MAUX EN MOTS Traitements littéraires de la maladie
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1. idem 128 Madame Leblanc les gens t appr cient beaucoup ils disent que tu les coutes bien idem 135 Cette connaissance donne parfois lieu au constat d un mal tre d une souffrance chez le docteur Depuis quelque temps j ai le sentiment que tu n as plus la m me patience tu es souvent silencieux irritable et parfois te me parles s chement au t l phone idem 136 et plus tard certains jours tu as air tr s gai tr s heureux et d autres on dirait que tu es malade tellement tu es sombre Il y a quelques mois j ai cru que c tait cause du d c s de ta maman mais je ne crois pas Et les jours suivants tu avais Pair triste bien s r mais parfois tu poussais de grands soupirs et d un seul coup tu te mettais rire idem 569 Le roman La maladie du docteur Sachs met au premier plan la souffrance du m decin Sachs comme l indique le titre m me Il s agit d une souffrance cette fois ci non physique mais d une souffrance psychologique dont les causes sont multiples et elle s exprime notamment travers l criture du m decin lui m me S1 le regard des patients port sur le corps du m decin op re une objectivation voire une m canisation de celui ci r alisant simultan ment une mise distance une ext riorisation de celui ci en tant qu humain impliqu dans une relation directe de soin ou de rencontre l crit d tient dans ce ro2. poque contemporaine Le corps a t d membr et ses diff rentes parties fonctionnent ind pendamment r gies pas un syst me hi rarchique fond sur la math matique des mensurations Brunestein amp P pin 1999 181 Dans le cadre de l observation du geste un regard individualisant est l uvre et non un regard personnalisant Le m decin sait faire on le regarde faire mais la compr hension de ses actes d passe souvent le simple regard de l acte Cette relation d observation ne se d roule cependant pas de mani re r ciproque Le lecteur n acc de pas l observation du patient faite par le m decin La parole et le regard dans le roman l exception de l criture n appartient qu l individu observateur et ce qui est observ en m me temps que le geste c est le corps Le roman abonde de descriptions physiques du m decin toujours port es dans la m me direction cheveux un peu trop longs qui ont besoin d un shampooing grand portant une veste en cuir us e mais les regards ne se croisent pas La relation entre le patient et le m decin est une relation de non r ciprocit s situation due notamment au statut du regard qui regarde et non pas au statut diff rent m decin patient Une relation de r ciprocit serait celle dans laquelle patient et m decin se regarderaient l un l autre de la m me mani re Cette situation ne sera possible dans le roman qu travers
3. Le m decin gu rit op re des actes et apporte des soins aux corps malades mais ces actes permettent galement d engager l individu dans une relation d observation et de construction Celui qui gu rit les corps des autres tente de gu rir soi m me d un autre type de souffrance la solitude Mais cette gu rison est elle possible Mots cl s maladie criture soigner corps relation Abstract Martin Winckler s novel La Maladie de Sachs utilises an original fictional strategy that builds with the help of a mirror game sent out through the eyes of the patients for their doctor the protagonist s identity the general practitioner and writer Bruno Sachs The look has in this novel an objectivising function vision makes possible the construction thanks to added up elements of a character s identity an evolving identity contradicted and adjusted according to the kind of look but adjusted mostly by the written word the only one that emerges from the protagonist himself The doctor heals acts and brings care to the ill bodies but these acts also enable oneself to engage in a relationship of observation and construction The one who heals the others bodies tries to heal himself from another type of suffering loneliness But is this healing possible Keywords illness care writing body relationship 164 1 La maladie de Sachs et le rapport aux autres romans de l crivain La mal
