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1. Ecrire des lettres d opinion aux quotidiens semble tre la voie privil gi e par le h ros pour se faire entendre de ses semblables Toutefois au moment d crire une lettre inspir e par le bien tre qu il ressent dans la nature au lac Vert ce citadin n arrive s exprim r qu en formules creuses ou administratives Le narrateur raconte Ainsi donc le seul genre de prose qui lui tait assez familier tait celui l dont il n avait pas le go t Une grande d solation lui vint Comment faisaient ils donc les autres qui pouvaient parler avec justesse de sentiments vrais pour eux et pour tous Comment s y prenaient ils ces auteurs de livres dans lesquels il s tait reconnu mieux qu en lui m me 195 J rgen Habermas L espace public Paris Payot 1988 1978 p 259 106 Incapable de joindre sa voix la doxa journalistique impuissant devant la marche de l Histoire Alexandre subit le drame d tre exclu des sph res d action et de r flexion de la soci t en plus d tre confin un r le qui ne correspond pas ses aspirations Ses soucis financiers et son tat de sant vacillant rendent am re la vie de ce caissier conscient comme Sisyphe d tre ali n Son seul plaisir s informer sur le monde est g ch par le fait qu il le per oive comme une responsabilit et qu il s implique symboliquement dans les v nements mondiaux au point de s en culpabiliser et de se ronger d
2. double d tour M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 1987 p 76 67 de ses citoyens Arguant que les libert s individuelles sont sources de dilemmes r soudre Cousin est attir par ce type d tats et cela s explique par l apparente facilit d une vie sans questionnement Du coup cette rh torique permet l auteur de formuler une critique peine dissimul e des r gimes politiques vis s Pour ajouter la confusion Cousin rabroue aussi son coll gue de bureau sur ses id es en lui parlant de l absence de libert s individuelles en Chine ce qui laisse croire que le militant d fendrait la cause communiste En fait la politique occupe une zone grise dans le roman parce que Cousin refuse de s engager ou de manifester une opinion politique pr cise Lors de Mai 68 il tait m me hant l id e que les gens se rencontraient et que des inconnus se parlaient dans la rue Or on en reste surpris parce que la question des rapports humains et de la fraternit occupe toute la place dans ce r cit qui n glige les macrostructures que sont les gouvernements Toutefois les rapports humains demeurent un ph nom ne que Cousin observe distance et auxquels il r f re avec une terminologie qui n est pourtant pas celle de la psychologie C est plut t en termes conomiques qu il traite des questions humaines et fraternelles Encore une fois le narrateur confond les registres de langues et m lange
3. Alors que dans Bonheur d occasion les discours standardis s et doxiques sont utilis s comme espace culturel de m diation symbolique ils acqui rent dans Alexandre a FL F r i F 25 Chenevert partir de d s miotisation et de res miotisation une dimension cr ative 25 Vincent L Schonberger Strat gies de d mythification du discours id ologiques dans Alexandre Chenevert Winnipeg Presses universitaires de Saint Boniface 1996 p 146 31 Le g nie royen s exprime travers le choix des discours recycl s et de leur r utilisation 26 i hors contexte ou parataxique Incapable de voir clair dans cet amas de connaissances Chenevert livre un t moignage de fraternit ponctu de ses petits soucis En apparence d nu de capacit s de r flexion et d action Alexandre est un h ros malgr tout Alexandre is the non hero who becomes hero Paul Socken voque la grandeur qui merge de la petitesse du caissier La grandeur d Alexandre Chenevert ou du moins son importance provient du fait qu il incarne l homme moyen Dans sa plaquette Myth and morality in Alexandre Chenevert celui ci d finit d abord le h ros au sens mythique avant de conclure qu Alexandre appartient cette cat gorie de personnages The hero of myth is one who experiences a personnal discovery followed by the anguish of incommunicability Alexandre jongle avec des enjeux qui le
4. anonymat de celui qui travaille dans la deuxi me cage de verre de la banque qui est devenue pour les critiques litt raires le symbole de l emprisonnement du h ros employ Ainsi ce titre voque le fait qu Alexandre devient une calculette aux yeux des clients de la banque et donne une id e de l importance du travail dans sa vie Occupant un emploi routinier le caissier l accomplit avec m thode et r gularit son avant midi de travail ressemble un long chapelet de clients qu il gr ne lentement Devant la foule il prend les humains pour des objets et en retour ceux ci se croient en pr sence d une machine Jamais 1l ne peut s entretenir r ellement avec ceux qui viennent d poser ou retirer de largent leurs brefs changes se limitent aux politesses ainsi qu des banalit s Il r p te toute la journ e les m mes consignes sur la correction de formulaires mal remplis Et cette routine se poursuit la caf t ria o il est oblig de souffrir les remarques impertinentes de son ami et voisin de guichet la banque Godias 100 Et l apr s midi est pareil l avant midi sauf que cet insomniaque chronique doit lutter contre le sommeil qui l assalle et qu il ne pourra trouver le soir venu Ainsi le h ros s puise vivre une vie monotone qui le rend acari tre tant la maison qu au travail o son irritabilit probablement caus e par ses difficult s de concentration lui a donn une
5. inqui tude propos d trangers Poussant l extr me sa compassion 1l s rige lui m me en bouc missaire conf rant un statut inqui tant aux multiples extraits de journaux pr sents dans la narration En effet si le r cit d peint une soci t satur e de discours contradictoires propagandistes et manipulateurs c est en grande partie parce que l attitude de son h ros envers l information m diatis e est compulsive Le narrateur d Alexandre Chenevert ne manque pas de souligner de fa on ironique l aspect tragique de la vie du protagoniste il pose plusieurs reprises un regard critique sur ce personnage qui se soucie davantage d autrui que de lui m me De m me le danger de la multiplication des discours m diatiques est r v l dans l exemple de ce citadin qui s isole de ses semblables pour s occuper des mauvaises nouvelles que l humain contribue cr er l chelle du globe Dans le roman le monde est r duit la repr sentation qu en donnent des organes m diatiques aux orientations politiques et corporatistes d finies et Alexandre Chenevert d crit lui m me l impuissance du citoyen qui tente d acc der l information la plus objective qui soit Bref on constate que les m dias deviennent un des l ment qui favorisent la d personnalisation du h ros On observe le contraire dans Gros C lin puisque le h ros prend les r nes de la narration m ne celle ci o il le veut
6. mal r tribu source d exploitation de l homme par l homme bref ali nant L histoire de urbanisation des choppes d artisans aux tours bureau y est irr m diablement li e Nombre d auteurs accordent une grande importance la condition d employ s de leurs personnages Dans les romans l tude signe de modernit et d urbanit les h ros sont des employ s du troisi me secteur ils ne participent pas la fabrication d un produit ou Pexploitation d une ressource Ils appartiennent au mouvement qui a vu l Occident moderniser ses installations manufacturi res mini res foresti res etc sp cialiser les t ches de ses ouvriers et baser son conomie sur des professions administratives juridiques financi res Toutefois loin des hautes sph res de la finance les protagonistes des r cits effectuent une besogne intellectuelle ce sont des cols blancs qui certes affranchis des conditions de travail mis reuses de leurs anc tres consacrent une grande partie de leur existence tre caissier de banque ou statisticien la succursale J de la Banque d conomie de la Cit et de l le de Montr al Alexandre Chenevert s acquitte des t ches r p titives d un caissier Signe de l importance de son occupation dans le r cit le responsable de la traduction anglaise du roman l a simplement titr e The Cashier Occultant le patronyme du h ros ce titre a le m rite de souligner l
7. par voies urinaires C est la spiritualit le droit sacr la vie d mographique et statistique l int rieur du syst me v g tatif avec bouillon de culture Les banques du sperme sont galement encourag es avec au besoin importation de main d uvre trang re Il y a galement accession la propri t avec cr dit au logement cl s en main Bref Gros C lin ce n est pas moi 121 Lorsque vous passez vos journ es compter par milliards vous rentrez la maison d valoris dans un tat voisin du z ro Le nombre 1 devient path tique absolument paum et angoiss comme le comique bien triste Charlie Chaplin IL Charlot veut que 1 soit cent millions il ne veut pas moins parce que pour que ce soit rentable il faut que ce soit d mographique 56 C tait d mographique chez eux ils essayaient par tous les moyens de lever le nez au dessus des flots 171 Je suis mu ici uniquement par un souci scientifique de rendre compte de la vie d un python Paris dans son cadre d mographique et avec ses besoins C est un probl me qui d passe celui de l immigration sauvage 26 3 Jean Moulin 1899 1943 et Pierre Brossolette 1903 1944 sont d illustres r sistants fran ais P invasion allemande lors de la Deuxi me Guerre mondiale Brossolette a r ussi chapper de nouvelles tortures en sautant du cinqui me tage du b timent o on le d tenait ce qui a provoqu sa mor
8. tend la France et l Occident 17 Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Gallimard Paris 1978 p 177 public Enfin partir d Alexandre Chenevert nous tenterons d appr hender la d construction du langage norm pratiqu e par le personnage narrateur de Gros C lin l aide des notions bakhtiniennes du sot du fripon et du bouffon CHAPITRE I ALEXANDRE CHENEVERT CHRONIQUE D UN PETIT HOMME DE GRANDS PRINCIPES L intrusion d l ments appartenant l Histoire dans les romans dits r alistes permet aux crivains de structurer et de situer spatio temporellement leurs r cits autour d v nements r els et d y faire intervenir leurs personnages En plus de transporter le lecteur d Alexandre Chenevert dans le Montr al des ann es 1947 1948 le bulletin de nouvelles rythmant une grande partie de la trame narrative du texte traduit l envahissement des m dias dans la vie de l homme envahissement favoris tout au long du vingti me si cle par le bond technologique qui a consid rablement am lior l efficacit de la propagation des discours informatifs techniques etc Ainsi les r alit s et leurs interpr tations provenant de la soci t de r f rence de l auteure Gabrielle Roy bombardent litt ralement le personnage de ce roman paru en 1954 tudi ici selon une perspective intertextuelle ce langage provenant du discours social s amalgame la narration h t rodi g ti
9. ventuelle troisi me guerre mondiale Tito Staline Gandhi un voyage autour du globe ponctue le cheminement de pens e de l insomniaque gard en tat d affolement par ses lectures effet de la propagande de la guerre froide sur son esprit ponge Mais qui donc des Russes ou des Am ricains pouvait bien avoir le plus de bombes atomiques Tr s importante la sup riorit en bombes L tait en quelque sorte la s curit 10 Les m dias utilisent la fonction informative du langage en tant que destinateurs ils ont pour premi re t che d tablir un contact avec leur destinataire lui faisant parvenir un message charg de contenus conformes la v rit la base de toute p dagogie cette relation s inscrit sous le signe de la confiance c est dire que le destinataire d pourvu d une connaissance sp cifique entend recevoir de la part du destinateur une transmission honn te une information av r e ou du moins la plus proche possible du seuil de connaissances le plus avanc La d sinformation est une relation contrevenant ces principes tandis que le texte d opinion comme son nom l indique se pr sente comme empreint de subjectivit Dans le roman outre des faits tablis on peut attribuer aux discours journalistiques et doxiques officiels des opinions et une part de d sinformation Celles ci contribuent la formation d un discours de propagande et la repr sentation d une deuxi me fonctio
10. Alexandre se questionne sur la faisabilit de produire une telle marchandise et de la vendre si bas prix Or le Made in Japan p 17 18 du roman voque pour nous un Made in China envahissant Br ve allusion un ph nom ne que nous connaissons maintenant sous le vocable mondialisation des march s ce passage voque les emplois sous pay s du tiers monde ainsi que les fermetures et les d m nagements d entreprises qui sont aujourd hui monnaie courante Cette pr occupation du h ros pour le lointain employ japonais nous porte croire que son sentiment exacerb de fraternit le m ne analyser autrement ce type de situation que les autres personnages du roman Ensuite lorsqu il annonce Godias avoir lu que la plan te terrestre se r chauffe 51 Alexandre se heurte une r flexion primaire de celui ci On a jamais pass un hiver aussi dur pourtant fit remarquer Godias la bouche pleine Lors de la r v lation de cette catastrophe environnementale qui est plus que jamais d actualit le narrateur nous pr sente la r action de Godias et nous imaginons celui ci dans la peau d un de nos contemporains maniant sa pelle et s esquintant le dos en r vant de r chauffement climatique et d hivers plus doux Ce passage la caf t ria est b ti la mani re d un dialogue humoristique dans lequel les enseignements de Chenevert sur les ph nom nes d actualit alternent avec les r ponses blag
11. Andron Marie Pierre 1996 La repr sentation du corps dans Alexandre Chenevert In Colloque international Gabrielle Roy Actes du colloque soulignant le cinquanti me anniversaire de Bonheur d occasion tenu au Coll ge universitaire de Saint Boniface du 27 au 30 septembre 1995 sous la dir d Andr Fauchon p 123 135 Winnipeg Presses universitaires de Saint Boniface Babby Ellen Reisman 1982 Alexandre Chenevert Prisoner of Language Modern Language Studies vol 12 no 2 p 22 30 Babby Ellen Reisman The play of Language and Spectacle structural Reading of Selected Texts by Gabrielle Roy Toronto ECW Press 1985 122 p Boucher Jean Pierre 1988 Point de vue narratif dans Alexandre Cheneverty Litt ratures no 1 p 149 164 Brochu Andr 1989 Le sch me organisateur chez Gabrielle Roy Voix et Images vol 14 no 3 p 414 422 Brotherson Lee 1981 Alexandre Chenevert an uhnappy Sisyphus Essays in French Literature no 18 p 86 99 Brown Alan 1956 Gabrielle Roy and the Temporary Provincial The Tamarack review Vol 1 no 4 automne p 61 70 Chassay Jean Fran ois 1995 Alexandre Chenevert ali nation et communication Chap in L ambiguit am ricaine Le roman qu b cois face aux Etats Unis p 53 63 coll Th orie et litt rature Montr al XYZ Drummond Dennis 1990 The Problem of the other in Alexandre Cheneverty Australian Journal of French
12. L RUPTIF LANGAGE DU PYTHON 65 SECTION 5 GARY AJAR DU DROIT SACR DES PEUPLES DISPOSER D EUX M MES AU DROIT LA VIE 83 CONCLUSION ueeeuee eue eue 95 APPENDICE A CORRESPONDANCES ET CO NCIDENCES PERSISTANCES GARYENNES CHEZ AJAR 113 BIBLIOGRAPHIE 120 R SUM Peut on envisager la reprise du discours social de la doxa selon Marc Angenot dans le roman comme une relation intertextuelle Nous avons choisi de le faire en tudiant Alexandre Chenevert de Gabrielle Roy 1954 et Gros C lin de Romain Gary mais sign mile Ajar 1974 Ces uvres contiennent de nombreuses r f rences au dit et l crit de la soci t de leur auteur des extraits de journaux des publicit s des expressions etc Nous avons observ les modalit s de ces inscriptions du discours social dans un corpus h t rog ne en apparence ces romans tant de factures fort diff rentes du point de vue de leur narration et du ton employ dans celle ci Tandis que la premi re est h t rodi g tique et classique la seconde est autodi g tique et humoristique Toutefois ces romans crits vingt ans d intervalle ont tous deux une m tropole Montr al et Paris comme cadre et sont centr s sur un personnage de col blanc dont l emploi est routinier et qui souffre de sa solitude
13. chis du probable dans les discours sot riques comportant un co t lev de sp cialisation sciences philosophies Doxa d note alors l ordre de implicite trivial du trivium du langage des carrefours Ces trois acceptions doxa commune doxa stratifi e en distinctions doxa vs pr suppos s des savoirs ne doivent pas conduire au choix d une d entre elles il s agit ici comme pour les degr s de la langue litt raire de percevoir simultan ment les dissimilations et les d nominateurs communs Dans l tendue du discours social la doxa repr sente l tat de ce discours qui d finit le mieux une soci t donn e Toutefois on peut aussi la fractionner selon les groupes qui la composent et en arriver plusieurs doxas Aussi l argumentation des discours rh toriques se mesure aux faits des discours sp cialis s pour cr er une troisi me doxa La doxa apporte l tude du discours social de la soci t du roman la possibilit de le consid rer comme opinion sociale ou encore de le compartimenter selon l identit du groupe ou de l individu qui met une opinion publie un article etc Enfin la doxa permet de saisir les effets du discours critique sur les discours qui ont cours dans le microcosme social qu est le roman Les romans et plus forte raison les romans l tude v hiculent une part des id es qui circulaient dans la soci t de r f rence partir de laquelle ils ont t cr
14. coute de son appareil radio m dias le pourvoyant de connaissances devant lesquelles il reste bahi Son humanisme catholique l oppose aux guerres mais en revanche il est incapable de trouver triste ironie un individu avec qui discuter sur la n cessaire fraternit qu impose aux hommes le vingti me si cle et tout ce qu il comporte d innovations technologiques de meurtres grande chelle et de catastrophes naturelles ou humaines En somme hant par la barbarie de ses cong n res Chenevert se trouve en opposition totale avec un certain personnage de l univers y y qui devant famines et guerres ne pensait qu ses petits soucis et balan ait de la voix nasillarde de Jacques Dutronc son et moi et moi et moi Avec ses inqui tudes et ses contradictions le personnage d Alexandre Chenevert traduit bien les pr occupations li es la d mocratisation de l acc s l information Impuissant devant la souffrance humaine il se fait un devoir de s en informer en cultivant un sentiment de culpabilit La vie urbaine favorise sa boulimie pour les actualit s qui tapissent les murs et abondent dans les kiosques journaux La ville est un lieu d change des discours doxiques et le h ros en fait une consommation compulsive Ces discours hantent ses pens es et perturbent son sommeil puisqu il ne cesse d y r fl chir et cette obsession va de pair avec la d personnalisation qui caract rise son existence Ali
15. crivain suivi de Jeux du romancier et des lecteurs par Gabrielle Roy Montr al Beauchemin 1973 p 55 56 47 p ril jaune Les beaux sentiments de cet humaniste semblent toujours g ch s par la souffrance et les inqui tudes qu Agnes Whitfield d crit ainsi dans Alexandre Chenevert cercle vicieux et vasions manqu es Alexandre souffre beaucoup et en un sens b tement d une part parce qu il partage l ins curit conomique de la petite bourgeoise des ann es cinquante et l ins curit globale de l ge atomique et d autre part parce qu il prouve un sentiment exag r de culpabilit envers sa m re Culpabilit que nous serions tent s de g n raliser au monde entier preuve cette trop grande reconnaissance qu il attribue Mrs Roosevelt qui travaill l laboration de la Charte des droits et libert s de 1948 Alexandre fut assez confus de penser que Mrs Roosevelt elle m me tait occup e le d fendre 224 Son apparente petitesse l emp che de prendre connaissance de la valeur de ses propres actions humanitaires et le pousse surestimer celles que posent ceux dont la position le permet plus ais ment Ainsi Alexandre d veloppe une volont d implication dans les affaires du monde trop prononc e pour un simple homme quel qu il soit Si l on peut reconna tre une valeur certaine voire m me proph tique plusieurs des r flexions qui traversent l
16. dans les journaux les causes que d fend le professeur se met la lecture de ceux ci dans le but de faire de Tsour s un ami avec qui il pourrait discuter Ensuite lorsqu il s agit du ministre appel provisoirement Jean Foyer citation IV Cousin d crit sa fa on le carrousel des hommes politiques qui ne conservent leur poste que tr s peu de temps La citation III r v le sa m fiance envers le langage norm employ par les m dias Cette m fiance est motiv e par la conviction de Cousin que la transgression des r gles grammaticales et s mantiques de la langue fran aise est porteuse d espoir Nous Nous aurons l occasion de revenir sur le th me de la r sistance dans le roman 13 I Selon les journaux il le professeur Tsour s a sign l an dernier soixante douze protestations appels au secours et manifestes d intellectuels 114 Il Je me suis mis lire les journaux avec attention pour trouver des sujets de conversation d faut d autre chose 116 IT J ai toujours lu dans les journaux qu il y a des naissances accidentelles partout dans les trains avions taxis mais je n y avais jamais tellement cru connaissant leurs fa ons avec le vocabulaire 146 IV Au caf j ouvris courageusement mon journal et je lus dans ce contexte que le ministre de la Sant qui s appelait alors provisoirement Jean Foyer s tait vigoureusement prononc contre l avortement la tribune d
17. de cette limite votre ticket n est plus valable ayant pour id e fixe son d clin sexuel et qui s exprime d une fa on qui rappelle le langage de Cousin avec ses emprunts aux discours sociaux Lorsque Laura pleurait il y avait crime contre l humanit Il y avait exode des populations civiles Ul Romain Gary Les racines du ciel Paris Gallimard 1956 p 8 12 D clin qu il qualifie de fa on fort ajarienne plusieurs reprises de chute de l empire romain 90 mitraill es sur les routes Il y avait nazisme et Hitler c tait moi Enfin on sent que Cousin incarne aussi la vision du monde de l auteur lorsque vient le temps de donner une voix M Parisi Tous mes clients cachent honteusement une voix secr te car ils savent que la soci t se d fend Par exemple elle ferme les bordels pour fermer les yeux C est ce qu on appelle morale bonnes m urs et suppression de la prostitution par voies urinaires afin que la prostitution authentique et noble celle qui ne se sert pas du cul mais des principes des id es du parlement de la grandeur de l espoir du peuple puisse continuer par voies officielles Il vient donc un moment o vous n en pouvez plus et o vous tes d vor par le besoin de v rit et d authenticit de poser des questions et de recevoir des r ponses bref de communiquer de communiquer avec tout avec le tout et c est l qu il convient de faire appel
18. en sont pas moins humoristiques et leur technique efficace L exemple dans lequel il affirme que fr quenter un lieu de miracles et de gu rison comme Lourdes n aiderait en rien sa situation est loquent Je ne dis pas que Lourdes a ne vaut rien c est peut tre actif pour des tats d ficients l gaux paralytiques ou autres reconnus d utilit publique par l Ordre des M decins et la s curit sociale Je ne parle que de ce que je connais moi Tout ce que je sais c est que pour les tats contre nature pour causes naturelles a ne vaut rien 86 L expression tats d ficients l gaux pour d crire des personnes physiquement handicap es surprend par sa froideur et sa technicit plus que fonctionnaris es En fait on voit peu de diff rence entre cette cat gorisation impersonnelle et celle qui fait de sa femme de chambre la main d uvre trang re Les individus comme Cousin sont quant eux cat goris s d tats contre nature pour causes naturelles La contradiction entre le contre nature et les causes naturelles exprime avec humour le sentiment qu prouve Cousin d tre irr m diablement part et bien entendu ingu rissable par voies miraculeuses l gard de ces technicit s que Cousin r emploie hors contexte Dominique Rosse d finit ce qui serait le principal proc d langagier l uvre dans les romans sign s Ajar le itt ralisme Les jeux de mots chez
19. esprit de Chenevert on peut en revanche estimer la suite de plusieurs critiques de l uvre que les comptes rendus journalistiques lui font d velopper un rapport conflictuel au monde D s 1954 Gilles Marcotte emploie le terme bouc missaire qui repris par Marc Gagn dans Visages de Gabrielle Roy s av rera l un des plus justes pour cerner les pr occupations insens es du h ros En effet en s imposant la responsabilit de s informer et en s imaginant la place des d cideurs de la plan te Alexandre d veloppe une vision intime et probl matique des conflits mondiaux La narration rend cela explicite quand on voit Alexandre se faire du mauvais sang pour des peuples et des personnes sur la destin e desquels il n a aucune influence Sans possibilit d action sur un monde dont il ne voit que le reflet m diatis Alexandre souffre de conna tre sans bien comprendre et sans pouvoir agir Si une ducation la mesure de ses capacit s et un milieu intellectuel plus stimulant lui auraient t Agnes Whitfield Alexandre Chenevert cercle vicieux et vasions manqu es Voix et images du pays no 8 1973 p 107 48 b n fiques Alexandre doit se r soudre vivre dans la contrainte pris dans une ville qui l enserre un m tier abrutissant et un syst me hospitalier qui le force vivre Outre la marche Chenevert n a pour seules passions que la lecture des quotidiens des livres et l
