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Danielle Constantin, « Sur Lieux où j`ai dormi

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1. Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 7 Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures l ordre des ann es et des mondes Le texte d Un homme qui dort s ouvre tout comme celui de Proust en mettant en sc ne un personnage aux prises avec des tats interm diaires de r veil et d endormissement Mais si le style de l incipit de Perec rappelle celui de Proust particuli rement la deuxi me phrase du roman se d ployant sur deux pages l espace psychique repr sent n est pas comme chez Proust en expansion dans le souvenir mouvement d une multiplicit de chambres mais r tr ci diminu rabattu dans un espace unique deux dimensions dans lequel le narrateur tu volue comme un rat dans un labyrinthe De fait Perec entretient avec l auteur de la Recherche des rapports ambigus pouvant aller du comique comme dans les variations de l incipit Longtemps je me suis couch de bon heure publi es dans le Magazine litt raire n 94 1974 p 22 23 au sublime de la derni re implicitation programm e dans La Vie mode d emploi c est dire la citation de Proust au chapitre 99 incorpor e la description du dernier puzzle de Bartlebooth citation qui elle m me pointe vers un conte des Milles et une nuits Le dormeur veill Dans Esp ces d espaces Perec explicite l intertexte proustien du projet Lieux o j ai dormi dans les termes suivant
2. en haut son gigantesque entonnoir avait souffert bien de dures nuits tandis que j tais tendu dans mon lit les yeux lev s l oreille anxieuse la narine r tive le c ur battant 7 jusqu ce que l habitude e t chang la couleur des rideaux fait taire la pendule enseign la piti la glace oblique et cruelle dissimul sinon chass compl tement l odeur du v tivier et notablement diminu la hauteur apparente du plafond Avec Lieux o j ai dormi Perec remet ses pas dans ceux de Proust pour s approprier au profit de son projet autobiographique l exp rience proustienne d une rem moration totalisante des lieux de sommeil de son pass Mais Perec n crit pas et ne travaille pas de la m me fa on que Proust comme en t moignent les dossiers g n tiques des deux projets En fait si l on accepte la g n ralisation que les g n ticiens litt raires adoptent pour d crire les deux grands modes les deux grandes tendances dans les m thodes d criture dans ce cas ci Proust et Perec se distinguent grandement s opposent m me Almuth Gr sillon la suite de Louis Hay utilise pour d signer ces deux modalit s scripturales les termes respectifs d criture processus et d criture programme alors que Pierre Marc de Biasi pr f re faire la distinction entre une structuration r dactionnelle et une programmation sc narique r servant une Marcel Proust op ci
3. enfance c est encore vers les fondations d truites de sa m moire qu il pointe discr tement Comme le sugg re Marthe Coppel Batsch Dans crit Pour Proust comme pour Perec la cr ation trouve sa source dans ce qui a exist et n existera jamais plus pour eux Cette source est pour Proust tr s sensuelle pleine d odeurs et de couleurs impr gn e de toute une palette d motion qui nous merveille par sa richesse sa subtilit et par l art qui permet Proust de nous les faire partager Pour Perec le cours de l histoire a t plus cruel car il l a rendu tranger lui m me le s parant des origines charnelles des motions et donnant de ce fait une place prioritaire aux mots et aux jeux de la pens e un m me ordre d id e et aussi dans une perspective psychanalytique Claude Burgelin Perec restera orphelin d une m moire matricielle nidifiante celle qui contribue cr er une substance de l intime donner aux sensations et motions couleurs et ombres Le Perec constructeur d appartement de La Vie mode d emploi b tit un lieu surmarqu de traces de m moire socialis e num rables indexables Une m moire du c t de ce qui fait ordre classement ou loi Alors que Proust d ploie longuement une m moire envelopp e de signes maternels qui par l m me devient source infinie de m taphores et de liaisons tout au bonheur d arriver noncer l in non ab
4. ont rien de s duisant et pourtant ils pr sentent un int r t certain en raison de leur engagement dans la fabrique de l uvre Selon Philippe Hamon ce type de plans la fois structure d appel et de rappel a pour fonction d assurer une sorte de m moire prospective dans et de l criture en cours En fait ces plans mi chemin de la chose et du mot fonctionnent comme un relais entre le travail de rem moration et le travail de description entre une mn motechnique et une mn mographie Or quand le travail de la m moire devient travail d inscription du souvenir dans un marquage cartographique intervient du coup un processus de distanciation qui on le suppose aurait t accru par le travail d criture En effet du souvenir c nesth sique du corps dans le lit on est pass une vue a rienne o le corps du scripteur n est plus dans la chambre Georges Perec op cit p 34 et 35 Georges Perec op cit p 34 Cit par C cile De Bary Image Imagination Imaginaire dans l uvre de Georges Perec th se de doctorat sous la direction de Philippe Hamon Universit de Paris II 2002 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 15 mais hors de celle ci en train de la contempler de haut partir d un point situ peu pr s sur le toit de la pi ce suppos enlev L utilisation de plans l tape du travail pr paratoire n est pas que
5. d crire tous les l ments soit 1 la liste inventaire des lieux de sommeil 2 les plans de certaines chambres et 3 les d buts de mise en textes c est dire les bauches et les esquisses r dactionnelles Je pr senterai bri vement chacune de ces trois cat gories D abord la liste inventaire Dans Esp ces d espaces propos des lieux o il avait dormi Perec avait affirm J e crois les avoir peu pr s tous recens s il y en a peu pr s deux cents il ne s en ajoute gu re plus d une demi douzaine par an je suis devenu plut t casanier Perec a beau tre devenu casanier le nombre de ses lieux de sommeil d passe grandement la dizaine de chambres du narrateur malade de La Recherche Les pi ces d archives confirment que d un travail de recensement a effectivement r sult une liste d un peu plus de cent quatre vingts lieux de sommeil liste d abord tablie en 1970 et mise jour ult rieurement quelques reprises jusqu en 1974 Cette liste a la particularit d tre structur e suivant un t lescopage g ographique qui d taille les entr es en les organisant par continents par pays par r gions par ville et finalement par lieu une approche astucieuse qui permet presque d puiser l inventaire l exception de quelques lieux atypiques regroup s sous la rubrique Divers nuits en train nuits en bateau nuits en avion nuits blanche nuits en voiture nuits sous la tente
