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Twentieth Century French Literature between memory and forgetting

1. L Innommable 7 Au seuil de l abolition de la m moire dans le projet litt raire l crivain tend vers la limite et l extr me Llewellyn Brown caract rise L Innommable comme un point de rupture une certaine exp rience de la d sint gration la perception d avoir atteint les limites du langage 9 Si Beckett se rapproche aux limites de l criture Blanchot m ne son criture jusqu ses extr mes Les extr mit s du r cit dans la trilogie de Beckett et dans L Attente l oubli de Blanchot se caract risent par deux qualit s l invention et l oubli L invention beckettienne Au seuil de l exp rience litt raire l aporie que rencontre Beckett est une exigence impossible de continuer I faut continuer je vais donc continuer il faut dire des mots tant qu il y en a il faut les dire jusqu ce qu ils me trouvent jusqu ce qu ils me disent c est peut tre d j fait ils m ont peut tre d j dit ils m ont peut tre port jusqu au seuil de mon histoire devant la porte qui s ouvre sur mon histoire a m tonnerait si elle s ouvre a va tre moi a va tre le silence l o je suis il faut continuer je ne peux pas continuer je vais continuer Beckett L Innommable 213 Devant la porte qui s ouvre sur une histoire la r daction de Beckett retentit de la d claration Je ne peux pas Malone 35 et tend vers le silence Mais simultan ment
2. La traduction de la m moire temporalis e dans une histoire coh rente ne peut pas continuer non seulement face la spatialisation de la m moire dans l accroissement des d veloppements des m dias de masse que Walter Benjamin critique mais aussi face la d t rioration de l espace De l immense difice de la m moire chez Proust l invention de Beckett la pr servation spatiale du temps disparu chez Perec et au d sceuvrement de Blanchot les uvres de ces auteurs franchissent la vaste tendue entre la m moire et l oubli dans la litt rature La pr sente analyse int gre des auteurs qui se divergent au c t de la m moire et au c t de l oubli Cette int gration tablit des passages qui rendent possible l change entre ces deux c t s La communication continue dans l cart o la m moire et l oubli se refl tent TABLE OF CONTENTS INERODUCTION Eat porosi ued Sabine OEE AAT AURAI Doris SR A TONS 1 La r solution Narrative 2 scvsey a sy se een MES I MN eS 1 La r solution en NOUV EINE Nt ju ecto use ler nes te au ru 4 Chapitre 1 LES EXPERIENCES DU TEMPS ee 6 Proust la traduction de la vraie vie dans l extratemporel 6 Beckett des voix diff rentes dans un temps rompu 12 Perec un jeu dans un temps fig sssssssssserrsesssssrrrrrrrererrrreessrereeeeeses 15 Blanchot une absence du temps ES els en Sn a da 18 Chapitre
3. 2009 137 56 Smock Ann What Is There to Say Lincoln University of Nebraska Press 2003 Vilar Pierre La Peinture dans les mots Quelques remarques sur l accrochage des toiles et l installation du regard dans La Vie mode d emploi L il d abord Georges Perec et la peinture Ed Eric Beaumatin Marcel B nabou et al Paris Editions du Seuil 1996 113 27 Vultur Ioana Proust et Broch Les Fronti res du temps les fronti res de la m moire Paris L Harmattan 2003 64
4. La diffusion de la presse a forc le progr s de l information transformer la capacit d interpr ter les exp riences par le moyen de la m moire narrative Aucun fait ne nous atteint plus crit Benjamin dans Le Conteur qui ne soit d j charg d explication Autrement dit dans ce qui se produit presque rien n alimente le r cit tout nourrit l information Le Conteur 123 Dans le r cit l artiste lie ses exp riences dans une compr hension temporelle fond e sur des m taphores La description de Proust rend clair ce qui nourrit les mat riaux de l artiste pour crire un r cit dans les moments o l artiste trouve les m taphores qui unifient ses exp riences l essence permanente et habituellement cach e des choses se trouve lib r e et notre vrai moi s veille s anime en recevant la c leste nourriture qui lui est apport e Le Temps retrouv 179 Ce qui se produit comme Benjamin constate manque l exp rience illuminante qui nourrit le r cit Dans la production l artiste perd sa t che du traducteur et la place il est producteur de l information L l ment d cisif de l cart entre le r cit et l information est la possibilit des entrecroisements qui est la sp cialit de la m moire Comme Benjamin d crit la litt rature de Proust repr sente la sorte du travail artistique qui alimente le r cit l effort de consacrer toutes
5. d crin Poulet 38 L image d une personne que le narrateur garde dans sa t te est attach e un lieu Le duc et la duchesse de Guermantes par exemple englobent tout ce c t de Guermantes ensoleill le cours de la Vivonne ses nymph as et ses grands arbres Proust Du c t 170 Une cath drale sert d un cadre ou d un support qui localise l image de Mile Swann Le plus souvent maintenant quand je pensais elle je la voyais devant le porche d une cath drale Proust Du c t 99 Si la vue de Mlle Swann apr s longtemps ne correspond pas cette image devant le porche de la cath drale la disjonction est cause de la distance temporelle et l cart spatial Pour aborder la question de l image temporelle du soi dans le cadre spatial je cite la r v lation finale que le h ros prouve vers la fin du roman dans Le Temps retrouv o deux chambres se rejoignent Dans ce moment r v lateur la chambre de Paris l endroit de l pisode de la madeleine est mise en rapport avec la biblioth que des Guermantes Le h ros d crit le moment qui synth tise deux images temporelles et spatiales 32 De m me que le jour o j avais tremp la madeleine dans l infusion chaude au sein de l endroit o je me trouvais que cet endroit f t comme ce jour l ma chambre de Paris ou comme aujourd hui en ce moment la biblioth que du prince de Guermantes un peu avant la
6. monde en tat de ressemblance l o r gnent ces correspondances con ues d abord par les romantiques et de la mani re la plus intime par Baudelaire mais que Proust et lui seul a su mettre en lumi re dans notre vie v cue C est l uvre de la m moire involontaire L Image proustienne 149 50 Notre vie v cue la surface frivole de la vie quotidienne est d pourvue de la r alit qui se montre aux moments de la m moire fortuite Carter 34 Selon l explication de Joshua Landy la vie quotidienne ne montre que le moi social et le vrai moi reste cach enterr invisible 13 Ce vrai moi est l essence qui est commune aux diff rentes versions du moi aux temps vari s a permanent aspect underlying all of the mutable selves Landy 112 A cause de l essence commune du vrai moi le h ros reconna t et jouit de l ancienne sensation de la madeleine Aux moments de la m moire involontaire le vrai moi qui jouit de l essence des choses et qui se trouve l tat extra temporel se d livre des contraintes quotidiennes Dans une illumination du vrai moi l essence permanente et habituellement cach e des choses se trouve lib r e et notre vrai moi qui parfois depuis longtemps semblait mort mais ne l tait pas enti rement s veille s anime en recevant la c leste nourriture qui lui est apport e Proust Le Temps retrouv 179 Les souvenirs involontaires du narrateur expliq
7. s alimente une deuxi me qualit du mode photographique la standardisation de la personne ou de l v nement Il faut une r f rence br ve au texte Les Choses de Perec parce que ses personnages incarnent l image photographique d une vie reproductible abstraite standardis e Les noms de Sylvie et J r me n apparaissent pas dans le texte jusqu au milieu du deuxi me chapitre Distingu seulement par le pronom ils le jeune couple devient soldered together subjectivities K Ross 133 aplati dans la page dans la m me mani re que l espace de leur appartement terne et banal Leur critoire s pare deux plans de travail pour Sylvie gauche pour J r me droite chacun marqu par un m me buvard rouge une m me brique de verre un m me pot crayons Perec Les Choses 20 Le texte d crit des choses qu ils voudraient acqu rir Ils passent leurs temps dans l habitude de lire des magazines Lire le portrait de leurs vies c est comme feuilleter un album photos Les personnes ainsi que leurs vies deviennent r duites des images qui peuvent se r p ter n importe o Leurs coutumes interchangeables et moyennes manquent toute valeur cultuelle ou rituelle de l originalit A la place l habitude de lire leurs magazines forme the recurrent image of magazine readers 48 engrossed or distracted but performing nevertheless the weekly ceremony replicated simultaneously by th
8. technique parce qu une litt rature en mouvement n est pas absolue Elle s ouvre l change qui se tient entre l ancien et le moderne entre la tradition et la restructuration Cette change affirme que se souvenir c est tre loyal envers l oubli et oublier c est tre loyal au souvenir La litt rature entre la m moire et l oubli s absente de la d finition d un objet d une direction vers laquelle elle s organise Elle se soutient dans l attention et dans l espace temps de l intervalle qui tient une promesse 62 WORKS CITED Antonioli Manola L criture de Maurice Blanchot Fiction et th orie Paris Editions Kim 1999 Barthes Roland La Chambre claire Note sur la photographie Paris Gallimard 1980 Beaujour Michel Miroirs d encre Rh torigue de l autoportrait Paris Editions du Seuil 1980 Beckett Samuel L Innommable Paris Minuit 2004 Malone meurt Paris Minuit 2004 Molloy Paris Minuit 1982 B har Stella Georges Perec crire pour ne pas dire New York Peter Lang Publishing Inc 1995 Benjamin Walter L Image proustienne Trans Rainer Rochlitz Maurice de Gandillac and Pierre Rusch uvres Vol IL Paris Gallimard 2000 135 55 L uvre d art l re de sa reproductibilit technique Trans Rainer Rochlitz Maurice de Gandillac and Pierre Rusch uvres Vol III Paris Gallimard 2000 67 113 269 316 Le Conteur Trans
9. which Walter Benjamin criticizes but also in the face of the deterioration of space the translation of a temporalized memory into a coherent story cannot continue From Proust s immense edifice of memory to Beckett s invention to Perec s spatial preservation of vanished time to Blanchot s d s uvrement the works of these authors traverse the wide span between memory and forgetting in literature This paper integrates these authors who diverge in the direction of memory on the one hand and in the direction of forgetting on the other This integration forms passageways that make possible the exchange between these two ends Communication continues in the gap where memory and forgetting are reflections of each other La litt rature fran aise du vingti me si cle entre la m moire et l oubli Proust Beckett Perec et Blanchot Jiewon Baek ABSTRACT Au cours du vingti me si cle la repr sentation du rapport entre le temps le r cit et la m moire dans la litt rature fran aise subit un changement A la recherche du temps perdu de Proust atteste d une m moire puissante qui synth tise des moments s par s dans une uvre d art et mat rialise la th se de Paul Ric ur au sujet de l interd pendance du temps et du r cit Cette synth se proustienne devient presque impossible chez Samuel Beckett Georges Perec et Maurice Blanchot qui affrontent la disparition de la m moire pr serv e dans l espace narrative
10. 2 LA TEMPORALISATION ET LA SPATIALISATION DE LA M MOIRE 21 La temporalisation de la m moire ssssssssesesssesssssrrrrrrrrersrrsserrrrrrrees 21 La spatialisation de la m moire ssssssseseressssssssserrreererrrrsssrrerrreeserss 24 Le temps spatialis et l espace temporalis e 29 Proust la m moire dans le temps spatialis 29 Perec l espace temporalis rt wean sd nn tal ed Chapitre 3 LES DIFFICULT S DE LA PRESERVATION i c 38 La disparition de la narration 252828 disent ond oie Rae ied ene 38 La disparitionde eS aCe Re LR te ce Seeman uo ee paseo ae aes 49 Chapitre 4 LA CONTINUATION DU PROJET LITT RAIRE iiic 55 L invention beckettienne sssssssssrreessrsrsssrrrrreresrressserrrereeeeeresseee 55 L criture de Voubli resosi sneinen ai des no tes 57 CONCLUSIONS RS a a A ee a O ce S E tu es tee 61 La fiction une litt rature de l invention et de l oubli 61 La litt rature entre la m moire et Poubli 3562488860 manner 61 WORKS CHED merget coe ree vat AE saa E ne EEEIEE te 63 iv INTRODUCTION La r solution narrative L art de narrer traite fondamentalement du concept du temps si insoluble soit il L int gration entre la temporalit et le r cit est la base de la r solution narrative que Paul Ricceur propose dans Temps et r cit pour repr senter le temps Le monde d ploy par toute u
11. Beckett a essay dans son premier tome d enchainer et de raconter une suite d v nements Cela ne m tonnerait pas que je m carte dans les pages qui vont suivre de la marche stricte et r elle des v nements Molloy 181 Si l criture s agit de parler de choses dont on ne peut pas parler retourner la mimesis sera commettre une infid lit En niant la possibilit du r cit la trilogie sert de t moigne de abandon Dans la progression de ses trois volumes Beckett refuse de continuer des histoires infid les qui s cartent de la marche r elle Apr s son avertissement dans Molloy Beckett adh re un mouvement vers l abandon dans les deux volumes qui suivent Mon histoire moi aussi je l ignore je l oublie mais je n ai pas besoin de la conna tre nonce le narrateur Beckett Malone 55 Arriv au dernier tome il d clare Je ne peut pas me taire Je n ai besoin de rien savoir sur moi Ici tout est clair Non tout n est pas clair Mais il faut que le discours se fasse Alors on invente des obscurit s C est de la rh torique Beckett L Innommable 12 Dans son refus de la clart et de d signer aucune r f rence temporelle ou spatiale l crivain doit inventer Il invente des choses tir es des obscurit s L invention l emporte sur l impuissance Les obscurit s d o Beckett invente r sultent de la s paration totale des imp ratifs conventionnels Premi rement
12. Beckett continue sa r daction dans son impossibilit de s arr ter Le narrateur de Malone meurt entreprend de raconter quatre histoires Je ne voulais pas crire mais j ai fini par m y r signer C est afin de savoir o j en suis o il en est Au d but je n crivais pas je disais seulement Puis j oubliais ce que j avais dit Un minimum de m moire est indispensable pour vivre vraiment Beckett Malone 55 Contre l impuissance et l oubli le narrateur est forc d crire afin de pr server un minimum de m moire et d affirmer son existence Dans la difficult de sa r alisation mais dans l impossibilit de son extinction la litt rature lutte pour tre sans pouvoir La tension accro t avec chaque tome jusqu l apparence 55 des phrases incompr hensibles dans L Innommable Le fait semble tre si dans la situation o je suis on peut parler de faits non seulement que je vais avoir a parler de choses dont je ne peux parler mais encore ce qui est encore plus int ressant que je ce qui est encore plus int ressant que je je ne sais plus a ne fait rien Cependant je suis oblig de parler Je ne me tairai jamais Jamais Beckett L Innommable 8 Dans une situation qui semble d manteler toutes fonctions de la narration dans une coh rence spatio temporelle comment faire comment proc der Retourner a la mimesis traditionnelle dans cette condition sera feindre une criture frivole
13. L uvre de Proust de Vobscurit au d but du roman jusqu aux passages des distances des lieues et des ann es la fin accomplit une recherche de l espace perdu autant qu une recherche du temps perdu Poulet 19 Quelques pr cisions et exemples vont tre utiles pour souligner que la temporalisation chez Proust ne peut pas tre s par e de la spatialisation En revenant au d but du premier volume l homme dans la chambre obscure cherche comprendre sa situation comme un dormeur qui se r veille et ne sait pas qui ou o il est Lach du plan du lieu o il s tait endormi il crit comme j ignorais o je me trouvais je ne savais m me pas au premier instant qui j tais J tais plus d nu que l homme des cavernes mais alors le souvenir venait moi comme un secours d en haut pour me tirer du n ant d o je n aurais pu sortir tout seul Proust Du c t 5 La situation de l homme des cavernes est compr hensible une fois que son souvenir lui revient Mais de quoi s agit le souvenir qui donne au narrateur sa clart En continuant dans le texte le narrateur explique la nature du souvenir qui venait d en haut pour tirer l homme du n ant 30 Sa m moire la m moire de ses c tes de ses genoux de ses paules lui pr sentait successivement plusieurs des chambres o il avait dormi tandis qu autour de lui les murs invisibles changeant de place selon la forme de la
14. adulte Rochlitz 212 En parlant de ce texte de Benjamin Rochlitz d crit que I ironie du texte signale la distance entre l esprit prisonnier de l poque r volue et la conscience qui reconstruit la vision d autrefois 212 Entre le h ros dans la biblioth que des Guermantes et le h ros dans la chambre Combray il y a une distance Mais un livre suscite dans la conscience adulte la vision de l poque archa que Chez Proust le temps trace des transversales entre diff rents points du pass et du pr sent mettant ainsi en vidence une structure de l existence Vultur 26 Au moment o le h ros voit le titre du livre il traverse la distance entre le moi pr sent et le moi pass Le narrateur du temps retrouv lucide les exp riences du h ros Combray Ainsi le moi Combray qui t moigne du d nouement d une histoire d une vocation jusqu la r v lation finale rejoint le moi Guermantes Ric ur II 253 Au lieu d un seul moi au pr sent le temps retrouv pr sente une totalisation des variantes du moi des moments diff rents Ainsi parmi plusieurs sens que Ric ur attribue la signification du terme temps retrouv dans un sens le temps retrouv signifie une synth se de souvenirs indistincts et divers par l uvre de la m moire qui r v le les essences des choses hors du temps II 263 Outre cette signification Ric ur donne un deuxi me sens du terme Le temps retrouv peut
15. aussi signifier la red couverte des moments du pass qu on n avait pas autrefois per us Ric ur I 271 Le raccordement entre les significations diverses du temps retrouv s tablie dans l uvre d art Ric ur II 272 Selon le sens pr c dent le temps retrouv comme la synth se des fragments par moyen d une visitation extratemporelle la v rit qui se cache derri re le temps retrouv existe d j Le r le de l artiste est de traduire ce qui est r v l dans un moment contemplatif Ric ur II 272 L crivain ne doit pas inventer l art La v rit de l uvre d art existe d j en chacun de nous alors le devoir et la t che d un crivain sont ceux d un traducteur Proust Le Temps retrouv 197 Selon le deuxi me sens le temps retrouv comme la red couverte du temps pass l uvre d art est le moyen privil gi par lequel s effectue la fixation de ce moment contemplatif fugitif dans une uvre durable Ric ur II 272 La r solution du h ros de poursuivre sa vocation en crivain int gre les deux sens du temps retrouv la Recherche raconte la transition d une signification l autre du temps retrouv Ric ur II 273 La diff rence entre le moment du souvenir involontaire de la madeleine Combray et le moment des souvenirs involontaires la matin e chez Guermantes est que le ph nom ne chez Guermantes n est pas seulement un moment d
16. avait pas repr sent s Proust Du c t 39 40 Une emplette reproduite ne peut pas maintenir sa valeur esth tique contre la qualit vulgaire d une copie Le transport de la Cath drale de Chartres des Grandes Eaux de Saint Cloud ou du V suve une chambre sous forme d une image reproduite remplace l unicit du monument du paysage ou de l v nement par une valeur d exposition Deux qualit s caract risent la diff rence entre la repr sentation d un sujet que donne une photographie et la perception d un sujet dans son unicit la non reconnaissance et la standardisation Proust d crit distinctement sa surprise le moment ou il rencontre Mme de Guermantes pour la premi re fois quand il se rend compte que l image dans sa t te bas e sur une repr sentation de la dame ne correspond pas du tout a la personne r elle Ma d ception tait grande Elle provenait de ce que je n avais jamais pris garde quand je pensais a Mme de Guermantes que je me la repr sentais avec les couleurs d une tapisserie ou d un vitrail dans un autre si cle d une autre mati re que le reste des personnes vivantes Du c t 172 Le h ro per oit le grand cart qui s pare la r alit d une personne dans son contexte et une repr sentation trompeuse Roland Barthes prouve un douleur semblable devant des photographies de sa m re je me d battais au milieu d images partiellement vraies et donc totalement fauss