20. est parce qu il n a pas su ni voulu reconna tre et r aliser sa vocation f minine essentielle 341 Romain Gary La nuit sera calme Paris Gallimard p 14 Dor navant les r f rences au texte de l entretien seront identifi es par le num ro de la page entre parenth ses 114 Outre la question de l avortement on retrouve dans La nuit sera calme une notion de d mographie tout autant d tourn e que dans Gros C lin La France c taient des mains humaines avec un vrai sens du toucher du fond et de la forme et qui avaient un peuple derri re elles et pas seulement une d mographie n est ce pas M Debr M Foyer 93 On remarque dans ce dernier extrait outre une nouvelle charge l endroit de Foyer l emploi du terme d mographie qui renvoie p jorativement une donn e statistique D autres exemples de ce d tournement s mantique que d aucuns seraient tent s de qualifier d ajariens se rencontrent dans l entretien Apr s quoi la bourgeoisie a fait de J sus un cache sexe C tait un homme J ai toujours eu envie de lui serrer la main Bien s r on ne le rencontre plus parce que la d mographie a cache mais il est toujours l crever quelque part 228 D s que cette part d irrationnel et de po sie est bannie tu n as plus que de la d mographie du num raire rigidit cadav rique et cadavre tout court 311 Or en Californie et ailleurs en Am rique
21. heure de son d part Alexandre semble se conformer au portrait que dresse Camus de l ouvrier conscient de sa condition ex crable Oh non ce n est pas possible je ne suis pas devenu ce pauvre caissier 69 Pour ajouter au constat les chiffres que le caissier manie habituellement ais ment semblent se jouer de lui lorsqu il commet une erreur de calcul Un pi ge se referme sur lui ses souvenirs incontr lables le harc lent tandis que ses coll gues quittent la banque baign s des rayons du soleil couchant Devant ses propres troubles d arithm tique Alexandre perd ses rep res C tait donc encore le jour et m me ce devait tre le printemps si Alexandre avait bonne m moire Pr cis ment ce devait tre le mois d avril Dans son esprit accabl de chiffres essayait de rena tre quelque chose d autre de tr s navrant car c tait un souvenir qui ressemblait de la joie 68 En plus de l ternelle complainte de l employ qui les heures de travail volent toute la lumi re du jour ce passage nous r v le un Alexandre dont les pr occupations de caissier lui font presque oublier le retour de la belle saison en plus d vacuer de ses r veries les pens es heureuses Les chiffres prennent une place plus que pr pond rante dans la vie du caissier au point qu une 14 C tait lui Alexandre qui les les clients regardait comme des objets 41 15 Alexandre croisa ce regard qui le voyait comme une
22. invivable ce faisant elle semble partager les pr occupations ontologiques de Cousin quant l existoir dont nous reparlerons ult rieurement Li e irr m diablement aux 22 Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 134 23 C est Cousin lui m me qui en dehors d un contexte de travail fait un rapprochement entre les hommes et les choses Je suis oblig d en parler cause de la clandestinit qui est un tat naturel dans un agglom rat de dix millions de choses 38 24 C est Cousin qu est emprunt e l expression lui qui par l essaie d anoblir l un des m tiers les plus m pris s qui soit J essaye cependant de ne pas pencher d un seul c t et d avoir un r gime quilibr Je vais r guli rement chez les bonnes putes et je tiens proclamer ici que j emploie ce mot g n reux putes avec son plus noble accent de reconnaissance d estime publique et d Ordre du M rite car il m est impossible d exprimer ici tout ce qu un homme qui vit dans la clandestinit avec un python ressent parfois dans nos circonstances 57 2 ce sujet Anne Simon r sume le parcours de Cousin une tentative de muer de muter de lutter pour outrepasser les fronti res des r gnes naturels et acc der un tat lui permettant d chapper la nullit ontologique qui le frappe depuis l enfance la fraternit humaine Ann
23. l tude Dans 2 Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Paris Gallimard 1978 p 159 10 Alexandre Chenevert on le verra c est une doxa du discours m diatique journaux et radio qui occupe la presque totalit de cet espace intertextuel La narration garde les traces d un v ritable dialogue qui s op re dans les pens es du h ros lorsqu il commente les actualit s et qu il y r fl chit Celles ci sont pr sent es sous la forme de manchettes factuelles statistiques Autour de ces derni res se greffent des opinions que le h ros a lues ou entendues et qui peuvent maner des instances Jjournalistiques et gouvernementales en plus des opinions de ses coll gues amis fr quentations qui s ajoutent au discours social de la soci t du roman Dans Gros C lin les emprunts aux discours informationnels comme ceux des journaux se font par le biais du h ros narrateur qui reprend son compte les actualit s ainsi que les crits des sp cialistes de divers domaines Ces pr sences intertextuelles plus souvent qu autrement utilis es hors contexte sont le fruit d une appropriation du narrateur et d une incorporation sans guillemet ou introduction de citation sa narration de doxas trang res Sans que l on puisse identifier une obsession de Michel Cousin pour le message des discours journalistiques on peut observer sa fascination pour ce type de langage qu il r cup re en racontant sa propre
24. l art 94 Saurait on trouver un meilleur r sum de la partie de cette assertion sur les bordels ailleurs que chez Gary lui m me Apparaissant dans La nuit sera calme 360 pages d autobiographie et d opinions cette affirmation semble calqu e sur celle de M Parisi Je ne crois pas qu en fermant les bordels on prouve qu on est pas soi m me une pute gt cet effet on note chez Gary que la vilenie de la prostitution mentale l emporte toujours sur celle de la prostitution physique C est d ailleurs une persistance dans ses romans et dans son essai Pour Sganarelle Recherche d un personnage et d un roman qui introduit la s rie de trois textes Fr re Oc an Dans cet essai suppos e th orisation de sa recherche d inspiration il affirme qu il a choisi de traiter de la bombe atomique cette nouvelle Puissance devant laquelle homme s incline Il le fera dans La t te coupable troisi me texte de la s rie Fr re Oc an L accusation de prostitution intellectuelle l endroit des scientifiques est pr sente du d but la fin de Pour Sganarelle galement ponctu de r glements de compte litt raires avec la critique et certains auteurs Gary en ternel radoteur oppose plusieurs fois dans son uvre la prostitution du corps celle de la t te rendant b nigne la premi re et maligne la seconde 5 Romain Gary Au del de cette limite votre ticket n est plus valable Paris Gallimard 1975
25. le Grand Paris dans toute sa grandeur inamovible avec monuments Il Gros C lin allait tre rampant bas empoisonn par l oxyde de carbone Et il y avait la x nophobie dans les rues les gens sont contre l immigration sauvage et un python ne passe pas inaper u on a m me tu des Arabes pour moins que a 148 C est souvent ce double niveau que le narrateur de Gros 77 Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 137 78 C lin travaille il fait des rapprochements d id es saugrenus parle de x nophobie l gard de son serpent mais conclut sa phrase par un commentaire sur les Arabes peut tre surtout les Alg riens victimes de s gr gation raciale en France Ajoutant en plus un commentaire sur la pollution par l oxyde de carbone dans la capitale Cousin dresse le portrait inqui tant des soci t s occidentales et de leur fermeture l gard de la pr sence d immigr s dans leurs cit s Avec humour Cousin poursuit tout au long du roman cette comparaison entre son animal et un tranger lui associant le statut d tre craint et mal aim Ainsi Gros C lin devient selon le contexte un python juif 181 ou un travailleur tranger sauvage 153 que Cousin h berge dans la clandestinit Ces passages confirment le caract re universel du fardeau que Cousin fait porter symboliquement son python il attribue souvent Gros C l
26. lui On serait tent de croire que L once a quitt le vieux Vanderputte en emportant ses organes mais ce qui est v ritablement exprim ici c est que le fils a abandonn son p re sans se soucier de la pi tre condition physique des organes de celui ci Enfin Luc Martin y va d une r flexion qui semble tout droit sortie de Gros C lin quand il r f re un garde barri re au pouce vert Je sentais que je n avais aucune chance de le 12 Romain Gary Les t tes de St phanie Paris Gallimard 1974 p 48 Romain Gary Le grand vestiaire Paris Gallimard 1948 p 38 Romain Gary Le grand vestiaire Paris Gallimard 1948 p 43 119 convaincre Il aimait trop les roses celui l Il ne lui restait rien pour les autres On sent dans cette affirmation la notion d amour quantifi que Cousin d veloppe l aide du vocabulaire emprunt la science conomique tout au long de son trait affirmant souffrir de surplus affectif et d sirant montrer Mile Dreyfus qu il y a de la place pour elle chez lui c est dire dans son c ur Comme nous avons pu le constater les correspondances entre les romans sign s Gary et ceux sign s Ajar d passent la simple co ncidence leur nombre lev semble le confirmer L aventure Ajar serait avant toute chose un jeu litt raire une sorte de d fi que Gary se serait lanc lui m me Or si plusieurs ont vu dans les quatre Ajar le travail d un a
27. p 6 4l Robert Bellerose Jeux de surface dans Gros C lin M moire de ma trise Trois Rivieres Universit du Qu bec Trois Rivi r s 1986 p 51 62 La r sistance de Cousin se pratique seul dans la clandestinit et n a pas pour objectif de renverser le pouvoir c est une action apolitique qui vise comme seule transformation l accession de l individu la fraternit trangement il a peur que son rapport Moulin et Brossolette soit connu et cette m fiance semble renforcer son impression d tre lui m me un r sistant De plus la r sistance de Cousin n est pas active on ne peut affirmer qu il y travaille r ellement Sa r sistance est faite d esp rances il attend de la vie qu elle change et qu elle lui apporte une mue sociale C est dans cette perspective qu appara t la troisi me r currence th matique du roman l avortement Une contre conception de l avortement Davantage li une question d actualit qui secoue la France lors de l criture du roman l avortement est un exemple frappant de r cup ration d un d bat de soci t par Cousin Bien entendu sa narration reproduit ces discours et leur donne un nouveau contexte dans lequel ils perdent leur sens originel et ont pour seule fonction de servir la d finition que Cousin donne l avortement Apparemment sans lien avec le programme narratif annonc la r daction d un trait sur les pythons l pig
28. reprenons notre compte trente ans plus tard la caract risation qu il propose du personnage d personnalisation du petit caissier montr alais due l exc s d information qui l assaille et qui est comme une instruction d r gl e l acte d apprendre tourn en ali nation par sa d mesure La d personnalisation est le ph nom ne que nous souhaitons d crire en regard de la pr sence intertextuelle ou doxique dans le r cit en commen ant par une tude du texte lui m me Section 3 Narration par doxas interpos es L analyse intertextuelle d un texte suppose toujours a priori qu on puisse en extraire au moins deux strates de discours dont l une se greffe l autre pour tablir une dualit un change entre l criture d autrui et son actualisation Dans Alexandre Chenevert les hypotextes ou textes ant rieurs sont difficiles cerner car leurs auteurs sont multiples et leur statut de textes journalistiques les confine souvent l anonymat Ainsi la pr sence intertextuelle s insinue dans la narration la modifie sans qu un scripteur tranger pr cis y laisse sa trace Par exemple certaines pages certains chapitres 18 Isabelle Godin Alexandre Chenevert de l ali nation urbaine une r conciliation avec autrui M moire de ma trise Montr al Universit de Montr al 1994 p 43 26 d Alexandre Chenevert l image des bulletins de nouvelles contiennent tan
29. un journal informatif donc s rieux aux loisirs radiophoniques dont Eug nie appr cie la l g ret Calquant son attitude sur la teneur du propos des missions qu il affectionne Alexandre traite sa femme en enfant lorsqu il est d rang dans l coute de la rediffusion d une conf rence sur la paix Aupr s de son petit appareil de radio le front soucieux Alexandre faisait signe Eug nie d avoir se taire 224 Malgr cela il ne faut pas n gliger la place que le narrateur fait par un juste retour des choses aux opinions d Eug nie en reprenant les plaintes que celle ci formule l gard du caract re vraisemblablement monotone des bulletins d informations qu appr cie son mari La dichotomie entre le frivole et l utile est accentu e par le jeu auquel Mme Chenevert semble s adonner quand tombant sur des missions s rieuses la radio elle en travestit le discours changeant de cha ne et juxtaposant des bouts de phrases qui perdent ainsi leur sens et leur vis e informative La description de cette activit dans le texte rel ve du m tadiscours autor flexif car le narrateur joue lui aussi tourner le bouton des discours pour produire un amalgame confus d id es lorsqu il 12 cela on peut ajouter que le qualificatif mauvaises semble aller de soi lorsque le narrateur se montre ironique l gard de son personnage quand celui ci prend ses aises pour entendre parler
30. Ajar prennent souvent la forme de ce que l on pourrait appeler le litt ralisme qui exploite le rapport d notation connotation des mots par la distorsion de l un au profit de l autre ou l tranget qui na t du fait de les placer hors de leur contexte st r otyp Ils sont g n ralis s sous la m me forme dans les trois autres Ajar particuli rement dans La Vie devant soi dont ils constituent l essentiel du ressort comique le narrateur tant un enfant Il s agit l encore de produire un contraste au moyen d une fausse innocence celle du narrateur qui cr e un contexte favorable une ironie d non ant la perversit du langage Ainsi utiliser l expression main d uvre trang re pour d crire une personne comme F le fait Cousin semble odieux Or cette m me expression attribu e comme il se doit un 83 J rn Boisen affirme Cousin est ce que l on pourrait appeler un personnage id e fixe trouver quelqu un aimer un type assez fr quent chez Gary J rn Boisen Un picaro m taphysique Odense Odense University press 1996 p 159 84 Dominique Rosse Romain Gary et la modernit Ottawa Les presses de l Universit d Ottawa 1995 p 103 82 groupe d trangers dont on ne reconna t que le caract re d employabilit renferme d j un caract re s gr gationniste La narration questionne l usage de l expression consacr e en individualisant son destinataire
31. Azarius Lacasse par exemple Chenevert fait partie du premier balbutiement de ce qui deviendra la classe moyenne au Qu bec Il est aussi du nombre des h ros de romans psychologiques qui tentent de r concilier leur vie avec leurs aspirations nouvelles et leur conscience obs d e Alexandre souffre de ne pouvoir que s instruire sur un monde dans lequel il souhaiterait intervenir en agissant concr tement ou en tablissant un lien crit avec ses semblables pour leur communiquer ses tats d me En repr sentant un Montr al rempli des discours m diatiques et ouvert sur le monde le roman de Gabrielle Roy nous instruit sur le sort d un citadin moderne d racin et sans communaut d appartenance qui se cherche une filiation avec le genre humain en feuilletant les journaux D u de l image du monde que les m dias lui renvoient il se culpabilise de ne pouvoir concr tiser utilement son sentiment de fraternit exacerb Il se condamne ing rer des informations de plus en plus nombreuses et pas n cessairement exactes qui concernent des lieux toujours plus lointains Si ce proc d lui rend familier ce qui vient de l tranger il n en demeure pas moins que la d sinformation laisse ce spectateur isol devant un amas de connaissances dont il ne peut d partager le vrai du faux Bref s il travaille enferm dans une cage de verre 1l est aussi prisonnier des discours qui pullulent mais qu il ne peut ignorer ceux ci hant
32. France 1981 p 345 347 7 Dominique Fortier tudes stylistique des romans d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1997 p 45 72 Le passage l absolu C est l un des tours les plus sournoisement efficaces d Ajar Il coupe de toute r f rence d autres termes un mot ou une expression qui les appelle au contraire imp rativement C est l absolu forc Michel Tournier Le vol du vampire Paris Mercure de France 1981 p 347 76 l int r t de Gros C lin en l extirpant de son milieu de vie Cousin se donne aussi la mission humanitaire de prot ger Mile Dreyfus en lui faisant une place dans son existence parisienne On comprend vite que ces gestes de charit ne peuvent profiter qu celui qui les pose et que le solitaire Cousin recherche la compagnie de ceux qu il croit pouvoir aider confondant amour et entraide dans sa qu te de fraternit Ainsi comprend t on les regrets premi re vue insens s du protagoniste qui loin d esp rer le retour de la Shoah ou de la traite des esclaves souhaite seulement utiliser de fa on bienveillante son ascendant sur quiconque pourrait en avoir besoin roniquement il faudrait en effet que Mile Dreyfus soit son esclave pour qu il puisse l pouser Aussi son python bras caressant long de deux m tres vingt lui d montre quel point il est le seul impliqu sentimentalement dans leur relation Si bien que d
33. Petit Robert 1 Paris Dictionnaire Le Robert 1993 p 2609 71 un tat latent de frustration dans l ensemble de la population Si elle peut sembler nigmatique au d but cette fa on de s exprimer s interpr te ais ment parce que les pr occupations de Cousin sont toujours les m mes on d code ais ment le message que le narrateur souhaite envoyer Son cri du c ur perce toujours sous sa volont d utiliser le langage propre divers disciplines ou milieux Or c est pr cis ment ce m tissage qui le distingue et qui fait dire au professeur Tsour s que Cousin parl e un fran ais tr s curieux 131 Emprunts de langages un taux avantageux La langue de Cousin s inspire de toutes sortes de discours appartenant divers registres Ainsi discutant avec un cur il emploie l expression nourritures terrestres 20 pour r f rer au repas de son animal de compagnie des souris vivantes et terrestres il est vrai Dans ce dialogue Cousin sollicite l avis du p re Joseph sur l entretien de son python et l eccl siastique lui reproche de ne pas avoir adopt Dieu au lieu d un serpent La r duction de la foi chr tienne des consid rations mat rielles se poursuit tout au long de l entretien dans lequel l abb affirme que Dieu ne bouffe pas de souris que Dieu est beaucoup plus propre Le p re Joseph utilise des arguments qui tonnent de la part d un homme de sa position et qui
34. Shek Social realism in the French Canadian novel Montr al Harvest House 1977 p 174 20 coupait net tournant le bouton obtenant de bouts de phrases reli s d autres un effet ahurissant Quelquefois une voix grave et pessimiste alertait l int r t d Alexandre Il demandait en entendre davantage Il r clamait aussi tous les soirs d couter les informations des checs certains des pourparlers sans fin des rumeurs de guerre des accidents dans les airs des pr paratifs de d fense comment pouvait il s int resser tout cela si monotone si peu vari que de soir en soir Eug nie avait l impression d entendre exactement les m mes nouvelles Parfois elle le regardait avec une curieuse insistance comme un tranger qu elle e t eu sous les yeux 105 106 En plus de d voiler un conflit entre les conjoints cet exemple r v le certaines des strat gies du narrateur dans la description sommaire des deux protagonistes En effet celui ci se d partit de son objectivit pour adopter un instant le point de vue de son personnage principal Cela est patent lorsqu il qualifie les romans qu coute Eug nie d interminables et qu il souligne l abondance d annonces les accompagnant par une suite de trois pith tes temporelles confirmant l omnipr sence publicitaire Cette concordance des visions semble confirm e dans le passage suivant quand Alexandre oppose symboliquement le froissement d
35. ailleurs les Occidentaux alimenteront une propagande haineuse et efficace l endroit du bloc de l Est Traumatis par les comptes rendus journalistiques des g nocides et des combats meurtriers de 39 45 Chenevert appr hende la naissante guerre froide m fiant et ambivalent comme une majorit d Occidentaux devant les Russes alli s d hier et ennemis d aujourd hui comme le fait remarquer Jean Pierre Boucher Le monde d Alexandre est agit par le changement continuel qui modifie sans arr t les donn es d une question Les autorit s ont ainsi pr sent tour tour les Russes comme des ennemis des alli s et nouveau des ennemis et les Allemands ennemis d hier sont devenus les alli es du moment Dans cet univers instable Alexandre est noy sous une masse d informations contradictoires Il d couvre avec angoisse que la V rit n existe pas De cette fa on le texte rend compte de l esprit d ins curit qui frappait l imaginaire de la x population l poque de cette guerre davantage faite de menaces de ferveurs nationalistes et de courses aux armements que de combats r els entre les supe puissances Alexandre Chenevert se pr sente donc comme une r flexion sur Jocelyne Thifault L information et la publicit dans Alexandre Chenevert M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 1994 p 29 6 W C Lougheed Introduction In Gabrielle
36. alors que la v rit sur l affaire Ajar n tait pas encore close Michel Tournier tente de cat goriser les proc d s ajariens en se servant d exemples provenant majoritairement de La vie devant soi Toutefois Tournier brosse un tableau rapide de quelques uns des 19 questionne l usage que fait Cousin des agencements causatifs formels et en particulier les cause de dont la pr sence dans le r cit est incontournable Les noirs Paris ont beaucoup de dignit cause de l habitude 65 Cousin entend par l que si les noirs parisiens ont beaucoup de dignit cela s explique par le fait qu ils sont habituellement trait s en citoyens de seconde zone Or si le contexte nous en fait ais ment comprendre le sens deux l ments font d faut dans cette phrase soit l utilisation du cause de et l expression habitude L utilisation du mot habitude sans sp cifier de quelle habitude il s agit repr sente un type de formulation ajarienne que Michel Tournier appelle le passage l absolu Et si l habitude en cause n est pas sp cifi e l utilisation de cause de perd son usage explicatif et m me si habitude est celle que nous avons identifi e pr c demment peut on affirmer qu la longue elle cr e un sentiment de dignit Le m me usage fautif du cause de se reproduit seize pages plus loin dans le r cit lorsque d rivant du c t des ani
37. avait vu quelques films d espionnage et il savait ce qu taient les Nazis 16 Ses lectures au m me titre que les films fournissent des connaissances ce h ros en qu te d une vision du monde la plus globalisante possible Il avait lu que des bateaux d migrants en vue de la terre promise au large de Jaffa se voyaient refuser la permission d aborder 14 G ographie et politique cohabitent dans sa t te remplie de toponymes aux consonances trang res Mourmansk Ankara T h ran 11 cause de la Deuxi me Guerre mondiale 16 Isabelle Godin Alexandre Chenevert de l ali nation urbaine une r conciliation avec autrui M moire de ma trise Montr al Universit de Montr al 1994 p 39 40 1 Elle rappelle en cela la r veuse Florentine Lacasse de Bonheur d occasion 24 Tributaire de ses connaissances le rapprochement virtuel avec les peuples du monde lui vient de sa consommation d actualit s et lui permet d tablir des comparaisons entre sa propre situation et le sort que la famine la guerre ou tout autre fl au imposent aux autres tres humains En adoptant ce point de vue diff rent Alexandre d veloppe un sentiment d empathie g n ralis e qui clipse l expression de sa propre souffrance preuve lors d un examen chez le m decin Alexandre br le d envie de se servir d une r f rence un quotidien pour d placer en homme pudique l int r t de sa visite sa dou
38. calage entre la d personnalisation qui caract rise ces deux personnages Si Chenevert peut tre qualifi de personnage ali n par excellence on ne peut en dire autant de Cousin qui demeure assez libre en bonne sant et l aise financi rement Leur exp rience urbaine respective rapproche davantage les deux protagonistes qui souffrent du manque d esprit communautaire de la cit Les deux h ros tentent de pallier diff remment leur sentiment de solitude Chenevert fait une grande consommation d informations d actualit ce qui le pousse d velopper un rapport personnel et fraternel avec les peuples du monde entier De son c t Cousin attend de la vie qu elle lui fournisse les possibilit s d mancipation et d amour qu il souhaite tant Aussi il pr tend d fendre sa cause en cr ant un langage nouveau qui traduira son espoir de changement ce sujet Gros C lin est narr de fa on autodi g tique et cette narration est pr sent e comme un trait sur les pythons que Cousin finit par transformer en autobiographie Or cet acte locutoire d marque Cousin de Chenevert dont le drame demeure de ne pouvoir s exprimer tant par l criture que par la parole Il en d coule un rapport au discours social v cu diff remment par les deux protagonistes puisque Cousin propose dans sa narration un collage humoristique des discours m diatiques et doxiques en g n ral Le deuxi me p le de cette analyse c
39. ce sont pr sent s dans leur exhaustivit sous la forme suivante Alexandre pensait ceci de cela et croyait qu il tait pr f rable d appuyer ceux ci plut t que ceux l En plus d accentuer l ditorial en songes de Chenevert la r p tition de son pr nom sert dresser son bilan m dical La grandeur du pr nom associ e au conqu rant grec est ici r duite la description des malheurs et des maux quotidiens d un col blanc aux prises avec sa conscience et une sant fragile Outre ces occurrences la r p tition des termes tels que bicarbonate de soude pep ou A S P I R I N E combin e au reste de ses pens es traduit les 24 Andr Brochu Le sch me organisateur chez Gabrielle Roy Voix et Images vol 14 no 3 1989 p 420 30 pr occupations d Alexandre pour son tat de sant et son besoin de d mystifier le monde m dical Autre proc d de description du malaise subjectif d Alexandre les num rations contenues dans le chapitre 1 du roman d voilent l une des obsessions du h ros l apprentssage et la r tention de toutes les donn es qui lui tombent sous la main Insomniaque Alexandre est submerg par des s ries de r flexions semblables aux r visions de veilles d examens r citant en lui m me une somme de savoirs av r s mais dans un ordre incongru Il ressemble alors davantage au vieillard craignant la s nilit qu l l ve assimilant avec m thode un