6. de la description de ces lieux en serait venu multiplier les clats de souvenirs afin de g n rer une criture autobiographique d vi e o l espace aurait acquis pr s ance sur le temps S il est possible de parler de ce projet inabouti et in dit de Perec c est parce que lui m me en plus de l avoir annonc plusieurs reprises dans ses nombreux programmes de travail en a d crit les enjeux et m thodes et en a valu la progression dans sa correspondance dans des entretiens public et dans Esp ces d espace Si on conna t le projet Lieux o j ai dormi c est aussi parce que certains fragments textuels ont t publi s du vivant de l crivain la chambre de Rock en Cornouailles publi e dans Esp ces d espaces Trois chambres retrouv es dans Les Nouvelles litt raires n 2612 24 novembre 1977 repris dans Penser Classer une anthologie posthume publi e en 1985 et un autre texte moins connu Mon plus beau souvenir de No l publi dans Le Nouvel observateur n 737 du 23 au 29 d cembre 1978 Finalement Cet article est le r sultat de l amalgame de deux articles ant rieurs Perec et Proust le travail de la m moire M moire et culture Actes du colloque international de Limoges 11 12 d cembre 2003 sous la direction de Claude Filteau et de Michel Beniamino Presses universitaires de Limoges coll Francophonie 2006 p 133 143 et Autobiographie vesp rale et li
7. par l utilisation d expressions comme sans doute peut tre il me semble je crois je suis presque s r D cid ment Perec est bien l anti Proust comme l a fait remarquer Claude Burgelin Car si chez l un c est tout Combray qui est sorti d une tasse de th chez l autre d un bol froid de morning tea n est surgi qu une accumulation fragment e de d tails sur le s jour Rock en Cornouailles durant l t 1954 Et perdu dans ce bazar num ratif semble tre banalis e la confidence que c est au cours de ce m me t qu il a d cid de devenir crivain Si travers le travail de l criture les chambres de Proust se remplissent au point d aboutir une repr sentation d une m moire excessive d bordante prolif rante celles de Perec par contraste semblent t moigner d un chec de la m moire J B Pontalis avec qui comme je lai dit Perec fait une psychanalyse au moment o il travaille sur le projet de Lieux o j ai dormi crit dans L Amour des commencements au sujet de Pierre G pseudonyme qui ne r ussit pas cacher le fait qu il parle de Perec Les chambres de Pierre plus je les voyais se remplir d objets plus elles mes paraissaient vides plus la topographie se faisait pr cise plus s tendait le d sert plus la carte se peuplait de nom plus elle tait muette Il n y avait l que des reliques il n y avait l perso
8. C est sans doute parce que l espace de la chambre fonctionne chez moi comme une madeleine proustienne sous l invocation de qui tout ce projet est videmment plac il ne voudrait tre rien d autre que le strict d veloppement des paragraphes 6 et 7 du premier chapitre de la premi re partie Combray du premier volume Du c t de chez Swann de la recherche du temps perdul que j ai entrepris depuis quelques ann es d j de faire l inventaire aussi exhaustif et pr cis que possible de tous les Lieux o j ai dormi Cette phrase la syntaxe bancale accumulant les ench ssements et dans laquelle coquille tr s proustienne une parenth se est ouverte sans tre referm e tient du pastiche Perec s approprie non sans ironie certains traits stylistiques de Proust pour expliquer que son propre projet veut tre rien de moins que le strict d veloppement de la c l bre r verie des chambres mise en sc ne dans les premi res pages de La Recherche Le sixi me et le septi me paragraphes du Marcel Proust la recherche du temps perdu vol 1 Paris Gallimard coll La Pl iade 1954 p 5 Nous savons que c est dans cette dition que Perec a lu Proust 25 Au sujet des rapports entre Perec et Proust voir Marie Miguet Sentiments filiaux d un pr tendu parricide Perec Po tique n 54 avril 1983 p 135 147 et Pierre Siguret Perec et Proust de L affaire Lemoine La Vie mode d empl
9. absentes Quelques points d interrogation sugg rent que Perec doute encore parfois de ses souvenirs Notons aussi que selon la logique de cette liste chaque lieu de sommeil n est mentionn qu une seule fois quel que soit le nombre de nuits qu y ait pass Perec ainsi si La Marsa est mentionn e deux fois c est tout simplement qu il y a dormi dans deux chambres diff rentes cet effet Perec confie dans Esp ces d espaces Dans un petit nombre de ces chambres j ai pass plusieurs mois plusieurs ann es dans la plupart je n ai pass que quelques jours ou quelques heures et il pr cise sans vraiment fournir d explications C est videmment des souvenirs resurgis de ces chambres ph m res que j attends les plus grandes r v lations Si en 1974 la liste avait dans la limite de la m moire de Perec atteint une certaine exhaustivit l tat de l organisation des lieux r pertori s ne satisfaisait pas encore enti rement 38 Fonds priv Georges Perec folio 48 6 18 14 3 Georges Perec op cit p 35 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 14 l crivain Je ne suis pas encore d finitivement fix sur la mani re dont je les classerai Certainement pas par ordre chronologique Sans doute pas par ordre alphab tique Peut tre selon leur disposition g ographique Ou bien plut t selon une perspective th matique qui pourrait aboutir une sor
10. mais peut tre une chaise sur le mur de gauche j y jetais mes v tements avant de me coucher je ne pense pas m y tre assis je ne venais dans cette chambre que pour dormir Qui plus est la description spatiale de la chambre est sous tendue par une ambigu t flagrante Lorsque l on ouvre la porte crit Perec le lit est presque tout de suite gauche cet effet le dossier des avant textes inclut deux plans de cette chambre M me si chacun des dessins est orient diff remment dans l espace de la page effectivement dans les deux cas 10 Claude Burgelin Les Parties de dominos chez Monsieur Lef vre Perec avec Freud Perec contre Freud Paris Circ 1996 p 73 74 1 Georges Perec op cit p 32 C est moi qui souligne 12 Georges Perec op cit p 32 5 Fonds priv Georges Perec folios 48 6 18 9 13v et 48 6 2 12 r Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 5 lorsque l on ouvre la porte le lit est tout de suite gauche et pour celui qui y est couch le mur se situe gauche et la porte droite Ce qui n emp che pas Perec d crire dans le texte publi apr s avoir r it r l acuit et la pr cision du souvenir de cette chambre que lorsque tendu sur le lit le mur tait ma droite la porte c t de moi gauche Je cite tout le passage afin de mettre en vidence l enthousiasme hypermn sique de l crivain au mo
