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Marie-José Latour La tâche de vivre *

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1. Comme Pavese le fera un moment Lev renonce ce qui permet de survivre et laisse ceux qui restent le soin de la reprise Si la t che de vivre n est une rigolade pour personne mourir ne saurait devenir un art de vivre Lev sait que certains de s Jes proches se sentiront coupables de n avoir pas anticip s on choix de mourir et qu ils d ploreront de n avoir pu l Jaider vouloir vivre Mais celui qui s efforce d tre un sp cialiste de lui m me sait galement que personne d autre que lui ne pouvait lui donner plus de go t pour la vie que pour la mort l envie de vivre ne pouvait lui tre dict e Jean Am ry voulait galement comprendre les contradictions insolubles de la condition suicidaire et en rendre t moignage pour autant que la langue le permette Il a essay de rendre compte dans Porter la main sur soi Trait du suicide de ce qu il nomme inclina tion la mort Il t moigne galement du long dialogue que celui qui se tient sur le seuil de la mort volontaire entame avec son corps avec sa t te avec son moi Mais si celui qui a essay de surmonter l insurmontable partage avec douard Lev l id e qu une mort librement choisie est une affaire hautement individuelle o l homme est seul avec lui m me cela ne l emp che pas de continuer inter roger son lien avec l autre Par la mort volontaire celui qui se suicide se
2. aborder autrement la reine des pouvantables N cessit sourde r signation muette crit il Max Eitingon suite au d c s de sa fille Sophie La terrible exp rience de la guerre le conduit constater que l homme essaie de se sauver de la mort et que pourtant il tue Quand il s agit d an an tir ce que nous ha ssons la mort ne nous pose pas le moindre pro bl me L histoire de l humanit est remplie de meurtres d attentats suicides etc Cela ne l emp che pas de se construire sur la d n ga tion du cadavre auquel pourtant elle conduit en raison de l an an tissement biologique auquel tout individu est promis Si la guerre actualise ce qu il en est de notre rapport la mort c est bien parce qu ce moment l nous ne pouvons plus la tenir l cart Aupr s du cadavre de la personne aim e sont n s non seule ment la doctrine de l me la croyance l immortalit l une des puis santes racines de la conscience de culpabilit mais aussi les premiers commandements thiques Autant de raisons avanc es secondai rement pour maintenir un cart entre la mort de l autre et la possi bilit de notre propre mort sans oublier qu un interdit si fort Tu 13 S Freud Actuelles sur la guerre et la mort 1915 dans uvres compl tes tome XIII Paris PUF 1988 14 G Bataille L rotisme Paris 10 18 1957 p 51 52 15 S Freud Actuelles sur la guerre e
3. Alors videmment on peut lire dans l application de Chris effacer ses traces un certain rejet de l inconscient Il ne veut pas de cette cha ne signifiante Il tente d en construire une autre en vain puisque le signifiant est toujours de l Autre La fuite loin de tout s est r v l e l excursion dans un pi ge c est ce dont il se rend compte trop tard au moment m me o il consent son destin de mortel Avec certaines positions subjectives on se tient au bord de quelque chose qui va du souhait de ne rien avoir dire jusqu au rejet de la cha ne signifiante or l invitation de la psychanalyse est de n op rer par aucun autre instrument que celui du dire Inviter un 40 G Perec Un homme qui dort Paris Gallimard 1967 p 45 41 J Lacan Le S minaire Livre V Les Formations de l inconscient Paris Seuil 1998 p 245 42 J Lacan Conf rence Louvain op cit 124 sujet dire c est l inviter diff rer un acte irr m diable lui donner la possibilit de chercher une autre sortie Choisir de dire encore c est parier sur le recours que l on peut trouver dans les limites m mes de la langue L offre est bien du ressort du psychanalyste et j ai essay de cerner ici quelle place il a se tenir pour savoir faire le sujet s carter Seul le sujet pourra d cider de se saisir de cette offre pourra d cider de ne pas quitter la corde de la langue pour ne pas sauter
4. dans l irrattrapable Je terminerai sur les mots de celui qui ostinato n a pas recul soutenir le sans raison de l attachement au vivre Dire et redire encore redire autant de fois que la redite s impose tel est notre devoir qui use le meilleur de nos forces et ne prendra fin qu avec elles 43 J Lacan Le S minaire Livre VIII Le Transfert Paris Seuil 1991 p 459 44 L R Des For ts Pas pas jusqu au dernier op cit 125