4. comme l objet d une science m dicale qui a perdu son humanit tout en se sp cialisant et en s loignant des hommes et en prenant en compte seulement des corps des corps sans histoire Ce sont des corps investis politiquement en termes de rentabilit et de production donc des corps faussement d pourvus d int riorit Dans l ensemble des romans le corps du patient n est un corps supportable que dans la mesure o il est pourvu d une histoire Dans le roman En souvenir d Andr Winckler 2012 le narrateur accompagne des gens qui souhaitent mettre fin leur souffrance Il ne les aide pas forc ment mourir il les soulage et il les coute Ces corps morts mais ayant une histoire ne sont pas des corps r pugnants mais des corps inscrits dans l ordre naturel du monde Le paroxysme d ailleurs de ce corps instrumentalis appara t notamment dans le roman Les Trois m decins Winckler 2004 deux reprises lorsque les tudiants doivent trouver des corps et des ossements pour leur apprentissage de l anatomie ces corps sans histoire provoquent l effroi ils emp chent de la part de l apprenti m decin toute action Celui ci est t tanis et dans l impossibilit de bouger Il refuse d utiliser le corps m me mort pour les besoins de l apprentissage il refuse pour r sumer le corps comme lieu d exp rimentation scientifique qui est selon Brunestein et P pin 1999 181 caract ristique du
5. il construit une narration en dehors de tout dialogue direct Dans ces circonstances en absence de toute transcendance ce qui fait sens et qui donne un but l acte du m decin ce qui sauve la relation m dicale et l humanise est la valeur donn e au corps de l autre par l histoire Le corps biologique fini d termin dans l espace et le temps n est pas un corps m canique mais un corps organique pourvu de surcro t d une histoire personnelle celle d une vie R f rences bibliographiques BAKHTINE Mikha l 1998 La po tique de Dosto evski Paris ditions du Seuil traduction d Isabelle Kolitcheff pr face de Julia Kristeva BOURDIEU Pierre 2001 Science de la science et r flexivit Cours du coll ge de France 2000 2001 Paris Raisons d agir ditions BRAUNSTEIN Florence amp P PIN Jean Fran ois 1999 La place du corps dans la culture occidentale Paris PUF 175 DANOU G rard 1994 Le corps souffrant Litt rature et m decine Seyssel ditions Champ Vallon FOUCAULT Michel 1975 Surveiller et punir Naissance de la prison Paris Gallimard PEREC Georges 1978 La vie mode d emploi Paris Hachette RIC UR Paul 1990 Soi m me comme un autre Paris Seuil WINCKLER Martin 1989 La vacation Paris P O L diteur WINCKLER Martin 1998 La maladie de Sachs Paris P O L diteur WINCKLER Martin 2002 L gendes Paris P O L diteur WINCKLER Martin 20
6. critique sur son m tier m me et sur la port e de ses gestes de soin Se pla ant dans une position de marginalit assum e par rapport la hi rarchie du syst me m dical le docteur voit appara tre une relation empathique dans la relation m dicale ce qui fait de lui un m decin sujet la diff rence d un m decin technicien pur pour employer les mots de G rard Danou 1994 Cependant au del de cette posture assum e la r alit de l exercice de l acte m dical dans un cabinet m dical dans une petite ville de province engendre une souffrance une prise de conscience progressive des limites d action du m decin La maladie du docteur Sachs provient justement du constat des limitations inh rentes la condition humaine du m decin d Mais de quoi souffre le docteur Sachs Le docteur Sachs souffre bien s r de la solitude une solitude professionnelle due sa situation de marginalit choisie par rapport la hi rarchie professionnelle mais aussi d une solitude personnelle att nu e voire annul e par l arriv e de Pauline mais aussi parfois par l exercice du m tier de soignant pendant lequel le dialogue reste cependant imparfait orient seulement tout comme le regard dans une seule direction Mais au del de la solitude le soignant souffre du constat des limites de l intervention de l humain fut il m decin dans la vie des hommes Quelle est la diff rence entre un m deci