17. dans le pr sent Sans 2T coh rence temporelle pour lier et pour traduire ses exp riences dans la litt rature l crivain qui travaille dans la m moire spatialis e doit tablir un lieu pour faire l criture Pour d peindre en criture les choses autour de lui dont il se souvient Beckett cherche s exprimer en mots auxquels 1l peut se rapporter spatialement Ecrire dire parler ou penser le je a besoin de mots qui s entendent par rapport l endroit o il se situe ici ou ailleurs Ces choses que je dis que je vais dire si je peux ne sont plus ou pas encore ou ne furent jamais ou ne seront jamais ou si elles furent ou si elles sont ou si elles seront ne furent pas ici ne sont pas ici ne seront pas ici mais ailleurs Mais moi je suis ici Moi que voici moi qui suis ici qui ne peux pas parler ne peux pas penser et qui dois parler donc penser peut tre un peu ne le peux seulement par rapport moi qui suis ici ici o je suis mais le peux un peu par rapport moi qui fus ailleurs qui serai ailleurs et a ces endroits o je fus o je serai Mais je n ai jamais t ailleurs quelque incertain que soit l avenir Et le plus simple est de dire que ce que je dis ce que je dirai si je peux se rapporte l endroit o je suis moi qui y suis malgr l impossibilit ou je suis d y penser d en parler cause de la n cessit o je suis d en parler donc d y
18. degr auquel notre aperception est capable de r pondre des t ches nouvelles La r ception par la distraction de plus en plus sensible aujourd hui dans tous les domaines de l art et sympt me elle m me d importantes mutations de la perception a trouv dans le cin ma l instrument qui se pr te le mieux son exercice S il fait reculer la valeur cultuelle ce n est pas seulement parce qu il transforme chaque spectateur en expert mais encore parce que l attitude de cet expert au cin ma n exige de lui aucun effort d attention Le public des salles obscures est bien un examinateur mais un examinateur distrait L uvre d art 312 13 Les transformations que Benjamin observe ont des implications galement pour l artiste et pour le public Du point de vue de l artiste une uvre d art comme celle de Proust repr sente une attention et une ferveur cultuelle Les huit tomes de l uvre proustienne donnent une id e de tout ce qu il a fallu mettre en jeu pour reconstituer notre pop e la figure du conteur Benjamin Sur quelques th mes 335 Mais une fois qu une uvre litt raire devient une forme de distraction le conteur perd sa t che comme traducteur de l exp rience Comme Benjamin explique entre l auteur et le public la diff rence est en voie par cons quent de devenir de moins en moins fondamentale L uvre d art 296 Comme l importance du processus artistique de fixer
19. des impressions dans une uvre durable diminue le spectateur public devient expert Pour le public sp cifiquement celui de Proust la litt rature communique les couches profondes r v l es par le travail de m moire Mais en p n trant l aura le spectateur se fait examinateur expert d un spectacle qui n exige pas d interpr tation et qui d pr cie la valeur de l immense difice de la m moire Ainsi la m moire subit une mutation Notre facult de r fl chir et de saisir l essence unique de nos exp riences se perd dans une forme publique de distraction qui rend nul tout effort d association et de traduction On peut citer d autres r f rences pr voyantes dans le r cit de Proust qui signalent les effets des m dias technologiques J en note ici une pour diriger notre attention vers le sujet de la photographie Le jeune h ro dans Du c t de chez Swann remarque propos de sa grand m re Elle e t aim que j eusse dans ma chambre des photographies des monuments ou des paysages les plus beaux Mais au moment d en faire l emplette et bien que la chose repr sent e e t une valeur esth tique elle trouvait que la vulgarit l utilit reprenaient trop vite leur place dans le mode m canique de repr sentation la photographie au lieu 45 de photographies de la Cath drale de Chartres des Grandes Eaux de Saint Cloud du V suve elle se renseignait aupr s de Swann si quelque grand peintre ne les
20. en mouvement Un artiste qui comprend une temporalit articul e dans une mise en intrigue formule une conscience narrative qui se fond dans une tradition L uvre narrative de l crivain fait partie d une matrice de traditions sous mobilit et volution It is a consciousness or awareness that we occupy a place and time that is encased in traditions that are not set and unchangeable the humble recognition that we do not create our own present but find ourselves present to a matrix of stories that impart to us a sense of place and meaning that often demands debate discussion and eventual consensus Meaning as such is stored in as many ways as it is told read and memorialized in a culture Muldoon 63 Les d bats et les changements des traditions se d ploient dans des r cits La matrice de ces r cits soutient notre existence en mouvement Malgr le fait que notre sens d tre dans le temps s tablit traditionnellement sur l importance de raconter et d crire des histoires la pratique de la narration subit des transformations L tude qui suit examine une poque o l art narratif prouve un changement crucial et la conservation du sens devient probl matique Au d but du vingti me si cle l difice de la m moire que Proust construit atteste de la puissance de la m moire de synth tiser la matrice des exp riences dans une signification totale Mais vers la deuxi me moiti du vingti me si cle les r cits
21. endroit soit diff rent de l endroit originel l essence du moment ult rieur garde l unicit de l existence qui correspond au temps et l espace de l originel Pendant que l uvre d art refl te cette authenticit Benjamin constate que la technique de reproduction la d pr cie Benjamin associe l absence de l authenticit d un objet au d clin de l aura L aura l unique apparition d un lointain si proche soit il Benjamin L uvre d art 278 est la condition n cessaire pour pr server l authenticit et le hic et nunc d une uvre d art L unicit d une occurrence tablit une distance attribu e l objet qui distingue l objet par son essence authentique Mais l poque de la reproductibilit technique comme Benjamin explique ce qui d p rit dans l uvre d art c est son aura On pourrait dire de fa on g n rale que la technique de reproduction d tache l objet reproduit du domaine de la tradition En multipliant les exemplaires elle substitue son occurrence unique son existence en s rie L uvre d art 276 En cons quence de la technique de reproduction la distribution des copies plus proche de l espace et du temps des masses te le r cit de son existence originelle dans la tradition et ainsi diminue la qualit de l aura La multiplication d une occurrence pour la rendre plus proche et plus accessible viole la distance sp
22. entre eux d tach s de l objet de la m moire et de l attente la femme et l homme se retirent d eux m mes Dans l attention dispara t le centre d attention le point central autour duquel se distribuent la perspective la vue et l ordre de ce qui est voir int rieurement et ext rieurement Blanchot L Attente 34 Avec la disparition du centre ou de l objet d attention dispara t la perspective subjective L un qui tient la perspective n est plus attentif mais quelqu un qui est d tach du soi et s par de son identit fait place pour l entretien A un moment de l entretien on observe que Quelqu un en moi converse avec quelqu un Blanchot L Attente 35 La femme et l homme ne rencontrent pas la personne assise l un devant l autre mais quelqu un qui se trouve entre le quelqu un de l entretien Ce quelqu un d tranger et d inconnu peut come to me only through man but which when it does makes man into something the concept of man can t begin to account for Smock 3 Qui es tu en r alit demande la femme l autre Tu ne peux pas tre toi mais tu es quelqu un Qui Blanchot L Attente 44 Si la femme s adresse quelqu un d inconnu de l homme l homme s adresse aussi quelque chose de secret d abstrait et d impersonnel de la femme Il faut faire attention une voix retir e du sens culturel et social dans l tat de l oubli
23. es pr vues par Proust dans les ann es pr c dentes critiquent la disparition croissante de cet art de communiquer et d changer les exp riences Comme la correspondance de notre sens d tre travers une tradition de raconter des histoires se perd l criture narrative qui se fonde dans l uvre de la m moire pour claircir notre sens d tre subit la m me difficult Proust a pr vu le d clin de la tradition du Narrateur sp cifiquement par rapport aux crivains Mais je me rendais compte que le temps qui passe n am ne pas forc ment le progr s dans les arts tel auteur du XVII si cle qui n a connu ni la R volution fran aise ni les d couvertes scientifiques ni la guerre peut tre sup rieur tel crivain aujourd hui Le Temps retrouv 309 On peut argumenter bas sur la disparition de l art de narrer que le ph nom ne de l accroissement de la reproductibilit technique qui continuait apr s Proust n a pas amen de progr s sup rieur dans la litt rature Robert Kahn d crit la r duction du champ de L exp ri us i NN e exp rience comme le m canisme fondateur d une presse qui empile les informations d une mani re incoh rente Du fait de la tr s grande diffusion des journaux aucun lecteur ne peut plus raconter quelque chose autrui c est dire lui communiquer l authenticit d une 39 exp rience 197
24. espace rappelle une m moire externe Les lieux contiennent un assortiment d images en dehors de l esprit Ce que l espace voque dans la m moire est une image qui demeure dans le lieu A travers la trilogie de Samuel 24 Beckett je vais tirer quelques caract ristiques d une m moire spatialis e Selon une description de Michel Beaujour Le mn motechnicien est un homme qui porte en permanence dans sa t te un ensemble architectural ou urbain auquel il peut se r f rer constamment pour y emmagasiner ou y reprendre les images qu il lui a confi es 87 L effort de garder et de porter en permanence dans l esprit les images spatiales semble dur dans l criture de Beckett Un homme B un vieux qui porte un chapeau pointu voyage travers des r gions qu il semblait mal conna tre ou pas du tout car il avan ait d un pas mal assur et s arr tait souvent pour regarder autour de lui comme celui qui cherche fixer dans son esprit des points de rep re car un jour peut tre il lui faudra revenir sur ses pas on ne sait jamais Beckett Molloy 10 Cet homme dont le nom on ne sait pas parce que le narrateur de Molloy l appelle homme B voyage dans des r gions dont il ne sait pas les noms Il faut fixer les points de rep re dans son esprit pour qu il puisse y se r f rer Dans un endroit mal connu l homme cherche tablir son ensemble architectural dans sa t te Ainsi sa m
25. et ce qu on voit autour de soi devant soi en dehors du soi La situation 26 du soi par la spatialisation exige une externalisation La m moire spatialis e est bas e sur et attach e ce qui est dans l espace externe en dehors du soi S il occupe le centre de la chambre le narrateur devine que les autres font des r volutions autour de lui Quoiqu il essaie de se situer au centre des r volutions les cercles embrouillent l orientation et la direction des sujets en question Les limites de l int rieur et de l ext rieur du soi ne sont pas claires le centre peut tre OCCUP par moi eux ou nous Une r f rence L Attente l oubli de Maurice Blanchot sera utile ici expliquer le concept d une spatialisation d centr e La spatialisation dans L Attente l oubli s carte totalement de la conception d un espace central l int rieur Le lieu de la rencontre entre l homme et la femme de ce texte est une chambre d un h tel un lieu neutre d tach destin au passage et l change Manola Antonioli d crit que les lieux dans l criture de Blanchot ne sont pas en principe destin s l habitation mais au passage et l change avec le dehors Il devient donc impossible de d finir un espace int rieur et habit le centre autour duquel l espace devrait s organiser se d robe toujours 121 L espace du moi qui occupe le centre et qui est a la base de la m moire dispara t L
26. extase inexpliqu e mais elle est la d couverte de la relation entre les moments de la m moire involontaire et la vocation Ric ur IT 269 70 Le temps retrouv en relation la vocation de l artiste selon Ric ur r sulte d une d mystification des signes dans une uvre d art par le moyen de vision d impression et de m taphore II 280 Comme le narrateur de la Recherche pr cise Le style pour l crivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique mais de vision Proust Le Temps retrouv 202 Max Milner exprime que la litt rature est une machine faire voir qtd in Guindani 158 Le h ros de la Recherche on peut dire subit un apprentissage de la vision Guindani 158 d s les projections de la lanterne dans sa chambre d enfance jusqu aux regards choquants qu il rencontre l h tel de Guermantes la fin Cl der and Montier 12 La r alit que l artiste aper oit gr ce la m moire involontaire lui est montr e dans une impression les signes de laquelle l artiste a besoin d interpr ter et de d chiffrer L impression retrouv e est la r v lation d une impression effac e que l artiste traduit dans une uvre d art Ric ur II 281 L impression retrouv e claircit la vraie vie transpos e dans l uvre d art le temps retrouv claircit l tre extratemporel dans une qu te du temps perdu par un apprentissage de signes Ri
27. fauteuil une table un plateau une tasse un coquetier des livres une photographie un miroir Des objets divers composent une longue liste une liste du vide et de l abandon Chez Beckett l inventaire des biens dans un coin p le m le Malone 15 dans la chambre de Malone signale la mort du possesseur et de sa m moire Et chose encore plus curieuse il y a toute une s rie d objets n ayant apparemment rien de particulier en commun qui ne m ont jamais quitt depuis que je suis ici mais sont rest s sagement leur place dans le coin comme dans n importe quelle chambre inhabit e De sorte que rigoureusement parlant il m est impossible de savoir d un instant l autre ce qui est moi et ce qui ne l est pas selon ma d finition Alors je me demande si je dois continuer a dresser un inventaire n ayant peut tre avec la r alit que des rapports fort lointains Malone 127 28 L occupant s est d j retir de sa chambre il lui est impossible de raconter qui appartiennent ces choses de raconter une histoire pour expliquer les objets qui tra nent dans le coin Face la mort en l absence du sujet et ses facult s les fragments dans les lieux abandonn s tendent vers leur propre disparition Perec semble crire pour viter une m moire qui ne peut pas s accommoder de la mort Cette raison est la motivation de l crivain qui raconte l histoire de Gaspard Winckler
28. homme et la femme se trouvent dans un croisement o les deux come together in a place where neither can be found They detain each other together outside themselves Smock 11 D tach s d eux m mes hors du lieu et du temps fini ils se tiennent dans un entretien qui est le lieu d attention Blanchot L Attente 34 l espace d une rencontre avec l inattendu tranger aucune vocation priv e Pour Beckett la difficult d tablir une coh rence spatiale m ne la difficult d crire quelque chose qui d passe une affaire de mots S i je pouvais me mettre dans une chambre c en serait fini de la chasse aux mots m me sans porte m me sans fen tre rien que les quatre faces les six faces si je pouvais m enfermer ce serait une mine il pourrait faire noir je pourrais tre fixe j couterais l cho je la connaitrais je m en souviendrais je me l imaginerais je serais chez moi je dirais comment c est chez moi au lieu de n importe quoi cet endroit si je pouvais d crire cet endroit le d peindre j ai essay je ne sens pas d endroit pas d endroit autour de moi L Innommable 187 88 Cette phrase conditionnelle d crit la stabilit qui suivrait si l auteur pouvait s installer dans un endroit fixe Il pourrait trouver ses mots Il reconnaitrait et il se souviendrait de ce qui se passe autour de lui Il pourrait crire dans un espace qui lui permet de se situer
29. le cours des choses ni s accommoder de leur disparition et du pouvoir de la mort Le Conteur 134 Contre les influences de la mort c est une m moire vive qui donne un sens r f rentiel aux choses et fait durer leur signification Dans le cas o cette facult ne survit pas les objets les images et tout ce qui reste dans l espace p rissent sans signification Deux exemples de ce cas se distinguent dans le texte de Perec On voit un exemple chez Gaspard Winckler apr s la mort de sa femme Marguerite Pendant tout l hiver Gaspard Winckler resta assis la table o elle venait travailler gardant dans ses mains un a un tous les objets qu elle avait touch s qu elle avait regard s qu elle avait aim s Perec La Vie mode d emploi 301 Un jour Winckler d cide de br ler tous ces objets abandonn s Le vingt trois juin mille neuf cent soixante quinze deux ans apr s la mort de Winckler lui m me de ces trois petites chambres dans lesquelles pendant presque quarante ans a v cu et travaill Gaspard Winckler il ne reste plus grand chose Perec La Vie mode d emploi 24 La chambre des Winckler est aujourd hui une pi ce grise de poussi re et de tristesse une pi ce vide et sale Perec La Vie mode d emploi 301 Il faut une m moire vive pour qu un lieu maintienne son sens r f rentiel Sans relation une m moire durable qui peut s accommoder de la mort les choses deviennent gri
30. les mots sont balay s Sur leur propre terrain avec leurs propres armes je les balayerai et leur pantin rat avec Des traces de moi j en trouverai peut tre la m me occasion Beckett L Innommable 63 Apr s leur balayage les mots restent sans choses sans gens Godeau 61 d tach s de leurs significations L criture de l oubli L abolition de l objet et du signifi se rapproche la deuxi me qualit de l criture aux limites l oubli L affaire de mots d tach s de leurs sens se dirige vers un langage dans son oubli 57 un concept qu il faut pr ciser par rapport aux id es du d sceuvrement et du neutre chez Blanchot Cet auteur prend la notion de la dissolution du mot et de l objet jusqu aux sons purs libres de toute signification Beckett Molloy 66 et la m ne un niveau encore extr me Dans l impossibilit et le refus de faire usage des r f rentiels linguistiques et litt raires Blanchot s obstine sur un mouvement vers le n ant L explication de Jean Philippe Miraux claircit le concept du n ant par la caract risation de l criture d sceuvr e Le d sceuvrement frappe tout d abord l crivain qui prend conscience de la vacuit de l criture de son impossibilit et qui s aper oit qu il n a plus rien entreprendre sinon la qu te d une uvre s acheminant vers son absence alors secondement il crit malgr tout l uvre d absence
31. ne sauraient elles effectuer le travail de mise en relations 71 Barthes exprime cette difficult devant une collection des photos qu il essaie de ranger apr s la mort de sa m re Je les grenais mais aucune ne me paraissait vraiment bonne ni performance photographique ni r surrection vive du visage aim Si je venais un Jour les montrer des amis je pouvais douter qu elles leur parlent 100 En rangeant des photographies l un c t de l autre un sujet cherche la synth se d une identit la synth se de son histoire Mais ce qu il voit dans les images photographi es sont des repr sentations mortifi es en morceaux vides de souvenirs harmonieux Un chec de la m moire aboutit la non reconnaissance et l impossibilit de la mise en relations Pour raconter une histoire coh rente plut t d assembler une collection de photographies il faut la fonction unificatrice d une m moire vive Mais l art de la mise en relations de l int gration des instantes vari es dans une uvre dans la dur e meurt dans la reproduction photographique Au lieu d une image dans le temps d apr s Jean Marie Schaeffer une photographie montre une image du temps d un moment immobile qtd in Montier 99 Ce 47 trait d une image du temps est ce que Barthes aussi attribue la photographie En regardant l image de sa m re au Jardin d Hiver quand elle avait cinq ans Bar
