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1. Discours et image introduisent un nouveau mode de repr sentation de l image mentale que ne manque jamais de produire tout acte de lecture Kossi foui invite plut t interroger l acte de lire que Philippe Ortel 2002 d finit ainsi Lire un texte c est changer les signes crits en univers mental o id es et images s associent en proportions variables Il ajoute Parler d effets visuels dans ce cas ne rel ve donc pas seulement de la m taphore Aucun des quatre romans de Kossi foui ne reproduit de photographie C est donc le r cit qui rend possible la repr sentation mentale de photographies que le lecteur ne voit pas Nous nous proposons d analyser des dispositifs diff rents choisis par le romancier des formes diff rentes de coexistence du r cit et de l image Voir regarder lire Un pisode de Solo d un revenant fait tat de la l gende qui accompagne une image L expression par l image se retrouve compl t e comme si elle ne se suffisait pas elle m me comme si la phrase qui lui est jointe clairait ce que l image ne parvient pas clairer elle seule Souvent redondante la l gende viserait verrouiller le champ des lectures iconiques possibles Le texte de Kossi foui n est pas dupe de la manipulation de la vis e interpr tative que le rapprochement du discours et de l image induit Dans son dition du week end Le Moment pr sent grand quotidien national bilingue2. Article La plasticit du roman africain contemporain l exemple de Kossi foui Sonia Le Moigne Euzenot Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 2 2011 p 101 114 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 1021299ar DOI 10 7202 1021299ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al II a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 07 29 Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 et 2 2011 p 101 114 LA PLASTICIT DU ROMAN AFRICAIN CONTEMPORAIN L EXEMPLE DE KOSSI FOUI Sonia Le Moigne Euzenot Lyc e d enseignement g n ral St Joseph Lorient R sum L uvre romanesque de Kossi foui est marqu e par l urgence d
3. aphique imprim e La lecture n e de ce nouveau dispositif litt raire est elle aussi une preuve elle cherche faire prouver plut t qu faire comprendre une r alit qui ne peut pas n tre qu imm diate Solo d un revenant fait m me allusion une photographie qui aurait pu exister Il l attribue un artiste photographe de guerre L oxymore s ouvre sur une image sonore La moto ambulance le pousse douleur comme on appelle ici la moto ambulance la bruyante chim re en ferraille que le motard ambulancier pousse vers l avant ATTENTION LA DOULEUR PASSE ATTENTION LA DOULEUR PASSE ATTENTION le temps que passe La plasticit du roman africain contemporain 113 la proue grande roue et moteur de v lo solex le temps que passe la poupe un chariot de fortune La moto ambulance bruyante faite de bric et de brocs pourrait se retrouver dans la devanture d un magasin d objets couleurs locales pour touristes en qu te de souvenirs pittoresques qu ils pourront ramener chez eux en pensant tenir l la trace d une Afrique qu ils croient fig e dans des clich s r ducteurs La force de cette image sonore tient dans son dynamisme Elle parcourt l espace de cet entre deux voulu par les hommes politiques Elle agglom re plusieurs repr sentations mentales Cette moto est une chim re Avant m me de passer devant nos yeux le narrateur l a nomm e la bruyante chim re en ferraille avant quelqu
4. d roule sur une double page l gende l appui de l image image l appui de la l gende la chronique intitul e les actes de la reconstruction foui 2008 p 26 La l gende n est donc pas ajout e par le narrateur mais par l auteur de l article de presse qu il est en train de consulter Le discours quant lui est un commentaire qui parce qu il est relay par l il de celui qui lit ce qui a t crit installe une mise distance qui loigne le lecteur et son double dans le roman la fois du moment de la prise du clich photographique mais de tous les v nements aussi minimes soient ils qui ont conduit la prise du clich La mimesis ainsi ostensiblement abandonn e d place le centre d int r t du dispositif mis en place vers la recherche d une autre r alit explorer L gende et photographies sont en effet embrayeurs de r cit 104 Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 et 2 2011 O l on voit de gros plans de cuves et de tubulures une m canique dent e chapp e d une grande roue tournoyante et la l gende dit Les usines nouvelles sont pourvues d installations perfectionn es pour l alimentation en charbon La l gende dit Attention cole et l on voit surgir quatre murs de parpaings sans plafond ni toit avec des enfants dedans au garde vous face au tableau recouvert du nouveau drapeau le drapeau unifi et fixant sur le mur des fres
