la lecture littéraire : une didactique de l`invisible
Contents
1. Mais s il est vrai que le journaliste emprunte au romancier par exemple l usage du monologue int rieur cet emprunt ne fait sens qu en r f rence au mod le Il est bien lu comme emprunt D ailleurs le journal ne constitue pas un type de texte C est un en semble h t rog ne avec des textes aux fonctionnements vari s ainsi le bulletin m t o les petites annonces la page agricole ont ils des modes de pr sentation qui entra nent d abord des jugements de r alit De m me pour l actualit politique quand elle est trait e sous forme de commentaire Mais d s que certaines p rip ties donnent lieu du r cit celui ci prend une cer 16 _ F lix F n on uvres Gallimard 1948 p 362 Cf aussi l article de Daniel Groj nowski F lix F n on nouvelles en trois lignes Le fran ais aujourd hui n 84 d cembre 1988 142 taine autonomie qui peut nous entra ner du c t de la fiction Ainsi en ce mois d avril 1989 les men es des r novateurs du R P R ont elles d abord t trait es sur le mode du complot du conciliabule du romanesque par des journalistes conscients de faire du roman Dans l autre sens le roman n a pas manqu de revendiquer ou de faire semblant de revendiquer une solide attache la r alit D un point de vue didactique il est int ressant de pr senter des textes qui jouent avec cette affirmation Ainsi le d but d Un Robinson de six ans de C Amero publi chez Hachette en2. 1893 Ceci est une histoire vraie avec toutes les apparences de l impossi ble et de l invention romanesque Ce pr ambule a d autant plus de chances d tre pris au s rieux qu il est suivi d un rappel historique assez m ticuleux et ne se distinguant en rien du travail de l historien Au moment o s ouvre notre r cit les rivalit s de jour en jour plus agressives entre la France et l Angleterre qui inaugur rent le r gne de Louis XIV se traduisaient en violences et spoliations sur les rivages nouvel lement colonis s pour nous de l Acadie et du Canada Champlain gentilhomme saintongeois avait jet en 1608 les fonde ments de Qu bec Au commencement d avril de l ann e 1657 A ce moment du r cit beaucoup de jeunes lecteurs estiment qu on les a tromp s sur la marchandise que ce n est pas une histoire comme on le leur avait annonc mais de l histoire Bien entendu la suite va focaliser l at tention sur un personnage et le titre du livre nous annonce quel genre d aventures il va conna tre Au moment o l int r t se porte sur les types de textes la lecture lit t raire tend d sorganiser tout classement C est bien la diff rence entre les nonc s de r alit et les nonc s de fiction Quand Breton avec la page de l annuaire t l phonique consacr e aux Breton de Paris fait son po me PSTT cette page n est plus lisible de la m me fa on et les noms propres par exemple deviennent s
3. cognitif puisqu il faut construire le concept de litt rature et de fiction pour pouvoir sinon le r soudre du moins en jouer De plus l id e m me que le texte litt raire puisse pr senter des propri t s sp cifiques peut faire l objet d une contes tation en quoi lui sont elles sp cifiques Qu est ce qui est propre la litt rature et qu on ne verrait pas dans le journal D j au XIX si cle les nou velles de Maupassant c toyaient sur la m me page les nouvelles du jour Et plus tard partir de d p ches d agence F lix F n on r digera pour Le Ma tin des Nouvelles en trois lignes ensuite r dit es dans ses uvres Pre nons l une de ces Nouvelles Ses gerbes br laient souvent Pinard de Coligny Loiret arm guet ta Passa P nou incendiaire ou non il re ut la d charge Lettre part 16 L humour de cette narration s il devait tre in galement ressenti dans la publication originale s impose davantage dans la r dition en livre le lec teur se trouvant devant toute la s rie de ces petits textes Mais on voit bien que l criture journalistique n est pour F n on qu un pr texte ou du moins que la relation du fait divers est le truchement d un jeu qui l emporte sur l information Aujourd hui de nombreux reportages ou m me des documen taires semblent subir le contrecoup de l esth tique litt raire et tout un sys t me d emprunts donne tel ou tel reportage les traits d un r cit de fiction
