La bonté, mode d`emploi
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1. L intelligence en pratique A PAR JULIE PAYSANT 72 11 RNA 1 UIPI 66 LE MONDE DE L INTELLIGENCE N 38 SEPTEMBRE OCTOBRE 2014 LASSEDESIGNEN FOTOLIA LA BONT mode d emploi D apr s de r centes d couvertes en neurosciences et plusieurs philosophes l homme serait fonci rement g n reux et pr t aider les autres Ce serait m me une condition essentielle son bonheur aire preuve d altruisme serait plus naturel qu on ne le croit Fini le mythe d apr s lequel nous descendons d un grand singe tueur ou encore celui nous faisant croire que les peuples primitifs comme les Yanomami d Am rique du Sud se complaisent dans la souffrance De r centes tudes montrent que l homme serait naturellement pouss aider son prochain comme la plupart des esp ces animales d ailleurs Dans la lutte pour la survie l tat sauvage explique ainsi le philosophe Andr Comte Spon ville le fait que chaque individu fasse preuve d altruisme est un avantage s lectif pour l esp ce JACQUES LECOMTE est docteur en psychologie et pr sident d honneur de l Association fran aise et francophone de psychologie positive France ANDRE COMTE SPONVILLE est philosophe et membre du Comit consultatif national d thique France DIDIER GOUPY VINCENT CESPEDES est philosophe etessayiste France PHILIPPE MATSAS FLAMMARION BERNARD STIGLER est philosophe2. UNE PR DISPOSITION QUI S EXPRIME D S LA PRIME ENFANCE Une tude de l Association am ricaine de psychologie le confirme aujourd hui en r v lant la dimension universelle de cette atti tude spontan e En interrogeant quelque 240 000 personnes vivant dans 136 pays diff rents les chercheurs ont constat que les hommes et femmes du monde entier aiment aider et en retirent un b n fice personnel le fait de donner de l argent quelqu un qui en a besoin par exemple leur procure un v ritable plaisir sorte de lueur chaleu reuse warm glow int rieure Et ceci autant dans les pays riches que dans les plus d munis Cette tendance est en outre pr sente d s le plus jeune ge constatent des chercheurs en psychologie de l Institut Max Planck Leipzig D s quatorze mois les trois quarts des enfants aident spontan ment quatre fois sur dix des adultes en difficult l ge de dix huit mois le r sultat grimpe m me sept fois sur dix L ducation ne semble d ailleurs pas d velopper ce comportement mais plut t s appuyer sur une pr disposition inn e chez l enfant CONTAGION ALL GRE Cette inclination fonda mentale c est tout simplement l empathie soit la capacit de se r jouir de la joie d autrui et de s at trister de sa peine C est ce qui explique que l chelle d une population il existe une nette corr lation entre le degr d engagement vis vis d autrui et le nive
3. au de satisfaction g n rale au point qu on pourrait se demander s il est possible d tre heureux sans faire preuve de bont Pour le philosophe Vincent Cespedes en effet le bonheur individuel repose largement sur le rapport autrui et une certaine g n rosit Il se transmet d une personne l autre de la m me fa on que le rire ou le b illement explique t il gr ce ce que les scientifiques appellent l cho praxie soit la tendance r p ter kh certains g Les zones c r brales de la r compense sont stimul es lorsque lon fait preuve de g n rosit et de coop ration 77 comportements praksis autrui Une main aidante donne ainsi envie d aider d autres personnes g n rant une sorte de contagion all gre au sein du groupe OPTIR ALISME I serait videmment absurde de nier l existence de l go sme et de la violence voir l encadr Une certaine dose d ambition indivi duelle pourrait m me tre n cessaire l panouis sement personnel Pour autant cela ne prouve pas que celle ci soit au c ur des rapports sociaux ni une ultime explication pour tous les comportements individuels comme le pr supposent nombre d co nomistes ou de chercheurs en relations internatio nales par exemple On peut tr s bien partir du principe que Phomme est fonci rement bon sans se montrer na f r torque ainsi le psychologue Jacques Lecomte Pour