32. penser peut tre un peu Beckett L Innommable 24 25 Le fil des pens es de ce narrateur se livre de toute chronologie temporelle Ses mots peuvent appartenir au pass au pr sent ou au futur il lui est impossible de dire Ni lui ni ses mots n habitent dans le domaine temporel Ils ne peuvent que former des concepts par rapport l espace De plus sa m moire spatialis e ne s entend qu avec des mots qu il nonce ici l endroit o il est l instant pr sent Sans regard aux endroits ailleurs o il tait ou il sera la recherche du narrateur beckettien s agit de dire de penser et de parler au lieu o il est ici Si on se r f re encore Blanchot Ici et sur cette phrase commence son texte L Attente 7 L v nement de l histoire se d roule ici sur la phrase nonc e l endroit o il est Mais comme Antonioli note bien que le r cit commence ici il ne commence pas il s arr te plut t Tout ce qui se dira par la suite le long change dialogique que les premi res phrases annoncent ne sera jamais rien d autre que cet change de paroles auxquelles on ne pourra jamais attribuer une origine unique 105 Ici sur cette phrase il s arr te et les changes de paroles qui suivent dans le texte ont lieu ici d tach s d une origine et d un but Les changes deviennent une question du lieu autour des interlocuteurs 28 Avec quel int r t elle le
33. pi ce imagin e tourbillonnaient dans les t n bres Et avant m me que ma pens e qui h sitait au seuil des temps et des formes e t identifi le logis en rapprochant les circonstances lui mon corps se rappelait pour chacun le genre du lit la place des portes la prise de jour des fen tres l existence d un couloir avec la pens e que j avais en m y endormant et que je retrouvais au r veil Proust Du c t 6 Le souvenir qui venait au secours appartient la m moire du corps M me si les pens es de l homme tourbillonnent dans l obscurit entre les murs le corps rappelle et identifie le logis o il se trouve La m moire du corps met en ordre les circonstances en se rappelant du placement du lit de la porte des fen tres et du couloir Ainsi le temps du pass avant le sommeil se rejoigne avec le temps pr sent o le h ros se trouve au r veil La m moire du corps qui identifie le lieu rend possible le d placement travers le temps Comme chaque p riode de la vie du personnage proustien est li e aux diff rentes chambres chaque temps de la vie d autrefois s associe un lieu La synth se du soi est possible lorsque l homme des cavernes est tir de son inconscience par les souvenirs des chambres de Combray de Balbec de Donci res de Paris Vultur 33 Le travail d voquer le pass et de lier les temps divers dans une totalit exige la synth se des images qui demeurent des lieux var
34. qui exprimaient et m morialisaient le sens s loignent des fonctions de communication et de pr servation Apr s Proust des auteurs comme Georges Perec Samuel Beckett et Maurice Blanchot affrontent des oppositions la continuation des histoires et remettent en cause la r solution narrative Les transformations probl matiques de la fonction r v latrice de la m moire menacent in vitablement l int gration harmonique entre le temps et le r cit c est dire l int gration narrative du temps qui se trouve la fondation des pens es ric uriennes et proustiennes Le premier chapitre de la pr sente tude examine la repr sentation du temps dans les textes de Proust Perec Beckett et Blanchot Le deuxi me chapitre d montre que les obstacles contre la r solution narrative d interpr ter et de traduire notre exp rience temporelle la r solution de Proust manent de la spatialisation fragment e de la m moire Le travail de Perec prouve ce ph nom ne qui tend vers la fragmentation l intensification de laquelle Benjamin attribue l accroissement de la reproductibilit technique Dans la transposition de la m moire temporalis e dans des ouvrages reproductibles les images reli es travers le temps sont remplac es par les images d connect es et fig es dans l espace La disparition de la m moire temporalis e ou de l art de narrer pour reprendre les mots de Benjamin a pour r sultat l impossi
35. reconnaissance L chec la disjonction et l incongruit ou comme le d finit Cadava la c sure 15 face aux photographies sont caract ristiques aussi de la destruction de l aura La cam ra aide la r duction de la r alit une reproduction et fait sortir sur le papier l essence d un individu Barthes 25 Dans ce processus un objet est mortified that is objectified thingified imaged Cadava 8 Face a l objet photographi conclut Guindani nous finissons par n en apercevoir que le cadavre 165 Ce que nous voyons dans l image photographi e est un v nement mortifi un v nement devenu objet aplati sur le papier Si on consid re intention de rem morer une chose dans l acte de photographier la r duction et la mortification de la r alit une reproduction d truisent la vie et la valeur rituelle qu on d sire pr server dans l image Le d mant lement de l aura l emporte sur la valeur cultuelle d di e au souvenir d un objet En figeant un v nement dans une production qui se pr te la reproduction l infini et au transport n importe o la photographie facilite la fragmentation des id es La non reconnaissance qui r sulte face une photographie est une faillite de l association et des correspondances M me organis es en suite d images en albums en livres constate Jean Pierre Montier les photos demeurent fragmentaires et
36. stagnante La m moire narrative d apr s la connaissance proustienne est un difice occupant si l on peut dire un espace quatre dimensions la quatri me tant celle du Temps d ployant travers les si cles son vaisseau qui de trav e en trav e de chapelle en chapelle semblait vaincre et franchir non pas seulement quelques m tres mais des poques successives d o il sortait victorieux Proust Du c t 60 Franchir traverser et vaincre les distances des si cles c est la construction de l difice profond de la m moire par la temporalisation La spatialisation de la m moire D un c t comme l criture de l difice proustien illustre la traduction de l exp rience v cue en forme litt raire est un processus de la temporalisation De l autre c t comme on pr cisera le travail de l criture est une affaire de spatialisation et d loignement de la dimension temporelle L difice d une m moire spatialis e n occupe pas la quatri me dimension du Temps la construction de cet difice spatial s carte de l int r t franchir la distance des poques A la place la m moire s attache l espace de l endroit Le principe de la spatialisation de la m moire d pend sur la puissance de l espace voquer la m moire Au lieu d une m moire interne par laquelle l crivain encha ne ses exp riences et synth tise le pass et le pr sent dans son esprit l
37. une importance relative la vocation qui doit tre pr cis e pour relever l aspect spatial dans la repr sentation du temps retrouv La d couverte de la vocation comme crivain a un r le unifiant la traduction de l essence m taphorique dans la litt rature fournit un moi total Cette synth se des essences m taphoriques dans la litt rature accomplit une unification non seulement dans le sens du temps mais aussi dans le sens de l espace La litt rature cr e un ensemble des versions du moi dans les temps s par s et aussi dans les endroits s par s Comme un exemple notable deux c t s de Combray occupaient l esprit de l enfant Proust dans deux plans diff rents G ographiquement le c t de M s glise et le c t de Guermantes restaient inconnaissables et incommunicables l un l autre Car il y avait autour de Combray deux c t s pour les promenades et si oppos s qu on ne sortait pas en effet de chez nous par la m me porte je mettais entre 33 eux bien plus que leurs distances kilom triques la distance qu il y avait entre les deux parties de mon cerveau o je pensais eux une de ces distances dans l esprit qui ne font pas qu loigner qui s parent et mettent dans un autre plan Et cette d marcation tait rendue plus absolue encore parce que cette habitude que nous avions e n aller jamais vers les deux c t s un m me jour dans une seule promenade les enfermait pour a
38. Rainer Rochlitz Maurice de Gandillac and Pierre Rusch uvres Vol III Paris Gallimard 2000 114 51 Sur quelques th mes baudelairiens Trans Rainer Rochlitz Maurice de Gandillac and Pierre Rusch uvres Vol III Paris Gallimard 2000 329 90 Bertharion Jacques Denis Po tique de Georges Perec Saint Genouph Librairie Nizet 1998 Blanchot Maurice L Affirmation le d sir le malheur L entretien infini Paris Gallimard 1969 153 79 L Attente l oubli Paris Gallimard 1962 Brown Llewellyn Beckett Les Fictions br ves Caen Lettres modernes minard 2008 Cadava Eduardo Words of Light Theses on the Photography of History Princeton NJ Princeton University Press 1997 Carter C William The Vast Structure of Recollection From Life to Literature The Cambridge companion to Proust Ed Richard Bales New York NY Cambridge University Press 2001 Casanova Pascal Beckett l abstracteur Paris Seuil 1997 Cl der Jean and Jean Pierre Montier Avant propos Proust et les images Ed Jean Cl der and Jean Pierre Montier Rennes Presses Universitaires de Rennes 2003 11 15 Compagnon Antoine Proust m moire de la litt rature Proust la m moire et la litt rature Ed Antoine Compagnon Paris Odile Jacob 2009 9 45 Deleuze Gilles Marcel Proust et les signes Paris Presses Universitaires de France 1964 Genetti Stefano Les Figures du temps dans l uvre de Samuel Beckett Fa
39. Twentieth Century French Literature between memory and forgetting Proust Beckett Perec and Blanchot La litt rature fran aise du vingti me si cle entre la m moire et l oubli Proust Beckett Perec et Blanchot Jiewon Baek Thesis submitted to the faculty of the Virginia Polytechnic Institute and State University in partial fulfillment of the requirements for the degree of Master of Arts In Foreign Languages Cultures and Literatures Anthony A Abiragi Chair R Janell Watson Richard L Shryock April 6 2010 Blacksburg VA Keywords la m moire l oubli le temps l espace le r cit memory forgetting time space narrative Copyright 2010 Jiewon Baek Twentieth Century French Literature between memory and forgetting Proust Beckett Perec and Blanchot Jiewon Baek ABSTRACT In the course of the twentieth century the representation of the relationship between time narrative and memory in French literature undergoes a change Proust s A la recherche du temps perdu evidences the power of memory to synthesize separate moments through a work of art and embodies the thesis of Paul Ricceur on the interdependency of time and narrative This proustian synthesis becomes almost impossible for Samuel Beckett George Perec and Maurice Blanchot who encounter the disappearance of memory preserved in the narrative space Not only in the face of the spatialization of memory in the increasing development of mass media
40. a femme sont attir s l un vers l autre dans le vide et dans le silence entre leurs paroles Pour frayer le chemin afin que la femme puisse lui parler l homme doit faire place pour la possibilit de la parole pour l apparence de quelque chose d inattendu L attention est n cessaire pour que quelque chose arrive mais pour que quelque chose puisse vraiment arriver il faut s ouvrir la possibilit radicale de l inattendu Antonioli 108 Autrement dit il faut ouvre l espace pour une voix impr vue et inconnue Mais frayer un chemin pour quelque chose d inattendu exige un d gagement d une fin du d sir de la possibilit et d un ach vement dans le temps Les deux interlocuteurs parlent dans un temps vide sans projet et sans souvenir qui seul permet l arriv e de l attente de l oubli de l attention la venue de l autre de la parole depuis l autre Antonioli 108 L attente n a pas de destination ou de r alisation d un v nement L attente est sans v nement sans projet et sans possibilit comme une perp tuit vide qu il faut chaque instant supporter infiniment Blanchot L Affirmation 176 Vid e du temps envisageable et vid e de la possibilit l attention soutient un cercle de l attente A nsi 18 attendre est un acte neutre enroul sur soi serr en cercles le refus de rien attendre Blanchot L Attente 16 Dans un mouvement de r p
41. atio temporelle entre deux choses la distance que l uvre de la m moire involontaire devrait traverser 41 L ceuvre de la m moire se transforme indubitablement en cons quence de la distribution des copies et des reproductions de l criture Le passage travers le temps spatialis par la m taphore vocatrice respecte la distance et l unicit d un ph nom ne originel Le passage d une distance garde le sens d une dur e dans le temps Contrairement la reproduction technique substitue l unicit et la dur e dans l original par la fugacit et la possible r p tition Benjamin L uvre d art 279 Le processus qui r sulte du d sir des masses avoir acc s de plus pr s constate Benjamin c est sJortir de son halo l objet d truire son aura standardiser l unique L CEuvre d art 279 L enchainement de deux moments par la m taphore est possible en condition que cette liaison conserve une essence singuli re et originale La standardisation n est pas le seul r sultat de l enl vement du halo de I original Les copies reproduites d robent la qualit rituelle et cultuelle de la tradition et remplacent cette qualit par une valeur d exposition Benjamin L uvre d art 284 La diffusion des copies exposables aux masses menace la r alisation d une uvre d une vie fond e sur la tradition d changer des exp riences et non pas sur l exposition Cet a
42. bilit d encha nement Le troisi me chapitre examine les origines historiques des probl mes qui menacent la m moire temporalis e aussi bien que la m moire spatialis e si la facult de la m moire cherche son dernier refuge dans la pr servation spatiale des r cits la d t rioration des espaces la menace davantage Dans l impossibilit de la pr servation et de la communication du sens spatiotemporel dans la litt rature Beckett se force d inventer Son exp rimentation d inventer de nouveaux moyens d articulation et de subsistance comme je d montrerai dans le quatri me chapitre rompt avec les traditions qui s affirmaient dans l uvre proustienne et s achemine vers une criture du n ant Cette criture de l absence se m ne ses limites dans l uvre de Blanchot dont la th orie du d sceuvrement se situe c t de l oubli Entre la r solution consacr e chez Proust d tablir la synth se travers la m moire puissante et l ind cision chez Blanchot dans l attention absente d gag e dans l oubli l cart semble vaste Pourtant la pr sente tude conclura ce que la litt rature du n ant ouvre dans son impossibilit est l espace d un mouvement dans l cart entre la m moire et l oubli entre les apories spatio temporelles entre la tradition et la divergence Dans le mouvement qui nous m ne de Proust Blanchot la m moire et l oubli dans la litt rature se refl tent L es
43. c ur II 284 L art entreprend ce travail de d chiffrage et d interpr tation tablit ce rapport entre diff rentes sensations pour en d gager la v rit et nous fait ainsi acc der cette repr sentation qu est la r alit Kadivar 18 Tout ce qui n exige pas d interpr tation ou de traduction n mane pas de la profondeur de l impression involontaire Seule l impression est un crit rium de v rit et cause de cela m rite seule d tre appr hend e par l esprit Ce que nous n avons pas eu d chiffrer claircir par notre effort personnel ce qui tait clair avant nous n est pas nous Ne vient de nous m mes que ce que nous tirons de l obscurit qui est en nous et que ne connaissent pas les autres Proust Le Temps retrouv 186 87 L impression sans reconnaissance comme Ric ur pr cise est sans valeur II 279 La fonction de l art est de reconna tre aux choses une certaine profondeur d en d passer 10 l apparence afin de parvenir une repr sentation par laquelle la r alit se rend pr sente nous Kadivar 17 La r alit dans le monde n a pas de sens en lui m me mais que c est le moi qui doit l investir de sens Vultur 391 Cet investissement de sens est la t che du moi cr ateur Il faut une reconnaissance des rapports qui saisissent la beaut de la r alit extratemporelle Cette reconnaissance est un travail d inter
44. calation d une partie entre deux selon l analyse de Ser a au sens figur repr sente le processus de la m moire l interpolation comme la m moire vient faire coexister pass et pr sent en ins rant si l on peut dire un morceau du pass dans le pr sent 146 L insertion d un morceau d un temps diff rent dans le cours de l action pr sente est pr cis ment l exp rience de la m moire involontaire La 23 compr hension de l v nement de la r miniscence involontaire en termes temporalis s fait possible l existence simultan e du pass et le pr sent Au niveau de la phrase l intercalation se r alise dans les mots crits en parenth ses qui s interpolent dans une phrase Ser a 144 La parenth se peut pr senter un verbe au pass quand la phrase d accueil est au pr sent g n rique ou superposer une strate plus ancienne ou plus r cente que celle sur laquelle se fonde la phrase d accueil Ser a 151 Ainsi l union du contenu dans la parenth se et le reste de la phrase figure l union des souvenirs s par s dans le temps Soit au niveau de l uvre totale soit au niveau d une phrase une masse compl te se forme des souvenirs des origines et des ges divers tJous ces souvenirs ajout s les uns aux autres Proust Du c t 184 L criture en mouvement qui superpose et intercale des souvenirs du pass et du pr sent surmonte le domaine d une structure
45. cour de son h tel il y avait eu en moi irradiant une petite zone autour de moi une sensation qui tait commune cet endroit o je me trouvais et aussi un autre endroit Proust Le Temps retrouv 180 Ce moment int gral signifie la fusion et la synth se des moi diff rents par le passage travers le temps Mais cette r alisation de l image temporelle d un moi total est impossible sans unit spatiale Le moi du pass qui a prouv le moment bienheureux dans la chambre de Paris s unit au moi du pr sent qui prouve la m me sensation dans la biblioth que des Guermantes L essence de la sensation qui est commune deux temps diff rents forme une petite zone radieuse qui englobe un endroit l autre Comme la m moire du narrateur franchit la distance entre deux temps diff rents deux endroits s par s par la distance temporelle se joignent La nettet du soi temporalis est fond e sur une coh rence spatiale Ultimement I es images du monde doivent tre mises en relation avec l image du moi jusqu ce que les images ext rieures et les images int rieures se confondent dans une seule r alit Vultur 56 La conception du soi entier d pend sur la solidit des images des autres et du soi des images temporelles redoubl es par une repr sentation spatiale Il faut revenir l instance de la r v lation finale qui arrive dans la biblioth que des Guermantes parce que ce moment tient
46. d un pass incompr hensible et inacceptable Perec fait de l impossibilit d crire et de l exp rience du vide du manque les sujets m mes de l criture 120 Dans l impossibilit d enchainement il n y reste pour l auteur que des morceaux d informations Cons quemment l auteur fait une criture des descriptions Les sujets des descriptions se composent de la r miniscence des vies d anciens occupants de l immeuble 11 rue Simon Crubellier aussi bien que des histoires des habitants qui y demeurent encore La r miniscence d un pass incompr hensible n est possible qu en relation avec l espace physique de l immeuble Par la suite chaque chapitre doit pr senter une description de la pi ce et du personnage qui se trouve dans la pi ce Cette information de la pi ce d crit fr quemment en d tail les tableaux sur les murs ou les photographies dans la pi ce Dans l histoire du Chapitre 50 par exemple le texte attire l attention des lecteurs un tableau dans la chambre de Genevi ve Le tableau repr sente une chambre Une narration descriptive de la chambre dans le tableau est suivie des informations sur le peintre Puis le narrateur raconte une longue histoire du roman policier qui tait l inspiration pour le tableau En se servant d une histoire en dehors du r cit central du livre Perec fait illusion de la narration 16 Cette situation cr e trois repr sentations de l v nement
47. dans W ou le souvenir d enfance Longtemps j ai cherch les traces de mon histoire consult des cartes et des annuaires des monceaux d archives Je n ai rien trouv Quoi qu il arrive quoi que je fasse j tais le seul d positaire la seule m moire vivante le seul vestige de ce monde Ceci plus que toute autre consid ration m a d cid a crire Perec W 14 Les traces de l histoire d un enfant qui a perdu ses parents l re sous domination nazie ne se pr servent pas dans des cartes des annuaires des archives Contre les horreurs de la mort la seule m moire vivante lutte pour retenir les r cits fragment s La Vie mode d emploi exprime semblablement le besoin de construire un immense immeuble litt raire dont l espace retient la mort et le passage du temps Si on pouvait crire les souvenirs des instants pass s qui se logent dans chaque tableau photographie et objet qui restent dans l immeuble l espace se pr senterait 51 comme source de sauver les fragments des souvenirs Pourtant si la m moire souhaite se pr server dans un espace temporalis elle confronte la d t rioration des lieux eux m mes et avec les lieux les objets qui contiennent des histoires du pass La Vie mode d emploi rend vident l effet du d p rissement des espaces physiques En suivant la m taphore laquelle Beaujour fait r f rence les lieux sont le support les tablettes sur lesquelles s criv