4. de Plo rmel Librairie J Vrin 1962 134 quittance au texte m me difiant marque une rupture d cisive Aux c t s de Legouv Aicard Ratisbonne Moselly l colier d couvrait Hugo Hom re Cervant s ou Corneille Chacun de ces auteurs pouvait faire l objet d un trai tement sp cifique le r duisant un propos moralisateur ou instructif mais c est l id e m me de litt rature qui s installait avec ses r cits porteurs de messages critiques faisant de la lecture un acte culturel et introduisant un usage de l crit diff rent de la simple trace ou de l information L id e m me qu un texte d bouche sur une morale engage sans doute un processus intellectuel fondamental De ce point de vue tous les supports et tous les types de lecture ne s quivalent pas m me si tous m ritent d tre connus et tudi s Il faut noter d s ce moment une contradiction entre le d veloppement du r cit de fiction le plus souvent pr sent comme v ridique et la haine du roman genre toujours suspect aussi bien dans les milieux la ques que dans les milieux cl ricaux Les sc nes difiantes dans une esth tique inspir e du prix Montyon le fameux prix de vertu d cern par l Acad mie fran aise pr tendent exalter la lecture utile les contes de f es et la litt rature enfantine sont exclus mais le propos didactique nourrit le romanesque Combien de fictions n auraient pas vu le jour si elles n avaient t port es par l
5. tique philosophique politique 13 _ Jacques Leenhardt Les effets esth tiques de l oeuvre litt raire dans Pour une sociologie de la lecture lectures et lecteurs dans la France contemporaine sous la direction de Martine Poulain Ed du Cercle fran ais de la Librairie 1988 pp 67 68 14 Nouvelle recueillie par Les Martiens La Farandole Du point de vue qui nous int resse ici nous rangeons la nouvelle avec le roman d autant que le mode de composition choisi par Colette Vivier serait le m me dans un texte de dimensions plus larges 15 Justice de D rrenmatt peut tre lu comme une parabole romanc e de cette pro bl matique 141 Publi dans des collections de litt rature le Journal d Anne Frank est investi de qualit s fictionnelles mais en m me temps de nombreux lecteurs jugent que leur lecture serait modifi e s ils apprenaient que l auteur n est pas une petite fille appel e Anne Frank Quelque chose serait chang dans le monde dans leur monde et l instar des logiciens qui traitent des mondes possibles nous pourrions dire que c est effectivement la d finition du monde qui en serait chang e puisqu il perdrait cette qualit de compter une petite fille auteur de ce Journal avec toute la charge motionnelle qui lui est attach e Y a t il une sp cificit du litt raire C est donc le caract re de plus en plus invisible du texte litt raire qui perturbe son approche et qui fait de celle ci un probl me
6. D o un certain d sarroi des lecteurs jeunes ou peu ex perts devant par exemple les textes de Reverdy qui form s d un ou plu sieurs paragraphes peuvent aller jusqu affecter l apparence de la prose ll ibidem p 197 12 Paul Ric ur Ce qui me pr occupe depuis 30 ans Esprit n 8 9 ao t septembre 1986 La passion des id es p 234 139 Prenons le d but de L ou l dans La balle au bond recueil paru dans la collection Po sie Gallimard Les ailes sont rest es prises entre les volets clos C est un norme oi seau qui se d bat pour fuir ou la nuit qui tire sur les gonds Le vent pousse plus fort On ne tient plus debout entre les murs le plancher remuant et les lustres qui dansent La poussi re revient On dit une pri re Texte facile ou difficile En fait la question n a pas de sens car c est d abord le lecteur qui d cide ou non d accepter de coop rer au texte ou comme dirait Ric ur de se comprendre devant le texte et recevoir de lui les conditions d un soi autre que le moi qui vient la lecture L exp rience montre que cette po sie peut tre bien re ue par de jeu nes lecteurs notamment si l on s appuie sur la force du lexique sur les mots qui restent dans la t te apr s la lecture et avec lesquels on peut reconsti tuer un r cit seulement sugg r dans le texte Se pose ici fortement la question du sens non pas d un unique sens qui serait la v rit du texte mais d un sens construi
