DOSSIER LE TEMPS DE L`ÉVÉNEMENT |`
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1. nergies douces Frankestein 19 ou contr le social Le renouvellement des frames n engendre pas seulement une alt ration de la tonalit des commentaires 1l suscite aussi de nouveaux crit res de perm abilit des m dias de conversion de l occur rence en v nement Dans le cadre fran ais les travaux injustement marginalis s d Yves de La Haye attes tent aussi qu un parti pris d attention aux formes de l criture journalistique ne condamne ni une s miologie autiste ni au m diacentrisme La typologie des r pertoires d criture utilis s par les journalistes que construit le chercheur grenoblois ne se borne pas dresser un inventaire une liste des formats d articles et de leurs propri t s formelles Elle esquisse une gen se historique de ces mod les narratifs elle s emploie les relier des situations d interaction entre journalistes et sources Elle montre comment la configuration des rap ports d interd pendance la nature des sujets trait s aiguille un type d information ou d v nement vers le moule d un format d criture De La Haye souligne aussi quel point ces patrons narratifs sont plus que des formes ou des techniques d criture mais rec lent un rapport au monde l v nement Il montre ainsi combien la dissertation ou cuisson l touff e dont les ditoriaux d A Fontaine dans Le Monde de nagu re ceux de C Imbert aujourd hui fourn2. des cadres cognitifs viennent contraindre l horizon du pensable et du commentaire sur l v nement mais aussi comment des v nements ou des mobilisations peuvent contribuer introduire de nouveaux cadres interpr tatifs renouveler les grilles de perception des faits sociaux La c l bration de l expansion et des bienfaits du progr s technique le mythe de la supr matie am ricaine propre aux trente glorieuses vont ainsi assurer pendant vingt ans le r gne sans partage d un cadre interpr tatif Progr s qui associe le nucl aire la modernit renvoie au pass isme ses contesta tions rend aussi les journalistes peu sensibles la gravit de certains accidents ou inci dents de fonctionnement de l industrie lectronucl aire Il faudra la conjonction du 18 Citons pour en donner une illustration le pouvoir d capant des chroniques de D Schneiderman dans Le Monde de son mission Arr t sur images sur La 5 Sa d marche d inspiration n o barthienne contribue plus souvent que bien des travaux acad miques au d montage des logiques m diatiques partir de fragments d images d v nements issus du flux t l visuel mouvement des ann es soixante du consum risme promu par R Nader et d v ne ments tels que l accident de la centrale nucl aire de Three Misles Island pour susciter l ap parition de nouveaux cadres interpr tatifs que les auteurs baptisent des noms vocateurs d
3. confronter d autres interrogations Comment d passe t elle les pr suppos s ontologiques et pist mologiques qui sous tendent la notion commune d v nement Comment rend elle compte si elle le fait des op rations qui r duisent l ind termination et la complexit de l v nement en font un v nement intelligible dans un ordre social un v nement dot d individualit et de signification Le sens et l individualit d un v ne ment peuvent ils tre produits dans les m mes conditions qu un objet manufactur Ne convient il pas de recourir un autre vocabulaire pour caract riser ces ph nom nes 8 HILGARTNER et BOSK 1988 9 Cf le volume de Media Culture and Society sur l environnement vol 13 4 1991 10 CHAMPAGNE et MARCHETTI 1994 La notion d v nement Le terme v nement a plusieurs significations et il est tentant de profiter du flou permis par cette polys mie Mais un tel flou ne sert pas l analyse D o l utilit d introduire quelques distinctions simples Ev nement et information Tout d abord toute nouvelle n est pas n cessairement un v nement Certes une infor mation est le plus souvent un v nement au sens ordinaire de quelque chose qui est arriv port la connaissance d un individu ou d un public Mais elle peut tout aussi bien concerner une situation un tat de choses ou les actions d une personne d un groupe les fa
4. contribuent lui tracer une inscription sociale en faire un v nement d une certaine sorte dans un contexte social et culturel donn ou une p ri p tie dans une intrigue moins que cela ne soit son d nouement La constitution symbolique de l v nement Cette esquisse d lucidation fait ressortir deux dimensions importantes fortement imbri qu es de la constitution symbolique de l v nement la r duction de son ind termination et l attribution d une valeur ou d une importance d termin e Il s agit l de processus com plexes dont seule une partie est tudi e par les recherches faites dans le domaine de l tude empirique des m dias Ces recherches ont l avantage d tre r alistes elles identi fient des pratiques des dispositifs des int r ts des strat gies des relations de d pendance et de pouvoir des syst mes organisationnels des formats nonciatifs etc Cette f condit n exclut pas des points aveugles dans l analyse L un d eux concerne les structures formelles de la constitution symbolique des v nements Que faut il entendre par ces structures formelles Il s agit essentiellement de ce qui sous tend l organisation des processus d individuation sociale des v nements dans une soci t donn e En font partie une certaine conception du temps un type de conscience historique un mode de temporalisation du monde social une structure temporelle d termin e de l e
5. en forme la gestion des surfaces r dactionnelles la standardisation des formats et des styles ils sont aussi davantage orient s vers l audience finale et la coh rence du contenu r dactionnel Cette opposition recoupe pour partie celle qui consiste parfois opposer un journalisme assis et un journalisme de terrain mais int grant des l ments de sp ciali sation fonctionnelle et de relation hi rarchique elle ne s y r duit pas cf TUNSTALL 1971 en particulier p 30 36 et p 129 131 16 BARTHES 1970 17 Un art ou une science La rationalisation des pratiques de communication de diverses sources soulign e par P Schlesinger incite opter pour le second terme cf SCHLESINGER 1992 L usage des registres rh toriques Inventio Dispositio Elocutio dans la tradition latine d passe aujourd hui le cadre d un savoir pratique pr r flexif pour prendre la forme d une mise en uvre syst matique de techniques de communication int grant des acquis des sciences sociales propres un type de r cepteurs S il convient souvent contre la litt rature s miologique de mettre l accent sur les modes socialement diff renci s de r ception et de d codage des messages on voit mal pourquoi cette vigilance sociologique devrait se payer d une renon ciation toute l entreprise de construction d une grammaire des messages et d un lexique des mythes sociaux issus de la s miologie des ann es soixante