40. ce terme qui le rapproche de l abattoir Anne Charlotte stman semble avoir rep r l article dont s est servi Gary pour donner un point de d part son roman Dans l pigraphe lJes mots entre guillemets sont tir s d un communiqu o le Conseil national de l Ordre des m decins pr cise sa position vis vis de l ventuelle modification de la loi sur l avortement Cependant la citation n est pas enti rement correcte Dans le communiqu le mot avortoirs est mis entre parenth se mais l auteur de Gros C lin a voulu attirer l attention sur ce mot nouveau n Il a enlev la parenth se et l a crit en majuscules Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 13 14 Robert Bellerose Jeux de surface dans Gros C lin M moire de ma trise Trois Rivi res Universit du Qu bec Trois Rivi res 1986 p 32 note 36 45 Alexandra Jarque L ironie et l humour dans l uvre de Romain Gary et d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit de Montr al 1990 p 94 64 source d un malentendu lorsque Cousin crit une lettre au professeur Lortat Jacob Il y questionne le droit sacr la vie que les membres de l Ordre des M decins d fendent En fait il affirme que l acquisition du simple droit ne saurait suffire un individu qui n a pas acc s la naissance 82 or 1l s agit encore de la deu
41. confier l homme le moins fait pour le comprendre 246 Lorsque l abb Marchand recueille les confessions du h ros on sent qu il est surtout int ress par les p ch s de la chair et il se montre peu r ceptif au reste Il pr sente aussi une vision marchande de la foi en Dieu d ailleurs son interlocuteur d duit de ses enseignements que c est la promesse d ternit qui ach te lamour des hommes envers la divinit Si le s jour d Alexandre l h pital co ncide avec sa perte d int r t pour les peuples souffrants cela ne l emp che pas d voquer le sort des Juifs et des Japonais pour mettre en doute l ampleur de la souffrance qu a connue J sus sur terre Les discussions entre les deux hommes les opposent sur la question de la valeur de l exp rience humaine terrestre en regard de la promesse d ternit c leste En fait l abb Marchand d nigre tout ce qui est terrestre et par le fait m me la souffrance humaine ne s int ressant qu au destin de l me du catholique En pr sence de l interlocuteur pourtant le plus instruit et le plus intelligent avec qui il ait jamais discut Alexandre prouve de la d ception quant la fermeture d esprit du religieux un moment il semble se r volter contre Dieu qu il accuse mots couverts d infliger aux humains une souffrance pire que les horreurs nazies En homme n ayant jamais vraiment souffert ni v cu l abb a peine co
42. d passent mais ses r flexions le poussent des lans d humanitarisme Destin tragique que celui de Chenevert irr m diablement seul et incapable de communiquer ses id es de fraternit Victime de sa modeste condition sociale Alexandre n a ni l ducation ni les moyens financiers pour acc der aux sph res politique journalistique et scientifique qui pourraient contribuer l affinement et la diffusion de sa pens e Communication et ali nation les fonctions du langage Si Alexandre grand consommateur de discours journalistiques est r duit l incommunicabilit c est parce que la soci t du roman s pare in galement entre ses membres les habilet s langagi res cr ant des disparit s notoires entre ses locuteurs comme la richesse s pare les nantis des d munis D ailleurs le drame d Alexandre repose sur l impossibilit de participer activement l change des id es auquel se livrent les organes m diatiques et dont il ne peut tre qu un spectateur ahuri devant la diversit des Vincent L Schonberger Strat gies de d mythification du discours id ologiques dans Alexandre Chenevert Winnipeg Presses universitaires de Saint Boniface 1996 p 144 WC Lougheed Introduction In Gabrielle Roy The cashier Montr al Mcclelland and Stewart 1970 p X 28 Paul Socken Les dimensions mythiques dans Alexandre Chenevert Etudes litt raires vol 17 no 3 1984 p 501 2 Paul So
43. dans Gros C lin M moire de ma trise Trois Rivi res Universit du Qu bec Trois Rivi res 1986 108 p Bellos David 2004 Petite histoire de l incorrection l usage des ajaristes In Signe Ajar Actes de la premi re journ e d tudes Romain Gary organis e en Sorbonne Paris 6 mars 2004 sous la dir de Firyel Abdeljaouad Jean Fran ois Hangou t et Denis Labouret p 29 47 Jaignes La Chasse au snark Boisen J rn 2002 l assaut de la r alit La dominante de l uvre de Romain Gary In Romain Gary et la pluralit des mondes Actes du premier colloque international consacr Romain Gary organis en Sorbonne 26 et 27 mai 2000 sous la dir de Mireille Sacotte p 33 47 Paris Presses Universitaires de France Boisen J rn Un picaro m taphysique Romain Gary et l art du roman Odense Odense university press 1996 353 p Bona Dominique Romain Gary Coll Folio Paris Gallimard 445 p 124 Fortier Dominique tudes stylistique des romans d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1997 81 p Godin Madeleine double d tour pour une analyse s miotique du roman Gros C lin d Emile Ajar M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 1987 90 p Jarque Alexandra L ironie et l humour dans l uvre de Romain Gary et d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit de Montr al 1990 117 p Lafond
44. de trag dies Il Alexandre se mit avoir h te d tre dans son fauteuil de peluche les pieds sur le tabouret et d couter les mauvaises nouvelles de la radio 66 21 reconstitue textuellement les pr occupations de son h ros Il ressort de cette analyse que le couple souffre des pr occupations d Alexandre qui devient la fois source et victime du mauvais fonctionnement de son union condamn e en apparence par la diff rence qui s pare les deux tres Autre signe de son obsession pour les m dias Chenevert entretient une relation d amiti qui reproduit le mod le de son couple en effet Alexandre juge que son coll gue et ami Godias Doucet devrait lire davantage et par surcro t lire ce qu il lui conseille Le r cit reprend le motif bien connu de la lutte que se livrent les lecteurs de journaux pour d terminer qui consulte le quotidien aux propos les plus int gres Il Alexandre indiqua d un coup d il m prisant le quotidien qui d passait de la poche de Godias C est l dedans que tu prends tes id es Ce qu il y a de plus menteur comme journal Toi tu lis un journal communiste accusa Godias Un journal rouge du c t des gr vistes L as tu jamais lu seulement lui demanda Alexandre pic Je sais ce que c est fit l autre Mais toi m me as tu jamais lu le Pays Non fit Alexandre de la t te mais avait il besoin de le lire pour conna tre par son propre j
45. des doxas dont il travestit la signification Bakhtine d finit ainsi le processus d hybridisation C est le m lange de deux langages sociaux l int rieur d un seul nonc c est la rencontre dans l ar ne de cet nonc de deux consciences linguistiques s par es par une poque par une diff rence sociale ou par les deux Le travail de Gary Cousin sur la 14 Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Paris Gallimard 1978 p 175 15 Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Paris Gallimard 1978 p 175 176 12 s mantique a non seulement pour but de rendre compte de la diversit et de l identit des discours doxiques circulant Paris dans les ann es soixante dix mais aussi de se d barrasser des bases des langages usuels et sp cialis s dans une tentative de cr er une langue nouvelle tout en d non ant les perversions qui se trouvent dans le langage commun L humour de Gros C lin na t de la rencontre inusit e des multiples langages qui forment le discours social rencontre que Bakhtine th orisant l hybridisation qualifie de choc tant celle ci a pour but de frapper l imagination du lecteur Dans un hybride intentionnel il ne s agit pas seulement et pas tellement du m lange des formes et des indices de deux styles et de deux langages mais avant tout du choc au sein de ces formes des points de vue sur le monde Il sera int ressant de mettre en v
46. en passant par le plein emploi le travail de r cup ration du discours effectu par Cousin transforme les d bats de soci t et semble questionner la pertinence de ceux ci preuve les notions conomiques de l heure subissent toutes une d formation travers le filtre de la narration comme s il ne valait plus la peine d en discuter sur la place publique On parle beaucoup de l ironie l uvre dans les textes d Ajar parce que leur h ros narrateur y d fait l image du monde que le lecteur conna t en en d formant les 35 Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 77 86 Le simple fait de qualifier d usag s les usagers du transport en commun introduit une notion de date d expiration dans la vie de ces humains qui s usent force de se frotter les uns aux autres dans la foule 87 Un article d Alexandre Lorian portant sur l uvre sign e Ajar est d ailleurs coiff de ce titre Alexandre Lorian Les raisonnement d raisonnables d mile Ajar Hebrew university studies in literature and the arts Jerusalem Printemps 1987 p 120 145 83 discours Cela distingue les textes sign s Ajar du corpus de Romain Gary davantage marqu par l utilisation de la parodie m me si l on sent parfois le style Ajar et l ironie germer travers la production officielle du romancier La parodie se manifeste dans les romans sign s Gary p
47. est un personnage id e fixe et qu une seule pr occupation le travaille clipsant une foule de d bats d actualit Cousin centre son trait sur un sujet tout autant et toujours actuel la solitude du citadin confront la dissolution de l esprit communautaire au sein de la cit Sa fa on de s exprimer 19 Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Gallimard Paris 1978 p 215 217 110 traduisant merveille son poque l isole tandis qu il donne l impression d aborder un sujet n glig l isolement Sa narration ne propose pas une r flexion sur l impact des m dias dans la vie de l homme comme c est le cas dans Alexandre Chenevert Toutefois comme dans le roman de Gabrielle Roy la pr sence des discours doxiques dans Gros C lin sugg re l envahissement de la sph re publique dans la vie priv e du citoyen qui ne peut plus rester ignorant Cet envahissement est favoris par l volution des m dias d information qui prennent de plus en plus de place dans le quotidien des citadins prouvant maintenant davantage de difficult s tablir des rapports humains comme en font foi les deux h ros des romans l tude En effet en plus de contribuer la mise en fiction de soci t s et d poques pass es r elles l introduction des discours doxiques dans les romans sert des objectifs diff rents Dans Alexandre Chenevert les manchettes illustrent les m canismes de l
48. et du manque d esprit communautaire de la cit Ainsi nous nous sommes pench sur le rapport que ces personnages d personnalis s entretiennent avec les m dias et le discours social d celant de la compulsion chez l un de la subversion chez l autre Si nous avons davantage r f r au contexte de la guerre froide de l inqui tude et de la propagande pour traiter d Alexandre Chenevert dans le cas de Michel Cousin h ros de Gros C lin nous avons pr f r employer les notions bakhtiniennes du sot du fripon et du bouffon ainsi qu analyser le langage ironique t idiolectal d ploy par le narrateur Aussi nous avons consacr une partie de cette analyse aux ressemblances qui existent entre l criture de Gary et celle de son pseudonyme mile Ajar En somme nous avons tent de d crire les effets litt raires que peut avoir la reprise du discours social dans deux romans ayant plus d l ments de fond que d l ments de forme en commun Nous nous sommes int ress l poque de leur criture ainsi qu l volution des m dias dans les sph res publiques et priv es Nous avons fait le portrait de deux citadins dont les pr occupations se rejoignent et traduisent l anonymat et la solitude qui r sultent de l urbanisation du vingti me si cle portrait que nous avons mis en relation avec leur rapport au discours social Mots cl s discours social intertextualit d personnalisation roman urbai
49. ex cute le m me d placement s mantique que Michel Cousin en ne consid rant que l objet d tude de la d mographie lorsqu il y fait r f rence Outre l avortement et la d mographie qui sont des dominantes du r seau m taphorique de Gros C lin il y a dans La nuit sera calme des expressions qui rappellent l criture de Cousin ou encore des phrases et des passages qui se retrouvent int gralement dans l uvre sign e Ajar Ainsi s il est question dans Gros C lin d une Vietnamienne vraiment bien sous tous rapports 198 et du professeur Tsour s habitu la torture en Alg rie 115 on trouve dans La nuit sera calme une mention des femmes parfum es sous tous rapports 30 et l affirmation de Gary je ne suis pas fait pour la torture en Alg rie 22 Bref on remarque que l crivain dans l ensemble de son uvre se sert des m mes r f rences aux discours sociaux pour d crire des situations qui sont fort semblables D autres rapprochements que l on peut effectuer entre ces deux textes crits au m me moment sont les r p titions presque mot pour mot de phrases visiblement emprunt es l actualit des ann es soixante dix Par exemple le programme commun de la gauche que Gary commente en page 147 de La nuit sera calme se retrouve dans Gros C lin au milieu d une num ration d l ments h t roclites La peur d tre abandonn au fond du panier avec le perro
50. id alistes 122 Paul Marchand La tentation prot enne Identit et cr ation chez mile Ajar Th se de doctorat Montr al Universit de Montr al 1992 p 250 13 Dans La Promesse de l aube autobiographie romanc e le narrateur affirme que l amour d une m re est une promesse que la vie ne remplit jamais tant le monde est d cevant compar la relation d un enfant et de sa m re 124 J rn Boisen Un picaro m taphysique Odense Odense University press 1996 p 301 94 d mographiques www populationmondiale com une agence matrimoniale fait para tre une annonce publicitaire pour attirer des aspirants au titre de plein employ s parmi les individus tourdis par le nombre six milliards Heureusement que j tais arriv parce qu on s tait tout dit et qu on avait atteint un point dans les confidences o il allait tre tr s difficile d aller plus loin et au del cause des embouteillages int rieurs 17 125 En date du 11 ao t 2006 CONCLUSION Nous avons amorc cette tude en relevant les points qu ont en commun deux romans en apparence assez diff rents et nous l avons poursuivie en analysant ces romans individuellement selon ces m mes points Ainsi deux axes la d personnalisation d un personnage et la pr sence du discours social dans le roman ont orient nos tudes sur Alexandre Chenevert et Gros C lin Il importe maintenant d effectuer la somme des acquis pour f
51. id es re ues de Flaubert r fl chissent la soci t de leur auteur travers ses mat riaux discursifs Envisag comme une relation intertextuelle cet emprunt peut se faire sans que le discours romanesque ne perde son originalit qualitative et m me contribuer l articulation d une r flexion de l auteur sur son monde par le biais du narrateur et des personnages 7 Bien que l on attribue Julia Kristeva la cr ation du concept on reconna t souvent l avanc e intertextuelle avant la lettre des th ories bakhtiniennes sur le plurilinguisme dans le roman 8 Marc Angenot Interventions critiques Vol I Questions d analyse du discours de rh torique et de th orie du discours social Montr al Chaire James McGill de langue et de litt rature fran aise de l Universit McGill 2002 p 49 Le discours social essai de d finition et de regroupement du dit et de l crit d une soci t Recenser dans un hypertexte et plus forte raison si celui ci est un roman du vingti me si cle la pr sence d un hypotexte aussi vaste que la totalit de ce qui se dit et s crit dans une soci t semble aller de soi En fait le roman s crit toujours pour ou contre quelque chose Et ce quelque chose est toujours inscrit dans l volution du discours social Bakhtine consid re que l acte d locution celui du simple quidam se r f re toujours la parole de l autre que l on rapporte voque
52. in the French Canadian novel Montr al Harvest House 1977 p 201 50 On a qu penser au petit Daniel Lacasse de Bonheur d occasion que la maladie emporte en bas ge et dont le souhait le plus cher recevoir une fl te jouet en cadeau donne son nom la traduction anglaise du roman 51 David Le Breton La sociologie du corps Paris Presses universitaires de France 1992 p 116 42 pratiques pour traiter ces corps devenus objets l thique et la morale ont permis aux patients d lever leur voix contre l acharnement th rapeutique Or le personnage de Chenevert rappelle les premiers balbutiements de ces revendications qui secouent toujours le monde m dical et le syst me l gal Son exp rience n gative l h pital d bute lorsqu on le somme de remplir de multiples formulaires 235 ce qui lui donne l impression de se trouver dans un bureau administratif Ensuite les va et vient du personnel et le nombre de patients par chambre lui enl vent toute intimit De plus son m decin traitant le docteur Hudon parvient en lui cachant la gravit r elle de son tat de sant et en invoquant son droit de gu rir 253 de m me que sa volont de sauver Alexandre Chenevert 257 l arracher son souhait initial de ne pas voir sa vie prolong e artificiellement En effet si Alexandre manifeste le d sir de mourir avant m me qu on l ait op r et le manifeste de nouveau apr s l op ration on
53. langagiers port s par des personnages aux horizons diff rents et toute une gamme de perspectives narratives Bakhtine se montre sensible ces r alit s quand vient le temps de donner une d finition du roman Le roman c est la diversit sociale de langages parfois de langues et de voix individuelles diversit litt rairement organis e Ses postulats indispensables exigent que la langue nationale se stratifie en dialectes sociaux en mani rismes d un groupe en jargons professionnels langages des genres parler des g n rations des ges des coles des autorit s cercles et modes passag res en langages des journ es voire des heures sociales politiques chaque jour poss de sa devise son vocabulaire ses accents chaque langage doit se stratifier int rieurement tout moment de son existence historique 4 Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Paris Gallimard 1978 p 88 89 Ainsi avec le th oricien russe la diversit des discours dans le roman prend un statut d objet d int r t Par exemple la transposition crite du langage de la pl be autrefois d nigr e par les lites litt raires devient primordiale dans la tentative de saisie globale du monde laquelle se mesure r ellement le roman Faisant d abord place la rencontre de la subjectivit des personnages le b gaiement d un tel l accent tranger d un autre le plurilinguisme s tend aux langages des corps de m ti
54. le convainc par deux fois de lutter On lui affirme qu il vivra dix ans apr s l intervention et on lui dit que d pendre d un appareil pour assurer ses fonctions diur tiques est faisable Convaincu le h ros songe Roosevelt et Harry Hopkins qui ont d pendu de proth ses Les fers aux jambes de Roosevelt sont un exemple d montrant que m me l h pital Alexandre n a pas enti rement d laiss ses lubies et qu il accorde toujours une grande importance la vie l avis des grands hommes Le dernier ressentiment d Alexandre envers les soins hospitaliers concerne les injections de stup fiants seules tre capables de le pr server des atroces souffrances de sa maladie Or Alexandre s indigne d y recourir et songe que mourir est trop important pour y arriver en tat d inf riorit Dans le monde organis tel qu il tait mourir restait peut tre pour lui l unique occasion de poser un geste d absolue sinc rit 269 IL importe beaucoup Chenevert d tre ma tre de sa mort d tre lucide l approche de celle ci et c est avec regret qu il subit son traitement selon les normes du syst me m dical Malgr le fourmillement du personnel m dical et les perturbations engendr es par les psychotropes Alexandre parvient r conforter un autre patient en plus de mener une s rie de discussions p n trantes avec l aum mier de l h pital l abb Marchand De 52 Parlant
55. les diverses doxas tout comme il recourt aux prostitu es pour combler ses besoins de 53 tendresse Le stockage monstrueux de biens affectifs Karine Lalancette fait tat de la pr sence de la doxa des conomistes qui rythme trangement le journal intime de Cousin Dans le r cit l conomie et ses corollaires largent le profit et la consommation de masse sont effectivement pr sent s comme Des ambitieux tous avec des exigences et des pr tentions C est le fascisme au fond Ce n est pas que je sois contre le fascisme sans espoir pour tout le monde parce qu au moins l ce serait la vraie d mocratie on saurait pourquoi il n y aurait plus de libert ce serait l impossible on aurait des excuses 66 67 Au moins dans un tat policier on n est pas libre on sait pourquoi on n y est pour rien Mais ce qu il y a de d gueulasse en France c est qu ils vous donnent m me pas d excuses Il n y a rien de plus vachard de plus calcul et de plus tra tre que les pays o l on a tout pour tre heureux Si on avait ici la famine en Afrique et la sous alimentation chronique avec dictature militaire on aurait des excuses a d pendrait pas de nous 78 79 3 Aux pages 193 196 est d crite la rencontre entre Cousin et une prostitu e qui 1l demande de lui faire un gros c lin Toutefois il repart d u du traitement automatis et aseptique que lui fait subir la demoise
56. lourd porter D ailleurs les multiples pr sences du terme d mographique g n rent une vision pessimiste de la ville et de sa population L agglom ration se pr sente toujours comme un monstre que le h ros craint et la communaut demeure un espace inaccessible pour celui qui ressent le besoin de la joindre sans y obtenir de succ s ce qui fait crire J rn Boisen que Dans Gros C lin l exp rience originelle n est plus celle de la communaut avec les autres mais celle de la s paration Tout homme est enferm en soi dans une solitude absolue Le rapport de Cousin avec la communaut en est un de clandestinit d ailleurs cette th matique est omnipr sente dans le r cit associ e ou non la personnel et associatif Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 74 28 Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 61 4 Je vis avec un python pour les m mes raisons de soci t d abondance d mographique dis je Je me permets de parler de mon python propos du m tro et des trains de banlieue Ce que dit monsieur Durs est tr s juste Avec un python vous rentrez chez vous et vous avez l impression de voir quelqu un 108 Le grand fleuve d mographique ce n est pas du tout le grand fleuve Amour croyez moi les noy s passent inaper us cause de la force du cour
57. machine 40 40 critique Isabelle Godin lui diagnostique un trouble d arithmomame d crivant ainsi cette affection Sa fascination pour la machine calculer influe sur sa conception du r el Le moindre geste quotidien fait l objet d un calcul o transpara t une recherche maladive de pr cision Ainsi sp culant sur les causes possibles d un d but de mal de gorge il se rem more la seconde pr s la dur e de son attente l arr t d autobus On peut observer d autres sympt mes du trouble de Chenevert dans sa fa on de d tailler les populations des pays du monde le nombre d habitants par m decin d un quartier donn ou encore de s inqui ter de la sant financi re de son m nage En revanche au lac Vert ses calculs fr n tiques s estompent la suite du paroxystique cauchemar sur les Chinois Ph nom ne aussi observ par Lee Brotherson l obsession arithm tique tout comme les heures travaill es minent la vie du h ros The grotesque extension of Alexandre s work forces him to approach every activity of his private life as a calculation En somme ce ne sont pas les moments pass s dans la cage de verre symbole sur lequel plusieurs critiques sont revenus qui contribuent faire de la vie de Chenevert un mod le d mancipation Combin au travail en comptabilit qu il accepte chez un marchand de textile son emploi de caissier contraint Alexandre au poi
58. malhabile d fend la conception du roman total contre celle du roman totalitaire Gary y affirme vouloir crire un roman total qui ne reconna t aucun des rapports de l homme avec l univers un caract re essentiel concentrationnaire et dominant Romain Gary Pour Sganarelle Paris Gallimard 1965 p 26 Dans l essai il prend r guli rement les romans de Kafka comme contre exemples du roman total en consid rant la situation absurde qui emprisonne leur h ros 92 laquelle implique une remise en question du langage tout entier voire m me de la pens e Paradoxale et polys mique elle allie ce qui est ce qui n est pas tout la fois possible et impossible remarquablement coh rente et pourtant contradictoire elle proc de du jeu et de la r volution Aboutissement de toute une vie seule exp rience concluante tant au niveau des ventes de la reconnaissance que du subterfuge l affaire Ajar aura donc permis Gary de a F 120 mettre en application sa th orie du roman total bien plus que les deuxi me et troisi me Fr re Oc an lont fait Aussi les romans sign s Ajar auront assur la continuit de la poursuite du bleu l id al fraternel garyen qui dans Gros C lin n est plus oppos au nationalisme comme il l tait dans les premiers romans de Gary mais seulement la vie dans le grand Paris Je r p te pour l importance c tait la premi