5. mise supr me Hors du risque de la vie il n y a rien qui ladite vie donne un sens Dans le magnifique film de Raymond Depardon La Vie moderne il y a ce passage superbe o l on voit Marcel Privat ce vieil homme qui apr s une vie intense de travail se tient un peu au bord du monde R Depardon sait filmer le silence les pens es qui sont l et la fatigue de les formuler Cet homme le regard dans les lointains est sollicit par Depardon pour dire la vie qui s teint C est depuis votre maladie o vous avez t hospitalis Montpellier que vous avez vendu des brebis Lentement mais fer mement Marcel Privat se retourne affronte son interlocuteur d un regard plus que vivant et lui rappelle notre condition commune Oh non J ai vendu Je suis vieux Quand vous aurez 84 ans peut tre que vous ne ferez pas tant de photos que vous faites aujourd hui Notre rapport la mort oscille entre ces deux points la certi tude inconsciente de son immortalit et la croyance dans sa fin Quand je suis heureux j ai peur de mourir quand je suis mal heureux j ai peur de ne pas mourir partir de l l injonction freu dienne S organiser pour la mort contrairement un appel au suicide est un plaidoyer pour supporter la vie Freud propose de faire une place la mort une signification vide de repr sentation Il s agit non pas de vaincre la mort mais de vaincr
6. restaurants de sir nes qu il a song ce mythe pas tr s connu o on fait connaissance avec le seul h ros qui s offre la musique un conte vieux de trois mille ans C est en portant atten tion une petite phrase dans un texte crit par Apollonios de Rhodes Les Argonautiques que P Quignard rencontre Bout s Alors qu ils approchent de l le aux oiseaux t tes de femme les Sir nes les Argonautes entendant leurs voix taient pr s de s approcher du rivage mais Orph e prenant en main sa lyre charma tout coup leurs oreilles par un chant vif et rapide qui effa ait celui des Sir nes et la vitesse de leur course les mit tout fait hors de danger Le seul Bout s fils de T l on emport tout d abord par sa passion se jeta dans la mer et nageait en allant chercher une perte certaine gt Si Orph e contre les Sir nes en couvrant leur chant avec le bruit de sa cithare Ulysse s y prend tout autrement P Quignard relit ce passage de L Odyss e o Ulysse bouche de cire les oreilles de ses com pagnons et se fait attacher lui m me au m t de son navire Hom re dit que les Sir nes emplissent l me d Ulysse d un d sir d couter l tat pur Son stratag me lui permet d couter puis de laisser l le chant merveilleux des oiseaux et s carter de l le troite du plaisir contrairement Bout s 5 J Lacan crits Paris Seuil 1966 p 558 6 P Quignard B
7. sentiment de la futilit de l effort et le sentiment de la n cessit du combat la conviction de l in luctabilit de l chec et pourtant la r solution de r ussir et il souhaitait pouvoir comprendre que les choses sont sans espoir et cependant tre d cid les changer Le d sir la trag die du d sir est ce qui permet au sens et au non sens de se tenir c te c te sans forc ment que l un l emporte sur l autre Il est des moments d une existence o l on peut perdre cette orientation Le sujet n a pas d acc s direct ni au monde ni son image il doit en passer par l Autre m me devant l irr m diable lir r parable qui am ne rejeter cet Autre C est pourtant reprendre ce chemin que pourra rena tre la possibilit du vivre et du vivant Le film de Sean Penn Into the wild dit quelque chose de cela Apr s avoir obtenu son dipl me universitaire en 1990 Christopher McCandless quitte sa famille et sa r gion pour une gigantesque aven ture solitaire McCandless sillonne les r gions les plus sauvages de l Am rique mais son p riple s ach ve de mani re dramatique Il meurt de malnutrition en Alaska Son corps est retrouv le 6 sep tembre 1992 Ce jeune homme refuse la place que lui propose fhe society Tout coup c est une civilisation enti re qui se l zarde que peut on bien vouloir si ce n est une voiture neuve D cid ment le d sir ne se conf
8. Lecture Marie Jos Latour La t che de vivre Est il pire fa on d all ger ses regrets Que perdre le d sir de d sirer ce qui passe s C est comme s avouer battu avant la partie Au lieu de jouer franchement cartes sur table Jusqu la derni re et rire d avoir perdu Sachant que la mort ne conna t pas d chec Qv elle br le nos chances et d une main s re Nous tient t t ou tard sa merci Louis Ren Des For ts is 6 i ostinato Louis Ren Des For ts est ce po te qui d un pas ostinato et ce jusqu au dernier a su se tenir la hauteur du pr caire d une existence Vivre ne va pas tout seul Et pour cause En effet le petit d homme doit n cessairement en passer par l Autre pour apprendre ce qu il a faire pour vivre La sp cificit de l tre humain se marque par le fait qu il faut l homme beaucoup de pr paration pour en venir jouir de ce qui est n cessaire sa conservation En effet dans ses besoins les plus premiers l homme n a pas d objet qui ne se constitue sans quelque m diation D s lors que l homme parle ce qui donnera l id e Lacan de le nommer parl tre l instinct est sub verti et sa satisfaction probl matique Ce passage oblig par l Autre Ce texte reprend certains l ments de deux conf rences Cahors le 8 mars 2008 et Rodez le 28 mars 2009 donn es l invitation de mes coll gues du p
