LE FABULISTE ET L`IMAGIER Anne-Elisabeth SPICA
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1. 29 29 Voir la pl 1 Mentionnons que la vignette en situant sur le portique d une galerie le tableau qui sert de d part la fable rappelle explicitement un autre livre grav pris par les fabulistes et les embl mistes au XVII si cle au m me titre que le Songe de Poliphile Les Images ou tableaux de Platte peinture des deux Philostrates sophistes grecs voir sur ce livre et sa traduction par l humaniste Blaise de Vigen re les travaux de R CRESCENZO et de M FUMAROLI ainsi que sa r cente r dition comment e avec les planches par Fr GRAZIANI Paris Champion 1996 118 Quand il fut en l ge o la chasse Plait le plus aux jeunes esprits Cet exercice avec m pris Lui fut d peint 30 Au moment o l on croit avoir obtenu stabilisation entre le texte et l image Et comme ce logis plein de magnificence Abondait partout en tableaux Et que la laine et les pinceaux Tra aient de tous c t s chasses et paysages 31 la catastrophe de la narration vient brouiller l harmonie pressentie en rapportant la mort du jeune homme image absente qui l emporte sur les autres dans l esprit du lecteur La fable dialogue avec son image trouve sa structure textuelle par rapport elle Le meilleur exemple s en trouve sans doute dans la fable double Le Loup la Ch vre et le Chevreau IV 15 et 16 voir la pl 2 La gravure est partag e verticalement en trois sections gales A gauche le regard fuit vers l2. un Habitant du Mogol XI 4 ou au Paysan du Danube XI 7 33 Qui signifie tout autant comprendre se repr senter par l esprit la substitution de savoir voir au dernier vers n est pas indiff rente 34 Le Mal Mari VII 2 v 7 et 11 35 Le Rat qui s est retir du Monde VII 3 v 32 33 36 Rien de trop IX 11 v 1 2 Un semblable tissage de l image et du texte s me la fable de figures qui donnent voir Dans Le Berger et le Roi X 9 la fable s ouvre sur une fabulation v 1 7 aussit t transform e en narration d apologue par la substitution de dire voir 37 Le corps de l apologue met en sc ne toute une s rie de visions le Roi a vu le troupeau bien soign du Berger v 11 15 le Berger n a gu re vu d autres gens qu un Ermite v 19 qui s adresse au Berger comme s il tait un songe v 24 et lui raconte apologue dans l apologue l histoire de l aveugle et du serpent v 32 47 Ces visions font image dans les figures avec lesquelles joue l criture Les dialogismes proposent de petites prosopo p es l apologue dans l apologue renvoie une sorte d hypotypose Ces figures sont leur tour illustr es stylistiquement par d autres figures m tonymie qui transforme le Berger en figure iconologique v 18 polyptote allit ratif qui actualise la nature glissante de la faveur v 25
3. 26 usage r it r de l ironie et de l antiphrase qui va croissant au fur et mesure que l on s appr te r v ler le contenu du coffre aux v ritables tr sors et avec eux les enseignements de la moralit Le rythme de la figure mod le d s lors celui de la prosodie remar quable et remarqu e chez La Fontaine mais voici qui nous conduirait de l image aux images Les Fables ou l image mode d emploi voici le propos de La Fontaine en introduisant dans le genre primat de l crit sur l ic6ne et modernit de la n gligence mondaine vive et fluide sur limitation imm diate le d calque serait on tent de dire de sources en voie de d su tude Comme une m daille dont la valeur r side dans le juste quilibre entre l avers et le revers la fable lafontainienne d veloppe ses potentialit s po tiques qui rythment et rendent active l imagination de lecteur par l quilibre entretenu entre ses degr s d image Et de fait on peut au propre parler d une rh torique de l image qui la fait jouer avec les mots Il n est pas question de construire une herm neutique de la fable mais bien d analyser un texte dans ses n uds dans son labyrinthe ludique o la d ception de sens suscite l enrichissement de la forme et le plaisir du texte passe d abord par son imagination plaisante A preuve peut tre ce besoin jamais assouvi depuis d illustrer les Fables 38 depuis que La Fontaine en lib rant l image de l al