48. e d exp rience comme celle de rapport est boulevers e on ne peut plus penser la dimension de ma trise du sujet sur l objet 164 L univers du neutre n abolit pas seulement la dimension de l objet sous l exp rience mais aussi la dimension du sujet Les paroles de l entretien entre l homme et la femme sont cart es de leurs sujets animants Les interlocuteurs se tiennent dans le vide du neutre en dehors de la localisation Dans un entretien o les paroles manquent de sujet 58 qui se souvient de ses mots les fonctions d entendre et de parler s agissent de soutenir un mouvement d attrait entre deux interlocuteurs impersonnels Pour faire ce que la femme lui demande l homme doit entendre quelque chose qui ne s tait pas encore pass tout de m me d j pr sent tout de m me d j pass Blanchot L Attente 14 Il doit entendre une voix qui tait toujours et d j l mais pas encore entendue La parole qu il doit transcrire est une parole qu il faut r p ter avant de l avoir entendue Blanchot L Attente 11 Pour faire ce qui est impossible l homme doit aussi entrer dans l oubli et entendre la voix de quelqu un qui parle dans son tat oubli Le sujet en question n est plus le maitre de l exp rience il est impersonnel et innommable comme Beckett le nommerait Il est quelqu un en soi absente et hors de soi en dehors retir du monde En mouvement de l attention
49. e et le mot la fiction garde la distance entre le souvenir du r el et sa repr sentation En n tant pas vou e au r el la fiction laisse le souvenir rester sa place distanci Cette distance l espace entre dans l attention et dans le d tour invite l apparition de l impersonnel et de l inattendu dans son tat de I oubli La litt rature entre la m moire et l oubli A ce point la litt rature dans le mouvement de l attente l oubli nous ram ne c t de Proust Oui si le souvenir grace a l oubli n a pu contracter aucun lien jeter aucun chainon entre lui et la minute pr sente s il est rest sa place sa date s il a gard ses distances son isolement dans le creux d une vall e ou la pointe d un sommet il nous fait tout coup respirer un air nouveau pr cis ment parce que c est un air qu on a respir autrefois cet air plus pur que les po tes ont vainement essay de faire r gner dans le paradis et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement que s il avait t respir d j car les vrais paradis sont les paradis qu on a perdus Le Temps retrouv 177 L apparition de quelque chose qui est gard e une distance pure et inattendue ressortit de l tat de l oubli L air pur souffle du paradis qu on a perdu Benjamin constate que l uvre de la m moire proustienne la respiration de nouveau d un air isol sa date
50. e le coucher appartient au temps perdu dans le sens du temps qui s est coul et qui fait partie du pass Ricceur IT 255 Et moi aussi bien des choses ont t d truites crit le narrateur que je croyais devoir durer toujours Il y a bien longtemps aussi que mon p re a cess de pouvoir dire maman Va avec le petit La possibilit de telles heures ne renaitra jamais pour moi Proust Du c t 36 De l autre c t Ricceur pr cise un sens alternatif du terme temps perdu le temps disjoint et fragment II 263 Le premier sens du temps perdu ne suffit qu en relation la condition fragmentaire de ce qui s est pass L tat de perte signifie la d sunion des moments disparus qui correspondent in vitablement aux souvenirs disjoints Quelques pages apr s l histoire de son souvenir du baiser le narrateur raconte l histoire du morceau de madeleine tremp dans le th qu il a gout chez sa tante L onie Combray Cet v nement introduit la r v lation d une profondeur inconnue et occasionne le r veil d un temps perdu Toutes les fleurs de notre jardin et celle du parc de M Swann et les nymph as de la Vivonne et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l glise et tout Combray et ses environs tout cela qui prend forme et solidit est sorti ville et jardins de ma tasse de th Proust Du c t 47 Par rapport aux souvenirs de Combray et aux autres souven
51. en question l histoire du roman policier son repr sentation dans le tableau et la reproduction de la repr sentation dans le tableau de l histoire du roman policier Suivant les arguments qu il pr sente dans Laocoon au sujet de la relation entre la peinture et la po sie Gotthold Lessing constaterait que la repr sentation du tableau dans la chambre de Genevi ve a une valeur r elle et ind pendante du roman policier que les uvres du peintre et de l crivain ne sont pas simplement des imitations l un de l autre 53 Mais une histoire qui d crit l histoire d un tableau qui repr sente l histoire d un roman comme dans le cas de La Vie mode d emploi n a pas de valeur authentique dans le temps Dans l impossibilit d exprimer des situations dans la dur e l artiste cherche emprunter un morceau du temps d une image dans un tableau accroch sur le mur Les histoires des personnages repr sent s dans les tableaux donnent parfois une illusion comme si ces figures d peign es peuvent tre des personnages di g tiques La ruse de Perec s accomplit par les informations de l espace et des personnes dans les tableaux qui sont aussi d taill es que les descriptions des personnages qui habitent l immeuble sur la rue Simon Crubellier Une image d un tableau peut se placer pour une image un moment narratif dans une chambre de l immeuble Inversement certains descriptions des personnages qui se tr
52. ent les images de la m moire 93 L activit volontaire de la rem moration artificielle d pend des images encadr es dans leurs fonds Beaujour 87 Si les images des chambres soutenues par l criture permettent la persistance de la m moire il en r sulte que la d t rioration de l immeuble est li e l incapacit de se souvenir La puissance de la d ch ance spatiale agite la possibilit d une m moire externe Val ne le plus ancien occupant de l immeuble voit l effet de cette force n gative Val ne parfois avait l impression que le temps s tait arr t suspendu fig autour d il ne savait quelle attente L id e m me de ce tableau qu il projetait de faire et dont les images tal es clat es s taient mises hanter le moindre de ses instants l id e m me de cet immeuble ventr montrant nu les fissures de son pass l croulement de son pr sent lui faisait l effet d un mausol e grotesque dress la m moire de comparses p trifi s dans des postures ultimes comme s il avait voulu la fois pr venir et retarder ces morts lentes ou vives qui d tage en tage semblaient vouloir envahir la maison tout enti re Perec La Vie mode d emploi 164 Comme locataire qui a habit le plus longtemps dans l immeuble Val ne se souvient des anciens occupants qui sont d j partis qui ont disparu L image d un immeuble ventr contena
53. es 103 L image color e que le h ro proustien avait d velopp e dans sa t te tait videmment d tach e du temps authentique et de la mati re vivante Sara Guindani d crit que c est surtout la vision instantan e de la photographie qui rend cette image fausse et artificielle L image photographique qui en r sulte est aplatie bidimensionnelle pr cis ment parce qu elle est fig e dans le temps il lui manque la troisi me dimension qui pour Proust soutient les trois autres celle du Temps 165 La non reconnaissance est in vitable quand on essaie d assortir une image aplatie et fig e dans un instant avec la vision r elle d une chose dans la dur e du temps La repr sentation d un v nement sous forme d un objet expos comme Ernst J nger explique is bound neither to its particular space nor to its partiular time since it can be mirrored anywhere and repeated any number of times qtd in Cadava xxii Qu il s agisse d une photographie du jeune h ros sur le bureau de son oncle une photographie de la Dame en rose ou une photographie de Venise par Giotto la repr sentation qui r sulte de ce mode m canique est faite abstraction de l espace et du temps authentique Une image prise d une 46 cam ra se pr te la reproduction infinie des copies qui peuvent tre transport es hors du contexte originel de l objet Pour cette raison la photographie donne occasion la non
54. es fragments d informations qui ne vivent P P g q 40 qu en instants coup s affaiblit la fonction de la m moire Ainsi la disparition de la tradition de la narration dans l accroissement de la reproductibilit technique rend ostensible le probl me de la m moire l impuissance d tablir les correspondances et les tissages qui rassemblent les pi ces dans la coh rence d un tout La diff rence entre le r cit et l information peut s expliquer comme la diff rence entre une uvre d art et une reproduction Le travail de m moire qui a r v l au h ros de la Recherche le monde en tat de ressemblance qui l a fait jouir de l essence des choses prend deux objets des temps et des endroits diff rents et en tire l essence authentique L v nement de la m moire involontaire garde l authenticit du moment originel Ainsi la traduction de ces moments dans une uvre d art durable fait partie du monde en tat de correspondances et de ressemblances au lieu du monde de reproductions Selon l analyse que Benjamin pr sente dans L uvre d art l re de sa reproductibilit technique A la plus parfaite reproduction il manquera toujours une chose le hic et nunc de l uvre d art l unicit de son existence au lieu o elle se trouve Le hic et nunc de l original constitue ce qu on appelle son authenticit L uvre d art 273 74 Au lieu o on se trouve bien que l
55. es r cits comme un moment fig du pass se loge c t d un moment fig dans le pr sent Ainsi la m moire de l espace temporalis repr sent e dans les descriptions des objets conserve le passage du temps 37 Chapitre 3 LES DIFFICULT S DE LA PRESERVATION Dans les uvres de Proust et de Perec la compr hension et la traduction des exp riences d une mani re harmonieuse fonctionnent autour d une m moire qui se fond dans le rapprochement entre la temporalisation et la spatialisation Quoique le mode du r cit temporel subsiste dans le texte de Perec parmi l organisation spatiale des listes et des descriptions La Vie mode d emploi atteste une transformation vers la derni re moiti du vingti me si cle qui rend probl matique la question de la m moire par rapport l criture Apr s Proust la narration du travail de m moire dans un temps spatialis ne persiste qu avec des histoires en combinaison avec des inventaires successives qui remplissent les pages du texte Si Perec pr serve des morceaux d histoires parmi les listes et les descriptions non narratives toute coh rence achev e par la combinaison de l organisation narrative et spatiale signale la difficult de maintenir une telle coh rence En plus du d clin du r cit temporel le texte de Perec souligne les difficult s de l arrangement spatial Les obstacles qui d veloppent apr s l uvre de Proust et que Perec confronte s opposent
56. et la d s ceuvre faisant l exp rience d une criture du rien Le d s uvrement est ainsi l uvre de l absence d uvre 122 Le renversement des essentiels proustiens est vident au lieu de la puissance de la pl nitude de la haute pr sence d esprit et de la cr ation de l uvre d art la voie blanchotienne s achemine vers l impossibilit la vacuit l absence et la d s ceuvre L criture du n ant se d ploie dans L Attente l oubli sous forme d une rencontre entre une femme et un homme Cette rencontre fond e sur l injonction Faites en sorte que je puisse vous parler supporte un entretien qui chappe tous objets de l exp rience coh rente et qui recourt la parole de l impossibilit et de l absence Si l homme r pondra la demande Faites en sorte que je puisse vous parler et s il r ussira frayer un chemin en trouvant les mots pour que la femme puisse parler elle oubliera ses mots S il transcrira la parole de la femme elle ne reconnaitra pas sa parole parl e et oubli e L espace que cette rencontre cr e est un espace neutre qui se tient entre les deux interlocuteurs L v nement de la rencontre se passe dans un trange univers du neutre d fini par Blanchot comme espace de l entre deux ne uter ni l un ni l autre Miraux 48 Cette dimension chappe aux rep res spatio temporels Selon Antonioli La cat gorie m m
57. fait mieux conna tre les n cessit s qui r gnent sur notre existence il parvient d autre part nous ouvrir un champ d action immense et que nous ne soup onnions pas Grace au gros plan c est l espace qui s largit gr ce au ralenti c est le mouvement qui prend de nouvelles dimensions Le r le de l agrandissement n est pas simplement de rendre plus clair ce que l on voit de toute fa on seulement de fa on moins nette mais il fait appara tre des structures compl tement nouvelles de la mati re de m me le ralenti ne met pas simplement en relief des formes de mouvement que nous connaissions d j mais il d couvre en elles d autres formes parfaitement inconnus l espace o domine la conscience de l homme elle substitue une espace o r gne l inconscient Pour la premi re fois elle nous ouvre l acc s l inconscient visuel comme la psychanalyse nous ouvre l acc s l inconscient pulsionnel L uvre d art 305 06 Selon l interpr tation de Proust dans la r v lation des r alit s aux profondeurs pr cis ment aux moments de la m moire involontaire l essence permanente et habituellement cach e des choses se trouve lib r e Le Temps retrouv 179 L immense ouvrage de cet auteur affirme que le seul moyen de faire sortir de l ombre les d tails de nouvelles dimensions est r aliser l uvre d art parce que la seule vraie vie qui no
58. fier le lieu o on se trouve Brown 13 Si on regarde autour de soi dans un lieu et on ne peut pas avancer d un pas assur la situation du soi devient difficile Au lieu du je le sujet se nomme un homme B Un 25 homme sans nom sans identification du je narratif erre pour trouver son chemin On voit un autre cas dans L Innommable o la m moire spatialis e exige un endroit pour le sujet Oui maintenant que j ai oubli qui est Worm comment il est o il est ce qu il fait je vais me mettre l tre Vite un endroit Sans acc s sans issue endroit sir Alors c est la fin Worm n est plus Beckett L Innommable 103 La relation entre le narrateur la premi re personne et les nombreux noms dans L Innommable reste douteuse Comment est ce que je peux me mettre tre Worm Vite un endroit demande le narrateur un endroit s r Il ne se souvient ni de qui est Worm ni d o il est pourtant que le narrateur soit Worm ou non il faut un endroit d fini pour se localiser La situation du je par une m moire spatialis e ne pose pas seulement la question de comment arriver une image claire du lieu pr sent mais aussi de comment comprendre l image du soi en relation aux autres qui se trouvent dans l endroit Au d but de L Innommable un narrateur compl tement incoh rent et troubl essaie de concevoir qui se trouve dans l endroit vague L endroit est sans doute vaste De faibles lum
59. ge des signes II 247 Une pr cision du terme l uvre d art r sout la contradiction apparente dans la recherche de la v rit qui s allume par hasard Suivant le raisonnement proustien que la vraie vie se trouve dans l art l uvre d art rend possible les moments extratemporels Selon l explication de Proust au sujet de la valeur de l art Par l art seulement nous pouvons sortir de nous savoir ce que voit un autre de cet univers dont les paysages nous seraient rest s aussi inconnus que ceux qu il peut y avoir dans la lune Gr ce l art au lieu de voir un seul monde le n tre nous le voyons se multiplier et autant qu il y a d artistes originaux autant nous avons de mondes notre disposition plus diff rents les uns des autres que ceux qui roulent dans l infini Le Temps retrouv 202 Une recherche au moyen d une uvre d art est n cessaire pour que les r veils fortuits et spontan s aident lieu Dans ce contexte la signification unique que Proust attribue l uvre d art est la litt rature La grandeur de l art v ritable c tait de retrouver de ressaisir de nous faire conna tre cette r alit loin de laquelle nous vivons La vraie vie la vie enfin d couverte et claircie la seule vie par cons quent pleinement v cue c est la litt rature Proust Le Temps retrouv 202 Pour Proust la tache de l artiste est de traduire dans la litt rat
60. hez les autres auteurs examin s surtout Beckett et Perec l criture tend vers une spatialisation de la m moire o l affaire des mots et des listes ne conna t pas de dur e temporelle Je vais d tailler les deux figurations en vue de les int grer et ensuite d arriver une discussion des dangers qui menacent la conception de la m moire dans les dimensions la fois temporelles et spatiales La temporalisation de la m moire L criture d une m moire temporalis e r side dans une couche profonde d o l auteur soul ve un tout un souvenir int gr Benjamin d crit cette couche de souvenirs en termes m taphoriques Assur ment la plupart des souvenirs que nous tudions nous apparaissent comme des images visuelles Et elles aussi les libres formations de la m moire involontaire sont encore des images visuelles pour une bonne part isol es mais dont la pr sence reste nigmatique C est pr cis ment pourquoi si l on veut s en remettre en connaissance de cause la plus secr te vibration de cette uvre il faut p n trer jusqu une couche particuli re la plus profonde de cette m moire involontaire l o les l ments du souvenir nous renseignent sur un tout non plus de fa on isol e sous forme d images mais sans image et forme comme le poids du filet avertit le p cheur de la prise L odeur est le sens du poids pour qui jette son filet dans l oc an du temps perdu Et ses phrases sont tou
61. i res semblent marquer par moments une mani re de lointain A vrai dire je les crois tous ici partir de Murphy tout au moins je nous crois tous ici mais jusqu pr sent je n ai aper u que Malone Beckett L Innommable 10 Ici l dans un endroit obscur mais vaste le narrateur est parmi des multiples Sa m moire ne comprend pas et ne s int resse pas non plus comment ils sont arriv s cet endroit travers une dur e Ce que le narrateur aper oit au pr sent est une image de lui m me parmi Murphy Malone Molloy et peut tre des autres soit je les crois tous ici soit je nous crois tous ici L organisation de l espace qu il faut pour la m moire du sujet concerne le rapport entre le je et les autres qui occupent cet espace Il me plait de croire que j en occupe le centre mais rien n est moins s r En un sens il vaudrait mieux que je sois assis au bord puisque je regarde toujours dans la m me direction Mais tel n est certainement pas le cas Car alors Malone tournant autour de moi comme il fait sortirait de l enceinte chacune de ses r volutions ce qui est manifestement impossible Mais au fait tourne t il vraiment ou ne fait il que passer devant moi en ligne droite Non il tourne je le sens et autour de moi comme la plan te autour de son soleil Beckett L Innommable 13 Pour d terminer le placement du je en relation aux autres dans la chambre il faut concevoir l espace du soi
62. i s Le fil des heures l ordre des ann es et des mondes Proust Du c t 5 que l homme tient dans sa t te s organise autour des images de la terre qu il occupe Le lieu explique Antoine Compagnon joue le r le de signe m moratif et garde le pouvoir de r miniscence 13 L encha nement des exp riences par la m taphore se fonde dans une m moire temporalis e qui traverse la distance temporelle et qui extrait l essence commune du pass et du pr sent et 1l se fonde galement dans une m moire spatialis e qui rappelle les lieux en images et en m taphores Poulet donne une explication similaire de m me que l esprit localise l image rem mor e dans la dur e il la localise dans l espace Ce n est pas seulement certaine p riode de son enfance que l tre proustien voit sortir de sa tasse de th c est aussi une chambre une glise une ville un ensemble topographique solide Poulet 26 27 La m moire temporalis e s organise dans l esprit d une mani re spatiale Le r le du temps spatialis chez Proust peut tre figur dans l illustration d un difice de 31 la m moire Selon Luzius Keller le texte du roman est agenc comme une suite de lieux reli s entre eux par des portes des couloirs des entr es et des sorties qtd in Compagnon 14 Les souvenirs qui relient les moments du pass et du pr sent s tablissent dans les lieux o ils se cr