9. aphie de quitter la vie lui permet d envisager une r criture de son histoire sous la forme n gative Mais c est l une erreur d optique en quelque sorte car videmment c est seulement aux yeux des autres que sa derni re seconde a chang sa vie Certes e n art reti rer est parfaire mais le vivre implique que cela ne peut cesser de se retirer douard Lev pressent l intranquillit de ceux qui survivent ceux pour qui la douleur d exister semble pr f rable l inqui tude de ne plus tre ceux qui pr f rent le risque du d sir la garantie du n ant Des regrets Tu en eus pour la tristesse de ceux qui te pleu reraient pour l amour qu ils t avaient port et que tu leur avais rendu Tu en eus pour la solitude dans laquelle tu laissais ta femme et pour le vide qu prouveraient tes proches Mais ces regrets tu ne 23 Ibid 24 Lev Suicide Paris POL 2008 25 Ibid p 25 119 mensuel 46 les ressentais que par anticipation Ils dispara ftraient avec toi m me tes survivants seraient les seuls porter la douleur de la mort Cet go sme de ton suicide te d plaisait Mais dans la balance l accalmie de ta mort l emporta sur l agitation douloureuse de ta vie Lev a avanc sur un chemin qu il n a cess d obscurcir mesure qu il le clarifiait J ai dit ailleurs le travail inlassable de Cesare Pavese pour la transformation de la stupeur en clart
10. avoir v cu 14 370 jours 38 4875 heures 20 640 000 minutes douard Lev s est pendu le 15 octobre 2007 Sa femme l a trouv dans leur appartement Quelques jours aupara vant il avait rendu un manuscrit son diteur POL Le titre Suicide Ce livre est sorti quelques mois apr s Le lecteur se trouve donc devant un texte tr s particulier En effet l auteur n y parle pas direc tement de lui mais d un de ses amis d c d il y a pr s de vingt ans Ressassant une deuxi me personne du singulier la sonorit macabre c est une voix d outre tombe qui se fait entendre Un samedi au mois d ao t tu sors de chez toi en tenue de tennis accom pagn de ta femme Au milieu du jardin tu lui fais remarquer que tu as oubli ta raquette la maison Tu retournes la chercher mais au lieu de te diriger vers le placard de l entr e o tu la ranges d habi tude tu te diriges vers la cave Ta femme ne s en aper oit pas elle est rest e dehors il fait beau elle profite du soleil Quelques instants plus tard elle entend la d charge d une arme feu Il y a l un geste terrible indissociable de l ouvrage lui m me dont la mort volontaire est le centre Une sorte de fracture tempo relle brouille la chronologie l avant l apr s ce qui est ant rieur ce qui est posthume le personnage et son auteur le narrateur et le lec teur Que son geste ait t pr m dit ou non nul ne le
11. e la crainte de la mort Apr s nous avoir invit s faire la mort la place qui lui revient Freud conclut ce texte Supporter la vie reste bel et bien le premier devoir de tous les vivants Cela rejoint ce qu il dit dans un texte d introduction une discussion sur le suicide et que l on devrait rappeler tous les marchands de pr vention Le lyc e doit faire plus que de ne pas pousser les jeunes gens au suicide Il doit leur donner le d sir de vivre et leur offrir appui et soutien 18 J Lacan Conf rence Louvain 13 octobre 1972 in dit 19 Ibid 20 R Depardon La Vie moderne Ad Vitam 2008 21 S Freud Contributions la discussion sur le suicide 1910 dans uvres compl tes tome X Paris PUF 1993 116 La fa on dont un psychanalyste accueille la difficult de vivre est indissolublement li e ce qu il aura trait dans sa propre cure de son rapport au r el et la solution qu il a invent e pour assumer ce que Freud nommait le premier devoir du vivant Rendre la vie supportable Porter la main sur soi Adolescent je croyais que La Vie mode d emploi m aiderait vivre et Suicide mode d emploi mourir 2 C est ainsi qu douard Lev plasticien et crivain commence son autoportrait publi en 2005 un monochrome un catalogue raisonn d assertions concises o l auteur se d crit sobrement sous toutes les coutures du quotidien Apr s