4. Fontaine est loin d ignorer ce ph nom ne ici tr s rapidement sch matis mais alors longuement discut Familier de Nicolas Fouquet qui fut non seulement le trop d pensier ministre de Louis XIV mais aussi un bibliophile passionn d all gories d hi roglyphes et d embl mes ami de l rudit Pierre Daniel Huet qui publia la premi re th orie fran aise du roman en faisant de ce genre le d veloppement narratif des all gories recel es dans les fables La Fontaine se revendique express ment de cette tradition 11 Car qu y a t il de recommandable dans les productions de l esprit qui ne se rencontre dans l apologue C est quelque chose de si divin que plusieurs person nages de l Antiquit ont attribu la plus grande partie de ces fables Socrate choisissant pour leur servir de p re celui des mortels qui avait le plus de commu nication avec les dieux nous voyons que la V rit a parl aux hommes par paraboles et la parabole est elle autre chose que l apologue c est dire un exemple fabuleux et qui s insinue avec d autant plus de facilit et d effet qu il est plus commun et plus familier 12 7 Mentionnons le d s ici La Fontaine reprend ces d nominations dessein dans la pr face du premier recueil pour d finir la structure de l apologue L apologue est compos de deux parties dont on peut appeler l une le corps l autre l me Le corps est la fable l me la moralit in
5. La Fontaine uvres compl tes Fables contes et nouvelles d J P COLLINET Paris Gallimard coll La PL iade 1991 p 9 Sur ces ouvrages voir A M BASSY I cit pp 29 35 Par exemple encore neuf ans avant la premi re dition des Fables de La Fontaine Rapha l Du Fresne Figures diverses tir es des Fables d Esope et expliqu es par R D F Paris Cramoisy 1659 Voir J M CHATELAIN Livres d embl mes et de devises une anthologie 1531 1735 Paris Klincksieck 1993 notice 65 p 139 10 Lad monstration sort des bornes de cet article on se permettra de renvoyer a des travaux personnels A E SPICA Symbolique humaniste et embl matique L volution et les genres 1580 1700 Paris Champion 1996 pp 189 226 11 Concernant les lectures de La Fontaine et les d bats sur la fable au moment ou il compose les siennes voir l introduction nourrie et remarquablement document e de M FUMAROLI son dition des Fables Paris Imprimerie nationale 1985 reprise au Livre de Poche coll La Pochot que 1995 12 Pr face du premier recueil des Fables d Pl iade p 7 CC 115 Il ouvre ainsi son premier recueil des Fables sur La vie d Esope le Phrygien et il met en place toute une s rie d anecdotes o Esope s exprimant par images tient un langage all gorique ce mode d interpr tation est r it r dans la derni re fable du L Il v ritable mise en abyme du genre le Testament
6. fable l autre A nouveau image et langage se mettent l un l autre en perspec tive D une part on change de loup aux v 30 31 et la construction unitaire du personnage principal dans l image initiale se voit mise distance par un texte charg de l approfondir Ce Loup me remet en m moire Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris D autre part l appel la rem moration cet exercice d imagination assure la continuit d une narration qui d ment la simple juxtaposition des fables 15 et 16 La fable double est bien plut t d doubl e Le reflet de l une dans l autre rev t alors toutes sortes de nuances voire de mouvances qui complexifient l image et la narration La premi re fable se composait de deux s quences la seconde de trois qui assurent l encadrement complet des deux derniers pans de l image grav e v 33 38 le loup guette les animaux d une ferme 39 50 le loup et la villageoise 51 61 la mort du loup R sumons ici les changes Ce qu il y a de plus pictural voire pittoresque dans le corps de la fable l num ration des animaux de la ferme v 35 37 ou la chasse au loup est laiss de c t Est repr sent dans l image grav e le moins spectaculaire le moins susceptible d amplification narrative le loup en train de regarder et nous l apprenons peu peu en train d couter la villageoise mais ce qui constitue la catastrophe Cette derni re est fond
7. fable avant La Fontaine recourt constamment l illustration grav e en mani re d embleme pour mieux accompagner par la repr sentation du symbole l ascension du discours vers le sens avec La Fontaine la fable a droit de constitution non seulement textuelle sur la page d un livre mais proprement litt raire le discours suffit prendre en charge toutes les potentialit s d une signification figur e L image dans le texte de la fable n a plus besoin d un support grav ni herm neutique La morale de La Fontaine d un point de vue po tique c est l extraordinaire libert gagn e par l image en fluidit en capacit d adaptation toutes les formes du discours en visualisation ou au contraire en estompage Plus que de l extraordinaire ou du merveilleux ces deux par dres de l all gorie la fable d veloppe une plasticit suggestive de l image Tel est le r le des verbes de perception li s au sens de la vue ou des d ictiques constamment r it r s Dans Le Chien qui l on a coup les Oreilles X 8 si la vignette situe au centre exact de la composition la t te du chien d gag e dans un mouvement de torsion pour regarder ses ma tres et ainsi visiblement priv e d oreilles on les discerne aux pieds du chien la focalisation l incipit rend elle plus vive l acuit du regard que porte le protagoniste sur sa condition en amenant le lecteur le voir en l entendant Qu ai je fait
