avis des caricatures Et il dit je ne sais plus dans quelle interview que l homme est une marionnette On voit tr s bien l armature en m tal Je crois que ses personnages sont effectivement des marionnettes Ce ne sont pas des tres de chair et de sang ce n est pas un th tre psychologique pas du tout Il a pouss comme dans ses romans le personnage et le type jusqu la cari cature Par exemple dans celui que j ai traduit r cemment Les Mange pas cher et c est presque toujours la m me chose dans les romans de Bernhard il s agit d un type qui veut faire une uvre de chercheur absolument impossible qui y s
89. ui vous passez d ailleurs de l op ra au th tre du th tre op ra Nous nous sommes rendu compte avec Rieti que l op ra nous tait un peu tomb dessus que ce n tait pas vraiment volontaire Bien s r que les deux pratiques se nourrissent J essaie si vous voulez de poursuivre mon travail l op ra tout en cherchant r unir les moyens pour faire du th tre tel que je le souhaite Parce que l poque n est plus tr s favorable pour faire du th tre tel que je le souhaite Il y a l un grand danger Qu est ce qui a chang Je crois qu au d part c est une question d argent Il y a peut tre quatre ou cinq grandes institutions en France o les directeurs peuvent faire le th tre qu ils veulent Autrement il faut r unir des forces alors que j ai connu une poque de grande facilit y compris financi re pour monter des choses compliqu es exi geantes C est termin Ces raisons budg taires entra nent une censure de la forme parce que cette r alit pousse faire des spectacles qui se ressemblent tous tellement ils sont format s sur le m me mod le Aujourd hui il faut cinq com diens pas plus un d cor unique si possible que l on peut monter et d monter en deux heures C est l objet m me qui est remis en question Peut tre que cela s explique aussi par le fait que le th tre n a plus l importance politique qui a t la sienne Alors il y a chez certains cet
90. ur n est aussi bien que lorsque les choses viennent profond ment de lui L acteur n est pas toujours conscient de l effet qu il produit Dans le travail il doit tout la fois proposer s approprier les choses et tre disciplin Parce qu il arrive que les propositions n aillent pas dans la direction souha i t e Alors d o me vient l autorit de le dire Peut tre simplement du fait que le metteur en sc ne a la responsabilit de l ensemble Un peu l image d un chef d orchestre qui en principe ne joue pas mieux que les musiciens mais qui a la responsabilit du tout La direction d acteurs est elle une part importante de la mise en sc ne Pour moi oui Il y a des acteurs qu il ne faut pas laisser trop libres parce qu ils retombent alors dans une id e qu ils se font d eux m mes Certains si on ne les tient pas se mettent crier gesticuler vocif rer C est peut tre tr s bien Sauf que moi a ne me convient pas Je ne suis pas friand de ce style Tout cela est quand m me tr s myst rieux cette alchimie Il y a aussi par fois la rencontre entre un acteur et un personnage qui a pour cons quence que le metteur en sc ne n a presque rien dire tellement on se trouve dans l vidence Il m arrive alors d tre simplement b at d admiration Entre le projet de spectacle que vous r vez et le r sultat qui est visi ble au cours de la repr sentation existe t il de grands
91. ussi comment en des termes bern hardiens l artiste v ritable ne peut r ussir qu en ayant la pleine conscience de son chec in luctable Faire de l chec un art et devenir l artiste de son propre chec savamment mis en sc ne tel est le cadeau sans pareil que Thomas Bernhard offre l acteur octog naire qui jusque l avait interpr t magistralement ses protagonistes dans plusieurs pi ces pr c dentes En ce sens la magie de Minetti na t de cette conjonction de forces centrip tes et centrifuges influences crois es auxquelles est soumis le spec tateur qui oscille entre son d sir de voir Minetti jouer sur sc ne le r le de l acteur donc d tre lui m me et l impossibilit constante de pouvoir identifier le grand Minetti au vieux mime rat qui est un autre m me lorsque Minetti pr te sa voix au pseudo Minetti pour revendiquer son identit Il est un autre Pour tout acteur le pseudo Minetti est un autre car il faudrait sinon que l acteur s identifie avec son propre chec ce qui conf rerait la pi ce une dimension soit comique soit tragique La pi ce de Bernhard fonctionne de mani re oppos e apr s avoir jou toute une soir e le r le de son propre chec qui l a conduit la mort derri re le masque du Roi Lear l acteur Bernhard Minetti revient sur sc ne pour saluer le public et r colter les applaudissements r serv s son art Et chaque soir Bernhard Minetti triomphe de son propre
92. uteur annon ait malicieusement son diteur que la pi ce ne serait repr sent e qu une seule fois un soir pr cis et dans cette distribution Caprice d auteur dont Thomas Bernhard tait coutumier Pas s r En fait Minetti poss de en miniature toutes les caract ristiques du th tre total Si cette pi ce est remarquable c est parce que son criture utilise le th tre pour en faire cette singularit non reproductible et non transf rable qui est celle de l instant dramatique dans sa pl ni tude inimitable On objectera que toute uvre d art chappe son auteur d s lors qu il la publie Et pour une pi ce de th tre le texte dramatique est crit d s le d part pour tre mis la dis position des acteurs r interpr t tous les sens du terme dans une mise en sc ne qui chaque fois se situe au d but d une cr ation originale n cessairement diff rente de la pr c dente parfois m me diff rente d un soir sur l autre tre auteur drama tique c est savoir que son texte reste avant tout destin la r ali sation sc nique et que cette derni re vous chappera en d pit de el toutes les didascalies aussi pr cises fussent elles ou d un fragile mode d emploi sugg r par un d n von Horv th Dans Minetti Thomas Bernhard semble vouloir s affranchir de cette contrainte en crivant une pi ce dont l auteur contr lerait jusqu la r alisat