6. enseignements parfois intitul s Gestion et cr ation d v nements Par ailleurs l irruption d v nements tenus pour mena ants ou ind sirables par les autorit s va susciter une commande publique de travaux de recherche destin s en clairer le sens les m canismes les soumettre la prise des politiques publiques Par l des savoirs sur le monde social s incorporent sans cesse dans le cycle de vie des v nements Ces savoirs contribuent et l innovation est d im portance formater des initiatives ou des coups aptes recevoir la cons cration des m dias Ils interviennent aussi chez les professionnels des m dias pour s lectionner les faits dignes d tre promus au rang d v nements y compris dans la mont e d une expertise d monter les coups m diatiques trop habiles Ils concourent enfin mais rarement sous leurs formes les plus clairantes aux tentatives d immobilisation de l v nement dans un filet d interpr tations qui le stabilisent le domestiquent lui assignent un sens contre e bruit et la fureur de l im pr vu de l inexplicable 3 Un certain nombre de probl matiques gagneraient tre rapatri es dans cette interrogation sur l v nement Nous pensons en particulier au th me de la r flexivit largement d velopp par diff rents courants sociolo giques d A Touraine A Giddens De nombreux travaux tels ceux d A Desrosi res on
7. gra duelle dans le rendu de l v nement d une dose de commentaire qui ira croissant se pro longeant ensuite d une attention grandissante au m ta v nement que constituent les r ac tions du Congr s des autres titres de presse Au terme du processus le propos pr sidentiel se trouvera condens en morceaux choisis et petites phrases envelopp de multiples pais seurs de commentaires et d ex g ses sur la signification du message ses r ceptions L int r t de l analyse est de d passer le positivisme coutumier aux tudes de presse pour res tituer ces volutions dans une structure de d terminants sociaux o interviennent la place mouvante de l institution pr sidentielle les volutions de la division des t ches dans les r dactions les modes d anticipation sur les attentes du lectorat la nature des relations entre journalistes et personnel politique 21 Bref si la constitution symbolique de l v nement est socialement organis e l criture les propri t s formelles des langages qui restituent cet v nement ne sont pas c t au del de cette d termination elles en subissent directement les effets Au del du domaine de l criture d autres dimensions des processus sociaux qui p sent sur la constitution sym bolique de l v nement demandent tre explor es La premi re concerne la dimension de la l gitimation de la production d un r cit de l v nement qui fasse
8. l my M de Fornel et L Qu r dans une perspective inspir e de Goffman et de l ethnom thodologie 7 Construire l v nement L id e g n rale dans les recherches constructivistes est que les m dias ne d crivent pas tant une r alit objective existant en soi qu ils la construisent le monde configur par les nouvelles est une r alit construite L v nement est donc quelque chose de plus com plexe que la simple occurrence spatio temporelle celle ci ne comporte pas en elle m me de signification d termin e elle ne fixe pas non plus la description qui pourra en tre faite sur la sc ne publique C est pourquoi il faut rapporter la figure sous laquelle un v nement est pr sent par les m dias un processus de mise en forme de mise en sc ne et de mise en sens dont ils sont les op rateurs Plus pr cis ment les v nements publics sont les produits ou les r sultats des activit s des pratiques routini res et des strat gies d un certain nombre d acteurs sociaux int ress s un titre ou un autre par le fa onnement des v nements Cependant cette id e d une construction m diatique ou sociale des v nements est par bien des aspects une id e faussement simple dont on peut constater qu elle est rarement vraiment conceptualis e Il est toujours tentant d une part de tirer parti de la polys mie des termes contruction et v nement ou d tendre m taphoriqueme
9. le de la presse populaire de r cit Yellow press centr e sur des registres narratifs inspir s du fait divers qu illustre dans les ann es 1890 le New York World de Pulitzer La cons cration de l objectivit comme norme professionnelle oblig e se cristallisera comme une r ponse de la profession journalistique en r action aux progr s des strat gies des sources dont la professionnalisation peut ici tre dat e de l entre deux guerres mais aussi dans le contexte politique des ann es vingt et trente comme le reflet d un d senchantement l gard du mod le d mocratique am ricain d un sentiment de vanit et d impuissance dans la d finition du journaliste comme p dagogue des valeurs d mocratiques L analyse des modes de couverture journalistique de cet v nement ren dez vous que constitue le discours annuel du Pr sident des tats Unis sur l tat de l Union constitue une autre illustration de la f condit d une approche qui sollicite les clairages 19 Runaway dans le texte am ricain mais celui ci voque le mythe de Frankestein comme m taphore d une technologie qui chappe au contr le de ses promoteurs conjugu s de l analyse des formes narratives et de leurs conditions sociales de possibi lit 20 Le compte rendu initial se bornait au seuil du XIX si cle publier in extenso le discours le plus souvent sans le moindre commentaire Schudson montre l injection
10. mass media ont rendu l v nement mons trueux de par leur logique de fonctionnement ils contribuent alimenter une insatiable faim d v nements ils poussent fabriquer en permanence du nouveau et ils ont mis en place un gigantesque syst me de d tection de tout ce qui peut retenir l attention publique Il y a bien production des v nements par les m dias mais cela ne veut pas dire qu ils sont cr s artificiellement par eux L analyse du rapport de l v nement moderne aux m dias ne suffit cependant pas sp cifier son statut Car la m tamorphose de l v nement dans les soci t s d mocratiques est plus profonde Elle produit ce que Nora appelle une v nementialit neuve l v ne ment des soci t s d mocratiques rev t des formes qui le singularisent dont les traits sont condens s dans les comptes rendus t l visuels de l actualit Premi re m tamorphose l v nement moderne ne se d finit plus par son caract re historique par son appartenance 1 Nous nous r f rerons la version remani e de ce texte parue en 1974 sous le titre Le retour de l v ne ment au pass sa signification exemplaire sa valeur de fondation ou sa fonction d dification il s est rapproch du fait divers Dans ce rapprochement qui a contribu le projeter dans le v cu des masses et le livrer l imaginaire de masse v nement a perdu sa
