Empêcher le suicide en prison€: origines et pratiques
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1. CAIRN chercher rep rer avancer Cet article est disponible en ligne l adresse http www cairn info article php ID REVUE SOCO amp ID NUMPUBLIE SOCO 075 amp ID ARTICLE SOCO 075 0059 Emp cher le suicide en prison origines et pratiques par Ga tan CLIQUENNOIS et Gilles CHANTRAINE Presses de Sciences Po Soci t s contemporaines 2009 03 n 75 ISSN en cours ISBN 9782724631623 pages 59 79 Pour citer cet article Cliquennois G et Chantraine G Emp cher le suicide en prison origines et pratiques Soci t s contemporaines 2009 03 n 75 p 59 79 Distribution lectronique Cairn pour les Presses de Sciences Po Presses de Sciences Po Tous droits r serv s pour tous pays La reproduction ou repr sentation de cet article notamment par photocopie n est autoris e que dans les limites des conditions g n rales d utilisation du site ou le cas ch ant des conditions g n rales de la licence souscrite par votre tablissement Toute autre reproduction ou repr sentation en tout ou partie sous quelque forme et de quelque mani re que ce soit est interdite sauf accord pr alable et crit de l diteur en dehors des cas pr vus par la l gislation en vigueur en France Il est pr cis que son stockage dans une base de donn es est galement interdit EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Of LH Gilles Chantraine 7 Q2. au moyen de 8 http observatoire samizdat net 9 www prison eu org www oip org 10 Le cadrage public renvoie ici aux repr sentations de la prison dont sont mus les mouvements collectifs La notion de cadrage para t utile pour analyser la dynamique des actions collectives Benford et Hunt 2001 68 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine divers arguments juridiques comme le droit la vie Une requ te en r f r r cemment introduite par OIP devant le Conseil d tat le 14 mai 2007 contre l administration p nitentiaire se fonde d ailleurs explicitement sur le droit la vie des d tenus Cette requ te constitue un exemple de gu rilla qui d passe la d fense stricte des int r ts particuliers des familles Ainsi ces diff rentes activit s de judiciarisation et de m diatisation des suicides exposent la prison au regard et au jugement de la soci t Elles sont des moyens utilis s par les acteurs pour mettre l preuve l institution p nitentiaire Salle 2004 et obliger refonder sa l gitimit en composant avec d autres instances sociales en bref remettre en cause son caract re total Mais comment les pratiques concr tes en d tention accompagnent elles cette transformation De quelle mani re l conomie relationnelle globale et les interactions de la vie quotidienne sont elles modifi es par cette inflexion r glementaire et jurisprudentiell
3. cifiques du d tenu accroissement des contacts avec l ext rieur d veloppement des activit s renforcement de la surveillance et de l observation par la pratique de rondes La circulaire fixe aussi pour objectif de r duire les cons quences d un passage l acte en apportant par exemple des informations fiables aux proches pour viter les recours juridiques La note du 5 mars 2004 DAP PMJ2 132 se donne pour objectif pr cis de r duire le suicide de 20 sur une p riode de cinq ans Il s agit comme pr c demment de diminuer les moyens d acc s au suicide en s assurant que les cellules comportent tr s peu de points d arrimage puisque la r ussite d un passage l acte suicidaire est largement condi tionn e par la facult qu a la personne en crise le r aliser avec faci lit Il est question galement d accentuer la pluridisciplinarit chaque tablissement devant traiter de la pr vention du suicide dans le cadre pr existant de ses commissions pluridisciplinaires ou par linterm diaire d une commission sp cifique de pr vention du suicide La note invite aussi une meilleure prise en consid ration de lapr s suicide par une prise en charge plus importante des familles de d tenus et par un accompagnement psychologique et m dical des membres du per sonnel p nitentiaire Enfin des mesures et des engagements titre exp rimental sont adopt s formation de cod tenus l intervention de c
4. d la pendaison pr c dant l ingestion de produits toxiques la dur e de d tention moins de 15 jours de d ten tion le lieu de d tention la maison d arr t le secteur de d tention quartier disciplinaire enfin le moment le samedi et la nuit Ces jours correspondent des p riodes d inactivit qui exigent une vigi lance particuli re des personnels l gard des d tenus risque rondes avec contr le visuel et r ponses rapides aux sollicitations des d tenus La circulaire du 29 mai 1998 DAP JUSE9840034C affirme qu une pr vention reposant sur la r duction des risques de passage l acte est l gitime et efficace la condition non pas de contraindre le d tenu ne pas mourir mais le restaurer dans sa dimension de sujet et d acteur de sa vie Elle tente donc de d passer une conception bas e jusqu alors sur emp chement du suicide qui peut tre attentatoire la libert de se donner la mort Les mesures pr conis es s inscrivent n anmoins dans la filiation des politiques pr c dentes puisqu il s agit de situer les pics de risque et d y r pondre par des actions tendant limiter le risque Il est recommand aux intervenants comme par le pass de proc der au rep rage et liden tification du risque suicidaire pendant la p riode d accueil des d tenus et d tre particuli rement vigilants l gard de d tenus d j signal s La circulation des informations entre personn
5. 16 novembre 1988 arr t n 68224 poux D largit encore la faute lourde en retenant la responsabilit de l tat pour d faut de mesure de surveillance compl mentaire et de transmission de l information la hi rarchie et au service m dical concernant un d tenu faisant l objet d une surveillance et de soins particuliers et retrouv seul inanim dans sa cellule de s curit Un jugement du 5 d cembre 2001 d cision n 001105 Mme T proc de une nouvelle extension de la faute lourde en retenant la responsa bilit de l administration pour ne pas avoir effectu des mesures de surveillance renforc es rondes contre rondes d un d tenu ten dance suicidaire plac pourtant en cellule double Puis le Conseil d tat a substitu implicitement au crit re de la faute lourde une faute simple par un arr t du 23 mai 2003 CE Chabba req n 244663 Lebon 240 L abandon du crit re de la faute lourde au profit de la faute simple se fonde explicitement sur le caract re imp rieux du droit la vie CE Kechichian req n 219562 des d tenus La faute tient dor navant l absence de r ac tion d faut de surveillance ou dans une r ponse non ad quate du service p nitentiaire erreur de placement du d tenu mauvaise orga nisation du service un suicide pr visible Le juge administratif a encore accru par un arr t du 9 juillet 2007 les obligations de l admi nistration en requ rant outre