7. le regard amoureux de Pauline 4 Nous ne pouvons malheureusement pas c der ici la tentation d une analyse de ce type de relation en termes foucaldiens en faisant par exemple la distinction entre objectivation et subjectivation de l observ en fonction du type de regard port sur lui cf Michel Foucault 1975 5 Je te regarde Tu es tr s grand Tu fais moins jeunot plus docteur que quand tu es arriv mais tu es toujours aussi grand Il est vrai que je ne le suis pas moi Winckler 1998 50 Tu as les cheveux un peu trop longs Ton visage est gris de barbe m me lorsque tu viens de te raser Tu as souvent un sourire en coin mais pas aujourd hui idem 77 Cheveux hirsutes et traits tir s tu parais sur le seul de la chambre v tu d un pantalon de surv tement un peu trop court d un tee shirt et d une veste d int rieur informe que tu reboutonnes maladroitement en me voyant idem 105 Tu es pench sur ton ordonnance Tes cheveux sont un peu trop longs un peu sales Le col de ta chemise est bien lim ta veste de cuir a l air d avoir mon ge et je ne suis plus tr s jeune tes joues sont grises de barbe le moins qu on puisse dire c est que tu ne fais pas tr s net Mais la nuit a t difficile idem 232 Maman rit Un homme rentre Je le l ai jamais vu Maman m a dit que a ne serait pas J r me mais qu il tait gentil lui aussi Il est grand presque aussi grand que J r
8. me mais il a des cheveux noirs des lunettes fonc es et on dirait qu il ne s est pas ras ce matin Il a une veste de cuir une grande sacoche et il joue avec ses cl s Il me sourit il a une dent du haut br ch e idem 484 etc 168 La diff rence de statut des regards dans le roman engendre un rapport particulier au corps au corps malade celui du patient vu par lui m me et au corps du m decin vu cette fois ci par le patient Ce qui est donc en jeu dans la relation entre le m decin et le patient ce sont les corps le corps malade ou souffrant du patient et le corps du m decin Si selon Paul Ric ur le corps est le premier l ment qui permet une mise distance e soi par rapport l autre premier crit re de l apparition de l alt rit La double appartenance du corps propre au r gne des choses et celui de soi s est une seconde fois impos e Le corps propre est le lieu m me au sens fort de ce terme de cette appartenance gr ce quoi le soi peut mettre sa marque sur ces v nements qui sont des actions Ric ur 1990 370 le regard port sur le corps du m decin dans sa globalit dans La Maladie de Sachs permet l individu observateur d acc der la premi re tape de la connaissance de celui ci Mais entre regarder et voir 1l existe une diff rence notable dans le roman Ainsi le docteur Yves Zimmermann nuance cette observation Je me rappelle la premi re fo
9. 03 Mort in vitro Paris Fleuve ditions WINCKLER Martin 2004 Les Trois M decins Paris P O L diteur WINCKLER Martin 2008 La trilogie Twain un pour deux t 1 Paris Calmann L vy WINCKLER Martin 2009 La trilogie Twain deux pour tous t 3 Paris Calmann L vy WINCKLER Martin 2009 La trilogie Twain l un ou l autre t 2 Paris Calmann L vy WINCKLER Martin 2009 Le ch ur des femmes Paris P O L diteur WINCKLER Martin 2012 En souvenir d Andr Paris P O L WINCKLER S WEBZINE 2014 lt URL http martinwinckler com gt consult le 20 VI1 2014 176
10. MAUX EN MOTS Traitements litt raires de la maladie Maria de Jesus Cabral Maria Jo o Reynaud Maria de F tima Outeirinho Jos Domingues de Almeida Orgs Universidade do Porto Faculdade de Letras 2015 Titre Maux en mots Traitements litt raires de la maladie Organisateurs Maria de Jesus Cabral Maria Jo o Reynaud Maria de F tima Outeirinho Jos Domingues de Almeida diteur Universidade do Porto Faculdade de Letras Lieu Porto Ann e 2015 ISBN 978 989 8648 46 4 dition en ligne URL http ler letras up pt site default aspx qry id0221d1458 amp sum sim O des auteurs des textes Couverture Mare calma Alexandru R dvan GUERIR LE CORPS ET L ESPRIT DANS LA MALADIE DE SACHS CARMEN HUSTI Laboratoire LISAA EA 4120 ANR Biolographes carmen husti u pem fr R sum Le roman de Martin Winckler La Maladie de Sachs utilise une strat gie fictionnelle originale qui permet de construire l aide d un jeu de miroirs mis par le regard port par les patients sur leur m decin l identit du protagoniste le m decin g n raliste et crivain Bruno Sachs Le regard a dans ce roman une fonction objectivante le voir permet de construire par l ments additionn s l identit d un personnage une identit en volution contredite et ajust e selon le type de regard port sur elle mais surtout ajust e l aide de la parole crite la seule qui merge du protagoniste lui m me