11. on peut sp cifier Ce qui implique aussi qu il a un d but un milieu et une fin qu on peut y assister suivre son occurrence bref l observer Cependant son observabilit est d un genre particulier qui rend probl matique l id e m me de suivre l v nement en direct il n est pas s r qu on puisse vraiment dire qu on a t t moin d un v nement Habituellement quand on fait r f rence un v nement on vise quelque chose d chu quelque chose qui se trouve dans le pass f t il tr s proche l v nement est alors dispo nible tel qu il a t identifi d termin post hoc Mais il se peut aussi que nous assistions l v nement ou m me que nous y prenions part Dans bon nombre de cas nous pouvons identifier assez facilement ce dont il s agit consid rer ce qui appara t sous nos yeux comme tel ou tel v nement d termin dans un ordre social tel d fil est une manifesta tion une procession ou un l ment d un rituel de carnaval Mais il arrive fr quemment que dans le moment o il survient le moment fortuit et impr visible de son accident l v nement ne soit pas d terminable nous ne pouvons pas appr hender ce qui arrive le quoi de l occurrence ou d cider quelle possibilit parmi toutes celles qui se pr sentent peut correspondre ce qui se passe tandis que nous voyons ou savons bien que quelque chose se passe Ce n est qu apr s c
12. signification intellectuelle au profit de ses virtualit s motionnelles Deuxi me m ta morphose l v nement s est th tralis Le propre de l v nement moderne crit Nora est de se d rouler sur une sc ne imm diatement publique de n tre jamais sans reporter spectateur d tre vu se faisant et ce voyeurisme donne l actualit la fois sa sp cifi cit par rapport l histoire et son parfum d j historique Troisi me m tamorphose contrairement aux soci t s traditionnelles qui tendaient rar fier l v nement et le nier parce qu il est synonyme de nouveaut et de rupture elles le conjuraient par le rite et elles assuraient une non histoire par un syst me de nouvelles sans nouveaut les soci t s d mocratiques s cr tent l v nement vivent sous le r gime d une inflation v ne mentielle mais c est leur mani re elles de conjurer la nouveaut et la rupture que l v nement apporte Elles font du nouveau jusqu aux limites de la redondance l essen tiel du message narratif Un dernier aspect est soulign par Nora cette m tamorphose de l v nement t moigne d une transformation de la conscience historique et peut tre de l mergence d une possi bilit d histoire contemporaine C est ce qu exprime par exemple l intense travail col lectif auquel nous assistons quotidiennement d interpr tati
13. DOSSIER LE TEMPS DE L V NEMENT Ce dossier a t coordonn par rik NEVEU et Louis QU R R seaux n 75 CNET 1996 Pr sentation rik NEVEU Louis QU R En 1972 la revue Communications consacrait un dossier important la question de l v nement Ce dossier comportait entre autres un remarquable article de Pierre Nora intitul l v nement monstre Dans ce texte Nora esquissait une probl matique qui peut aujourd hui encore servir de point de d part pour une r flexion sur l v nement Situant l apparition de l v nement moderne dans le dernier tiers du XIX si cle Nora essayait de cerner son statut dans le fonctionnement des soci t s d mocratiques 1 L v nement moderne Premier constat pour qu il y ait v nement il faut que les faits soient connus Or cette connaissance ce sont d sormais les m dias qui la garantissent Ceux ci sont la condition m me d existence des v nements dans le type d v nementialit que nous connais sons depuis un si cle Mais ils n assurent pas tous cette condition de la m me fa on Chaque m dia est l origine d un type d v nement particulier ou pr sente des affinit s particuli res avec lui certains v nements sont intimement li s l image d autres le sont davantage la parole radiophonique ou l criture de presse Le r sultat de cette associa tion des v nements aux m dias est que les
14. R 1970 L ancienne rh torique Communications 16 repris dans L aventure s miologique Paris Le Seuil 1985 BARTHES R 1972 Mythologies Paris Le Seuil CHAMPAGNE P et MARCHETTI D 1994 L information m dicale sous contrainte Actes de la recherche en sciences sociales 101 2 p 40 62 CHAMPAGNE P 1989 Qui a gagn Analyse interne et analyse externe des d bats politiques la t l vision Mots 20 p 5 22 DAVIDSON D 1980 Essays on Actions and Events Oxford Clarendon Press trad fr 1994 PUF DAYAN D et KATZ E 1992 Media Events The Live Broadcasting of History Cambridge MA Harvard University Press DAYAN D et KATZ E 1993 Le spectacle du pouvoir Les Annales 1 2 p 3 20 DUBY G 1973 Le dimanche de Bou vines Paris Gallimard DE FORNEL M 1993 Violence sport et discours m diatique l exemple de la trag die du Heysel R seaux 57 p 29 44 GAMSON W et MODIGLIANI A 1989 Media discourse and public opi nion on nuclear power a constructionist approach American Journal of Socio logy 95 p 1 37 GIDDENS A 1994 Les cons quences de la modernit Paris L Harmattan GUSFIELD J 1981 The Culture of Public Problems Chicago The Chicago University Press HILGARTNER S et BOSK C 1988 The rise and fall of social problems American Journal of Sociology 94 p 53 78 KOSELLECK R 1990 Le fut
15. aisons pratiques publi en 1991 sous la direction de J L Petit D une part on est sorti du d bat lanc par le structuralisme sur les rapports entre les struc tures et les v nements entre les structures historiques profondes et les faits de surface entre l histoire v nementielle et l histoire fondamentale D autre part divers courants de la philosophie de l pist mologie et des sciences sociales ont tent de formuler et d clai rer les principaux probl mes d une th orie des v nements Ainsi par exemple la discus sion sur la nature des v nements est elle tr s vive depuis vingt ans dans la philosophie analytique 4 elle a t relanc e par les recherches de Donald Davidson en philosophie de l action en particulier par sa proposition d adopter une ontologie des v nements les v nements seraient des entit s de base du monde au m me titre que les objets les propri t s et les personnes ou encore par son analyse des conditions d individuation des v ne ments 5 Par ailleurs la question de l v nement a occup une place importante dans la r flexion pist mologique sur l historiographie ce que les Anglais et les Am ricains appellent la philosophie de l histoire en particulier chez un certain nombre d auteurs qui ont analys la structure des phrases narratives ou qui se sont pench s sur la narrativisa tion du temps et de l histoire Cette r flexion qu