7. Francis MARCOIN LA LECTURE LITT RAIRE UNE DIDACTIQUE DE L INVISIBLE cole et litt rature en France forment depuis longtemps un couple agit la fois antagoniste et ins parable d une part l acad misme propre tout enseignement semble incompatible avec le travail litt raire de subver sion op r sur la langue et sur la soci t d autre part c est l cole qui as sure la litt rature l essentiel de son statut Lautr amont Rimbaud les surr alistes construisent leur oeuvre contre c est dire en r f rence la tradition scolaire Le Premier manifeste du Surr alisme exalte l enfance qui approche le plus de la vraie vie une oeuvre d art digne de ce nom est celle qui nous fait retrouver la fra cheur d motion de l enfance La comptine litt raire notamment est charg e de retrouver cette fra cheur en s opposant la rh torique ou au rationalisme Curieusement l cole s est align e sur cette d marche substituant la comp tine ainsi que des jeux po tiques au mod le po tique forg principale ment par les Romantiques les Chantefables de Desnos figurent aujourd hui au premier rang des r citations et l on feint de croire au caract re naturel d un genre qui ne participerait pas de la litt rature tudiant ces comptines litt raires dans Les fran ais fictifs Ren e Bali bar y retrouve en fait subverti le mod le de phrase de l cole primaire ainsi dans Une sardine de Royan la terr
8. aire lire ce texte comme un document qui rel verait d une simple analyse de contenu c est d une certaine ma ni re perp tuer la r v rence devant l crit la soumission du lecteur la chose imprim e c est sans doute la fois manquer la litt rature et la r ali t Entrer dans la fiction Situer le texte de Christiane Rochefort comme fiction ce n est pas r cuser son rapport cette r alit c est montrer le caract re instable de ce rapport La lecture ne peut faire l conomie de cette instabilit de ce carac t re singulier du texte litt raire qui suscite un int r t nouveau dans des dis ciplines tr s diverses comme la psychologie cognitive la logique la philoso phie ou la s miologie la litt rature sera envisag e de mani re privil gi e comme inaugurant des mondes textuels qui sont autant de mondes possi bles comment se construisent et s interpr tent ces mondes possibles Ne faudrait il pas d ailleurs parler de lecture litt raire plus que de texte litt raire Car n est ce pas l acte de lecture qui reconna t ou ne reconna t pas la fiction son statut de ni vrai ni faux Si un texte fictif peut tre lu comme un r cit authentique inversement des M moires authentiques sont lus comme des fictions Selon les poques selon la comp tence du lecteur la r ception conna tra une variation importante les traditions culturelles rattachent la fiction certaines contraintes structurales de sort
9. ant d entretenir ce que John Downing d signe sous le terme de confusion cognitive Par exemple le sommaire du manuel Fran ais CE 2 collection Py chez Bordas 1988 dis 7_ Marthe Robert Roman des origines et origines du roman Grasset 1972 r dition Tel Gallimard 1981 136 tingue pour chacun de ses chapitres d un c t la po sie de l autre la lec ture qui peut tre soit un extrait de conte soit de roman on voit qu ici le mot lecture n existe que par opposition implicite avec l usage scolaire cou rant de la po sie c est dire la r citation Dans une approche th matique le texte de Christiane Rochefort sera pris comme un t moignage sur l urbanisme des ann es soixante Et rien n in terdit d agir ainsi puisque cette question y est r ellement trait e Mais r duit ce contenu le projet de l auteur devient en partie incompr hensible car les l ves plac s devant un style apparemment n glig trouvent que c est mal crit imit s en cela par de nombreux tudiants ou normaliens qui spontan ment consid rent qu il s agit de la transcription du langage parl Or ce Je par qui passe l histoire n est pas celui de l auteur mais d une adolescente Josyane Certes l auteur parle aussi en son propre nom d nonce le faux bonheur des grands ensembles ou du moins ce qui ne peut tre pour elle qu un faux bonheur mais elle ne relate pas son exp rience propre elle construit une fiction F
10. ce de la lit t rature dans une soci t comme la n tre mais la complexit de son appro che d concerte Historiquement la visibilit de la litt rature a t assur e par la reconnaissance des genres le respect des r gles en m me temps que celui de la biens ance et de la morale troitement li es au bien crire mais quelle place faire aux textes litt raires d s lors qu on ne se contente plus de pr senter un mod le r v rer et comment d finir la litt rature d s lors qu on ne peut gu re s appuyer sur des genres bien codifi s et que la versifi cation elle m me ne caract rise plus la po sie Le roman ce genre b tard et parvenu comme l crit Marthe Robert devenu dominant et multiforme ne respecte aucune r gle de composition ou de longueur mais s approprie ventuellement les marques des autres genres int gre les usages du parler ordinaire joue sur des effets d oralit affecte de rendre compte de la vie de tous les jours tout ceci met en cause sans doute une esth tique mais une esth tique invisible pour de nombreux lecteurs et notamment les plus jeunes Les auteurs d un manuel r cent proposent un extrait des Petits en fants du si cle de Christiane Rochefort Mais quel est le statut de ce texte Comment le recevoir si l on n a pas construit les concepts de litt ra ture et de roman Bien souvent on emploie le mot lecture pour d signer aussi bien l acte de lire que le texte lire risqu
