L`objet au théâtre avant le théâtre d`objets
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1. Think when we talk of horses that you see them Printing their proud hoofs i the receiving earth For tis your thoughts that now must deck our kings Carry them here and there Dans ce passage fameux de Henry V Shakespeare ins re dans son texte m me les modalit s de sa r ception le po te tragique ne le fait jamais de mani re aussi directe mais il n emp che que ces deux dramaturges usent des si cles d intervalle de proc d s et de ressources comparables le pouvoir du verbe stimuler l imagination des spectateurs et susciter en eux des images mentales qui dans leur virtualit m me sont indissociablement li es la repr sentation de la fable TAg v 1492 1516 78Ag v 1492 et 1580 peploi tiss s par les rinyes Cho v 494 SCho v 1015 814g v 1114 1116 cf Fraenkel ad Ag 1116 Il rejette pourtant l hypoth se d une interpolation du texte cet endroit William Shakespeare Henri V prologue dramatique L hybridation de l objet dans le th tre d Eschyle repose sur cette confiance mise dans le spectateur compl ter la repr sentation concr te par la projection des images de son th tre int rieur Et puisque nous bondissons d Eschyle Shakespeare nous sommes tent e de franchir une tendue de temps encore plus vaste le lecteur sera seul juge de la valeur heuristique de ces comparaisons d lib r ment anachroniques propos des pra2. L objet au th tre avant le th tre d objets dramaturgie et po tique de l objet hybride dans les trag dies d Eschyle Anne Sophie Noel Dans cet article nous discutons de la d finition moderne de l objet th tral et questionnons la possibilit d une approche comparatiste juxtaposant l uvre du po te antique et les pratiques les plus contemporaines de l objet travers le cas de trois groupes d objets hybrides apparaissant dans les pi ces conserv es d Eschyle des points de contact apparents sont mis en vidence telles que la manipulation de l objet par le biais du pouvoir cr ateur des mots et la repr sentation des fronti res mouvantes entre anim et inanim Attentive restituer la sp cificit historique du th tre d Eschyle nous repla ons toutefois les pratiques de l objet observ es dans le cadre de projets th traux singuliers ancr s dans des contextes pr cis le sens antique de l uvre d Eschyle nous est il toujours accessible Peut il enrichir notre perception des enjeux contenus dans l utilisation de l objet en sc ne Que le th tre d objets appartienne la modernit les t moignages recueillis dans ce dossier ne nous permettent pas d en douter Pour l artiste Christian Carrignon inventeur de l expression il est le rejeton du cin ma et de la bande dessin e et s ancre dans notre poque de grandeur et de d cadence de la soci t
3. de consommation Il se situe en rupture avec le th tre d avant savoir le th tre texte en ce qu il institue un langage nouveau qui emprunte davantage aux arts plastiques sa g n alogie est retracer du c t de Paul Klee des surr alistes et de Marcel Duchamp qu au th tre dit r gulier Parmi les gens de th tre Jerzy Voir Christian Carrignon Le th tre d objet En ligne http www theatredecuisine com dyn rubrique php3 id rubrique 63 consult le 16 f vrier 2011 p 1 Christian Carrignon Le th tre d objet mode d emploi Ag n En ligne Dossiers N 4 L objet Le jeu et l objet dossier artistique mis jour le 08 01 2012 URL http agon ens lyon fr agon index php id 2079 Chistian Carrignon Le th tre d objet mode d emploi op cit Sur ce point voir Jean Luc Matt oli L objet pauvre dans le th tre contemporain Images re vues n 4 2007 http www imagesrevues org Article Archive php id article 25 L objet pauvre M moire et quotidien sur les sc nes contemporaines fran aises collection Le Spectaculaire Presses universitaires de Rennes 2011 Dans ce dossier voir galement Didier Plassard Entre l homme et la chose Ag n En ligne Dossiers N 4 L objet Enqu te parole de praticiens parole Grotowski et surtout Tadeusz Kantor qui fit dialoguer dans sa pratique th tre et arts plastiques so
4. fait les frais des moqueries de Kratos qui r cuse la justesse de son nom Par l action surnaturelle de Kratos et Bia les objets deviennent les auxiliaires d un supplice in dit la puissance cr atrice de l outil est d prav e il devient un agent d oppression anim par des forces ext rieures malfaisantes symbole du pouvoir excessif qui caract rise le r gne de Zeus son commencement tel qu Eschyle le d peint dans ce drame Dans ce court prologue le po te met en place une inversion minutieuse des rapports de force attendus l H pha stos qu il met en sc ne n est plus l artisan habile et trompeur qui au chant VIII de l Odyss e prend dans les mailles de son filet inextricable les amants adult res Aphrodite et Ar s C est un H pha stos qui ploie sous la contrainte de Zeus laquelle nul ne peut se soustraire devenu lui m me instrument sous la f rule de Kratos et Bia Il est d poss d de son emprise sur ses propres outils qui d finissent pourtant le lot qui est le sien dans la soci t des dieux un comble pour l artisan par excellence ma tre des m taux forgeur des armes invincibles d Achille dans l liade capable m me d insuffler de la vie dans la mati re inerte les tr pieds qu il fabrique sont des automatoi qui vont seuls l assembl e des dieux sur leurs trois pieds pour se mouvoir le dieu boiteux s est PE v 12 15 PE v 71 74 SPE v 85 87 C
5. photo Alain Fonteray coll Th tre de l Od on photo de r p tition Les deux objets se refl tent galement dans la robe de m me couleur que porte Clytemnestre ce qui nous semble relever galement d une lecture fine du texte d Eschyle au vu de l assimilation qui y est faite entre la femme et l objet comme nous le verrons au point suivant Les textiles manipul s ou port s par Clytemnestre cr ent par ailleurs un cho visuel avec le fant me d Iphig nie enti rement v tu de rouge qu Olivier Py fait appara tre dans cette sc ne cette fille victime d un sacrifice perverti qu expie Agamemnon en mourant son tour sous les coups de son pouse Les choix sc niques effectu s par un metteur en sc ne quel qu il soit figent n cessairement dans une forme l informe du v tement filet de Clytemnestre moins de ne pas le repr senter au risque de perdre un aspect essentiel de cet objet savoir son caract re spectaculaire que lui conf re notamment sa couleur pourpre intense et puissamment vocatrice pour les Grecs comme pour nous de la richesse et du luxe th matiques centrales de l Orestie comme de la couleur du sang Il nous semble pourtant que le foisonnement des d nominations de l objet visent pr cis ment jouer contre le caract re d finitif de ce qui est mis sous les yeux des spectateurs les noms h t roclites donn s l objet au moment de son apparition ont pour
6. avec sa connotation d l ment secondaire fera place au terme d objet En lib rant l accessoire de ses obligations utilitaires le metteur en sc ne moderne invente l objet devenu pierre angulaire des parti pris esth tiques qu il adopte Ils les metteurs en sc ne ont tout pouvoir pour remplacer un objet inscrit dans le texte par un autre un d cor par un autre quitte parfois supprimer l objet ou rendre plus abstrait le d cor On notera que le th tre moderne joue de mani re bien plus nette sur les objets en s cartant du mode utilitaire il est de plus en plus rare qu il ne soit qu accessoire pour explorer les croisements de son double statut r el sc nique dans le lieu de la sc ne et virtuel symbolique dans l espace dramatique ou dans l espace de la performance Georges Banu aura d ailleurs not que l on distingue de plus en plus les diff rents courants de mise en sc ne par les modalit s de traitement des objets qui cessent d appara tre comme des l ments secondaires Aujourd hui l objet fait partie du projet global de repr sentation Les marqueurs temporels qui accompagnent ces jugements sont sans appel ils inscrivent l mergence de l objet dans un pr sent mancip du pass mesure que l objet signifiant semble remplacer l accessoire de chercheurs parole de spectateurs mis jour le 19 12 2011 URL http agon ens lyon fr ago
7. 418 et suivant 4 Sup v 20 23 Sur l usage des rameaux suppliants entour s de laine voir H rodote V 51 VII 141 D mosth ne Sur la couronne 107 Tite Live 29 16 6 Plutarque Th s e 18 1 4 Selon H rodote II 81 1 en Egypte la laine est interdite des enceintes sacr es les Dana des r v leraient donc leur connaissance des usages grecs en adoptant le rameau entour de laine comme le constate P lasgos aux vers 241 243 Pour d autres usages tragiques du rameau suppliant voir Eschyle Cho phores v 1034 sq Eum nides v 39 sq Sophocle dipe Roi v 3 143 dipe Colone v 483 484 Euripide Suppliantes v 470 sq Andromaque v 894 Sur l utilisation des rameaux dans l acte de supplication hikesia voir ThesCRA The J Paul Getty Museum Los Angeles 2005 vol III p 197 Ezio Pellizer sugg re que le rameau suppliant fonctionne comme un pith te figuratif ou un pith te iconique epiteto figurativo o iconico qui caract rise d embl e le statut du suppliant Pour une repr sentation iconographique des Dana des munies de rameaux voir amphore apulienne Leningrad Hermitage B1705 dat autour du troisi me quart du TV si cle av J C crat re volutes de Ruvo Mus e de Jatta J 414 dat autour du troisi me quart du IVe si cle av J C cf LIMC s v Danaids 1 et 2 Louis Gernet Anthropologie de la Gr ce antique Fran ois Maspero Pari