11. adie de Sachs roman publi en 1998 par Martin Winckler pseudonyme de Marc Zaffran s inscrit dans un ensemble d crits de forme et de valeurs tr s diff rentes des r cits autobiographiques tels L gendes Winckler 2002 des romans policiers l exemple de Mort in vitro Winckler 2003 ou la trilogie Twain Wincker 2008 2009 des essais portant sur des s ries t l s des billets de blog ou des romans destin s un public plus ou moins large Tous ces crits ont en commun la th matique m dicale qui est leur principale source d inspiration de l crivain et pour certains la circulation des m mes personnages au sein des univers fictionnels Bruno Sachs m decin g n raliste exer ant dans le cabinet m dical de Play petite ville proche de la grande ville Tourmens nom qui laisse entrevoir la ville de Tour ville dans laquelle Marc Zaffran a fait ses tudes de m decine du roman La Maladie de Sachs est pr sent notamment dans deux autres romans La vacation Winckler 1989 et Les trois m decins Winckler 2004 Des liens troits se tissent entre ces romans et permettent d clairer certains aspects du roman qui nous int resse particuli rement ici La maladie de Sachs Le roman Les Trois m decins paru en 2004 dont la narration anticipe et d passe la p riode chronologique laquelle se situe La Maladie de Sachs pr sente une conception du m decin et de son r le diff rente de celle plus am re plu
12. de Sachs mais aussi dans Les Trois m decins et Le ch ur des femmes appara t comme une machine d pourvue d int riorit comme un tre issu directement du syst me de l enseignement Le soignant en revanche est celui qui sait couter qui soulage la douleur et qui ne porte pas de jugement sur ses patients Dans La maladie de Sachs cette diff rence nette entre les deux statuts est exprim e en termes de pouvoir Le Docteur sait et son savoir pr vaut sur tout le reste Le soignant cherche avant tout apaiser la souffrance Winckler 2012 589 Chez Martin Winckler le syst me m dical appara t comme un appareil de savoir tel qu il est d crit par Michel Foucault 1975 149 Le m decin serait quant lui investi du r le d instrument du syst me social qui a besoin d une r gulation pour fonctionner Ainsi Bruno dans l un de ses crits affirme Les h pitaux sont faits 9 9 j insiste sur ce point la pratique m dicale quotidienne immerge le m decin dans un monde de maladie et de mort qui soit le ferme toute r flexion par protection il reste alors m decin technicien pur soit le met directement en cause comme sujet Danou 1994 9 171 pour parquer ces anormaux ces d viants qu on appelle les malades et pour les ramener dans le droit chemin c est dire au boulot Winckler 1998 588 Le corps des patients appara t comme tant instrumentalis
13. er 1998 513s 174 Devant cette culpabilit et l apparition d un sentiment d identification impossible aucun mod le d tre soignant le docteur Sachs prouve une souffrance solitude contre laquelle seulement l criture elle m me l exercice du m tier et l amour peuvent se pr senter comme donneurs de sens la vie de l homme m decin Pour conclure l acte m dical est envisag dans ce roman comme un acte rationnel et relationnel de l immanence d un ici et d un maintenant de l interaction entre le m decin et le patient Mais cet acte se produit dans le cadre d une filiation et d une transcendance totalement absentes ceci tant valable galement pour l ensemble des romans de Winckler Cette immanence institue d ailleurs un type de relation particulier sans interm diaire une relation directe dans laquelle les sens du patient et du m decin sont engag s dans la relation de soin Dans le roman En souvenir d Andr Winckler 2012 il s agit de l ou e qui d tient tout comme dans Le ch ur des femmes Winckler 2009 une place centrale la relation de soin Sans Les Trois m decins Winckler 2004 l ou e le regard et le toucher sont mobilis s tandis que dans La maladie de Sach seulement le regard et le toucher sont pr sents Les personnages ne communiquent pas r ellement tous soliloquent mis part Pauline et Bruno dans les moments d intimit chacun regarde l autre et pense