11. 3 117 7 Selon Kamel Ben Ouam s Perec serait venu en Tunisie plus d une occasion pour tre membre du jury du festival de films de Carthage Et d apr s le t moignage de Kmar Bendana il y a aussi fait un voyage touristique en compagnie de Catherine Binet de Noureddine Mechri et d elle m me Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 13 Carthage chez Duv Duvignaud Hammadi Sidi Bou Said Sousse chez Hammadi chez Ahmed Griba Sfax rue Larbi Zarouk petit h tel ville arabe chez Meddeb H tel des Oliviers chez Mrabet Tozeur Kerkenna Pour la p riode entre 1970 et 1974 la Marsa oct 73 chez Nour chez Jeanne For t hiver 72 Ain Draham au Ksar A l H tel de Griba Sousse A la Marsa Ainsi cette liste nous apprend que Perec dort Tunis Carthage Sidi Bou Said Sousse Sfax Tozeur Kerkenna la Marsa Ain Draham Il couche chez lui rue Larbi Zarouk dans une villa de location La Marsa l h tel Tunis Sfax Sousse Kerkenna la Marsa Tozeur dans un ksar ou chez des amis et chez des connaissances chez Sghal chez Hammadi chez Duvignaud chez Ahmed Griba chez Meddeb chez Mrabet chez Noureddine Mechri chez Jeanne La liste rend compte des diff rents lieux de sommeil tunisiens jusqu en 1974 m me si certaines mentions manquent un peu de pr cision Les informations chronologiques sont peu pr s
12. Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 1 Sur Lieux o j ai dormi de Georges Perec Danielle Constantin R sum Lieux ou j ai dormi est un projet inabouti et inachev de Georges Perec pour lequel nous sont parvenus presque exclusivement des documents appartenant la phase pr paratoire Ainsi part quelques morceaux textuels publi s du vivant de Perec le projet n existe pour ainsi dire que dans l archive de l crivain Or m me si demeur inaccompli ce travail autobiographique est tout de m me connu puisque Perec en a lui m me parl quelques reprises dans sa correspondance dans des entretiens publics de m me que dans Esp ces d espaces 1974 Dans un premier temps cet article pr sente le projet perecquien en s attardant sur le travail m moriel qui le sous tend et les liens explicites qu il entretient avec le texte de Marcel Proust la recherche du temps perdu Ensuite il fait une description du dossier g n tique incluant trois types de documents 1 la liste inventaire des lieux de sommeil 2 une trentaine de plans de chambres et 3 les d buts de mise en texte bauches et esquisses r dactionnelles Lieux o j ai dormi est un projet inachev de Georges Perec dans lequel il avait entrepris un inventaire aussi exhaustif et pr cis que possible de tous les lieux o il avait dormi dans le but avou de mettre en branle un vaste travail m moriel qui en partant de la rem moration et
13. Nuits sans nuits de Leiris Le livre s organiserait donc autour d une structure binaire la description des lieux d une part et les r cits de souvenirs qu ils inspirent de l autre de plus le volet narratif inclurait des r cits de r ves dans une parent lointaine mais retrouv e avec l ouvrage de Leiris Nuits sans nuits et quelques jours sans jour publi en 1961 Ce projet d incorporer des r cits de r ves se trouvera cependant rapidement vinc de Lieux o j ai dormi pour tre r orient vers un projet non pr vu au d part et qui a r sult dans la publication en 1973 de La Boutique obscure 124 r ves C est sans contredit dans Esp ces d espaces particuli rement dans la sous section du chapitre La chambre intitul e Fragments d un travail en cours que Perec nous livre le plus d informations au sujet de Lieux o j ai dormi Il crit propos du travail de la m moire Je garde une m moire exceptionnelle je la crois m me assez prodigieuse de tous les lieux o J ai dormi l exception de ceux de ma premi re enfance jusque vers la fin de la guerre qui se confondent tous dans la grisaille indiff renci e d un dortoir de coll ge Pour les autres il me suffit simplement lorsque je suis couch de fermer les yeux et de penser avec un minimum d application un lieu donn pour que presque instantan ment tous les d tails de la chambre l emplacement des portes et des f
14. aste ensemble autobiographique s articulant autour de quatre livres le premier de ces livres intitul Lieux et dont le programme n cessiterait douze ans pour tre men bien encadrerait les trois autres soit L Arbre un ouvrage prenant comme point de d part sa g n alogie familiale Lieux o j ai dormi un catalogue de chambres et W ou le souvenir d enfance con u alors en 1969 comme un roman d aventure n d un fantasme labor lors de sa premi re psychanalyse avec Fran oise Dolto en 194 et qui lui permettrait de raconter son enfance Nous savons maintenant que de ces quatre livres venir un seul verra le jour W ou le souvenir d enfance en 1975 apr s une gen se difficile dont Philippe Lejeune a rendu compte alors que Lieux sera abandonn apr s six ans c est dire galement en 1975 et que L Arbre et Lieux o j ai dormi seront encore inachev s au moment de la mort de l crivain en mars 1982 Comme on peut voir le vaste ensemble autobiographique pr sent Maurice Nadeau en 1969 n a pas suivi l ex cution pr vue m me si la p riode allant de 1970 1975 durant laquelle il travaille sporadiquement sur Lieux o j ai dormi est certainement le moment autobiographique le plus important de Perec En fait durant cette p riode il est loin de se consacrer uniquement l autobiographie il d veloppe les pr programmes de La Vie mode Je remercie Ela Bienenfeld ayant dro
15. ay et de celle chez Mme de Saint Loup se poursuit jusqu la prise de conscience du dormeur maintenant bien r veill et se souvenant de toutes les chambres de son pass Ces vocations tournoyantes et confuses ne duraient jamais que quelques secondes Mais j avais revu tant t l une tant t l autre des chambres que j avais habit es dans ma vie et je finissais par me les rappeler toutes dans les longues r veries qui suivaient mon r veil Le r sultat de cette anamn se est d voil dans la suite de cette phrase la premi re tr s longue phrase du roman la plus longue de Du c t de chez Swann et dont Julia Kristeva a fait une analyse grammaticale syntaxique et nonciative montrant que c est pr cis ment dans la d mesure et dans la prolif ration langagi re qu advient la repr sentation du travail de la m moire en produisant grammaticalement l uvre stylistique de la m taphore Je ne reprendrai pas les analyses de Kristeva mais Jj attire votre attention sur les sept moments de cette phrase m moire qui lorsque mis en mouvement par la lecture r ussissent tout comme un kin toscope faire d filer diff rents espaces les chambres d hiver les chambres d t la chambre Louis XVI la chambre pyramide l espace impr vu creus par la glace l espace de la pens e souffrante et finalement celui de la chambre redevenue habituelle Mais j avais revu tant t l une tant t l autre