16. comme le rappelait M Merleau Ponty celle ci n a pas de place dans le monde objectif Les v nements sont d coup s par un observateur dans la totalit spatio temporelle du monde objectif Il n y a pas d v nements sans quelqu un qui ils adviennent et dont la pers pective finie fonde leur individualit Mais elle ne nous fournit pas un crit re distinctif de l v nement En effet l importance ou la relevance est une propri t que l on peut attribuer diff rentes choses des situations des actions des personnes des faits etc Le caract re temporel de l v nement Quels traits distinctifs de l v nement peut on alors invoquer Il est habituel d entendre par v nement ce qui s est effectivement produit dans un pass plus ou moins proche son actualit ou sa r alit pass e est tenue pour la fois absolue i e ind pendante de nos 11 Cf VENDLER 1967 MOLINO 1986 Dans la philosophie analytique on tablit habituellement une dis tinction logique entre fait et v nement Vendler explicite cette distinction qui remonte au math maticien Ramsey 1931 Une phrase qui exprime un v nement C sar est mort en l an 44 avant J C et une phrase qui exprime un fait c est un fait que C sar est mort ou c est un fait que C sar a t assassin n ont pas la m me structure s mantique profonde La premi re affirme dans un usage r f rentiel du lan
17. ement de savoir comment un v nement annonc par une d p che re oit une certaine valeur ou une certaine importance en fonction d un arri re plan de savoirs et de savoir faire d us et coutumes propres aux professionnels des agences de presse mais aussi de comprendre comment on passe de l annonce Une explosion au mortier a eu lieu au Ten Downing Street ce matin l affirmation LIRA attaque le Ten Downing Street De l une l autre un surcro t de qualification a t obtenu Comment Dans les faits c est la revendication de l explosion par l IRA qui a r duit l ind termination de l v nement D un point de vue formel il est cependant int ressant de noter que cette r duction passe par la conversion d une occurrence individu e par son genre une explo sion d une certaine sorte et par ses coordonn es spatio temporelles en une action d un certain type une attaque attribu e un acteur bien identifi et par sa constitution en p ri p tie dans une intrigue en cours bien connue du public L tude de la construction sociale des v nements requiert donc des descriptions portant sur des plans diff rents Nous venons d en rep rer un nouveau diff rent de celui des processus et proc dures de s lection et de montage des v nements dans les m dias savoir celui des techniques et des m thodes de r duction de l ind termination et de la complexit de l v nement qui
18. et soixante dix chez Barthes mais aussi chez G rard Genette ou Philippe Hamon Pour tre plus pr cis l hu meur intellectuelle des ann es quatre vingt quatre vingt dix fait succ der une surench re parfois obsessionnelle ou d risoire de la pens e critique la revendication d vidence de tant de nouvelles doxas celles des contraintes de la mondialisation des imp ratifs cono miques pour n en citer que deux Elle redonne par l tout son sens au projet Barthien d une mythoclastie d un inventaire critique des signifi s id ologiques qui se lovent dans le tissu des communications quotidiennes des m dias audiovisuels de la publicit dans les traits des personnages que l poque se donne pour h rauts Les tentatives men es en ce sens par des chercheurs ou des analystes encore isol s sugg rent la f condit d une telle d marche 18 Il conviendrait sans doute pour explorer plus avant cette constitution symbolique de l v nement de d passer une logique disciplinaire qui interdit de cumuler les ressources th oriques des sciences du langage et de la sociologie Ce parti pris ne signifie pas clec tisme invert br Il doit partir des mises en garde de la sociologie sur les p rils de toute autonomisation des messages l gard de leurs conditions sociales de production Pour reprendre la judicieuse expression de P Champagne la dimension symbolique des mes sages peut tre un pi ge herm neute
19. foi ait socialement une autorit C est souvent que l v nement acquiert son individualit stable l issue de luttes et de conflits dont l enjeu est d imposer sa bonne lecture sa bonne interpr tation Le processus n est d ailleurs jamais clos et les luttes portent aussi sur la r interpr tation de l v nement comme pourrait l attester le d placement r ussi par F Furet et d autres histo riens des orthodoxies relatives l v nement R volution de 1789 Ces processus de l gitimation de fixation au sens photographique du terme du sens invitent travailler sur les modes de production de la l gitimit sur les conditions dans lesquelles certaines insti tutions disposent d un v ritable pouvoir de dire la v rit de l v nement travers le ver dict d un tribunal ou le compte rendu d un fait divers par la Police mais aussi sur les contre strat gies par lesquelles des institutions ou des collectifs uvrent d l gitimer ces narrations autoris es On peut songer ici l ph m re invention des casques blancs lors des mobilisations tudiantes contre la Loi Devaquet en 1986 le service d ordre tudiant comportait des personnalit s dot es d un fort prestige symbolique ou m diatique qui taient charg es de t moigner sur la sc ne publique de la moralit des manifestants _ face au risque de provocations diverses Enfin une approche ma tris e des processus de c
20. fs informationnels et leurs formats discursifs partir des d p ches trans mises par les agences de presse Il embo tait ainsi le pas dans une perspective r solument s miotique un certain nombre de recherches anglosaxonnes des ann es 70 sur la fabrica tion des news et sur la constitution de la newsworthiness des v nements cf dans ce volume la traduction de l article de H Molotch et M Lester Plus r cemment Daniel Dayan s est pench avec E Katz sur un type d v nement caract ristique des soci t s contemporaines les grandes c r monies t l vis es En particulier il s est int ress la fa on dont la transmission en direct par la t l vision d un v nement programm retex 4 Elle lavait d j t dans les ann es 20 lorsque Whitehead avait emprunt la notion d v nement la th orie de la relativit et avait tent de lui accorder droit de cit en philosophie Il avait t contest d un point de vue logique par Russell mais aussi d un point de vue pragmatiste par G H Mead Ce dernier avait esquiss une th orie sociologique de F v nement dans ses Conf rences Carus de 1930 publi es en 1932 sous le titre The Phi losophy of the Present 5 Cf DAVIDSON 1980 tualise l v nement original 6 Il convient d ajouter ces deux types d approche les recherches entreprises ces derni res ann es sur les v nements publics par M Barth