11. e d sir d enseigner Aussi se trouve t on face une d marche pleine de promesses En pro posant aux enfants des campagnes des paraboles et des fables on postule qu ils peuvent accomplir un acte critique Car si la le on est encore impos e le mode d emploi est donn qui permettra de tirer d autres morales et d in terpr ter le non dit Par ailleurs malgr la solennit du propos et l absence de toute fantaisie le r cit est d j porteur d un ailleurs g ographique ou mental et d un imaginaire qui Va peu peu se d ployer En somme ce qui est d cisif c est moins l usage qui est fait du texte litt raire que son choix car c est l id e m me de litt rature li e tout un comportement culturel qui est donn e en partage m me si ce partage n a pas t g n ralis loin s en faut Ce choix maintenu durablement jusqu la derni re d cennie s accom pagne n anmoins de modifications qui vont all ger les contraintes impos es l exercice de la lecture autour de 1930 on voit appara tre l enfant espi gle turbulent s exprimant dans un langage moins solennel Les manuels notamment ceux de Madame H lier Malaurie promettent la lecture sans peine et c est la grande poque de l illustrateur Raylambert qui d bute sa carri re avec Le livre des quatre saisons d Ernest P rochon lui m me an cien instituteur Niort6 Le Syndicat National des Instituteurs passe com mande Charles Vildrac qui crira Mil
12. e est ronde peut tre lue comme une phrase tir e du manuel de g ographie mais sortie de son contexte r v lant d abord un tat de culture secondaire sup rieur fort loign du v ritable fonctionnement de la comptine traditionnelle charg e d intentions didactiques comme compter m moriser les heures les jours de la semaine etc l 1880 1980 un bref rappel historique Si la litt rature au plein de sa subversion garde la trace de l cole c est que celle ci de son c t a li l apprentissage de la lecture la litt ra ture Sans doute une question se pose t elle imm diatement comment l Ren e Balibar Les Fran ais fictifs le rapport des styles litt raires au fran ais na tional Hachette 1974 Spirale Revue semestrielle de l cole Normale de Lille N 3 1989 133 148 l cole de la R publique a t elle envisag le fait litt raire Et peut on r elle ment parler de litt rature En tout tat de cause le mot est souvent utilis par les auteurs de manuels qui peuvent m me le faire figurer dans le titre2 Mais entre 1880 et 1980 nous avons trouv deux grandes p riodes de du r e peu pr s gale les ann es trente faisant charni re lorsque le carac t re sp cifique de l enfant commence tre pris en compte On le sait tout n a pas commenc en 1880 et le nombre des lecteurs est d j significatif quand est d cr t e la scolarisation obligatoire Encore faut il s entendre sur que
13. e que des textes non fictionnels pour des raisons s mantiques et pragmatiques sont lus comme de la fiction pour des raisons purement textuelles ainsi les M moires bien crits ou les biographies romanc es Cette remarque de Tho mas Pavel8 ne repose t elle pas la question traditionnelle du style Et par 8 Thomas Pavel Univers de la fiction Fictional Worlds 1986 Seuil 1988 p 93 137 exemple n est ce pas en raison de leurs qualit s stylistiques que les Lettres de Mme de S vign sont class es comme texte litt raire En fait on peut dire que ces Lettres participent de la litt rature parce qu elles sont lues comme fiction sans doute parce que l opposition vrai faux n y est plus sentie comme pertinente dans ce mode de lecture En somme alors que d ordinaire la fiction pourrait tre r elle l arrangement du r el ici pourrait n tre que celui d une fiction Ainsi les contraintes stylistiques et textuelles sont elles reconnues mais en relation avec des aspects s mantiques qui c t des questions m taphysiques incluent le probl me de la d marcation les fronti res de la fiction celui de la distance entre mondes fictionnels et non fictionnels et celui de la dimension et de la structure des mondes de la fiction ainsi qu avec des aspects pragmatiques qui se rapportent la fiction en tant qu institution l int rieur d une culture Travaillant dans une perspective plus linguistique K te Hamburg