8. est bien tort que les dieux t appellent Prom th e trouve ailleurs qui te promette de te d gager ces n uds savants traduction Paul Mazon dition de la CUF Les Belles Lettres Paris 1966 Paul Mazon traduit la juxtaposition du nom Prom th e et de l adverbe qui en est tir prom the s de fa on pr voyante par le jeu de mots entre le nom de Prom th e et le verbe promettre 38 Hom re Odyss e VIII v 266 et suivant lliade XVIII v 376 entour de servantes d or non seulement mobiles mais dou es de parole et de raison Dans un monde o tous les objets sont inertes le mythe grec fantasme l objet vivant le robot Eschyle travaille donc la caract risation du personnage en contraste il convoque le mod le de l pop e pour mieux le mettre distance et r inventer ainsi un personnage tragique d sormais priv de son emprise sur la mati re encha n par la contrainte divine comme il encha ne lui m me Prom th e HI Les rameaux aiguis s des Dana des D s qu elles entrent en sc ne les cinquante filles de Danaos se pr sentent comme une troupe vagabonde de suppliantes exil es volontairement d gypte pour chapper l hymen forc avec les fils d gyptos leurs cousins Descendantes d Io elles cherchent un asile Argos cit d origine de la vierge poursuivie par le taon de Zeus et trouvent un refuge provisoire sur un promontoire orn des statues des dieux no
9. le th tre op cit p 364 21cf les t moignages d H rodote V 51 VII 141 D mosth ne Sur la couronne 107 Tite Live 29 16 6 Plutarque Th s e 18 1 4 artisans ma tres du feu et de la fonte des m taux comme il est possible de le voir sur les vases peints repr sentant le dieu toujours accompagn des objets qui symbolisent son statut H pha stos remettant Th tis les armes d Achille Leur second point commun est qu ils sont manipul s par des personnages emplis de d mesure et d agressivit dans les Suppliantes les Dana des sont des Clytemnestre en devenir femmes destin es tuer leurs poux lors de leur nuit de noces l exception de l une d entre elles Hypermnestre Dans le Prom th e Encha n Eschyle pr sente le spectacle tonnant d un H pha stos devenu Zef J Duchemin Prom th e Histoire du Mythe de ses Origines orientales ses Incarnations modernes Paris Les Belles Lettres 1974 L auteur commente ainsi la repr sentation d H pha stos dans la pi ce d Eschyle H pha stos y est d ailleurs d une certains mani re r duit au r le d un simple artisan travailleur du feu plus d or ni de bronze dans les mat riaux plus de magie dans son art Amphore figures rouges attribu au Peintre de Dutuit dat autour de 480 avant J C Boston Museum of Fine Arts n 13 188 La photographie est issue d une capture d cr
10. th tre op cit p 233 234 et Georges Banu Objet th tral op cit p 656 quand un objet inanim infl chit l action dramatique et sc nique devient une ouverture pour le syst me dramaturgique ou devient le centre du syst me symbolique et signifiant d une uvre qu il peut tre nomm objet th tral plut t qu accessoire terme qui renvoie dans sa lettre m me ce qui est n gligeable ou secondaire partir du moment o nous remettons en cause l opposition chronologique entre accessoire et objet rien ne nous emp che de traquer l objet th tral dans des uvres issues d un pass r volu si ce n est des difficult s m thodologiques d coulant de la rar faction des sources Il ne s agira pas n anmoins de reconstituer dans ce court article une histoire de l utilisation de l objet dans le th tre occidental entreprise qui d borde largement nos capacit s intellectuelles comme le temps qui nous est imparti Il ne s agira pas m me de rendre compte de l ensemble des potentialit s dramatiques et sc niques contenues dans l objet et exploit es par les Tragiques grecs puisque ce sont eux qui nous occupent Nous nous contenterons de mettre en regard d une mani re peut tre arbitraire mais esp rons le f conde un type de manipulation tragique de l objet avec les pratiques de dramaturges et de praticiens de la sc ne d aujourd hui la repr sentation dans l
11. 02 27 p 299 ensemble de l article p 293 305 Eschyle Eum v 634 cf F Frontisi Ducroux D dale mythologie de l artisan en Gr ce ancienne La d couverte poche Paris 2000 1975 p 72 S filet poisson amphibl stron Ag 1382 diktuon Ag 1115 Cho 999 arkus Ag 1116 Cho 1000 brochos Cho 557 agreuma th ros Cho 998 Sur ces divers noms voir la typologie tablie par Monique Halm Tisserant art cit Cho 493 981 983 1000 H pha stos pour immobiliser Prom th e Si Eschyle pr cise que ces cha nes ne sont pas faites de m tal le proc d rh torique conduit superposer sur l objet des valeurs r f rentielles toujours plus loign es De filet il devient toile d araign e toile tueuse de p re En outre le v tement filet ne se fige pas dans sa fonction cyn g tique une fois sa victime prise il demeure sur son corps pour le parer de la t te aux pieds tant alors assimil un linceul Dans cette num ration il n y a pas de distinction r elle entre ce qui constituerait des d nominations objectives et des d nominations m taphoriques chaque terme r v le une facette concr te de ce qu est un v tement soumis un usage aussi monstrueux que celui qu en fait Clytemnestre C est le d tournement de la fonction de l objet qui fait voler en clats ses contours habituels et lui conf re une in puisable propension la m tamorphose De fait tel
12. 2 Cho v 1015 amp Cho v 1011 999 985 amp Cf Jean Pierre Vernant Eschyle le pass et le pr sent dans Jean Pierre Vernant et Pierre Vidal Naquet Mythe et trag die deux Paris 1986 p 103 ensemble de l article p 91 114 Ne cherchons pas dans l uvre d Eschyle s parer la po sie du sens tragique Ils sont une seule et m me dimension du texte Entre la m taphore et le pr sage l image et le signe venus des dieux il y a continuit comme si les lions et les aigles des apparitions ou des comparaisons bondissaient tout d un coup sur la sc ne Cette continuit est peut tre l aspect le plus tonnant de l art d Eschyle Ag v 1382 cf PE v 1078 voir Fraenkel ad loc vol IN p 649 SRadt TGrFr 379 Sur ce point voir l tude de Marcel D tienne et Jean Pierre Vernant Les ruses de l intelligence la m tis des Grecs Paris 1974 chapitre X Le cercle et le lien p 263 308 mais aussi p 51 le filet saisit tout et ne se laisse saisir par rien il a la forme la plus fluide la plus mobile et aussi la plus d routante celle du cercle Attraper au filet on le sait peut se dire en grec encercler enkuklein ef Oliver Taplin The Stagecraft of Aeschylus Clarendon Press Oxford 1978 p 315 que ces toffes augurent en r alit d un avenir sanglant elles repr sentent un ruisseau du sang qui s coule hors du palais des Atrides o se succ dent les cr
13. Cho phores au moment o celui ci pr sente son tour le corps de ses victimes Clytemnestre et gisthe il invoque alors le pi ge de Clytemnestre comme preuve visuelle de la justice de sa vengeance Les paroles qui sont consacr es l objet ne se cantonnent pas toutefois ces deux moments de la trilogie la perception de l objet est infl chie avant m me qu il paraisse sur sc ne par les visions proph tiques de Cassandre apr s que Clytemnestre en a fait usage l objet ne cesse plus d tre rappel la m moire des spectateurs par des allusions r trospectives des personnages Ce qui est remarquable alors est que leurs paroles ne fixent pas dans une forme unique et bien d finie ce v tement filet mot valise que nous utilisons faute de mieux pour d signer cet objet hybride Eschyle joue sur la d multiplication de d nominations contradictoires vingt quatre en tout qui donnent de l objet une image fragment e h t roclite presque incoh rente Les mots ne sont pas mis au service d une description qui permettrait de mieux saisir ce qui est appel figurer sur la sc ne sous les yeux des personnages et des spectateurs savoir ce v tement sans ouvertures que nous avons d crit Au contraire Eschyle use des mots pour d r aliser et complexifier l objet visible en r v lant simultan ment les multiples facettes qui le constituent Si la chose est n en pas douter une sorte de v tement