16. cientifiques 2002 p 105 106 5 Claude Burgelin Voyages en arri re pays Litt rature et m moire aujourd hui L Inactuel n 1 automne 98 p 65 5 Paul Ric ur La M moire l Histoire l Oubli Paris Seuil coll Essais Points 2000 p 67 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 19 perecquienne infl chit donc sensiblement la pratique traditionnelle Ainsi il n est pas exag r d affirmer que Perec participe aux recherches sur les formes litt raires des nouveaux arts de la m moire l int rieur d un projet autobiographique se dessinant au fil des ann es sur fond d une absence initiale de souvenirs Perec reprend son compte l exp rience de la rem moration des chambres des premi res pages de La Recherche afin justement de se recr er une m moire et de reconqu rir une identit personnelle par et dans le travail de l criture Je rajouterais tout de m me pour terminer que cette recherche d une identit personnelle s ouvre et c est l toute son originalit sur quelque chose de convivial c est dire de partag de partageable En effet force est d admettre que le travail d inventaire des chambres et l tablissement des petits plans constitue dans leur simplicit m me un projet m moriel qui demeure de l ordre du faisable En suivant la m thode de Perec tout le monde pourrait tenter l inventaire g ographique et cartographique des chambres d
17. d amateur Revue d tudes perecquiennes 16 TROPEA 65 Italie Ao t 1965 C est une maison lou e par les Getzler avec Nous et Babette une de ses amies Nous sommes 5 adultes 6 avec G rard W qui reste 8 jours et 2 enfants La plage est assez loin tr s belle tout en bas La chambre est grande Gd grand lit au milieu carrelage volets ferm s cause de la chaleur Dessin d un plan de la chambre Nous nous entendons assez bien les uns les autres Je lis tte toute la Recherche Ne fais que a Voyage aller avec G sans s arr ter sauf quelques heures la 1 nuit pr s du Mt Blanc le tunnel tant ferm la nuit Retour en train P nible Le lever du jour Caf bon et chaud dans des petites tasses Pise La m re de P est malade Les choses publi es et trouv es au retour J ai peine travaill un peu Un homme qui dort dt dont le titre est au d but de Proust 23h Dimanche Rue de Seine 13 9 70 Comme on voit cette br ve esquisse compos e surtout de phrases br ves et d nonc s noyaux r ussit tout de m me montrer comment partir de l vocation d un lieu pr cis Perec met en branle une machina memorialis g n rant les sc narios de micro r cits autobiographiques Ainsi quand Perec affirme dans Esp ces d espaces que la chambre fonctionne chez lui comme une madeleine proustienne il ne faut pas comprendre qu il partage avec Proust la probl matique de la cr
18. des chambres que j avais habit es dans ma vie et je finissais pas me les rappeler toutes dans les longues r veries qui suivait mon r veil 1 chambres d hiver o quand on est couch on se blottit la t te dans un nid 7 Marcel Proust op cit p 6 8 Marcel Proust op cit p 71 Julia Kristeva Le Temps sensible Proust et l exp rience litt raire Paris Gallimard coll Nrf essais 1994 p 354 C est Kristeva qui souligne Toute la section Le Kin toscope des sept chambres ench ssements et intermittences est consacr e l analyse de cette phrase p 341 355 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 9 qu on tresse avec les choses les plus disparates un coin d oreiller le haut des couvertures un bout de ch le le bord du lit et un num ro des D bats roses qu on finit par cimenter ensemble selon la technique des oiseaux en s y appuyant ind finiment o par un temps glacial le plaisir qu on go te est de se sentir s par du dehors comme l hirondelle de mer qui a son nid au fond d un souterrain dans la chaleur de la terre et o le feu tant entretenu toute la nuit dans la chemin e on dort dans un grand manteau d air chaud et fumeux travers des lueurs des tisons qui se rallument sorte d impalpable alc ve de chaude caverne creus e au sein de la chambre m me zone ardente et mobile en ses contours thermiques a r e de souffles qui nous rafra chissent la f
19. e son pass Dans cette optique Lieux o j ai dormi serait pour reprendre l expression que Philippe Lejeune a utilis pour Je me souviens comme une petite madeleine pour tous 55 Christelle Reggiani Rh torique de la contrainte Georges Perec L Oulipo Saint Pierre du Mont ditions Inter Universitaires Eur dit 1999 p 242 D ailleurs dans Suite l h tel Christal paru au Seuil en 2004 Olivier Rolin reprend explicitement le projet perecquien de Lieux o j ai dormi pour l adapter son projet romanesque la description minutieuse d une s rie de chambres d h tel donnant lieux des r cits souvent rocambolesques
20. en se de l pisode de la r verie des chambres ont d voil de nombreuses r critures d s les cahiers de Contre Sainte Beuve lesquels sont devenus les cahiers de La Recherche De 1908 1913 les multiples versions de l pisode se sont succ d se modifiant peu peu dans un mouvement non lin aire tout d abord dans une phase d expansion d inflation et de dissociation et ensuite dans une phase de concentration et de synth tisation qui a abouti la tr s longue phrase cit e plus haut La productivit textuelle de l pisode des chambres de Proust est ind niable Motif important du roman la chambre en est aussi un l ment structurel puisque en plus d ouvrir le r cit elle vient r guli rement le relancer Combray Paris durant l enfance Donci res Balbec Paris dans l H tel de Guermantes Venise enfin Tansonville au ch teau de R veillon Comme le dit Roland Barthes T oute La Recherche du temps perdu se donne comme un branlement par ondes largissantes du souvenir des chambres Du c t de chez Perec la m thode de travail est tr s diff rente ne serait ce que parce qu il n crit pas au lit et la m moire s est affermi quelque temps dans un travail pr paratoire syst matique avant de s engager dans celui de la r daction En fait pour Lieux o j ai dormi Perec n a pas proprement parler d passer le stade du travail pr paratoire et les quelque