8. par l Homme lll 10 la parole et l image s paulent pour mieux assurer la progression de la fable en substituant au tableau grav le tableau d crit puis au tableau d crit celui que constitue la narration par rapport la moralit implicite qui se d gage des deux derniers vers La vignette grav e est mise en abyme par le texte de la fable tandis que l vocation au dernier vers de lions potentiellement peintres ouvre la fable vers un tableau venir l infini 29 L image distingue l image anticipe ou retarde corps et ame de la fable dont il convient d expliquer le dessein dans son rapport avec son dessin qu il soit parall le enrichissant nigmatique en redoublant ainsi l nigme de l image grav e ou fonctionnant de mani re antiphrastique Ainsi dans L Horoscope VIII 16 la vignette montre un jeune homme qui s lance avec passion vers une tapisserie repr sentant une chasse au lion Or la narration de la fable voque d abord la d fense paternelle d aller chasser et la premi re mention d un verbe descriptif s oppose l image initiale 26 Le Tableau Nouveaux Contes Pl iade p 887 27 Autre genre du XVII si cle moral ou d votionnel li dans sa facture la fable et l embl me Les Peintures morales les plus connues sont les deux volumes du j suite Pierre LE MOYNE Paris 1640 et 1643 28 D dicace du premier recueil A Monseigneur le Dauphin Fables Pl iade p
9. pour me voir ainsi Mutil par mon propre ma tre Le bel tat o me voici Devant les autres Chiens oserai je paraitre L interrogation initiale de la fable mise en sc ne par la gravure le dogue se trouve entre deux groupes de personnages en conversation est ainsi double 121 ment prononc e le texte prend en charge l oralisation animali re sa correction par le narrateur et instaurant un jeu dialectique entre les voix et leur mise en image grace a ces va et vient de paroles sugg re la moralit implicite certes comme un d voilement de l tre sous un para tre initialement vant pour mieux en manifester l inanit la vaine parure que seraient les oreilles pour un chien de meute qui sait l usage pr f rer l utile l agr able mais d abord comme une succession de traits de parole qui content l il du lecteur des histoires d oreille Motiv es par le verbe voir au v 10 33 sous la forme d un discours indirect libre applicable aussi bien au chien qu l auteur de la fable elles ins rent des s quences narratives implicites qui sont autant d apologues potentiels car progressivement nonc es sous la forme gnomique car tant de nature A piller ses pareils mainte m saventure Laurait fait retourner chez lui Avec cette partie en cent lieux alt r e Chien hargneux a toujours l oreille d chir e Le moins qu on peut laisser de prise aux dents d autrui C est le mieux Quan
10. vis e de textes o r gne ce point la pr sence de l image n est pas ou plus de l ordre d une intellection id elle La gravure et le texte sa suite ne sont pas une simple et provisoire m diation vers une image sup rieure et v race mais maintiennent la fable et son lecteur dans le discours ainsi multipli et interrog La moralit de la fable n est donc pas seulement d ordre moral comme on l expliquerait peut tre facilement et rapidement au risque de la paraphrase mais bien davantage d ordre esth tique Car une mise en texte une fable qui offre son propre miroitement d voile d abord les moyens de sa litt rarit Pour paraphraser le titre d un des grands sp cialistes de l image renaissante E Gombrich l all gorie est une forme et non plus une norme Quand il n y a plus inf odation t l ologique entre l image visuelle et l image crite la seconde d livre symboles et plastique ornementale travers les intermittences de la premi re pour donner ce jeu si fascinant du plaisir du texte barth sien Limage est le plus haut degr mais non pas le plus haut sens o culmine la fable lafontainienne 3 TEXTUALISATION DE L IMAGE IMAGINATION DE LA FABLE La fable est performative Elle est sa propre mise en sc ne en faisant jouer le th tre aux cent actes divers de la vie en ses lignes La fable construit mieux dessine sa propre cr ation en explicitant la Cr ation Si la