14. ales Dans l Orestie cette marche vers la civilisation et la justice est repr sent e concr tement travers l institution du tribunal de l Ar opage et le proc s d Oreste qui viennent mettre fin au cycle incessant de la reproduction du meurtre intrafamilial g n ration apr s g n ration Les tres et les objets hybrides participent alors de la repr sentation du chaos initial d peint dans le th tre d Eschyle comme le r gne du d sordre du m lange et de l ind termin Ils d livrent un sens au niveau cosmique comme thique La violence et l exc s g n ralis d individus non encore affranchis de l animalit sauvage induisent en effet des confusions et des glissements entre les diff rents ordres du kosmos Le kosmos harmonieux se d finit par la s paration n cessaire des morts et des vivants de l animal de l humain et du divin comme par la s paration des espaces souterrain terrestre et c leste Eschyle semble avoir t int ress de surcro t par une dichotomie suppl mentaire celle qui distingue anim et inanim son th tre bauche une exploration de la fronti re pr caire qui les s pare et sugg re de multiples reprises qu il existe des liens de continuit entre le vivant et l inerte Cette absence de d marcation tanche est fond e sur la conception d un monde o tout se correspond petite et grande chelle et o microcosme et macrocosme entretiennent de
15. an effectu e sur le site de la Perseus Digital Library consult le 20 12 2011 URL http www perseus tufts edu hopper image img Perseus image 1992 11 0189 marionnette sous les ordres de Pouvoir Kratos et de Force Bia deux divinit s qui incarnent l ordre brutal et inflexible d un Zeus jeune qui n a pas encore appris les vertus de la mesure et de la douce persuasion Humains et divinit s mus par l hybris tendent alors d tourner de leur usage normal des objets inoffensifs ils leurs communiquent leur pouvoir de nuisance pour en faire des instruments de coercition ou de mort inattendus Sous la pression de Kratos et de Bia les outils d H pha stos sont investis d une force animale et sauvage manipul s par des femmes aux desseins meurtriers le rameau semble dissimuler un poignard le v tement devient un filet polymorphe aux apparences ondoyantes Pour d placer les limites de l objet Eschyle use alors essentiellement des ressources du langage l hybridation des objets est esquiss e par la parole donn e imaginer gr ce au pouvoir suggestif des mots Le po te semble parfois aller jusqu op rer une disjonction de la sc nographie verbale et de la sc nographie visuelle les mots qui disent l objet ne co ncident pas n cessairement avec la r alit qui semble devoir tre repr sent e sur la sc ne au m me moment I Les outils ensauvag s d H pha stos La trag die de Prom th e s ouvr
16. ble de faire vaciller momentan ment l ordre du monde La dimension morale contenue dans les manipulations inflig es par les hommes aux objets dans les drames d Eschyle est sans doute tr s difficile r interpr ter en termes modernes En revanche nombreux sont les artistes praticiens des objets ou des marionnettes qui pourraient reconna tre la part de danger et de transgression qu il y a ne plus poser de limites entre l homme et l objet Il m est arriv plus d une fois ces derni res semaines de songer que ce jeu tait peut tre dangereux Se rapprocher des choses c est faire mouvement vers le silence le hors de soi l inorganique l inhumain Peut tre y prouve t on la joie de se perdre Ou bien rencontre t on en chemin ou tout au bout quelque insoup onnable Ces mots sont ceux d un philosophe d cidant un jour d entrer dans le monde des choses et se confrontant alors l errance la perte si ce n est une forme de folie Aristophane Grenouilles v 928 943 Roger Pol Droit Derni res nouvelles de choses une exp rience philosophique Odile Jacob Paris 2003 p 122 Voir aussi p 164 M me les choses les plus simples les plus rassurantes r v lent un fond sauvage inhumain indicible Entre elles et moi je per ois de plus en plus distinctement qu il existe un ab me infranchissable L erreur consiste t il vouloir le franchir malgr tout l irr d
17. ble de penser qu il avait cette signification la date de composition de ce drame d Eschyle Pour le public du V si cle l expression ne pouvait donc signifier que poignards de suppliants expression nigmatique que le po te explicite l aide de l apposition qui suit Pour les commentateurs The oxymoron conveys the paradox that the very symbols of the Danaids helplessness constitute a sort of weapon L analyse est reprise par Alain Moreau Eschyle La violence et le chaos Paris 1985 p 58 Voir Thucydide propos d Harmodios et Aristogiton VI 56 57 Aristote Constitution d Ath nes 18 4 Plutarque Vie de Solon 8 5 6 suffisamment charg l poque d Eschyle pour voquer une multiplicit de r f rences mythiques comme historiques relevant du savoir populaire comme de l rudition litt raire De fait plusieurs t moignages attestent que ce court poignard tait consid r comme une arme orientale voire pr cis ment gyptienne dont l usage se pr tait de surcro t particuli rement bien aux complots ourdis par des femmes Le Pseudo Apollodore mentionne d ailleurs ces poignards dans sa version du mythe des Dana des bien que tardif ce t moignage atteste peut tre l existence d une tradition remontant des si cles ant rieurs associant au meurtre des filles de Danaos l utilisation de l encheiridion En superposant sur les rameaux l image subliminale des
18. celui du type d utilisation qui y est fait des l ments non humains d occupation de l espace de la sc ne que constituent les objets Bien plus que la nature physique la taille ou encore sa capacit tre manipul c est SVoir galement Patrice Pavis Dictionnaire du th tre Armand Colin VUEF Paris 2002 1996 p 233 234 article Objet le terme d objet tend remplacer dans les crits critiques ceux d accessoire ou de d cor La neutralit voire la vacuit de l expression explique son succ s pour d crire la sc ne contemporaine qui participe autant du d cor figuratif de la sculpture moderne ou de l installation que de la plastique anim e des acteurs Christian Biet Christophe Triau Qu est ce que le th tre op cit p 363 C est nous qui soulignons V la page suivante les auteurs r it rent ce constat avec la m me impr cision temporelle on voit que tr s t t les auteurs les acteurs et tous les praticiens du th tre ont su jouer avec la polys mie des objets et leurs divers modes de fonctionnement Christian Biet Christophe Triau Qu est ce que le th tre op cit p 364 Anne Ubersfeld L objet th tral in Actualit des arts plastiques n 40 Paris CNDP 1978 L objet in Les termes cl s de l analyse du th tre Paris Seuil 1996 p 61 63 Ces crit res sont retenus notamment par Patrice Pavis article Objet Dictionnaire du
19. cr te de la force sauvage qui caract rise le pouvoir de Zeus Sous le r gne de Zeus tout lunivers semble envahi par des forces sauvages qui renvoient l image du pouvoir exerc par le nouveau ma tre des dieux Les l ments se confondent les objets s animent le paysage lui m me semble pr t mordre Le supplice de l aigle intervient plus tard apr s que Zeus a fait remonter Prom th e des profondeurs de la terre cf cf PE v 1021 1025 fr 200 du Prom th e D livr cit par Plutarque r tikos 757e o s vissent les rigueurs de l hiver La r p tition du mot Bia pour d signer d abord le personnage puis la notion abstraite prend un sens particulier H pha stos ne pr cise pas seulement les modalit s de son action mais d signe comme sa responsable et son instigatrice la personnification de la force qui se trouve ses c t s Cette ambigu t est sugg r e nouveau dans une r plique de Kratos quelques vers plus loin Kratos Allez jette autour de ses flancs la courroie H pha stos Je ne peux me soustraire cette n cessit ne m ordonne rien de trop Kratos Bien au contraire je te donnerai des ordres et te presserai Descends terre et enserre ses jambes avec force Le po te inclut ainsi Bia dans l action sc nique en jouant sur l onomastique comme il le fait de mani re r currente dans ses drames Prom th e lui m me celui qui voit l avance
20. d tournement des objets va plus loin Kratos et Bia semblent s insinuer de fa on magique dans les objets passifs qui ne peuvent r sister par nature aux manipulations que les hommes et les dieux leur font subir De fait si Bia personnification de la force reste silencieuse pendant toute la dur e du prologue Eschyle respecte ici la convention qui veut que le nombre d acteurs parlants soit limit trois elle semble agir de fa on invisible en contraignant les gestes d H pha stos Notre lecture repose sur des syllepses de sens qui semblent d lib r ment introduites par Eschyle quand le mot Bia est employ il renvoie tout autant la notion abstraite qu au personnage pr sent sur la sc ne le po te jouant sur le sens litt ral dissimul derri re le nom propre d autant plus vident quand le personnage se trouve tre une personnification Pouvoir et Force pour vous deux la mission de Zeus prend fin et rien ne vous retient plus d sormais quant moi je n ose attacher un dieu qui m est un parent de force cette roche escarp e VPE desmoi v 6 52 97 113 141 154 176 509 770 991 pedai v 6 76 167 FPE v 77 78 PE 64 65 BPE 93 95 v 175 Voir Christine Mauduit La Sauvagerie dans la po sie grecque d Hom re Eschyle Les Belles Lettres Paris 2006 p 293 Les instruments du supplice de Prom th e apparaissent dans cette perspective comme une illustration tr s con