14. fonctionnement des soci t s contemporaines b Souffrance physique et psychologique et le don de soi Refusant cette posture de m decin sachant refusant par ailleurs toute emprise sur le corps du patient un corps inscrit dans un mode affectif de relations un corps qui ne peut pas se comprendre dans sa totalit ceci pourrait d ailleurs expliquer la raison 7 Cet investissement politique du corps est li selon des relations complexes et r ciproques son utilisation conomique c est pour une bonne part comme force de production que le corps est investi par des rapports de pouvoir et de domination Foucault 1975 34 8 Soci t s en d sarroi effondrement des id ologies doute grandissant face aux certitudes des sciences le corps est la fois source de m pris et de narcissisme lieu d une violence sociale collective lieu d une violence individuelle psychique Il ne faut donc pas s tonner que le corps soit devenu dans notre soci t vitrine de repr sentation sociale spectacle dans le sport lieu d exp rimentation scientifique Brunestein amp P pin 1999 181 172 pour laquelle dans ce roman le corps du patient n est jamais voqu par le m decin lui m me Les m decins saignent ils tordent ils d coupent ils violent ils enculent ils arrachent ils d sarticulent ils asservissent ils normalisent Winckler 1998 588 le docteur Sachs porte un regard r flexif et
15. ges Perec a Polyphonie et regard crois Dans ce roman une strat gie narrative polyphonique dans le sens donn par Bakhtine 1998 1929 ce terme est employ e Les narrateurs sont des personnes de l entourage du docteur Sachs notamment des patients qui d crivent les faits et gestes aussi bien m dicaux que de la vie de tous les jours ou rapportent des conversations ou des dialogues dans lesquels est impliqu le docteur Sachs Le pronom tu est omnipr sent dans le roman les seuls moments o le je merge est dans de situations d nonciation sp cifiques issues de l criture directe de Bruno La pr sence de ces critures qui apparaissent par ailleurs dans le roman retranscrites l aide d une typographie diff rente de celles du corps du roman est directement assum e ou justifi e par la lecture faite par Pauline Kasser la compagne de Bruno b Parole juste bienveillante neutre Tous les locuteurs n ont pas le m me statut dans le roman ils sont plus ou moins proches de leur objet d observation mais d crivent toujours partir de leur point de vue circonstanci Bruno Sachs Cette parole est parfois neutre tendant une forme d objectivit parfois malveillante notamment la voisine parfois impliqu e proche ou 3 D ailleurs les liens qui unissent les deux crivains sont nombreux Dans sa propre biographie pr sente sur le site internet de Martin Winckler celui ci consacre
16. is que je t ai vu Je veux dire vraiment vu Et cout pas seulement entendu Alors je t ai regard travers mes lunettes et je tai vu pour la premi re fois Tu avais vingt ou vingt deux ans et tu tais d j en col re Winckler 1998 113 Dans cette m me optique dans les propos de Pauline Kaser une diff rence entre le terme voir et regarder appara t Elle affirme cette fois ci en utilisant non pas le tu mais le il Je n ai pas r pondu je l ai regard Il avait les cheveux un peu trop longs et besoin d un shampooing il s tait massacr en se rasant le matin il y avait de toutes petites taches de sang s ch sur son cou Le col de sa chemise tait bien fatigu et quand il a souri en me disant au revoir j ai remarqu pour la premi re fois qu une de ses incisives du haut tait un tout petit peu br ch e idem 158 Contrairement aux autres personnes elle ne parle pas elle observe Cette observation deviendra de plus en plus nuanc e tout au long du roman Ainsi si la premi re rencontre du m decin engendre une description physique de celui ci certaines 169 personnes parviennent d passer ce premier obstacle pour le regard et acc dent la personnalit du m decin Il s agit dans la plupart des cas d une connaissance qui s accompagne d une parole interpos e J r me Boulle Tr s appr ci Enfin pas par tout le monde quand m me