21. en tres la disposition des meubles me reviennent en m moire pour que plus pr cis ment encore je ressente la sensation presque physique d tre nouveau couch dans cette chambre En fort contraste avec l amn sie fondatrice du r cit de W ou le souvenir d enfance se d ploie ici une hypermn sie des chambres rem mor es Perec qualifie m me sa m moire 6 Georges Perec op cit p 60 7 Ce programme intitul Auto portrait se trouve dans le fonds priv Georges Perec folio 119 12 il n est pas dat mais Philippe Lejeune croit qu il aurait vraisemblablement t r dig entre 1961 et 1964 op cit p 30 8 Georges Perec op cit p 61 Georges Perec op cit p 31 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 4 d exceptionnelle et de prodigieuse Or on sait que le mouvement de balancier entre amn sie et hypermn sie passant d une m moire d faillante une m moire aux comp tences tonnantes voire exceptionnelles est caract ristique de la conception et du fonctionnement de la m moire perecquienne Comme le dit Claude Burgelin Il y a comme une extraordinaire d fiance l gard de la m moire chez cet hypermn sique La m moire est en effet pour Perec une mauvaise m re incapable d assurer sa fonction protectrice et rassurante une ma tresse d erreur et de fausset et cons quemment chez lui les souvenirs sont tous ga
22. eux de sommeil tunisiens La M moire des lieux dans l uvre de Georges Perec Actes du colloque international de Tunis 17 20 f vrier 2003 sous la direction de Raba Abdelkefi Tunis Les ditions Sahar 2009 p 41 60 Georges Perec Esp ces d espaces Paris Galil e 1974 p 34 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 2 l archive des papiers personnels de Georges Perec d pos e la Biblioth que de l Arsenal contient des traces du travail accompli Philippe Lejeune a fait des travaux de recherche importants dans cette archive travaux qui se sont tal s sur plusieurs ann es et dont il a rendu compte dans La M moire et l Oblique Dans cet ouvrage Lejeune dans une longue introduction qu il intitule Dire l indicible d crit l ensemble des travaux autobiographiques de Perec autant publi s qu in dits pour ensuite dans trois chapitres distincts faire une analyse plus pouss e de la gen se de W ou le souvenir d enfance de Lieux et de Je me souviens En pr sentant le grand chantier autobiograhique perecquien 1l a bien s r parl du projet Lieux o j ai dormi sans cependant en faire une pr sentation et une analyse d taill e C est ce que je me propose de faire Le travail de la m moire Dans la lettre que Georges Perec envoie son diteur Maurice Nadeau en juillet 1969 il lui annonce alors son programme de travail pour les ann es venir en le pr sentant comme un v
23. igure et viennent des angles des parties voisines de la fen tre ou loign es du foyer et qui sont refroidies 2 chambres d t o l on aime tre uni la nuit ti de o le clair de lune appuy aux volets entr ouverts jette jusqu au pied du lit son chelle enchant e o on dort presque en plein air comme la m sange balanc e par la brise la pointe d un rayon parfois 3 la chambre Louis XVI si gaie que m me le premier soir je n y avais pas t trop malheureux et o les colonnettes qui soutenaient l g rement le plafond s cartaient avec tant de gr ce pour montrer et r server la place du lit parfois au contraire 4 celle petite et si lev e de plafond creus e en forme de pyramide dans la hauteur de deux tages et partiellement rev tue d acajou o d s la premi re seconde j avais t intoxiqu moralement par l odeur inconnue du v tivier convaincu de l hostilit des rideaux violets et de l insolente indiff rence de la pendule qui jacassait tout haut comme si je n eusse pas t l 5 o une trange et impitoyable glace quadrangulaire barrant obliquement un des angles de la pi ce se creusait vif dans la douce pl nitude de mon champ visuel accoutum un emplacement qui n tait pas pr vu 6 o ma pens e s effor ant pendant des heures de se disloquer de s tirer en hauteur pour prendre exactement la forme de la chambre et arriver remplir jusqu
24. is abandonn Lieux o j ai dormi comme il lavait fait pourle projet Lieux en 1975 et il continuera l inclure dans ses programmes de travail pour les ann es venir Somme toute Lieux o j ai dormi n a pas pris c est dire qu il n a pas trouv la structure pouvant faire tenir l uvre et en faciliter l criture En effet ne demeurent dans le dossier d archive que des bauches et des esquisses de textualisation quelques essais de mise en texte sur des feuilles de format divers de m me qu un ensemble de dix esquisses r dactionnelles ayant toutes t r dig es sur des petits bristols quadrill s de 12 5 cm X 7 5 cm et dat es de 1970 et de 1972 Un de ces bristols se lit comme suit sur ses deux faces B Georges Perec Pierre Lusson et Jacques Roubaud Petit trait invitant la d couverte de l art subtil du go Paris Christian Bourgois 1969 p 13 4 Sur la question de la cartographie dans l uvre de Georges Perec voir Jean Luc Joly Connaissance du monde multiplicit exhaustivit totalit dans l uvre de Georges Perec th se de doctorat sous la direction de Bernard Magn Universit Toulouse Le Mirail 2004 45 Le 30 mars 1975 est la date du brouillon le plus tardif qui se trouve dans le dossier 4 Ces expressions sont de Roland Barthes Il les utilise dans un article sur Proust a prend Magazine litt raire n 144 1979 p 26 27 Le Cabinet
25. it de l crivain de m avoir donn la permission de consulter ces documents in dits d en pr senter une description sommaire et d en citer certaines parties Philippe Lejeune La M moire et l Oblique Georges Perec autobiographe Paris P O L 1991 3 Georges Perec Lettre Maurice Nadeau Je suis n Paris Seuil 1990 p 58 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 3 d emploi il crit co r alise et participe au montage du film d Un homme qui dort avec Bernard Queysanne il r dige et publie Esp ces d espaces il participe avec Jean Duvignaud et Paul Virilio Cause commune et ce toujours en continuant de travailler comme documentaliste On sait aussi que c est aussi durant cette p riode c est dire de 1971 1975 que l crivain fait une psychanalyse avec Jean Bertrand Pontalis propos de Lieux o j ai dormi Perec pr cise dans la m me lettre Maurice Nadeau que c est un projet tr s ancien La date d origine est difficile d terminer mais il avait d j mentionn un projet intitul Lieux o J ai couch dans un programme de travail du d but des ann es soixante En 1969 il d crit le projet en ces termes Lieux o j ai dormi va tre un catalogue de chambres dont l vocation minutieuse et celle des souvenirs s y rapportant esquissera une sorte d autobiographie vesp rale Un mod le lointain d un tel livre pourrait tre fourni par