5. e Kossi Efoui sont remplis de personnes dont foui 1998 p 30 31 110 Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 et 2 2011 il brosse le portrait qu il prend m me le temps de regarder longuement y compris lorsqu il s agit d un personnage de passage tel un client une cliente du bar o s arr te le narrateur Cette attention aux gens passe aussi par leurs voix qu il sait faire entendre La mati re sonore est audible dans des phrases dont on sait la musicalit dont on sait la rythmique et la force vocatrice tant l artiste dramaturge sait donner voir une expression du visage un mouvement de telle partie du corps un souffle qui syncope une phrase et parvenir ainsi susciter l impression que celui ou celle qui vient de parler nous est d j familier Le d but du Lamento des fant mes au chapitre II de La fabrique de c r monies est un exemple parmi bien d autres Il s agit de camper le personnage d Urbain Mango De temps en temps il soul ve son coude qu il avait jusque l gard sur la table secoue le poignet une premi re fois pour faire glisser sa montre hauteur des yeux secoue une deuxi me fois pour v rifier que les aiguilles sont bien accroch es recule la t te plisse les paupi res secoue la t te repose poignet montre avant bras et coude sur la table ouvre grands les yeux secoue la t te et dans une d tente soudaine 0 x 7 Ton ami n est pas l La p
6. e de l auteur celle du point de vue partir duquel commencer crire O se placer en effet pour rendre compte de ce que Kossi foui nomme d paysement et qu il d finit comme le fruit d une intranquillit face au monde la vie qu il observe qu il d finit aussi comme une mani re d exprimer ce que sa sensibilit voudrait atteindre le toucher du monde Reprenant les mots d Henri Michaux en exergue au chapitre II de Solo d un revenant Kossi foui a parl de son livre comme d un exercice d exorcisme En nous appuyant principalement sur ce roman mais aussi sur deux de ses ouvrages ant rieurs La Polka et La fabrique de c r monies nous nous proposons d interroger la forme litt raire retenue par l crivain Ses personnages la traversent et parmi eux les narrateurs Ils semblent en effet soumis comme elle des transformations de nature perturber leur propre identit non seulement en tant que personnages plong s dans une r alit instable mais surtout en tant que narrateurs conduits greffer sur un substrat narratif un autre substrat celui de la photographie argentique et de ses codes La plasticit du roman africain contemporain 103 Si tous deux sont en effet capables de montrer et d voquer tous deux couch s sur le m me support papier leur proximit n invite pas seulement tudier les effets qu ils produisent l un pour donner voir l autre pour signifier
7. es pages plus loin de l associer aux visions des chariots dont le proph te z chiel fait tat dans la Bible Favoriser le surgissement de nouvelles images mentales conduit largir le champ de la r alit Chasser tout pittoresque refuser une lecture imm diate du monde est une forme d exorcisme Les romans de Kossi foui sont des ouvrages dont il cherche faire le support sensible d une humanit meurtrie Il explore la dimension mat rielle du roman comme s il tait aussi question de le d sacraliser Pour lui user des mots permet de combattre la blessure d exister Le roman a cette plasticit Bibliographie Les romans et nouvelles de Kossi foui foui Kossi 1998 La Polka Paris Seuil 2001 La fabrique de c r monies Paris Seuil 2006 Jo Trag die Paris Le Bruit des Autres 2008 Solo d un revenant Paris Seuil 2011 L ombre des choses venir Paris Seuil 2002 vendre In Le Bris M dir tonnants voyageurs nouvelles voix d Afrique Paris Ho beke 1998 Sans nom propre In Mallerin Daniel dir Les cha nes de l esclavage Paris Florent Massot 10 foui 2008 p 19 114 Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 et 2 2011 Autre r cit Giono J 1961 No Paris Gallimard Folio n 365 Ouvrages d analyse Bosseur J Y 1998 Vocabulaire des arts plastiques du XX si cle Pari