17. man une fonction de miroir r fl chissant de l int riorit 170 4 Le souci de soi la r flexivit de l acte m dical L criture pr sente dans le roman de mani re directe travers des crits ayant des statuts diff rents et une typographie diff rente ou indirecte travers la parole de Pauline qui les lit et que sert dans ce cas d intercesseur est un m dium r flexif dans le sens donn par Pierre Bourdieu 2001 ce terme de l acte m dical lui m me travers l criture merge un sujet un m decin sujet de surcro t selon la d finition de G rard Danou dans son ouvrage Le corps souffrant Danou 1994 qui r fl chit sa place dans le syst me m dical son r le de m decin mais aussi au sens de sa vie et la port e de ses actes Celui qui dit je de mani re directe dans le roman laisse entendre le soi r flexif ainsi d fini par Paul Ricoeur Dire soi ce n est pas dire je Le je se pose ou est d pos Le soi est impliqu au titre r fl chi dans des op rations dont l analyse pr c de le retour vers lui m me Ricoeur 1990 30 a Gu rir et soigner Dans l ensemble des romans de Martin Winckler une diff rence pertinente entre deux statuts diff rents dans le corps m dical appara t une diff rence qui engendre par ailleurs des mani res d tre diff rentes il s agit du statut de m decin et celui de soignant Le m decin type dans La maladie
18. n et Dieu est une question pos e de mani re humoristique par le charismatique docteur Karman dans le roman Le ch ur des femmes Winckler 2009 et qui est pr sente en tant qu pigraphe de l un des chapitres Et la r ponse est Dieu ne se prend pas pour un m decin ibidem Derri re cette affirmation un rapport entre le savoir et le pouvoir est pos de mani re originale dans le roman de m me que le constat de l impuissance de l humain face la maladie elle m me R futant le syst me m dical tel qu il est h ritier d une mani re d tre soignant par filiation paternelle Bruno appara t dans le roman comme un tre meurtri par le sentiment d impuissance face la maladie des tres proches 173 notamment celle du p re sentiment pr sent et exprim d ailleurs dans le roman En souvenir d Andr Winckler 2012 Quand on d cide qu on sera m decin c est souvent par d sir d emp cher les autres d tre malades et de mourir Le temps de le devenir ce d sir en a pris un coup On se retrouve submerg par sa propre ignorance atterr par sa propre impuissance terroris de savoir qu on n est pas soi m me l abri et que nos parents nos amis nos amants nos aim s n chapperont rien eux non plus qu on soit ou non leur c t Winckler 2012 49 La maladie apprise dans les livres devient concr te lorsqu elle est prouv e par le m decin m me dans son pro
19. pre corps ou par ses proches La maladie et la mort du p re sont interpr t es par Bruno comme les preuves de l chec de la mission de soignant que le p re lui a transmise Le sentiment de culpabilit s instaure de m me que le sentiment d ill gitimit d une transmission incompl te de la part du p re Je ne veux plus mourir parce que vous tes ici Mais je n arrive pas me d faire de cette id e que je n ai pas vraiment le droit d tre vivant moi alors que mon p re est mort 25 J avais toujours eu l illusion qu il ne pouvait pas mourir Qu il ne pouvait pas me laisser sans m avoir tout dit sans m avoir l gu son savoir sa sagesse son humanit Sans m avoir appris soigner comme il savait le faire Mais vous savez soigner Vous ne faites que a De qui le tenez vous si vous ne tenez pas a de lui Non je ne sais pas soigner Si j avais su je l aurais soign lui Je l aurais accompagn quand il est mort mais je n ai pas su Je lui en voulais d tre malade d avoir t si fort si grand et de tomber malade de mani re aussi conne Et en plus j ai voulu jouer les petits malins j ai voulu lui montrer que je savais Larticle Apr s sa mort je l ai retrouv dans son bureau sous une pile de livres Il d crivait exactement tous les stades de sa maladie D un bout l autre Je ne ai pas soign Je lui ai montr sa mort Winckl