93. vingt ans environ Non pas jusqu vingt ans il clate de rire parce que l j avais une maladie mortelle d j quel ge alors Oh quinze seize ans Oui bon l je men suis aper u non non mon ami toi aussi tu peux suivre le chemin de toute chair et la mort tend aussi sa main vers toi et prend ce qu elle a envie de prendre C est seulement l que je men suis rendu compte Mais je crois que pendant peu pr s quatorze quinze 30 ans je n en ai pas eu la moindre id e je ne savais pas ce que c tait que la respiration ni le poumon Je ne me ressentais pas physiquement comme tous les enfants en bonne sant je crois ils ne s aper oivent m me pas que ces choses l existent Entretiens avec Krista Fleischmann texte fran ais Claude Porcell L Arche diteur Paris 1993 p 30 31 Je ne pense pas du tout la mort c est la mort qui pense constamment moi Quand est ce que je vais faire rentrer celui l c est vu d une autre perspective Mais je mai aucune envie de rentrer Rentrer a veut dire mourir tre mort tre la maison tre mort dit d j Pascal Quand tu es la mai son tu es mort Le repos ternel la maison ternelle c est la mort c est pour a que je mai pas envie de rentrer parce que j ai l impression que quand je rentrerai elle sera d j l avec sa main noire et moi je passe la porte je vois toujours quand je passe la
94. vre elle essaie de jouer avec la Saint Sylvestre l aide d un artifice rig en syst me Les deux sont porteurs d un masque qui les rassem ble mais le masque animal de la dame renvoie un chec ina vou l impossibilit de quitter sa condition physique pour devenir un pur Geistesmensch bernhardien comme le prouve la bouteille de champagne attribut festif dans lequel plus prosa quement elle noie son d sespoir Aux confins du tragique dans une soci t de masse o l anony mat ne permet plus une telle dimension ces destins individuels se d tachent sur le fond d un ch ur de masques dont les appa ritions viennent scander les diff rents tableaux avant de procla mer la mort de l acteur Sous un aspect grotesque et inqui tant ce collectif avatar du ch ur tragique reprend la fonction du ch ur antique et sous une forme triviale veut rappeler la dimension tragique des pi ces shakespeariennes d o la r f rence omnipr sente au Roi Lear et aux l ments naturels d chaf n s D ailleurs Minetti regorge de d tails symboliques qui der ri re un r alisme de fa ade conf rent au spectacle une dimen sion quasi mythique Cette ambivalence s exprime le mieux dans vocation d Ostende o l on reconna t ais ment le casino en bord de mer assez loign de la gare o est cens arriver le directeur de t Les Geistesmenschen hommes de l esprit figures r f rentielles de l unive
95. x ducateurs 1967 La Casquette 1967 Est ce une com die Est ce une trag die 1967 L Attach lam bassade de France 1967 Ungenach 1968 Watten 1969 Midland Stilfs 1971 La Cape de loden 1971 Dans le massif de l Ortler 1971 Marcher 1971 texte fran ais Jean Claude H mery et liane Kaufholz coll Du monde entier 1987 L Origine Simple Indication 1975 La Cave Un retrait 1976 Le Souffle Une d cision 1978 Le Froid Une mise en quarantaine 1981 Un enfant 1982 r cits autobiographiques texte fran ais Albert Kohn pr face Bernard Lortholary coll Biblos 1990 R cits 1971 1982 Trois jours L Origine La Cave Le Souffle Le Froid Un enfant Marcher Oui L Imitateur Les Mange pas cher Le Neveu de Wittgenstein Entretien avec Andr M ller texte fran ais J C H mery E Kaufholz A Kohn et C Porcell pr face Jean Marie Winkler introduction B Lortholary coll Quarto 2007 ditions s par es Gel 1963 texte fran ais Boris Simon et Jos e T rk Meyer coll Du monde entier 1967 Perturbation 1967 texte fran ais Guy Fritsch Estrangin coll Du monde entier 1971 texte fran ais Bernard Kreiss coll L Imaginaire n 207 1989 La Pl tri re 1970 texte fran ais Louise Servicen coll Du monde entier 1974 r d 1989 Corrections 1975 texte fran ais A Kohn coll Du monde entier
96. x d une Ingeborg Bachmann que de son mod le omnipr sent Georg Trakl dont le lyrisme bernhardien reste tr s trop proche De m me les premi res pi ces de th tre de Thomas Bernhard livrets de ballets ou textes pour musique s rielle ou petites pi ces en un acte renferment elles des personnages ou des constellations que l on re trouvera dans les grandes pi ces de th tre tandis que les longs monologues virtuoses y trouvent souvent leur pr figuration D s les ann es 1950 Thomas Bernhard dramaturge encore non repr sent sur sc ne crit comme Thomas Bernhard Manfred Mittermayer et Jean Marie Winkler Extrait de Notes sur le th tre de Thomas Bernhard Consid rations philologiques et sp culatives revuecolline fr n 9 Thomas Bernhard Th tre National de la Colline 2007 Jean Marie Winkler Professeur l Universit de Rouen titulaire de la chaire d tudes autri chiennes et membre de l ERIAC quipe de Recherches Interdisciplinaires sur les Aires Culturelles Il est avec Manfred Mittermayer l diteur des deux premiers volumes du th tre de Thomas Bernhard dans les uvres compl tes publi es chez Suhrkamp Il a pr fac le recueil de textes de Thomas Bernhard R cits 1972 1982 paru en 2007 aux ditions Gallimard dans la collection Quarto Il a pr sid la Fondation Thomas Bernhard Vienne de 1998 2008 Avec Claude Bessone il a publi aux ditions Tir sias

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