8. hotographie permet d prouver la m me sensation lorsque le visage qui y appara t semble si proche qu un instant on pourrait croire une pr sence Ces deux supports papier et papier photographique sont des surfaces sensibles L objet appareil photo compl te presque toujours les personnages romanesques de Kossi foui sauf dans l ombre des choses venir Il est pr sent comme une possibilit de cadrer un espace Du reste l il du narrateur m me lorsqu il raconte ce qu il voit est celui d un photographe qui inscrit l espace dans un autre espace celui l m me qui pourrait permettre la page d un livre de s ouvrir sur une autre page qui serait encore lire Dans cet extrait Edgar Fall le journaliste malheureux de La fabrique de c r monies regarde une sc ne famili re du haut du 8 tage o il loge Des heures pass es regarder comme tout le monde des images de ciels enfum s mon regard allant du petit cran la fen tre pour capturer dans le pi ge de ce carr de trottoir qui semblait projet dans les quatre angles de ma fen tre une sc ne de la vie parisienne mod le usuel jeune fille en manteau tapant du pied et parlant toute 7 foui 2001 p 25 La plasticit du roman africain contemporain 111 seule le coude lev la main plaqu e contre l oreille serrant son HET Es 8 t l phone miniature Dans notre dernier exemple les photographies concern es sont des photos de p
9. ine Cette r tine envoie le message visuel notre cerveau par l interm diaire du nerf optique La r tine poss de une substance le pourpre r tinien qui est d compos par la lumi re mais se reforme extr mement vite en environ 1 12 me de seconde Il existe tout de m me une rupture cause de ce tr s court instant Dans la vie il suffit donc de regarder des images qui d filent un rythme de plus de 12 images par seconde pour avoir l impression qu elles se suivent sans rupture Le r cit de Kossi foui creuse ce moment de rupture pour refaire surgir des images qui l vidence sont des images fortes des images fort impact visuel et motionnel Elles prennent un nouveau sens dans la cha ne de la lecture puisqu elles cr ent une sorte de passerelle entre des images diff rentes et pourtant similaires dans la mesure o elles persistent dans l univers foui 2006 p 28 La plasticit du roman africain contemporain 107 mental du narrateur L image latente qui s insinue dans le r cit claire met en lumi re ce que voit notre imagination Il ne s agit pas d une illusion d optique Il ne s agit pas d une saturation oculaire qui peut tre provoqu e par les flashes qui effacent dangereusement les figures vis es On pense Urbain Mango dans La fabrique de c r monies Il s agirait plut t d une source de lumi re voir une photographie qui venant clairer la chambre noi
10. l il qui lit ne suit pas les m mes mouvements que l il de celui qui voit celui qui lit balaie la page de gauche droite alors que celui qui voit a les yeux plus mobiles il peut les lever les baisser Au del de leurs grammaires respectives discours et images explorent le regard dans sa mobilit dans sa dimension organique foui 2008 p 27 28 La plasticit du roman africain contemporain 109 La pr sence de la photographie dans les romans de Kossi foui est une pr sence mat rielle parce que le romancier en convoque tous les aspects L exemple qui suit se situe au d but de son premier roman Dans une ville d vast e un homme attend des nouvelles de deux amis disparus Il regarde des photos Sourire au photographe est un acte de foi que l animal partage avec l homme a dit l Homme Papier Le miracle se produit quand advient l image non pas imprim e mais r v l e sortie du papier comme si un moulage avait t fait de l empreinte que laisse un instant le bon celui de la derni re pose qui peut resservir C est cet instant qu il faut s approprier par imitation de la pose et du regard La photographie vue par Kossi foui est soumise des contraintes techniques Le temps de pause fait ainsi partie du temps d laboration de l image L image en question n est pas spontan e Elle se construit Kossi foui parle de la photographie argentique parce qu elle se diff rencie de la ph