11. 666 E 25 et 34 La Fontaine conna t le texte de Pline l Ancien J Zetter 21 ou aux ouvrages c l brissimes alors et sans cesse paraphras s du ma tre de Rubens O van Veen 22 Tandis que l l phant dans Le Rat et l El phant VIII 15 renvoie par la graphie a la monumentalit de ces animaux au long des planches du Songe de Poliphile si pris par La Fontaine 23 et les repr sentations animali res aux nombreuses illustrations des Fables d Esope a rebours la fabrique qui sert de d cor a la fable des Deux Pigeons IX 2 adapte a un r cit emprunt de Pilpay un motif que l on trouve souvent en toile de fond des embl mes li s un apologue sopique On pourrait multiplier loisir ces exemples qui servent ici davantage rappeler un contexte iconique longtemps n glig 24 et en sugg rer le parcours qu en d montrer chaque occurrence En 1668 voil qui a valeur de manifeste au moment o une France moderne qu on appellera classi que cent cinquante ans plus tard tout aur ol e des victoires de son jeune roi sur l Europe s appr te rel guer loin de son esth tique l intelligence ancienne de la Fable c est dire d une pr sence forte de l all gorie et du pouvoir spirituel de l image travers l usage des r cits li s la mythologie gr co latine pour n en plus conserver que la forme valeur d ornement 25 Si l image et l all gori
12. Morosophie de Guillaume de LA PERRIERE Paris 1539 reprin Londres Scholar Press coll Emblem Series 1993 ou l Hecatomgraphie de Gilles CORROZET Paris 1640 d critique Ch OULMONT Paris Champion 1905 reprise aux Ed Plein Chant Bassac 1996 Ils sont les premiers continuateurs du juriste milanais Andr Alciat le fondateur du genre voir infra note 17 15 L Art des Embl mes 2 d Paris R J B de La Caille 1684 pp 27 29 16 Sans qu on puisse le dire pr cis ment pour chaque planche on sait que La Fontaine et CHAUVEAU on ravaill en collaboration assez troite 17 Pages 91 25 61 et 116 entre beaucoup d autres exemples Les Embl mes d Alciat furent publi s pour la premi re fois Augsbourg en 1531 et connurent pr s de deux cents ditions Les r f rences donn es ici son celles de l d Lyon Rouill 1558 La Fontaine a vraisemblablement utilis une des ditions Rouill et celle ci est en outre facilement disponible reprint Paris Aux Amateurs de Livres Klincksieck 1989 18 Le meilleur repr sentant en est sans nul doute Jacob CATS l l gance des vignettes embl matiques a assur le succ s de nombreuses r impressions au long du XVII si cle de son Sil ne d Alcibiade Middelburg 1618 ou de son Miroir de l Ancien et du Nouveau Monde Gravenhague 1632 19 Emblemata Politica Strasbourg et Cologne 1618 20 Emblematum Ethico politicorum centuria Heidelberg 1619 et 1
13. PRATIQUES N 91 Septembre 1996 LE FABULISTE ET L IMAGIER Anne Elisabeth SPICA Lorsqu on parle des images d un texte on songe au pouvoir vocateur des figures au travail pittoresque des termes et l on aime y d celer la preuve de son caract re po tique cette fameuse criture halo ch re a J Gracq voire litt raire Manier les images semblera a tout lecteur une des qualit s l mentaires qu un auteur digne de ce nom doit poss der dire que La Fontaine poss de ce don rel vera de l vidence tout comme affirmer que l animation lafontainienne de la comparaison animali re donne son relief la forme tr s cod e qu est l apologue et peint en vives couleurs les traits de la pointe morale Pour autant il vaut la peine de questionner non pas seulement les images mais l image dans son statut singulier lorsqu on se propose de lire les Fables Car La Fontaine s y livre un travail tout fait particulier de mise en polys mie de l image en conjuguant tradition litt raire de l apologue qui depuis l Antiquit en a fait le genre le plus susceptible d image par le moyen de l all gorie et art de l dition de ces textes abondamment illustr s pour r crire de mani re unitaire et les all gories et les illustrations il invente un art de la repr sentation par le discours qui renouvelle en profondeur l criture du genre La fabrique de la fable 1 est indissociable d une certai
14. d on n a qu un endroit d fendre On le munit de peur d esclandre T moin maitre Mouflar am d un gorgerin Du reste ayant d oreille autant que sur ma main Un loup n edt su par o le prendre L apostrophe au chien qui le pr sentifie comme t moin et le d termine par son nom convoque par le discours seulement celui qui est le support animalier de toute la fable tandis que l intrusion d auteur avec le d ictique ma permet au fabuliste de donner d autant plus a voir par un tel proc d stylistique qu il est ainsi en position d auteur et de la fable et de la vision frappante de cette oreille ou plut t de cette absence d oreille dont on ne parle que par choix rh torique d une comparaison a valeur proverbiale Le fabuliste ne cesse d intervenir dans ses fables et de guider par la parole le regard de ses lecteurs J ai vu beaucoup d Hymens aucuns d eux ne me tentent J en vais all guer un tre humain qui s tant repenti 34 Que d signai je votre avis Par ce Rat si peu secourable 35 Je en vois point de cr ature Se comporter mod r ment 36 Hypotypose prosopop e et fabulation envahissent la fable particuli rement dans le second recueil et dans le dernier livre Soutenus par des verbes de perception ce trope par imitation et les deux spectaculaires figures de pens e par imagination instituent une v ritable parole imageante qu on pense au Songe d