63. i mourront Perec La Vie mode d emploi 165 L effet de la d t rioration spatiale et cons quemment de la d perdition de la m moire externe semble le plus grave a la fin du roman La narration suit un inventaire des locataires qui restent dans l immeuble C est le vingt trois juin mille neuf cent soixante quinze et il n est pas loin de huit heures du soir Perec La Vie mode d emploi 576 Cet inventaire fonctionne comme une tentative finale d enregistrer dans la m moire des personnes dans leurs chambres d tage en tage Mais comme d j not un inventaire est un signe du silence de la fin de la possibilit des histoires C est le vingt trois juin mille neuf cent soixante quinze et il va tre huit heures du soir Assis devant son puzzle Bartlebooth vient de mourir Perec La Vie mode d emploi 578 Un drap noir couvre la table un trou noir reste dans le puzzle incomplet et Bartlebooth tient une pi ce qui n gale pas la forme du trou Quelques semaines apr s Val ne est aussi mort et dans sa chambre on trouve une toile vierge sur laquelle est trac le plan d un immeuble qu aucune figure d sormais ne viendrait habiter Perec La Vie mode d emploi 580 Les difficult s qui se posent contre l uvre de la m moire forcent la d sint gration du plan de l difice jusqu ce qu il n en reste qu une page vierge d abord l art de narrer une histoire fond e
64. in un travail interminable ainsi qu l acceptation tacite que toute cr ation est menac e par le risque de son impossibilit 29 Sans vocation sans but le travail interminable de l attente projette vers rien il accepte le mouvement infini qui tient entre au lieu de l atteinte de l uvre Miraux 33 une fin r v latrice Seulement un mouvement interminable du neutre m ne la litt rature ses extr mes au domaine de l absence et de l cart 60 CONCLUSION La fiction une litt rature de l invention et de l oubli Si on peut repr senter une litt rature de l cart aux limites de l espace de l entre deux de ni l un ni l autre la fiction s y rapproche D apr s Marie Laure Hurault la fiction de Blanchot creuse le r el exprimant par le d tour qu elle invoque qu elle ne cherche pas rendre compte du r el Se pla ant l cart elle le laisse appara tre travers sa diff rence L imaginaire autorise l assimilation de deux mondes qui en contact s changent jusqu s indiff rencier 130 La fiction de Blanchot se d gage du souci de traduire le r el En se situant la scission entre le r el et son image elle creuse une dimension qui d mant le par son d tour l atteinte du r el harmonieux Dans la fiction le sujet si on peut le cat goriser s absente et se distancie de la mat rialit des paroles Ainsi dans la scission entre l imag
65. insi dire loin l un de l autre inconnaissables l un l autre dans les vases clos et sans communication entre eux d apr s midi diff rents Proust Du c t 132 33 Les exp riences du h ros r sidaient dans deux parties s par es la rencontre de Gilberte la mort de tante L onie et les jeux avec Montjouvain appartenaient au c t de M s glise pendant que la duchesse et les vues des clochers de Martinsville r sidaient au c t de Guermantes Cependant des ann es plus tard le h ros d couvre des convergences de ces deux c t s Les pens es dans les vases clos se communiquent et les pisodes se mettent en rapport Dans la figure de Mile de Saint Loup le h ros voit la repr sentation de la convergence des deux c t s N tait elle pas comme sont dans les for ts les toiles des carrefours o viennent converger des routes venues pour notre vie aussi des points les plus diff rents Elles taient nombreuses pour moi celles qui aboutissaient Mlle de Saint Loup et qui rayonnaient autour d elle Et avant tout venaient aboutir elle les deux grands c t s ou j avais fait tant de promenades et de r ves le c t de Guermantes le c t de M s glise D j entre ces deux routes des transversales s tablissaient Proust Le Temps retrouv 335 Les transversales qui passent entre et qui lient le c t de Guermantes et le c t de M s glise ce sont les m taphores C
66. irs fragment s qui suivent dans la narration le h ros conclut que le miracle de la r miniscence bienheureuse peut faire retrouver les jours anciens le temps perdu devant quoi les efforts de ma m moire et de mon intelligence chouaient toujours Proust Le Temps retrouv 178 Le h ros affirme que ce ph nom ne ne provient pas d un effort volontaire pour voquer le temps perdu Les limites de la m moire volontaire sont pr cis es au d but de la Recherche Les souvenirs que poss de le narrateur de la maison Combray les images du salon de la salle manger l escalier la chambre coucher ne sont que des pens es fournies par l intelligence L effort de retracer le pass qui se contient dans les images et dans les renseignements rappel es par la m moire volontaire est sans effet car tous les efforts de notre intelligence sont inutiles Proust Du c t 44 Le r el qu on essaie d voquer ne se trouve pas dans la m moire inf rieure et superficielle de l intelligence Le travail de la m moire volontaire dans les limites temporelles affirme le narrateur choue toujours Le narrateur se demande si la r miniscence du temps perdu ne r sulte pas d un effort volontaire cette puissante joie D o venait elle Que signifiait elle O l appr hender Proust Du c t 44 La r ponse se trouve dans la m moire involontaire Benjamin explique la signification de ce
67. ity Press 2006 Nordholt Anna Elisabeth Schulte L Exp rience de l criture dans l uvre de Maurice Blanchot Amsterdam Centrale Drukkerij Universiteit van Amsterdam 1993 O Banion John Reorienting Rhetoric The Dialectic of List and Story University Park PA Pennsylvania State University Press 1992 Perec Georges La Vie mode d emploi Paris Hachette 1978 Les Choses Paris Ren Julliard 1965 W ou Le Souvenir d enfance Paris Deno l 1975 Poulet Georges L Espace Proustien Paris Gallimard 1982 Proust Marcel Du c t du chez Swann A la recherche du temps perdu Vol I VII vols Paris Gallimard 1988 Le Temps retrouv A la recherche du temps perdu Vol VIL VII vols Paris Gallimard 1990 Reggiani Christelle Perec Une Po tique de la photographie Litt rature 129 2003 77 106 Ricoeur Paul Temps et r cit 3 vols Paris Seuil 1984 Rochlitz Rainer Le D senchantement de l art La Philosophie de Walter Benjamin Paris Editions Gallimard 1992 Ross Ciaran Aux fronti res du vide Beckett Une criture sans m moire ni d sir New York Rodopi 2004 Ross Kristin Fast Cars Clean Bodies Decolonization and the Reordering of French Culture Cambridge MA The MIT Press 1995 Ser a Isabelle Mouvement de la m moire mouvement de l criture La Figure de l interpolation chez Proust Proust la m moire et la litt rature Ed Antoine Compagnon Paris Odile Jacob
68. la fois la temporalisation et la spatialisation de la m moire Dans une continuation de la discussion de Proust je d taille premi rement un probl me qui menace la synth se de la m moire dans le temps spatialis Deuxi mement travers une tude de Perec et de Beckett je discuterai d un obstacle contre l criture d une m moire qui pr serve le passage du temps dans l espace La disparition de la narration Gr ce la fonction de la m moire l uvre de Proust atteste du bonheur qui r sulte du lien entre les points disparates d un grand arc Dans le monde moderne la m moire est la condition de la po sie du monde et de l harmonie de la vie Ainsi la m moire involontaire traverse la Recherche Le roman parcourt le grand arc de la m moire entre la longue impuissance crire du narrateur et la r v lation finale du moyen de sa vocation impuissance et r v lation toutes deux li es la m moire Compagnon 11 Cette m moire traverse la distance entre le pass et le pr sent et rejoigne deux endroits s par s par cette distance Le travail unifiant de m moire d pend sur l art de narrer le h ros du Temps retrouv la r v lation finale de sa vocation affirme la n cessit d crire le travail de m moire 38 dans une uvre d art Mais apr s la litt rature monumentale de Proust une disparition des histoires pose un probl me contre la cr ation de l uvre d art Selon Benja
69. le Reggiani 83 l artiste cherche retrouver ses souvenirs Le recours l ekphrasis appara t en somme comme la tentative incertaine de reconstruire sinon de retrouver par l criture des souvenirs Reggiani 82 Au lieu de lier des impressions de la m moire dans une continuit temporelle l auteur crit en esp rant que quelque chose est voqu e En cours d crire pour qu un moment r v lateur a lieu l crivain produit son uvre Ainsi l criture de Perec accomplit une ruse Perec fait de l impossibilit d une r v lation le sujet m me de l criture et cr e de cette impossibilit un syst me d criture monstrueuse y Blanchot une absence du temps Une sorte d impossibilit se trouve aussi dans l uvre de Maurice Blanchot La r alisation d une ceuvre litt raire qui articule le temps v cu est remplac e par une approche de Virr alisable Blanchot L Attente 36 Fond e sur l injonction Faites en sorte que je puisse vous parler une rencontre a lieu entre une femme et un homme dans L Attente l oubli Ann Smock d crit que les paroles de l change entre ces deux interlocuteurs appartient une non dialectical dimension of language 4 o c est l intervalle de attention entre les deux qui parle La parole qui a lieu dans l intervalle du mouvement dans l espace de l cart entre la parole chappe au domaine de la possibilit L gt homme et l
70. le temps du r cit et le temps de la rem moration se confondent Le narrateur qui essaie de se rappeler des v nements se m le avec les personnages fictifs dans la narration Deuxi mement en cons quence de cette ambig it le r cit refuse d tablir un je raisonnable Il est impossible de savoir qui je suis o je suis quand je suis Affront de l chec de la m moire l crivain lutte contre l illusion de la toute puissance de la subjectivit de l int riorit de la conscience et contre toutes les repr sentations proph tiques qui en sont la cons quence la profondeur l imagination et la singularit Casanova 145 L abandon des 56 pr suppos s de quand o et qui met en cause les termes qui caract risent le roman proustien la puissance l int riorit la conscience la profondeur l essence singulier Troisi mement les obscurit s beckettiennes r sultent du d tachement d un tout Les murmures fragmentaires et les phrases irrationnelles restent en dehors de l exigence d une synth se Le bannissement des conventions m ne l invention des choses tir es de l obscurit et de l impossibilit D apr s l explication de Casanova au sujet de l invention Pour aller dans le sens du rien et s obstiner sur la voie de l chec comme seule possibilit d acc s l abstraction litt raire il faut inventer de nouveaux usages du mot et de la syntaxe fabriquer un mat ria
71. lution narrative to provide shape to the chaotic obscure and mute in our experience of time s passage Muldoon 61 Le travail de l crivain qui adopte une r solution narrative son existence temporelle ne traite pas seulement de son existence dans le temps mais aussi de la dimension extratemporelle de son exp rience La tache d criture effectue une transition de la domaine extratemporelle a la domaine temporelle de la cr ation Ric ur II 273 L auteur principal dont l uvre t moigne de la traduction de l extratemporel dans la litt rature est Proust Ce que Proust dans le dernier volume d A la recherche du temps perdu d signe la v rit ou la vie spirituelle est quelque chose qui commun la fois au pass et au pr sent est beaucoup plus essentiel qu eux deux Le Temps retrouv 178 Un moment v cu qui se joigne un ph nom ne du pass se situe hors les limites du pr sent et du pass On prouve l essence des choses la vraie vie en tat pur hors du temps Proust pr cise C es diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que rc 3 bi sales I J prouvais la fois dans le moment actuel et dans le moment loign jusqu faire empi ter le pass sur le pr sent dans ce qu elle avait d extra temporel dans le seul milieu o il pit vivre jouir de l essence des choses c est dire en deh
72. min la r sistance des formes d existence contemporaines une mise en forme po tique est telle qu il ne saurait gu re plus y avoir apr s Proust d uvre d une vie Rochlitz 157 Avec le d clin de l art de narrer l criture de la m moire devient difficile La question probl matique de transposer le travail de m moire dans une uvre d art sera examin e dans une discussion des critures de Walter Benjamin en relation Proust La mani re po tique dont Bergotte communique ses exp riences par crit anime le h ros au d but de la Recherche par l inspiration Un extrait de Bergotte selon la description du narrateur me donna une joie incomparable celle que j avais trouv e au premier une joie que je me sentis prouver en une r gion plus profonde de moi m me plus unie plus vaste d o les obstacles et les s parations emblaient avoir t enlev s Proust Du c t 93 En plus d une joie profonde Chaque fois qu il parlait de quelque chose dont la beaut m tait rest e jusque l cach e exprime le narrateur il faisait dans une image exploser cette beaut jusqu moi Proust Du c t 94 Cette facult de traduire des exp riences dans une histoire de les faire exploser jusqu aux autres est la condition qui permet Proust lui m me de composer ce qui sera nomm une uvre d une vie Les arguments que Benjamin a pr sent s dans les ann es 1930 des id
73. moire se forme en images spatialis es Pourtant dans des r gions mal connues sans r f rences claires l homme B a du mal se situer spatialement Lorsque la m moire s attache l espace les images de ce qui est autour de lui doivent tre claires pour que l homme puisse avancer ses pas et faire sens de ses exp riences Si sa m moire ne peut pas tablir les points de rep re dans sa t te autrement dit s il ne peut pas situer le lieu il ne peut pas se situer dans ce lieu S par du domaine temporel le narrateur beckettien ne se concerne pas de liaisons entre le pass et le pr sent il ne peut que s occuper de situer l espace o 1l se trouve au pr sent Le narrateur au d but de Malone meurt se trouve dans une chambre o il a de la peine comprendre la situation de ses environs Situation pr sente Cette chambre semble tre moi La grande clart n est pas n cessaire une faible lumi re permet de vivre dans l trange une petite lumi re fid le Je ne me rappelle pas comment j y suis arriv Beckett Malone 13 Une m moire spatialis e d fie l encha nement des moments s par s pour comprendre comment on est arriv au pr sent C est l espace dans la situation isol e et actuelle qu il faut tablir Par cons quence d une m moire bas e sur l orientation spatiale la capacit de s identifier et de se situer comme je se lie n cessairement la possibilit d identi
74. mune en les r unissant l une et l autre pour les soustraire aux contingences du temps dans une m taphore Proust Le Temps retrouv 196 Ainsi le temps retrouv est le temps perdu ternis par la m taphore Ric ur II 278 L artiste qui peut traduire le moment du temps retrouv qui peut fixer ce qu il d couvre des signes de la vision de l impression et de la m taphore r alise sa vocation Si l uvre d art est la solution qui effectue une synth se de l individualit la vocation de l artiste cr e videmment une n cessit de produire une criture durable Une fois que Proust se rend compte de la r alit de ses dons litt raires Le Temps retrouv 173 il a besoin d crire de consacrer toutes ses heures son travail et ne laisser chapper aucune des arabesques entrelac es Benjamin L Image proustienne 137 La fixation et l ternuement du temps retrouv exigent une application cr ative qui est la litt rature 11 Beckett des voix diff rentes dans un temps rompu Tout en opposition au narrateur Proust les sujets qui apparaissent dans la trilogie de Samuel Beckett souffrent d un manque de coh rence temporelle Le r cit de Beckett ne fournit pas d organisation temporelle parce que le texte est un assemblage brut d instants d cousus qui nie toute continuit Genetti 44 Contrairement un crivain dont la vie est vou e l exigence de fi
75. n e par la succession de toutes 42 celles qui la pr c dent Benjamin L uvre d art 286 le film ignore le rapport qui se cache entre deux impressions des instants s par s un rapport que la m moire proustienne tire de l essence des choses Dans le film l association et l encha nement des images travers une distance ou la contemplation de l essence des choses Proust Le Temps retrouv 182 est sans importance La pr sentation des s ries d images transitoires r prime et se substitue au r le unifiant de la m moire involontaire La deuxi me raison suit la premi re l effet de la m taphore dans la litt rature de la m moire involontaire n arrive pas dans le film Ce que nous appelons la r alit est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultan ment rapport que supprime une simple vision cin matographique laquelle s loigne par 1a d autant plus du vrai qu elle pr tend se borner lui crit Proust Le Temps retrouv 196 La faute du film cin matographique selon Proust est son impuissance de poser les rapports dans une r alit m taphorique Le Temps retrouv 196 La juxtaposition successive des images fugaces s oppose l association des pens es par la m taphore dans l encha nement de ce qui est commun entre deux choses s par es par la distance spatio temporelle En plus du r le de la m moire involo
76. ne madeleine tremp e dans une infusion Proust Le Temps retrouv 173 A cet instant le h ros associe la sensation de ce moment la sensation du moment o il a pos le pied sur le pav du baptist re de Saint Marc Venise Cette association suscite la m me sensation profonde qu d autres moments r v lateurs Au buffet chez les Guermantes le bruit d une cuiller contre une assiette voque le bruit d un marteau contre une roue du train Quand il s essuie la bouche avec une serviette il prouve encore une autre sensation celle de la serviette empes e avec laquelle il s est s ch devant la fen tre Balbec Cette impression il d crit est si claire et si pure que le moment pass a Balbec est comme un moment au pr sent Enfin le narrateur raconte la vue du livre Francois le Champi dans la biblioth que des Guermantes L impression de l enfant qu il avait t rel ve de ce livre que sa m re lui lisait Combray Cet tranger c tait moi m me c tait l enfant que j tais alors que le livre venait de susciter en moi c est cet enfant que le livre avait appel tout de suite Proust Le Temps retrouv 191 Le narrateur de la Recherche qui se rem more des fragments du temps perdu est comme l adulte dans Berliner Kindheit qui essaie d voquer les impressions de Berlin qu il a v cues comme enfant qui y a v cu une poque historique d j archa que pour l
77. ns et des parties du jour et de la nuit ce sont des mots qu on m a appris sans bien m en faire voir le sens c est comme a que j ai appris raisonner je les emploie tous tous les mots qu on m a montr s Beckett L Innommable 201 Les mots que le narrateur de L Innommable emploie pour essayer de conceptualiser la temporalit ne lui appartiennent pas Avec des mots que quelqu un d autre lui a donn s il essaie de comprendre les morceaux de son existence temporelle Le processus de l criture se compose d une voix qu entend le narrateur qui n est pas la sienne mais qui lui m ne crire des paroles Et la voix que j coute Comme vous voyez c est une voix assez ambigu et qui n est pas toujours facile suivre dans ses raisonnements et d crets Mais je la suis n anmoins Et j ai impression que je la suivrai dor navant quoi qu elle m enjoigne Et que lorsqu elle se taira me laissant dans le doute et l obscurit j attendrai qu elle revienne avant de rien faire et d t le monde entier par le truchement et ses innombrables autorit s r unies et unanimes m ordonner ceci et cela sous peine de s vices indescriptibles Beckett Molloy 179 L crivain suit les murmures de la voix mais l impossibilit de la reconna tre lui interdit de fonder un encha nement Sans d roulement les mots sur la page d fient l entendement temporel Ainsi la recherche d une concep