12. er jusqu l insomnie les tenants et les aboutissants de ce geste terrible Il juxtapose constats physiques esth tiques psychiques ou moraux liste les jugements attitudes r flexes et petits faits qui mis bout bout constituent une fa on d tre au monde usant d une langue pr cise et sobre aussi blanche que possible une sorte de m canique de soi ni tout fait r cit ni tout fait mise en sc ne mais plut t une terrifiante lucidit qui confine une d personnalisation Ce n tait pas l conomie qui guidait tes choix mais ta manie d accumuler des v tements presque identiques Tu choisissais dans les magasins une version am lior e de ce que tu poss dais d j pour constituer la panoplie parfaite l uniforme universel qui te d barrasserait du devoir quotidien de choisir comment t habiller D avoir crit Je ne pourrai dire qu une fois sans mentir je meurs n a pas suffi produire l cart n cessaire ce que la vie reste vivable Tu seras toujours juste puisque tu ne parles plus toi les v rit s nous les erreurs En effet seuls les vivants sem blent incoh rents La mort cl t la s rie des v nements qui consti tuent leur vie Alors on se r signe leur trouver un sens Ta vie n avait pas encore atteint la coh rence des choses faites Ta mort la lui a donn e La folie d douard Lev est de vouloir inverser sa biogr
13. ires Dante bien que ne voyant personne autour d eux entend monter de toutes parts des plaintes l invitation de Virgile il arrache un rameau l un des arbres qui se lamente aussit t on apprend alors que les damn s sont ternellement transform s en arbres pineux et noueux Quand l me cruelle se s pare du corps dont elle s est elle m me arrach e Minos l envoie la septi me fosse Elle tombe dans la for t sans choisir sa place mais au lieu o fortune la jette l elle germe comme une gramin e Elle devient tige et plante silvestre les Harpies se paissant ensuite de ses feuilles lui font douleur et font la douleur fen tre Le jour du jugement dernier il sera interdit aux damn s de reprendre leur forme originelle tant donn qu ils se sont t la vie Nous reviendrons comme les autres vers nos d pouilles mais nulle ne s en rev tira car il n est pas juste d avoir ce qu on jette 7 Ibid p 15 111 mensuel 46 Nous les tra nerons ici et nos corps seront pendus par la triste for t chacun la ronce de son ombre hargneuse On peut sup poser que la dissuasion est la mesure de l attrait Si le suicide est un scandale c est bien parce qu il a cette beaut horrifique qui le fait si terriblement condamner par les hommes et aussi une beaut contagieuse qui donne lieu ces pid mies de sui cide que d aucuns ont a
14. le 5 de l EPFcL Anne Marie Combres et Lydie Grandet 1 L R Des For ts Po mes de Samuel Wood Saint Cl ment Fata Morgana 1988 2 L R Des For ts Ostinato Paris Mercure de France 1997 3 L R Des For ts Pas pas jusqu au dernier Paris Mercure de France 2001 4 E Kant R flexions sur l ducation Paris Vrin 1966 109 mensuel 46 est la condition de la satisfaction et ce passage oblig par le diff r de la satisfaction est l indication d une d perdition de jouissance Du m me coup l homme est le seul animal qui doit travailler Il se voit contraint une t che qu il imagine pouvoir tamponner cette d perdition de jouissance or cette d perdition est le propre m me de l humain il est donc heureux que cette t che reste impossible Cette t che aussi appliqu e soit elle n efface pas la tache que le signifiant inscrit sur le vivant De la salissure au travail il restera encore l attache car c est bien cela que le suicide interroge voire menace cela qui est au joint le plus intime du sentiment de la vie L analyse terme emprunt au grec attest depuis Aristote au sens de dissolution est donc cette d composition d une chose en ses l ments d un tout en ses parties Dans son dernier opus Bout s Pascal Quignard propose cette magnifique tymologie du terme ana lyse le d tachement de l attache C est dans la baie de Naples cause des
15. lib re d une situation intol rable mais cette lib ration n est pas la libert elle ne le m ne nulle part Je meurs donc je ne serai plus Jean Am ry ne perd pas de vue qu en mourant on ne se lib re pas de l Autre au contraire celui ci peut faire de ma vie achev e tout ce que bon ou mal lui semble 26 Ibid p 103 27 J Am ry Porter la main sur soi Trait du suicide Arles Actes Sud 1996 Je dois Colette Chouraqui Sepel de m avoir fait d couvrir les textes de J Am ry Qu elle trouve ici mes remer ciements pour son travail publi notamment dans la Revue du champ lacanien n 2 2005 28 J Am ry Par del le crime et le ch timent Essai pour surmonter l insurmontable Arles Actes Sud 2005 120 Comment aller au del du d sastre C est une question que l crivain japonais Kenzabur pose magnifiquement dans Notes de Hiroshima D sir et d sastre ne sont pas sans rapport Le d sir c est le d sastre D river s carte de la rive D sirer s carte de l astre L crivain japonais prix Nobel de litt rature t moigne dans ce livre de son exp rience de jeune romancier Il part en ao t 1963 Hiroshima donc dix huit ans apr s le 6 ao t 1945 faire un reportage sur la Neuvi me Conf rence mondiale contre les armes nucl aires alors qu il est confront dans sa vie personnelle une exp rience dra matique la naissance de son fils handicap et le s