21. dans leurs mains des poignards les autres des serpents SPseudo Apollodore Biblioth que II 1 5 Les couples furent ainsi tir s au sort et apr s avoir banquet il donna des poignards ses filles Celles ci all rent partager la couche de leurs poux et les tu rent l exception d Hypermnestre SIC Ath n e 15 50 1 62 Lexique de Photius 985 Souda s v AYOp Ow Aristophane Lysistrata v 631 632 voir aussi la scholie au vers 632 IV Le pi ge de tissus de Clytemnestre ou l informe prot iforme Dans l Orestie ces proc d s d hybridation de l objet esquiss s dans les Cho phores et le Prom th e Encha n sont exacerb s propos des instruments de morts manipul s par Clytemnestre Dans le corpus des drames conserv s d Eschyle peu de personnages sont anim s d un hybris et de desseins aussi subversifs que ceux de l pouse d Agamemnon Elle repr sente le personnage transgressif par excellence une femme au c ur viril adult re experte en parole trompeuse meurtri re de son poux m re qui renie ses enfants et les d poss de de leur patrimoine Dans la r alisation m me de son crime elle d ploie un tr sor d inventivit pour pervertir le sens attendu des usages sociaux et religieux qui r glent les rapports matrimoniaux Pour dire la monstruosit d une telle cr ature Eschyle recourt aux m taphores animales Clytemnestre est tout la fois vip re serp
22. du registre et de l action ainsi que la biens ance r duisent sans doute la vari t des objets pouvant tre utilis s sur la sc ne mais ne les en excluent pas dans leur ensemble dans la trag die fran aise du XVII si cle armes objets fun raires mobilier lettres peuvent faire partie int grante de l intrigue et en relayer sous une forme concr te et visible des th matiques centrales Par ailleurs les r gles de la trag die grecque ne sont pas celles de la trag die fran aise et les po tes tragiques ath niens semblent avoir fait un usage beaucoup plus libre des objets en faisant notamment place certains objets de la vie courante De fait nous mettrons en rapport dans cette tude des outils de forgeron manipul s par le dieu H pha stos dans le prologue du Prom th e Encha n des rameaux arbor s par les Dana des dans les Suppliantes insignes conventionnels du statut de suppliant et enfin le v tement tueur que Clytemnestre associe une baignoire et une arme tranchante non identifi e dans la ruse qu elle ourdit contre son poux Agamemnon dans l Orestie Qu ont en commun ces objets h t roclites Ils sont d abord issus d une r alit que les spectateurs de l poque pouvaient reconna tre comme proche de la leur le v tement est videmment un bien d usage courant que les femmes avaient pour devoir de tisser dans l espace int rieur et cach du foyer oikos Le rameau suppliant
23. e sur l entr e en sc ne d H pha stos escortant Prom th e sous la surveillance des lieutenants d un Zeus tyrannique Kratos Pouvoir et Bia Force Zeus a confi H pha stos la t che p nible de clouer Prom th e la roche d un massif isol aux confins de l Europe o ce dernier doit expier le crime d avoir vol aux dieux le feu p re de tous les arts La plus grande conqu te morale que l homme ait jamais faite c est le marteau ouvrier Par le marteau ouvrier la violence qui d truit est transform e en puissance cr atrice Ces paroles inspir es de Gaston Bachelard nous permettent de saisir la violence de la r gression mise en sc ne par Eschyle dans ce prologue l outil cr ateur retourne la violence qui d truit en devenant l instrument du supplice de Prom th e le marteau sert clouer au roc les membres du Titan le rivet est enfonc dans sa poitrine vision horrible voir selon les mots d H pha stos La transgression que repr sente alors ce d tournement des outils transpara t travers l orchestration de leur hybridation Eschyle Prom th e Encha n PE v 7 Gaston Bachelard La Terre et les r veries de la volont essai sur l imagination de la mati re J Corti Paris 1947 p 130 131 Eschyle PE v 55 56 64 65 69 P LEE f Outils suspendus dans la forge d H pha stos En d pit des commentair
24. e th tre d Eschyle d objets l identit floue m langes de r alit s h t roclites ou mati re inerte soudainement mue par des forces ext rieures outrepassant la fronti re entre anim et inanim Notre vis e n est pas alors de faire d Eschyle un moderne avant l heure ou des modernes des anciens recycl s approche st rile qui ne pourrait conduire qu des confusions et amalgames malencontreux Nous souhaitons bien plut t interroger la possibilit que l utilisation de l objet au th tre ait veill des interrogations communes chez un hommes de th tre de l Ath nes du V si cle avant J C comme chez ceux qui font l actualit culturelle d aujourd hui en d pit des mutations radicales qu a connues le th tre occidental depuis l Antiquit et de l h t rog n it des soci t s dans lesquelles ces formes th trales s inscrivent La confrontation l objet historiquement dat et vecteur d histoire et de m moire contient elle n anmoins une part d invariant d intemporel m me de surgir plusieurs dizaines de si cles de distance La pr sence silencieuse des objets mutiques passifs mais pourtant parfois investis d une puissance myst rieuse a t elle fait surgir des d sirs des tentations des craintes des pressentiments partag s en d pit de l loignement des soci t s dans lesquelles il faut replacer les manifestations artistiques observ es BChris
25. ent deux t tes lionne deux pieds mur ne corbeau etc Ces m taphores ne sont pas ornementales mais traduisent avec vigueur la d gradation d un tre exclu par ses actes de la condition humaine assimil un monstre sauvage par sa violence et sa d mesure L affranchissement des limites qui s parent normalement la condition humaine de la condition animale trouve alors un parall le dans le brouillage que le personnage op re entre la condition des tres anim s et des objets inanim s Nous n tudierons pas ici les trois armes insolites de Clytemnestre qui montrent toutes un penchant certain pour l hybridit mais centrerons notre propos sur le v tement filet avec lequel cette derni re entrave le corps d Agamemnon au sortir du bain Avec ce v tement hybride les proc d s de la recr ation po tique eschyl enne semblent pouss s dans leurs ultimes retranchements pour faire appara tre un objet prolongement du corps aux facettes infiniment changeantes Un objet innommable Le v tement que Clytemnestre a tiss pour y prendre au pi ge Agamemnon est un ouvrage d lib r ment malfa onn elle a cousu ensemble deux rectangles de textile pr cieux pour en faire une tunique chatoyante mais n y a laiss aucune ouverture pour la t te et les bras Quand elle en rev t Agamemnon l int rieur du palais celui SEschyle Agamemnon Ag v 11 Sur ce sujet la litt rature critique es
26. es du personnage qui soulignent le caract re insoutenable du spectacle vu la reconstitution la plus clairante de la mise en sc ne de ce prologue sugg re une repr sentation tr s stylis e Le supplice de Prom th e prenait vraisemblablement les apparences de l apotumpanismos mode d ex cution capitale qui consistait attacher le supplici un poteau vertical jusqu ce que mort s ensuive selon l hypoth se de Suzanne Sa d L acteur tait sans doute simplement fix par des liens maintenus par des clous une planche dress e verticalement ou un poteau indique t elle tandis que l acteur jouant H pha stos manipulait les outils attributs du dieu mesure que le texte les voque Les ordres ass n s par Kratos et accompagn s de pressantes injonctions faire vite invitent en effet la r alisation imm diate des actions H pha stos doit successivement attacher un pieu le Titan l aide de son marteau agrafer la roche ses deux bras fixer l aide d un anneau ses jambes Les termes D tail d une coupe figures rouges de Vulci attribu e au Peintre de la Forge dat autour de 490 480 avant J C Berlin Antikenmuseen n F2294 La photographie est issue d une capture d cran effectu e sur le site de la Perseus Digital Library d apr s une photographie de Maria Daniels consult le 20 12 2011 URL http www perseus tufts edu hopper image img Per