59. n dans son r le de caissier ce citadin solitaire est aussi enterr sous le poids des malheurs qui terrassent l humanit et dont les m dias d information rendent compte Incapable de faire entendre sa propre voix il est assourdi par l omnipr sence des diverses doxas discours journalistiques m dicaux politiques etc qui se disputent son attention La narration d voile la saturation discursive de l espace temps dans lequel le h ros volue Dans Alexandre Chenevert la pr sence du discours social sert non seulement situer le lecteur dans le Montr al de la fin des ann es quarante mais aussi faire de la narration le reflet du monde ainsi que des pens es de Chenevert Soumis son besoin de discours informatifs et sa fraternit sans fronti res le protagoniste est Au vrai Alexandre Chenevert n existe moins qu il ne repr sente Il est l homme moyen type le prol taire essentiel le bouc missaire de la grande solitude contemporaine Gilles Marcotte Vie et mort de quelqu un Le Devoir Montr al 13 mars 1954 49 incapable d utiliser le langage lui m me pour produire un discours qui exprimerait ad quatement sa propre subjectivit et c est l que repose tout le drame de son histoire l oppos de Chenevert le h ros narrateur de Gros C lin Michel Cousin vit un rapport diff rent aux discours doxiques S il habite lui aussi une ville dens ment peupl e et qu il y souffre de
60. n est plus valable et Clair de femme pr sentent des histoires voluant davantage gr ce la parole qu aux actions En cela on peut les opposer aux ducation europ enne Les racines du ciel et Lady L que la r sistance polonaise durant la Avant Gros C lin Gary a publi L homme la colombe sous le pseudonyme Shatan Bogat et Les t tes de St phanie sous Fosco pr nom du h ros de Les Enchanteurs Sinibaldi l Rappelons que son nom tait en soi un nom d emprunt puisqu il est n Roman Kacew Romain Gary Vie et mort d mile Ajar Paris Gallimard 1981 p 18 3 J rn Boisen l assaut de la r alit La dominante de l uvre de Romain Gary Paris Presses universitaires de France 2002 p 41 85 Deuxi me Guerre mondiale la chasse aux chasseurs d ivoires en Afrique et le terrorisme anarchiste en Europe entra nent dans des intrigues v nementielles Fondamentalement humaniste Gary a crit des romans qui questionnent le rapport de fraternit entre les hommes en prenant entre autres pour cible l Organisation des Nations Unies dont plusieurs de ses personnages critiquent l apparente inutilit Europa pour sa part explore la notion de culture europ enne en regard des atrocit s que les hommes commettent quotidiennement Gary s est aussi int ress la bombe nucl aire la difficile conciliation entre les aspirations humanistes des chercheurs et leurs travaux menant la cr ation d
61. on qu ont les personnages de Bonheur d occasion de r fl chir leur destin aux possibilit s qui s offrent eux conjointement de tels textes ou leurs auteurs nous semble une initiative nouvelle dans les tudes litt raires bien qu il existe pour chacun de ces romans des tudes qui explorent l int gration de divers discours trangers dans leur narration Toutefois aucune de celles que nous avons consult es ne r f re aux notions de discours social ou de doxa telles que d velopp es dans les essais de Marc Angenot Ainsi l objectif vis dans le pr sent travail est de recenser les pr sences du discours social tout en d crivant Teffet que celles ci produisent sur le d roulement du r cit et sur sa port e cr atrice Avant toute chose 1l est toutefois n cessaire de d finir ce que nous entendons par la pr sence intertextuelle du discours social ou des discours doxiques dans le roman en nous basant sur les crits de Mikha l Bakhtine et de Marc Angenot Le plurilinguisme fondement bakhtinien du roman Dans l essai Du discours romanesque Mikha l Bakhtine affirme que si les th oriciens de la litt rature ont longtemps envisag le roman de fa on incompl te c est qu ils en ignoraient les fondements En effet en essayant de plaquer une grille d analyse po tique sur le roman ils s emp chaient d appr hender celui ci comme un croisement de voix la rencontre d une pluralit d univers
62. pi ce du logement de son protagoniste le narrateur affirme que Chenevert se cherche en bribes dans les crits des autres Isabelle Godin r sume ainsi ce trouble d identit dans son m moire La boulimie de lectures d Alexandre n est qu une compensation spontan e ce vide auquel il se heurte au moindre effort d introspection S identifiant des crits de toutes provenances souvent assez disparates l esprit d Alexandre souffre d un parpillement croissant au point de perdre l espoir de recouvrir un jour son unit Son inaptitude r diger une seconde lettre d opinions satisfaisante destin e une publication dans Le Sol convainc le lecteur comme la critique l a soulign que la t te bourr e de formules toutes faites Alexandre a perdu sa subjectivit d auteur force de lire de la propagande et des publicit s Si sa femme Eug nie et son coll gue et ami Godias Doucet consid rent qu Alexandre se pr occupe trop des actualit s les prend trop au s rieux et ne profite pas assez des plaisirs qui s offrent lui en se r fugiant ainsi dans un style de vie aust re on peut en revanche affirmer que ses lectures assidues lui ont procur de nombreuses connaissances historiques et politiques Tandis que sa femme se passionne pour les romans d amour probablement Alexandre voit dans les uvres de fiction l occasion pourtant discutable d accro tre son savoir Alexandre
63. postulat sociocritique selon lequel la soci t du texte r fl chit la soci t de l auteur donc que des l ments de l uvre Gros C lin sont une mise en fiction de la France et plus pr cis ment de Paris du d but des ann es soixante dix Ainsi le roman peut enseigner sommairement au profane quels taient les enjeux nationaux et internationaux de l poque Le roman ayant t publi en 1974 et d crivant un tat de soci t l g rement ant rieur sa publication l on peut situer sa di g se autour de 1972 ou 1973 En effet il est question dans le texte d un v nement s tant produit quelque temps auparavant en France Mai 68 Le roman reprend aussi sa fa on le d bat entourant la l galisation de l avortement en France officialis e en 1975 par la loi Veil ce sujet l pigraphe inscrit d embl e le texte dans la r alit fran aise ainsi que Anne Charlotte stman le fait remarquer L pigraphe attire d j l intention du lecteur sur les probl mes actuels en citant un passage sur l avortement tir d un quotidien Au 17 Nous utilisons ce terme la suite de Dominique Fortier qui fait elle m me la distinction entre la langue qu crit t que parle Cousin et le fran ais utilis dans les milieux qu il fr quente L idiolecte d Ajar nous semblant aussi plus proche d une langue parall le au fran ais certes mais distincte puisque r pondant des lois diff rente
64. provoque chez le m decin un questionnement l gard de son propre mode de vie effr n Il semble que les arguments et la personne d Alexandre ne parviennent pas sensibiliser r ellement ses interlocuteurs au sort des plus d munis M Fontaine g rant de la banque o Chenevert est caissier ne comprend pas les interrogations altruistes de son employ sa femme et Godias lui reprochent son s rieux et sa surconsommation d informations Isabelle Godin fait cho ces deux opinions lorsqu elle explique les 25 motivations altruisme et didactisme qui entra nent le h ros dans sa qu te de Connaissances L information r pondant aux deux axes de valorisation d Alexandre son pouvoir de r flexion et son int r t pour le sort de l humanit rev t aux yeux de ce dernier la m me importance peu importe le sujet trait Aussi se concentre t il la lecture de son journal autant sur les probl mes mondiaux que sur les annonces de services ou de produits Ce faisant Godin souligne de fa on critique l ampleur de l parpillement des lectures du h ros tentant de rassasier son insatiable app tit pour les discours informatifs Chenevert se remplit des crits et des dires d autrui devenant le reflet des diverses doxas une subjectivit an antie par la somme des discours contradictoires ou parfois impertinents qui l assaillent De Fran ois Ricard sp cialiste et biographe de Gabrielle Roy nous
65. python Paris change d objet d tude en cours de route pour s int resser son auteur et par extension sa propre solitude Dans son m moire double d tour pour une analyse s miotique du roman Gros C lin d mile Ajar Madeleine Godin commente ainsi ce glissement Il se trouve par cons quent que le TRAIT en question prend peu peu des allures de JOURNAL INTIME Ainsi le trait scientifique qui sert de point de d part l criture de Cousin ne conna t pas d aboutissement et on observe toujours selon Godin une absence de sanction par rapport la performance r alis e Toutefois si le projet d crire un trait sur son animal de compagnie n est pas men terme Cousin Dominique Rosse Romain Gary et la modernit Les presses de l Universit d Ottawa Ottawa 1995 p 29 Sans que celle ci soit au courant Cousin s invente une relation avec Mlle Dreyfus plus labor e qu elle ne l est en r alit car s ils prennent r guli rement l ascenseur ensemble c est peine s ils s changent la parole Cousin a tendance transformer les faits qu il narre de sorte qu il affirme toujours tre plus proche des membres de son entourage qu il ne l est en r alit Comme le souligne Anne Charlotte stman Le nom m me de Cousin est en soi ironique car il vit seul sans famille et sans amis Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm
66. r flexion Lorsque le narrateur r cup re les notions d avortement de d mographie ou de r sistance il s en sert pour d crire la d tresse du laiss pour compte dans les soci t s urbaines occidentales En fait Michel Cousin emploie une pluralit de langages pol miques ou scientifiques pour n exprimer qu une r alit la sienne Ce faisant il dresse un mur d incompr hension entre ses interlocuteurs et lui m me parce que son idiolecte est fond sur le non respect des conventions d un monde dont il d nonce la st rilit affective en se servant de ses discours En cela il rappelle la figure du bouffon que Bakhtine d finit comme un personnage qui sous une apparente sottise ridiculise les a priori de son monde tout en choisissant de parler son propre langage Dans le roman la sottise l incompr hension est toujours pol mique elle est dialogiquement correlat e l intelligence la fausse intelligence sup rieure elle pol mique avec elle et la d nonce La sottise comme la joyeuse supercherie comme toutes les autres cat gories du roman est une cat gorie dialogique d coulant du dialogisme particulier au discours romanesque c est pourquoi dans le roman elle est toujours relat e au langage au discours sa base se trouve l incompr hension pol mique du discours d autrui du mensonge path tique d autrui qui a embrouill le monde en pr tendant l interpr ter l incompr hension p
67. r putation de grincheux aupr s de ses coll gues Dans ce contexte on comprend qu une erreur de cent dollars vienne bouleverser l existence de ce v t ran caissier travaillant et professionnel mais ext nu Rong d avance par une inqui tude financi re constante il devra trouver un second emploi en comptabilit pour payer cette d pense impr vue Comme cet pisode se produit au moment o les deux poux Chenevert tombent malades la pr carit de leur situation est d voil e tout comme le fait que le salaire d Alexandre est insuffisant pour assurer cet angoiss une tranquillit d esprit minimale Pour sa part Michel Cousin semble sans soucis d ordre p cuniaire aussi sa situation d emploi n occupe pas une place pr dominante dans le r cit Dans le sch ma narratif de Gros C lin on ne suit pas Cousin au travail mais on devine le type d emploi qu il exerce gr ce sa narration dans laquelle s infiltrent les termes niveau de vie stagflation du dollar et d mographique On ne conna t pas vraiment le poste qu occupe le personnage la STAT mais on sait qu il y travaille avec une IBM et qu il g re des donn es statistiques sur le niveau de vie des Fran ais Dans le roman la seule opinion donn e propos de l entreprise vient de Mile Dreyfus qui dans une diatribe plut t garyenne fustige toute l organisation du travail de bureau En effet au m tier de secr
68. re fois que je faisais pleurer quelqu un et la d couverte de ce don que je poss dais sans le savoir et qui tait en mesure de me faciliter prodigieusement les rapports humains dans le grand Paris me bouleversa compl tement J entrevis dans un clair de compr hension fraternelle des possibilit s du tac au tac et d gal gal et de cohabitation urbaine d mocratique qui me stup fia par les moyens qu elle offrait la manifestation de mon existence 140 Paul Marchand r sume cette relation entre les textes sign s Gary et ceux sign s Ajar en banalisant les diff rences de style qui persistent entre l criture du cr ateur et celle de sa cr ature Ayant perdu de vue ses r f rences historiques apr s tout la pr sence de J ean Moulin et Pierre Brossolette n est elle pas fortuite dans Gros C lin ce golem ob issant poursuit malgr tout les uvres de son g niteur I Dominique Fortier tudes stylistique des romans d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1997 p 72 2 En ce qui concerne le caract re de roman total du premier Ajar Karine Lalancette affirme Parce que Gros C lin enferme son h ros dans un univers clos et rigide nous sommes donc port s nous demander si ce r cit n est pas une parodie du roman totalitaire Sa charge ironique ne viserait pas autant l id al que Cousin cherche d fendre que son manque de courage et l emprise r duct
69. s Or quelles sont les traces de ces transmissions des diverses doxas du discours social originel sur la di g se de ces romans Comment l int gration d un extrait du discours social dans le roman peut elle permettre son auteur d exprimer un point de vue sur cette soci t 1l Marc Angenot Dialogues de sourds doxa et coupures cognitives Montr al Chaire James McGill de langue et litt rature fran aise de l Universit McGill 2001 p 47 L inscription des diverses doxas dans le roman et la confrontation des r alit s fictions En analysant les textes de ces auteurs qui ont voulu r fl chir sur leur monde en prenant comme mati re premi re les discours que celui ci produisait il importe comme le sugg re Bakhtine de pr ter attention au contexte de r utilisation des extraits de ces discours dans la fiction Ainsi la simple citation d un article de journal d un discours politique d un essai ou d un livre scientifique peut tre transform e radicalement par sa mise en contexte Il est particuli rement simple en manipulant le texte d augmenter le degr d objectivit de la parole d autrui provoquant ainsi des r actions dialogiques li es l objectivit de la sorte il est facile de rendre comique l nonc le plus s rieux La parole d autrui introduite dans le contexte d un discours tablit avec le contexte qui l ench sse non pas un contact m canique mais un amalgame chimique a
70. s et des termes consacr s par l usage qu en font divers sp cialistes pour ensuite les transformer travers sa narration Toujours mu par l obsession de rompre sa solitude Cousin surprend par ses id es loufoques comme le d sir de devenir un massacre pour tre remarqu qui servent d crire son tat de manque ainsi que ses aspirations Confondant les sens propres et figur s des mots il affirme plusieurs reprises qu il souhaiterait tre mouill par l eau du fleuve Amour Or c est la simple vocation du fleuve russe qui donne espoir Cousin que le cours d eau bouleversera un jour sa vie sentimentale Ainsi on peut SE Car ce serait un tort de croire que le professeur Tsour s ne s int ressait absolument pas moi parce que je n tais pas un massacre connu ou une pers cution de la libert d expression en Russie sovi tique 116 117 73 d gager deux grandes tendances de l idiolecte du narrateur Cousin s approprie des expressions qui rel vent des discours didactiques et il se trompe dans l interpr tation et dans l usage qu il fait des termes qu il utilise Le langage de Cousin mode d emploi Jusque ici il a surtout t question de ce que Robert Bellerose d finit comme la persistance d une langue majeure dans la narration c est dire les clich s et les formules toutes faites Ceux ci serviraient d crire une certaine situation sociale sugg r e par l
71. sch me organisateur chez Gabrielle Roy Voix et Images vol 14 no 3 1989 p 420 15 stigmatis e par l ali nation au travail la solitude urbaine et l absence de relations interpersonnelles panouissantes Section 1 1947 1948 revue de l actualit internationale Nous nous attarderons d abord au travail de rep rage des manifestations litt raires qui constituent le point de d part de notre tude et qui ont pr c demment t identifi es Nous observerons quels effets litt raires celles ci contribuent cr er au sein du texte La narration du roman Alexandre Chenevert d veloppe des paradigmes forts autour de l actualit internationale Titres de manchettes et slogans entra nent la narration dans un chass crois m lant la poursuite de l intrigue romanesque et l introduction d l ments emprunt s aux discours journalistiques ou publicitaires Ceux ci se pr sentent soit dans les pens es du personnage principal soit dans la transcription d une parole ou d un crit dont les personnages ont t t moins Dans un article fort p n trant sur l utilisation de tels hypotextes dans le roman Vincent L Schonberger associe l usage de ceux ci une certaine volont litt raire de rendre compte de la pluralit des discours d une soci t il n est pas tellement question dans Alexandre Chenevert de la manifestation d un autre texte mais de l int gration d une s rie de discours mon
72. sences du mot Russe Toutefois la distance tablie ant rieurement avec les habitants de l URSS Alexandre ouvrit son petit appareil de radio un bon soir et il entendit reparler des Rouges Plus aucun d tail humain d sormais Seulement POurs les Soviets 12 s estompe au profit de la description d un vrai Russe Ayant b ti la cabane dans laquelle Alexandre s journe le Russe prend un visage humain au gr des descriptions de Le Gardeur qui font passer le terme russe du g n ral au particulier Mon original de Russe Tout cela provoque la r action que l on escomptait chez le h ros Sa sympathie celle d Alexandre commen ait pencher s rieusement vers le Russe en question pouss au fond des bois certainement par trop de bavardages p 154 Tr s peu influenc e par l empreinte journalistique que l on peut retrouver dans le reste du texte la deuxi me partie travers les questionnements et les exclamations d Alexandre inclus dans le corps de la narration ouvre la voie l introspection et une r flexion pourtant impropre l criture sur le bonheur que le h ros tente de comprendre pour le partager avec autrui On observe aussi comme il a t mentionn plus t t que plusieurs des chapitres des premi re et troisi me parties sont l image de la presque int gralit de la deuxi me partie d nu s de pr occupations li es aux actualit s internationales Sur la seul
73. solitude son rapport l criture son suppos trait sur les pythons est un acte d mancipation vis vis du langage norm dont il souhaite bouleverser les r gles s mantiques et grammaticales Gros C lin fait tout autant appel au discours social qu Alexandre Chenevert sauf que son narrateur autodi g tique met mal les doxas d un monde dans lequel il occupe une figure de marginal CHAPITRE Il MICHEL COUSIN DEVANT L ORACLE DU DISCOURS SOCIAL Le r sum du roman Gros C lin tient en peu de place Toutefois son narrateur Michel Cousin entra ne le r cit pr sent au narrataire comme un trait scientifique sur la vie des pythons Paris dans une suite de digressions qui font largement intervenir les discours officiels et doxiques v nements d actualit ou historiques clich s et statistiques s int grent tels quels ou modifi s la narration des pisodes de la vie du protagoniste Le potentiel cr atif du roman repose sur l utilisation d un langage didactique pour d crire la vie et les sentiments du h ros nonciateur D tourn es de leur sens original ces pr sences trang res contribuent faire de Gros C lin un texte humoristique et herm tique la fois car son d codage exige du lecteur une connaissance de l poque laquelle il a t crit ainsi qu une certaine culture g n rale et litt raire Nous y questionnerons la fonction r f rentielle du langage du texte en r
74. sont loquents ce sujet le professeur ainsi que tous ceux qui assistent sa le on parlent de se r cup rer sous forme de produit fini 103 de soci t d abondance 106 et surtout de la politique de plein emploi Cette derni re expression cens e d crire la faiblesse du taux de ch mage dans une soci t devient un indice de solitude quand on comprend avec Anne Charlotte Ostman qu tre employ signifie fr quenter quelqu un Dans son explication il Cousin attire d une fa on paradoxale notre attention sur un sens cach de l expression en question Dans un sens tr s important du mot les l ves de monsieur Parisi ne sont pas employ s Ils sont seuls non employ s dans une relation avec un autre tre humain Il n y a pas de plein emploi dans la soci t quand les citoyens doivent fr quenter des cours de communication La connotation du mot s est largie en entrant dans la vie priv e des employ s 57 I est question pour une troisi me fois dans le roman de cette pratique bucco anale qui requiert que le client se pr te un savonnage de l anus quand Mlle Dreyfus explique Cousin que C est dans le vent en ce moment Tout le monde veut se lib rer c est le grand truc dans toutes les revues f minines Il ne faut pas refouler c est la psychanalyse 203 Or la fin de ce commentaire dans le style de Cousin nous rappelle l aversion de Gary envers Sigmund Fr
75. taire fond sur la r p tition des m mes t ches elle oppose la prostitution plus vivante et plus utile la soci t Bien que ces paroles de Mile Dreyfus soient reproduites dans sa narration on ne retrouve pas chez Cousin une critique explicite du monde du travail ou de son employeur On peut affirmer que son emploi lui impose une certaine routine mais cet aspect de la vie du h ros est pr sent comme allant de soi le travail lui donnant m me le pr texte id al pour approcher Mlle Dreyfus Toutefois et c est l que les choses se g tent 1l semble tre le seul acteur consentant dans sa romance d ascenseur D ailleurs au chapitre des relations avec ses coll gues de bureau Cousin 6 Le sigle IBM malgr le fait qu on y associe un ordinateur est trait comme un nom f minin dans Gros C lin 101 semble d savantag par la r putation d nergum ne qui le pr c de dans tous les d partements de la STAT Troubl s par sa cohabitation avec un python ses coll gues le surnomment Gros C lin et le gar on de bureau se sert de ce pr texte pour tenter de sortir Cousin de sa tani re et le recruter dans les rangs de son organisation politique Cousin est aussi la cible de m disances de la part de ceux qui profitent de son invitation adress e Mile Dreyfus pour accompagner celle ci chez lui L ayant pi comme s il tait un amuseur de foire ses coll gues profiteront de leurs observations sur son logi
76. un moyen d expression une pure cr ation langagi re Peu nous chaut que l animal poss de une existence mat rielle dans la vie de Michel Cousin puisque comme le pr cise Jarque Gros C lin offre des possibilit s d expression au narrateur Le python le conduit r diger un suppos trait scientifique tout en l gitimant l utilisation d un langage marqu par l imaginaire reptilien dans la narration La pr sence commune de commentaires relevant de la politique de l conomie de l actualit et de la zoologie cr e une confusion discursive que le narrateur cultive en la parsemant de raisonnements tordus et d usages fautifs de la langue Dans l exemple suivant en plus d utiliser l anglicisme conv nient et la pr position avec de fa on irr guli re Cousin argumente sur sa libert qu un r gime dictatorial lui ferait perdre et sur ses pr f rences en mati re d extr misme politique Il est videmment conv nient cet gard de rompre tous rapports avec elle la libert avec paix de l esprit et uniforme nazi mais je ne l accepterais que si cela l expos de mon probl me cologique avec l environnement me lan a brusquement une fois de plus sans crier gare Mais viens donc avec nous je te dis Il y a encore une manif Belleville Tu vas te d rouler librement Sans a tous tes n uds ils vont finir par t trangler 126 8l Paul Marchand La tentation p
77. Almqvist amp Wiskell International 1994 p 48 7 Madeleine Godin double d tour M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 1987 p 9 8 Madeleine Godin double d tour M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 1987 p 6 52 poursuit sa narration et fait quelquefois r f rence la poursuite de l criture de son trait Karine Lalancette pour sa part associe au style du trait divers proc d s que le narrateur utilise dans le but de tenter de l gitimer sa d marche scientifique c est dire l vocation et la citation d ouvrages scientifiques et de journaux ainsi que l utilisation d un langage savant Section 2 Le liseur Cousin et la chose crite Si la nature du texte incite y pratiquer une analyse de la pr sence des discours doxiques c est entre autres parce que le narrateur d voile et cite plusieurs sources documentaires utilis es dans la r daction de son trait Ainsi Cousin fait mention de quelques sp cialistes consult s au sujet des pythons nous en avons recens s quatre le docteur Tr hne et son manuel le professeur Fischer auteur d un trait 59 ainsi que le duo d observateurs des pythons form des professeurs Gr ntag et Kunitz 101 Cousin admet aussi s int resser l mission de t l vision La Vie des Animaux sur la deuxi me cha ne Il faut ajouter au registre scientifique un ouvrage d un certain Jost Th rape
78. Comme l explique Anne Charlotte stman l ronie pi ce ma tresse de l criture ajarienne appara t simplement parce que l imagination du lecteur est plus normale que celle du narrateur En apparence involontaire l ironie du roman na t de l emploi d un mot pour un autre le litt ralisme selon Rosse et de la transformation des expressions idiomatiques Cousin offre son narrataire un r cit fond sur l utilisation d un langage au spectre largi Or l largissement du spectre normal du langage am ne Cousin exprimer de v ritables insanit s ou bizarreries qui n ont pour but que de d crire la solitude laquelle confine la vie dans les m tropoles Ses alliages s mantiques poussent bout la crudit du discours social ou d construisent sa logique l aide de raisonnements d raisonnables d une na vet d sarmante Je pense que ce manque de chaleur pourrait tre rem di un jour par la d couverte de nouvelles sources d nergies ind pendantes des Arabes et que la science ayant r ponse tout il suffira de se brancher sur une prise de courant pour se sentir aim 67 68 contre courant de son poque Michel Cousin r clame de la chaleur humaine alors que ses contemporains se pr occupent davantage de la crise nerg tique d o l id e de rem dier cette carence en utilisant le progr s et non une autre personne De l avortoir la r sistance