14. el associ la m thode collective loin de se poser contre le vrai livre introduit celui ci dans les milieux les plus modestes Il est d ail leurs consid r comme le Livre lu et relu tout au long d une vie Tout a t dit sur les limites de cette litt rature qu il s agisse de mor ceaux choisis ou de lectures suivies Mais le passage du contrat ou de la 2 Par exemple Cours r gulier de langue fran aise La vie litt raire l cole lecture r citation exercices devoirs de E Huleux dont le premier tome cours moyen para t en 1907 3_ Cf notre rapport La lecture dans les lectures dans le cadre d une recherche collec tive dirig e par Roger Chartier et Jean H brard B P I de Beaubourg 1985 4_ Sur cette question voir Ren Grevet L alphab tisation urbaine sous l Ancien R gime l exemple de Saint Omer fin XVIIS d but XVIII si cle Revue du Nord n 266 juillet septembre 1985 Ma tres et coles dans le Nord de la France l poque contemporaine Entre signer et lire on peut d autant plus faire la diff rence que la qualit m me des signa tures tr s in gale sur le plan de l criture et de l orthographe traduit des rapports la lecture fort diff rents et inexistants dans certains cas 5 H C Rulon et Ph Friot Un si cle de p dagogie dans les coles primaires 1820 1940 histoire des m thodes et des manuels scolaires utilis s dans l institut des fr res de l Instruction chr tienne
15. er avec sa Logique des genres litt raires adopte un point de vue plus r duc teur mais peut tre plus tenable du moins provisoirement si l on veut construire une didactique qui permette une entr e dans ce type de pro bl me En effet elle commence par d crire le syst me nonciatif de la lan gue organis autour du sujet d nonciation et dont elle va exclure la fic tion narrative qui chappe au mode commun de r ception des autres dis cours Le syst me nonciatif de la langue est donc con u autour de la place tenue par le sujet dans ces discours ce qui permet d en distinguer trois ca t gories le sujet d nonciation historique le sujet d nonciation th orique le sujet d nonciation pragmatique le sujet d nonciation historique ce n est pas celui de l Histoire mais un sujet d nonciation dont la personnalit individuelle est fondamentale ment en cause dans le discours L exemple le plus repr sentatif en serait l auteur d une lettre d un journal intime le sujet d nonciation th orique au contraire n est pas en cause dans l nonc qu il s agisse d un nonc math matique d un exemple de gram maire d un texte historique ou scientifique le sujet d nonciation pragmatique ne produit pas d assertion la dif f rence des deux premiers mais son discours en soi est une action lorsqu il ordonne souhaite injurie 10 Dans la fiction narrative aucune de ces places ne peut tre assi
16. gn e quelqu un qui serait l nonciateur si bien qu elle chappe ce syst me et 9_ Thomas Pavel Univers de la fiction Fictional Worlds 1986 Seuil 1988 p 93 10_ K te Hamburger Logique des genres litt raires Die Logik der Dichtung 1977 Seuil 1986 pp 48 52 138 qu elle peut servir de point de d part pour la description linguistique de la litt rature Pour K Hamburger il y a donc une fronti re radicale entre l nonc de r alit et la fiction narrative en raison du caract re de mim sis d imita tion de celle ci cette imitation qui seule peut m tamorphoser le r el en signification en sens ll Cette analyse se montre r ductrice si bien que tout texte dont l auteur pr tend parler en son propre nom est rejet du champ litt raire m me la po sie lyrique la premi re personne qui est rang e parmi les nonc s de r alit puisque l auteur annonce parler de lui m me et de son propre rap port au monde Tr s rigoureuse et suggestive cette d marche contredit n anmoins le jugement ordinaire li au mode social de circulation des crits et leur configuration textuelle ainsi un po me de Musset en raison m me des circonstances de sa lecture comme de sa forme ne sera jamais reconnu pour autre chose qu un crit litt raire Bien plus comme les Lettres de Mme de S vign la po sie peut tre lue comme fiction Et Paul Ric ur qui appr hende la litt rature comme confrontation en