15. e fond de l image en suivant la ligne onduleuse d un sentier qui guide l il travers champs de la cour au premier plan vers une cabane la porte de laquelle frappe le loup puis au loin vers un pr o broute une ch vre invisible d abord que ses cornes particuli rement longues aident enfin distinguer Au milieu se d tachant sur un mur qui occupe tout le fond tel une toile peinte qui servait de d cor dans les th tres du temps un loup qu on imagine tre le m me que celui de la premi re section Debout en train de regarder la sc ne qui se passe dans la troisi me il semble avoir emprunt le sentier visible tout l heure et conduit le spectateur bient t lecteur vers le troisi me tableau Il se joue derri re la porte d entr e ouverte dont la ligne assure la s paration d avec la seconde section de l image une jeune villageoise se penche pour coucher son enfant dans son berceau Avec cet avant texte non textuel mais qui fonctionne en paratexte ou se joue une strat gie discursive de la surprise le lecteur imagine d autant mieux un r cit lin aire et quilibr que la disposition dramatique en trois actes de l image annonciatrice du r cit qui fait r ellement office ici de fable c est a dire d argument d velopp ensuite par le corps de l uvre incite un travail de visualisation voire de mise en sc ne de l crit attendu Le spectateur lecteur voit ainsi une image qui appelle un texte q
16. e sont ce point pr sentes quel est donc leur statut La Fontaine en r crivant sous les esp ces de l amplification narrative les courts r cits sopiques a privil gi comme il ne cesse de l affirmer la valeur ludique plaisante gracieuse voire galante de ses textes Est ce une mani re de voiler un s rieux de la fable que l explication fid le l image all gorique r v lerait A t on du coup int r t embl matiser La Fontaine et moraliser ainsi tr s puissamment ses fables alors encadr es de deux images l une grav e l autre id elle dont la lecture serait le battement intellectuel vers la r alisation du plus haut sens A cette question m lons une autre r valuer la part de l image doit elle conduire strictement relire les Fables et partant les fables comme une m canique herm neutique 2 LA D MULTIPLICATION DE L IMAGE DANS LA FABLE MIROIRS ET REFLETS D embl e donc du c t du fonctionnement litt raire comme dans la disposi tion picturale des Fables l image r gne de mani re structurelle Toutefois la revendication d une appartenance la tradition all gorique et symbolique signi fie au contraire son renouvellement La fable fonctionne comme la r criture avec toutes les possibilit s du palimpseste de ses images originelles 21 Philosophie operatrice o se voient les diverses Inclinations et Affections des esprits et les tres diverses estudes et Occupations de
17. e sur la juste interpr tation par le loup des paroles de la villageoise qui menace son enfant s il ne se tait De le donner au Loup v 41 42 puis le console Ne criez point s il vient nous le tuerons v 45 De la sorte l image grav e comme les suggestions visuelles les images du texte sont prises en charge par la parole La preuve pourrait en tre cette mise en mots de l image qu est l insertion ironique du dicton picard r el ou invent pour la circon stance qui encadre d ailleurs la d pouille du loup v 60 64 La rupture linguis tique souligne d autant mieux la verbalisation des images qui y trouvent leur origine L image rel ve du discours et ce a travers toutes les Fables en t moignera la fin des Devineresses VII 14 La fable cr e les images dont elle a besoin et la parole les d termine les forme en les formulant pour mieux leur conf rer une me avec l me de la moralit au point de transformer la m tonymie robe pour avocat en m taphore des imposteurs de toute esp ce dans le cadre strictement linguistique de l ordre oratoire donn au lecteur d interroger le fabuliste J ai vu dans le Palais une robe mal mise Gagner gros les gens l avaient prise 82 V 19 22 120 Pour maitre tel qui trainait apr s soi Force coutants demandez moi pourquoi La cons quence est d importance si l image se r sout en discours et non pas le contraire alors la