11. lecture qu mile Zola au d but de L Assommoir par exemple Gervaise observe son quartier depuis la fen tre de sa chambre L h tel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle gauche de la barri re Poissonni re Lentement d un bout l autre de l horizon elle suivait le mur de l octroi derri re lequel la nuit elle entendait parfois des cris d assassin s Ainsi montrer ce que voit un personnage sugg re ce qu il ne voit pas qui s inscrit aussi dans la r alit 1 foui 2008 p 26 27 La plasticit du roman africain contemporain 105 Dans notre exemple l affirmation du r alisme des fresques peintes sur les murs conforte l id e inop rante de l imm diatet de l image comme de son autonomie signifiante Et on aurait dit devant le r alisme de ces images d affrontements peintes sur les murs embryonnaires d une cole de sous quartiers que ce n tait ni les Trait s ni les Accords cette subtile m canique des alliances et des pactes nou s dans la langue du bluff des chancelleries qui avaient mis fin la guerre L iconicit m me de l image photographique peut s en trouver transform e Le narrateur de L ombre des choses venir rapporte ainsi le jeu mim tique auquel son fr re se pr te Alors que la paix pr tendue cherche ramener dans leurs familles les hommes d port s l administration se sert de la photographie pour authentifier ou refuser la va
12. lidit de l identit des victimes Le p re du narrateur ne parle plus il est revenu taiseux Son fils parle sa place Il est fils unique et ton fr re il parle Mon fr re Il d signait Ikko avec la pointe du stylo en me regardant un temps pendant lequel Ikko tout sourire dehors me faisait la m me t te que celle qu on peut voir sur la photo et moi Oui mon fr re oui il parle et voil par quel heureux malentendu Ikko est devenu vie mon fr re administratif La lecture rend possible la superposition de temporalit s d cal es celle du moment de la prise de la photo celle de sa l gende celle du narrateur la superposition d espaces visibles et non visibles alors m me que l image est m caniquement instantan e et que l criture est lin aire Sa f condit se nourrit du processus enclench par le regard pos sur une image qui renvoie au besoin de s appuyer sur des mots pour d rouler et probablement s approprier ce que nos yeux per oivent Analyser ce mouvement d appropriation d une nouvelle image mentale est complexe et sort de notre champ d tude La lecture n imprime donc pas un simple mouvement de va et vient entre l image et un discours elle les amalgame 2 foui 2008 p 27 foui 2011 p 43 106 Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 et 2 2011 Kossi foui donne plusieurs exemples de personnages qui regardant une photographie la metta
13. ndeur de champ pour cadrer les poitrines des supplici s De telles images ne peuvent tre photog niques elles ne peuvent tre flatteuses Le narrateur excluant le mot d cor insiste sur ce qu un cadrage plus large aurait pu avoir comme r sultat celui de rendre ces photos plus agr ables ou en tous les cas plus faciles regarder l vidence le lecteur ne peut disperser son regard Ce cadrage tr s serr accentue l effet de plan it de l image Il ajoute une proximit mat rielle entre les supports de lectures que sont les feuilles de papier de la photo et celle du livre de sorte que la lecture de ce dispositif litt raire rapproche celui qui lit de celui qui crit celui qui lit de celui qui raconte Ce dispositif a une r elle pr sence Le discours qui raconte d taille jusqu au dessin des lettres form es pour crire Leur mat rialit manuscrite est sensible au point d en d crire le geste graphique Celui qui a tenu la plume et n a pu r ussir dessiner la courbe du R est devant nos yeux La mat rialit de ce type de photographie mod le les romans de Kossi foui parce qu elle participe d une exp rience sensible Elle influence l acte de la lecture Le dispositif qui associe photographie et discours narratif dans les romans de Kossi foui instaure un rapport tr s direct entre lecteur et narrateur La corpor it des langages traverse les deux substrats On appelle preuve l image photogr
14. nne L preuve litt raire Dans cet autre extrait de Solo d un revenant le lecteur est invit regarder une photo de presse dont le narrateur semble reconstituer les tapes depuis la mise en place du d cor jusqu la prise de la pose avant le clic du d clencheur de l appareil photo Dans l dition du week end Le Moment pr sent on peut lire la chronique illustr e de l arriv e Gloria Sud des exil s au long cours que le journal appelle les d plac s de longue date Un retour triomphalement salu par les photographes de presse au moment o l on atteint le dernier point de passage l pais mur blanc sur lequel le 108 Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 et 2 2011 mot CHECKPOINT a t barr et remplac par l inscription BIENVENUE O l on est invit agiter les mains pendant la pose coll contre le mur blanc les mains qui partent alors au moment du clic et du sourire un deux trois les mains qui partent la cueillette des lettres BIENVENUE sem es au dessus des t tes o un polisson avait rajout AUX REVENANTS BIENVENUE AUX REVENANTS La sp cularit de la sc ne le mur blanc couvert de mots les diff rences de typographies assimilent l image fixer au texte imprim que le lecteur tient dans ses mains La mat rialit des deux outils de lecture est d autant plus pr gnante que Kossi foui joue de plusieurs temporalit s en m me temps celle d