16. n coupait la main qu il avait port e sur lui m me et qu on enterrait loin de l endroit o le corps tait enseveli ou sous Tarquin l Ancien o les cadavres des suicid s taient expos s en croix au regard des citoyens et livr s aux oiseaux de proie jusqu l histoire d Agn s Hellebic une Parisienne du xm si cle qui se voyant aban donn e par son amant en con ut un d sespoir tel qu elle se rendit nuitamment pr s d un puits entre la petite et la grande rue de la 8 Dante La Divine Com die traduction de J Risset Paris Flammarion 2004 9 J Lacan Le S minaire Livre V Les Formations de l inconscient Paris Seuil 1998 p 245 10 Cit par M Men s Suspendre le temps une nouvelle tentation dans Clinique du sui cide coordonn par G Morel Toulouse r s 2002 112 Truanderie s y pr cipita et s y noya son exemple plusieurs per sonnes l imit rent De l disent les chroniques du temps le puits rendez vous de tous les amants malheureux fut nomm puits d amour Les autorit s firent combler ce lieu de scandale devenu trop c l bre par la mort des jeunes gens dont il devint le tombeau Il y a toujours eu au long des si cles de grands mouvements qui font alterner condamnation et d p nalisation du suicide Jusqu au xvir si cle on parlait non pas de suicide mais d homicide de soi m me c est dire que l on nommait l un crime Le dernier film de Cla
17. ne S il s abolit il est plus signe que jamais mesure que s articule mieux pour ces sujets ce qui les fait s approcher de leur histoire ils refusent d entrer dans le jeu ils veulent en sortir Ils n acceptent pas d tre ce qu ils sont ils ne veulent pas de cette cha ne signifiante dans laquelle ils n ont t admis qu regret par leur m re La qu te peut s av rer d s lors tre une d clinaison de la fuite Qu il soit tout seul ne l emp che pas de continuer parler c est dire qu il continue d habiter le langage avant m me d habiter l Alaska ou un quelconque autre lieu Aussi seul qu il soit il y a quelque chose qui ne l abandonne pas c est qu il soit parlant Quand il est tout seul il continue parler Ce qui nous vaut d ailleurs quelques sc nes tr s dr les dans le film de Sean Penn par exemple au moment o alors qu il s appr te allumer un grand feu de tout un tas de planches et autres il mime un dialogue entre l enfant qu il tait et son p re Dis papa est ce que je peux allumer le barbecue cette fois Je t ai dit non etc En effet quand il est sur une le d serte il habite le langage et ses moindres pens es lui viennent de l et faut il le pr ciser ce n est pas avec le langage qu il pense c est le langage qui pense En fait d tre parlant a ne s efface pas c est a l inconscient
18. ond ni avec la volont ce jeune homme n en manque pas ni avec les biens Celui qui se re nomme Alexander Supertramp refuse de perp tuer l imposture paternelle et ne trouve d autre issue que celle d tre son tour cet enfant abandonn du p re alone in Alaska Le monde sans rep re ni horizon de celui qui d sire l inconnu la virginit d es paces conqu rir n emp chent pas l incommensurable m lancolie de celui qui veut dispara tre ne laisser aucune trace le gar on est parti en br lant ses papiers d identit ses conomies et sans donner de nouvelles ses proches et qui pr f re tre la pi ce manquante 37 Ibid p 476 477 38 S Penn nto the wild Path Distribution 2008 39 Rappelons que le signifiant commence non pas la trace mais ceci que l on efface la trace mais cela ne suffit pas les animaux aussi effacent leurs traces Il faut un effacement et ce que l on met la place une croix par exemple Une trace signifiante un effacement et un reste le paradigme tant la croix un trait barr ou comme Lacan le dit dans le S minaire VI le non du nom 123 mensuel 46 du puzzle Lacan le constate propos de ces sujets plus ou moins caract ris s par le fait d avoir t des enfants non d sir s Plus le sujet s affirme l aide du signifiant comme voulant sortir de la cha ne plus il y entre plus il devient un signe de cette cha