27. est un symbole religieux attest au Ve si cle et ult rieurement qui remontait sans doute une origine encore plus ancienne Avec les outils de forgeron marteau cave on pointe anneau etc Eschyle n h site pas mettre en sc ne les instruments des artisans pourtant per us comme formant une cat gorie inf rieure de la soci t ath nienne Dans la fiction th trale les objets sont certes transport s dans le monde mythique puisqu ils sont les attributs du dieu H pha stos contraint d encha ner le Titan Prom th e au roc d une montagne recul e et battue par les vents la fonction extraordinaire de ces objets aur ol s de la puissance divine de leur propri taire ne les distingue pas pour autant a priori des outils familiers des cf Roland Barthes Comment repr senter l Antique 1955 in Roland Barthes crits sur le th tre textes r unis et pr sent s par Jean Loup Rivi re Paris ditions du Seuil collection Points Essais 2002 p 153 ensemble de l article p 147 155 Repr senter en 1955 une trag die d Eschyle n a de sens que si nous sommes d cid s r pondre clairement ces deux questions qu tait exactement L Orestie pour les contemporains d Eschyle Qu avons nous faire nous hommes du XXe si cle avec le sens antique de l uvre Sur le r le majeur de l p e dans Ph dre et Le Cid voir Christian Biet et Christian Triau Qu est ce que
28. fonction de d placer le cadre de la vision en superposant sur l objet vu un objet verbal qui exc de les limites de ce dernier Aussi quelques suggestives que soient ces photographies de r p titions de la mise en sc ne d Oliver Py elles ne peuvent rendre compte des effets d hybridation cr s pr cis ment par la superposition du spectacle visuel et du spectacle cr par les mots au moment o cette toile mal fique para t en sc ne l imagination du spectateur est aiguillonn e par une multiplicit de termes foisonnants les informations contradictoires re ues en m me temps par le biais de l audition et de la vue contribuent brouiller les contours de l objet Celui ci ne se r sume ni ce qui est vu ni ce qui est entendu mais la superposition des deux r alit s que doivent alors r aliser en imagination les spectateurs L objet femme la femme objet Eschyle sollicite cette m me op ration de ses spectateurs quand le texte laisse entendre galement que femme et objet sont en r alit le m me tre Avec le v tement filet l identification entre l objet et la personne qui le manipule est en effet port e son comble Le rapprochement tait d autant plus ais faire pour les spectateurs du V si cle avant J C que les relations entre la femme et les v tements qu elle tisse produits de sa main taient parfois con ues comme fusionnelles dans la pens e mythique comme dans les
29. imes g n ration apr s g n ration elles anticipent sur le meurtre venir et quand Agamemnon marche sur ces toffes il semble s embourber dans son propre sang Ces toffes de pourpre et le v tement filet sont bien deux hypostases du m me objet qui se transforme non seulement sous l impulsion des mots mais para t divers moments dans l espace sc nique sous des formes apparent es mais n anmoins diff rentes Il serait donc vraisemblable qu Eschyle ait sugg r leur identit de nature en les repr sentant par des toffes ressemblantes La mise en sc ne de ces objets par Olivier Py dans son Orestie de 2008 appara t en ce sens fid le au texte d Eschyle photo Alain Fonteray coll Th tre de l Od on photo de r p tition Sur ce point voir Anne Lebeck The Oresteia Study in Language and Structure Washington D C 1971 chapitre 7 The carpet scene AGE matei p 74 79 et chapitre 8 The endless flow of blood p 80 91 Oliver Taplin The Stagecraft of Aeschylus op cit p 314 316 PL Orestie d Eschyle fut cr e par Olivier Py au th tre de l Europe Od on en juin 2008 Le metteur en sc ne met bien en vidence l identit des pi ges tiss s par Clytemnestre qui se d ploient toutefois sous des formes changeantes C est apparemment la m me toffe pourpre qui est tendue au pied du palais et qui enserre ensuite le cadavre nu d Agamemnon
30. les termes employ s pour la d signer comme tels varient elle est la fois peplos v tement long ouvrag heima manteau et kalummata voiles Son toffe est d dal enne le terme dit la fois sa confection pr cieuse incrust e de motifs multicolores aux couleurs chatoyantes mais il indique aussi au sens figur que le v tement est fait d une mati re insaisissable tout en introduisant des connotations de ruse et de pi ge Du v tement d dal en au filet pi geux il n y a qu un pas qu Eschyle n a pas h sit franchir La nature r ticulaire du v tement est exprim e par une s rie de termes techniques il est filet poisson filet d arr t filet de jet rets lacs pi ge b te sauvage cette distorsion de la nature du v tement s ajoute celle qui consiste en faire un lien et une entrave le v tement filet semble devenir r seau de cha nes pareil aux liens infrangibles d ploy s par S4g v 1372 1673 Cho phores Cho v 973 1117 584g v 1115 1116 1126 1127 Peplos Ag v 1126 et 1580 voir aussi Eum nides Eum v 635 heima Cho v 494 kalumma est attest au sens de voile dans la trag die 4g 1178 Sophocle Aj 245 toutefois Monique Halm Tisserant note qu il pouvait galement d signer un type de filet en forme de sac Le filet un leitmotiv dans l Orestie d Eschyle Kt ma 20
31. n index php id 1936 tef J L Matt oli L objet pauvre M moire et quotidien sur les sc nes contemporaines fran aises op cit 5 George Banu Objet th tral dans Michel Corvin Dictionnaire encyclop dique du th tre Paris Bordas 2001 p 655 656 SChristian Biet Christophe Triau Qu est ce que le th tre Gallimard collection Folio Essais Paris 2006 p 367 368 George Banu Objet th tral op cit p 655 r f rentiel ou faire valoir de l acteur sur la sc ne le terme d objet s impose parall lement dans l analyse th trale contemporaine L ensemble de ces jugements critiques semble r cuser la possibilit de partir la recherche de l objet th tral ailleurs que dans l histoire r cente des sc nes occidentales De fa on incidente toutefois Christian Biet et Christophe Triau laissent pressentir l insuffisance d une approche purement historique de la distinction entre accessoire et objet Ils envisagent en effet des exemples tir s des trag dies de Corneille et de Racine o l apparition des objets investis d un dense r seau de significations polys miques structure la progression dramatique de mani re cruciale et reconnaissent d s lors que Les praticiens de la mise en sc ne aussi bien que les auteurs des textes ont tr s t t pris conscience que les objets en m me temps qu ils avaient un r le utilitaire quant l action et au cadre r f rentiel pouvaie
32. n loin de l enceinte de cette cit seul espace dramatique repr sent dans cette pi ce Les hommes et les dieux ont pour devoir les uns de respecter les autres de prot ger ceux qui se remettent au pouvoir de Zeus Hikesios Zeus suppliant Le symbole qui incarne le lien particulier qui se tisse alors entre le dieu et ses prot g s est le rameau suppliant il s agissait d une longue branche d olivier droite entour e de bandelettes de laine blanche que l on tenait la main ou sous le bras et ou que l on d posait sur les autels des dieux pour tablir un contact physique avec eux Ce signe visuel est un symbole efficace op rant comme une contrainte religieuse en t moignant de la protection des dieux il devait suffire garantir l immunit des suppliants et d courager de potentiels agresseurs qui se voyaient courir le risque d une souillure Les Dana des font r f rence de multiples reprises ces attributs essentiels Au cours de l action dramatique elles en d posent une partie sur les autels des dieux et gardent le reste sous leur bras gauche comme une protection rapproch e qui les pr serve de toute agression physique de la part de leurs interlocuteurs le roi d Argos et les hommes d armes qui l accompagnent Si Eschyle a sans doute profond ment modifi le mythe en faisant des Dana des des suppliantes afflig es et non plus de farouches Amazones comme cela liade XVIII v
33. nser qu il poss dait ce sens la date de composition de ce drame d Eschyle en entendant ce mot les spectateurs pouvaient imaginer des couteaux des poignards si petits qu ils pouvaient tre dissimul s dans la paume des mains pour tuer par ruse Derri re le rameau sacr le po te fait fugitivement miroiter l arme avec laquelle les Dana des tueront leurs pr tendants Ce seul mot peut en effet suffire sugg rer que les rameaux ne sont pas ou pas seulement ce qu ils semblent tre l encheiridion para t tre un terme Voir par exemple Froma Zeitlin La politique d ros F minin et masculin dans les Suppliantes d Eschyle M tis 1988 III p 231 259 Chad Turner Perverted Supplications and Other Inversions in Aeschylus Danaids Trilogy The Classical Journal Vol 97 No 1 Oct Nov 2001 p 27 50 Jacques Jouanna Le chant m le des vierges Eschyle Suppliantes v 418 437 REG 2002 115 2 p 783 792 Sup v 20 23 Voir le commentaire ad loc de Hans Friis Johansen et Edward W Whittle Aeschylus The Suppliants Nordisk Forlag Danemark 1980 volume II p 21 cet usage du terme encheiridion est le seul attest dans l ensemble du corpus tragique Eschyle donne au terme son sens tymologique de chose tenue en main mais chez H rodote et les auteurs de prose attique le mot signifie exclusivement petit poignard p e courte et il est raisonna