15. nt en discours d clenchent en eux l irruption d autres photographies dans une sorte de processus m moriel qui n est pas sans rappeler le principe de la persistance r tinienne La persistance r tinienne une installation litt raire Dans notre premier exemple c est la photo des enfants devant le tableau noir qui d clenche d autres images dans le cerveau du narrateur Un autre exemple pris dans une didascalie de Jo pi ce de th tre crite par Kossi foui en 2006 fait tat du m me processus Cette fois ce n est pas une photo qui est l origine d autres images Il n emp che que l espace sc nique voulu par le dramaturge construit aussi une r alit en trois dimensions soumise l objectif du spectateur plac devant le plateau chaque personnage du Prom th e encha n qu il invoquera par la suite il sortira de la caisse un fragment de costume un masque un accessoire et l installe objet t moin d un acteur absent On pense certaines photographies de ces chapelles ardentes sur les lieux d un naufrage avec le m li m lo de quelques affaires ramass es dans l chapp e des vagues et entass es un objet de recueillement dont l aspect rappelle aussi des restes carnavalesques qu on se pr parerait br ler Le principe de la persistance r tinienne est connu des images que nous recevons de l ext rieur se forment au fond de notre il sur une couche sensible appel e la r t
16. otographie num rique Celle ci doit passer par le bac de r v lateur qui dissout les sels d argent du film n gatif Ce n est qu apr s cette tape que l image appara t sur le papier elle devient l preuve papier du clich pris par le photographe Dans sa capacit devenir un multiple le tirage de la photographie argentique exige une manipulation une intervention humaine La m taphore du moulage de l empreinte objets en trois dimensions souligne bien l importance de la dimension physique inh rente l image pour ce romancier Elle devient palpable Elle a aussi une port e esth tique mais Kossi foui n intellectualise pas son iconicit Comment regarder une photographie quand elle fait d abord l objet d un regard Le narrateur donne un mode d emploi simple imiter la pose imiter le regard de ceux qui ont t saisis par l image Dire d une image qu elle est bonne vise changer des points de vue en se pla ant tour tour des deux c t s du champ contrechamp Dire d une image qu elle est bonne authentifie sa capacit rapprocher les tres humains les uns des autres ceux qui regardent la photo de ceux qui sont sur la photo Le temps du regard cherche superposer leurs deux temporalit s La plasticit des romans de Kossi foui na t des formes artistiques qui mod lent qui p trissent les regards qui se croisent et qui se compl tent Les livres d
17. ques inachev es la nuque raide fig s dans la contemplation ou dans la discipline photographi s lors d une de ces c r monies de magie noire qu on appelle comm moration o les morts n en finissent pas d enterrer leurs morts o les descendants de victimes s en vont apprendre de g n ration en g n ration quelque chose sur les armes qui auront bless leurs anc tres jusqu la g n ration qui apprendra manier son tour les m mes armes dans le sens de la r tribution avec le m me art de d signer lennemi avec la m me nostalgie d un pur commencement Si la photographie ouvre d s lors le champ du discours elle cloisonne un nouvel espace de repr sentation du sens dont le tableau noir que fixent les enfants bouche l horizon Au del de ces parpaings existe un hors champ inaccessible au narrateur de Solo d un revenant sorte de vide deux dimensions Les enfants sont dedans priv s eux aussi d un regard au del du tableau qui fait cran Le dedans est un contenant qui prive le lecteur d une part explicite du r el repr sent r el qu in vitablement il ne peut s emp cher de s imaginer d autant que le tableau de l colier appara t couvert d un tissu la forte charge symbolique Ce que St phane Lojkine 2001 nomme cran de repr sentation pousse le lecteur refuser de se limiter ce cadre et de ce point de vue Kossi foui invite la m me d marche de