21. gage l occurrence d un v nement d une certaine esp ce tandis que la seconde rel ve du niveau du m talangage d une part elle qualifie une proposition qui peut tre une description particuli re d un v nement la mort de C sar et las sassinat de C sar sont deux descriptions diff rentes d un m me v nement d autre part elle peut tre para phras e sous la forme Que C sar a t assassin est vrai En ce sens d un point de vue logique un fait n est pas un v nement mais un nonc vrai si l nonc est faux le fait n existe pas De plus un fait correspond une parmi plusieurs descriptions possibles d un v nement C sar a t assassin et C sar est mort sont deux faits diff rents correspondant un m me v nement 12 Cf LESTER 1980 reconstructions singuli re un v nement se distingue de tout autre par ses traits indivi duels non r p table v nement ne se produit pas deux fois et contingente il aurait pu ne pas se produire ou avoir lieu autrement Dans cet ensemble de traits il faut souligner ceux qui attestent le caract re temporel de l v nement ses rapports l espace sont plus indirects celui ci a pour propri t non pas d exister comme un objet par exemple mais d advenir d avoir lieu ou de s tre pass quelque part un moment donn et selon des modalit s variables soudainet rythme etc qu
22. i ces ce qui peut d ailleurs vouloir dire plusieurs choses Si l on met part les cas de mensonge de falsification ou de simulation l id e la plus g n rale est que les m dias s lectionnent dans l ensemble des occurrences dont ils sont inform s celles qui leur paraissent m riter pour des raisons tr s diverses d tre port es la connaissance du public et d tre constitu es en faits notables D une occurrence brute un m dia peut ainsi tra vers les proc d s de hi rarchisation et d attribution d importance de valeur ou de perti nence qu il ma trise tirer un v nement public sur lequel pourra se focaliser l attention publique Le statut d un v nement public donn est donc bien en ce sens le r sultat d une construction par les m dias et on peut ventuellement rendre compte de cette construction en termes purement strat giques 6 DAYAN et KATZ 1992 1993 a 7 BARTHELEMY 1992 BARTHELEMY et QUERE 1991 De FORNEL 1993 Cependant cette forme de constructivisme qui peut tre d nonciatrice d mystificatrice ou simplement descriptive est menac e d incoh rence sur un aspect central puisqu elle tend abandonner le parti pris contructiviste aussit t franchies les fronti res du monde m diatique pour se cantonner dans un r alisme sans ambitions pour tout ce qui concerne l amont de la m diatisation Le risque est alors grand d adopter une conception positiviste classique qu
23. i distingue les faits bruts et leur interpr tation Ce qui entre dans la machine m diatique est alors de l ordre des occurrences brutes d j d finies on sait par exemple de quoi il s agit que les m dias n auraient plus qu s lectionner hi rarchiser habiller interpr ter Un ensemble de travaux r cents plus centr s il est vrai sur une probl matique de la construction des probl mes publics que sur la cat gorie plus troite d v nement a cependant contribu conjurer cette incoh rence L article de Daniel Cefa dans cette livraison permettra aux lecteurs fran ais de se familiariser avec ces travaux plus souvent cit s que familiers ceux de J Gusfield par exemple parfois franchement m connus Le cadre analytique d velopp par S Hilgartner et C Bosk m rite sur ce point une attention particuli re en ce qu il peut la fois englober les acquis de travaux ant rieurs sur les croisades symboliques l effet d agenda etc et les incorporer dans une probl matique plus vaste qui articule l action collective les m dias le r le des cadres frames cultu rels 8 On en retiendra en particulier la notion de r seau op rationnel Pens e comme le support conducteur par lequel des probl mes peuvent acc der aux m dias et la cons cration de la forme v nement cette notion d signe l existence d articulations plus ou moins institutionnalis es entre des sp cialistes d u
24. i s est nourrie de plusieurs traditions phi losophie du langage ph nom nologie herm neutique critique litt raire a t reprise en France par Paul Ric ur au d but des ann es 80 L herm neutique du r cit qu il a esquiss e dans Temps et r cit a clair d un jour nouveau et critiqu les postulats pist mologiques et ontologiques qui s attachent la notion commune d v nement Reprenant son compte une partie des th ses des narrativistes anglosaxons d j introduites en France par Paul Veyne Ricoeur a li troitement v nement et r cit par le moyen de l intrigue un v ne ment doit tre plus qu une occurrence singuli re Il re oit sa d finition de sa contribution au d veloppement de l intrigue Par ailleurs il s est appuy sur la s mantique historique de Reinhart Koselleck pour lucider le statut de l v nement dans une soci t qui a tempo ralis l histoire et historicis le temps Ces nouvelles probl matiques de l v nement ne sont pas sans rapport avec l approche constructiviste qui s est parall lement d velopp e en sciences sociales Au d but des ann es 80 Eliseo Veron intitulait sa belle tude sur l accident de la centrale nucl aire de Three Miles Island Construire l v nement Il montrait comment cet v nement avait merg sur la sc ne publique travers le travail de configuration effectu par les m dias via leurs dispositi
25. ir NEVEU 1993 gramme de perception aux commentateurs La constitution symbolique de l v nement repose bien sur un difice complexe alliant aux dispositifs nonciatifs aux formats infor mationnels et aux syst mes technologiques de diffusion de l information des logiques d agendas des strat gies concurrentielles de la part des supports de diffusion des modalit s d anticipation des attentes des lectorats ou des audiences Dans cet enchev tre ment une part notable revient aux routines des professionnels de l information La coh rence apparente d une Une ou d un JT en mati re de hi rarchisation des v nements doit aussi tre pens e comme un effet rarement ma tris de bout en bout par quelque pro tagoniste que ce soit des routines et des pratiques du m tier des interd pendances entre protagonistes de la production de l information Les travaux de M Lester en donnent une illustration convaincante les contributions de M Kingston et de M Palmer ce volume confirment la pertinence de telles probl matiques Pour conclure Les v nements sont comme l cume de l Histoire des bulles grosses ou menues qui cr vent en surface et dont l clatement suscite des remous qui plus ou moins se pro pagent relevait G Duby parlant de Bouvines Il ajoutait que les traces seules lui donnent existence en dehors d elles l v nement n est rien Si l accent mis sur le t