6. Chantraine conseillers d insertion et de probation et du minist re public a comp tence pour statuer sur les permissions de sortie et les r duc tions de peine La commission de d bats contradictoires compos e uniquement du juge d application des peines et du minist re public d cide pour sa part de l am nagement de peines lib ration condi tionnelle semi libert et surveillance lectronique Dans ces commis sions la prise en consid ration de la protection de la vie des vic times potentielles et du risque de r cidive am ne le juge refuser des am nagements de peine aux d tenus suicidaires Ce type de d cision conduit prolonger l enfermement et le ch timent mais aussi accro tre la responsabilit de administration p nitentiaire En effet le juge d application des peines et le minist re public insistent sur les risques de r cidive et sur la n cessit de prot ger la vie des victimes potentielles lorsque les faits ayant donn lieu l incarc ration constituent des atteintes aux personnes C est partir de cette logique de protection des victimes qu ils con oivent princi palement leur responsabilit professionnelle et les attentes de leur hi rarchie Cliquennois 2008 Le juge d application de l tablisse ment observe ainsi que les m dias sont friands de faits sensationnels et de faits spectaculaires Je ne peux me permettre une permission de sortie ou un am nagement de peine hasarde
7. EMPECHER LE SUICIDE EN PRISON CA ORIGINES ET PRATIQUES R sum L examen des r glementations successives relatives la pr vention du suicide montre qu un souci croissant de protection de la vie des d tenus concr tis par la pr occupation de pr venir les risques suicidaires voit le jour notam ment sous l effet des volutions de la jurisprudence et de la pression militante actions associatives L observation des pratiques concr tes dans deux tablisse Le dispositif de ments p nitentiaires conduit n anmoins nuancer l hypoth se d un mouvement pr vontion go historique lin aire au cours duquel les pouvoirs traditionnels de l institution p ni effet en tension tentiaire perdraient de leur force sous la pression de cette nouvelle exigence le avec d autres dispositif de pr vention du suicide entre en effet en tension avec d autres logiques logiques SEE onat z se profession professionnelles ainsi qu avec un souci grandissant de prot ger des victimes Fins potentielles qui peut favoriser un maintien en d tention et p renniser par ce qu avecun maintien l tat suicidant du sujet souci grandissant de prot ger des victimes potentielles BI INTRODUCTION Quels sont la nature et les types de rapports qu entretient aujourd hui l tat avec la vie et la mort de ses sujets Poser cette question conduit l analyste s int resser aux dispositifs socio politi ques utilis s pour penser et enca
8. L impens d une r forme p nitentiaire Actes de la recherche en sciences sociales vol 136 137 n 1 p 15 26 Faire vivre et laisser mourir le gouvernement contemporain de la naissance et de la mort Paris La D couverte S curit et droit du service public p nitentiaire Paris Libraire g n rale de droit et de jurisprudence Mettre la prison l preuve Le GIP en guerre contre l Intol rable Cultures et conflits n 55 p 71 96 Dictionnaire de d mographie p nale Des outils pour arpenter le champ p nal Paris L Harmattan 79
9. certains types de t ches qui ne n cessitent pas une grande productivit ni un travail d quipe pour tenter de les occuper et de les d tourner de leur tendance suicidaire Le but est aussi de r duire la conflictualit qui oppose certains d entre eux au personnel de surveillance Dans son principe la cr ation de ces postes ouvre donc une voie diff rente des actions pr conis es par les r glementations et la jurisprudence m me si en pratique la tenue de ces postes requiert une certaine implication dans le travail et un tat de sant pas trop d grad un d tenu charg de la mise en peinture de certaines cellules ayant t jug inapte poursuivre son travail en raison d une trop grande d pendance m dicamen teuse et d une trop faible productivit Beaucoup de ces postes sont dans les faits offerts des d tenus informateurs qui accep tent de collaborer avec le chef de d tention en lui livrant des infor mations de premi re main sur l tat des trafics ca dat racket drogue m dicaments sur les auteurs de violences sur des cod tenus et sur les projets d vasion et de mutinerie En pleine commission de classement il n est pas rare que le CSP en charge du travail re oive ainsi un coup de t l phone du chef de d tention lui donnant ordre de choisir un d tenu en particulier parce qu il a accept entre temps de coop rer et de livrer des informations de premier ordre alors m me qu un autre d
10. des efforts pour retirer l institution le monopole de la violence l gitime Bourgoin 2001 Le suicide s explique certainement de ce point de vue par l absence d organisation sociale int grante et constitue la marque d un despo tisme moral et mat riel Durkheim 1981 La r duction des modes d expression qu implique l institution totale renvoie d ailleurs tr s directement ce que E Goffman d crit comme les techniques de ricochet soit la d possession des moyens habituels de d fense de lindi vidu comme technique de mortification caract ristique de l institu tion totale Goffman 1968 Cette d possession produit des modes de protestation et de revendication extr mes telles les atteintes au corps et les automutilations Le corps s impose alors comme une arme et un support d inscription d une lutte contre les personnels Les effets de publicisation de ce r pertoire d action bien qu ils demeurent fai bles men sont pas moins r els si l on met en relation ces effets avec les processus progressifs de juridicisation et d inscription du conten tieux suicidaire dans l espace public Mais la multiplication de ces actes auto agressifs par les d tenus tend d qualifier leur port e ven tuellement suicidaire aupr s de certains des personnels Ceux ci pei nent se concevoir comme des protecteurs de corps meurtris en sursis et se pensent davantage comme des gardiens du vivant Et m me lorsque cette reconnaissance est
11. distri bution de m dicaments Ces pr cautions doivent tre renforc es pour un d tenu tant d j pass lacte et lors de circonstances susceptibles d aggraver l tat d pressif du d tenu d cision de pro longement de l incarc ration rejet de demande de lib ration condi tionnelle v nements familiaux graves etc Une circulaire du 21 mars 1969 illustre le souci dominant d emp cher la mort en consid rant que l initiative prise par certains tablissements de se doter d insufflateur d oxyg ne m rite d tre encourag e car elle a permis en certains cas de r animer des d tenus menac s d asphyxie la suite de pendaison Son efficacit d passe celle des proc d s utilis s jusqu ici A P 69 2 R 2389 2 La note du 2 d cembre 1980 A P 80 5 se situe dans l exact prolongement de la circulaire de 1967 en faisant aussi tat de moments et de lieux risque soit la nuit et le quartier disciplinaire Mais elle identifie en plus les d tenus risque les pr venus i e en attente de jugement les pr venus trangers et les d tenus isol s ou punis Il est d s lors conseill d instaurer ou d am liorer l accueil socio ducatif cens r duire les cons quences du choc psycholo gique g n r par l arriv e du d tenu dans l tablissement Lorsque le risque suicidaire se pr cise il est demand de pr f rer l isolement le placement du d tenu dans une cellule plusieur