78. nstruisent le roman du Perec Les pi ces d un puzzle fonctionnent comme les s ries de contraintes qui dirigent l criture assembl e Les contraintes suivent des r gles pr m dit es ainsi la connaissance de la structure du puzzle existe premi rement Ensuite les contraintes rendent possible l criture des listes et de la narration La trame narrative est alors la r sultante pour le lecteur d une sorte d immense puzzle compos de tous les r cits ainsi produits partir des r gles de passage et de distribution La logique de la structure est premi re parfaitement indiff rente aux d terminations imaginables de la fiction Hartje Magn and Neefs 12 Les romans distincts dans l espace romanesque suivent et r sultent de la structure de l immense puzzle ou de l immeuble Le puzzle total qui est un assemblage de r cits crits partir des s ries de contraintes juxtapose les deux espaces de la liste et de l histoire John O Banion pr sente l argument de Kenneth Burke selon lequel les deux partagent un r le dialectique Lists are congruent stories incongruent lists depend on location or space stories on sequence or time lists expand by occupying more space a longer list stories by taking more time a longer story lists diminish the role of the list maker stories inevitably reveal the voice of the storyteller narrator 14 Seule la juxtaposition de l espace de la liste e
79. nt des figures p trifi es et fig es dans leurs postures comme dans un mausol e grotesque fait rappeler une description semblablement graphique de la d sint gration dans W ou le souvenir d enfance Le narrateur d peigne la fragmentation de ses souvenirs isol s comme ces dessins dissoci s disloqu s dont les l ments pars ne parvenaient presque jamais se relier les uns aux autres et dont l poque de W entre disons ma onzi me et ma quinzi me ann e je couvris des cahiers entiers personnages que rien ne rattachait au sol qui tait cens les supporter navires dont les voilures ne tenaient pas aux mats ni les m ts la coque machines de guerre engins de mort a roplanes et v hicules aux m canismes improbables avec leurs tuy res d connect es leurs filins interrompus leurs roues tournant dans le vide les ailes des avions se d tachaient du fuselage les jambes 52 des athl tes taient s par es des troncs les bras s par s des torses les mains n assuraient aucune prise Perec W 97 Dans La Vie mode d emploi immeuble ventr qui montre des morceaux des personnes et des choses disloqu es et p trifi es dans la mort souffre de sa propre mort L espace de la maison qui offre une derni re refuge de la m moire en conservant le passage du temps est menac par sa propre disparition Un jour surtout c est la maison enti re qui disparaitra c est la rue et le quartier entiers qu
80. ntaire qui traverse la distance spatio temporelle par les encha nements m taphoriques les images cin matographiques transforment et remplacent d autres fonctions de la m moire y compris l change des exp riences de g n ration en g n ration et l illumination des choses g n ralement inconnues ou cach es En cons quence de l impuissance d associer des id es devant des images m tamorphos es il s en suit que l change des id es et des exp riences entre des personnes souffre aussi d une impuissance Contrairement la relation entre le lecteur et l auteur qu exemplifient Proust et Bergotte le spectateur d un film n a de relation empathique avec l acteur qu en ayant une relation de ce type avec l appareil Benjamin L uvre d art 290 Comme la cam ra remplace l audience la m moire qui se fondait traditionnellement sur la communication entre des personnes n a plus de valeur l information est transmise travers une cam ra Dans l effort d examiner comment le film remplace le r le de la m moire d claircir les r alit s qui restent cach es la vie quotidienne un extrait de L uvre d art de Benjamin est significatif Si le cin ma en faisant des gros plans sur l inventaire des r alit s en relevant des d tails g n ralement cach s d accessoires familiers en explorant des milieux banals sous 43 la direction g niale de l objectif d une part nous
81. oisent par les portes les couloirs les entr es et les sorties Ainsi comme Cadava d crit le mouvement dans le temps est space crossed time 31 Ces passages enchainent les fils des heures et des ann es qui s organisent dans l immense difice proustien Dans cet difice on passe de l av nement ind termin des souvenirs leur organisation dans les chambres et du temps l espace La m moire met en rapport du temps et de l espace Bref l image temporelle du moi est toujours redoubl e par une repr sentation spatiale Compagnon 13 14 Deux cas servent illustrer le redoublement de l image temporelle par une repr sentation spatiale Dans le premier cas une repr sentation spatiale redouble l image temporelle d un autre travers les yeux du h ros Dans le deuxi me cas l image temporelle est celle du soi Les personnes dans la vie du h ros proustien restent dans son esprit en images Aux occasions o le h ros rencontre quelques personnages des ann es apr s il se rend compte que les images des personnes au pass ne ressemblent pas aux images qu il voit au pr sent Les images ne sont pas seulement disjointes temporellement mais aussi la disjonction est redoubl e spatialement Comme Poulet remarque les personnages ne sont pas seulement li s leurs apparences il faut encore que leurs apparences soient li es un environnement local qui les encadre et qui leur serve pour ainsi dire
82. omme les transversales entre les routes joignent les deux c t s la m taphore dans la litt rature joint les essences communes des sensations comme la madeleine infus e dans le th Marcel prend conscience de lui m me lorsqu il se rend compte que les deux c t s se rejoignent car c est ce moment l que tous les v nements de sa vie s ordonnent dans une histoire coh rente Vultur 281 Les m taphores transversales qui lient les v nements et les sensations des moments bienheureux organisent une conscience de l existence Ric ur III 105 qui fournit le moi total Au carrefour les versions de l enfant dans le pass qui demeuraient dans deux c t s s par s et le h ros dans le pr sent se rejoignent De la m me mani re l enfant que le h ros tait quand il lisait Fran ois le Champi et le narrateur dans la biblioth que de Guermantes se 34 rejoignent Les passages qui traversent les endroits font possible l unification des temps fragment s Paul Ric ur le d fenseur de la synth se du soi dans la litt rature d une mani re temporalis e constate que le temps ne saurait tre per u en lui m me mais que nous n en avons qu une repr sentation indirecte l occasion des op rations la fois intellectives et imaginatives appliqu es des objets dans l espace Ric ur III 91 Chez Proust le d nouement de l histoire d une vocation jusqu la r v lation finale ne peut pa
83. on angoisse de trouver une forme ad quate Ce que j affirme nie mets en doute au pr sent je peux le faire encore aujourd hui Mais j emploierai surtout les diverses formes du pass Car le 13 plus souvent je ne suis pas s r ce n est peut tre plus ainsi je ne sais pas encore ne sais pas tout court ne saurai peut tre jamais Beckett Molloy 143 En contraste avec la synth se de la vie et la litt rature chez Proust l uvre de Beckett manque de la r conciliation entre la vie et la litt rature Le narrateur beckettien n prouve pas de r v lation finale qui propose une solution sa recherche litt raire En cons quence il n tablit pas un seul moi qui int gre sa m moire dans le temps Au lieu d une voix coh rente plusieurs voix se confondent dans le projet rh torique Il ne faut pas oublier crit le narrateur quelquefois je l oublie que tout est une question de voix Croient ils que je crois que c est moi qui parle Pour me faire croire que j ai un moi moi et que je peux en parler comme eux du leur Beckett L Innommable 98 L criture de Beckett se constitue de mots et de voix Le narrateur ne peut pas encha ner les mots sur la page dans une narration parce que les paroles de la voix ne sont pas compr hensibles un moi moi J e ne comprends rien la dur e je ne peux pas en parler j en parle bien je dis jamais et toujours je parle des saiso
84. ors du temps Le Temps retrouv 177 78 Confront ces impressions d un bonheur extratemporel le narrateur de la Recherche se demande ce qu il faut faire cette contemplation de l essence des choses j tais maintenant d cid m attacher elle la fixer mais comment par quel moyen Proust Le Temps retrouv 182 La question de fixer et de s attacher la vraie vie implique une contradiction On recherche le temps l tat pur qui ne se trouve qu en dehors du temps Pour examiner cette contradiction d une recherche vou e la fois l extratemporel et au temps l tat pur Ric ur II 163 on peut reprendre la r f rence de Ricceur la th se de Gilles Deleuze l uvre de Proust est fond e non sur l exposition de la m moire mais sur l apprentissage des signes 11 Les moments bienheureux de l essence des choses d un c t et l apprentissage des signes de l autre c t cr ent une ellipse Ric ur II 248 Du c t de l apprentissage des signes la recherche de la v rit est un apprentissage une longue qu te Du c t des impressions bienheureuses la v rit s claircit de moments spontan s Il faut tablir un rapport entre les deux points de l ellipse La d couverte de la dimension extratemporelle de l uvre d art crit Ric ur constitue une exp rience excentrique par rapport tout l apprentissa
85. ousands or millions dans les m mes dispositions K Ross 145 Dans la standardisation et la reproduction de nos activit s le rituel du m me l emporte sur la valeur rituelle de respecter l unique apparition d une chose Comme l exp rience se r plique sous forme d un objet image notre capacit de percevoir de recevoir et de communiquer diminue une activit m canique Une pr sence d esprit qui se pr te la r v lation vocatrice des profondeurs se limite la surface des images reproduites Ainsi apr s les ann es o Proust a crit son uvre la fin du vingti me si cle subit l augmentation de l cart entre la synth se des exp riences vives et la juxtaposition des images fragment es et r pliqu es m caniquement Proust a attest qu une vie qui ressuscite les choses qui taient mortifi es dans un objet et qui r concilie le pass et le pr sent se d ploie dans le texte dans l articulation d une mani re narrative Mais l re d un changement de nos facult s en r ponse la reproductibilit technique l uvre unifiante de la m moire involontaire une activit qui fait appel la plus haute pr sence d esprit ne peut pas subsister parmi les effets de la fragmentation de nos perceptions et de nos exp riences La d couverte et l art de la mise en relations dans la dur e ne se fixe plus dans une uvre d art l art de narrer devient une raret parmi la diffu
86. ouvent dans une pi ce de l immeuble donnent parfois une illusion d une image d un tableau Les sujets d un tableau d apr s Lessing existent c te c te dans l espace L criture po tique contrairement repr sente des sujets qui existent cons cutivement et qui suivent une action dans la dur e Mais dans l impossibilit de l encha nement l criture perd cette qualit po tique La description par exemple dans le Chapitre 27 des Grifalconi dans leur salle manger appara t comme un souvenir p trifi comme un de ces tableaux de Magritte o l on ne sait pas tr s bien si c est la pierre qui est devenue vivante ou si c est la vie qui s est momifi e quelque chose comme une image fix e une fois pour toutes ind l bile Perec La Vie mode d emploi 155 Le lecteur apprend plus tard dans le chapitre que ce moment est vraiment une image d un tableau qu Emilio commande a Val ne Un moment r el appara t comme une image momifi e dans instant fig e et disjointe Des images similairement discontinues et immobiles remplissent les pages de La Vie mode d emploi Bernard Magn d nombre 508 aquarelles une soixantaine de gravures une trentaine de dessins et 75 titres de tableaux imaginaires ou r els in Vilar 114 Ainsi l ekphrasis 17 des images nombreuses permet l criture de Perec Sans exp rience coh rente de la m moire par l criture d une m moire impossib
87. pace l cart permet la promesse d une possibilit Chapitre 1 LES EXP RIENCES DU TEMPS Chacun des auteurs en question Proust Perec Beckett et Blanchot se situe singuli rement dans le mouvement incessant des apories du temps La diversit de leurs figurations de l exp rience temporelle est parall le aux m tamorphoses et aux bouleversements de la repr sentation du r le de la m moire dans l investissement l interpr tation et l expression du sens Avant de passer la discussion des probl mes et des changements de la m moire de la litt rature vers la derni re moiti du vingti me si cle 1l faut pr ciser l exp rience de la temporalit telle qu elle se prononce dans les textes des quatre auteurs Proust la traduction de la vraie vie dans l extratemporel Les souvenirs d enfance Combray dont le narrateur d A la recherche du temps perdu se rappelle au d but du premier tome comme l attente du baiser de sa m re avant de se coucher voquent un temps disparu Aussi je me promettais de faire d avance de ce baiser qui serait si court et furtif de pr parer ma pens e pour pouvoir gr ce ce commencement mental de baiser consacrer toute la minute que m accorderait maman sentir sa joue contre mes l vres comme un peintre qui ne peut obtenir que de courtes s ances de pose pr pare sa palette Proust Du c t 27 L re o son p re permettait sa m re d
88. phie et qui lui conf re ses fondations 134 Bertharion confirmerait que l difice de Perec ne contient pas de passages qui se croisent L immeuble renferme les espaces des appartements qui logent dans leurs cadres s par s sans communication dans l instant arr t Mais tant donn cette organisation de l espace de l immeuble comment est ce qu un espace romanesque se fonde Si l immeuble perecquien se compose des images spatialis es dans l isolement comment un espace romanesque est il plausible 35 La combinaison de l espace de l immeuble et l espace romanesque est possible parce que les descriptions et les listes des objets dans le b timent ouvrent l espace pour l criture Dans La Vie mode d emploi l ekphrasis remplace la mise en intrigue La liste est le mode convenable pour articuler les descriptions non narratives parce que les images et les informations sont isol es et coup es du temps Mais les choses dans chaque appartement de l immeuble servent de sources qui fournissent les opportunit s du r cit et elles donnent lieu aux histoires autours de nombreux tableaux et des photographies Tandis que les descriptions des ouvrages d art et des objets mat riels procurent les informations pour les listes les figures et les tables ces descriptions remplissent les pages aussi avec des histoires Le motif du puzzle offre une mani re d illustrer les deux modes de la liste et la narration qui co
89. pr tation en beau style Proust Le Temps retrouv 196 qui est la m taphore La m taphore et la reconnaissance r concilient deux impressions au plan de l essence Ric ur II 280 dans une entit unifi e La t che de tirer de l obscurit les impressions et de les traduire dans une m taphore est bas e sur l association des deux sensations s par es Au moment de la m moire involontaire le narrateur tablit un rapport entre deux sensations de deux moments diff rents en particulier des sensations physiques Une heure n est pas qu une heure c est rempli de parfums de sons de projets et de climats Ce que nous appelons la r alit est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultan ment rapport unique que l crivain doit retrouver pour en encha ner jamais dans sa phrase les deux termes diff rents Proust Le Temps retrouv 195 96 La r alit se compose de l unification entre le moment pr sent et un moment pass qui se rejoignent travers une m me sensation comme la sensation du pied sur un pav d une serviette empes e ou du bruit d une cuiller Dans le processus de l encha nement l artiste reconna t le rapport entre deux impressions disjointes et il met en intrigue leur essence unifi e aux profondeurs Ric ur II 278 Autrement dit l crivain trouve une qualit commune deux sensations et 1l extrait leur essence com
90. qui appara t dans le silence et le vide du langage D ou viennent ces mots qui me sortent par la bouche et que signifient ils non en ne disant rien car les mots n arrivent plus si on peut appeler a une attente ou il n y a pas de raison ou l on coute a stet sans raison comme depuis le d but Beckett L Innommable 139 Beckett signale aussi la dimension de l oubli o des mots arrivent en sons purs o il n y a pas de raison pas de possibilit dans le mouvement de l attente Pendant que la femme parle 59 dans L Attente l oubli sa parole lui interdit de parler Paroles comme oubli es avant d tre dites toujours cheminant vers l oubli inoubliables Blanchot L Attente 111 Elle parle sans arr t mais pas encore en mouvement de parlant ne parlant pas Parlant ne le voulant pas le voulant ne le pouvant pas Blanchot L Attente 71 Ainsi la femme et l homme participent un dialogue qui cr e l espace du mouvement de l oubli l attente Entre deux tres linguistiques se trouve the wavering undecided movement between what you cannot possibly do and what you can t help doing Smock 48 Dans ce mouvement circulaire la femme doit parler mais elle ne peut pas et l homme doit r pondre ou parler en avance mais il ne peut pas La spatialisation de la litt rature de Blanchot d crit Miraux est fondamentalement li au concept de patience qui expose l criva
91. r n est plus l autorit d une narrative chronologique d une m moire enchain e mais il est quelqu un dans une exp rience fragmentaire en attente en arr t immobile en mouvement infini L criture fragmentaire refl te l articulation de cette exp rience en l absence du temps Tout ce qu on aurait pu ou voulu prendre pour une intrigue l histoire un temps et un lieu de fiction des personnages un dialogue se d compose se d sarticule se d sagr ge tout au long du r cit pour montrer sans le r v ler ou le d voiler une espace de d rive de r p tition d instance sans instant l v nement est en instance dans cette insistance suspendue entre l attente et l oubli Antonioli 108 L criture de Blanchot est une suspension en attente sans projet d aucune intrigue sans engagement a une vocation L espace de l criture chez Blanchot s ouvre dans un mouvement dans l instance sans instant l espace o on crit en a ttendant mais sous la d pendance de ce qui ne saurait se laisser attendre Blanchot L Attente 17 Attendre mais seulement attendre dans l absence du temps 20 Chapitre 2 LA TEMPORALISATION ET LA SPATIALISATION DE LA M MOIRE Le premier et le dernier volume de la Recherche suffisent pour montrer que la facult de la m moire chez Proust se figure en termes temporalis s en termes qui sugg rent une compr hension narrative de l exp rience v cue C
92. rgument pose une question probl matique concernant le r le de la m moire A l poque de l accroissement de la reproductibilit technique dans la disparition d une m moire temporalis e qui respecte la distance entre le ph nom ne originel et r p t et qui garde l unicit de l essence d un v nement la m moire peut elle persister dans sa valeur rituelle et traditionnelle de se traduire et se narrer dans la litt rature Ou la m moire se transforme t elle dans un moyen public d une valeur d exposition Pour adresser cette question en continuant avec Proust et Benjamin j examinerai le r le de la m moire dans deux formes de l art sous les effets de la reproductibilit technique le film et la photographie Dans une comparaison de la peinture et le film Benjamin crit dans L uvre d art la toile invite le spectateur la contemplation devant elle il peut s abandonner ses associations d id es Rien de tel devant les prises de vues du film peine son il les a t il saisies qu elles se sont d j m tamorphos es Impossible de les fixer L uvre d art 309 Bas sur les m tamorphoses des images successives qui caract risent la cin matographie deux raisons expliquent l impossibilit d associer des id es devant le film Premi rement la succession limine la distance entre deux objets entre le pass et le pr sent Parce que la perception de chaque image est d termi
93. s veinures de cette masse t moignent des changements travers le temps Les diff rences de formation ou les diff rentes strates temporelles de la m moire Ser a 139 montrent l vidence du mouvement derri re le processus de la m moire Selon la description d Isabelle Ser a le terrain de la m moire est ainsi sujet aux ph nom nes tectoniques qui modifient son relief s ismes tels que l exp rience de la m moire involontaire ou ph nom nes au long cours comme l rosion 140 La facult de la m moire ne peut pas chapper aux ph nom nes temporels Une masse des souvenirs int gr s dans un continuum temporel se compose des l ments qui ont subi les effets des tremblements des rosions et de la formation La temporalisation de la m moire est un mouvement qui traverse les strates des souvenirs ceux qui sont g s et pleins de fissures et de failles ainsi que ceux qui sont plus r cents pour rapprocher la distance entre le pass et le pr sent Ce travail unificateur de la temporalisation est vident dans la structure de l uvre de Proust au niveau du livre comme un tout ainsi qu au niveau d une phrase Ser a observe que l organisation synth tique de la m moire proustienne r sulte d un mouvement de l interpolation 142 Au niveau de l uvre totale le corps du livre s intercale ou s ins re entre le d but et la fin qui taient d j d termin s Ser a 143 Cette inter