26. iraient un 1d al type a pour effet en sollicitant une rh torique de la complexit de disqualifier l id e que puissent exister des fa ons nettes et efficaces de peser sur un ordre social toujours plus complexe qu il ne para t Propri t structurelle du genre la combinaison d affirmations adoss es sur l invocation du bons sens de r f rences rudites et d aff teries de style vient encore y fonctionner comme outil d une adh sion doxique d un public lettr ces visions du monde Sans proposer en quelques lignes un panorama complet de tels travaux notons que la contribution de Michael Schudson vaut aussi d tre mise en valeur A travers un ensemble d articles et de livres sur l histoire sociale de la presse am ricaine celui ci d montre com bien le projet d une analyse serr e des formes et registres de l criture de presse peut et doit s articuler une prise en compte sur le temps long des volutions du statut social de la presse On renverra en particulier aux longs d veloppements travers lesquels il traite de l mergence du discours de l objectivit terme largement tranger au vocabulaire pro fessionnel des journalistes am ricains jusqu aux lendemains du premier conflit mondial Cette revendication d une restitution brute de l v nement appara t d abord comme une strat gie de d marcation de la presse d information socialement litiste le New York Times contre le mod
27. its et gestes des d tenteurs du pouvoir politique par exemple Ensuite une informa tion peut faire v nement sans qu elle relate un v nement proprement parler par exemple un projet de r forme pr sent par un gouvernement peut retenir l attention publique et tre dot d une signification ou d une valeur qui le sort de l ordinaire sans qu il s agisse proprement parler d un v nement c est dire d une occurrence singu li re impr vue non r p table c est plut t un fait notable Or un fait n est pas un v ne ment au sens propre du terme 11 Occurrence et relevance En fait les v nements m diatiques ne sont souvent que des faits notables sont consi d r es comme v nements des occurrences des situations ou des actions port es la connaissance du public parce qu elles ont t cr dit es d une certaine importance jug es pertinentes dans un r f rentiel dot es d une newsworthiness 12 Dans cette concep tion de l v nement l accent est d plac de l id e de quelque chose qui se produit de fa on impr vue celle de quelque chose qui fait v nement c est dire qui devient saillant re oit une certaine pertinence relevance valeur importance en fonction d une perspec tive et fait l objet d une focalisation de l attention publique Sans doute cette id e est elle constitutive de la notion d v nement puisque
28. mparables de socio logues ou de s miologues acad miques Les textes de Barthes tel Syst me de la mode o celui ci verse sa cotisation forc e aux rigueurs et froideurs d un structuralisme anxieux de d ployer les signes ext rieurs de la scientificit acad mique ont souvent mal vieilli et pour tout dire sont r trospectivement soporifiques Mais les contributions dans lesquelles celui ci se confronte l actualit culturelle l incorporation d un air du temps dans les objets technologiques les produits de la culture de flot les biens de consommation demeurent profond ment actuelles et stimulantes L h ritage vivant de Barthes r side davantage dans l invite penser l id ologie les sch mes symboliques qui nous font percevoir le monde ou l v nement par le d tour d une attention aux formes aux structures narratives une rh torique dont il rappelait opportun ment en mobilisant la tradition antique 16 que celle ci ne s puise pas dans des pr ciosit s stylistiques mais organise un art 17 du ciblage des messages en fonction des outils de perception et de la culture 15 Tunstall propose une mani re de summa divisio entre les gatherers et les processors Les premiers uvrent d abord collecter et rassembler l information ils sont tourn s au premier chef vers la relation aux sources d in formation Les processors sont davantage orient s vers le traitement de l information sa mise
29. n type de probl me sant colo gie au sein d espaces sociaux diff renci s presse administration associations entre prises L utilisation de cette grille de lecture pour rendre compte par exemple des conditions sociales de mont e d informations et d v nements cologiques dans les m dias s av re particuli rement int ressante 9 Si une telle promotion doit quelque chose des pisodes qui tels Bhopal ou Tchernobyl rev tent les traits ext rieurs les plus visibles de ce que le sens commun associe la notion d v nement impr visibilit caract re dramatique et violent elle est plus encore la r sultante de la lente structuration d un r seau op ra tionnel qui na t de la professionnalisation des associations cologistes de l institutionnali sation d administrations investies de ces dossiers de l mergence d un journalisme sp cia lis de l apparition au sein des diverses entreprises politiques de sp cialistes affect s ces questions et de l interconnexion graduelle entre ces agents Dans une approche distincte la contribution de P Champagne et D Marchetti l analyse du scandale du sang conta min constitue encore un apport stimulant une r flexion sur la construction sociale de l v nement qui ne s enferme pas dans une probl matique m diacentrique 10 Il reste que la m taphore de la fabrication et de la construction de l v nement doit encore se
30. nt l v nement ni comme sujet ni comme t moin et cela parce que l v nement ne se pr sente pas nous lorsqu il arrive il n est discernable quant son fait que dans l apr s coup 13 C est pourquoi nous parlons souvent des v nements avouant par l notre ignorance de la qualification effective de ce qui s est pass et notre incapacit de choisir une description parmi toutes celles qui sont possibles bref de r duire la complexit de l v nement Ajoutons qu un autre aspect de cette complexit est le fait que souvent un v nement est une collection d occurrences et de choses relativement h t rog nes et que sa qualification requiert une synth se de ces l ments h t rog nes sous une description cat gorisation narration etc qui en fait une totalit intelligible 13 SFEZ 1991 p 72 73 Cette br ve incursion dans l ontologie de l v nement nous permet de voir comment rem dier une des limites de la conception courante de la construction m diatique des v nements celle ci n est pas simplement une affaire de mise en forme et de mise en sc ne de faits bruts ou de nouvelles s lectionn s par les m dias elle comporte aussi un processus d individuation de l v nement de r duction de son ind termination de sa complexit et de son h t rog n it Pour prendre un exemple trait par Meredith Kingston dans ce volume il ne s agit pas seul