12. effective l acte de suicide est r duit sa dimension strat gique de sorte que sont ignor es ses causes sociales voir Baudelot et Establet 2006 Halbwachs 1930 Cette absence de reconnaissance d sarme une seconde fois le d tenu puisque son action risque de se voir d cr dibilis e par les 71 DOSSIER DOSSIER EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine contestations des personnels sur la nature de son acte La caract risation de la nature des actes auto agressifs constitue d autant plus un enjeu de taille que la reconnaissance du caract re suicidaire constituerait un aveu de faiblesse et de peur des personnels dans le cadre de ces relations de pouvoir Le chef de service en charge du travail des d tenus estime ainsi que contrairement d autres je nai pas peur moi quand un d tenu se coupe Je ne suis pas une poule mouill e Il ne faut pas se laisser intimider sinon on ne peut plus faire sereinement son travail De surcro t cette ventuelle reconnaissance d un tat suicidaire accro t leur charge de surveillance d signe des responsables dans la prise en charge et contribue la p nibilit de leur travail Sur veiller un d tenu suicidaire constitue en effet une augmentation de la charge de travail de la responsabilit du stress et de la peur Certains des personnels charg s de la surveillance de d tenus jug s suicidaires expriment des signes d agacement d
13. est coutumier de placer le d tenu en cellule double pour viter les inconv nients d une trop grande p nibilit de la surveillance ainsi que les r cla mations et plaintes des surveillants La prise en charge se fait donc sur le mode de la d l gation Bessin Lechien 2004 Memmi 2003 bien que cette logique soit d nonc e par une partie du per sonnel de surveillance Un chef de b timent estime en commission par exemple qu il faut assurer un suivi psychosocial pour les cas suicidaires Placer un d tenu suicidaire en cellule double c est trop facile D responsabilisez vous messieurs ce n est pas ma mani re de voir les choses E LES D CISIONS D AFFECTATION ET LES COMMISSIONS DE CLASSEMENT AU TRAVAIL Dans le second tablissement observ il existe galement des conflits de d finition des cas suicidaires et de type de prise en charge En revanche et contrairement au premier tablissement ces conflits de reconnaissance se r duisent la discussion du caract re faillible et simul de la volont de mettre fin ses jours Cette reconnaissance n exige pas ici une intention clairement tablie d en finir avec la vie Le suivi suicidaire se fait sur le mode de la d l gation au service m dical et sur le mode occupationnel puisque certains types de tra vail sont r serv s aux d tenus suicidaires Les d cisions d affectation constituent des moments o la ques tion du suicide peut tre voqu e Les
14. et ou aux drogues disciplinaire Autre Contexte de contagion Sentence loignement familial d de suicide un transf rement Autre efus de lib ration eine sup rieure 20 conditionnelle ans ouvelle affaire R sumons La prise de conscience d une sursuicidit carc rale en prison exprim e dans la premi re r glementation de 1967 accom pagne sur cette question la formation de savoirs essentiellement sta tistiques qui resteront pr dominants jusqu aujourd hui les r gle mentations suivantes affinent ces savoirs en profilant les populations risque suicidaire et d tectant les situations risque L examen des diff rentes r glementations relatives la pr vention du suicide r v le ainsi un souci croissant de ne pas laisser mourir les d tenus par le biais d une identification toujours plus sophisti qu e des lieux et des moments et des personnes risque suici daire Cet examen interne des r glementations doit maintenant tre mis en perspective par l expos de deux ensembles de facteurs externes qui dynamisent et contraignent cette volution M LES CAUSES DE L MERGENCE R GLEMENTAIRE DE L EMPECHEMENT DE LA MORT L volution jurisprudentielle de la responsabilit de l administration p nitentiaire En effet quoi attribuer cette apparition d un souci d viter la mort Certainement en premier lieu la jurisprudence des tribu naux et cours administratives En ce sens les di
15. les mesures classiques de surveillance des actions sp cifiques de prise en charge du d tenu ayant manifest des signes d inadaptation sans que celui ci ne soit consid r comme suicidaire Les mesures exig es par le juge ne se r duisent plus au placement d un second d tenu dans la cellule mais comprennent dor navant l intervention sp cialis e d un professionnel 66 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine L immixtion progressive de la jurisprudence dans la d finition des obligations de l administration p nitentiaire s appuie donc expli citement sur la protection de la vie des administr s en prison Autre ment dit le droit la vie des d tenus semble l gitimer et servir un processus croissant de judiciarisation et de publicisation des actions de l administration p nitentiaire En ce sens la jurisprudence en mati re de suicide est caract ristique de l immixtion croissante du monde judiciaire dans lunivers carc ral Ce droit de regard intro duit depuis une vingtaine d ann es une br che dans le mouvement d autonomisation de l administration p nitentiaire l uvre depuis le d but du xix si cle La mobilisation militante des associations en faveur du droit la vie des d tenus L mergence r glementaire du maintien en vie des d tenus et l volution jurisprudentielle favorable au droit la vie des d tenus doivent galement se comprendre en r f rence au
16. ration conditionnelle Son avocat argue des 76 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine s vices dont il souffre et du caract re urgent de la lib ration sous peine d un passage l acte suicidaire Le juge d application des peines lui refuse la lib ration consid rant que les risques de r cidive sont importants pour ce type d infraction et que le d tenu pr sente une fragilit mentale qui l expose un danger pour lui m me et pour les autres Un autre d tenu ne peut b n ficier d un traitement m dical appropri en prison Il invoque son mal tre pour demander une lib ration conditionnelle Celle ci ne lui est pas accord e au motif qu il n a pas manifest une grande envie de se r ins rer qu il n a pas entam de r flexion sur les faits et que son projet professionnel est faible Un d tenu suicidaire ne peut r pondre par cons quent aux conditions n cessaires l octroi d un am nagement de peine Ceci implique pour l institution de garder un d tenu suicidaire entre ses murs et en tre responsable pour une dur e plus longue E CONCLUSION L emp chement de la mort en d tention concr tis r glementai rement et techniquement par un effort de visibilisation et de r duc tion des risques suicidaires infl chit l intensit de certaines logiques et sanctions disciplinaires qui ne s appliquent plus du fait des ten dances suicidaires du d tenu Mais en reto