26. itique de l intelligence et une croyance en l h g monie de la m moire involontaire mais bien plut t que la chambre perecquienne comme la forme en expansion de la coquille Saint Jacques qui moule le petit g teau ressuscite par m tonymie tout le contexte spatio temporel allouant l ouverture des r cits bien au del des limites de la chambre rem mor e et permettant Perec de recueillir une suite de micro souvenirs sur les choses les gens et les lectures de son pass La lecture de l ensemble des esquisses et des bauches de m me que des quelques textes publi s mettent cependant bien en vidence que d s lors que se mettent en place les pi ges de l criture la m moire perecquienne abandonne son exaltation proustienne M me si des v nement importants et essentiels sont parfois voqu s le r sultat du travail m moriel accumule surtout des bribes de souvenirs des fragments du pass des d tails anodins fugaces banals et du coup participe une pratique de l criture du quotidien que Perec a nomm 41 Fonds priv Georges Perec folios 48 6 2 14 r et 48 6 2 14 v Un fac simil de ce bristol est reproduit dans Jacques Neefs et Hans Hartje Georges Perec Images Seuil 1993 p 66 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 17 l infra ordinaire Qui plus est les souvenirs sont souvent imparfaits incomplets et le discours utilis pour en rendre compte est fr quemment modalis
27. le de la sensation Perec reste riv une m moire de cartographe s che dira t on emplie l envi de ces nonc s qu a impos s le savoir socialis et qui font le fonds des dictionnaires Mais cette g ographie aux relev s erratiques il la transforme en espace ludique retrouvant ainsi dans les jeux obsessionnels et chahuteurs avec les outils de m moire quelque chose d une enfance En guise de conclusion je dirai que le travail pr r dactionnel pour le projet Lieux o j ai dormi avec ses outils aide m moire comme la liste inventaire et les plans sugg re la pratique d une m moire artificielle d une m moire exerc e pour reprendre l expression de Paul Ric ur Christelle Reggiani a bien mis en vidence les liens du travail m moriel chez Perec avec la tradition antique et m di vale des arts de la m moire par exemple dans la pratique d une m moire architecturale tout en faisant ressortir l originalit des strat gies perecquiennes par exemple dans l utilisation de la liste inventaire Or l art de la m moire que recherche Perec prend sens au sein d une d marche autobiographique L Jorientation 5 Marthe Coppel Batsch Les ressources du cr puscule Georges Perec Marcel Proust et la psychanalyse Babel Psychanalyse et litt rature sous la direction de M Corcos P L vy Soussan et E Sabouret Paris EDK ditions m dicales et s
28. lque chose d inusit chez Perec Le plan de l immeuble de La Vie mode d emploi labor e partir d une grille de dix cases par dix cases est maintenant c l bre Moins connue peut tre est l utilisation fr quente par Perec de petits plans du genre de ceux de Lieux o j ai dormi Phillipe Lejeune en a remarqu la pr sence dans les brouillons du projet Lieux et dans les carnets ayant servi Perec noter ses r ves on m a dit qu il y en avait dans les brouillons de 53 jours et j en ai moi m me remarqu quelques uns dans les agendas de m me que dans les brouillons de La Vie mode d emploi Perec n est d ailleurs pas le seul crivain avoir utiliser des plans pour la gen se de ses uvres on pense Victor Hugo dans ses carnets de voyage Stendhal dans les manuscrits de La Vie d Henry Brulard ou mile Zola dans le dossier pr paratoire des Rougon Macquart part la publication de quelques chambres en 1977 et 1978 Perec n a pas travaill sur Lieux o j ai dormi au del de mars 1975 la fin de cette ann e il d bute la r daction de La Vie mode d emploi un projet qui d une mani re oblique et d tourn e reprend certaines des strat gies de cette autobiographie vesp rale puisque l immeuble de la rue Simon Crubellier n inclut pas moins d une trentaine de chambres dont les descriptions minutieuses s ouvrent sur une prolif ration narrative Et pourtant Perec n a jama
29. mbre de Rock il est incontestable que tous les sens sont convoqu s Les souvenirs s accrochent l troitesse de cette chambre l cret tenace de ce th trop fort et trop froid cet t l j ai bu des pinks rasades de gin agr ment es d une goutte d angustura j ai flirt plut t infructueusement avec la fille d un filateur r cemment rentr d Alexandrie j ai d cid de devenir crivain je me suis acharn jouer sur des harmoniums de campagne le seul air que j ai jamais r ussi apprendre les 54 premi res notes la main droite la gauche recon ant le plus souvent suivre d un pr lude de Jean S bastien Bach L affirmation jubilante d une hypermn sie corporelle peut toutefois s expliquer par le fait que Perec situe Lieux o j ai dormi sous l gide de Marcel Proust D j en 1969 Perec crit Maurice Nadeau que le projet part comme Un homme qui dort des premiers paragraphes de la Recherche du temps perdu cette poque Perec avait d j publi en 1967 le roman Un homme qui dort dont le titre est une citation provenant des premi res pages de La Recherche 9 Bernard Magn op cit p 115 20 Georges Perec Vilin souvenir Genesis n 1 1992 p 136 21 Andr e Chauvin Le on litt raire sur W ou le souvenir d enfance de Georges Perec Paris PUF 1997 p 38 7 Georges Perec op cit p 33 Georges Perec op cit p 60
30. ment m me o sa description spatiale ne tient plus la route La seule certitude coenesth sique de mon corps dans le lit la seule certitude topographique du lit dans la chambre r active ma m moire lui donne une acuit une pr cision qu elle n a presque jamais autrement Comme un mot ramen d un r ve restitue peine crit tout un souvenir de ce r ve ici le seul fait de savoir sans presque m me avoir eu besoin de le chercher simplement en s tant tendu quelques instants et en ayant ferm les yeux que le mur tait ma droite la porte c t de moi gauche en levant le bras je pouvais toucher la poign e la fen tre en face fait surgir instantan ment et p le m le un flot de d tails dont la vivacit me laisse pantois Cette mobilit des indices de localisation dans l espace ce basculement soudain de la chambre sur un axe de 180 peuvent tre imput s la gaucherie contrari e de Perec ayant r sult chez lui selon ce qu il en dit dans W ou le souvenir d enfance en une incapacit peu pr s chronique et toujours aussi vive distinguer la droite de la gauche Peut tre mais comme l a montr Bernard Magn sur ou derri re l cran de la gaucherie contrari e c est une tout autre sc ne qui se joue dans l inscription crypt e de l autobiograph me ou de l aencrage de la sym trie bilat rale En effet depuis plusieurs ann es d une lectu