79. H l ne L univers romanesque d mile Ajar ou le refus de la norme M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1991 116 p Lalancette Karine Les m canismses de l ironie litt raire dans le roman Gros C lin d Emile Ajar la critique de l id alisme du personnage de Cousin M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 2001 124 p Larat Fabrice Romain Gary un itin raire europ en ditions M decine et Hygi ne Dpt Livre GEORG Ch ne Bourg 1999 187p Lecarme Jacques 2002 Au del de cette limite ou le nouveau ticket de Romain Gary 2002 In Romain Gary et la pluralit des mondes Actes du premier colloque international consacr Romain Gary organis en Sorbonne 26 et 27 mai 2000 sous la dir de Mireille Sacotte p 111 128 Paris Presses Universitaires de France Marchand Paul La tentation prot enne Identit et cr ation chez mile Ajar Th se de doctorat Montr al Universit de Montr al 1992 309 p Morin Christian Fonctionnement du discours humoristique et supercherie litt raire chez Gary Ajar analyse s miotique Th se de Doctorat Qu bec Universit Laval 2000 303 p stman Anne Charlotte L utopie et l ironie tude sur Gros Calin et sa place dans l uvre de Romain Gary Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 203 p P pin Jean Fran ois Aspects du corps dans l uvre de Romain Gary Coll Le corps en question Pari
80. James McGill de langue et litt rature fran aise de l Universit McGill 2001 109 p Angenot Marc Interventions critiques vol I Questions d analyse du discours de rh torique et de th orie du discours social Montr al Chaire James McGill de langue et de litt rature fran aise de l Universit McGill 290 p Bakhtine Mikha l Esth tique et th orie du roman Gallimard Paris 1978 p 88 89 Camus Albert Le mythe de Sisyphe Essai sur l absurde coll La biblioth que du XXe si cle Paris France Loisirs 1989 1942 142 p Habermas J rgen L espace public Arch ologie de la publicit comme dimension constitutive de la soci t bourgeoise Coll Critique de la politique Paris Payot 1988 1978 324 p Kerbrat Marie Claire Le on litt raire sur la ville Coll Major Paris Presses Universitaires de France 1995 119 p Klapisch Coline et Andr a Semprini 1996 Mondialisation de l information de l espace public l espace socioculturel In Sociologues en ville sous la dir de Sylvia Ostrowetsky p 201 225 Coll G ographies en libert Paris L Harmattan Le Breton David La sociologie du corps Coll Que sais je Paris Presses Universitaires de France 1994 1992 127 p
81. Le grand vestiaire Paris Gallimard 1948 p 175 176 l Romain Gary Le grand vestiaire Paris Gallimard 1948 p 286 120 BIBLIOGRAPHIE S LECTIVE A Corpus l tude Gary Romain Gros C lin Coll Folio Paris Mercure de France 1974 215 p Roy Gabrielle Alexandre Chenevert Coll Bor al Compact Montr al Bor al 1995 1954 297 p B uvres de Romain Gary Gary Romain Le grand vestiaire Coll Folio Paris Gallimard 1948 305 p Les couleurs du jour Coll Folio Paris Gallimard 1952 267 p Les racines du ciel Coll Folio Paris Gallimard 1956 506 p Pour Sganarelle Coll Folio Paris Mercure de France 1965 551 p Les mangeurs d toiles Coll Folio Paris Gallimard 1966 440 p Adieu Gary Cooper Coll Folio Paris Gallimard 1969 253 p Les enchanteurs Coll Folio Paris Gallimard 1973 374 p La nuit sera calme Coll Folio Paris Gallimard 1974 362 p Les t tes de St phanie Coll Folio Paris Gallimard 1974 439 p Au del de cette limite votre ticket n est plus valable Coll Folio Paris Gallimard 1975 248 p La vie devant soi Coll Folio Paris Mercure de France 1975 274 p Charge d me Coll Folio Paris Gallimard 1977 329 p Vie et mort d Emile Ajar Coll NRF Paris Gallimard 1981 43 p C tudes sur Alexandre Chenevert 121
82. New Canadian Library Montr al McClelland and Stewart 1970 p vii xni McPherson Hugo 1959 The garden and the cage Canadian Literature no 1 t p 46 57 Marcotte Gilles 1954 Vie et mort de quelqu un Le Devoir Montr al 13 mars Murphy John J 1965 Alexandre Chenevert Gabrielle Roy s Crucified Canadian Queen s Quarterly vol 72 no 2 t p 334 346 Paradis Suzanne 1966 Madame Chenevert In Femme fictive femme r elle le personnage f minin dans le roman f minin canadien fran ais 1884 1966 p 56 59 Ottawa Garneau Ricard Fran ois Introduction l uvre de Gabrielle Roy 1945 1974 coll Vis es critiques Qu bec Nota Bene 2001 198 p Shek Ben Zion French Canadian and Qu b cois Novels Toronto Oxford University Press 1991 151 p Shek Ben Zion 1971 L espace et la description symbolique dans les romans montr alais de Gabrielle Roy Libert vol 13 no 4 p 78 96 Shek Ben Zion Social realism in the French Canadian novel Montr al Harvest House 1977 326 p Schonberger Vincent L 1996 Strat gies de d mythification du discours id ologiques dans Alexandre Chenevert In Colloque international Gabrielle Roy Actes du colloque soulignant le cinquanti me anniversaire de Bonheur d occasion tenu au Coll ge universitaire de Saint Boniface du 27 au 30 septembre 1995 sous la dir d Andr Fauchon p 137 147 Winnipeg press
83. R Faux entretien avec son ami et journaliste Fran ois Bondy La nuit sera calme aurait en fait t r dig compl tement questions et r ponses par Gary lui m me Les parall les qu on peut y faire avec Gros C lin sont multiples puisque La nuit sera calme est un registre des opinions de l crivain notamment en ce qui concerne l avortement Ainsi propos de l Ordre des m decins omnipr sent dans le premier roman sign Ajar on peut lire Lorsque tu condamnes l avortement du plus haut de ta morale comme le fait l Ordre des m decins par exemple tout en sachant qu un million de bonnes femmes continueront se faire torturer chaque ann e clandestinement eh bien Je dis que cette l vation morale l c est de la bassesse comme l Ordre des M decins tiens lorsque celui ci condamne l avortement au nom des sommets moraux sur lesquels il se retire tr s propre en laissant la souffrance au populaire 357 Ou encore sur Foyer ministre dont il est question dans Gros C lin on remarque Si le Christianisme a rat sa vocation s il ne s est pas incarn dans la r alit v cue oh je sais je sais que je me r p te c est en grande partie parce qu il fut port et propag bras et poings d hommes coup d p e de croisades d inquisition et d intransigeance pure et dure dans le genre de celle de MM Debr et Foyer dans l affaire d avortement c
84. Roy The cashier Montr al Mcclelland and Stewart 1970 p VII 7 Jean Pierre Boucher Point de vue narratif dans Alexandre Chenevert Litt ratures no 1 1988 p 161 18 l influence de l information crite et radiodiffus e l heure de la propagande dans les actualit s internationales ainsi que l explique Jean Fran ois Chassay les effets de la propagande au cours de celle ci la Seconde Guerre mondiale et le choc des r v lations qui ont suivi sur les camps le d veloppement rapide des syst mes de communication la place de plus en plus envahissante prise par les m dias tout cela forme la toile de fond sur laquelle se d veloppe la narration ces d veloppements technologiques s ajoute la menace de la bombe atomique avec toutes ces manifestations violentes le nouveau monde inqui te le h ros Mentionnons que l ancrage du texte dans la r alit de la fin des ann es 1940 se manifeste aussi par les mentions faites la guerre civile grecque au p ril jaune la cr ation controvers e de l tat d Isra l etc Les multiples pr occupations du h ros pour les v nements tragiques de l actualit internationale le poussent ressasser des r flexions sur les travers des peuples concern s par les conflits qui font les manchettes il les singularise l aide de quelques types nationaux qui selon J sef Kwaterko construisent une imagologie sommaire fond e sur l arbitra
85. Studies vol 28 no 2 p 46 63 Gagn Marc Visages de Gabrielle Roy L uvre et l crivain suivi de Jeux du romancier et des lecteurs par Gabrielle Roy Montr al Beauchemin 1973 327 p Genuist Monique La creation romanesque chez Gabrielle Roy Montr al Cercle du livre de France 1966 174 p Gilbert Lewis Paula The literary vision of Gabrielle Roy an analysis of her works Birmingham Summa 1984 319 p Gilbert Lewis Paula Female Spirals and Male Cages The Urban Sphere in the Novels of Gabrielle Roy In Paula Gilbert lewis dir Traditionalism nationalism and feminism Women Writers of Quebec Westport Greenwood Press 1985 p 71 81 Godin Isabelle Alexandre Chenevert de l ali nation urbaine une r conciliation avec autrui M moire de ma trise Montr al Universit de Montr al 1994 173 p 122 Grosskurth Phyllis Gabrielle Roy Coll Canadian writers and their works Toronto Forum House Pub 1969 p 26 37 Jones Grahame C 1982 Alexandre Chenevert et Kamouraska une lecture australienne Voix et Images vol 7 no 2 p 329 341 Kwaterko J sef 1994 La probl matique interculturelle dans Alexandre Chenevert de Gabrielle Roy University of Toronto Quaterly vol 63 no 4 p 566 574 Le Grand Albert 1965 Gabrielle Roy ou l tre partag tudes fran aises vol 1 no 2 Juin p 39 65 Lougheed W C introduction Roy Gabrielle The cashier coll
86. TAT une satire des multinationales o les statistiques servent d indices pour d terminer le rendement de la population etc Ces chiffres refl tent le d veloppement conomique d un tat mais nullement le taux de satisfaction de ses citoyens Souvent nous retrouvons des remarques qui offrent une interpr tation ironique de ces statistiques La STAT sp cialis e dans les calculs de rendement 177 donne Cousin l occasion de prendre le pouls de la situation d mographique fran aise Pris de vertige il rentre seul chez lui la fin de sa Journ e de travail ce qui fait crire Anne Charlotte Ostman que l emploi du h ros cadre parfaitement avec son style de vie Son travail dans les statistiques s int gre bien dans le motif de l anonymat avec deuxi me paragraphe du roman Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 14 21 H l ne Lafond L univers romanesque d mile Ajar ou le refus de la norme M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1991 p 47 56 le risque de se perdre dans la foule qui effraie le h ros d Ajar Le travail informatis nuit aux possibilit s de socialisation de Michel Cousin qui tant t associe une expression humaine sa machine mon IBM tait contente 177 tant t se d crit l aide de termes informatiques je vous prie de m excuser Je n ai pas t progr
87. UNIVERSIT DU QU BEC MONTR AL D PERSONNALISATION ET DISCOURS DOXIQUES DANS LE ROMAN URBAIN ALEXANDRE CHENEVERT DE GABRIELLE ROY ET GROS CALIN DE ROMAIN GARY M MOIRE PR SENT COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MA TRISE EN TUDES LITT RAIRES PAR ISMA L TRAD NOVEMBRE 2007 UNIVERSIT DU QU BEC MONTR AL Service des biblioth ques Avertissement La diffusion de ce m moire se fait dans le respect des droits de son auteur qui a sign le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles sup rieurs SDU 522 R v 01 2006 Cette autorisation stipule que conform ment l article 11 du R glement no 8 des tudes de cycles sup rieurs l auteur conc de Universit du Qu bec Montr al une licence non exclusive d utilisation et de publication de la totalit ou d une partie importante de son travail de recherche pour des fins p dagogiques et non commerciales Plus pr cis ment l auteur autorise l Universit du Qu bec Montr al reproduire diffuser pr ter distribuer ou vendre des copies de son travail de recherche des fins non commerciales sur quelque support que ce soit y compris l Internet Cette licence et cette autorisation n entrainent pas une renonciation de la part de l auteur ses droits moraux ni ses droits de propri t intellectuelle Sauf entente contraire l auteur conserve la libert de diffuser et de commerciali
88. a cinquante mille thiopiens qui viennent encore de mourir de faim pour d tourner notre attention je sais mais a ne me fait pas de l effet je veux dire je me sens aussi malheureux qu avant C est mon c t monstrueux 131 propos des bons sentiments que Gary semble attribuer aux femmes en pr cisant que son c t humain est eff min on trouve dans Gros C lin une phrase qui rappelle cette notion selon laquelle les femmes repr sentent l avenir de l homme Elle s en alla Je crois que le monde sera sauv par la f minit dans mon cas particulier 147 Enfin dans La nuit sera calme on note la pr sence en page 222 d un certain Salomon Goldenberg esq dont l auteur raconte la s ance d essayage chez le tailleur or Gary choisira de nommer son tailleur bon samaritain Salomon Rubinstein et de le faire Esquire dans L angoisse du roi Salomon publi sous le pseudonyme mile Ajar en 1979 De plus l utilisation inhabituelle du verbe se d fendre au sens de se prostituer que l on trouve la page 40 du faux entretien reviendra abondamment dans La vie devant soi deuxi me roman d Ajar dans lequel il est souvent question des femmes qui se d fendent avec leur cul D ailleurs on retrouve mot pour mot le titre de ce roman dans les derni res pages de La nuit sera calme L amour a va mal tr s mal avec les restrictions les limites avec le temps qui t est compt il faut croir
89. a propagande pro occidentale apr s la Deuxi me Guerre mondiale La polarisation du monde occidental contre le bloc de l Est se constate dans la crainte du h ros envers les sovi tiques et dans la teneur des articles qu il lit ce sujet et qui contribuent dresser l opinion publique contre l URSS nouvel ennemi des d mocraties Le jugement de Chenevert est confront sa m moire de lecteur des quotidiens lorsqu il se rappelle toutes les nations qui sont devenues alli es ou ennemies dans le pass De cette fa on le roman rend compte des relations diplomatiques qui ont t tumultueuses au vingti me si cle tout en exposant le d sarroi de son protagoniste perdu devant ces jeux d alliances et contraint de se fier ce que d autres racontent sur le monde C est ce qui explique que le h ros emploie des termes ou des expressions qu il a lus et qui colportent des id es r pandues et parfois haineuses et subjectives Par exemple r f rer la Chine comme tant le p ril jaune et se limiter cette interpr tation surprend de la part d un h ros aux valeurs humanistes Par ce biais on constate que Chenevert est d abord victime d une sursaturation de son univers langagier En effet il se fait un devoir de prendre connaissance du plus grand nombre de ces discours doxiques ce qui l isole de ses proches tout en le rendant la fois parano aque et empathique 111 Plus instruit et Paise financi rement qu
90. a r p tition souvent hors propos d un certain nombre de vocables et d expressions fig es Le d calage entre le sens des expressions utilis es et leur contexte d utilisation traduirait la volont du h ros de proc der une refonte de la langue fran aise pour faire rena tre l espoir comme le pr cise H l ne Lafond Cousin n h site pas inventer des mots et Jouer avec la structure des phrases La r p tition d expressions et de phrases clich s sert d crire la soci t plein emploi rentabilit banalisation qualit de vie alors que les mots nouveaux prologom ne sic exaction sic attractivement sic se rapportent Cousin et Gros C lin Le langage refl te leur besoin de croire que tout est possible Ces malentendus proviennent aussi de l incapacit de Cousin interpr ter correctement les nonc s de langue fran aise qu il lit ou entend cet effet Christian Morin donne l exemple du moment o le professeur Tsour s se plaint du harc lement dont il affirme tre victime de la part de Cousin alors que celui celui ci rapporte un change amical entre les deux 62 On y note aussi de nombreuses entorses la grammaire fran aise 63 Robert Bellerose Jeux de surface dans Gros C lin M moire de ma trise Trois Rivieres Universit du Qu bec Trois Rivi res 1986 p 64 64 Robert Bellerose Jeux de surface dans Gros C
91. adologiques transparents monos miques anti dialectiques et anti critiques qui expriment l univers dans sa totalit dont l ensemble tout entier constituerait la r alit mais plut t d une interdiscursivit polyfonctionnelle qui cherche explorer rendre compte d un ensemble de discours socio culturels divers Ainsi les nombreuses occurrences de termes d signant des peuples ou des nations le roman est particuli rement orient vers l international les faits ou les opinions concernant les ph nom nes historiques ou d actualit et les slogans publicitaires forment une partie de l intertexte que nous regroupons ici dans la cat gorie des discours doxiques que renferme l uvre Ellen Babby Reisman d crit la nature de ces discours qui se distinguent de l ensemble du texte par leur contenu et leur pr sence graphique particuli re This linguistic presence assumes various forms as the novel progresses Vincent L Schonberger Strat gies de d mythification du discours id ologiques dans Alexandre Chenevert Winnipeg Presses universitaires de Saint Boniface 1996 p 145 16 Billboards slogans newspaper headlines and verbal messages are often graphically embossed on the printed page through the use of italics capital letters irregular spacing and the clash of two lingvistic systems English and French L existence dans le texte d une telle alt rit sera ult rieurement mise en rappor
92. aire interagir ensemble les l ments du corpus l tude Le premier aspect dont 1l faut tenir compte est l ancrage urbain de l existence des personnages la vie dans la m tropole est le principal facteur qui explique l mergence de ce type de r cit Comme nous l avons vu la ville est le carrefour de tous les discours les grands quotidiens y rivalisent et l attention des m dias est orient e vers le lieu de cet intense fourmillement humain Li e au d veloppement des emplois des deuxi me et troisi me secteurs la ville moderne abrite des manufactures des usines des tours bureaux des h pitaux des commerces et comme il faut loger toute la cohorte de travailleurs qui l animent des habitations leurs occupants maintenant employ s et locataires ces logements n offrent pas tout l espace des b timents ruraux De toute fa on avec l urbanisation les familles rapetissent et les citadins entour s d inconnus vivent l anonymat avec son lot de libert s et de solitude En effet en ville la forte concentration d habitants n est pas synonyme d esprit communautaire surtout pour nos deux h ros Une contradiction exprime tout le malaise qu Alexandre Chenevert ressent en ville Il souffre ind niablement de solitude tout en se plaignant de la pr sence agressante d inconnus qu il est contraint de c toyer Dans la petitesse de son logement mal isol il d teste entendre et tre entendu de ses voisin
93. amm 189 voquant une inqui tante ali nation cette terminologie est aussi appliqu e la description de son python et rappelle le temps o la programmation informatique se faisait l aide de feuilles perfor es Ils les pythons lors de la mue font peau neuve mais ils reviennent au m me un peu plus frais c est tout Il faudrait les perforer autrement les programmer sans aucun rapport 40 Le travail de bureau cette chosification de l humain est aussi d nigr la fin du roman par Mlle Dreyfus d missionnaire de la STAT Lorsque Cousin la rencontre au bordel o elle se prostitue elle lui explique ainsi les motifs de son d part de l entreprise Le bureau j en avais ralbol c est trop ingrat comme travail Je venais ici le soir claqu e exc d e a me g chait mes soir es C est pas humain le bureau les machines toujours le m me bouton qu on appuie Ici c est peut tre pas consid r mais c est beaucoup plus vivant et il y a du changement C est plus social il y a le contact humain c est plus personnel On participe quelque chose tu vois ce que je veux dire On fait plaisir on existe Excuse moi l expression mais le cul c est tout de m me plus vivant que les machines calculer 201 D crivant son m tier de bonne pute Mlle Dreyfus affirme que la prostitution lui permet d exister Elle sous tend ainsi que travailler la STAT est inhumain
94. ant dans le m tro aux heures de pointe 142 30 Il ne convient pas de m accuser aussit t d litisme car je sollicite l apparition de l erreur humaine son chelon le plus humblement d mographique je le suis comme je le pense dans un simple but de naissance de m tamorphose 24 Je cherche garder ici un ton nudiste humain d mographique Les hauteurs ont perdu contact 130 videmment je n tais pas un massacre Je n tais pas l chelle mondiale j tais un emmerdeur d mographique du genre qui se prend pour J ai pleinement conscience d tre une chiure de mouche et une retomb e d mographique sans int r t g n ral et que je ne figure pas au g n rique cause du cin ma 115 1Jgrn Boisen Un picaro m taphysique Odense Odense University press 1996 p 260 59 r gt r 32 r r sistance Devant le d mographique Cousin formule le d sir de se fondre dans la communaut des citadins mais devant ses insucc s il r siste 1l en vient consid rer que la solitude Paris est un combat de tous les instants qui le rapproche de ceux men s par Jean Moulin et Pierre Brossolette en leur temps Prendre le maquis la r sistance de Cousin contre l avortoir Au d but du roman Cousin nous pr sente son trait comme tant une commande 34 de l Assistant au Jardin d Acclimatation celui ci l encourage
95. ant presque le suicide assist Alexandre voque bien avant son temps et sur la seule base du doute et de la fraternit des d bats de soci t s qui secoueront quelques d cennies plus tard les soci t s occidentales Constatant dans ses r veries verll es que sa vie de caissier n a pas t la hauteur de ses ambitions il aurait r v d tre explorateur comme Scott Amundsen ou son voisin de lit 1l finit tout de m me par admettre que ses clients lui manquent et que c est la poursuite d un r ve tout simple de fraternit qui le passionne le plus confirmant la v racit de la bonne parole qu un coll gue a dite un jour son gard Alex est rest un petit homme de grands principes 272 53 I parle maintenant de s on monde 264 comme il a parl de s a cabane au lac Vert 45 Section 5 Chenevert p dagogue visionnaire Malgr son apparente confusion Chenevert devient le porte parole d une vision alarmiste mais justifi e preuve dans ce texte datant d il y a cinquante ans le protagoniste s inqui te de trois ph nom nes qui sont d une actualit frappante encore aujourd hui Le premier de ceux ci concerne la puissance japonaise qui ayant subi un cinglant et meurtrier affront pendant la Deuxi me Guerre mondiale refait surface dans le roman diminu e sous les traits des figurines qu elle fabrique et qui co tent seulement cinq cents aux consommateurs canadiens
96. apport avec les conditions de vie du h ros tous ces types de discours on peut ajouter les langues trang res qui se pr sentent au gr des habilet s de polyglotte de Romain Gary dl Cousin se garde bien s r de nous alerter sur le fait que le nom du professeur en question Tsour s veut dire souci en yiddish pas plus qu il ne nous r v le que Monsieur Burak le dentiste qui voulait tre chef d orchestre n est en fait qu une betterave polonaise La co pr sence d allusions rep rables par les seuls polyglottes aux cultures russes polonaise anglaise et yiddish poss de par ailleurs une fonction d authentification car seul Romain Gary aurait pu y inscrire des astuces provenant de ces langues en particulier et de toutes en m me temps Les x mismes de Gros C lin sont donc tout autant des renvois cach s la mystification Ajar que des ingr dients fondamentaux du langage Ajar David Bellos Petite histoire de l incorrection l usage des ajaristes Jaignes La Chasse au snark 2004 p 37 Christian Morin Fonctionnement du discours humoristique et supercherie litt raire chez Gary Ajar analyse s miotique Th se de doctorat Qu bec Universit Laval 2000 p 9 On peut regrouper dans cette cat gorie les termes conomiques scientifiques et les statistiques On peut aussi penser aux emprunts faits aux dossiers d actualit 3 Nous prolongeons la port e de notre analyse d Alexandre Ch
97. ar les tentatives de l auteur de situer ces r cits dans des univers proches de la r alit dont 1l grossit certains traits De la m me fa on les personnages qui entrent en sc ne se pr sentent comme des caricatures d hommes c l bres ou importants On n a qu penser au dictateur Almayo Morel l cologiste avant la lettre au savant Mathieu Tulipe le Gandhi de Harlem Le simple fait que les romans de Gary transportent leur lecteur dans des sph res politiques fictives ou le fassent voyager autour du globe t moigne de la volont de l auteur de donner une repr sentation du monde qu il peut parodier loisir En revanche trois des h ros narrateurs les quatre narrations sont autodi g tiques ajariens Michel Momo et Jean ont des existences banales Paris mais monologuent coup d incorrections de langage d explorations s mantiques et de transformations des discours didactiques La narration qui en r sulte offre une perspective de recul originale et profond ment ironique sur le monde les discours sociaux et l id ologie qu ils v hiculent sont mis mal par ces personnages bulldozers de la langue Section 5 Gary Ajar du droit sacr des peuples disposer d eux m mes au droit la vie Si l crivain a t boud sa vie durant et jusqu derni rement par les universitaire on peut dire que la critique litt raire de l uvre de Romain Gary prend de plus en plus d ampleu
98. armes destructrices l angoisse du savant Mathieu devient la trame narrative de La t te coupable et de Charge d me Enfin presque toute la production garyenne s articule autour de la Deuxi me Guerre mondiale les camps de concentration nazis la bombe atomique et la r sistance alimentent sa r flexion sur la valeur de l existence humaine et le d veloppement d une pens e humaniste Ancr e dans la tentative de d finition d un nouvel humanisme l uvre de Gary de l action la r flexion comporte plusieurs constantes comme le souligne Dominique Rosse D ducation europ enne Les Cerfs volants en passant par les quatre romans sign s Ajar ce sont les m mes th mes les m mes images et symboles parfois les m mes phrases d un roman l autr les m mes personnages marginaux la m me volont de dire la sup riorit de la fiction sur la r alit qui hantent le texte Ainsi bien Ralph Schoolcraft tablit un rapprochement entre Les racines du ciel roman cologique et Gros C lin en affirmant que ce dernier reprendrait la notion de protection de la faune en faisant de Cousin un sp cimen en voie d extinction Gros C lin is in many ways an offbeat parody of the ecological concerns raised in The Roots of Heaven using the Resistance once again as a backdrop The same humanist themes of man s fraternity with the animal kingdom are present transferred from the epic scale of Gary s