17. tenu tendance suici daire avait t s lectionn Ce type de postes sert donc galement d autres fins 74 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine E LES COMMISSIONS DE DISCIPLINE La commission de discipline compos e du chef d tablissement du chef de d tention dun CSP d un premier surveillant et d un repr sentant des surveillants se r unit chaque semaine pour d cider de la culpabilit des d tenus pr sum s auteurs d une faute discipli naire Le quartier disciplinaire est compos de cellules individuelles o les d tenus sont priv s de visites de travail et d activit s et n ont droit qu une heure de promenade par jour Cette commission est un lieu privil gi d observation de la politique en mati re de suicide puisque la mise en quartier disciplinaire est reconnue comme un facteur important de risque suicidaire Le souci du suicide trouve une place r duite au sein de cette commission y compris lorsque le d tenu plaide des probl mes psy chologiques pour sa d fense La sanction est toujours prononc e lorsque la victime d une infraction physique ou verbale est un membre du personnel La sanction vise restaurer la cr dibilit des personnels face la population p nale Une condamnation est aussi un message de fermet adress l ensemble des d tenus Mais la condamnation exprime galement une solidarit entre coll gues qui vaut la fois com
18. un contexte punitif o 77 DOSSIER Ces conflits traduisent la difficult de surveillants se penser comme des gardiens de corps en sursis notamment parce qu ils sont porteurs des multiples contradictions p nitentiaires Les r ponses de peur et de n gation sont alors autant le reflet de ces injonctions paradoxales que des ajustements du ne pas laisser mourir aux situations concr tes EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine la victime tend devenir la figure centrale du proc s p nal et o les peines ne cessent de s allonger Les r ponses de peur et de n gation sont alors autant le reflet de ces injonctions paradoxales que des ajustements du ne pas laisser mourir aux situations concr tes Si l on consid re que les interactions sont influenc es par l volution des normes au sein des structures sociales il est alors craindre que ces r ponses de peur et de n gation ne s amplifient sous l effet conjugu de la s v rit croissante des l gislations p nales et de la rh torique politique de l activisme des agences p nales et de la m diatisation intense de certains crimes et d lits o TA U Q EA Ga tan Cliquennois CES FUSL 43 bd du Jardin Botanique IRIS EHESS 96 bd Raspail 75006 Paris cliquennois fus ac be Gilles Chantraine CESDIP Universit Versailles Saint Quentin CNRS UMR 8183 Minist re de la Justice
19. 007 En ce d but de xxr si cle le taux de suicide est en l g re baisse passant de 24 4 en 2000 20 5 pour 10 000 en 2005 Tournier 2008 A structure socio d mographique identique la sursuicidit carc rale est de 6 5 et est la plus forte parmi les pays europ ens Conseil de l Europe 2007 60 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine M SOCIOGEN SE ET CAUSES DE L APPARITION D UNE FORME DE D FENSE DE LA VIE Cette section met au jour l mergence d une forme sp cifique de d fense de la vie des d tenus en analysant l volution de la r gle mentation p nitentiaire en mati re de pr vention de suicide L un des moteurs centraux de cette volution tient la n cessit pour l administration de r pondre une critique et une d nonciation gran dissantes manant de la soci t civile quant aux suicides et morts suspectes en d tention Le vide sociologique en la mati re est tel qu une restitution essentiellement descriptive du processus s impose Gardons cependant l esprit que celui ci s inscrit dans une transfor mation institutionnelle plus vaste souvent appr hend e comme un mouvement partiel et progressif de d totalitarisation de l institu tion Chantraine 2000 Celle ci vise essentiellement la fin de lomni potence de l administration p nitentiaire en mati re de contr le de la d tention de par louverture de la prison de nouveaux acteurs appartenant a
20. Chantraine La politique des droits en prison Police institutionnelle militantisme juridique luttes d mocratiques Champ p nal http champpenal revues org document2581 html Les surveillants de prison le prix de la s curit Revue Fran aise de sociologie vol 34 n 3 p 345 366 La violence carc rale en question Paris PUF a Es TA W 2 O Vers une gestion des risques l gitimante dans les prisons fran aises D viance et Soci t vol 30 n 3 p 355 371 Significations fonctions et effets du risque en tablissements p nitentiaires fran ais In Cartuyvels Y Le risque dans tous ses tats Bruxelles Publications des Facult s universitaires Saint Louis p 187 219 Statistique annuelle du Conseil de l Europe Space I enqu te 2005 Conseil de coop ration p nologique PC CP n 2 Le suicide tude de sociologie Paris PUF Quadrige Insurance and Risk In Burchell G Gordon C Miller P The Foucault Effect Studies in Gouvernmentality Chicago The University of Chicago Press p 197 210 Le gouvernement de la vie mode d emploi In Fassin D Memmi D Le gouvernement des corps Paris ditions de l cole des Hautes tudes en sciences sociales p 9 33 Asiles tudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus Paris Minuit Les causes du suicide Paris Alca Dimensions of microinteraction American Journal of Sociology vol 96 n 1 p 32 68
21. R LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine a fortiori quand cette mort est le fait du d tenu lui m me et que la sur suicidit carc rale y est six fois et demie sup rieure celle du monde ext rieur Quels sont les types de discours les styles de raisonnement les cadres juridiques et les mani res de faire relatives la pr vention du suicide en d tention Pour proc der la sociogen se et l analyse de ces dispositifs nous proposons de confronter les points de vue r glementaires juris prudentiels associatifs ainsi que la praxique en d tention partir de l tude de circulaires et notes internes l Administration p niten tiaire de l volution jurisprudentielle des cours et tribunaux admi nistratifs d entretiens semi directifs de militants associatifs N 4 d archives et de documents d associations en lutte contre le suicide et enfin d observations non participantes des pratiques de pr ven tion du suicide en tablissements p nitentiaires Ces observations ont t men es pendant huit mois dans un centre de d tention et dans une maison centrale partir de lieux aussi diff rents que les commissions de suicide N 4 les commissions de classement des d tenus au travail N 9 les commissions de discipline N 11 et les commissions d application des peines N 8 L analyse de ces diff rentes donn es permet de formuler l hypo th se de la naissance d une forme s
22. cessus d autonomisation de l administration p nitentiaire est attest par l importance de l activit r glementaire laquelle s adonne cette administration par voie de circulaires et de notes et par l absence corr lative de l gislation p nitentiaire 67 DOSSIER DOSSIER EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine d nonciation entreprises par les familles des d funts aupr s de ces associations Ainsi le responsable de la r gion le de France de POIP consid re que de plus en plus de familles de d tenus nous ont contact en nous demandant de l aide L AFLIDD est d ailleurs n e d une ini tiative des familles de d tenus en se donnant pour objectif principal le soutien et l accompagnement juridique et administratif de ces familles Selon ses termes il s agit d uvrer pour que la justice soit rendue quitablement en se constituant partie civile d honorer la m moire des d tenus disparus et de contester les faits de suicide lorsque les cir constances de la mort sont suspectes Ban Public propose de la m me mani re des services administratifs aux familles des d funts Une certaine mulation entre associations a contribu porter les cas de suicide dans l espace public comme l nonce le pr sident de Ban Public on a pu mesurer directement les impacts de notre lutte sur l activit des autres associations beaucoup plus m me que sur les positions de