19. oto graphies autour d inconnus portant le m me nom que des artistes c l bres d funts Contact s par t l phone Fernand L ger Henri Michaux Eug ne Delacroix vinrent poser pour lui Des grands noms pour des visages anonymes De m me il partit pour les tats Unis pour photographier des villes telles que Berlin Stockholm Paris ou Bagdad Ou encore il imagina comment ailleurs il aurait pu changer facilement de nom pour devenir son tour Anne Onyme Dans un autre livre Journal il a supprim tous les noms propres et les dates dans des articles de presse pour composer un ready made propre susciter toutes les fictions Ses travaux portent la marque de son int r t pour l arch type le st r otype le squelette des choses Ainsi de ses s ries photographiques de pornographie habill e ou de joueurs de rugby sans terrain sans tenues et sans ballon o ne subsistent que les postures propres ces activit s Dans cet pinglage de traits autobiographiques cette confes sion litt raire Lev fait inventaire de ce qui lui tient lieu de lui m me une phrase apr s l autre chacune tant un constat que rien ne relie la pr c dente et la suivante Les commentaires l mo tion l analyse sont laiss s aux lecteurs Il repr sente il d crit mais 118 jamais ne se livre quelques r flexions ce sont ceux qui restent qui prendront le temps qu il faudra pour cherch
20. out s Paris Galil e 2008 110 Ainsi l a premi re fois o la forme analyse apparait dans le monde grec se situe au vers 200 du chant XII de l Odyss e d Hom re Ulysse est d li aveAvoav de ses liens K EOUOV par Eurylokhos et P rim d s dont les quatre oreilles sont bouch es par la cire pr alablement d coup e l aide d un couteau de bronze dans un g teau de miel Ainsi la premi re analyse r pertori e figure t elle l instant o sont d nou s les n uds qui enserrent Ulysse apr s qu il a pass sans mourir le Lien des lieuses Le mot seir n d rive de ser lier Le mot seira d signe en grec la corde 7 Le d tachement de l attache n est pas la rupture du lien Bout s le dissident dis sideo c est se d s asseoir pr cise Quignard monte sur le pont quitte le rang des rameurs renonce la soci t de ceux qui parlent saute par dessus bord et se jette dans la mer Ulysse le rus d noue le lien L issue laquelle travaille la psychanalyse est celle d un d nouement La beaut scandaleuse du suicide Dante dans son chef d uvre universel La Divine Com die indique que l enfer ne souffre aucune exception pour ceux qui ont t violents contre eux m mes Ainsi dans le chant XIII nous sommes avec Dante et Virgile dans le deuxi me giron du septi me cercle les gardiens de la for t de douleur sont les Harpies et des chiennes no
21. ppel l effet Werther Une pid mie de suicide chez les jeunes Allemands fut d clench e par la publication du premier roman de Goethe en 1774 Les Souffrances du jeune Werther o le jeune h ros se tue par d pit amoureux avec une arme feu Goethe fut lui m me un amant conduit mais au lieu de se suicider il crira une uvre universelle S il mettra un certain nombre d ann es prendre acte des limites de la condition humaine titre d un po me qu il crit en 1780 il crivit aussi un ami La question n est pas de savoir si un homme est faible ou s il est fort mais s il peut soutenir le poids de ses souffrances J ai sur v cu mon Werther Ce livre m est p nible et je crains toujours d prouver nouveau l tat pathologique o il a pris naissance Ce ph nom ne dramatique de contagion est connu depuis l Antiquit sous le nom de suicide des vierges de Milet Plutarque rapporte qu Milet une s rie de jeunes vierges se tu rent par pen daison La communaut dut faire passer une loi tr s particuli re toute jeune fille suicid e par pendaison sera conduite au cimeti re nue la corde au cou Il est dit que l pid mie s arr ta net Un m moire de 1817 sur le refus de s pulture aux suicid s raconte les peines inflig es qui vont jusqu la punition des cadavres ceux qui se donnaient la mort volontairement du Grec qui o
22. saura Le mes sage reste ind chiffrable Tu as laiss sur la table une bande dessi n e ouverte sur une double page Dans l motion ta femme s appuie 22 Lev Autoportrait Paris POL 2005 117 mensuel 46 sur la table le livre bascule en se refermant sur lui m me avant qu elle ne comprenne que c tait ton dernier message Lev ne cesse de parler de lui comme d un autre cet inconnu cet tranger in puisable ce gouffre sans fond Pourtant Lev n avait rien d une personne sinistre au contraire Sa vie fut moins triste que son suicide le laisse penser Ceux qui l ont c toy en t moi gnent il leur avait paru dr le fin affable Cela ne l emp che pas de vivre dans un sentiment d chec permanent alors que je ne rate pas sp cialement ce que j entreprends H las Celui qui cherche crire dans une langue que n alt reraient ni la traduction ni le pas sage du temps nous donne l une id e de ce que porte le rejet de l inconscient Consentir au ratage est ce qui semble impossible au sujet m lancolique C est en ce sens que Lacan peut dire que le sui cide est le seul acte r ussi Lire les livres de Lev nous confronte son acharnement perfectionner le perfectionnement ter toute trace subjective supprimer l index du d sir effacer la faute propre l existence orien tent son travail Il a ainsi construit sa premi re s rie de ph