17. ignificatifs ne sont plus seulement la d signation arbitraire d individus L attention port e au fait litt raire am ne donc un certain inconfort parce que chaque roman chaque po me contribue renouveler le genre brouiller son ancienne d finition Rien qui en apparence ne s oppose davan tage l entreprise didactique C est pourtant en acceptant cet inconfort en d ployant les probl mes pos s par ces textes qu on peut avancer Avec ces lectures on est moins dans une perspective de r solution de probl mes que de mise en probl mes Francis MARCOIN cole Normale ARRAS Chercheur associ INRP 143
18. le le lecteur s im plique comme s il s agissait de personnages r els m l s sa propre vie la modalit intellective caract ris e par un quilibre entre le sujet et l objet de sa lecture et par une pr minence accord e leur relation 140 D une tude comparative men e aupr s de lecteurs fran ais et hon grois il appara trait m me que l on peut distinguer des mod les nationaux de rapport la litt rature la modalit intellective pr dominant en France sans doute parce que dans notre pays le m diateur principal de la litt rature est l enseignement avec ce qu il implique de distanciation au savoir Au contraire en Hongrie le r le tenu par la litt rature dans les luttes d manci pation puis le mod le du r alisme communiste ont favoris la modalit motionnellel3 Aux questions qu est ce que la litt rature ou qu est ce que la fic tion il faudrait donc ajouter sinon substituer celles ci quand est ce de la litt rature quand est ce de la fiction Ce qui serait une fa on de traiter de la question sempiternelle des enfants devant toute histoire c est vrai Il s agit moins de donner des r ponses d finitives que de mettre en sc ne le questionnement Le genre romanesque totalement m connu en tant que tel par les l ves m me s ils lisent des romans ne vit qu autour de l incertitude quant sa d finition O ranger la nouvelle de Colette Vivier Maria Stellal4 qui
19. lques d finitions qu est ce qu un lecteur Peut on assimiler le nombre des lecteurs et celui des personnes alphab tis es et quelles pratiques d duire de la capacit savoir signer g n ralement rete nue pour valuer les taux d alphab tisation 4 Les ambitions de la II R publique deviennent tr s hautes puisqu on ne se contente pas d alphab tiser mais qu on g n ralise le rapport au livre un manuel sans doute mais un livre d abord et de plus r f rant la litt ra ture Aussi dire que l cole de la R publique n aurait eu que l alphab tisation pour objectif et qu est enfin venu le moment de la lecturisation tient d un propos qui ne r siste pas l observation m me superficielle de n im porte quel recueil de morceaux choisis C est d lib r ment refuser de recon na tre l importance du choix op r alors et sa signification pour les coliers de campagnes Car on pouvait et on apprenait effectivement lire sur de tous au tres supports que des textes comme le montre le pr cieux ouvrage des fr res Rulon et Friot Un si cle de p dagogie dans les coles primaires 1820 1940 sous la Restauration la m thode d enseignement de la lecture dans les campagnes c est le plus souvent la m thode individuelle chaque l ve apportait des supports disparates textes latins ou m me actes notari s manuscrits g n ralement plac s par les parents avant l imprim A l origine donc le manu
20. ot puis L Ile rose Les instituteurs les enseignants se mettent crire pour les l ves et c est pour fournir sa classe en dict es qu Henri Bosco se met composer L enfant et la rivi re 6 Cf Jeanine Raylambert 1930 ou la r volution des manuels L ducation Hebdo n 444 29 janvier 1981 135 du moins se pla t il l affirmer Ce qu on peut appeler le roman de l cole nourri d une multiplicit de lectures suivies traduit la fois un contr le exerc sur la lecture et une plus grande attention l esprit enfan tin Le merveilleux lui m me fait sa r apparition et vers 1960 les manuels des cours l mentaires vont rassembler essentiellement des contes D une mani re g n rale on observe une substitution progressive des textes de litt rature enfantine ceux de la litt rature pour adultes Au d but des ann es 1980 on peut dire que plusieurs discours se sont d velopp s sur la question de la litt rature un discours d j plus ancien remettant en cause le mod le de lan gue et de culture impos par la litt rature un discours techniciste insistant sur les aspects fonctionnels de la lecture la multiplicit des crits un discours h doniste sur le plaisir de lire exaltant le rapport person nel de l enfant au livre et notamment aux r cits contemporains mettant en sc ne ses probl mes Une esth tique invisible En fait personne sans doute ne nie s rieusement l importan