34. nt simultan ment donner lieu une interpr tation m taphorique Tr s t t Le vague de cette expression laisse songeur Tr s t t c est dire quand S ils font r f rence ici au th tre classique fran ais du XVIIe si cle les deux auteurs ne posent pas l pour autant un ferminus post quem Tr s t t pourrait renvoyer un pass plus lointain un pass englouti dont on a peu de traces et dans lequel il serait d s lors vain de s aventurer pour retracer une histoire impossible faire de l objet en sc ne Ces propos nous incitent nous engouffrer dans la br che pour remettre en question une dichotomie purement temporelle entre accessoire et objet le premier appartenant un pass ind fini dans lequel pourraient tre mis en vrac le th tre naturaliste le drame romantique les th tres classiques et baroques etc le second l re du th tre moderne mergeant partir de la rupture qu a constitu e la cons cration du metteur en sc ne Si l opposition entre accessoire utilitaire et objet actant primordial peut tre envisag e dans une perspective historique le vingti me si cle correspondant une p riode d panouissement de la polys mie et de la polymorphie de l objet dans des formes sc niques diverses elle ne s y r duit pas Le crit re discriminatoire n est pas tant celui de la date d une uvre th trale ou d une repr sentation que
35. nt les figures tut laires que se reconnaissent de fa on plus ou moins affirm e les praticiens de ce th tre d objets r cup r s d objets pauvres lt Ce n est pas du th tre d objets que nous parlerons ici mais de l objet au th tre puisqu il s agit dans cette partie liminaire du dossier d interroger la possibilit d une arch ologie de l objet th tral nous ferons remonter notre enqu te aux sources vives du th tre occidental savoir la trag die grecque ath nienne du V si cle avant J C en croire les th oriciens modernes du th tre c est pourtant courir le risque de l anachronisme En effet le terme m me d objet th tral est un acquis de l analyse dramaturgique contemporaine et les th oriciens s accordent situer l apparition sur la sc ne de la r alit qu il d signe au tournant qu a constitu la fin du XIX si cle en Europe l invention de la mise en sc ne Avant cela l objet n est qu un accessoire l ment subalterne de la repr sentation jouant les utilit s ou participant la construction du cadre r f rentiel Dans l article Objet th tral du Dictionnaire encyclop dique du th tre Georges Banu rend compte de cette volution terminologique qui prend acte de l importance et du r le nouveau que peut d sormais jouer l objet sur la sc ne Suite des mutations dans l art du spectacle le terme d accessoire
36. orme de manipulation mais davantage mentale que physique Du point de vue des proc d s mis en uvre le po te tragique qui dispose de ressources mat rielles limit es et les artistes de th tre d objets ne se tiennent pas forc ment une distance infranchissable m me si bien videmment ces proc d s sont mis au service de projets artistiques trangers Christian Carrignon par exemple revendique un art autodidacte bricol sans technique d s lors lib r d un grand nombre de contraintes il poursuit l id al d une pratique qui soit uniquement jeu et non travail La place immense qu il laisse l imagination du spectateur complice mais non pas dupe de l illusion se justifie par des parti pris Didier Plassard Entre l homme et la chose entretien r alis par milie Charlet et Aur lie Coulon in L objet sous la direction d milie Charlet Aur lie Coulon et Anne Sophie Noel Ag n revue lectronique Dossier n 4 http agon ens lyon fr index php id 1668 SDidier Plassard Ibid Didier Plassard Ibid Christian Carrignon Le th tre d objet mode d emploi in L objet sous la direction d milie Charlet Aur lie Coulon et Anne Sophie Noel Ag n revue lectronique Dossier n 4 http agon ens lyon fr index php id 1668 voir galement Aur lien Bory Sans objet entretien r alis par Lise Lenne in L objet sous la direction d milie Charle
37. poignards Eschyle pourrait bien jouer par ailleurs sur une r f rence un v nement historique impliquant ensemble rameaux sacr s et poignards Le po te n a pas h sit puiser dans l Histoire pour nourrir la dramaturgie de la pi ce qu il consacra aux Perses pour les Suppliantes il pouvait avoir en m moire le r cit fondateur pour la d mocratie ath nienne du complot d Harmodios et Aristogiton contre le tyran Hipparque Selon plusieurs versions concordantes de l histoire les tyrannicides dissimul rent leurs armes au milieu de rameaux de myrte alors qu avait lieu la f te des Tharg lies Le fait est suffisamment connu pour tre devenu le sujet de chansons de tables la gloire de ceux qui contribu rent faire tomber le r gime tyrannique au profit de la d mocratie dans la Lysistrata d Aristophane le ch ur cite un vers d un chant populaire la m moire des deux h ros qui voque pr cis ment les armes que l on cache au milieu de brass es de rameaux Eschyle mobilise des sous textes vari s pour faire appara tre derri re le rameau innocent le poignard meurtrier que les Dana des utiliseront lors de leur nuit de noces L objet n est pas seulement un rameau il contient en puissance un poignard ses contours se brouillent en tant que sont consid r s en m me temps ce que l objet est au pr sent et ce qu il sera dans l avenir Cette superposition des strates temporelles est caract ris
38. qu il est d crit dans le texte d Eschyle le v tement filet semble confiner l absence de limites et l absence de fin Clytemnestre le nomme filet de p che infini apeiron amphibl stron apeiron indique en premier lieu que le v tement n a pas d issue c est dire qu il n a pas d ouvertures le terme sugg re toutefois qu il tend l infini Dans un fragment conserv c est propos du cercle figure d illimit par excellence pour les Grecs qu Eschyle emploie le m me adjectif Le spectacle visuel infl chi par les mots Nulle r alit mat rielle moins d tre elle m me mouvante et prot iforme ne pourrait repr senter concr tement cet objet hybride et illimit la fois v tement filet de plusieurs sortes entraves linceul etc Les choix que semble avoir fait Eschyle pour le repr senter peuvent cependant donner lieu des hypoth ses en effet le v tement filet se refl te dans une toile miroir et l on peut raisonnablement supposer que les deux textiles taient mis en sc ne de la m me mani re En effet avant d enserrer Agamemnon dans les mailles de son pi ge de tissus Clytemnestre a fait tendre sur le sol des toffes de pourpre formant un chemin de gloire devant le seuil du palais pour accueillir son poux en grande pompe La sc ne voque tout fait l effet produit par notre tapis rouge si ce n est SCho 493 Ag v 149
39. repr sentations de l poque n a t conserv e l instar des autres l ments sc niques du th tre de l Ath nes classique d cors b timent de sc ne etc Les textes tragiques contiennent n anmoins dans leur lettre m me la finalit de leur r alisation sc nique ils int grent des indications dramaturgiques et rendent compte dans une certaine mesure des conditions de repr sentation ils nous donnent un aper u des ressources mat rielles dont disposaient les po tes dramaturges galement responsables de la mise en sc ne de la sc nographie de la chor graphie ainsi que compositeurs et instructeurs didaskalo du jeu des acteurs De ces textes eux m mes transmis en nombre limit et dans un tat parfois corrompu nous ne pouvons n anmoins pas d duire la physionomie exacte des spectacles tragiques jou s dans le th tre de Dionysos les didascalies internes ne sont pas des descriptions pr cises de l action mais avaient pour fonction essentielle de souligner l importance de ce qui tait vu d attirer l attention sur un geste une posture une pr sence toutes donn es qui nous sont d s lors jamais perdues La perspective de la reconstitution historique du spectacle antique qui fut un temps envisag e par les critiques est donc d sormais l gitimement d laiss e Nous nous proposons d s lors de d celer dans le texte les potentialit s sc niques li es l insertion des objets dans la
40. repr sentations populaires Eschyle sugg re que femme et objet forment un tout indistinct en d ployant au sujet de l un comme de l autre les m mes effets rh toriques ils se soustraient tous deux une d nomination univoque et provoque chez les personnages des tentatives de d finition toujours renouvel es car toujours insatisfaisantes Clytemnestre oscille entre l infra et le sur humain son meurtre fait d elle un monstre rapproch dans le deuxi me stasimon des Cho phores des tres difformes enfant s par la Terre elle est toutefois aussi un instrument dont prend possession un esprit vengeur pour accomplir la mal diction des Atrides Le v tement filet est rapproch pour sa part d une Bef Ellen D Reeder Women as containers dans Ellen D Reeder dir Pandora Women in classical Greece Baltimore Maryland 1995 p 195 199 A woman s garments were not merely testimony to her skill and industriousness They also came to be viewed as an extension of her being inextricably merged with her Pour un article r cent rassemblant les donn es litt raires et culturelles de l association du z xAoc la ruse f minine dans la trag die voir Lee M An evil wealth of garments deadly z xhot in Greek Tragedy CJ vol 99 n 3 2004 p 253 279 TAg v 1258 1232 1234 Cho v 585 601 7Ag v 1497 1503 secr tion animale il est toile d araign e tou
