Le Livre de Poche a le plaisir de vous proposer le premier chapitre de
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1. ils mont rent dans la voiture et ensemble et d un m me effort pouss rent l norme colis emball qui se mit glisser magiquement puis d valer les planches pour finalement venir sur le sol et s immobiliser en s enfon ant un peu dans les graviers Hyppolite Framottet avait surveill la man u vre avec angoisse et jubilation Tout entier son observation il ne faisait m me plus attention aux flots de sueur dans lesquels il mijotait et qui le faisaient de plus en plus ressembler une grosse marinade On d balle tout demanda le plus grand des gars qui avait une t te triste et beige Je men chargerai coupa Framottet qui commen ait concevoir un sentiment de posses sion et de jalousie l gard de l objet qu on venait de lui livrer On vous montre pas comment a marche hasarda l autre convoyeur Je ne suis pas idiot trancha Framottet avec d dain Le gars haussa les paules avec r signation 14 Faites attention quand m me c est capri cieux ces choses l Le convoyeur t te triste avait dit cela en reprenant les r nes du cheval de t te L autre ajouta Il y a un mode d emploi l int rieur on ne sait jamais a pourrait vous servir C est cela c est cela jeta Framottet avec irritation se demandant quand ces deux cor niauds le laisseraient enfin seul avec ce qu il avait attendu depuis des mois et qui d sormais ta2. industriel il lui lan a goguenard O tu vas mon gars sur la lune Hyppolite Framot tet ne r pondit rien Il fit volte face rongeant son frein Voreux s loigna en rigolant comme un bossu Dix minutes plus tard l heure convenue une lourde voiture tir e par six chevaux et conduite par deux hommes se profila au bout de la route Hyppolite Framottet tait en nage La sueur coulait le long de ses lunettes dont il put ainsi v rifier l tanch it Les poils de loutre irri taient sa nuque Il marinait dans ses bottes Ses poumons oppress s peinaient lui d livrer de Pair Il vint au devant des voituriers Il se pr senta eux et voix basse les invita le suivre Les deux types paraissaient harass s comme s ils avaient fait un tr s long voyage L accoutre ment d Hyppolite Framottet ne sembla pas les intriguer Ils se laiss rent conduire Dans un silence total l industriel ouvrit grand le portail du parc la voiture entra Les chevaux sem blaient aussi ext nu s que leurs ma tres Parvenu pr s du perron Framottet fit arr ter le convoi et murmura l oreille des deux hommes que c tait 13 l qu il fallait d charger Ils soulev rent les b ches apparut soudain une masse norme presque cubique entour e de toiles goudron n es sangl e de toute part Les deux gars plac rent quatre planches paisses et larges l arri re de fa on ce qu elles touchent le sol Puis
3. eil leure forme possible afin qu elle lui donn t le meilleur d elle m me Ce n est pas avec un cheval trois pattes qu on tire bien la char rette Il avait p ch cette phrase il ne savait plus o et la r p tait l envi Le 23 juin 1906 Hyppolite Framottet se leva 4 heures du matin Il d jeuna tr s l g rement de saucisses de caf de fromage de jambon d ufs et de brioche Puis apr s quelques ablu tions il prit dans une haute armoire de son dres sing trois paquets parall l pip diques qui taient secr tement arriv s trois jours plus t t en prove nance directe du Bon go t moderne 168 boule vard Haussmann Paris Il ouvrit les paquets en sortit leur contenu puis s en rev tit avec un plaisir qu il parvint peine se dissimuler soi m me La maison dor mait encore lorsqu il descendit le grand escalier faisant grincer le cuir de ses bottes neuves et feu ler le tissu r che de la curieuse veste qu il venait d endosser Parvenu au dehors avec les pr cau tions d un conspirateur il descendit la grande all e de gravier jusqu au portail puis attendit 11 debout au bord de la route Il tait un peu plus de cinq heures Les mains gant es de phoque le haut du cr ne engonc dans une casquette rabats vert olive pelucheuse et d une taille trop petite pour lui les yeux disparaissant derri re d normes lunettes de forme hexagonale monture d acier doub