18. es ou les Ysopets 4 ont habitu depuis longtemps le lecteur lire ces textes constamment assortis d images dans des ditions populaires ou dans des ouvrages luxueux dont Alain Marie Bassy nous retrace l histoire 5 De la sorte une dition des Fables sans gravures aurait sans doute pour les gens du XVII si cle paru contrevenir toutes les r gles du genre 6 En outre tandis que le texte des fables devient ins parable de l image le livre de fables devient ins parable d un autre genre imprim de livres lui aussi gravures le recueil d embl mes et de devises La mise en page combin e par feuillet d une gravure surmont e d un titre et suivie d un texte pigrammatique doit sugg rer au fil de la lecture un texte int rieur parfaitement limpide en dessinant dans l esprit une image qui a tout de l Id e platonicienne appel e symbole La r verie renaissante d un langage aussi transparent dans l ordre de l intelligible que v race et non trompeur dans l ordre du sensible dont la fable se trouve on l a vu la plus ad quate expression est l origine de ces livres qui connurent une vogue extraordinaire jusqu au d but du XVIII si cle Le fonctionnement s miotique du livre embl matique invite donc prendre bien souvent pour sujet d embl mes des fables qui servent alors de motif la gravure appel e corps ou de d part narratif la glose pigrammatique 2 Le liv
19. expliqu par Esope Dix ans plus tard il est r affirm lors de l Avertissement au second recueil et largi l Orient de Pilpay pour mieux clairer les textes de la d dicace a Mme de Montespan au d but du L VII et Le Pouvoir des Fables VIII 4 enfin le L XII fait office d envoi final en multipliant les allusions aux textes all goriques comme les M tamorphoses Chaque fable est surmont e d une gravure 13 dont la disposition fait expli citement r f rence a la forme embl matique les petites vignettes reprennent le format adopt par l dition francaise d embl mes au XVI si cle 14 Le j suite Cl Fr M nestrier l embl miste fran ais le plus chevronn et contempo rain de La Fontaine ne s y est pas tromp en trouvant dans certaines fables de La Fontaine de parfaits embl mes 15 Fr Chauveau graveur du roi qui les planches ont t confi es a cultiv les traits de ressemblance 16 Pourtant habitu aux exercices de virtuosit il n a pas h sit simplifier sa mani re en rendre les traits presque na fs afin de pasticher les recueils d embl mes moraux et politiques flamands ou nordiques bien diffus s alors qui avaient familiaris le lecteur avec des repr sentations vraisemblables emplies de d tails quoti diens et assez narratives De la sorte on voit se multiplier les emprunts graphiques en sorte d intertextualit imageante travers les vignettes des Fab
20. ique humaniste et embl matique pp 418 481 117 La Fontaine proc de fondamentalement par mise en cho par diffraction kal idoscopique des diff rentes images qui sont a sa disposition comme il se fait un plaisir de le rappeler l or e d un de ses contes les plus licencieux On m engage conter d une mani re honn te Le sujet d un de ces tableaux Sur lequels on met des rideaux Nuls traits d couvert n auront ici de place Tout y sera voil mais de gaze et si bien Que je crois qu on n en perdra rien Qui pense finement et s exprime avec gr ce Fait tout passer car tout passe Je l ai cent fois prouv 26 Ainsi la parole ou l crit ont valeur de peinture la mani re des Peintures morales 27 Tr s normalement l appara tre trompeur de l image qu elle soit picturale ou bien discursive est conjur grace a sa transformation en legon en moralisation all gorique Je chante les h ros dont Esope est le p re Troupe de l histoire encor que mensong re Contient des v rit s qui servent de le ons Je vais Te tracer en ces vers de l g res peintures Et si de t agr er je n emporte le prix J aurai du moins l honneur de l avoir entrepris 28 L image crite comme l image visuelle motive galit la fable il ny a pas redondance d une image par rapport l autre mais conjugaison Ainsi dans Le Lion abattu
21. l gorie fabuleuse la restitue dans sa grandeur ornemen tale et lui rend sa pleine valeur esth tique Le noyau de la litt rature entre de plain pied dans une po tique des genres en d laissant la Fable Last but not least la moralit d une criture de la fable o parole et image sont mises en r sonance esth tique et non plus all gorique gr ce cette mise en perspective de l image par le discours ne serait elle pas de se m fier des apparences dont l image est le symbole moralit dont chaque fable est une mise en image Ainsi L Homme et son Image I 11 ou Le Cerf se voyant dans l Eau VI 9 Le Chien qui l che la Proie pour l Ombre VI 17 ou Un Animal dans la Lune VII 17 le Discours Mme de La Sabli re au l IX suivi des deux Rats le Renard et l uf sont autant d affirmations du Pouvoir des Fables conf r par La Fontaine un genre ainsi m tamorphos 37 Je le ferais bien voir mais mon but est de dire Comme un Roi fit venir un Berger sa Cour v 8 9 38 Et de fait il n y a gu re que les ditions scolaires qui sont peu pr s toutes d nu es d un programme illustratif en donnant au mieux quelques vignettes de l une ou l autre s rie d illustrations c l bres 123 Planche 1 LE LOU LA CH VRE ET LE CHEVREAU LE LOUP LA MERE ET L ENFANT Planche 2 124