18. re de notre cerveau viendrait mettre sous le projecteur une image certes d polie mais pr sente De fait la r surgence d une image mentale ne d bouche pas sur une image papier Elle ne ressortit pas de la photographie vis e testimoniale elle n est pas de celle qui garde l image des tres disparus L ami d Il o Para en serait le parangon lui qui conserve toutes les photos des gens qu il a connus dans La Polka l inverse la photographie a en commun avec l image mentale une surface sensible susceptible de se d t riorer volontairement ou pas au point de faire dispara tre certains personnages sur la photo C est le cas d Il o Para dont l image n appara t pas sur le clich pris de lui La r surgence d une image mentale d bouche sur du r cit elle est un dispositif litt raire qui a un cousinage avec ce que l Art nomme installation Dans son vocabulaire des arts plastiques du XX si cle Jean Yves Bosseur donne cette d finition de l installation L installation suppose une r flexion sur les rapports susceptibles de s instaurer entre plusieurs uvres selon la mani re dont l artiste d termine leur situation en fonction de la structure architecturale destin e les accueillir Jean Yves Bosseur 1998 p 113 Les romans de Kossi Efoui fournissent d autres exemples de ce proc d qui ont tous en commun la force des images l origine de l effet d une persistance r tinie
19. resse Elles font l objet d une exposition sur les murs de la brasserie de la Br che aux Lions Les images sont des images de tortures atroces Les hommes les femmes et les enfants qui les ont subies sortent de la for t au moment du reportage Nous avons choisi trois extraits non cons cutifs Une s rie de gros plans surface granitique ou fraction de terre apr s fumage Un pr cipit de petits points brun tres sur fond sombre Et soudain avec une nettet inattendue on distinguait le grain de la peau du grain du papier la racine d un cou et l esquisse des clavicules en saillie sous la peau des paules Et des lettres qui sautaient au visage sans pr venir TRAITE A et tant pis pour la suite de l inscription C taient des sillons trac s au couteau dans la chair vive Des carr s de poitrines lac r es clou es aux murs du premier tage de la brasserie Peut tre serait il plus juste d imaginer non pas une suite quelconque non pas TRAITRE quelque chose ou quelqu un mais une pr sentation d chantillons d un catalogue qui contiendrait des prototypes de TRAITRE A TRAITRE B TRAITRE C Ce marquage par traits droits couch s pench s se coupant au lieu de la boucle du R un angle pointu Le moyen de raconter comment ces poitrines s taient succ d dans le cadre serr de l objectif abolissant la for t jusqu la moindre brindille abolissant tout cela qui faisait naturellement impert
20. s Minerve Chalaye S 2004 Afrique noire et dramaturgies contemporaines le syndrome Frankenstein Paris Th trales Lojkine S sous la dir de 2001 L cran de la repr sentation Th orie litt raire Litt rature et peinture du XVI au XX si cle Paris L Harmattan Ortel P 2002 La Litt rature l re de la photographie enqu te sur une r volution invisible N mes Jacqueline Chambon Ricoeur P 2000 La m moire l histoire l oubli Paris Seuil
21. tre Kossi foui donne le plus souvent un appareil photo l un de ses personnages Photos de presse photos d artiste ou photos d identit fixent des images que le narrateur regarde Elles deviennent objet du r cit Deux langages diff rents se c toient ils sont le v hicule d une nouvelle r alit repr senter et se repr senter Puisque pour Kossi foui un mot n est jamais puis dans ce qu il a dire l esth tique romanesque de cet crivain semble d un livre l autre user de la plasticit de ce genre litt raire pour s en servir comme d un r v lateur de l acte de lire confront aux mutations techniques de notre monde pour s en servir aussi comme r v lateur de l homme d aujourd hui La lecture est un acte prouver Ce dramaturge crit des romans pour dit il pouvoir prendre son temps De fait la forme romanesque est f conde Mots cl s roman Togo photographie lecture identit Abstract The romantic work of Kossi foui is marked by the urgency to Be Kossi foui mostly gives one of his characters a camera Press artists or ID photos fix images the narrator looks at They become object of the narrative Two different languages mix they are the vehicle of a new reality to be represented and to represent Because for Kossi foui a word is never exhausted in what it has to say the romantic aesthetics of this writer seems from a book to the other to