4. it l chez lui pour lui seul Les deux gars attendirent un pourboire qui ne vint pas Puis de guerre lasse ils s pong rent le front marmonn rent un au revoir remont rent dans leur voiture et lentement s en all rent Hyppolite Framottet tr pignait comme un enfant Il attendit que la voiture et les convoyeurs aient disparu pour avec respect et d licatesse presque avec d votion d tacher la premi re san gle puis la deuxi me puis la troisi me puis toutes les sangles le c ur battant et d un geste ample autant que th tral arracher l immense b che qui s envola dans le ciel comme un per vier pour retomber au sol dans un bruit de frois sement Alors d couvrant pour la premi re fois dans la lumi re rasante du matin de cette belle journ e d t ce qu il n avait vu jusqu pr sent que sur catalogue Hyppolite Framottet fut secou d un tremblement nerveux Il sentit sa 15
5. l e de caoutchouc ce qui avait pour vertu de les ren dre selon le prospectus parfaitement tanches au vent et l eau quelles que soient les condi tions atmosph riques fussent elles pouvantables ou bien polaires le cou entortill dans une tole en peau et fourrure de loutre la poitrine oppri m e par une triple jaquette poches multiples du dernier chic mod le anglais indispensable et fondamentalement n cessaire aux personnes de qualit voulant sans surprise s adonner ce nou veau sport les cuisses et les jambes emball es dans un pantalon bouffant d un jaune criard avec renfort en cuir de buffle aux articulations et au post rieur les pieds et les mollets contraints par des bottes d une forme r volutionnaire per mettant les mouvements les plus amples comme les plus d licats Hyppolite Framottet m con naissable commen ait suer grosses gouttes dans son harnachement alors que le soleil n tait pas encore lev Vers cinq heures et quart passa sur la route Am d e Voreux un braconnier qui depuis qu il tait n jouait au chat et la souris avec le garde 12 chasse et les gendarmes Il portait sous sa blouse deux li vres encore chauds qu il venait de d ga ger de ses collets Lorsqu il aper ut Hyppolite Framottet il ne le reconnut pas Il se frotta les yeux pensa un moment que la gn le qu il avait bue jeun lui donnait des visions et passant pr s de l
6. la fabrication d arti cles traditionnels de consacrer une partie de son parc de machines la production de jouets L usine prit son envol comme une fus e L ar gent s entassa dans les caisses On embaucha encore et encore Les grands magasins parisiens passaient commande chaque semaine On avait peine suivre Hyppolite Framottet eut soudain le sentiment nigaud que la terre lui appartenait Lorsqu il marchait dans le bourg les hommes s arr taient enlevaient leur casquette et sa luaient bien bas Les femmes quant elles s arr taient aussi et faisaient une sorte de petite r v rence Il ne r pondait ni aux uns ni aux autres Il faisait mine de ne pas les voir partant du prin cipe que les ouvriers sont tous des ivrognes et les ouvri res des d bauch es et que si lui commen ait leur rendre leur salut il passerait ses journ es cela Il avait bien d autres choses faire Ce d dain marqu ne l emp chait pas d ailleurs de faire en sorte que ses employ s vivent dans des conditions d centes Et souvent il s inqui tait de leurs logements du sort de leurs enfants de leur ducation de leur alimentation consentant souvent des avances sur les payes 10 souffrant des retards sur les termes des loyers des appartements en sa possession qu il mettait leur disposition Aucune philanthropie ne dic tait cela simplement le souci d un patron qui d sirait que sa main d uvre f t dans la m