99. as encore acc d tous les avantages sociaux que le 20 si cle apportera C est donc au sein de la grande ville d crite par toute une tradition d auteurs comme lieu d ensevelissement de la subjectivit et r servoir de millions de solitudes que le h ros tente de cultiver ses valeurs humanistes Montr al tant videmment aux mains du capital anglais en 1948 les francophones majoritaires dans la m tropole cumulent des emplois sous pay s routiniers ou physiquement ardus Dans ce milieu Chenevert d couvre que ses moyens d mancipation sont limit s car la ville moderne lui enl ve aussi le droit de faire ses choix de vie et d tre ma tre de sa propre mort Dans ce roman tout comme dans Bonheur d occasion on constate que les citadins de lunivers royen sont souvent sujets aux maladies et terriblement vuln rables devant celles ci Indigents ces personnages sont pris au d pourvu par les co ts d hospitalisation exag r s qu on leur r clame en plus de consid rer que leur corps affaibli est un fardeau pour leurs proches De tous les personnages de la production de Gabrielle Roy Alexandre est certes exemple le plus probant de l homme moderne d pass par les avanc es en m decine d sormais impuissant devant le discours scientifique et son jargon d sesp r l id e d tre maintenu en vie artificiellement Ces enjeux trouvent leur cho trente ans plus tard dans l essai La sociologie du corps de Davi
100. bien en bouleversant le discours social qu il travestit tout en malmenant la langue fran aise le bon usage de celle ci faisant partie des conventions qu il souhaite abattre Comme c est lui qui narre les pisodes de sa vie toute l exp rience de Michel Cousin tourne autour du langage Particulier ce langage scelle aussi l issue de l ensemble des relations qu il tente de nouer Ainsi li la solitude qu il vit dans le grand Paris le 107 mode d expression fond sur la transgression et l invention qu il choisit sciemment l emp che d tre bien compris de ceux qu il rencontre tout en lui donnant la r putation d tre un individu bizarre Sa premi re irr gularit consiste r diger sa propre histoire en pr tendant crire un trait sur les pythons Ensuite avec tous ses d tournements s mantiques le narrateur fait appel un vaste hypotexte qui inclut les articles de journaux les d bats politiques la publicit les expressions idiomatiques fran aises etc cela on peut ajouter la terminologie statistique avec laquelle il travaille qui se retrouve abondamment dans sa narration Il pr sente tous ces discours p le m le et si l on peut retracer l poque laquelle se d roule l action les l ments historiques et d actualit sont pr sent s dans le d sordre Contrairement ce que l on retrouve dans Alexandre Chenevert les l ments emprunt s au discours social ne sont
101. c Communaut de lois la s curit routi re par exemple et de mouvements de masse le courant humain plut t que de sentiments fraternels la ville devient aux yeux de Chenevert le lieu o les hommes perdent toute subjectivit pour suivre des itin raires de vie trac s d avance Deux impressions vont de pair dans la qu te identitaire de Chenevert au sein de la multitude la sensation de faire partie d un groupe dont les individus se fondent en un magma indistinct et l impossibilit de former une vraie communaut Nous sommes tous pareils et personne n est comme moi sont les deux craintes ressenties par Chenevert d u de ses rapports avec autrui qui se d gradent davantage lorsqu il est appel jouer le r le d un caissier de banque 37 Le caissier S 1l a d abord t question du langage scl ros utilis dans le contexte d une banque il faut noter que cette r alit propre aux emplois de commerce s ajoute un ensemble de conditions de travail qui font en sorte que en change d un salaire insuffisant pour qu Eug nie et lui vivent convenablement et se fassent soigner Chenevert exerce un m tier qui ne comble pas ses aspirations et dont il tire peu de satisfaction ou de gratification Propre mais non exclusive la vie urbaine montr alaise de la premi re moiti du vingti me si cle la situation de Chenevert le confine une existence pr d termin e laquelle il ne p
102. caux Bref sans tre pris la gorge les deux h ros sont coinc s dans un engrenage qui rend leur vie routini re au sein d une ville dont ils subissent la cohue quand ils n y souffrent pas d isolement Anonymes ils symbolisent la perte de l esprit communautaire entra n e par l expansion des villes Tandis que Chenevert souhaite satisfaire son besoin de communiquer et cherche d sesp r ment un interlocuteur stimulant Cousin d sire briser sa solitude rencontrer des gens fonder une famille La qu te pour ces deux protagonistes c est toujours la qu te de l autre Cet autre ils semblent d abord partir sa recherche en se nourrissant du produit purement humain qu est le langage mots organis s en discours crits et parl s Or ils s int ressent pour diff rentes raisons des discours diff rents et cela influence les romans jusque dans leur narration Si a priori un rapprochement ne semble pas vident faire entre les deux romans c est en grande partie parce que leur ton et la fa on dont ils sont narr s les opposent De facture classique Alexandre Chenevert poursuit l exploration de la vie des Montr alais qu avait entam e Gabrielle Roy avec Bonheur d occasion publi en 1945 et r compens par l obtention du prix Femina en 1947 Toutefois pour la r daction de son troisi me roman deuxi me et dernier du cycle montr alais l int r t de l crivaine se d place de l indigence de la
103. cken Myth and morality in Alexandre Chenevert by Gabrielle Roy Francfort sur le main Peter Lang 1987 p 30 32 propos contradictoires qui y circulent et l volution rapide du monde qui le laisse sans certitudes Guichetier peu instruit Alexandre est appel dans l exercice de ses fonctions tablir d ph m res contacts avec des clients qui ne le respectent pas toujours et dont la conversation se limite aux salutations d usage aux services professionnels et de banales remarques sur le temps qu il fait ou sur les petits soucis de chacun Il faut ajouter la suite de Ben Zion Shek qu Alexandre ne fr quente pas ses voisins The neighbourhood as a social entity is pratically absent from Alexandre Chenevert An immediate neighbour may be known by his name but littles else il n a pas d interlocuteurs sinon ceux avec lesquels ses changes demeurent superficiels Au travail ou dans sa vie priv e Alexandre est r duit employer plus souvent qu autrement le langage dans sa fonction phatique telle que d finie par Jakobson et dont le but premier est d tablir un contact rapide et facile entre des interlocuteurs partageant un minimum de r f rents culturels le d codage du message transmis ne demandant jamais d habilet s locutrices pouss es Ellen Babby Reisman analyse en ces termes la teneur des propos qu Alexandre tient sp cifiant que ses pens es sont davantage labor es The degree t
104. d Le Breton Le dualisme m thodique de la m decine et de la recherche biom dicale est confront de plein fouet ce fant me qui fait grincer la machine c est dire l individu revendiquant sa consubstantialit ce corps soudain promu marchandise un individu qui se sait d abord tre de chair et de symbole et se reconna t mal dans ce paradigme Si les facult s de m decine ont enseign leurs tudiants qu ils taient les seuls d tenir les connaissances th oriques et Les mots du corps dans Alexandre Chenevert ou l envers de la communication avort e Cahiers franco canadiens de l Ouest vol 8 no 2 p 152 Si l analyse de l ali nation culturelle du h ros n est pas l objet de cette tude on trouvera chez Ben Zion Shek une telle approche de l uvre The theme of alienation one of the salient topics of this novel is developed on a variety of planes alienation caused by residence in a large impersonal city economic alienation and resultant fear and subservience cultural alienation psychological problems closely related to feelings of alienation Ben Zion Shek Social realism in the French Canadian novel Montr al Harvest House 1977 p 182 Chenevert s consciousness of his cultural alienation in contrast with the characters of Bonheur d occasion is highly significant and announces the preoccupations of many Quebec writers of the 1960 s Ben Zion Shek Social realism
105. derputte c est plein de trottoirs Or si l on comprend que le risque qu une jeune fille court Paris est d tre recrut e par un prox n te et de devenir prostitu e faisant le trottoir on ne peut pour autant affirmer que ce sont les trottoirs eux m mes qui la menacent De m me l vieux Vanderputte rappelle Cousin lorsqu il se lance dans un monologue sur sa solitude qu il explique l aide du z ro Oui le tout est de retrouver le sens de la proportion originelle des choses murmura t il Se projeter comme je lai dit dans l infimi dans l astral dans Dieu j emploie ce m t dans son sens le plus large bien entendu il n y a pas de s r nit plus grande qu une conscience m taphysique de sa propre nullit La fraternit des z ro o chaque z ro supporte l autre de sa solitude l inou e solitude des z ros la soci t des z ros l amour des z ros l un pour l autre Non seulement Vanderputte pr cise quel est l usage qu il fait d un mot ce qui le rapproche norm ment de Cousin mais il utilise aussi un langage math matique et d pr ciatif pour traiter de sa solitude Toujours aussi seul et d sesp r Vanderputte affirme quelque cent pages plus loin que L once son fils adoptif l a d laiss en employant un avec tout aussi n buleux que ceux de Cousin Il m a abandonn e mon ge et avec mes organes apr s tout ce que j ai fait pour 15
106. des m decins Le Breton utilise d ailleurs le terme m cano 43 plus lib r la fois de ses obligations de caissier et du poids du monde il se r concilie avec sa femme et Godias trangement c est l h pital que la vie de Chenevert prend soudain un sens plus fraternel et que ses r flexions s affinent et ce m me s il tient ce lieu en horreur Si le fait de devoir remplir des formulaires son arriv e a surpris Alexandre les pratiques de l aum nier lui apparaissent d autant plus tranges qu il semble accomplir sa tourn e de confessions comme une besogne L abb Marchand fait son apparition dans le roman lorsqu au chevet d Alexandre il encourage celui ci tre prudent et se confesser m me s il affirme croire que le patient gu rira Alternant les paroles maladroites que le narrateur entrecoupe dessein de points de suspension le pr tre est pr sent comme faisant peu de cas du croyant dont il s occupe Il tente d apporter le r confort Chenevert r p tant tant bien que mal ce qu il a appris sur le dossier m dical de celui c1 Lors de leurs discussions le repr sentant de l glise se d crit lui m me comme ayant trop peu connu la vie faite de mis res et de labeurs pour bien comprendre les hommes C est aussi l opinion d Alexandre qui est d u de son interlocuteur Il lui apparut que c tait peut tre justement la terrible volont de Dieu qu il e t se
107. dre Or il n en est rien le narrateur est r duit une figure digne du yoga une auto treinte de compensation Il an antit le vide d une treinte sans sujet par une innovation langagi re et de posture physique la gageure de se prendre dans ses propres bras C est toutefois Dominique Fortier et son m moire tudes stylistiques des romans d mile Ajar que nous devons le plus d avanc es dans la recension des proc d s erreurs volontaires et figures de style qu utilisent les quatre narrateurs d mile Ajar Consid rant les aspects touchant au lexique la syntaxe la logique entre autres l auteure d cortique ce que signifie faire de l Ajar en se servant des r f rences litt raires classiques pour analyser ce cas part Son analyse nous int resse particuli rement lorsqu elle s attarde justifier la pr sence d une strate de discours le discours didactique qui n a rien voir avec le trait que Cousin r dige Fortier 67 L objet de cette tude n est pas d en faire une recension compl te mais seulement de comprendre comment ces anomalies influent sur la r utilisation des discours sociaux par le narrateur 68 David Bellos Petite histoire de l incorrection l usage des ajaristes Jaignes La Chasse au snark 2004 p 38 6 Jean Fran ois P pin Aspects du corps dans l uvre de Romain Gary L Harmattan Paris 2003 p 21 7 Dans Le vol du vampire publi en 1981
108. du r cit sera class roman psychologique cause de l int riorit du personnage principal Or tout le roman psychologique montre le Qu b cois nouvellement urbanis comme Alexandre Chenevert plus qu agress par la ville profond ment bless dans sa sensibilit et dans son imagination Le deuxi me roman urbain de Gabrielle Roy se rapproche dans ce mouvement d attraction r pulsion qu exerce la ville de Bonheur d occasion dans lequel les membres de la famille Lacasse subissent les affres de la vie urbaine autant qu ils en convoitent les avantages Concluant le cycle montr alais des crits de Gabrielle Roy Alexandre Chenevert est ce point ancr dans la ville que l on peut difficilement faire fi de celle ci dans une tude portant sur ce roman Per ue par nombre de critiques d Alexandre Chenevert comme point de d part du ph nom ne de d personnalisation du h ros la vie urbaine est source premi re du foisonnement chaotique des discours informatifs dans le r cit Coupl la dilution de 37 Jean Fran ois Chassay Alexandre Chenevert ali nation et communication In L ambigu t am ricaine Le roman qu b cois face aux tats Unis Montr al XYZ 1995 p 62 38 Jocelyne Thifault L information et la publicit dans Alexandre Chenevert M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 1994 p 21 36 l esprit communautaire dans l anonymat des m tropoles ce foisonn
109. e Simon Ajar ou les m tamorphoses du corps Jaignes La Chasse au snark 2004 p 135 57 emplois du secteur tertiaire et aux tours bureaux la vie urbaine repr sente dans Gros C lin la principale obsession d mographique du h ros En deuxi me lieu signalons que Cousin habite l agglom ration la plus peupl e d Europe et que ce fait renforce son impression de solitude S il est habitu aux calculs statistiques le citadin entretient un rapport particulier avec le nombre dix millions Or ce nombre qui quivaut la population de Paris revient avec persistance dans la narration de ce Parisien on compte plus de vingt fois dans le roman des allusions la population totale de Paris ou l expression le Grand Paris Le signifiant Paris renvoie par ailleurs plus souvent son aspect d mographique que g ographique et le terme d mographique lui m me renvoie parfois plus son objet d tude la population et l abondance de population qu la science elle m me M Parisi le professeur de ventriloquie dont Le Journal des Amis recommande les cours Cousin r sume la situation de ses clients par un constat sur la vie moderne en ville Chacun de vous est entour de millions de gens c est la solitude 104 Ici la multitude devient imm diatement source de solitude D ailleurs le but avou du cours de M Parisi est d apprendre ses patients esseul s donner une voi
110. e aux tourments d Alexandre qui se d barrasse simultan ment du poids de son travail et de sa conscience sur compatissante Le narrateur souligne ce nouveau d part en jalonnant les pages 160 et 161 de mots tels que Chinois guerre famine Palestine pour laisser place l espace des quelques dizaines de pages suivantes un registre vierge de ce type de vocables et qui fait na tre chez le h ros des sentiments Paula Gilbert Lewis The literary vision of Gabrielle Roy an analysis of her works Birmingham Summa 1984 p 28 22 Grahame C Jones Alexandre Chenevert et Kamouraska une lecture australienne Voix et Images vol 7 no 2 1982 p 334 7 Passage capital du roman puisque le r ve lieu symbolique par excellence d Alexandre r unit trois des pr occupations qui le tenaillent tout au long du r cit le doute grandissant de sa foi en Dieu le caract re ali nant de son emploi la banque et bien entendu sa crainte de la souffrance des peuples du monde doubl e de la menace que certains d entre eux peuvent ventuellement pr senter pour l quilibre de la paix sur terre Ces deux derni res craintes sont pr sentes dans l vocation du sort du peuple chinois affam mais potentiel p ril jaune comme quoi certaines appr hensions sont faites pour survivre au passage du temps 28 nouveaux comme le bonheur et la s r nit La pause de la deuxi me partie est accentu e par les multiples pr
111. e base de la pr sence de r alit s trang res dans le roman on peut noter que les chapitres deux quatre et cinq en sont quasiment exempts or ces trois chapitres se d roulent la banque Occup par ses fonctions Alexandre ne semble pas trouver le temps de se pr occuper du sort des Grecs et des Juifs de Pologne Ces chapitres qui relatent un avant midi et un apr s midi de travail sont s par s comme une journ e r elle par le chapitre trois dans lequel Godias et Alexandre d nent ensemble avant que ce dernier ne rompe leur relation d amiti Dispute oblige le chapitre trois reprend les th mes de l actualit qui alimentent la discussion Outre les chapitres la banque on peut aussi invoquer les chapitres finaux 19 22 narrant le s jour l h pital pr c dant la mort du protagoniste qui sous m dication jouit certains moments d un repos artificiel Toutefois les derniers chapitres sont aussi ceux au cours desquels Alexandre fait preuve d esprit critique et confronte l abb Marchand sur l existence et l incl mence d un Dieu ch tiant ses 29 cr atures humaines La coexistence au sein du roman de ce type de chapitres et de ceux dans lesquels les r alit s trang res sont surabondantes contribue renforcer l impression que la structure du texte est in gale parfois fr n tique elle traduit la tourmente de son h ros Dans la narration la pr sence dialogique est intermittente et les
112. e bouffon correspond assez justement au personnage de Michel Cousin On comprend gr ce cette d monstration tout le pouvoir subversif dont dispose le protagoniste Son propre langage puise dans les discours doxiques contemporains pour en d former les messages et ainsi questionner les orientations que prend sa soci t d appartenance Appliqu s la description du mode d existence du h ros les langages usuels ceux des diverses doxas perdent leur sens et r v lent leur incapacit traiter des aspirations de l homme qui ne passent pas par l conomie ou la politique De Michel Cousin comme des autres protagonistes des romans sign s Ajar on peut dire que la qu te primordiale concerne leur besoin d acceptation et bien entendu d amour Or en utilisant la multiplicit des langages et des discours pol miques Michel Cousin ne prend qu une seule position l amour est un produit de premi re n cessit dont trop y compris lui m me sont priv s Si une interpr tation biographique pourrait nous mener croire que Gary d nonce les positions de l Ordre des m decins comme il le fait dans son pseudo entretien il faut s en tenir au discours de Cousin qui s vertue ne pas prendre part au d bat sur l interruption volontaire de grossesse En fait si une pluralit d enjeux contemporains sont soulev s dans le roman l absence de s rieux et de rigueur dans leur traitement nous rappelle que le narrateur
113. e du narrateur Toute la prose litt raire et le roman se trouvent g n tiquement apparent s de la fa on la plus troite aux formes rh toriques Et au cours de toute l volution ult rieure du roman sa profonde interaction tant pacifique qu hostile avec les genres rh toriques vivants journalistiques moraux philosophiques et autres ne cessa point et fut peut tre aussi grande que son interaction avec les genres litt raires piques dramatiques et lyriques Mais dans ces relations mutuelles incessantes le discours romanesque conserve son originalit qualitative il est irr ductible au discours rh torique Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Paris Gallimard 1978 p 122 123 Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Paris Gallimard 1978 p 94 Comme pour les r f rences litt raires la pr sence de ces discours dans le roman suppose une relation d intertextualit le narrateur et les personnages r agissent ces discours prolongeant dans la fiction les multiples d bats de soci t Au sein d uvres litt raires ces emprunts de discours la soci t de r f rence de l auteur atteignent leur apog e avec les recueils d extraits provenant des genres rh toriques vivants de paroles entendues ou d opinions r pandues bref de la chose dite ou crite par les membres d une soci t Marc Angenot d crit ces tentatives de d passement de la fiction par le reg
114. e qu on a toute la vie devant soi pour s lancer vraiment 360 cette liste de correspondances entre les uvres de Gary et Gros C lin on peut ajouter Roman dont la conclusion nonc e par Momo narrateur de 14 ans ayant toute la vie devant lui est il faut aimer Romain Gary La vie devant soi Paris Gallimard 1974 p 274 117 Dans Les enchanteurs publi en 1973 l id e selon laquelle la masturbation fait couler la cervelle par la voie urinaire Dans Charge d me paru en 1978 l utilisation de l expression plein emploi voquant la volont des autorit s gouvernementales d utiliser l me des citoyens qui meurent pour en faire de l nergie la question des prostitu es qui avec l l vation du niveau de vie se convertissent au racolage en voiture la pr sence d hommes int gres qui faisaient de leur mieux mais qui n avaient pas t programm s pour a 8 Ailleurs dans l uvre de Gary on trouve des r f rences aux autres romans d Ajar signalons Dans Les mangeurs d toiles paru en 1966 les trous juifs notion qui r appara t dans La vie devant soi et qui d crit la cache de Madame Rosa l expression ci devant pour d crire Jack que l on retrouve aussi dans L angoisse du roi Salomon alors qu elle r f re aux personnes g es Dans Les t tes de St phanie paru en 1974 les ci devant cette fois viv
115. e y notera plusieurs r currences tant propos des images des expressions que des personnages Par exemple le personnages du Baron ivre de sto cisme dans son complet de tweed revient dans sept romans de l auteur jouant toujours le r le de porte bonheur n cessitant un entretien assidu De m me le prodige sexuel cubain revient dans La danse de Gengis Cohn et Les mangeurs d toiles tandis que Rainier est le protagoniste des Couleurs du jour et d Au del de cette limite votre ticket n est plus valable On note aussi qu un personnage se r pand de la cendre sur la t te dans Tulipe dans Chien Blanc ainsi que dans L homme la colombe crit sous le nom de Fosco Sinibaldi Au niveau de l expression Gary recourt deux fois Adieu Gary Cooper et La t te coupable l image du spasme sexuel de l crevisse durant vingt quatre heures 1l diff rencie aussi culturellement deux fois Pour Sganarelle et La danse de Gengis Cohn les Simbas cannibales des Nazis qui pr f raient faire du savon avec leurs victimes La plus persistante des expressions garyennes semble tre le droit des peuples disposer d eux m mes que l on retrouve dans plusieurs romans dans des contextes o elle d tonne tant elle n y a pas sa place Willie Bauch en donne un exemple probant dans Les couleurs du jour lorsqu il refuse de servir de juge un concours de beaut dans lequel il est entra n de force Arr tez Hurla t il au c
116. ement contribue renforcer la boulimie du h ros pour des lectures que son ducation et sa condition sociale ne lui permettent pas de bien comprendre Incapable de d velopper des sch mas de pens e synth tisant tout le savoir qu il accumule et d pourvu d interlocuteurs pouvant lui servir d adjuvants dans la r alisation de cette t che Chenevert s isole dans une impressionnante tour de connaissances du haut de laquelle il ne peut que contempler l tendue de la souffrance humaine oubliant la sienne irr m diablement voire chr tiennement empathique mais seul son retour du paisible lac Vert Alexandre semble soudain d velopper du ressentiment envers le milieu urbain qui l a pourtant vu na tre et vieillir et dont 1l ne saurait se passer Ii eut la curieuse sensation qu il ne pourrait pas tre plus l tranger Moscou Paris Ce qui lui arrive tait pire que la solitude comme un atroce malentendu Il posa sa valise passa une main sur son front Voyons pensa Alexandre j ai v cu toute ma vie Montr al je suis n ici jy mourrai probablement Il prouva la terrible ingratitude de la ville son endroit 204 205 De la m me fa on il se d solidarise de l exp rience urbaine lorsque enfreignant dans un moment d garement un r glement de la circulation il affirme un passant l ayant repris sur son attitude imprudente qu au lac Vert on ne conna t point ces r glements du trafi
117. enevert en affirmant que Cousin autant que Chenevert vit une d personnalisation caus e par le type d emploi qu il exerce et par son manque de contacts humains au sein de la foule d une grande ville 51 Section 1 La biographie d un individu probl matique Du troisi me tage de immeuble qu il habite jusqu au rez de chauss e de la tour o il travaille Michel Cousin 37 ans voyage seul Toutefois dans l ascenseur il accompagne quotidiennement une coll gue Mlle Dreyfus jusqu au neuvi me tage o sont situ s les bureaux de la STAT Au cours du trajet pas une parole n est chang e comme d habitude Cousin s installe derri re son IBM et calcule en milliards jusqu 19 heures la fermeture des bureaux il retourne seul dans son deux pi ces pour retrouver son python de deux m tres vingt Gros C lin En dehors de cette pr sence reptilienne Cousin a peu de fr quentations orphelin il conna t vaguement ses voisins il imagine qu il pousera Mlle Dreyfus il s assoit c t de voyageurs inconnus dans les wagons de m tro vides et il attend aux portes de l institut pour aveugles dans l espoir d aider l un de ceux ci traverser la rue Bref et c est l l un des leitmotivs du roman Cousin souffre d tre seul parmi les dix millions d habitants de l agglom ration parisienne ce sujet le trait zoologique qu il r dige et qui a pour titre La solitude du