22. u moment o son narrateur voit la photo celle o la photo a t publi e celle o la photo a t prise au point d en rythmer les instants de les faire entendre La lecture suit quant elle plusieurs tapes La premi re est celle d clench e par le dessin des lettres barr es Parce que les lettres BIENVENUE ont laiss la trace de CHEKPOINT l effacement partiel ouvre le r cit sur l autre pancarte celle qui se trouvait l avant d tre recouverte La seconde et la troisi me sont concentr es sur les gens pr sents sur la photo Le narrateur qui cerne le champ de vision du lecteur raconte comment les gens sont convi s lever les bras comme s ils attrapaient les lettres crites sur le mur Cette lecture ci semble d cal e bien s r le narrateur raconte ce qu il voit pourtant ce qu il d crit peut pr ter confusion Le geste de lever les bras est peut tre aussi le geste de quelqu un qui fait signe parce qu il est content la demande du photographe d agiter les mains pendant la pose serait ainsi la garantie d une photo souvenir plus dynamique Une quatri me lecture concerne le jeu du polisson au moment o le lecteur d couvre tout ce qui est crit sur la pancarte Dans ce dispositif le clin d il auquel se livre le narrateur de Solo d un revenant en choisissant plusieurs cadrages la m me image n est pas une simple manipulation Il est surtout l occasion de mesurer que
23. urbablement d cor y compris m me les bras le long du buste l esquisse des paules la t te elle m me la t te quoi la t te Voir puis regarder l insoutenable font l objet de cet pisode La lecture m le le regard du photographe celui de l artiste qui ordonne ses photos suit le mouvement de la pupille du narrateur qui carquille les yeux pour distinguer le contenu des photos affich es Le choc provoqu par ces images est effroyable Le r cit qu en fait le narrateur n a pas pour autant de fonction herm neutique m me si l exposition laquelle il assiste fait l objet de critiques s v res Le r cit prend soin de les rapporter Pourquoi donc rapporter une telle manifestation f t elle artistique La fonction du r cit est aussi soulev e puisque ces foui 2001 p 74 75 foui 2001 p 108 109 p 111 112 Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 et 2 2011 photos sont telles qu il est presque impossible de les regarder Les yeux se ferment devant de telles horreurs L aporie est probablement une contrainte Puisque l indicible ne peut tre racont que le message creus sur la peau de ces victimes ne peut tre compris il importe bien davantage de donner corps au roman qui les rapporte Kossi foui s appuie sur la dimension graphique de l image et du texte pour prouver les sensations du lecteur Le photographe de son c t a d pouill son image de toute profo
24. use the plasticity of this literary genre to use it as a revelation of the act of reading confronted with the technical transformations of our world to use it as well as the 102 Revue de l Universit de Moncton vol 42 n 1 et 2 2011 revelation of the man of today The reading is an act to be felt This playwright says he writes novels to be able to take his time Actually the romantic shape is fertile Keywords novel Togo film photography reading identity Les quatre romans crits par Kossi foui lient r cit et image plus pr cis ment r cit et image photographique Qu il s agisse de portraits collectionn s par l ami d Il o Para dans La Polka en 1998 ou par le narrateur d l ombre des choses venir en 2011 de photographies de reportages ceux d Edgar Fall ou de John Quinqu liba dans La fabrique de c r monies en 2001 ou encore celles montr es par Marl ne dans Solo d un revenant en 2008 de photographies qui deviennent d identit lorsque l administration les authentifie d un tampon officiel ou l oppos de photographies montr es dans le cadre d une exposition artistique les photographies sont des photographies argentiques Le photographe qui capte une r alit la cadre derri re son objectif et offre ensuite au spectateur de partager son regard Raconter s apparente la m me d marche Raconter continue en effet de poser une question essentielle celle de la plac
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