31. n Michaud Mailland et Raymond Bellour afin de faire des rep rages Sfax et travailler un sc nario en vue d un projet d adaptation filmique de son roman Les Choses durant ce voyage Perec participe la remise du prix des Quatre Jurys Hammamet e le quatri me en d cembre 1972 afin de mettre sur pied le financement pour le projet d adaptation cin matographique d Un homme qui dort e le cinqui me en septembre 1973 pour faire le montage avec Bernard Queysanne d Un homme qui dort dans des studios Gammarth ils avaient lou une villa La Marsa e le sixi me au cours de 1974 pour assister la projection publique d Un homme qui dort et pour participer en tant que membre du jury au festival de films de Carthage e et le septi me s jour en ao t 1981 pour assister au mariage de ses amis Kmar Bandana et de Noureddine Mechri Hamman Lif Comme je lai dit cette pr sentation chronologique ne fait que mettre en vidence le peu d importance accord e la chronologie dans la liste tablie par Perec Les entr es de la liste pour la p riode ant rieure 1970 sont les suivantes Tunis H tel 7 Hilton chez Zghal chez Hammadi 36 Pour la biographie de Perec voir David Bellos Georges Perec Une vie dans les mots Paris Seuil 1994 et Paulette Perec Chronique de la vie de Georges Perec Portrait s de Georges Perec Paris Biblioth que nationale de France 2001 p 1
32. nne La m re de Pierre avait disparu dans une chambre gaz Sous toutes ces chambres vides qu il n en finissait pas de remplir il y avait cette chambre l Sous tous ces noms le sans nom Sous toutes ces reliques une m re perdue sans laisser la moindre trace l origine des chambres de Proust il y a le souvenir de la pr sence maternelle les premi res versions de la r verie des chambres d voilent un tissu dense de souvenirs personnels et dans un moment autobiographique vite abandonn Proust se rappelle certaines chambres de son enfance dont une chambre en Bretagne o parce que souffrant Maman tait venue dormir avec lui l origine des chambres de Perec il y a la chambre o a t an antie la m re la chambre de mort d Auschwitz Chez Perec la reconstruction des lieux de m moire est confront e au blanc initial du souvenir d enfance et quand il affirme au sujet de Lieux o j ai dormi qu il se souvient des chambres de son pass l exception de celles de sa premi re 8 Voir Georges Perec Approche de quoi L infra ordinaire Paris Seuil coll Textes du XX si cle 1989 p 9 13 Claude Burgelin op cit p 73 50 J B Pontalis L Amour des commencements 1986 Paris Gallimard coll Folio 1994 p 171 5 Fonds Marcel Proust Biblioth que nationale de France cahier 3 folio 4 r Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 18
33. nuits de garde h pitaux et cliniques nuits dans un poste de police Trace d un travail de rem moration la liste a vraisemblablement pu devenir par la suite un outil de m morisation en enclenchant volont l acte du ressouvenir le m moris y tant organis en des s ries pouvant d filer et s encha ner Pour mieux percevoir l organisation de cette liste attardons nous au cas de la Tunisie seul pays d Afrique mentionn et qui est apr s la France celui que Georges Perec avait le plus souvent visit Georges Perec op cit p 34 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 12 Selon ses biographes Perec aurait fait au moins sept s jours en Tunisie J num re ces s jours chronologiquement afin que de pouvoir mettre ensuite en vidence comment la liste inventaire de Lieux o j ai dormi n est par organis e selon une logique temporelle mais spatiale e Le premier s jour d une dur e de huit mois de la fin octobre 1960 au mois de juin 1961 avec Paulette Perec Sfax o elle avait obtenu un poste de professeur adjoint de fran ais au Coll ge technique ils vivent sur la rue Larbi Zarouk et font un peu de tourisme travers le pays e le deuxi me s jour en 1963 pour des vacances avec Paulette Perec afin d utiliser sur place le salaire que le Coll ge technique lui devait encore ils s journeront entre autres Kerkenna e le troisi me en f vrier et mars 1966 avec Jea
34. oi Bulletin Marcel Proust n 49 1999 p 91 105 Manet Van Montfrans avait aussi discut des rapports entre Perec et Proust lors de sa communication au s minaire Georges Perec le 16 juin 2001 2 Georges Perec op cit p 34 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 8 texte de Proust pr sentent en effet le h ros narrateur qui ne sait plus o il se trouve dans les moments pr c dant son r veil et dont le corps se souvient de certaines chambres de son pass Mon corps trop engourdi pour remuer cherchait d apr s la forme de sa fatigue rep rer la position de ses membres pour en induire la direction du mur la place des meubles pour reconstruire et pour nommer la demeure o il se trouvait Sa m moire la m moire de ses c tes de ses genoux de ses paules lui pr sentait successivement plusieurs des chambres o il avait dormi tandis qu autour de lui les murs invisibles changeant de place selon la forme de la pi ce imagin e tourbillonnaient dans les t n bres Et avant m me que ma pens e qui h sitait au seuil des temps et des formes e t identifi le logis en rapprochant les circonstances lui mon corps se rappelait pour chacun le genre du lit la place des portes la prise de jour des fen tres l existence d un couloir avec la pens e que j avais en m y endormant et que je retrouvais au r veil La rem moration la fois corporelle et topographique de la chambre de Combr
35. rds des tra tres pr ts toutes les manipulations Le r cit du souvenir de la chambre de Rock en Cornouaille o Perec a pass l t de 1954 et qui est incorpor en tant qu exemple cette section d Esp ces d espace montre bien ce voisinage entre hypermn sie et amn sie Ainsi la description de la petite pi ce o Perec vivait durant son s jour anglais l ge de dix huit ans juste apr s avoir r ussi le bac accumule les d tails spatiaux Lorsque l on ouvre la porte le lit est presque tout de suite gauche C est un lit tr s troit et la chambre aussi est tr s troite quelques centim tres pr s la largeur du lit plus la largeur de la porte soit gu re plus d un m tre cinquante et elle n est pas beaucoup plus longue que large Dans le prolongement du lit il y a une petite armoire penderie Tout au fond une fen tre guillotine La suite de la description perd cependant de son assurance et l on remarque qu elle est de plus en plus modalis e dans une remise en question de l exactitude du souvenir droite une table de toilette dessus de marbre avec une cuvette et un pot d eau dont je ne crois pas m tre beaucoup servis Je suis presque s r qu il y avait une reproduction encadr e sur le m r de gauche en face du lit non pas n importe quel chromo mais peut tre un Renoir ou un Sisley Il y avait du linol um sur le sol Il n y avait ni table ni fauteuil