22. les Ainsi L Homme et son Image I 11 L ne porteur de Reliques V 14 L enfant et le Maitre d cole I 19 r exploit pour L Ecolier le P dant et le Maitre d un jardin IX 5 ou Le Rat et l Hu tre VIII 9 renvoient ils aux corps du recueil fondateur les Embl mes d Alciat 17 Le Singe et le L opard IX 3 au lieu de mettre en sc ne les deux animaux ponymes repr sente d abord au lecteur un baladin masqu figure r currente de la tromperie et des vanit s humaines chez les embl mistes 18 Le Milan le Roi et le Chasseur XII 12 ou Le Paysan du Danube XI 7 rappellent les Embl mes politiques de l Allemand J a Bruck 19 tandis que Le Lion et le Moucheron Il 9 ou Les Deux Ch vres XII 4 reproduisent stylisti quement l embl me inspir de la fable d Esope ou celui inspir de Pline dans le recueil de J W Zincgref 20 La pr sence d all gories La Mort et le Mourant VIII 1 L Amour et la Folie XII 14 ou de figures monumentales Le Statuaire et la statue de Jupiter IX 6 renvoient aux vignettes de 13 Voir les planches mises ici en annexe En attendant la parution de l dition de J P CHAUVEAU annonc e au Livre de Poche accompagn e des gravures de l dition originale on peut consulter celles ci lisiblemen reproduites dans l d de la Pl iade ici utilis e 14 Comme Le Th tre des Bons Engins et la
23. me lire les apologues sopiques avec le texte sur une page et la gravure en face surmon tant une pigramme comme s il s agissait d un embl me et de sa glose et les comprendre figur ment symboliquement au m me titre que ces derniers Cette alliance de la fable et du langage embl matique assure et renforce enfin celle de l apologue ainsi iconis avec la fable qui assure la th orisation des genres litt raires depuis la Po tique La fable sopique dans sa bri vet est ressentie par les commentateurs renaissants d Aristote comme une sorte de concentr fictionnel le mythos alors susceptible de constituer le plus petit d nominateur commun partir duquel les genres se diff rencient La fable c est le plus ancien et le plus universel des genres d autant plus que la fable est en m me temps cette parole all gorique originelle Mythos et apologue se confon dent alors dans le n ud signifiant qui r sulte de l image id elle en m me temps et la cons quence est d importance l crit d coule gr ce cette concep tion de la fable de l image id elle Celle l assure le d roulement discursif port e humaine de celle ci 10 et subordonne le texte de la fable ses images Pour que la fable soit vraiment fable il lui faut se composer d image commen cer par sa pr sentation typographique comme un embl me Fable et image tous les sens des termes sont indissolublement li es et dialectis es La
24. ne fabrique de l image 1 LA FABLE ET L IMAGE UN LIEN ESSENTIEL Si nous d signons du nom de fable l apologue sopique et sa suite des textes brefs dont la narration trouve sa r solution dans la moralit sa pointe le XVII si cle donnait celle l une plus large signification Le terme de fable rev t alors trois sens Il est techniquement l argument de la narration on parle 1 Pour reprendre le titre de Patrick DANDREY La Fabrique des Fables Essai sur la po tique de La Fontaine Paris Klincksieck 1991 3 d remani e para tre aux PUF coll Quadrige Sur La Fontaine on consultera avec int r t les deux ouvrages suivants P DANDREY La Fontaine ou les M tamorphoses d Orph e Paris Gallimard coll D couvertes 1995 et R BARED La Fontaine Paris Seuil coll Ecrivains de Toujours 1995 Le Fablier la Revue des Amis de Jean de La Fontaine donne annuellement depuis 1989 une mise jour bibliographique comment e 113 commun ment de la fable d une trag die conform ment a la Po tique d Aris tote ou mythos d signe la mise en intrigue d une fiction synth tiquement l ensemble de la mythologie gr co latine on compose l intention des l ves toutes sortes de Trait s de la Fable po tiquement un genre bref dont le mod le est justement l apologue Une s rie de glissements et d associations a combin ces significations de telle sorte que l on ne peut pa
25. re de J SEZNEC intitul La Survivance des dieux antiques Essai sur le r le de la tradition mythologique dans l humanisme et dans l art de la Renaissance Londres The Warburg Institute 1940 r dit r cemment reste ce jour la meilleure tude en langue fran aise sur cette lecture humaniste de la Prisca Theologia cette sagesse cach e des Anciens On consultera galement avec profit l article suivant de M FUMAROLI Hi roglyphes et lettres la sagesse myst rieuse des Anciens au XVII si cle XVII Si cle n 158 janvier mars 1988 pp 7 20 3 Au m me titre que l histoire des changements de r gnes physiques que sont les M tamorphoses d Ovide 4 C est le nom alors donn aux recueils de fables qui provient de la d formation de celui d Esope 5 Les Fables de La Fontaine quatre si cles d illustration Paris Promodis 1986 L ouvrage est largement illustr 6 G COUTON Po tique de La Fontaine Paris PUF 1957 p 7 appel e ame 7 En retour la pr sentation mat rielle des recueils de fables adopte l ordonnance d un livre d embl mes il s agit des nombreux ouvrages qui exploit rent les planches grav es du flamand Marcus Gheeraerts pour l adaptation d Esope propos e en 1567 par Edward de Dene A Bruges comme Prague o Gilles Sadeler les grave sur cuivre en 1608 et en assure la diffusion europ enne 8 en Allemagne comme en France 9 une pr sentation identique accoutu