118. ent en Suisse Les personnages du roman Le grand vestiaire publi en 1948 exprim nt quant eux via la narration de Luc Martin une s rie de r flexions que n aurait pas reni es Michel Cousin Par exemple cette r ponse en apparence d pourvue de lien logique du jeune Vanderputte son p re Romain Gary Les enchanteurs Paris Gallimard 1973 p 150 6 Romain Gary Charge d me Paris Gallimard 1978 p 46 7 Romain Gary Charge d me Paris Gallimard 1978 p 89 8 Romain Gary Charge d me Paris Gallimard 1978 p 165 Les autres narrations d Ajar sont toutes apparent es celle de Gros C lin Cette description de la technique d nonciation de Momo narrateur de La vie devant soi en fait foi Piochant dans les lieux communs empruntant aux diff rents parlers des milieux qu il fr quente mariant le langage adulte avec l incorrection enfantine le discours de Momo se r v le tout aussi polyphonique que les paroles de Gavroche Olivier Achtouk G n aologie du roman la paternit hugolienne l preuve de l criture ajarienne Jaignes La Chasse au snark 2004 p 60 1 Romain Gary Les mangeurs d toiles Paris Gallimard 1966 p 164 I Romain Gary Les mangeurs d toiles Paris Gallimard 1966 p 424 118 Oui cette petite m inqui te dit le vieux Vanderputte en regardant Roxane sombrement C est tr s dangereux Paris pour une jeune fille Oui dit le jeune Van
119. ent sa conscience et anmihilent sa propre subjectivit Dans Gros C lin la technicit des discours doxiques en pr sence exemplifie le propos selon lequel les sentiments humains sont n glig s dans les d bats publics Ce faisant ces discours participent l effet comique du texte fond sur l hybridisation le m lange des registres et des contenus La d contextualisation des doxas dans son langage permet Cousin v ritable bouffon romanesque de pourfendre s mantiquement sa propre soci t Cet usage diff rent qui est fait du discours social dans les textes va de pair avec leur sch ma narratif puisque les protagonistes cols blancs seuls dans leur cit subissent diff remment cette adversit Alexandre Chenevert nous r v le toute la d tresse d un caissier de banque qui coinc entre le d sir de fraternit universelle que lui ont inspir les m dias d informations et l exp rience d une solitude urbaine d cevante ne comble pas ses r elles aspirations de communiquer ses semblables l objet de ses pr occupations 112 Gros C lin propose l idiolecte incompris de son narrateur pour illustrer le paradoxe qui fait que ce h ros narrateur rejette un monde et son langage qu il veut transformer tout en d sirant profond ment y tre admis en commen ant par tre aim de celle qu il aime Loin de former une pr sence oppressante les discours doxiques sont tout de m me in vitables chez Gary mais l hu
120. entifie dans Gros C lin ce constat garyen mythique L homme a besoin de l Autre Mais en m me temps il a le plus grand mal faire appel cette aide ext rieure signaler son besoin d amiti La responsabilit de ce dysfonctionnement est encore une fois attribu e ce que les personnages de Gary appellent les lois de la nature coupables de cr er des besoins et des d sirs sans donner les moyens pour les satisfaire Gros C lin est le constat poignant de l isolement et de l chec affectif de l homme moderne Et Michel Cousin ajoute avec espoir Je ne sais pas quelle forme prendra la fin de l impossible mais je vous assure que dans notre tat actuel avec ordre des choses a manque de caresses Les savants sovi tiques croient d ailleurs que l humanit existe et qu elle nous nvoie des messages radios travers le cosmos 119 Trente ans plus tard on attend toujours ce signal qui pourrait maintenant aussi venir d Internet et de son r seau plan taire Toutefois on constate que peu de choses ont chang et que les pr occupations du h ros de Gros C lin r sonnent encore alors que sur le site sp cialis en donn es 21 Dans Les Cerfs Volants Ludovic Fleury et son oncle Ambroise fabriquent des cerfs volants qui quand ils chappent leur manipulateur et s envolent librement sont d crits comme partant la poursuite du bleu Dans le roman cette expression sert aussi d crire les
121. er des diverses classes sociales en pr sence etc Cette diversit des types de discours se retrouve surtout dans le roman humoristique dont le narrateur coup d emprunts peut faire jaillir l ironie stigmatisant tel ou tel groupe de la soci t ou r v lant la b tise d un personnage qui emprunte malhabilement le langage d un groupe qui n est pas le sien De plus l auteur du roman humoristique Bakhtine s int resse beaucoup au roman humoristique anglais peut m ler son point de vue au langage commun de l opinion publique dans le but de se solidariser avec celle ci Comme c est le cas du langage commun pour l opinion publique le roman int gre autant la fa on de s exprimer que les contenus des discours li s certains groupes sociaux Par exemple si l on peut reconna tre la structure le signifiant calqu e sur l expression des politiciens r els dans le discours d un personnage de politicien on peut aussi d coder le discours lui m me le signifi qui s ins re dans le roman et s y greffe comme une strate autour de laquelle le narrateur peut d velopper sa di g se Ainsi il s agit de consid rer davantage que le timbre des voix qui r sonnent dans le roman mais galement ce qu elles racontent Provenant du monde r el de la soci t de r f rence de l auteur les multiples discours non fictionnels que Bakhtine nomme genres rh toriques vivants enrichissent la voix uniqu
122. es mots ironiques qui sont mis dans de sa bouche par le narrateur Il devient la victime de l irone de ce dernier Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 50 L histoire se passe dans l univers particuli rement clos du narrateur Il ne se contente pas de faire revivre les personnages il leur pr te aussi ses propres paroles avec leur caract re 58 millions d habitants n apportent pas de promesses de socialisation Le terme neutre d mographique devient rapidement un mot cl n gatif 5 selon stman car par d placement s mantique il prend la place du terme surpopulation Cousin vit difficilement le peuplement incessant de la m tropole fran aise Il faut dire que c tait un mauvais moment dans ma vie Gros C lin traversait une de ses longues p riodes d inertie Mile Dreyfus tait en cong sans pr venir la population de Paris avait encore augment 115 116 En fait plus 1l y a de Parisiens plus Cousin se sent seul Il consid re autant pour lui que pour son python que l agglom ration parisienne est un milieu de vie hostile Fort de sa polys mie le terme d mographique est aussi utilis dans un sens d humilit par le h ros qui souligne son caract re humain tout en rappelant sa petitesse dans l univers On peut d duire de ces occurrences que sa condition de solitaire rappelle au h ros que la d mographie est un poids
123. es qu il ne croisera plus De m me les visites de Godias et des autres employ s qu il re oit l h pital le r concilieront avec ceux ci m me si dans l exercice de ses fonctions Chenevert tol re difficilement ces pr sences de m me que ses coll gues doivent endurer sa mauvaise humeur habituelle Cousin lui est amoureux d une coll gue qu il conna t peine et qui ignore tout de ses intentions de mariage Aussi ses coll gues jugent son style de vie trange ce qui nous porte croire que le bureau est un milieu hostile pour le h ros pourtant celui ci ne s en pr occupe pas En fait Michel 102 Cousin est peu loquace au sujet de ses confr res si ce n est du gar on de bureau dont il d cline sans cesse les invitations La STAT assure Cousin sa subsistance et le statisticien semble sans soucis financiers Ce d tail rappelle la d finition du roman total garyen qui stipule que le h ros ne doit pas subir le joug de l ali nation le roman kafka en tant un contre exemple parfait du roman total c est dire un roman totalitaire Alexandre Chenevert se rapproche davantage de cette notion de roman totalitaire qui emprisonne son h ros dans une s rie de carcans Par cons quent on peut affirmer qu au chapitre de l emploi Alexandre Chenevert vivrait davantage un sch ma classique d ali nation que Michel Cousin dont le rapport au travail reste mal d fini D ailleurs il existe un d
124. es universitaires de Saint Boniface 123 Simon Sherry 1993 Le discours du Juif au Qu bec en 1948 Jean Le Moyne et Gabrielle Roy Qu bec Studies no 15 p 77 86 Socken Paul 1984 Les dimensions mythiques dans Alexandre Chenevert tudes litt raires vol 17 no 3 p 499 529 Socken Paul Myth and morality in Alexandre Chenevert by Gabrielle Roy Francfort sur le Main Peter Lang 1987 96 p Tanguay C line 1996 Les mots du corps dans Alexandre Chenevert ou l envers de la communication avort e Cahiers franco canadiens de l Ouest vol 8 no 2 p 149 170 Thifault Jocelyne L information et la publicit dans Alexandre Chenevert M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 1994 84 p Vachon Georges Andr 1966 L espace politique et social dans le roman qu b cois Recherches sociographiques vol 7 no 3 p 259 279 Whitfield Agnes 1973 Alexandre Chenevert cercle vicieux et vasions manqu es Voix et images du pays no 8 p 107 125 D tudes sur Gros C lin Achtouk Olivier 2004 G n aologie du roman la paternit hugolienne l preuve de l criture ajarienne In Sign Ajar Actes de la premi re journ e d tudes Romain Gary organis e en Sorbonne Paris 6 mars 2004 sous la dir de Firyel Abdeljaouad Jean Fran ois Hangou t et Denis Labouret p 49 70 Jaignes La Chasse au snark Bellerose Robert Jeux de surface
125. ession dans le roman Cette lubie semble remplacer le droit des peuples disposer d eux m mes qui se retrouve abondamment dans les romans de Gary publi s l poque de la d colonisation Les racines du ciel dans lequel le droit des Africains l auto gouvernance est largement d battu en est un bon exemple Apr s la grande vague de d colonisation des ann es soixante l uvre de Gary dont font partie les romans publi s sous le nom Ajar devient plus intimiste et traite davantage d mancipation personnelle que nationale Clamant son droit sacr la vie Michel Cousin souhaite qu on lui donne la possibilit de vivre sa seconde naissance comme en fait foi cet entretien imagin avec son voisin humaniste le professeur Tsour s je l imaginais me parlant de naissance avec vie et comment on peut y arriver et comment emp cher les dizaines de millions d avortements qui ne sont pas pratiqu s si bien que les pr natur s viennent au monde sans que soit respect leur droit sacr la vie 116 Du nombre des pr natur s fusion entre pr matur et nature des tats contre nature pour causes naturelles en qu te de naissance Cousin ressemble fondamentalement aux h ros des derniers romans de Gary comme Ludo des Cerfs Volants tout aussi trange avec sa m moire prodigieuse qui symbolise le refus d oublier l Histoire On peut penser encore Jacques Rainier d Au del
126. et les caf s C est dans ce dernier lieu qu on le voit demander conseil un pr tre au sujet de l alimentation de son python id e fixe chez lui Contrairement Chenevert il ne profite pas de son entretien avec un homme d glise pour lui faire part de ses angoisses m taphysiques Les caf s dans Gros C lin jouent ainsi un r le de carrefour des discours qu on ne peut leur attribuer dans Alexandre Chenevert puisqu ils sont inexistants Cousin les fr quente abondamment il y discute avec les clients et y lit son journal confirmant la fonction de propagation du discours social que Marie Claire Kerbrat reconna t ce type de commerce Le caf n est pas seulement un lieu o l on parle on y lit le journal ce moyen de communication essentiellement urbain et politique Selon de r centes enqu tes les Fran ais fr quentent i Le simple fait que Gros C lin se passe en France en 1973 et Alexandre Chenevert en 1947 48 au Qu bec fait probablement toute la diff rence dans ce cas ci S il existe un magasin en bas de chez Chenevert la conversation aux pages 144 145 entre Chenevert et le propri taire de celui ci Fred Trottier frappe par la r serve qu y emploie le h ros devant un voisin jug trop curieux quant son d part au lac Vert 4 Au caf j ouvris courageusement mon journal et je lus dans ce contexte que le ministre de la Sant qui s appelait alors provisoirement Jean Foyer s tait vigour
127. et partout dans le monde la tuerie l assassinat sous couvert id ologique ou syndrome de protestation terrorisme bombes otages ex cutions sommaires sont devenus monnaie courante et tuer quelqu un pour une raison ou pour une autre est un simple moins un d mographique 333 Dans Adieu Gary Cooper comme dans La nuit sera calme on note un travail de d formation du langage qui ressemble beaucoup celui caract risant la narration de Gros C lin Un usage semblable du mot d mographie y est fait lorsqu on rapporte les paroles d un certain Stanko Zavitch la seule chose qui comptait c tait de ne pas participer la d mographie universelle laquelle tait comme la monnaie plus il y en avait en circulation et moins elle avait de valeur D ailleurs propos de la d mographie dans Adieu Gary Cooper Dominique Rosse crit Le refus du monde de la r alit qui forme un des th mes majeurs du roman est ainsi formul en b r nicien bien que la d rision du langage soit beaucoup plus ponctuelle chez Gary que chez Ducharme et associ une d formation des mots caract ristique du personnage C est travers cette d formation que se profilent les Romain Gary Adieu Gary Cooper Paris Gallimard 1969 p 16 115 cibles du discours parodique la d mographie par exemple renvoie aux ph nom nes de masse ali nant l individu Le personnage Zavitch d Adieu Gary Cooper
128. eud et la psychanalyse Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 111 70 L utilisation d un langage conomique des fins d tourn es atteint toutefois un sommet dans une r flexion de Cousin sur sa propre situation Je pense que ce cur a raison et que je souffre de surplus am ricain Je suis atteint d exc dent Je pense que c est en g n ral et que le monde souffre d un exc s d amour qu il n arrive pas couler ce qui le rend hargneux et comp titif Il y a le stockage monstrueux de biens affectifs qui se d perdissent et se d t riorent dans le fort int rieur produit des mill naires d conomies de th saurisation et de bas de laine affectifs sans autre tuyau d chappement que les voies urinaires g nitales C est alors la stagflation et le dollar 80 On peut reprendre ce passage int gralement pour tenter de comprendre la mise en contexte des expressions conomiques ou non qui a priori n ont pas leur place dans ce raisonnement Si Cousin souffre r ellement de surplus de trop plein affectif l adjectif am ricain fait plut t r f rence l apr s guerre ainsi qu au commerce des biens des soldats am ricains entre autres L conomie et les sentiments se m lent quand il est question d couler un exc s d amour et de la comp titivit qui s ensuit aussi 1 est question de stockage de biens affectif
129. eurs l anti bellicisme qui anime ce citoyen d une droiture exemplaire lui inspire l id e de ne pas payer des imp ts destin s en partie doter son pays d armes sophistiqu es Sa vision idyllique de la fraternit universelle s effrite chaque jour tandis qu il feuillette le journal ou allume sa radio Entrevoyant la sombre r alit 1l d veloppe un rapport personnel avec les actualit s rapport dont l troitesse est la mesure de ses attentes envers un si cle qui a pourtant vu le g nocide gagner en efficacit gr ce aux innovations technologiques Section 2 Les m dias au quotidien Puisque Alexandre Chenevert est un roman introspectif dont le cadre 11 montr alais laisse une grande place aux r alit s trang res telles qu elles sont rapport es dans les m dias on devine l importance du r le que ceux ci prennent dans le r cit Dot d un statut de personnage le journal pr sence incontournable sous les yeux du h ros dialogue avec lui En plus de consulter divers quotidiens et revues dont Jocelyne Thifault a dress l inventaire les personnages du roman coutent la radio qui cumule les r les de divertissement et d information ce sujet un passage du r cit montre que l usage respectif qu ils font de leur unique appareil devient une source de d saccord entre Alexandre et sa femme Eug nie Elle ouvrait l appareil de radio elle se plaisait couter d interminables romans
130. eusement prononc contre l avortement la tribune d mocratique dans le sens du pareil au m me 177 98 de moins en moins les caf s et lisent de moins en moins les journaux ce sont les images de la t l vision qui tiennent lieu d sormais de place publique Il serait toutefois illusoire de pr tendre que Cousin s int gre parfaitement l espace public du caf il y subit les insistances de son coll gue de bureau et attriste la dame au perroquet vert Fr quenter les caf s n radique pas sa solitude mais il semble que le h ros pr f re les dialogues des caf s aux inscriptions sur les murs qui parlent aussi dans Gros C lin on a qu penser au slogan l imagination au pouvoir En effet le narrateur ne pr sente pas l image d un Paris s mantiquement oppressant satur de publicit s et de discours qui sollicitent l attention et la g n rosit du citadin En somme les deux h ros vivent une exp rience de d personnalisation urbaine diff rente bien que chacun prouve une solitude ind niable au sein de la m tropole Ne fr quentant pas vraiment les autres citadins les subissant plut t Chenevert en est r duit absorber les discours qui manent de l espace urbain et qui ne comblent pas son d sir de discuter de l actualit ce qu il aimerait faire avec le docteur Hudon dont il estime l intelligence Incompris par sa famille et d u de son ami Godias et de la simplicit des gens d
131. eut chapper Aussi le salaire que le h ros gagne est insuffisant pour lui permettre de boucler son budget lorsqu il commet une erreur de cent dollars qu il doit rembourser la banque Il est donc contraint de travailler le soir chez un marchand de textiles pour payer les soins de sant que sa femme et lui re oivent Or effet pervers et paradoxal cela lui occasionne un afflux de stress suppl mentaire auquel le docteur Hudon attribue la responsabilit des malaises dont souffre son patient Monique Genuist dresse ainsi le portrait de la difficile situation d emploi du h ros Fr re de l ouvrier le petit fonctionnaire partage peu pr s le m me sort Alexandre Chenevert le repr sente Comme tr itement il re oit juste assez pour survivre Aucune fantaisie ne lui est permise Salaires m diocres surmenage manque de d tente travail malsain nourriture malsaine dans une ambiance bruyante et artificielle sont quelques uns des facteurs qui font de tous les Alexandres de par le monde des hommes p les tristes et angoiss s L homme fait un travail m canique d automate Les dieux de l antiquit n avaient pas invent de supplice plus cruel pour punir Sisyphe Cette comparaison entre Chenevert et Sisyphe semble tre une constante chez les critiques litt raires ayant travaill sur Alexandre Chenevert Lee Brotherson dont l article porte le titre Alexandre Chenevert an uhnappy Sisyphus abonde dan
132. famille nombreuse de Saint Henri vers les tourments d un caissier solitaire mari malheureux et p re d une fille unique Si Bonheur d occasion est souvent d crit comme le r cit r aliste apr s lequel le roman s est d finitivement urbanis au Qu bec Alexandre Chenevert s inscrit davantage dans la veine psychologique du Si le critique Ben Zion Shek a tent de situer dans Montr al le lieu de r sidence de Chenevert les indications de la romanci re ce sujet demeurent vagues roman qu b cois Tout comme celle de son pr d cesseur la narration d Alexandre Chenevert est h t rodi g tique s y d voilent les pens es du h ros ainsi que le r cit de sa vie la banque son domicile au lac Vert durant ses vacances et l h pital o sa mort co ncide avec la fin du roman Le narrateur omniscient reproduit les songes du h ros et le discours social appara t dans le roman tandis que Chenevert jongle et rumine les actualit s Des portions du r cit sont r serv es aux dialogues dans lesquels on voit le protagoniste discuter et d fendre ses points de vue en pr sence d interlocuteurs plus ou moins int ress s par ces conversations Gros C lin quant lui est le premier des romans que Gary ait crits et publi s sous le pseudonyme d mile Ajar l abandon du r cit aux h ros h ro ques comme ducation europ enne et Les Racines du ciel caract rise cette tape du cheminement de l auteur Les r
133. hauffeur Je refuse absolument Je refuse au nom du droit sacr des peuples disposer d eux m mes Fabrice Larat explique la supercherie en ces termes La nuit sera calme pr sent comme un entretien v rit deux voix entre Romain Gary et Fran ois Bondy est en fait un monologue habilement construit Gary ayant crit lui m me les questions et les r ponses Fabrice Larat Romain Gary un itin raire europ en Ch ne Bourg ditions M decine et Hygi ne 1999 p 156 8 ce sujet voir Correspondances et co ncidences persistances garyennes chez Ajar en annexe du pr sent travail 10 Les mangeurs d toiles La t te coupable Les racines du ciel Europa Les t tes de St phanie crit sous pseudonyme Les couleurs du jours Le grand vestiaire 10 Romain Gary Les couleurs du jour Paris Gallimard 1952 p 180 89 On note aussi que les narrateurs prennent plaisir mettre cette expression l envers et Gary lui m me dans sa note de l auteur des Racines du ciel crit il n est que trop facile de disposer d un peuple au nom du droit des peuples disposer d eux m mes Ce travail de r utilisation d un l ment provenant du discours social rappelle d ailleurs le narrateur de Gros C lin dans sa tentative de cr er une nouvelle source d espoir langagi re Toutefois Michel Cousin lutte davantage pour le droit sacr la vie on retrouve d ailleurs plusieurs fois l expr
134. histoire Deux tudes de cas Alexandre Chenevert et Gros C lin Ainsi ces deux romans proposent des modes d int gration des doxas plut t diff rents cela s explique par leurs narrations oppos es Les contenus de celles ci justifient quant eux des emprunts diff rents qui d pendent largement d Alexandre Chenevert et de Michel Cousin qui nous consacrerons respectivement les chapitres premier et deuxi me de cette tude Pour Alexandre Chenevert nous nous pencherons sur l tude du contexte historique repr sent dans l uvre Nous y traquerons les doxas journalistiques et les interactions du h ros avec celles ci avant de nous int resser au h ros lui m me pour identifier les facteurs qui nous le font consid rer comme d personnalis Ces facteurs comprennent sa situation d emploi la banque la vie urbaine et la division des fonctions 13 D ailleurs le mot texte ne vient il pas du latin texere tissu I1 du langage dans la soci t En effet l utilisation du langage de Chenevert se limite aux banalit s qu il prononce la banque tandis qu il aspire diffuser ses id es via les m dias crits comme les journalistes qu il lit assid ment La fin de ce chapitre sera consacr e aux derniers jours de Chenevert l h pital afin de questionner son rapport cette institution en plus de commenter les propos qu il tient sur son lit de mort lorsqu il re oit des visiteurs La narrati
135. iale et l explication parfaitement convaincante c est qu un python n est rien d autre qu un bras g ant un bras de 2 20 m en libert et qui use de sa libert Pour envelopper son ma tre dans une treinte colossale qui exprime une surhuimaine tendresse Voil un rival contre lequel Mile Dreyfus aurait eu bien du mal s affirmer malgr ses mini jupes et ses bottes cuissardes Michel Tournier Le vol du vampire Paris Mercure de France 1981 p 341 Les fr quents tranglements du serpent sur sa personne sont per us tort par le protagoniste comme autant de gros c lins et non comme d instinctuelles techniques de chasse 76 Avec est l un des marqueurs de relation dont Dominique Fortier identifie le fr quent usage fautif dans les romans d Ajar Dominique Fortier tudes stylistique des romans d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1997 p 49 50 La pr position servirait introduire des qualit s aux l ments qu elle suit 1 tel que d fini par Tournier lorsque l un des termes compar s par le pareil n est pas pr cis mais seulement sous entendu Bref on voit dans ces exemples que les erreurs de syntaxe de grammaire et de lexique tout comme ses mauvaises interpr tations des discours personnels et sociaux contribuent cr er le style d criture de Cousin Les particularit s discursives de la narration proc dent de l incapacit o
136. idence toute la pertinence que peuvent prendre ces alliages en apparence d pourvus de sens Apr s avoir dress une esquisse de mode d emploi du langage de Cousin nous tablirons le lien qui existe entre les uvres sign es Gary et celles sign es Ajar Affirmant la suite des chercheurs contemporains que les deux groupes d uvres sont crits en continuit l un de l autre nous ferons des parall les entre celles ci Malgr que plusieurs parlent de deux corpus distincts l gard de Gary et d Ajar nous tenterons de d faire en partie cette conception pour affirmer la suite de Gary lui m me qu Ajar demeure une exp rience de truquage litt raire et que sa technique se trouvait en germe dans le corpus sign Gary propos de cette question de signature n us emploierons le nom de Gary et la notion de romans sign s Ajar dans le but de souligner la continuit qui existe entre les uvres En guise de conclusion nous dresserons un bilan comparatif des aspects l tude dans les deux uvres c est dire la pr sence et la port e du discours social et la d personnalisation du personnage v cue dans son environnement urbain ses relations personnelles son milieu de travail et son rapport aux doxas Pour ce faire nous nous r f rerons des tudes sur la ville en litt rature ainsi que sur l volution de l espace 18 On comprendra par cette d nomination que la soci t de r f rence s