23. chantraine cesdip com R F RENCES BIBLIOGRAPHIQUES BAUDELOT R ESTABLET R 2006 Suicide L envers de notre monde Paris Seuil BENFORD R HUNT S 2001 Les cadrages en conflit In Cefai D Trom D Les formes de l action collective mobilisation dans les ar nes publiques Paris EHESS Raisons Pratiques vol 12 p 27 49 BESSIN M LECHIEN M H 2004 Proximit avec le corps malade des d tenus La participation des prisonniers aux soins In Fassin D Memmi D Le gouvernement des corps Paris ditions de l cole des Hautes tudes en sciences sociales p 207 236 BOURGOIN N 2001 Les automutilations et les gr ves de la faim D viance et soci t vol 25 n 2 p 131 145 CHANTRAINE G 2000 La sociologie carc rale approches et d bats th oriques en France D viance et Soci t vol 24 n 3 p 297 318 CHANTRAINE G 2006 La prison post disciplinaire D viance et Soci t vol 30 n 3 p 273 288 78 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON CHANTRAINE G KAMINSKI D 2007 CHAUVENET A BENGUIGUI G ORLIC F 1993 CHAUVENET A ROSTAING C ORLIC F 2008 CLIQUENNOIS G 2006 CLIQUENNOIS G 2008 CONSEIL DE L EUROPE 2007 DURKHEIM 1981 1897 EWALD F 1991 FASSIN D MEMMI D 2004 GOFFMAN E 1968 HALBWACHS M 1930 KEMPER T D COLLINS R 1990 LECHIEN M H 2001 MEMMI D 2003 PECHILLON E 1998 SALLE G 2004 TOURNIER P V 2008 Ga tan Cliquennois Gilles
24. d tenus ayant commis des 73 DOSSIER DOSSIER EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine tentatives et ceux connaissant des probl mes psychiatriques et ou en proie des addictions aux drogues qui font craindre pour leur vie sont affect s en cellule simple un tage proche de l infirmerie et du service psychologique Ils font l objet d une surveillance m dicale et p nitentiaire particuli re M me si elle est v cue sur le mode du conflit par une partie des personnels la d l gation aux services psycho m dicaux d une partie des t ches de suivi permet de r duire la charge de travail et de partager voire de d placer la responsabilit des personnels La topographie particuli re des tages et le plus faible nombre de tentatives et de suicides dans cet tablissement rendent aussi compte de ces diff rences d appro ches et de pratiques Au sein de ce m me tablissement une commission de classe ment des d tenus au travail compos e d un CSP chef de service p nitentiaire en charge du travail du directeur adjoint de plu sieurs premiers surveillants responsables d ateliers et de conseil lers d insertion et de probation se r unit toutes les semaines pour d cider de l attribution et du retrait des postes de travail aux d tenus Cette commission a r serv aux th rapeutiques et aux cachetonn s d tenus b n ficiant d un traitement m dicamen teux massif
25. drer l irruption de la mort dans les institutions relevant directement de la souverainet Dans ce cadre la prison constitue certainement un cas d tude limite D une part parce qu except l h pital elle est l institution o le taux de mortalit est le plus lev D autre part parce qu elle est aussi ce lieu o s exprime le pouvoir tatique de punir des corps vivants Le caract re vivant des corps est la condition m me de l exercice de la peine pr cis ment celle ci consiste prouver dans le temps ces corps vivants en les circonscrivant dans un espace particulier la peine cessant si la mort du sujet survient Cette nature la peine comme peine corporelle afflictive et cette condition le corps vivant de la peine invitent probl matiser les rapports de l administration p ni tentiaire la mort de ses usagers De quelles mani res la prison contemporaine pense t elle la survenance de la mort dans ses murs 1 Nous remercions Antoinette Chauvenet Dominique Memmi Emmanuel Ta eb ainsi que les valuateurs anonymes de Soci t s contemporaines pour leurs critiques f condes 2 Le taux global de mortalit y est de 41 pour 10000 en 2005 Conseil de l Europe 2007 59 DOSSIER L analyse de ces diff rentes donn es permet de formuler l hypoth se de la naissance d une forme sp cifique de d fense de la vie des d tenus qui consiste substantielle ment ne pas les laisser mourir EMP CHE
26. e Si les liens nou s entre activit s associatives r gle mentations p nitentiaires et jurisprudence administrative permettent de comprendre les modes de construction et d laboration de la pr vention du suicide cette derni re doit tre saisie l aune des pratiques ayant cours en tablissements de mani re appr hender le passage d une rationalit formelle une rationalit pratique E LES PRATIQUES CARC RALES DE PR VENTION DU SUICIDE Si l un des deux tablissements tudi s savoir un centre de d tention a tabli une commission de suicide l autre une maison centrale voque le suicide au sein des commissions d affec tation de discipline et d am nagement de peine L observation du fonctionnement de chacune des ces commissions a t d autant plus f conde et n cessaire que depuis 2005 certaines d cisions adopt es dans ces commissions sont consid r es par l institution elle m me comme des facteurs de risque suicidaire Par ailleurs la confronta tion des sc nes permet de rendre compte des carts entre dispositifs r glementaires et pratiques p nitentiaires ainsi que de l h t rog n it des choix effectu s dans chacune des diff rentes commissions E LA COMMISSION DE SUICIDE La commission de suicide a pour r le le rep rage et le suivi de d tenus suicidaires au moyen notamment d un change d informations 69 DOSSIER La confrontation des sc nes permet de
27. el est pr co nis e de m me que la limitation des effets anxiog nes de lincar c ration par l apport du n cessaire de toilette d une douche de v tements et par la possibilit offerte au d tenu de pr venir les proches de son incarc ration Aucune disposition ne concerne la limitation de l utilisation de la sanction disciplinaire bien qu elle soit consid r e comme un facteur majeur de risque suicidaire Seule la mise en pr vention en quartier disciplinaire doit tre 63 DOSSIER DOSSIER EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine exceptionnelle n cessaire seulement si elle constitue lunique moyen pour mettre fin la faute ou pour pr server l ordre l int rieur de l tablissement La circulaire de 2002 DAP NORJUSE02400075C r it re le sou hait d une approche ax e sur le faire vivre en consid rant qu il n existe pas de recette technique univoque mais une palette d approches et de mesures compl mentaires envisageables pour maintenir ou restaurer l espoir et l envie de vivre chez les personnes incarc r es notamment les plus fragiles et lors des moments les plus difficiles de leurs parcours p ni tentiaires Cependant la d marche demeure massivement celle d une diminution des risques de passage lacte La circulaire pro pose en effet un renforcement du suivi des personnes risque appel des cod tenus en fonction des besoins r els et sp