26. rler de l un sans convoquer implici tement les autres et la notion qui les unit est justement celle d image En effet dans la tradition litt raire de l Antiquit relue par les humanistes 2 l apologue antique quivalent pa en de la parabole biblique et tout aussi charg de sens sert de formulation litt raire par excellence de l all gorie Cette derni re est elle m me l expression qu empruntent les dieux de la Fable quand ils s adressent aux hommes Elle se caract rise par son pouvoir d image comme l est la proph tie elle voile sous des realia en apparence anodines et du coup nigmatiques les v rit s essentielles De ce fait elle repr sente l Id e au sens platonicien du terme autrement indicible par le discours de l image Ainsi les r cits courts d Esope ou de Ph dre 3 parce qu ils repr sentent des animaux dans des attitudes humaines de la vie quotidienne constituent autant de voiles imag s et imagin s que le d roulement m me de la narration interpr te et r sout L apologue et la Fable sont li s par l image significative il le sont en outre par l image qu est l illustration dans sa mat rialit Le Moyen Age qui a moralis les fables sopiques et les M tamorphoses d Ovide les a en m me temps abondam ment illustr es dans ses manuscrits et c est tout naturellement que l imprimerie a ses d buts fait graver les ditions de ces best sellers europ ens Les Figures des M tamorphos
27. s actions humaines expos es et represent es par figures artificielles Francfort 1624 Speculum virtutum et vitiorum miroir des vices et des vertus Francfort 1619 22 XII 14 constitue ainsi la parfaite r union d un putto emprunt aux Embl mes d Amour et d une all gorie reprise des Embl mes Horaciens deux ouvrages de van Veen Anvers 1608 et 1607 les gravures de ce dernier viennent de conna tre un tr s grand succ s fran ais dans la La Doctrine des Murs de Gomberville Paris 1655 23 Francesco COLONNA Hypnerotomachia Poliphili Le Songe de Poliphile Venise Alde 1499 Sa traduction fran aise aux impressionnantes gravures sur bois en 1546 constitue toujours un des chefs d uvre de l imprimerie fran aise et La Fontaine l avait longuement lu chez Fouquet Voir J P COLLINET Le monde litt raire de La Fontaine Paris 1970 r impression Slatkine 1989 pp 435 438 B DONNE La Fontaine et la po tique du Songe R cit r verie et all gorie dans Les Amours de Psych Paris Champion 1995 On maniera avec int r t l dition restitu e qu en a donn G POLIZZI Paris Imprimerie nationale 1994 24 L int r t de l embl me pour lire les Fables est reconnu depuis l ouvrage de G COUTON mentionn supra voir A M BASSY M FUMAROLI J P COLLINET I cit 25 Sur la question de l all gorie et de sa d saffection la fin du XVII si cle on se permettra de renvoyer une derni re fois A E SPICA Symbol
28. ui va lui m me illustrer ses implicites qui va tre l amplification narrative de cette image dont le compartimentage aligne synth tiquement instantan ment les diff rents moments Le corps de la fable cette me de la gravure vient enrichir l horizon d attente L incipit dirige d embl e l esprit du lecteur l o l il du spectateur n avait acc d qu un peu tard La Bique Du coup un avant pisode se voit ajout au premier de l image les mises en garde de la m re son Biquet v 1 14 que le Loup n a garde de laisser chapper Le premier de la gravure appara t comme le second de la fable et trouve dans cet encadrement tous les sens du terme son explication voire sa distanciation le loup qui frappe la porte trouve son attitude motiv e par ce qu il a vu entendu et le lecteur avec lui le loup qu on voit est aussi regard par le chevreau qui en sait plus que le lecteur puisqu il va mettre au jour la ruse du pr dateur gr ce l artifice suivant sa 119 parole actualise visuellement un proverbe qui fonctionne lui m me sur un proc d visuel la blancheur extraordinaire de la patte d un loup Le Biquet soup onneux par la fente regarde Montrez moi patte blanche ou je n ouvrirai point S cria t il d abord patte blanche est un point Chez les Loups comme on sait rarement en usage 32 L entracte au terme de cette seconde s quence marque le passage d une
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