41. res celui du pass et un objet central et autonome celui d aujourd hui en soulignant la similitude des proc d s dramaturgiques employ s son endroit non sans pointer en m me temps l cart des projets de repr sentation et des esth tiques servis par ces proc d s Dans plusieurs drames qui nous sont parvenus Eschyle exp rimente en effet le brouillage des formes de l objet par le biais de la manipulation verbale qui incite les spectateurs imaginer plus qu ils ne voient sur la sc ne des objets doubles et ambigus parfois p n tr s d une force animale humaine ou divine Dans le cas du v tement pi ge que Clytemnestre d ploie contre Agamemnon dans l Orestie nous verrons que l utilisation du textile informe lib re des possibilit s de m tamorphose accrues et pose de fa on pressante la question des limites entre l objet et le corps humain Cette mise l preuve des limites de l objet v tement s inscrit dans un projet th tral singulier marqu au sceau d une poque et d une situation sociale et culturelle pr cise nous nous interrogerons d s lors sur la mani re dont nous pouvons recevoir aujourd hui le 16Les ressources dont l on peut extrapoler les pratiques dramaturgiques antiques se r duisent peu de choses pr s aux textes des drames eux m mes les vestiges arch ologiques sont inexistants nulle trace physique d objets ayant pu tre employ s lors des
42. s 1968 p 233 Sup v 23 24 159 191 193 241 433 333 345 354 355 481 506 semble avoir t le cas dans des versions ant rieures du mythe il n en reste pas moins qu il fait des Suppliantes un drame de l ambigu t qui met en sc ne l oscillation permanente des filles de Danaos entre posture d humilit et d mesure violente m mes suppliantes les Dana des sont d j en puissance les meurtri res de leurs poux La l gitimit de leur supplication est mise en cause par une s rie d anomalies bien identifi es par les critiques Eschyle joue alors encore une fois sur les mots pour projeter une ombre inqui tante sur les objets qu elles portent leurs bras D s la premi re nomination des rameaux suppliants le caract re inoffensif de ces attributs est troubl par l intrusion d un terme quivoque En quelle contr e plus favorable que celle ci Pourrions nous aborder avec ces attributs des suppliants que nous tenons dans nos mains les rameaux ceints de laine La syllepse de sens contenue dans le terme encheiridion est impossible traduire En son sens tymologique il signifie litt ralement ce que l on tient dans sa main et d signe alors les rameaux comme l explicite la p riphrase qui suit Mais chez H rodote et les auteurs de prose attique le mot tait couramment substantiv et signifiait alors petit poignard p e courte et il est raisonnable de pe
43. s relations troites les Grecs du temps d Eschyle scrutaient le vol des oiseaux ou la couleur des visc res des victimes sacrificielles cf supra n 7 cf supra n 20 Ce th me a t abord par Alain Moreau Eschyle la violence et le chaos op cit notamment p 9 et suivantes voir galement Richard Seaford Aeschylus and the Unity of Opposites The Journal of Hellenic Studies Vol 123 2003 p 141 163 Ces analyses sont d velopp es avec plus d ampleur dans son ouvrage para tre Cosmology and the polis the social construction of space and time in the tragedies of Aeschylus Cambridge University Press 2012 A Moreau Eschyle La violence et le chaos op cit p 9 pour tenter de d chiffrer les nigmes du monde environnant Cette continuit entre le petit et le grand entre l objet insignifiant et les myst res du kosmos peut toutefois tre d natur par les man uvres des personnages emplis d hybris leur exc s occasionne la transgression des limites mouvantes mais r elles qui existent entre anim et inanim Cette d mesure se traduit concr tement par une expansion physique de leur corps et de leur pens e au del d eux m mes ils prennent possession des objets qui les entourent de fa on d voy e en d tournant leur fonction normale ou en leur communiquant les propri t s du vivant Il est donc n cessaire d interpr ter les ph nom nes d hybridation de l objet d crits au
44. sein d une conception du monde qui est propre Eschyle en m me temps qu elle interroge et r fl chit les modes de pens e des Grecs de son temps Cette repr sentation de l objet est dat e au sens litt ral du terme sans qu il faille conf rer ce terme de connotations n gatives Il est d ailleurs instructif de remarquer que les contemporains ou les successeurs imm diats d Eschyle ont pu eux m mes percevoir les principes esth tiques de son art comme marqu s au sceau de l archa sme et d j d une forme d tranget irr ductible dans les com dies d Aristophane les inventions eschyl ennes boucliers orn s de figures hybrides cr atures ind termin es cheval coq et autres aigles griffons sont tourn es en d rision et Sophocle et Euripide semblent s en tre distanci s en restituant notamment aux objets des contours fixes et des d nominations moins instables D s lors que pouvons nous tirer nous Modernes des exp riences d un po te ancien Apr s avoir remont une des pistes de sa dramaturgie de l objet pouvons nous porter sur notre pr sent un regard neuf d plac et enrichi de ce d centrement Nous retenons des propositions mergeant du texte d Eschyle le caract re transgressif et redoutable du brouillage des limites entre l homme et l objet Franchir les fronti res qui s parent l inerte du vivant est ce toujours une infraction ou un scandale suscepti
45. seus image 1992 07 0299 Suzanne Sa d Sophiste et tyran ou le probl me du Prom th e Encha n Paris Klincksieck 1985 p 48 49 4 attacher un pieu v 20 56 65 113 agrafer v 61 141 fixer v 74 LE JR a desmos et pedai qui d signent le lien et les entraves apparaissent de nombreuses reprises pour d signer les cha nes de Prom th e qui demeurent sur son corps pendant toute la dur e du drame Ces liens de m tal infrangible s animent alors aux accents de la rude voix de Kratos sa parole contraignante transforme leur nature en leur communiquant une forme de sauvagerie animale Et maintenant cloue la m choire cruelle du coin d acier indomptable travers sa poitrine solidement L outil devient m choire d vorante l objet se transmue en un animal f roce qui se nourrit des chairs du h ros Plus loin Prom th e donne voir au ciel et au soleil les souffrances qui lui d chirent les chairs et qualifie ses cha nes de liens sauvages agri n desm n l adjectif agrios caract rise normalement animaux et monstres fabuleux appliqu des objets inanim s son usage est inattendu et cette alliance in dite forge une r alit nouvelle Si l aigle qui se nourrit du foie de Prom th e est absent ce stade de son histoire on peut noter que les instruments du supplice eux m mes sont mus par une pulsion d vorante Le proc d de
46. t Aur lie Coulon et Anne Sophie Noel Ag n revue lectronique Dossier n 4 http agon ens lyon fr index php id 1668 selon lui le th tre c est l artisanat le fait main esth tiques comme politiques propres son temps celui d un monde us par l uniformisation des corps et des esprits fa onn s par les imp ratifs de la publicit et de la consommation contre lequel entre alors en r sistance l objet devenu creuset pour l imagination VI Epilogue se nourrir du sens antique de l uvre Apr s avoir fait ce saut dans le temps nous tenterons de replacer la probl matique de l hybridation dans le projet global de repr sentation qui est celui d Eschyle car ce n est qu en restituant le sens antique de l uvre que nous pouvons esp rer enrichir la fois notre connaissance de la dramaturgie du premier des Tragiques et celle des enjeux contenus dans l investissement th tral des objets Les trilogies que l on peut reconstituer d apr s les fragments et t moignages indirects sur l uvre d Eschyle et surtout l Orestie seul ensemble ternaire conserv nous permettent de saisir le mouvement dramatique qui animait son th tre la progression d un tat de sauvagerie et de d sordre social un fr re y tue un fr re une femme un poux un fils sa m re un d passement de cet tat gr ce l institution de lois politiques religieuses et soci