4. d passer une alternative qu il juge exag r ment optimiste ou pessimiste il pr conise d adopter une perspective dite optir aliste consistant miser sur le fait qu autrui r agira posi tivement si l on se montre bon avec lui Il ne s agit pas de prendre des coups autrement dit mais de tendre la main et ainsi d am liorer les choses La mise en pratique de cette bont n cessite simple ment de passer l tape du premier pas puis la force de l habitude nous emporterait rapidement dans un cercle vertueux BIENVENUE DANS L RE DU CONTRIBUTIF Une vision trop utopiste trop magine de John Lennon et donc peu cr dible Pas si s r C est ce qui a t dit des grands r volutionnaires humanistes de ces derni res d cennies le militant antiapar theid Nelson Mandela l opposant aux dictatures sovi tiques Vaclav Havel ou encore la militante pacifiste birmane Aung San Suu Kyi Autant de personnalit s qui ont mis raison sur la bont humaine quand les pragmatiques de tous bords 68 LE MONDE DE L INTELLIGENCE N 38 SEPTEMBRE OCTOBRE 2014 Faire preuve de bont alors que l on est violent oppress opprim Plus facile dire qu faire Parfois les hommes loin de rendre heureux ceux qui les entourent peuvent se comporter en v ritables bourreaux L enfer c est les autres remarquait cet gard le philosophe Jean Paul Sartre Dans un essai para tre la rentr e l
5. der les uns les autres sans forc ment attendre de contrepartie si ce n est d tre aid en retour montre galement que ce mod le tient la route Nous entrons dans l re du contributif avance ainsi le philosophe Bernard Stiegler une conomie fond e sur la parit le pair pair et la participation commune des projets collaboratifs Pour la premi re fois en 2014 par exemple les sites de financement participatif ont s duit plus d un million de Fran ais Preuve que la donne pourrait bien tre en train de changer gt Comte Sponville Le Go t de vivre et cent autres propos Albin Michel 2010 gt J Lecomte La Bont humaine Altruisme empathie g n rosit Odile Jacob 2012 gt V Cespedes Magique tude du bonheur Larousse 2010 gt B Stiegler dir L cole le num rique et la soci t qui vient Fayard Mille et une nuits 2012 gt L B Aknin et coll Journal of Personality and Social Psychology avril 20153 gt F Warneken F et M Tomasello Infancy mars 2007 gt Barom tre ler semestre 2014 r alis par CompinnoV pour Financement Participatif France LE MONDE DE L INTELLIGENCE N 38 SEPTEMBRE OCTOBRE 2014 69
6. e psychiatre Christophe Andr et le philosophe Martin Steffens s attaquent ainsi une question fondamentale en psychologie positive d pend il vraiment de soi d tre heureux Y N J DRN WIN MCNAMEE GETTY IMAGES lorsqu on est en proie l adversit d autrui par exemple Selon Martin Steffens il serait absurde de nier que la vie est faite de coups et de confrontations avec les autres Pour autant il reste fondamental d accepter ces moments p nibles comme autant d preuves et de garder foi en l autre comme condition du bonheur l image d un couple qui se jure sinc rement fid lit au mariage tout en sachant que le taux de divorce est aujourd hui lev Christophe Andr va dans le m me sens notant que l id al de fr r la psychologie positive est une conjonction singuli re d optimisme et de lucidit Les deux auteurs ne se limitent cependant pas la question d autrui ils envisagent au fil d un dialogue nourri et f cond d autres chemins pour se rapprocher du bonheur au quotidien y compris individuels comme la m ditation et l introspection gt C Andr et M Steffens Qui nous fera voir le bonheur Le Passeur septembre 2014 Fr d p i R F RENCES jugeaient irr m diables les conflits dans lesquels ils taient engag s Aujourd hui lexplosion des syst mes partici patifs sur Internet et de la sharing economy permettant des individus de s ai
7. etessayiste France ISABELLE WATERNAUX Chaque membre a en effet davantage de chances de survivre et donc de transmettre ses g nes que dans une horde qui ne conna t que l go sme la violence et la rivalit C est pourquoi moyen long terme les seconds auront disparu quand les premiers continueront de se perp tuer LA COOP RATION UNE QUESTION DE SURVIE Plus concr tement un go ste cons quent comprend qu il a personnellement int r t aider les autres L homme est l esp ce qui a pouss ce raisonnement jusqu au bout en constituant des soci t s organi s es Vivre sous l gide d une communaut poli tique cela revient renoncer des penchants LE MONDE DE L INTELLIGENCE N 38 SEPTEMBRE OCTOBRE 2014 67 L intelligence en pratique go stes comme tuer ou voler pour b n ficier de Paide du groupe qui interpellera les assassins et les voleurs le but tant de maximiser ses chances de survie Si cette th orie est bien connue des philosophes depuis le XVIIe si cle elle est aujourd hui confor t e par les derni res recherches en neurobiologie l imagerie c r brale indique en effet que notre cerveau appr cie les actes altruistes dans la mesure o les zones de la r compense sont stimul es lorsque l on fait preuve de g n rosit et de coop ra tion Autrement dit chaque homme prouverait un plaisir personnel faire le bien autour de lui
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