7. le Livre de Poche a le plaisir de vous proposer le premier chapitre de Trois petites histoires de jouets Philippe Claudel Philippe Claudel Trois petites histoires de jouets PHILIPPE CLAUDEL Trois petites histoires de jouets VIRGILE Bon anniversaire Monsieur Framottet Le 23 juin 1906 Hyppolite Framottet s appr tait f ter son anniversaire Il avait cinquante et un ans une femme trois enfants dont le dernier avait douze mois une belle s ur une belle m re une usine vapeur qui dressait dans le ciel une chemin e norme 214 ouvriers 20 contre ma tres 3 comptables 2 directeurs une demeure cossue qui ressemblait un petit ch teau et une fortune immense dont lui seul connaissait l exacte tendue Barbu s v re travailleur infatigable bedon nant sujet la goutte avare il tait par ailleurs conseiller g n ral d cor de l ordre du M rite officier de la L gion d honneur d tenteur de la m daille de l industrie Bon p re et bon mari il se contentait chaque ann e de deux ou trois copulations ancillaires avant d loigner au plus vite en lui donnant la pi ce et une bonne lettre la servante avec laquelle il avait faut Il tait re u chez l v que le pr fet quelques secr taires d tat Il en concevait une fiert de dindon Il aspirait la d putation Hyppolite Framottet tait un homme heu reux mais ce bonheur il ne le montrait jamais
8. ne sachant d ailleurs pas trop d finir ni m me nommer le sentiment de pl nitude qui l envahis sait lorsqu il compulsait les carnets de com mande pleins craquer que lui tendaient des mains respectueuses et craintives ou quand il marchait pas forc s dans son usine suivi de la petite troupe des contrema tres qui peinaient l g rement courb s suivre son allure et que partout le vrombissement des dizaines et des dizaines de tours se changeaient dans son pau vre imaginaire en une musique tintinnabulante celle de la chute soyeuse de francs or d vers s comme profusion d une corne brandie par une jeune fille laiteuse aux seins d couverts Hyppolite Framottet avait h rit de l usine que son propre p re avait fond e en 1871 Tr s vite Framottet p re se rendit compte de l intelli gence limit e de son rejeton et plut t que de le laisser devenir compl tement idiot en somno lant sur les bancs des j suites de Besan on il le fit revenir au bourg et entreprit de l initier au m tier de bourgeois industriel Si ni Platon ni Bossuet ni Lamartine n taient jamais parvenus veiller le moindre int r t dans l esprit un peu lourd du jeune homme le 8 principe de l investissement de la fraction du capital des encours terme du report d agios de l talement des traites et du paiement rebours lui parurent les arcanes passionnantes d une sorte de grand jeu pour lequel il devint asse
9. z ais ment un champion Par ailleurs sans avoir de g nie ni m me la moindre parcelle d invention il sut capter le meilleur des autres se l accaparer et se l attri buer C est ainsi qu il put doter lusine pater nelle de tout un tas d am liorations tant techni ques que cr atives qui bien vite donn rent l tablissement une envergure nationale dans son domaine qui tait celui du bois tourn la mort de son p re en 1891 Hyppolite Fra mottet prit seul la direction de l usine Il s assit dans le grand bureau aux murs couverts de pan neaux de palissandre posa son derri re d j imposant sur l assise du fauteuil en cuir le fit pivoter et donna le c ur battant son premier ordre de nouveau chef au secr taire tout en regardant face lui le portrait barr d un cr pe noir de feu son p re En quelques ann es l activit de l usine fut multipli e par cinq On embaucha on sous traita on s agrandit Sans concurrent r el Hyp polite Framottet devint une sorte de monarque d un royaume de bois aux senteurs de buis et de h tre Toutes les pi ces qui sortaient de l usine taient envoy es aux quatre coins de la France 9 parfois m me en Belgique en Prusse en Argen tine voire aux tats Unis d Am rique Mais ce qui propulsa son entreprise dans la sph re troite du grand capital ce fut le virage audacieux qu il lui fit prendre en 1900 lorsqu il d cida tout en continuant
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