47. t abondante voir par exemple Froma Zeitlin The Motif of the Corrupted Sacrifice in Aeschylus Oresteia TAPhA 96 1965 p 463 508 compl t par Postscript to sacrificial imagery in the Oresteia Ag 1235 1237 TAPhA 97 1966 p 645 653 Richard Seaford The last bath of Agamemnon CQ New Series vol 34 n 2 1984 p 247 254 Pierre Vidal Naquet Chasse et sacrifice dans l Orestie dans Jean Pierre Vernant et Pierre Vidal Naquet Mythe et Trag die en Gr ce ancienne Paris 1986 p 135 158 SAg v 1233 1258 1473 Cho v 994 Cf Alain Moreau Eschyle La violence et le chaos Les Belles Lettres Paris 1985 p 9 62 L imagerie animale est la figuration concr te visible sensible de la transformation de l tre humain raval au niveau de la b te soit par la violence ext rieure qui l crase soit par l expression int rieure de ses passions L homme plein de d mesure descend dans l ordre des tres ci se retrouve aveugl et entrav dans une tunique devenue sac homme et ne peut se d fendre contre les coups qui s abattent aussit t sur son corps Cet objet difforme et monstrueux appara t dans l espace sc nique deux reprises le texte sugg re qu il demeure sur le corps d Agamemnon quand Clytemnestre expose son cadavre aux yeux de ses concitoyens la fin de la premi re pi ce de la trilogie Il est une seconde fois exhib par Oreste dans les
48. t en tant par ailleurs rattach l uvre des divinit s que sont les rinyes Investi des intentions malfaisantes de sa propri taire il semble manifester une volont propre il est un voile comploteur avant de devenir une toile tueuse de p re comme s il assumait de lui m me la pens e et la r alisation du crime Dans 1 Agamemnon la proph tesse Cassandre r v le de mani re programmatique que la femme et l objet sont en r alit un seul et m me tre Ah ah H las h las que vois je l Est ce un filet d Had s Non les rets c est la compagne de lit la complice du meurtre Ces vers ont provoqu la perplexit des philologues par le caract re abrupt du rapprochement fait entre le filet et la femme Le passage prend cependant tout son sens la lumi re de l hybridit du v tement filet qui ne se limite pas seulement ici une alliance de r alit s h t roclites mais qui aboutit la confusion de ce qui est normalement s par l tre vivant et l objet inanim e La lucide Cassandre nous donne acc s ce qui ne devrait pas tre la dissolution des fronti res entre deux ordres qu enchev trent l action minemment transgressive du meurtre par une femme du p re de ses enfants V D hier aujourd hui l objet mu par l imagination Piece out our imperfections with your thoughts Into a thousand parts divide on man And make imaginary puissance
49. tian Biet Christophe Triau Qu est ce que le th tre op cit p 365 366 Toutefois le mot n appara t pas charg de ces connotations n gatives pour l accessoiriste Serge Doumeng qui t moigne dans ce dossier Le go t de l accessoire entretien r alis par Florent Siaud in L objet sous la direction d milie Charlet Aur lie Coulon et Anne Sophie Noel Ag n revue lectronique Dossier n 4 http agon ens lyon fr index php id 1668 pour lui la distinction entre objets et accessoires est radicalement invers e puisque l objet est un accessoire en puissance une chose encore inutilis e qui se r alise en tant qu accessoire partir du moment o il prend place sur la sc ne I Ce projet est celui de notre th se de doctorat en cours La dramaturgie de l objet dans le th tre tragique du V si cle avant J C Eschyle Sophocle Euripide effectu e sous la direction de Christine Mauduit Lyon HI La recherche dans le champ de la dramaturgie antique repose sur des sources lacunaires et fragiles qui posent des difficult s m thodologiques videntes nous ferons n anmoins le pari que de cette confrontation des anciens et des modernes peut surgir une conscience plus aigu de ce qui fait la sp cificit des uns et des autres Nous questionnerons d s lors la dichotomie propos e par les th oriciens contemporains entre un objet absent invisible ou d volu des fonctions ancillai
50. tique de l art d Eschyle de m me que sa propension laisser imaginer au spectateur un objet in dit alliage de deux r alit s partageant une forme comparable droite lanc e mais normalement d volues des fonctions radicalement trang res l une l autre l ensemble forme un hybride in dit et inqui tant qui rel ve de la repr sentation du chaos primitif que s attache d peindre le th tre d Eschyle Nous y reviendrons cf Eschyle Perses v 56 et sa scholie le peuple asiatique est caract ris comme peuple porteur de poignard machairophoron ethnos et le terme d signe probablement les dagues courtes dont les Perses font usage par ailleurs appel es encheiridia comme le note le scholiaste H rodote mentionne des dagues gyptiennes utilis es par les Assyriens se joignant l arm e de Darios VII 63 en VII 93 il oppose l encheiridion des l ments grecs de l armure des Cariens cf H rodote V 20 Alexandre fils du Mac donien Amyntas tue les Perses envahisseurs en ayant recours un stratag me il enivre les Perses et pr tend leur faire l honneur de s unir aux femmes de la cit Il d guise alors un groupe d hommes glabres en les rev tant de v tements f minins et en leur confiant des poignards propos de troupes de M nades repr sent es dans le cort ge militaire d Antiochus Ath n e mentionne les encheiridia 5 28 21 les unes tenaient
51. tiques du th tre d objets ou du moins d un th tre d objets l universitaire Didier Plassard nous a en effet confi les paroles suivantes L beaucoup plus que la manipulation effective c est souvent la parole qui entre en jeu par son seul pouvoir l objet peut devenir autre chose que cet ustensile ordinaire que nous ne remarquons m me plus l appui l auteur raconte un cas de manipulation ordinaire d un objet du quotidien sous les yeux merveill s d une spectatrice il transforme une agrafeuse en cachalot par le simple prestige du mot entendu Le seul fait de prononcer ce mot a suffi pour que dans notre regard cette agrafeuse se m tamorphose effectivement irr m diablement en un cachalot L anecdote illustre les proc d s extr mement conomiques d illusion qui sont ceux du th tre d objets Dans le th tre d objets le pouvoir ludique de la parole cette capacit de r appropriation et de m tamorphose de notre environnement par le langage que nous perdons peu peu en sortant de l enfance conserve toute sa force c est la parole qui est porteuse de ce pouvoir ludique de transformation de notre regard sur le monde Ajoutons une certaine position de l objet dans l espace et mais ce n est m me pas n cessaire un petit jeu d clairage et nous nous trouvons devant les principes fondateurs du th tre d objets Donc celui ci repose bien sur une f
52. trame dramatique et de mettre au jour le spectre le plus large possible des significations qu ont pu avoir les objets pour un public donn dans un lieu et une poque donn es les spectateurs du th tre de Dionysos rassembl s l occasion de festivals religieux au V si cle avant J C L expression est de Georges Banu cf supra n 7 Nous traitons galement du cas de cet objet selon des perspectives diff rentes dans un article para tre aux Presses universitaires de Vincennes Le v tement pi ge et les Atrides transformations d un objet prot en in L attirail dramatique dans les spectacles de l Antiquit Actes de la journ e d tudes portant sur organis e par le GDR 3279 THEATHRE et l Universit de Nantes UFR d histoire histoire de l art et arch ologie CRHIA et UFR de lettres et langages sens antique de l uvre d Eschyle pour saisir avec plus d acuit les enjeux esth tiques et dramaturgiques contenus dans la repr sentation de l objet sur la sc ne I Le d tournement tragique d objets r els Un pr jug s oppose l tude de l objet dans un corpus d uvres th trales du pass ressortissant aux genres dits nobles la conception de formes anciennes corset es par la n cessit de la biens ance qui ne laisse pas de place l objet r el encore moins l objet du quotidien forclos de la sph re artistique En r alit l l vation
53. uctible alt rit des objets demeure en d pit de leur familiarit et les artistes qui les placent au centre de leur pratique n ignorent pas qu ils se confrontent eux aussi comme des figures d inhumanit et de mort Le d tour par Eschyle nous permet peut tre de ressentir avec plus d acuit que ceux qui questionnent en permanence ce qui distingue l tre humain de l objet travaillent un endroit tr s sensible de la d finition de ce que nous sommes d une fa on n cessairement subversive Car ils investissent ce point o la raison vacille o le langage se d fait o les sentiers disparaissent Une question est de savoir jusqu o il est possible d avancer sur ce chemin sans devenir fou Car il s agit de se diriger vers le dehors de ce qui peut tre dit pens v cu Au del nul ne sait ce qu il y a Pour citer le document Anne Sophie Noel L objet au th tre avant le th tre d objets dramaturgie et po tique de l objet hybride dans les trag dies d Eschyle Ag n En ligne Dossiers N 4 L objet Pour une arch ologie de l objet th tral mis jour le 18 01 2012 URL http agon ens lyon fr agon index php id 2054 Ibid p 74
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