28. evant la masse de travail que celle ci repr sente et la rupture d activit s routini res qu elle vient signifier qu il s agisse de l interruption de temps de repos ou de divertissements lecture de magazines jeu de cartes Encore d rang on peut pas tre tranquilles deux minutes y a en marre de se lever pour un connard pareil on est quand m me pas sa disposition N anmoins ces logiques de p nibilit d affirmation identitaire de cr dibilit professionnelle et de relations de pouvoir entrent en tension avec la peur d une mise en cause de leur responsabilit professionnelle Un premier surveillant exprime ainsi sa peur J ai peur qu il arrive un truc dans le quartier des psychos il faut les faire tenir pour pas qu ils clamsent parce que sinon on est dans la merde Certains membres du personnel de surveillance tendent privil gier cette derni re logique sur les autres et r clamer en commission des mesures d accompagnement pour les d tenus ayant commis des actes auto agressifs L affrontement de ces logiques semble traduire autant la diff rence des positionnements professionnels que l inten sit des injonctions paradoxales auxquelles sont soumis les person nels de surveillance Il leur faut viter les vasions les agressions de personnel et les meutes tout en vitant les suicides Chauvenet et al 1993 Ces injonctions paradoxales sont d autant plus fortes que la dur e des peine
29. ff rents dispositifs de pr vention d crits pr c demment sont d abord le reflet de l vo lution de la jurisprudence 65 DOSSIER DOSSIER EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine L examen de cette jurisprudence r v le que les possibilit s de mise en cause de l administration p nitentiaire ont t tr s largement ten dues au fil des ann es l origine l administration p nitentiaire ne pouvait en effet tre condamn e que pour faute lourde savoir pour un fonctionnement gravement d fectueux du service p nitentiaire Ainsi un arr t du 14 novembre 1973 arr t n 86752 Dame Z dis pose qu est constitutif d une faute lourde le fait de laisser un d tenu suicidaire et anxieux sans traitement pendant deux semaines La d fi nition et les contours de la faute lourde ont cependant t ensuite consid rablement largis sans que ces extensions ne soient toutefois adopt es de mani re syst matique par l ensemble des juridictions administratives en raison du caract re casuistique du r gime de la faute lourde Pechillon 1998 Un arr t du 13 d cembre 1981 arr t n 24179 poux J r alise une premi re extension en consid rant qu est constitutif d une faute lourde le fait de ne pas attribuer le trai tement prescrit par le psychiatre un d tenu toxicomane plac en isolement chappant un contr le constant notamment de la part de ses cod tenus Un arr t du
30. ire dans une conomie relationnelle particuli re empreinte de m fiance et de distance entre personnel de surveillance et personnel m dical Lechien 2001 16 Elle s inscrit dans un contexte d changes 70 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine conilictuels faits de menaces et de sanctions r ciproques entre d tenus suicidaires et personnels de surveillance Cliquennois 2008 Ces interactions semblent r pondre la d finition des rela tions de pouvoir au sein desquelles chacun des acteurs cherche contraindre l autre faire ce quil ne d sire pas faire L utilisation variable de la force de la menace des punitions et des manipula tions constituent autant d outils des relations de pouvoir qui ren dent les relations sociales conflictuelles et instables Kemper Col lins 1990 56 et g n rent la peur de part et d autre Chauvenet et al 2008 L absence de reconnaissance du caract re suicidaire des actes auto agressifs semble cet gard constituer des repr sailles des personnels l encontre de ces d tenus R ciproquement cer tains d tenus usent des actes auto agressifs comme moyen de chan tage et de pression sur les personnels Si vous enlevez pas votre rapport d incident je me coupe En cela la tentative de suicide peut tre vue comme un mode de protestation et de r appropriation de son corps Fassin et Memmi 2004 10 les actes auto agressifs constituant
31. l Administration p nitentiaire Cette mulation relative entre associations les conduit pr server le secret de leur source et surtout ne pas les communiquer aux autres Une fois un cas de suicide publicis les autres associations tentent en r ponse de ren ch rir en s emparant de nouveaux cas de suicide mettant en cause l Administration p nitentiaire Ces activit s de publicisation tiennent principalement la tenue et l entretien de portails Internet la r daction de rapports OIP 2000 2003 et 2005 de communiqu s de presse l organisation de journ es de mobilisation contre le suicide d s 1998 et des manifestations comme l op ration Parloirs ciel ouvert de Ban Public la saisine de la Commission Nationale de D ontologie et de S curit et la demande d enqu tes parlementaires par exemple celle du 28 10 02 L OIP n h site pas en outre la demande des familles introduire des plaintes et des recours devant les juridic tions administratives pour tenter de faire condamner l administration p nitentiaire Un cadrage public de la mobilisation dans les termes du respect des droits et du contr le juridique impos l action de l tat fait appara tre cette derni re comme opaque et arbi traire Une gu rilla juridique Chantraine Kaminski 2007 s est donc engag e contre l administration pour faire reconna tre par les juridictions des obligations croissantes sa charge
32. me construction et affirmation identitaire d un nous et comme une marque de confiance envers la victime Ces deux logiques semblent tant t supplanter et minorer la prise en compte du souci suicidaire tant t se combiner avec celui ci Soit deux exemples id aux typiques Dans le premier cas un d tenu consid r comme un cas psychiatrique est convoqu par la commis sion pour insultes L avocat fait tat de l alt ration des facult s men tales du d tenu et plaide la non responsabilit de son client L argu ment est rejet par la commission au motif que la preuve de l insulte suffit pour tablir la responsabilit le surveillant ayant mal v cu l insulte Dans le deuxi me cas un d tenu en proie une tr s forte addiction m dicamenteuse qui fait craindre pour sa vie a insult un personnel de surveillance La sanction de quartier disciplinaire est prononc e mais ne sera pas appliqu e La d cision concilie ici l anti cipation de ses effets possibles qui peuvent conduire une mise en cause de la responsabilit de l administration p nitentiaire et les logi ques de solidarit des personnels et de maintien de l ordre carc ral E LES COMMISSIONS D APPLICATION DES PEINES ET DE DEBATS CONTRADICTOIRES La commission d application des peines compos e du juge d application des peines de chefs de service p nitentiaire de 75 DOSSIER DOSSIER EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles
33. ns entrent n anmoins en contradiction avec la peur d une mise en cause de la responsabilit professionnelle des personnels D taillons Le travail de rep rage des cas donne lieu des contestations de la dimension potentiellement suicidaire des actes auto agressifs Nombre de membres du personnel de surveillance consid rent en effet ces actes non pas comme le signe d un tat suicidaire mais comme des moyens de revendications de pressions voire de contes tations de l autorit p nitentiaire qui doivent pour cette raison tre sanctionn s ou ignor s La liste de suicidaires propos e par le corps m dical qui n a qu une valeur de recommandation est ainsi r gu li rement discut e par les personnels de surveillance propos d un d tenu qui se coupe r guli rement un chef de b timent juge que c est du cin ma C est du chantage Il ne faut pas se laisser prendre sinon il va en profiter On va tout de m me pas se laisser monter en bateau par un manipulateur pareil Un autre chef de service estime de la m me mani re On ne va pas se faire intimider par un d tenu qui simule J ai assez de bouteille je ne suis pas dupe on ne me la fait pas moi Autrement dit l incr dulit port e sur la nature sui cidaire des actes auto agressifs revient affirmer sa perspicacit sa cr dibilit et son savoir faire professionnels Surtout l interpr tation des actes auto agressifs para t s inscr
34. nt produire de la connaissance en situation d incertitude en d gageant des facteurs de risque 61 DOSSIER DOSSIER EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine cette mise en risque qui vient donner au dispositif sa forme historique particuli re caract ris e par une fragmentation dans le temps et l espace du ph nom ne En effet si la sur suicidit carc rale g n rale interroge le caract re pathog ne de l institution ce caract re ne sera pas rapport la structure globale de l institution mais plut t des profils de population des moments et des lieux bien pr cis qui constituent les moments risqu s L analyse qui suit des cir culaires relatives aux techniques de pr vention du suicide t moigne de cette rationalit sp cifique ainsi que du perfectionnement pro gressif des outils d ploy s au sein de cette rationalit La circulaire du 15 f vrier 1967 A P 67 09 inaugure l mer gence d une pr vention du suicide en milieu carc ral Elle se fonde essentiellement sur le rep rage et l identification de comportements suicidaires Les savoirs statistiques portent en effet sur les moments et les lieux les plus probables du passage lacte La circulaire en tire la conclusion que le d tenu doit toujours tre accompagn d un cod tenu pour viter le passage lacte Il est galement requis des personnels m dicaux une grande prudence l occasion de la
35. p cifique de d fense de la vie des d tenus qui consiste substantiellement ne pas les laisser mourir Cette mergence de l emp chement de la mort constitue on le d tail lera la r ponse et l adaptation institutionnelles la pression conco mitante de la jurisprudence des tribunaux et cours administratives et aux critiques des familles de d tenus et d associations militantes qui r clament l application du droit la vie en publicisant les cas de suicide Ce dispositif d emp chement de la mort conna t n anmoins des difficult s de mise en pratique surtout au moment de d finir et de qualifier un acte auto agressif pos par un d tenu Il entre en effet en tension avec des logiques professionnelles marqu es par des rapports de force complexes entre personnels et d tenus et des logi ques de d fense de la vie des victimes d infractions av r es ou potentielles Ces diff rentes logiques peuvent soutenir ce dispositif mais elles peuvent tout aussi bien le mettre en chec en imposant leur rationalit propre 3 Alors que de 1957 1971 le taux de suicide s tablit moins de 8 pour 10 000 c est partir de 1972 qu il conna t un fort accroissement 11 6 en 1972 Cette tendance se confirme au cours des ann es 80 et 90 puisque le taux de suicide est d abord pass de 10 1 13 5 pour 10 000 de 1980 1989 puis de 12 5 23 9 dans la d cennie suivante avec un pic de 25 2 en 1996 Conseil de l Europe 2
36. rendre compte des carts entre dispositifs r glementaires et pratiques p nitentiaires DOSSIER EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine entre personnel p nitentiaire et personnel psychosocial et m dical En pratique les changes au sein de cette commission qui met en pr sence uniquement les repr sentants des personnels de surveillance et de direction en l absence de repr sentants des personnels psychoso ciaux et du corps m dical sont marqu s par le souci d identifier les cas suicidaires rep r s par le personnel m dical et d op rer pour ces cas un traitement diff renci qu il s agisse d un placement en cellule double ou de mesures renforc es de surveillance L observation de cette commission de suicide permet de mettre en vidence les tensions entre acte suicidaire et perception de la dimension de cet acte par les personnels p nitentiaires Les relations de pouvoir qui mettent aux prises ces personnels avec les d tenus aux conduites auto agressives impliquent des conflits de d finition sur la nature de ces conduites L utilisation par les d tenus de leur corps comme instrument de reven dication rar fie les possibilit s chez le personnel de se penser comme protecteurs de corps susceptibles tout moment de mourir Autrement dit l instrumentalisation de leurs corps rend difficile la reconnaissance par le personnel de la nature suicidaire des actes auto agressifs Ces conceptio
37. rise et placement d un d tenu en proie une crise suicidaire dans une cellule sp cialement am nag e qui doit rendre possible une observation permanente de la personne pendant une dur e de trois jours Enfin d plorant un taux toujours tr s lev de suicides la note du 4 juillet 2005 DAP JUS 514 d clare faire du suicide une grande cause p nitentiaire et exige la syst matisation de l valua tion du potentiel suicidaire des d tenus arrivants voir tableau 1 De nouveaux facteurs de risque apparaissent 6 Art 250 3 du d cret du 2 avril 1996 64 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine TABLEAU 1 Les diff rents facteurs de risque suicidaire annexe de la note du 4 juillet 2005 Facteurs individuels Facteurs familiaux Facteurs Facteurs judiciaires Facteurs p nitentiaires psychosociaux Ant c dent personnel S vices physiques solement social et Faits reproch s Primo incarc ration de tentative de suicide et ou sexuels durant affectif de nature criminelle l enfance Auto agression Abandon et ou osition sociale Pr venu Placement en pr vention placement au quartier disciplinaire QD Troubles de la Ant c dents familiaux Pertes et s parations Confrontation aux lacement au QD personnalit de suicide victimes Existence de conflits Autre Deuil constitution Se sent menac avec les proches D pendance l alcool Endeuill par suicide roc s ransf rement pour motif
38. s d intensifier les 5 Cette mise en risque d signe les op rations discursives de qualification de l v nement ainsi que de calcul probabiliste d occurrence de cet v nement Ewald 1991 Elle est donc au principe d un mode particulier de repr sentation et de traitement de l incertitude 62 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine rondes et la surveillance de nuit et d informer la commission d appli cation des peines Pour les d tenus ayant d j tent de se suicider la note conseille d accro tre l aide et le soutien psychologique au moyen d un signalement au psychiatre et l quipe socio ducative ou d faut au moyen d entretiens renouvel s avec le directeur de l tablissement ou avec le chef de d tention Consciente des limites d une approche de simple r duction des possibilit s de passage l acte l administration p nitentiaire appelle par exemple r duire le recours la pratique consistant d v tir compl tement un d tenu par respect de la dignit humaine circulaire du 26 janvier 1984 DAP R0122 Paradoxalement elle admet la n cessit parfois de retirer au d tenu pour une dur e limit e ses v tements Une note du 12 novembre 1991 DAP H61 affine encore davan tage le profil de la population risque suicidaire Sont ainsi nouvel lement identifi s comme facteurs de risque l ge entre 30 et 40 ans le sexe masculin le proc