21. se pr sente sous la forme d un journal intime tenu par une petite fille Comme dans le roman de Christiane Rochefort mais de fa on encore plus nette le Je est per u par les l ves comme ce que nous appellerons un pronom de r alit de m me que le pr sent est senti comme un temps de r alit alors que le Il et l imparfait deviennent des crit res de fictionalit L indice de la fiction ne sera gu re trouv que dans la diff rence de nom entre l auteur et le personnage Mais qu est ce qui emp che les faux Si un journal imagin peut para tre v ridique un journal r put authentique peut tre suspect C est ce qui s est pass pour le Journal d Anne Franck o certains ont voulu voir une cr ation litt raire On sait quelles intentions monstrueuses peuvent se cacher derri re une telle supposition M me si ce Journal tait un faux les v nements relat s perdraient ils de leur r alit Non l vidence mais la fragilit du langage est que tout discours peut tre mis en doutel Reste une question si ce journal tait une cr ation litt raire fond e n anmoins sur des v nements que personne ne peut raisonnablement suspecter au rait il le m me pouvoir d motion sur nous Les r ponses cette question sont tr s vari es et provoquent des d bats passionn s qui montrent bien quel est l enjeu des uvres litt raires dans notre soci t enjeu d ordre tout autant motionnel qu esth
22. t d une interpr tation qui se manifeste aussi par la lecture voix haute par l change d impressions la r criture Comment un l ve s il se montre un lecteur coop ratif va t il s approprier le texte la fois en rappelant des mots pr cis qui l ont touch et qu il a m moris s et en retraduisant le reste par une nouvelle configuration voire une mise en intrigue en introduisant un r cit ou par des jugements de type motionnel c est triste a fait peur Ce mouvement devant un po me qu on pourrait tre tent de qualifier d herm tique pour un lecteur non expert est bien des gards inverse de celui qu il faut adopter devant la fiction romanesque En effet le texte de Reverdy demande un effort de rapprochement le r tablissement d une proximit puisque ce qui nous est propos semble ignorer le lecteur Au contraire le roman genre invisible le plus souvent suscite l identification la projection ph nom nes que nous avons pris pour habitude de consid rer comme na fs et inappropri s Des modalit s de lecture Tous les lecteurs n entretiennent pas les m mes rapports avec ces tex tes Ainsi Jacques Leenhardt dans une perspective sociologique distingue trois modalit s de lecture la modalit ph nom nale descriptive qui maintient le lecteur dis tance du texte consid r comme appartenant un univers totalement tranger la modalit motionnelle et identificatoire par laquel
23. tre monde du texte et monde du lecteur rapproche la po sie lyrique du r cit parce que tous deux sont li s par le ph nom ne d inno vation s mantique dans les deux cas du nouveau du non encore dit de l in dit surgit dans le langage ici la m taphore vive c est dire une nouvelle pertinence dans la pr dication l une intrigue feinte c est dire une nouvelle congruence dans la mise en intrigue 12 Ric ur loin de consi d rer la po sie sous le seul angle formel des figures parle ainsi de fiction po tique et d un pouvoir de re description m taphorique de la r alit qui place la m taphore sous le signe de la fiction ou plut t de la feintise comme on dit aujourd hui pour manifester le caract re quivoque de textes chappant la stricte opposition vrai faux La fiction po tique Cette conception de la po sie comme construction d un monde textuel et non simple jeu sur le langage loin d tre acquise l cole est ignor e voire combattue au nom d une id e tr s r ductrice de la fonction po ti que confondue la plupart du temps avec le calembour Il n en reste pas moins que ce travail sur la lettre ou le son sur la rime ou la disposition typographique continue d assurer une sorte de visibilit la po sie m me lorsque le vers est abandonn D une mani re g n rale la po sie est donc bien reconnue sauf quand la manipulation du mat riau graphique ou phoni que se fait discr te
Download Pdf Manuals
Related Search