23. si ne franchit il pas l oc an Ce r ve d un r ve d u il l a utilis pour lutter contre les insomnies et quand il mourut d une crise cardiaque il tait en train d annoter un article sur l quipe de football de Princeton Lors qu il num re les cinq personnes qui ont compt dans sa vie c est pour conclure Si bien qu il ne me restait plus de Je plus de base o tablir le respect de moi m me C tait trange de ne pas avoir de soi d tre comme un petit gar on laiss tout seul dans une grande maison et qui sait qu il peut d sormais faire tout ce qu il veut mais s aper oit qu il n y a rien qu il ait envie de faire Ainsi comme George Perec dans L Homme qui dort il s aper oit qu il n y avait pas de labyrinthe faux prisonnier sa porte tait ouverte J avais le sentiment d tre debout au cr puscule sur un champ de tir abandonn un fusil vide la main et les cibles des cendues Aucun probl me r soudre simplement le silence et le seul bruit de ma propre respiration Ce n tait pas de d courage ment que souffrait Fitzgerald Il savait qu il fallait tenir en quilibre 32 F S Fitzgerald La f lure dans La F lure Paris Gallimard 1963 p 485 33 Ibid p 499 34 Veiller dormir dans La F lure op cit p 456 35 F S Fitzgerald La f lure op cit p 492 36 Ibid p 489 122 le
24. siste M me si vous remplissez une douzaine de pages en recopiant Je ne peux pas crire je ne peux pas crire je ne peux 29 K Notes de Hiroshima Paris Gallimard 1995 30 P Quignard Vie secr te Paris Gallimard 1998 p 169 170 31 D Bernard Les Mots de fausse esp rance in dit 2009 121 mensuel 46 pas crire cinq cents fois je pourrai au moins dire qu telle date nous avons re u un manuscrit de F Scott Fitzgerald C est bon r pondit Scott Je vais crire tout ce que je peux crire sur le fait que je ne peux pas crire Cela donnera ce texte extraordinaire qui est bien plus que l histoire d une assiette f l e m me si toute vie est bien entendu une entreprise de d molition Fitzgerald explique s tre sevr de toutes les choses qu il aimait parce qu il tait incapable d at teindre l id al L imp ratif d optimisme de succ s et d panouisse ment personnel de notre soci t conduit le plus souvent la fatigue d tre soi Le vieux r ve devenir l homme complet dans la tra dition Goethe Byron Shaw est rel gu au tas de d tritus o figu raient les paulettes En effet Fitzgerald n a pas t assez solide pour faire partie de l quipe de football de Princeton et deuxi me d ception pendant la Grande Guerre peine son unit avait elle re u l ordre d embarquer que ce fut l armistice ain
25. t fortement sur notre vie et c est cela qui int resse Freud et qui nous int resse Le penchant exclure la mort des comptes de la vie a pour cons quence bien d autres renon cements et exclusions Pourtant comme le rappelle la devise de la Hanse il est n cessaire de naviguer il n est pas n cessaire de vivre mettre avec Freud cette devise au premier plan nous nous trou vons dans la perspective promue par la psychanalyse la meilleure fa on de commencer donner un sens la vie c est de ne pas croire que c est elle m me qui est le sens Dans une conf rence c l bre Lacan interpellait ainsi son audi toire La mort est du domaine de la foi Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir bien s r a vous soutient Si vous n y croyiez pas est ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez Si on n tait pas solidement appuy sur cette certitude que a finira est ce que vous pourriez supporter cette histoire n anmoins ce n est 16 Ibid p 143 17 E lonesco cit par J Allouch rotique du deuil au temps de la mort s che Paris EPEL 1997 115 mensuel 46 qu un acte de foi En effet si le discours analytique donne un sens tout un tas de choses de comportements il n aboutit pas donner un sens la vie La vie n a qu un sens c est de pouvoir la jouer On a donc un paradoxe la vie n a jamais autant d int r t que lorsqu on peut risquer la