20. s r serv e de La Maladie de Sachs une conception qui laisse transpara tre une certaine forme d id alisme Elle merge travers une conscience exprim e de la r flexivit de l action m dicale soigner l autre veut dire aussi se soigner soi m me Par la th matique abord e le d nouement spectaculaire et le traitement de certaines questions la mode qui portent sur des questions de sexualit et de d finition du genre sexuel Le ch ur des femmes Winckler 2009 s adresse un public tr s large 2 une premi re lecture la situation para t similaire dans La maladie de Sachs Cependant comme nous allons le voir lors de l analyse pr sente la fin du roman la solitude du m decin semble dominer dans la relation m decin patient seule Pauline pourra lui apporter le dialogue et la possibilit de s exprimer travers des crits ou dans des dialogues directs 165 2 Construire le monde de l criture strat gies narratives Mais au del d une conception sp cifique de l acte m dical La maladie de Sachs propose une strat gie narrative originale qui contribue l mergence d un point de vue in dit qui porte sur l acte m dical et sur la signification de la relation entre le m decin et le patient Il s agit d une contrainte narrative d inspiration oulipienne qui s explique dans le contexte d une admiration manifeste exprim e par l auteur par rapport Geor
21. t avec une focalisation notamment sur la main du m decin Ta main fait le tour de mon ventre dans le sens inverse des aiguilles d une montre Puis tu glisses ta main gauche entre mon dos et le drap Non ne bougez pas droite puis gauche et tu palpes mes flancs entre tes deux mains d un c t puis de l autre idem 27 Tu te rassieds Tu poses la main gauche plat sur le ventre et de l index droit repli tu frappes dessus Tu d places la main et tu frappes nouveau de gauche droite de haut en bas a sonne creux Puis tu palpes mes aines mes cuisses ibidem Tandis que le patient regarde faire le m decin celui ci dirige le regard du patient vers une direction pr cise mais cette redirection engendre ce m me type de regard observateur Du bout du pouce tu attires ma paupi re vers le bas regardez le plafond Le plafond n est plus tout fait blanc idem 28 Cette focalisation op re une d connexion de la partie par rapport au tout du corps du m decin Une m canisation du geste s op re op ration qui isole la partie du tout Le m decin observ par le patient ne semble pas tre pourvu d une int rieure Nous sommes ici devant une situation similaire celle d crite par Florence Braunstein et 167 Jean Fran ois P pin dans leur livre La place du corps dans la culture occidentale comme tant caract ristique de la perception du corps dans l
22. une ligne enti re la d couverte de cet auteur 1978 d couvre La Vie Mode d Emploi de Georges Perec dans une librairie de Tours aujourd hui disparue Lit ensuite tout de cet auteur dont le nom sonne breton Winckler s Webzine 2014 Le pseudonyme m me choisi par Marc Zaffran Martin Winckler est galement li ce m me roman et plus pr cis ment au personnage Gaspard Winckler Perec 1978 166 amoureuse et parfois acerbe critique et impliqu e voire engag e notamment dans les crits c Voir faire et savoir faire Ces voix multiples op rent un ajustement constant de l image de l individu Elles servent de miroirs r fl chissants qui op rent une construction qui tend vers l objectivation de l individu m decin Au tout d but du roman la g n ralit et la neutralit de l observation prime Nous sommes devant la description d une consultation type tout comme au d but du roman La vacation Winckler 1989 dans laquelle le patient observateur est g n rique et anonyme caract re renforc notamment par l utilisation de la conjonction ou Ici comme pendant toutes les s ances de consultation relat es le regard a une fonction op rante Je te regarde Je t ai vu Je me rappelle la premi re fois que je tai vu Winckler 1998 113s les occurrences des termes appartenant la famille lexicale du regard sont nombreuses Le geste m dical est d cri
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