31. nt leur significa tion d autre part de r duire le processus de constitution symbolique des v nements aux seuls dispositifs et pratiques m diatiques qui l vidence construisent ou pro duisent les news En quel sens peut on vraiment dire que les m dias construisent les v nements L objectif de ce dossier de R seaux publi en deux volumes cons cutifs est d lucider cette question par diff rents types d analyse et d enqu te S il n appartient pas un texte introductif de trancher le probl me celui ci peut cepen dant proposer quelques distinctions utiles sur les diff rents aspects qui viennent d tre mentionn s l id e de contruction la notion d v nement et la constitution symbolique des v nements L id e de construction On rencontre plusieurs formes de constructivisme en sciences sociales D une fa on g n rale le constructivisme s oppose au r alisme et affirme que le monde n est pas donn mais fa onn par une culture un langage des pratiques de construction de la r a lit etc ou que la r alit objective laquelle nous nous r f rons ou que nous pr suppo sons dans nos actions et nos communications est le produit d une construction sociale S agissant des v nements rendus publics par les m dias on peut envisager cette produc tion sous diff rents aspects Certains diront que les m dias fabriquent les v nements de toutes p
32. on chaud des v nements interpr tation dont Nora a tout fait raison de dire qu elle fait partie de l v nement lui m me et qu elle est son exorcisme ultime 2 On peut interpr ter de diff rentes fa ons l immense effort d ploy par nos soci t s d mocratiques pour secr ter des v nements pour explorer et d chiffrer leur actualit pour promouvoir l imm diat l historique Il reste cependant que la mise en place de ce vaste syst me de l v nement qui constitue l actualit repr sente un v nement majeur de notre civilisation dont la signification nous chappe encore pour une bonne part C est pourquoi nous sommes amen s constamment relancer l interrogation sur cette cr ation sociale historique en prenant appui ventuellement sur de nouveaux clai rages produits par les sciences sociales 3 2 Les sciences sociales contribuent aussi cet exorcisme et cela de diff rentes fa ons On pense imm diate ment la pr sence quasi oblig e du sociologue de service sur les plateaux de t l vision chaque fois qu un v ne ment important se produit Mais cette contribution prend aussi d autres formes Par exemple puisque l v nement peut tre produit strat giquement sa production peut mobiliser un certain nombre de savoirs sur le monde social comme en t moigne la place accord e dans diverses coles de communication des
33. onstitution symbolique de l v nement suppose aussi de ne pas d crire la s lection et l interpr tation des v nements comme le r sultat d un processus strat giquement contr l voire m me contr lable L article de Dorine Bregman sur le cas de la CSG illustre quel point m me un acteur aussi fortement dot en ressources que le premier ministre ne parvient pas s assurer d un v ritable contr le sur la r ception d une politique publique alors m me qu il ma trise pour F essen tiel l insertion temporelle de l v nement en offre avec une logistique puissante un pro 20 Cf SCHUDSON 1982 21 Dans cette orientation des travaux sur la couverture m diatique des dossiers et des v nements on citera ga lement le travail de J G PADIOLEAU 1976 sur les journalistes sp cialis s dans les dossiers ducation L au teur y rend compte du choix dominant d un registre qu il qualifie d expertise critique et dont il montre qu il constitue le compromis optimal compte tenu des imp ratifs de gestion des relations avec les sources et du faisceau de contraintes dans lequel se d veloppe initialement cette sp cialisation au d part domin e au sein des entreprises de presse Sur la mani re dont les divers patrons d criture du journalisme politique peuvent gale ment se penser comme tributaires du degr de d pendance aux sources et des ph nom nes de hi rarchie internes aux r dactions vo
34. oup que nous pouvons r duire l ind termina tion et la complexit de l v nement 1 e s lectionner un possible dans un champ de pos sibles et le fixer sous une description Ceci vaut aussi pour les v nements monumen taux qui telles les grandes batailles et les grandes dates de l histoire doivent ce qu ils sont au travail du temps et d une cotation post hoc comme a pu le montrer G Duby propos de la production d une l gende de Bouvines On peut voquer ce sujet les pages fameuses de La Chartreuse de Parme o Fabrice ne discerne sur le champ de bataille de Waterloo qu une m l e confuse et fragment e dont le r sultat imm diat est illisible Ou encore la r cente et bruyante comm moration de la d couverte des Am riques l v ne ment de 1492 aujourd hui d fini comme d couverte des Am riques fut v cu par Colomb lui m me comme identification d un nouvel acc s aux Indes tandis que cet acte initial d un processus qui allait bouleverser un continent n eut du c t des indig nes qu un cho spatialement et symboliquement limit Une dialectique du savoir et de l ignorance L observabilit de l v nement en train de se produire combine donc un savoir et une ignorance nous savons qu il se passe quelque chose mais nous ne savons pas exactement ce qui se passe nous ne pouvons pas vraiment qualifier l v nement En un sens on ne peut pas assister pr senteme
35. que et l approche sociologique Tout se passe comme si le chercheur tait somm de choisir son camp soit s enfermer dans l espace d une science des signes et des messages le plus souvent indiff rente aux conditions sociales de production des formes rh toriques soit s inscrire dans une sociologie dont le point d honneur serait de renvoyer vers les t n bres de la pr ciosit ou de la na vet pist mologique tout le legs des travaux linguistiques s mantiques et s miologiques Sans ouvrir ici un d bat sur la post rit de Barthes on ne peut qu tre frapp par la d sertion rapide des chantiers de recherche que celui ci avait tent d ouvrir travers la traque des mythes de leur inscription m diatique dans des formes narratives et rh toriques chantiers qui renvoyaient aussi la colonisation instantan e de l v nement par les mythologies sociales IT existe assur ment de bonnes raisons l vanouissement de ces probl matiques Leur rigueur pist molo gique fut rarement la hauteur de leurs pr tentions th oriques la disposition litt raire la c l bration des uvres culturelles y transpirait m me transpos e sur des objets plus canailles Et cependant les concepts bricol s les intuitions parfois floues qui abondent chez Barthes s av rent en bien des cas plus aptes renouveler les perceptions faire sur gir le cach que bien des contributions ternes et m thodologiquement i