36. re tr s attentive de toute l uvre perecquienne les travaux de Bernard Magn ont mis au jour un encryptage autobiographique dans les textes de Perec un esp ce de marquage secret qui en m me temps et d un m me geste organiseraient les structures de l uvre et diraient de mani re indirecte oblique inattendue mais incontestable l histoire de l crivain Si on accepte les hypoth ses de Magn l inversion sym trique de l espace de la chambre de Rock ne serait plus simplement une cons quence de la gaucherie contrari e de Perec mais bien un encryptage autobiographique de la juda t de l crivain Or comme le pr cise Bernard Magn c est bien dans le contexte d une lecture du texte et de l ensemble de l uvre et non dans 14 Georges Perec op cit p 33 5 Georges Perec op cit p 33 C est moi qui souligne 16 Georges Perec W ou le souvenir d enfance Paris Gallimard 1975 p 184 et 185 1 Bernard Magn Georges Perec Paris Nathan Universit coll 128 1999 p 84 8 Magn op cit pri re d ins rer Pour une lecture des autobiograph mes dans les fragments publi s de Lieux o j ai dormi se r f rer la section que Wilfrid Mazzorato consacre ce projet dans sa th se crire des traces L criture autobiographique de Georges Perec sous la direction de Bernard Magn Universit de Toulouse Le Mirail 1998 Au sujet de la lat ralit dans les uvre
37. s Pierre Marc de Biasi La G n tique des textes Paris Nathan Universit coll 128 2000 p 32 33 3 Voir Bernard Brun Le dormeur veill gen se d un roman de la m moire Cahier Marcel Proust 11 tudes proustiennes IV Paris Gallimard 1981 p 241 316 et Jean Milly tudes g n tiques de la r verie des chambres dans l Ouverture de la Recherche Bulletin d informations proustiennes n 10 1979 p 9 22 et Bulletin d informations proustiennes n 11 1980 p 9 29 Pour une analyse des variations nonciatives dans ces r critures voir Almuth Gr sillon Jean Louis Lebrave et Catherine Viollet Proust la lettre Les intermittences de l criture Tusson Du L rot 1990 Roland Barthes La Pr paration du roman I et II Cours au Coll ge de France 1978 1979 et 1979 1980 texte tabli annot et pr sent par Nathalie L ger Paris Seuil Imec coll traces crites 2003 p 304 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 11 textes publi s de son vivant sont les seuls ayant r ellement t men s terme Ce qui m am ne parler du dossier g n tique L archive Le dossier g n tique de Lieux o j ai dormi qui nous est parvenu contient un peu plus de cinquante feuillets Malgr le d sordre relatif dans lequel se trouve ce dossier 1l est possible et m me assez facile de l organiser selon une classification typologique qui r ussit inclure et
38. s de Perec voir Andy Leak Some ramifications of the theme of laterality in the work of Georges Perec Nottingham French Studies n 40 2 2001 p 46 58 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 6 l analyse exclusive de ses avant textes qu est possible une telle interpr tation L es ncrages leur r currence et leurs relations sont le produit d une lecture Ils ne rel vent pas d une quelconque g n tique m me s il peut arriver c est le cas ici que leur pertinence soit confort e par le recours aux manuscrits Comme Perec l a si bien dit dans un brouillon du projet Lieux M a seule tradition ma seule m moire mon seul lieu est rh torique gt Proust un mod le Si l affirmation d une m moire exceptionnelle et prodigieuse qui s av re dans l criture tre menac e par des incertitudes des erreurs des approximations et des manques peut surprendre il en va de m me de l importance que dit accorder Perec au corps de m moire au corps lit pour reprendre l expression qu il utilise dans Un homme qui dort Ce corps lit contraste fortement encore une fois avec le travail m moriel de W ou le souvenir d enfance dans lequel comme l a remarqu tr s pertinemment Andr e Chauvin fort peu de souvenirs voqu s par Perec ont une qualit sensorielle Et pourtant quand on lit dans Esp ces d espace les souvenirs suscit s par la cha
39. t p 7 et 8 C est moi qui souligne et commente 31 Almuth Gr sillon l ments de critique g n tique Lire les manuscrits modernes Paris Presses universitaires de France 1994 p 102 Les termes avaient d j t propos s par Louis Hay dans son article La troisi me dimension de la litt rature Texte n 5 6 1986 1987 p 313 328 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 10 acception plus large au terme processus Au del de ces variances terminologiques la diff rence demeure tranch e et des plus op ratoires pour une comparaison des m thodes de travail de Perec et de Proust Dans l criture processus ou structuration r dactionnelle tout s accomplit dans le travail de r daction puisqu il n y a pas d tape pr paratoire Ainsi dans le cas particulier de l pisode de la r verie des chambres de La Recherche le travail m moriel mis en sc ne est d s ses tous premiers balbutiements mis en texte sans qu il n y ait eu de plans ou de sc narios pr alables Dans l criture programme ou programmation sc narique la r daction comme telle du texte se r alise en relation avec un programme pr tabli C est la mani re perecquienne pour Lieux o j ai dormi puisque un travail m moriel pr cis et d taill de m me qu une planification sc narique pr c dent organisent et anticipent le travail de r daction Du c t de chez Proust les chercheurs qui ont analys la g
40. te de typologie des chambres coucher Il poursuit en proposant des exemples possibles de cat gories pour cette classification typologique mes chambres dortoirs et chambr es chambres amies chambres d amis couchage de fortune maison de campagne villas de location chambres d h tel conditions inhabituelles C est une des caract ristiques et des avantages de la liste de permettre la r organisation de ses l ments selon diff rentes cat gories Car si l organisation g ographique avait facilit le travail de la m moire cette organisation pouvait facilement tre repens e en vue de la structuration g n rale du livre venir Dans Esp ces d espaces Perec nous informe qu ce moment c est dire en 1974 il n aurait pratiquement pas commenc d crire les diff rents lieux o il avait dormi Le dossier d archive confirme ceci en incluant tr s peu de descriptions abouties leur place se retrouvent dans le dossier pas moins de vingt neuf plans la plupart dessin s dans deux petits carnets grenats de 10 X 12 5 cm mais 1l y en a aussi quelques uns qui font partie des esquisses r dactionnelles Les lieux voqu s se r duisent ainsi quelques lignes trac es rapidement et accompagn es le plus souvent d une simple l gende num rot e sans aucun effet d ombre de d grad de perspective ou de couleurs Esth tiquement ces croquis n

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