94. s faire valoir tu dois les ramener doucement malgr leur tentative de s duction vers le silence que tu as d abord puis en eux Blanchot L Attente 10 Ce que l homme d couvre a propos de la voix il crit pr cipitamment sur ses feuilles En crivant il semble chercher de frayer un chemin et d aller de l avant Pour l crivain qui essaie de ramener les mots de la femme vers le silence de la parole l criture semble une tentation d ouvrir l espace pour l entretien Mais la voix des mots est sans autorit Qui parle Qui parle donc La parole de ce qui parle est donn e a l oubli La voix que l homme essaie de transcrire est une voix derri re laquelle il n y a pas de sujet attendu ou rem mor L auteur qui crit dans le cercle de l attente l oubli est d gag des choses dans le domaine de la possibilit Jean Philippe Miraux explique que l exp rience de l criture chez Blanchot fait partie un autre domaine de la possibilit La loi du r cit d tach e de la temporalit ouvre la possibilit de dire l ind signable l innommable ce qui ne peut tre figur ou repr sent Sans pass sans pr sent sans avenir les choses les faits les v nements les ph nom nes les personnages s enfoncent dans le moment pr cis o m me pr sents ils s orientent d j vers un futur toujours d j 19 potentiellement pass dans le retour du temps 35 L auteu
95. s se faire comprendre seulement en termes temporels Poulet constate que retrouver le temps perdu implique n cessairement retrouver le lieu perdu 26 La temporalit qui ordonne la m moire proustienne signifie un temps spatialis ou un temps qui contient l espace La temporalit n est pas possible sans espace L difice ou le palais de m moire proustienne s installe comme une m moire de la litt rature au sens d une esp ce d espace Compagnon 14 De l esp ce d espace chez Proust on passe l id e de l espace comme repr sent e dans l uvre de Perec Perec l espace temporalis La m moire dans La Vie mode d emploi est li e aux objets qui remplissent l espace d un immeuble ou d une chambre On ne peut pas parl ici d une temporalisation interne comme on la trouve chez Proust parce que la m moire est externe de l esprit et attach e l espace Au lieu des images temporelles des images spatiales qui sont statiques occupent l espace du texte sans temporalisation Selon une description de Jacques Denis Bertharion Le temps de la description des appartements est un pr sent arr t l immeuble est comme photographi un instant unique chaque r cit est log dans son appartement comme dans un crin le prot geant du reste du monde De prime abord l espace romanesque se calque sur l espace de l immeuble dont il suit et respecte le cadastre la topogra
96. s souvenirs images mais 1l est aussi question d un mouvement travers une m moire fond e sur le temps le souvenir traverse comme un rayon les couches du pass Vultur 110 Pour arriver la couche la plus profonde des souvenirs le travail de la m moire doit accomplir un mouvement du rayonnement qui traverse la distance entre le pass et le pr sent La litt rature qui d peint la m moire en termes temporalis s est une criture en mouvement autrement dit le style Ser a 137 ou la m taphore Le travail de tirer 22 de la couche profonde l essence similaire des deux moments isol s est celui de la m taphore Ainsi la synth se des impressions des temps s par s se r alise dans le mouvement traversant de la m taphore Le mouvement de l activit de la m moire peut aussi tre expliqu par une illustration g ologique utilis e par le narrateur Proust Tous ces souvenirs ajout s les uns aux autres ne formaient plus qu une masse mais non sans qu on ne pit distinguer entre eux sinon des fissures des failles v ritables du moins ces veinures ces bigarrures de coloration qui dans certaines roches dans certains marbres r v lent des diff rences d origines d age de formation Du c t 184 Les souvenirs superpos s les uns sur les autres pr servent les signes du d veloppement temporel Tandis que les souvenirs ajout s forment une masse unique les fissures les failles et le
97. sano Schena Editore 1992 Godeau Florence R cits en souffrance Paris Editions Kim 2001 Guindani Sara Je ne savais pas voir Malentendu connaissance et reconnaissance chez Proust Proust la m moire et la litt rature Ed Antoine Compagnon Paris Odile Jacob 2009 157 76 63 Hartje Hans Bernard Magn and Jacques Neefs Cahier des charges de La Vie mode d emploi Paris CNRS Editions 1993 Hurault Marie Laure Maurice Blanchot Le Principe de fiction Saint Denis Presses Universitaires de Vincennes 1999 Kadivar Pedro Marcel Proust ou esth tique de l entre deux Paris L Harmattan 2004 Kahn Robert Images passages Marcel Proust et Walter Benjamin Paris ditions Kim 1998 Landy Joshua Philosophy as Fiction Self Deception and Knowledge in Proust New York Oxford University Press 2004 Lessing Gotthold Ephraim Laocoon An Essay upon the Limits of Painting and Poetry Trans Ellen Frothingham Boston Roberts Bros 1873 Miraux Jean Philippe Maurice Blanchot Qui tude et inqui tude de la litt rature Paris Armand Colin 2005 Montier Jean Pierre La Photographie dans le temps De Proust a Barthes et r ciproquement Proust et les images Ed Jean Cl der and Jean Pierre Montier Rennes Presses Universitaires de Rennes 2003 69 114 Muldoon Mark Tricks of Time Bergson Merleau Ponty and Ricoeur in Search of Time Self and Meaning Pittsburgh Pa Duquesne Univers
98. sant dans un boulement sans fin sous un ciel sans m moire de matin ni espoir de soir Ces choses quelles choses d o venues de quoi faites Et il para t qu ici rien ne bouge ni n a jamais boug ni ne bougera jamais sauf moi qui ne bouge pas non plus quand j y suis mais regarde et me fais voir Oui c est un monde fini malgr les apparences c est sa fin qui le suscita c est en finissant qu il commenga est ce assez clair Et moi aussi je suis fini quand j y suis mes yeux se ferment mes souffrances cessent et je finis ploy comme ne le peuvent les vivants Beckett Molloy 52 53 Aucune pr sence d esprit n est possible Comme Ciaran Ross d crit l criture de Beckett se termine une mise en suspens radicale de l existence du temps du pass de la m moire de la connaissance et de la v rit 81 Sans une vaste m moire la facult la plus n cessaire pour continuer une histoire la compr hension de l existence du sujet et des choses autour de lui aboutit une suspension Comment est ce que la litt rature continue si la m moire ne peut persister ni dans un temps spatialis ni dans un espace temporalis 54 Chapitre 4 LA CONTINUATION DU PROJET LITT RAIRE A cette mise en suspens de la m moire Beckett pose la question cruciale au sujet du projet litt raire Comment faire comment vais je faire que dois je faire dans la situation o je suis comment proc der
99. se situe plus proche de l oubli 61 Proust n a pas d crit une vie telle qu elle fut mais une vie telle que celui qui l a v cue la rem more ce qui joue ici le r le essentiel pour l auteur qui se rappelle ses souvenirs n est aucunement ce qu il a v cu mais le tissage de ses souvenirs le travail de P n lope de la rem moration Ou bien ne faudrait il pas plut t parler d un travail de P n lope de Voubli La m moire involontaire de Proust n est elle pas en effet beaucoup plus proche de l oubli que de ce que l on appelle en g n ral le souvenir L Image proustienne 136 La m moire dans la litt rature son tissage de souvenirs se situe proche de l absence et du retrait En sollicitant apparition de l impersonnel la m moire dans la litt rature se tient dans le mouvement de l attente De la convention la rupture les disparit s qui semblent s parer Proust et Blanchot s amenuisent finalement pour susciter des chos infinis Compagnon 11 de la m moire de la litt rature Comme Compagnon conclut la litt rature porte et transporte la litt rature en fait non pas un monument mais un mouvement la m moire de la litt rature c est donc la litt rature en mouvement 11 La m moire de la litt rature ne disparait pas face a la d molition des coordonn es temporelles face la disparition des r f rentiels de l espace ou face aux menaces de la reproductibilit
100. serl et Critique de la raison pure de Kant En examinant le concept husserlien d une dur e cr e dans la succession temporelle o chaque moment dans la m moire occupe un lieu et o chaque moment subit une modification et entre dans la r tention Ricceur constate que la continuation dans la dur e n cessite un flux absolu de la conscience ce qui est possible dans un temps objectif qui pr c de la ph nom nologie de la conscience du temps III 82 Ric ur continue ce raisonnement en proposant que la notion kantienne de la pr supposition du temps objectif ne peut pas se soutenir sans explications ph nom nologiques III 106 L cart irr conciliable et la d pendance r ciproque entre la notion d un temps ph nom nologique dans l exp rience subjective du pr sent et la notion d un temps naturel affirme le raisonnement de Ric ur qu il n y a pas d explication de la temporalit qui chappe ses apories III 177 78 Autrement dit the gap l cart la br che between a phenomenology of time mortal time and the autonomy of time with respect to movement cosmic time is unbridgeable the former cannot produce the latter Muldoon 59 La proposition de Ric ur en r ponse aux apories du temps est l int gration du monde temporel et de l expression narrative Ric ur propose un temps narratif qui n est ni purement cosmologique ni purement ph nom nologique mais qui sugg re a poetic resolution une r so
101. ses de poussi re en attendant leur propre mort d tach es et vides de sens La condition de la chambre de R mi Rorschash en outre t moigne de la vacuit et du d clin des choses apr s le d c s de l occupant C est la chambre d un homme d j mort et il semble d j que les meubles les objets les bibelots attendent cette mort venir l attendent avec une indiff rence polie bien rang s bien propres fig s une fois pour toutes dans un silence impersonnel Perec La Vie mode d emploi 549 Les possessions abandonn es dans cette chambre un lit une table des pennies un verre de cristal un peignoir un porte ceinture un mouchoir un portefeuille un stylo etc ne sont que l empreinte fragmentaire d un r el disparu Reggiani 105 Les objets restent suspendus dans une image immobilis e qui n appartient ni aucun temps ni aucune personne Le probl me des choses fig es dans le silence des chambres et des escaliers se montre dans les mentions fr quentes des inventaires Dresser l inventaire des choses c est se soumettre 50 l impossibilit de la m moire et rapprocher le silence qui vient avec la mort Ramener le silence crit Beckett c est le r le des objets Molloy 16 Autour du vieux Bartlebooth assis devant sa table vers la fin de La Vie mode d emploi ses possessions tendent vers le silence qui r sulte de l impuissance offrir des histoires Un
102. ses heures son travail et ne laisser chapper aucune des arabesques entrelac es L Image proustienne 137 La transmission de l information ne sait pas de travail artistique qu il faut pour une cr ation litt raire remplie des entrelacs Contrairement aux histoires l information se pr sente en pi ces et en fragments L information n a de valeur qu l instant o elle est nouvelle Elle ne vit qu en cet instant Il n en est pas de m me du r cit il ne se livre pas Il garde sa force rassembl e en lui et offre longtemps encore mati re d veloppement Benjamin Le Conteur 124 Ici l argument de Benjamin s apparente la th se de Ricceur au sujet du temps et le r cit Le processus de lier de d velopper et de rassembler qu il faut dans la cr ation d un r cit ou dans un d ploiement narratif rend compr hensible l exp rience dans le monde temporel Mais l information n a aucune valeur de rassemblement et de d veloppement dans le temps parce qu elle ignore le d placement tempo spatial qui permet la communication entre des instants s par s Le monde de l ouvrage proustien cr par le travail de m moire r v le le cours du temps sous sa forme la plus r elle autrement dit celle de l entrecroisement C est le monde en tat de ressemblance l o r gnent ces correspondances Benjamin L Image roustienne 149 La substitution des histoires par d
103. sion technique des reproductions instantan es La disparition de l espace Tandis que le d veloppement de la reproductibilit technique menace la capacit de la rem moration qui permet l art de narrer un monde en tat de correspondances spatio temporelles un autre fait d fie la pr servation spatiale de cette facult M me si la m moire peut trouver sa derni re trace de refuge hors de la coh sion temporelle dans la diffusion des images fragmentaires dans l espace tout effort d arranger les souvenirs spatialement s affaiblit face la d t rioration du lieu Deux auteurs sont appropri s cette discussion Perec et Beckett Bien que le lieu qui organise La Vie mode d emploi serve d un logis o demeurent les histoires des occupants des possessions des peintures ou des meubles le texte de Perec signale la difficult de maintenir une coh rence attach e aux objet images dans l espace Si Perec avertit le probl me de la d ch ance spatiale Beckett figure la condition s v re qui r sulte de l impossibilit de situer ses exp riences dans l espace En vue d explorer la question de la pr servation de la m moire dans l espace il faut 49 d abord pr ciser que c est une m moire vive qui donne le sens l espace Pour reprendre les paroles de Benjamin La m moire est entre toutes la facult la plus n cessaire l pop e Sans une vaste m moire l pop e ne pourrait ni assimiler
104. sur une dur e et une localisation coh rente devient de plus en plus rare et ensuite la pr servation spatiale des instantan s pour rem morer au moins le passage des temps fragment s devient impossible face la d t rioration de l espace Confront l impuissance croissante d aucune accommodation pour continuer une histoire il est in vitable que la premi re ligne du volume qui conclut la trilogie de Beckett bute sur un obstacle fondamental O maintenant Quand maintenant Qui maintenant L Innommable 7 Jusqu a ce point les deux premiers volumes ont pr vu une fin vide et vierge Allong dans une chambre Malone observe le blanchissement du plancher et il remarque Jle me rappelle distinctement la tenture ou papier peint qui adh rait encore aux murs par endroits et o se tordaient des roses des violettes et autres fleurs dans une telle 53 abondance qu il me semblait n en avoir jamais tant vu de mon vivant ni d aussi belles Mais de tout cela rien n a l air de survivre pr sent et si au plafond il n y avait pas de fleurs 1l y avait sans doute autre chose des amours peut tre eux aussi disparus Beckett Malone 81 De plus le narrateur de Molloy se trouve sous les effets du d mant lement du temps et de ses environs et il anticipe sa propre mort Car quelle fin ces solitudes o la vraie clart ne fut jamais ni l aplomb ni la simple assise mais toujours les choses pench es glis
105. surveille quand il lui dit ici le lit l une table l o vous tes un fauteuil Blanchot L Attente 16 18 L homme d crit la femme l espace o ils sont et la femme le surveille En parlant du lieu qu ils voient devant eux leurs voix esp rent confronter leurs deux visions par l interm diaire de ce qu elles en diront visant par ce d tour leur stabilit et la certitude de se trouver l ensemble Hurault 102 Le r cit qui suit s crit dans un espace qui se tient entre les interlocuteurs dans un interm diaire Si le corps n est pas un organisme et un centre d orientation l espace dans les r cits de Blanchot n est ni un espace coh rent ni un espace homog ne on pourrait dire qu il ne s organise pas de fa on continue autour d un centre humain qu il n est pas disponible pour l action l organisation le projet d un sujet Antonioli 121 Au contraire une orientation temporelle dirig e par une vocation comme celle de Proust l orientation spatiale chez Blanchot s organise dans le lieu de l attente Le temps spatialis et l espace temporalis e D un c t Proust construit son immense difice en traduisant l image de la pens e travers le temps dans une uvre d art durable De l autre c t les uvres de Beckett et Blanchot deviennent un espace textuel o l auteur cherche de se situer par rapport aux images spatiales Un r cit durable qui fixe la r ali
106. t aux profondeurs o se r unissent le pr sent et le pass tient la possibilit de la m moire temporalis e L acte de narrer permet l crivain de traduire le r el en dehors du temps dans le royaume temporel de la cr ation litt raire Ricoeur IT 273 Mais la temporalisation de la m moire dans un r cit se lie inextricablement une spatialisation Les deux termes sont dissemblables mais impossible de s parer What allows time to be used as a common parameter of measurement is its quasi spatialization Muldoon 25 Le temps se d place travers les espaces o se passent des v nements La succession du temps suit un ordre o des v nements se situent dans de certains lieux This quasi spatialization of time transforms succession into juxtaposition Muldoon 26 Comme le temps et l espace se lient n cessairement les deux termes de la temporalisation et de la spatialisation peuvent exister simultan ment A travers une observation des uvres de Proust et de Perec je propose deux repr sentations du rapprochement entre la temporalisation et la spatialisation de la m moire Proust la m moire dans le temps spatialis La pr occupation du h ros au d but et a la fin d A la recherche du temps perdu ne 29 concerne pas exclusivement le temps mais plut t le lieu o il se trouve dans le moment donn Au d but du premier volume Du c t de chez Swann le narrateur proustien est un homme dans l obsc
107. t l espace romanesque de la narration s eules les pi ces rassembl es prendront un caract re lisible prendront un sens Perec La Vie mode d emploi 239 Comme John O Banion d crit rhetoricians are able to think in and express themselves in both modes 16 On trouve les deux dans le roman de Perec Dans les chapitres de La Vie mode d emploi qui se composent de listes les listes des objets occupent un espace d di chaque appartement comme mentionn auparavant dans un 36 moment arr t De l autre c t les appartements contiennent aussi des histoires qui font rappeler un temps du pass d un autre temps et d un autre endroit La juxtaposition de la liste et la narration cr e l effet d une temporalisation de l espace chez Perec Dans le pr sent arr t le pass se manifeste dans la pr sence des choses anciennes qui appartenaient aux anciens occupants Au lieu d tablir une liaison qui harmonise le pass et le pr sent la non narration juxtapose les deux temps Dans le moment pr sent du roman les choses dans l espace rappellent les histoires d un pass Temporaliser l espace dans le texte de Perec c est dans le sens de pr server le passage ou le mouvement du temps Le temps devient visible en prenant la forme de l espace et son tour l espace est sensible aux mouvements du temps Vultur 26 Les espaces des appartements retiennent chaque instant d crit dans l
108. t le jeu musculaire du corps intelligible contiennent tout l indicible effort pour soulever cette prise L Image proustienne 154 Dans la couche la plus profonde de la litt rature proustienne les images visuelles des souvenirs involontaires qui sont suscit es par le sens olfactif s int grent un tout Les phrases encha nent les souvenirs soulev s du temps perdu et ils rendent visible la cha ne d images par des m taphores Vultur 56 Les phrases construites par l effort du prise r v lent deux caract ristiques de la m moire narrative la superposition et le mouvement La temporalisation unit des images d une m me personne s par es par un intervalle de 21 temps si long conserv es par des moi si distincts Proust Le Temps retrouv 277 Dans ce processus la m moire accomplit une superposition des images et une superposition de plusieurs temps Le narrateur de Du C t de chez Swann par exemple d crit comment les images d une personne qu il voit actuellement se superposent sur les images impalpables d un temps pass qu il garde en souvenirs Je savais que 1a r sidaient des chatelains le duc et la duchesse de Guermantes je savais qu ils taient des personnages r els et actuellement existants mais chaque fois que je pensais eux je me les repr sentais tant t en tapisserie comme tait la comtesse de Guermantes dans le Couronnement d Esther de notre glise tant t de n