39. s continue de cro tre et que nombre de r glementations caract re mortif re ont r cemment vu le jour Tel est le cas de celles pr voyant qu en cas d vasion les membres du 11 Cette dur e moyenne est pass e en 20 ans de 5 6 mois 8 2 mois en 2006 Tournier 2008 72 EMP CHER LE SUICIDE EN PRISON Ga tan Cliquennois Gilles Chantraine personnel ont le devoir de l emp cher y compris par le tir sur l int ress de celles faisant le choix d une s curit passive des tablis sements architecture de type bunker filins anti h licopt res mai sons centrales hypers curis es fermetures des portes portiques lectroniques ou encore de celles qui prolongent la mise en pr vention en quartier disciplinaire pour tous les types de fautes D cret 2006 337 21 03 2006 Or l intensit de ces injonctions paradoxales contraste avec la faiblesse des moyens que les person nels ont leur disposition pour les r soudre Chauvenet et al 2008 Le soutien de ces logiques identitaires professionnelles et inte ractionnelles par des personnels plus influents rend plus ardu la reconnaissance de tendances suicidaires Cette derni re ne vient s appliquer qu aux cas o l intention suicidaire est av r e savoir lorsqu une tentative pr c dente par pendaison ou par m dicaments n a chou qu en raison d une intervention circonstanci e des per sonnels Lorsque cette reconnaissance est effective il
40. ur ce dispositif accro t la surveillance individualis e des d tenus venant ainsi r activer les techniques traditionnelles de r gulation de la d tention Parall le ment il se heurte en pratique des logiques professionnelles sur d termin es par les rapports de force qui opposent personnels sur veillants et d tenus la n cessit de sauvegarder la cr dibilit des personnels et de produire de la solidarit entre surveillants conduit des conflits de d finition des actes auto agressifs et une n gation de leur nature suicidante Ces conflits traduisent la difficult de sur veillants se penser comme des gardiens de corps en sursis notam ment parce qu ils sont porteurs des multiples contradictions p ni tentiaires Comment en effet pr venir le suicide lorsque la prison contribue au d litement des relations familiales et des relations affec tives Comment r duire le suicide quand les mesures cens es r duire le risque suicidaire l aggravent Comment restaurer le sujet lorsque l incarc ration nie la qualit de sujet politique du d tenu notamment en lui interdisant formellement tout droit de revendica tion collective Comment emp cher la mort quand l vitement des vasions et des meutes constitue la pr occupation principale de l organisation p nitentiaire Comment d fendre la vie quand les am nagements de peine sont refus s aux d tenus suicidaires Sur tout comment lutter contre le suicide dans
41. ux champs judiciaire administratif politique ou encore associatif Cette d totalitarisation op re sous le coup notamment de la rupture avec l id e selon laquelle la privation de libert entra ne la perte de l ensemble des droits individuels Depuis le d but des ann es 70 apparaissent en effet des activit s socioculturelles et des dispositions juridiques garantissant des droits aux d tenus tels que le droit la vie au maintien des liens familiaux aux contacts ext rieurs l information l assistance juridique en commission de dis cipline ainsi qu l interdiction de la torture et des peines ou traite ments inhumains ou d gradants E LE RISQUE SUICIDAIRE COMME STYLE DE PENS E DOMINANT DES REGLEMENTATIONS EN MATIERE DE PREVENTION DU SUICIDE Les recherches r centes ont montr que ce mouvement de d to talitarisation est galement le support de l mergence d autres outils de r gulation parmi lesquels les savoirs risques occupent une place croissante dans la r gulation de la d tention et l ex cution de la peine Chantraine 2006 Cliquennois 2006 L apparition d un dispositif d emp chement de la mort des d tenus n chappe pas 4 Ces savoirs risques reposent sur un mode de raisonnement statistique visant pr ciser la probabilit de survenance d un v nement jug n faste selon l administration p nitentiaire ou la soci t comme le suicide ou la r cidive Ils consiste
42. ux sous peine d tre sous les feux de la rampe Et a pour la carri re ce n est pas bon Le risque suicidaire qui est mentionn dans les rapports d exper tise est interpr t comme le signe d un tat psychologique fragile qui fait craindre le pire Le d tenu est alors consid r comme un danger pour lui et pour les autres Il n est donc pas en tat de reconna tre la culpabilit des faits pour lesquels il a t incarc r Or cette recon naissance des faits conditionne fortement le b n fice d un am nage ment de peine L expertise qui est de ce fait n gative fonde pour une bonne part la d cision du juge d application des peines et motive les refus de permission de sortie et d am nagement de peine Le juge estime ce propos qu il est hasardeux d accorder une permission un d tenu suicidaire angoiss par la sortie car ce serait l envoyer dans la nature sans aucune garantie de retour L existence d un tat suicidaire fait craindre galement au juge et au minist re public que le d tenu ne puisse investir s rieusement son projet de r insertion h bergement et projet professionnel qui est une condition l octroi d un am nagement de peine Par cons quent la mention d un risque suicidaire implique le plus souvent un pro longement de l enfermement qui accro t pourtant ce risque Ainsi un d tenu condamn pour escroquerie et r guli rement tabass en d ten tion demande une lib
43. x mobilisations militantes qui ont progressivement vu le jour la fin de la d cennie 1990 Une note de l Administration p nitentiaire du 3 mars 2000 t moigne de l influence des actions de d nonciation entreprises par ces associations cette note pr cise en effet que l accueil des familles des personnes qui se suicident doit tre am lior Il a t constat que de plus en plus souvent ces familles contestaient les circonstances du d c s relay es en cela par certaines associations et les m dias Les circulaires et notes suivantes notamment celle de 2002 voir infra insistent de la m me mani re sur la n cessit d accueillir correcte ment les familles de mani re limiter les recours et les plaintes de celles ci Les luttes militantes sont port es principalement par des associa tions comme Ban Public cr en 1999 la section fran aise de l Obser vatoire International des Prisons OIP fond en 1996 ou encore l Association des Familles en Lutte contre l Ins curit et les D c s en D tention AFLIDD n e en 1997 qui comptabilisent suicides et morts suspectes en d tention Cette comptabilisation se fait l aide d informateurs privil gi s que sont les familles de d tenus les m de cins les visiteurs de prison certains membres du personnel ainsi que des d tenus Selon les responsables de OIP et de Ban Public la lutte trouve principalement son origine dans les d marches de 7 Le pro
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