26. t la mort op cit p 149 114 ne tueras point ne peut se dresser que contre une impulsion tout aussi forte Ce qu aucune me humaine ne d sire on n a pas besoin de l interdire Pas facile reconna tre pourtant une fois de plus nous avons v cu psychologiquement au dessus de nos moyens et ne devons nous pas faire demi tour et confesser la v rit Notre inconscient se conduit comme s il tait immortel Nous prenons la mort au s rieux reconnue comme abolition de la vie et la fois nous la nions et la r duisons rien Nous reconnaissons la mort de l autre et nous nions la n tre Car nous nous pensons immor tels Personne au fond ne croit sa propre mort ou ce qui revient au m me dans l inconscient chacun de nous est persuad de son immortalit Preuve en est poursuit Freud l insistance que nous mettons ravaler la mort du rang de n cessit au rang de hasard en voquant le hasard d une circonstance occasionnant la mort acci dent maladie grand ge Ionesco fait de cette d raison la mati re de son humour J avais fini par comprendre que l on mourait parce qu on avait eu une maladie parce que l on avait eu un accident et qu en faisant bien attention ne pas tre malade en tant sage en mettant son cache nez en prenant bien ses m dicaments en faisant attention aux voitures on ne mourrait jamais Ce rapport la mort agi
27. ude Chabrol Bellamy met en sc ne cette id e que tout meurtre comporterait cette dimension de supprimer quelque chose de soi Que signifie sui dans suicide Se tuer sui caedere se donner la mort mourir de sa propre main Pourquoi et comment peut on en arriver vouloir se tuer soi m me La r ponse on s en doute est multiple et complexe qu elle rel ve de l h ro sme du sacrifice de l amour de la fatigue de vivre ou de l insupportable Si aujourd hui le suicide n est pas un d lit p nal il reste un probl me d une rare complexit Antigone Diog ne Montherlant Tacite N ron Kurt Cobain Nicolas de Sta l Cesare Pavese Fran oise Sagan Brutus Paul Celan Primo Levi Patrick Dewaere s ur Sourire disent chacun qu il y a certainement autant de raisons de vouloir mourir que d autres diront qu il y a d en vies de vivre Cette diversit de positions subjectives devant le sui cide nous invite ne pas minimiser ce qui m me en rester l in tention est toujours l indice de la rencontre avec un impossible L homme est l tre qui peut se tuer mais ne doit pas le faire Cesare Pavese inscrit sobrement cet acte proprement humain dans le cadre de ce paradoxe La mort est le repos mais la pens e de la mort trouble tout repos Notre rapport la mort Notre pente condamner celui qui se donne la mort volontai rement met en vidence notre tendance vouloir excl
28. uicide de son meilleur ami Il relaie dans ces pages les t moignages des hibukisha cartel s entre le devoir de m moire et le droit de se taire Quel sens donner une vie d truite Ne c der ni l exc s du d sespoir ni l enivrement d une vaine esp rance exige de ne pas taire la tra g die de ne pas la rejeter mais au contraire de la consigner de l tu dier C est cette condition l que vivre reste possible Escompter esp rer attendre restent un pari incertain dont l unique certitude est la mort Nous peinons pour viter le trou noir du n ant Lors des journ es nationales des coll ges de clinique psychanalytique Rennes David Bernard a su faire r sonner la marge troite o se tient l thique de la psychanalyse Parler sans espoir est l exact cart d un dit d prim Un texte de F Scott Fitzgerald t moigne remarquablement de cette difficult de trouver la sortie de s en sortir Il s agit de La F lure crit dans le contexte que son diteur voque en pr ambule cette nouvelle Il est all voir l crivain Baltimore la fin de 1935 pour lui demander pourquoi il ne lui envoyait plus d articles F S Fitzgerald malade en proie l alcool puis par les allers et retours l asile o est enferm e Zelda lui r pondit C est que je ne peux plus crire Mais son diteur sous la pression des administrateurs du jour nal in
29. ure la mort des comptes de la vie Le suicide convoque d embl e ce dont Freud fait le titre d un article qu il crit dans une autre actualit celle de 1915 11 C Chabrol Bellamy Tr Distribution 2009 12 C Pavese Le M tier de vivre Paris Livre de poche p 128 113 mensuel 46 en pleine Premi re Guerre mondiale notre rapport la mort La complexit qui y est l uvre est du m me ordre que celle que Georges Bataille met au centre de son uvre La violence et la mort qui la signifie ont un sens double d un c t l horreur nous loigne li e l attachement qu inspire la vie de l autre un l ment solennel en m me temps terrifiant nous fascine qui introduit un trouble souverain Le mort est un danger pour ceux qui restent s ils doivent l enfouir c est moins pour le mettre l abri que pour se mettre eux m mes l abri de cette contagion Devant cet v nement universel et irr cusable devant la seule chose dont nous soyons certains l pouvante et la d raison souvent nous gagnent C est une trange faiblesse de l esprit humain que jamais la mort ne lui soit pr sente quoiqu elle se mette en vue de tous les c t s et sous mille formes diverses Les mortels n ont pas moins soin d ensevelir les pens es de la mort que d enterrer les morts eux m mes crivait Bossuet en 1666 Sa propre exp rience a conduit Freud

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