36. ravail conflictuel de stabilisation de l v nement dans une interpr tation de production de traces qui en indexent le sens et la le on demeure pertinent le statut contemporain de l v ne ment ne peut rester cantonn celui de mati re premi re pour lieu de m moire L inflation v nementielle soulign e par Nora a modifi le statut de ces bulles donn au rapport l actualit que suscitent les m dias quelque chose d une dimension effervescente d un tourbillon d images de catastrophes de temps forts qui se d logent mutuellement sans avoir souvent la possibilit d une consolidation en traces Dans la bousculade ininterrompue des v nements des m dia events c est encore le rapport de la soci t sa m moire sa capacit th matiser et structurer des enjeux collectifs au del d une poussi re de faits divers qui sont en jeu La confrontation l v nement restera durablement l ordre du jour des sciences sociales de la diversit de leurs clairages R F RENCES BARTH L MY M 1992 Ev ne ment et espace public l affaire Carpen tras Quaderni 18 p 125 140 BARTH L MY M et QU R L 1991 La mesure des v nements publics Structure des v nements et formation de la conscience publique Rapport de recherche pour le CNRS Paris Centre d Etude des Mouvements Sociaux 84 p BARTHES R 1967 Syst me de la mode Paris Le Seuil BARTHES
37. s le support d un test projectif o ce que le com mentaire s miologique donne comme programme de perception oblig contenu objective ment dans le message n est rien d autre que le programme de perception socialement instruit de l ex g te que celui ci universalise sans complexe ni rigueur Mais l existence du pi ge ne rend pas in vitable d y tomber Sans pr tendre exproprier les sciences du lan gage la sociologie peut rendre compte de la force sociale diff rentielle des modes de for malisation des messages aupr s de leurs r cepteurs elle peut aussi contribuer manifester le poids des cadres sociaux dans la gen se des formes rh toriques des registres narratifs et des modes de traduction des v nements en commentaires et comptes rendus Les travaux d inspiration goffmannienne d velopp s par W Gamson et A Modigliani sur la mani re dont les m dias traitent du nucl aire en donnent une belle illustration Dans cette recherche orient e sur trente ans de couverture du dossier du nucl aire civil par la presse am ricaine Gamson et Modigliani cherchent reconstituer les patrons narra tifs le jeu limit de cadres interpr tatifs frames faits de m taphores de symboles de slogans d images r currentes de mod les de causalit de grands principes dans lesquels les m dias structurent la pr sentation des questions li es au nucl aire Ce travail montre la fois combien des mod les culturels
38. t aussi mis en vidence le travail multiforme de collecte de donn es et d informations sur le monde social r alis par les services statis tiques et les administrations publiques Le r le des sciences sociales dans les m canismes de d finition des poli tiques publiques leur incorporation dans la quotidiennet des pratiques sociales ont galement fait l objet d une attention plus vigilante comme le souligne cette observation d A Giddens 1994 p 24 D une part le savoir sociologique se d veloppe en parasitant les concepts des agents profanes d autre part les notions forg es par les m talangages des sciences sociales sont syst matiquement r invent es dans lunivers des ph nom nes qu ils taient initialement charg s de d crire ou d expliquer Mais cela ne conduit pas imm diatement une transpa rence de l univers social Il y a un va et vient entre l univers de la vie sociale et le savoir sociologique et dans ce processus le savoir sociologique se mod le et remod le l univers social Aper us sur la th orie de l v nement Nora relevait dans sa conclusion que la probl matique de l v nement restait construire Nous sommes tent s de formuler le m me constat presque un quart de si cle plus tard Le jugement serait cependant quelque peu injuste Car depuis le d but des ann es 70 la r flexion sur l v nement s est d velopp e et approfondie comme en t moigne le volume de R
39. trisme R seaux 51 p 75 et suivantes SCHUDSON M 1978 Discovering the News New York Basic Books SCHUDSON M 1982 The politics of narrative form the emergence of news convention in print and television Daedalus Automne repris dans Schud son 1995 trad part dans Quaderni 8 1989 SCHUDSON M 1995 The Power of News Cambridge MA Harvard Univer sity Press SFEZ G 1991 Le risque de lac tuel Les cahiers de philosophie 13 p 63 84 TUNSTALL J 1971 Journalists at Work London Constable VENDLER Z 1967 Facts and Events in Id Linguistics and Philoso phy Ithaca Cornell University Press VERON E 1980 Construire l v ne ment Paris Minuit
40. ur pass Contribution la s mantique des temps historiques Paris Editions de l EHESS DE LA HAYE Y 1985 Journalisme mode d emploi Grenoble La pens e sau vage Ellug LESTER M 1980 Generating news worthiness the interpretive construction of public events American Sociological Review 45 p 984 994 MOLINO J 1986 L v nement de la logique la s miologie in L v ne ment Actes du Colloque du Centre M ri dional d Histoire Sociale Aix en Pro vence 1983 Aix Publications de l Universit de Provence p 251 270 NEVEU E 1993 Pages politique Mots 37 p 6 27 NORA P 1974 Le retour de l v ne ment in J Le Goff et P Nora eds Faire de l histoire Paris Gallimard p 210 228 version remani e de l article paru dans Communications 18 1972 sous le titre L v nement monstre PADIOLEAU J G 1978 Syst mes d interaction et rh toriques journalis tiques Sociologie du travail 18 3 p 252 282 PETIT J L ss la dir de 1992 L v nement en perspective Paris Editions de P EHESS Raisons pratiques 2 QU R L 1992 Ev nement et temps de l histoire in J L Petit L v nement en perspective RIC UR P 1983 Temps et r cit Paris Le Seuil SCHLESINGER P 1992 Repenser la sociologie du journalisme Les strat gies de la source d information et les limites du m dia cen
41. xp rience indi viduelle et collective 14 Rendre compte de la constitution symbolique des v nements requiert aussi de prendre en consid ration les ressources et les contraintes qui entrent en jeu dans le travail de leur configuration Le champ d investigation ainsi ouvert est vaste Il concerne d abord le r seau de contraintes form d un c t par l organisation des institutions m diatiques cf par exemple 14 Cf KOSELLECK 1990 QU R 1992 l opposition processors gatherers propos e par Tunstall 15 de l autre par ce qui consti tue l infrastructure du discours sur les v nements contrats et dispositifs nonciatifs for mats informationnels genres r dactionnels etc Mais il existe aussi des ressources et des contraintes qui sont purement conceptuelles ou grammaticales Les contraintes s man tiques par exemple sont de ce second type Ainsi d s lors qu un v nement a t identifi sous une description un attentat politique une gr ve une meute un krach boursier etc son explication et son interpr tation sont orient es et d limit es par la teneur s mantique des termes utilis s par cette description celle ci rend l v nement analysable elle struc ture son analysabilit Les difficult s penser cette constitution symbolique des v nements doivent beaucoup dans le contexte intellectuel fran ais ce qui ressemble une impossible articulation entre l approche s mioti
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