109. t ne peut pas cr er d histoire Quelques pages plus tard Macmann est toujours par terre dans la pluie et il se tourne sur l estomac sur le dos droite gauche Il ne fait que des r volutions En faisant des cercles les h ros de Beckett ne connaissent pas de progression de ce qui tait ou de ce qui va tre Les r volutions dans le temps correspondent aux r volutions dans l espace Ces choses que je dis avoue le narrateur que je vais dire si je peux ne sont plus ou pas encore ou ne furent jamais ou ne seront jamais ou si elles furent ou si elles sont ou si elles seront ne furent pas ici ne sont pas ici ne seront pas ici mais ailleurs Beckett L Innommable 24 Les mots dont le narrateur essaie de se servir sont illocalisables L criture de Beckett d fie toute conscience du temps et de l espace Florence Godeau constate que le projet beckettien n est pas un projet philosophique mais un projet rh torique d une recherche d une forme possible 117 Ce projet rh torique se montre dans la difficult chez l crivain de situer le pass dans le pr sent et d crire la dur e Ma vie ma vie crit il tant t j en parle comme d une chose finie tant t comme d une plaisanterie qui dure encore et j ai tort car elle est finie et elle dure la fois mais par quel temps du verbe exprimer cela Beckett Molloy 47 Plus tard dans le r cit le narrateur continue a exprimer s
110. thes affirme que cette image de la petite fille atteste la bont de sa m re L effet de la photographie selon Barthes est la voie de la certitude l affirmation de ce qui a bien t comme la bont de sa m re qui a t Mais si la photographie certifie une image du temps ce qui a t l cette image est vide de signification sans m moire vive qui peut relier quand et o l image L usage des images du temps pour rappeler des souvenirs choue toujours parce que l effort de la m moire volontaire ne se termine que par une s rie d instantan s Proust le narrateur crit dans Le Temps retrouv J essayais maintenant de tirer de ma m moire d autres instantan s notamment des instantan s qu elle avait pris Venise mais rien que ce mot me la rendait ennuyeuse comme une exposition de photographies Le Temps retrouv 172 Devant une photographie on ne retrouve pas le pass Les informations qui demeurent dans les photographies nourrissent une vue en pi ces elles emp chent la r v lation involontaire des profondeurs complexes qui ressuscite le pass et le rejoigne avec le pr sent Dans l accroissement de la diffusion des instantan s coup s de leurs contextes spatio temporels l immense difice de la m moire ne s tablit plus dans une uvre d art L aplatissement d un v nement dans une empreinte photographi e suivi de la diffusion des copies de ces instantan
111. tition ind cise l homme et la femme sont d j mais pas encore r unis s par s rapproch s loign s rassembl s dispers s Le va et vient de l attente soutient les deux interlocuteurs en mouvement immobile en suspension dans l air et en l absence d un temps conceptualisable P ass et avenir trouvant disjoints isol le pass reste pass profond ne devient pas nouveau pr sent par la m moire Il ne peut donc tre v cu que sur le mode de l oubli c est pourquoi Blanchot parle d un pass imm morial Nordholt 162 Arr t le mouvement est incessant d tournant glissant attirant sans pass m morial et sans futur attendu Anna Nordholt explique de plus le d mant lement du temps L v nement de la rencontre se trouve ainsi rel gu dans un pass qui n a jamais t pr sent ou rejet vers un futur qui ne deviendra jamais pr sent Ainsi elle est ou bien ce qui n a jamais eu lieu et qui ne peut pour cela tre v cu que sur le mode de l oubli ou bien ce qui n aura jamais lieu et qui est donc v cu sur le mode de l attente 157 Dans ce cercle de l attente l oubli l homme est attir vers une pr sence en d tour une pr sence dans l tat oubli dont il faut ramener les mots pour que la voix montre sa pr sence C est la voix qui t est confi e et non pas ce qu elle dit Ce qu elle dit les secrets que tu recueilles et que tu transcris pour le
112. tualisation d une temporalit se manifeste dans les uvres de Beckett comme une affaire de paroles L Innommable 81 et une affaire de voix 14 probl matiques Malgr des obscurit s et des confusions d identit l affaire de paroles ne cesse pas et ne peut pas cesser C e sont des mots il n y a que a il faut continuer je vais donc continuer il faut dire des mots Beckett L Innommable 212 13 M me si l crivain se perd dans les mots qui appartiennent aux autres voix il faut chercher et trouver des mots pour continuer L exigence d crire semble tre li e une affirmation de l existence Perec un jeu dans un temps fig D une mani re parall le Proust qui se sert de la narration pour donner sens sa vie Perec utilise un syst me de contraintes pour composer un r cit rempli d histoires de figures de tables de descriptions et de listes Stella B har contraste ces deux auteurs A l instar d un Proust qui dans A la recherche du temps perdu esp rait retrouver la multitude des sensations oubli es Perec va tenter travers des contraintes de composition monstrueuses de recenser tous les moyens toutes les activit s toutes les passions que les hommes et les femmes d aujourd hui imaginent pour donner un sens leur vie 163 Encore qu on peut faire se succ der ind finiment dans une description les objets qui figuraient dans le lieu d crit selon Pro
113. u litt raire in dit en quelque sorte qui permette d chapper la signification 146 47 L invention ne s agit pas de fabriquer des histoires parce que l obstination sur la voie de l chec se rompt de tout r f rentiel narratif L invention de Beckett cr e un moyen de continuer sans syst me de r f rence une affaire de mots in dits libres de la n cessit d tre charg du sens P as besoin d une bouche les mots sont partout dans moi hors moi a alors tout l heure je n avais pas d paisseur je les entends pas besoin de les entendre pas besoin d une t te impossible de les arr ter impossible de s arr ter je suis en mots je suis fait de mots des mots des autres quels autres l endroit aussi l air aussi les murs le sol le plafond des mots tout l univers est ici avec moi je suis l air les murs l emmur tout c de s ouvre d rive reflue des flocons je suis tous ces flocons je suis tous ces mots tous ces trangers cette poussi re de verbe sans fond o se poser sans ciel o se dissiper Beckett L Innommable 166 Les mots se d roulent sur la page en fragments et en murmures in dits sans besoin d un esprit qui rem more indiff rents leur source dans le d cor et indiff rents au temps du verbe L criture de Beckett exp rimente ses limites dans la d composition du sens mat riel des mots Autrement dit comme le narrateur exprime
114. uances changeantes comme tait Gilbert le Mauvais dans le vitrail o il passait du vert chou au bleu prune selon que j tais encore a prendre de l eau b nite ou que j arrivais nos chaises tant t tout fait impalpables comme l image de Genevi ve de Brabant anc tre de la famille de Guermantes que la lanterne magique promenait sur les rideaux de ma chambre ou faisait monter au plafond Proust Du c t 169 Les images de la duchesse de Guermantes de Gilbert et de Genevi ve de Brabant qu il a form es il y a longtemps avant ses rencontres r elles avec eux restent dans son esprit en tapisserie de nuances impalpables Lorsque ces images se superposent sur les images qui repr sentent les personnes dans la r alit actuelle les temps divers o ces images appartiennent aussi se superposent Comme d ans la m moire le temps nous appara t non pas comme un temps unique mais comme des couches superpos es de souvenirs par la suite les impressions visuelles des personnes apparaissent en plusieurs miroirs successifs Vultur 79 76 Une telle vue successive fait possible la perspective d un tout A travers des ann es s par es la m moire soul ve les images des moments isol s et les encha ne en succession dans la perspective d formante du Temps Proust Le Temps retrouv 232 Le processus de la temporalisation de la m moire dans le r cit ne s accomplit pas seulement travers la superposition de
115. ue Landy sont des illuminations d une multiplicit du vrai moi qui se rev le la conscience 111 Mais comme Ric ur pr cise la m moire involontaire n est pas le moyen concluant qui pourrait expliquer le moment soudain des correspondances et de l extase II 256 Le h ros affront de l nigme de bonheur Proust Du c t 174 et du myst re de la raison pour la joie au moment de la m moire involontaire est oblig de d couvrir la cause Pour d couvrir la cause qui est cach e derri re les impressions bienheureuses Ric ur exprime qu il faut tablir une liaison entre la reprise du temps perdu et l uvre d art La question est alors Quel rapport le projet de l uvre d art issu de la d couverte de la vocation d crivain instaure t il entre le temps retrouv et le temps perdu Ricoeur II 253 Ce rapport le h ros l tablit la fin du roman gr ce une r v lation finale qui provient d une s rie de souvenirs involontaires Un de ces moments de la m moire involontaire le h ros raconte est celui sur le pav irr gulier dans la cour de l h tel de Guermantes Mais au moment o me remettant d aplomb je posai mon pied sur un pav qui tait un peu moins lev que le pr c dent tout mon d couragement s vanouit devant la m me f licit qu diverses poques de ma vie m avaient donn e la vue d arbres la vue des clochers de Martinville la saveur d u
116. ui s talent sur plusieurs chapitres qtd in Hartje Magn and Neefs 33 34 Les histoires produites de la machine de contraintes rh toriques emplissent le texte soit sous forme du r cit soit sous forme de la liste En cons quence les listes les tables et les figures qui se trouvent au milieu du r cit interrompent souvent la narration The list relies on discontinuity rather than continuity it depends on physical placement on location it can be read in different directions both sideways and downwards up and down as well as left and right qtd in O Banion 13 Comme la boite au milieu du texte dans lequel s crit Un arbre g n alogique de la famille Gratiolet se trouve page 110 Perec La Vie mode d emploi 331 ou comme la liste des portraits imaginaires de Hutting ou comme le dictionnaire des mots oubli s la liste est un syst me d organisation et d arrangement de morceaux d information isol O Banion 12 Pourtant cette mani re d arranger des fragments d information fournit une organisation ou un placement physique qui ne d pend pas de continuit temporelle Subs quemment la liste s oppose l organisation narrative qui est le r sultat d un enchainement temporel Jacques Denis Bertharion explique que le proc d perecquien dans l impossibilit temporelle ressemble une ruse Plac dans une sorte d incapacit raconter sa propre histoire r soudre l nigme
117. ure les r v lations fortuites de la vraie vie en tat pur Autrement dit selon l tude de Proust par Walter Benjamin l uvre litt raire est un effort vers la pr sence d esprit en tat pur A la recherche du temps perdu est un essai ininterrompu pour lester une vie enti re de la plus haute pr sence d esprit Benjamin L Image proustienne 151 La r v lation du r el extratemporel exige la totalit d une pr sence d esprit qui devient possible dans une uvre d art La pr occupation chez Proust est une qu te de bonheur et de pr sence d esprit telle qu elle reconstitue les facult s humaines morcel es Rochlitz 158 La litt rature est n cessaire pour le ressaisissement du vrai moi qui se trouve dans la reconstitution et l int gration des souvenirs des impressions et des visions Selon le narrateur de la Recherche la r alisation d une uvre d art est le seul moyen de faire sortir de l ombre la r alit du moi spirituel Proust Le Temps retrouv 185 Le travail de l artiste d fait notre amour propre notre passion notre esprit d imitation notre intelligence abstraite nos habitudes et vise aux profondeurs o ce qui a exist r ellement git inconnu de nous Proust Le Temps retrouv 202 03 La recherche de ce qui existe r ellement en dehors de nous exige l interpr tation et la traduction des impressions dans un r cit durable La r solution
118. urit d une chambre qui cherche de lier sa situation avec le temps et avec l espace La nuit les pens es de l homme tendu dans le lit en cherchant le sommeil dans le noir les pens es d une existence ant rieure Proust Du c t 3 deviennent inintelligibles A ussit t je recouvrais la vue et j tais bien tonn de trouver autour de moi une obscurit une chose sans cause incompr hensible comme une chose vraiment obscure Je me demandais quelle heure il pouvait tre Proust Du c t 3 Dans un endroit obscur le narrateur Proust perd sa coh rence Qui est il Il ne le sait plus parce qu il a perdu le moyen de relier le lieu et le moment o il vit tous les autres lieux et moments de son existence ant rieure Poulet 13 Ce personnage proustien apr s six volumes se trouve au d but du dernier volume encore une fois dans une chambre Toute la journ e dans cette demeure Proust Le Temps retrouv 3 commence le narrateur Dans le carreau de sa fen tre il voit le clocher de l glise de Combray qui met sous s es yeux la distance des lieues et des ann es Proust Le Temps retrouv 3 Poulet pr cise la question principale de la Recherche d s le d but du roman jusqu sa fin Comment relier l endroit o l on est le moment o l on vit tous les autres moments et endroits parpill s en quelque sorte tout le long de l tendue 19
119. urquoi il vient s entasser autour de vous instant par instant de tous les c t s de plus en plus haut de plus en plus pais votre temps vous celui des autres celui des vieux morts et des morts na tre pourquoi il vient vous enterrer compte gouttes ni mort ni vivant sans m moire de rien sans histoire ni avenir enseveli sous les secondes Beckett L Innommable 171 12 Sans passer pourtant le temps s entasse autour du narrateur Alors il reste dans une sorte de moment inconcevable Le temps pr sent dans les textes de Beckett comme Genetti d crit a une qualit neutre vide non orient e en vue d un avenir et divisible l infini 42 Aucune dur e n est compr hensible puisque un moment est divisible l infini Raconter un r cit avec les dur es sp cifiques du pass du pr sent et du futur n est pas possible Un extrait de Malone meurt par exemple d crit la situation de Macmann sur le dos par terre dans la pluie sans pouvoir raconter la dur e C tait une pluie lourde froide et verticale ce qui faisait supposer Macmann qu elle serait br ve comme s il y avait un rapport entre la violence et la dur e et qu il allait pouvoir se lever dans dix minutes un quart d heure le devant poussi reux C est l en effet le genre d histoire qu il s est racont toute sa vie en se disant Il est impossible que a continue encore longtemps Beckett Malone 108 Le suje
120. us fait conna tre la r alit inconnue est la litt rature Proust Le Temps retrouv 185 202 En ce cas m me si la cin matographie prend la place de l uvre illuminante de la m moire et sa repr sentation dans la litt rature suivant la position de Proust l largissement de l espace gr ce au gros plan et la r v lation de nouvelles formes et dimensions gr ce au ralenti ne sont que d illusions Benjamin remarque semblablement que l industrie cin matographique a tout int r t stimuler l attention des masses par des repr sentations illusoires et des sp culations quivoques L CEuvre d art 298 Les fonctions de la m moire que la litt rature de Proust repr sente ne peuvent pas subsister contre l accroissement de la valeur d exposition pour stimuler l attention des masses Ainsi des images m tamorphos es sur l cran am nent un changement de nos perceptions et de nos facult s La lanterne magique dans la chambre du jeune h ros proustien Combray un m canisme qui lui permet d imaginer des figures d ombres projet es sur les murs et qui lui introduit une perception dans une lumi re diff rente Kahn 141 semble servir d une pr vision des effets des modes technologiques comme le film Benjamin d taille comment notre perception r agit cette forme de distraction 44 Au moyen de la distraction qu il est m me de nous offrir l art tablit notre insu le
121. ust la v rit ne commencera qu au moment o l crivain prendra deux objets diff rents posera leur rapport et les enfermera dans les anneaux n cessaires d un beau style Le Temps retrouv 196 qui est la m taphore Si pour Proust l encha nement travers des m taphores tablit une continuit temporelle entre deux objets du pass et du pr sent quel est le r le de la narration pour Perec dont le syst me des contraintes et les images discontinues d fient le concept de mim sis Les deux mani res de l expression la narration et la liste r sultent du syst me des contraintes que Perec s est donn pour crire La Vie mode d emploi Ses contraintes d apr s l explication dans ses Cahiers des charges sont les r gles de composition et les formules de distribution qui lui permettaient de d finir en les faisant varier toujours a partir d un ensemble pourtant limit les contenus les traits et la coexistence de ces mondes aussi bien que la longueur des chapitres et des parties de son livre Hartje Magn and Neefs 8 Le roman qui ne peut pas s crire s crivait a travers le jeu des contraintes qui ont d termin les l ments les mat riaux les contenus et les traits du livre in Hartje Magn and Neefs 9 Son livre comme Perec d crit est une v ritable machine raconter des histoires aussi bien des histoires qui tiennent en trois 15 lignes que d autres q
122. vre narrative est toujours un monde temporel le temps devient temps humain dans la mesure o il est articul de mani re narrative en retour le r cit est significatif dans le mesure o il dessine les traits de l exp rience temporelle I 17 La fondation du sens d tre dans une synth se spatio temporelle par le moyen de l art de narrer est aussi la r solution de Proust Mais la proposition ricceurienne et la construction de l ouvrage proustien suivent une longue tradition de constatations autour des apories du temps Dans le premier tome du Temps et r cit Ric ur d lin e cette tradition en commen ant avec une tude des Confessions d Augustin Selon le principe de distentio et intentio formul par Augustin la mesure du temps est dans l esprit qui s tend entre l attente et la m moire Ricceur I 44 L esprit dans le praesens intentio s tend distentio animi dans les deux sens et il fait passer lattente du futur la m moire du pass Ric ur I 46 Au contraire comme Mark Muldoon fait remarquer la Physique d Aristote pr sente le principe du temps cosmologique qui ne d pend pas de l activit de l esprit mais qui se correspond aux mouvements de la physique 38 Apr s avoir expliqu les th ories d Augustin et d Aristote dans le troisi me tome de Temps et r cit Ricceur pr sente l opposition des th ories dans Sur la ph nom nologie de la conscience intime du temps de Hus
123. xer des moments extratemporels dans une uvre d art coh rente Beckett s abandonne l impossibilit de faire la chronique Si Ric ur justifie que le temps narratif est la seule repr sentation du temps v cu Beckett n prouve aucun temps narratif Sans chronologie sans continuit si on peut parler d une temporalit l o vivent les personnages de Beckett le temps est rompu Comme Stefano Genetti d crit Les h ros beckettiens n ont souvent d autre qualit que d tre pr sents l sur la sc ne dans l criture 38 Molloy Moran Malone Mahood et leurs variations existent dans un pr sent sans rapport aucun pass ni aucun futur Ils sont pr sents aux instants immobiles dans les pages du r cit L immobilit est un probl me r current surtout dans L Innommable Le narrateur r p te que rien ne change l o 1l se trouve Non j ai toujours t assis cette m me place les mains sur les genoux regardant devant moi comme un grand duc dans une voli re Rien ne change ici depuis que je suis ici mais je n ose en conclure que rien ne changera jamais Beckett L Innommable 11 En somme aucun changement depuis que je suis ici apparemment d sordre des lumi res peut tre une 1llusion tout changement craindre incompr hensible inqui tude Beckett L Innommable 14 O n peut se le demander pour m moire pourquoi le temps ne passe pas ne vous laisse pas po

Twentieth Century French Literature between memory and forgetting

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