137. ieux v tements Give generously 208 209 Ces extraits illustrent les deux techniques de contextualisation du discours tranger dans la narration en effet le premier exemple v ritable citation ressort du texte tout comme il a attir ou agress l 1l du h ros le deuxi me num ration int gr e au corps de la narration permet de donner en peu de mots une id e du nombre d organismes de charit qui sollicitent la g n rosit d Alexandre De plus les extraits choisis pr sentent des particularit s graphiques qui les rendent incontournables comme les majuscules les points de suspension et l italique que le narrateur utilise pour faire ressortir les mots de langue anglaise Ellen Babby Reisman accorde une certain importance ce travail sur l aspect graphique et l on serait tent de conclure avec la critique ainsi qu avec Sherry Simon que la mat rialit de ce texte s allie sa substance pour donner une allure syncop e certains passages du roman Des d placements de perspective narrative ainsi que des incongruit s de style donnent la lecture un rythme heurt tout en saccades La narration refl te le paysage urbain s miotiquement surcharg dans lequel volue Alexandre et dont Georges Andr Vachon souligne la pr sence malsaine Chenevert re oit comme une agression la pr sence de la ville Conscience ouverte mais sans d fense il accueille p le m le les nouvelles internat
138. il conducteur de notre analyse de leur processus d int gration des diverses doxas qui proviennent de leurs soci t s respectives En effet les deux h ros entretiennent vingt cinq ans d intervalle une relation particuli re avec les m dias et cinq mille kilom tres de distance un rapport la ville et au travail qui unit leur destin e Dans le roman de Gabrielle Roy Alexandre Chenevert vit Montr al en 1947 48 il occupe un poste de caissier de banque souffre d isolement et de son impossibilit de communiquer ses aspirations ses semblables Quant Michel Cousin h ros de Gros C lin c est un statisticien parisien qui vraisemblablement durant l ann e 1973 habite seul avec son python Gros C lin parce qu il est incapable de nouer des relations panouissantes avec un autre tre humain Une d finition du terme doxa sera propos e ult rieurement Cousin h ros de Gros C lin c est un statisticien parisien qui vraisemblablement durant l ann e 1973 habite seul avec son python Gros C lin parce qu il est incapable de nouer des relations panouissantes avec un autre tre humain Ainsi ces cols blancs occupent des emplois qui loin d tre d crits comme intellectuellement stimulants sont r p titifs et ils sont entour s de coll gues qui leur sont indiff rents ou hostiles Si Cousin ne se plaint pas de son salaire celui de Chenevert est insuffisant pour couvrir ses frais m di
139. in des souffrances qui sont les siennes Il attend d ailleurs beaucoup des mues du serpent h las le reptile change de peau mais reste le m me Animal hideux par excellence son serpent devient le repr sentant la mascotte des solitaires des trangers et des pers cut s cette interpr tation est partag e par Anne Charlotte stman s L identification de Cousin avec son serpent sert plut t souligner son sentiment de faire partie des mal aim s de la soci t Gros C lin est aussi un miroir de l homme Il incarne son inach vement Le narrateur place en Gros C lin son espoir mais le serpent fonctionne galement comme un rabaissement de l image de l homme qui forme contraste avec les esp rances lev es de Cousin au sujet de la solidarit et de la fraternit entre les hommes Inadapt comme son ma tre la vie urbaine Gros C lin effraie les voisins et d go te les passants La seule pr sence du serpent dans un deux pi ces de la capitale fran aise provoque le rire et les changements de personnalit et de corps entre le ma tre et son 78 Les romans d Ajar ont tous lieu dans ce Paris post colonial o se c toient Africains Maghr bins Europ ens etc En cela ils sont en continuit avec Les racines du ciel publi en 1956 dont l action se d roule en A E F feue Afrique quatoriale Fran aise 1 Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell Internatio
140. inion publique est en effet command e par la volont de rationaliser la politique au nom de la morale Or on peut dire la m me chose au sujet des opinions que le protagoniste lit sous la plume des autres ou se forge lui m me en confrontant sa raison aux v nements de l actualit Cependant Chenevert ne d veloppe pas d opinions instantan ment On le voit surtout r agir aux trag dies par exemple en manifestant de l empathie l gard des victimes 1l est solidaire de tous les opprim s et des plus faibles Son exp rience de lecteur assidu du Sol a fait en sorte qu il aspire un id al de fraternit universelle Le paradoxe chez Chenevert r side dans le fait que son ouverture sur le monde s accomplit en solitaire lorsqu il parcourt les pages de son journal ou qu il tend l oreille son appareil radio Ces contacts virtuels avec des inconnus clipsent ses possibilit s de socialisation au sein de la ville un milieu pourtant dens ment peupl Ce genre de relation est d crit par les sociologues Coline Klapisch et Andr a Semprini dans l article Mondialisation de l information de l espace public l espace socioculturel Dans leur analyse du ph nom ne CNN on saisit toute l implication que le m dia peut avoir dans la formation de la personnalit de son consommateur l individu consommateur de programmes t l visuels tels que ceux propos s par CNN se trouve pris dans une contradictio
141. ionales les slogans publicitaires les consignes politiques et religieuses Incapable de se refermer sur elle m me cette conscience devient le lieu d une r verie incoh rente Chenevert c est la conscience devenue trang re elle m me 35 Sherry Simon Le discours du Juif au Qu bec en 1948 Jean Le Moyne et Gabrielle Roy Qu bec Studies no 15 1993 p 81 Georges Andr Vachon L espace politique et social dans le roman qu b cois Recherches sociographiques vol 7 no 3 1966 p 268 269 35 Section 4 La ville avilie Jean Fran ois Chassay attribue un caract re spectral la ville qui d tient une emprise sur le h ros Chenevert ne peut que subir une actualit face laquelle il n a pas encore su prendre de distance au sein d une ville qu il habite et en dehors de laquelle il sait ne pouvoir vivre Int ress par l information de mani re g n rale plus que par la r clame 1l est encore incapable cependant de faire sa propre lecture de cet espace urbain Pr sence dont le h ros ne peut se passer la ville au sein d Alexandre Chenevert s apparente celle des premiers romans urbains qu b cois elle exerce une double pression sur le protagoniste l attire et l agresse D ailleurs Jocelyne Thifault ajoute sa voix au consensus de la critique Alexandre Chenevert qui manifeste le mode litt raire en s inscrivant dans le courant r aliste notamment par le cadre urbain
142. ire culturel Dans les seules pages 16 18 du roman le narrateur nous instruit des jugements d favorables que son h ros porte sur les individus de confession juive ou sur les peuples tats unien anglais canadien fran ais fran ais et comme en fait foi l extrait suivant japonais Il avait t sur le point de commencer comprendre les Japonais Mais il y avait eu l attaque de Pearl Harbour et depuis chacun connaissait les Japonais pour ce qu ils taient des tra tres des fourbes des Nippons quoi Contradictoires les pens es de Chenevert oscillent entre ce type de jugements teint s de racisme retourn aussi contre son propre peuple et un attendrissement l gard des humains souffrants du monde entier attendrissement accompagn d un profond anti militarisme inspir du mahatma Gandhi figure de proue des mouvements Jean Fran ois Chassay Alexandre Chenevert ali nation et communication in L ambiguit am ricaine Le roman qu b cois face aux tats Unis Montr al XYZ 1995 p 54 J sef Kwaterko La probl matique interculturelle dans Alexandre Chenevert de Gabrielle Roy University of Toronto Quaterly vol 63 no 4 p 567 19 Gabrielle Roy Alexandre Chenevert Montr al Bor al 1995 19541 p 18 Dor navant les r f rences au texte du roman seront identifi es par le num ro entre parenth ses de la page dont elles proviennent 19 pacifistes du vingti me si cle D aill
143. is France Loisirs 1989 1942 p 125 Alexandre Chenevert epitomizes the white collar employee burdened by economic insecurity and by the monotony and subservience of his job Ben Zion Shek Social realism in the French Canadian novel Montr al Harvest House 1977 p 173 39 4 clients deviennent des objets pour le caissier et le caissier une machine pour les clients Un jeu humoristique du narrateur souligne la chosification de l employ de caisse en effet alors qu il r f re plus souvent qu autrement au h ros par son pr nom le narrateur change d habitude dans l extrait suivant D j il Alexandre avait dispos ses registres allum sa lampe col de cygne pousset du bout de sa manche une plaque recouverte de verre qu il pla a sur le comptoir dans le rayon de la lampe et o on voyait maintenant briller en lettres sombres A Chenevert Tout de suite apr s A Chenevert versa 31 Lorsque le narrateur r emploie ironiquement l inscription sur la plaque destin e aux clients de la banque pour poursuivre la description des gestes que son h ros est sur le point d accomplir on comprend qu il entend par ce proc d souligner l impersonnalit du rapport qu entretient le h ros avec son employeur ainsi qu avec les clients qu il accueille Fatigu et bougon le matin somnolant l apr s midi guettant sans cesse l horloge dans l espoir de voir arriver l
144. l menteur Alexandre semble ainsi reprendre les opinions d favorables de son propre journal Le Sol sur son concurrent Le narrateur souligne l aide d une formule le distanciant de son h ros la faiblesse du propos d Alexandre influenc par ses lectures En effet pr f rer se rallier ce qu il convient de penser au lieu de se fier ses propres exp riences inductives loigne Chenevert de l id al d objectivit auquel il aspire Vuln rable Alexandre ne peut que se montrer cr dule devant la machine efficace de propagation du discours officiel tissu tentaculaire et contradictoire qui change de forme au gr des id es et des humains d fendre laissant son destinataire dans l obscurit l oppos l abb Marchand qui contrairement son interlocuteur se montre suspicieux l gard des informations que diffusent les m dias sur la souffrance qu prouvent les hommes travers le monde confrontera Alexandre mourant et hospitalis Quant la souffrance g n ralis e par les pid mies les guerres les cataclysmes il abb Marchand la disait surfaite par les journaux 243 Ce scepticisme qu exprime tort ou raison l abb Marchand quant la v racit des discours journalistiques chappe Alexandre incapable de mettre en doute ce qu il lit ou entend Puisque les id es qui se disputent les pens es d Alexandre lui sont comme on l a vu communiqu es par ses lect
145. le parfois purement ludique Ce m lange de termes et de discours trouve ses aboutissements les plus d jant s quelques reprises dans le roman lorsque le narrateur semble d lirer Le professeur Lortat Jacob tait pr sident de l Ordre National des M decins et intervenant dans le d bat sur l avortement en France 47 Cette lettre qui aurait constitu une intervention douteuse de Cousin dans le d bat sur l avortement n est heureusement jamais envoy e puisqu elle se termine en coq l ne par une blague cul e appartenant au discours social donc sur la sodomie 48 Suite la prise de position publique du ministre de la Sant Foyer contre l avortement Cousin le seconde d un argument qui rejoint son concept bien lui de naissance Moi aussi je suis contre l avortement des pieds la t te Je suis pour l int grit de la personne humaine des pieds la t te avec droit la naissance 178 ce sujet Cousin affirme quelques reprises employer des mots dont il ignore le sens simplement parce qu ils voquent l espoir pour lui 65 Je sentis que je grandissais dans son estime Je pensais aussi en g n ral je pensais l ordre des grandeurs et l Ordre des M decins et leur communiqu en vue de pr server l entr e libre et sacr e du foutre dans l avortoir mais ce sont des personnes tr s distingu es et garanties d origine qui n ont pas v cu la port e de tou
146. les les noms des deux r sistants traversent tout le roman 2 le conseil de l Assistant au Jardin d Acclimatation ayant t suivi la lettre Le vocable r sistance subissant lui aussi un transfert s mantique l idiolecte du narrateur lui donne une toute nouvelle d finition adapt e sa propre vie Les critiques litt raires ne s entendent pourtant pas sur la signification accorder cette transformation Anne Charlotte Ostman l interpr te comme une carence fraternelle un d sir formul par Cousin de trouver un ensemble d hommes ou une cause qu il pourrait appuyer Ce qui compte pour Cousin c est la solidarit entre les gens Il veut sortir de la solitude Les portraits des h ros de la R sistance sont l comme l image d un d sir que le narrateur n arrive pas r aliser Il ne trouve pas d action valable dans laquelle il pourrait rejoindre les autres comme l avait fait Romain Gary pendant la guerre Cette interpr tation semble n gliger la notion de r sistance elle m me omnipr sente dans le roman et dans le langage de Cousin Ostman r duit son expression la plus primaire Ils acqui rent m me une pr sence physique dans l environnement du h ros lorsque celui ci affiche leur portrait sur le mur de son logis 3 On d nombre quinze apparitions du couple de noms et deux apparitions du seul nom de Jean Moulin 37 Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Al
147. leur vers la famine qui s vit dans le monde Il eut envie de demander au docteur s il avait lu aussi la semaine derni re dans l cho que trois hommes sur quatre sur notre plan te taient sous aliment s 128 Alexandre essaie ici comme dans une s rie de plaidoyers de reprendre son compte la vis e informative des m dias et de la d passer en tentant de rallier ses interlocuteurs son mouvement de sympathie humanitaire C est en la personne du docteur Hudon professionnel instruit qu Alexandre croit en vain avoir trouv l interlocuteur id al Maintenant que la consultation avait lair termin e il prouvait un certain plaisir d une conversation qui devenait sens e avec un homme tel qu il ne s en trouvait pas souvent sur son chemin 136 Mais trop occup le docteur ne se concentre que sur l laboration du diagnostic suivant Vous tes trop d licat pour ce monde lui reprocha le docteur Vous tes fait pour souffrir Ce n est pas sage 136 Ainsi l pisode de la visite chez le docteur Hudon est l occasion pour Chenevert de comprendre que sa connaissance des malheurs de la plan te a fait en sorte qu il s est charg de porter le fardeau des crises mondiales et que le style de vie qu il m ne lui est n faste Toutefois l exemple de ce petit homme accabl de mille soucis qui choisit de prendre une part de culpabilit pour les guerres et la malnutrition de ses cong n res
148. lin M moire de ma trise Trois Rivieres Universit du Qu bec Trois Rivi res 1986 p 27 6 H l ne Lafond L univers romanesque d mile Ajar ou le refus de la norme M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1991 p 64 amp Chrisitan Morin Fonctionnement du discours humotistique et supercherie litt raire chez Gary Ajar analyse s miotique Th se de doctorat Qu bec Universit Laval 2000 p 223 74 Ainsi l effet comique du texte na t en partie de la compr hension d ficiente du langage de Michel Cousin Toutefois on note aussi que l usage que le narrateur fait de la langue est truff d anomalies grammaticales et s mantiques Ainsi David Bellos identifie les trois bourdes que le h ros commet dans sa narration Les homophonismes usag s au lieu d usagers les d formations phoniques d expressions fig es des cris d fiant toute concurrence et l expansion de locutions fig es par association de mots sans autre forme de proc s de Jeanne D Arc sont autant de proc d s qui mettent en lumi re le fonctionnement de ce langage propos des cas d erreurs grammaticales dans le langage cr atif du narrateur Jean Fran ois P pin commente l auto treinte 35 Figure impossible de Ja syntaxe le verbe treindre pronominal ne peut tre conjugu oserait on presque dire pour soi m me L treinte suppose quelqu un trein
149. lle qu il accuse de ne pas remplir son contrat et de ne pas lui avoir fait vivre P illusion d affection qu il cherchait 68 des forces sociales tr s puissantes Puisqu titre d employ de la STAT il est habitu d valuer la sant conomique de la France 1l ne faut pas se surprendre de voir Cousin utiliser une terminologie li e au calcul de rendement lorsqu il qualifie les tres humains qu il rencontre ce sujet Lalancette commente l effet de distanciation cr entre autres par ces r f rences qui d routent le lecteur Toutes ces constructions langagi res permettent au narrateur de s exprimer travers un ensemble de mots ou d expressions clefs qui lui sont propres et qui par leur caract re rationnel viennent att nuer la port e motive des situations ou des sentiments qu ils servent exprimer En guise d exemple on peut observer l effet de ce m tissage sur le langage du narrateur qui constatant l accroissement de la population mondiale traite celle ci comme une marchandise et par surcro t comme un produit de boucherie Lorsqu on va sur les trois milliards avec six milliards pr vus dans dix ans on a beaucoup de mal cause de l inflation de l expansion de la d valuation de la d pr ciation et de la viande sur pied en g n ral 160 Poursuivant son analogie Cousin affirme qu un changement qui s observe dans les statistiques doit aussi se constate
150. maux de la jungle Cousin regrette le temps de l oppression que certains peuples ont subie Elle Mile Dreyfus doit commencer prouver de la g ne lorsqu on parle des pythons cause des singes Ce qui me fait penser que je suis n trop tard pour la fraternit a n a plus rien vous donner J ai rat les Juifs pers cut s que l on pouvait traiter d gal gal avec noblesse les Noirs lorsqu ils taient inf rieurs les Arabes lorsqu ils taient encore des bicots il n y a plus moyen d ouverture pour la g n rosit Il n y a plus moyen de s ennoblir S il y avait l esclavage j aurais pous Mile Dreyfus tout de suite je me sentirais quelqu un Les seuls moments o je me sens quelqu un c est lorsque je marche dans les rues de Paris avec Gros C lin sur mes paules et que j entends les remarques des gens Quelle horreur Mon Dieu quelle sale t te 81 L obscur pr ambule de ce raisonnement s inscrit dans la logique du narrateur qui s ent te ne retenir de Mille Dreyfus pourtant tout fait occidentalis e que les origines guyanaises Ce faisant Cousin d veloppe un r seau d images qui associent par le truchement du r gne animal sa coll gue un monde mi civilis Croyant avoir agi dans tours dont se sert Ajar Le raccourci Le croc en jambe Le respect des conventions et Le passage l absolu Michel Toumier Le vol du vampire Paris Mercure de
151. mbat dans la clandestinit celui des r sistants fran ais le narrateur op re toutefois un glissement au niveau de l ennemi combattre Ce qui semble pr occuper le plus Cousin c est la r gulation des vies humaines dans les r gimes totalitaires Sa r flexion autour de l achat d une montre d voile un Cousin anxieux d int grer un objet d exactitude dans sa vie tout en conservant un statut d erreur humaine au reste des choses qui l entourent et surtout lui m me Vers cinq heures je compris que j avais l un probl me et qu il me fallait quelque chose d autre de s r et de d pourvu d erreur humaine mais je demeurai r solument antifasciste J prouvais un tel besoin d chirant de premi re n cessit avec quelque chose d autre de diff rent de bien fait tous gards que je courus chez un horloger rue Trivias o je suis entr en possession d une montre 210 Si Cousin ach te une montre c est parce qu il souhaite porter au poignet la mat rialisation d un monde r gul qu il ne peut ou ne veut int grer En effet son antifascisme semble motiv par le fait qu il se per oit avant tout comme une erreur humaine un exclu qui aspire na tre Ainsi le fascisme resurgit dans le roman avant 81 d tre banalis par le narrateur qui poursuit son seul objectif de fraternit et r oriente le langage des autres dans cette direction Involontaires ses jeux de mots n
152. mettre tout cela par crit sans rien cacher C est aussi lui qui par un conseil absurde sur l criture du trait reformule de fa on m tadiscursive toutes les angoisses ontologiques du h ros J estime que votre trait sur les pythons si riche d apport personnel peut tre tr s utile et que vous devriez galement voquer sans h siter Jean Moulin et Pierre Brossolette car ces deux hommes n ont absolument rien faire dans votre ouvrage Dans un grand agglom rat comme Paris avec dix millions au bas mot il est tr s important de faire comme il faut et de pr senter des apparences d mographiques habituelles pour ne pas causer d attroupement 20 Je ne me sentais pas trop diff rent de tout le monde avec le savon qui br lait dans mon cul Je ne faisais plus le pr tentieux avec autre chose ailleurs j tais d mographique avec voies d acc s et droit sacr la vie J avais repris place C tait le billet destination avec contrat de plein emploi 204 205 J ai lu l ouvrage de Jost sur la Th rapeutique de la solitude mais pour qu un python puisse acc der comme nous aux consolations de l humain et souffrir moins d tre lui m me et dans son propre cas en pensant aux horreurs dont il n est pas l objet il faut d abord qu il change de peau ce que l Ordre des M decins n envisage d aucune mani re tant l pour juste le contraire dans un but d acc s indiscrimin
153. mocratique dans le sens du pareil au m me 177 16 ce sujet J rn Boisen synth tise la pens e de Cousin selon laquelle une mue Cousin r fl chit souvent l condition humaine en termes zoologiques de l tre humain est possible et doit d abord se faire par le langage Ce refus d exprimer en des termes conventionnels ce vers quoi il Cousin aspire ne d coule pas d un nihilisme quelconque Au contraire Mais dans Gros C lin l id aliste est d crit comme quelqu un qui est totalement impuissant face l adversit La pression qu exerce la soci t sur lui est telle qu il se voit r duit miser sur une forme d espoir utopique ou messianique Il esp re que son langage associatif et peu conforme conduira une esp ce de renouveau dans les rapports Il mise sur les erreurs humaines ou une m tamorphose biologique pour merger vers quelque chose de diff rent J rn Boisen Un picaro m taphysique Odense Odense University press 1996 p 162 54 tudierons plus pr cis ment ce rapport au langage la cr ation d un idiolecte se d marquant des divers sociolectes propres l conomie la politique la publicit etc Toutefois avant de proc der l analyse de cette langue parall le fond e sur le travestissement des discours didactiques 1l importe de conna tre le contexte d closion de ces discours Section 3 Paris 1973 Notre tude se fonde sur le
154. mour rattach leur utilisation d samorce la situation tragique que vit le h ros Si au d but les multiples incorrections de langage de celui ci donnent l impression que son univers s mantique est surcharg et qu il en perd le contr le on comprend rapidement que cette perte de contr le est volontaire et tributaire de la douce folie de Cousin Personnage id e fixe le statisticien se sert de toutes les ressources du discours social de son poque pour faire ressortir la difficult d une existence de citadin solitaire dans une agglom ration de dix millions d habitants Sa premi re entorse discursive se situe dans son choix de qualifier de trait scientifique le r cit de diverses anecdotes de sa vie qui convergent d montrer que sa relation aux autres est faite d incompr hension mutuelle Ensuite il se sert d une pl thore de termes conomiques politiques statistiques etc pour d crire cette solitude qui le terrasse et laquelle ces domaines techniques ne peuvent apporter de r ponse Dans Gros C lin c est le d calage entre les sentiments du personnage et le langage qu il emploie qui frappe d abord La pr sence de la doxa dans le r cit semble avoir pour utilit de questionner un monde dans lequel on r fl chit de plus en plus sur l humanit et la civilisation mais en cartant l homme de cette r flexion APPENDICE A CORRESPONDANCES ET CO NCIDENCES PERSISTANCES GARYENNES CHEZ AJA
155. mprendre 44 qu Alexandre doute de l amour de Dieu et souhaite retrouver le meilleur de son exp rience terrestre la nature entre autres au paradis de plus il s tonne qu Alexandre soit pr t changer sa place au ciel pour continuer souffrir avec les autres et renoncer l existence du paradis c leste au profit d un monde terrestre meilleur et fraternel Si l abb Marchand se moque des petites h r sies de Chenevert celui ci en retour estime que l abb le traite en enfant m conna t les joies d ici bas et pr sente la vision d un Dieu tyrannique et d un paradis ennuyeux Les questionnements de Chenevert parviennent toutefois branler la conception de la foi humaine que se fait le pr tre Confront un homme assailli par le doute le religieux reconna t sa trop grande m connaissance des r alit s des hommes comme un facteur le rendant inapte leur assurer la transmission de la parole divine Il finit aussi par reconna tre que la souffrance humaine est un ch timent bien lourd porter lui qui avait enjoint Alexandre de ne plus penser aux famines en Inde et aux conflits palestiniens Ainsi son s jour l h pital est l occasion pour le h ros d affronter sur le terrain de la religion un abb qui ne le convainc que lorsqu il est drogu cela on peut ajouter qv Alexandre d fend l id e de mourir plut t que de vivre diminu ou souffrant Doutant de sa foi et r clam
156. mqvist amp Wiskell International 1994 p 190 ternel minoritaire Gary a longtemps affirm qu il ne se reconnaissait d appartenance qu au groupe Lorraine l escadron d aviateurs dont il a fait partie pendant la Deuxi me Guerre mondiale 61 cette image r currente et indissociable de la vie de l auteur Gros C lin H l ne Lafond s attarde davantage la question des classes sociales quand vient le temps de d crire la fonction de la th matique de la r sistance dans le roman Ces deux derniers r sistants c l bres sont des mod les du combat de Cousin Ils incarnent le refus de se soumettre une situation de domination l admiration que voue Michel Cousin Pierre Brossolette et Jean Moulin refl te un d sir de s opposer au syst me en place et de revendiquer la libert On peut questionner la validit de ces hypoth se selon lesquelles Cousin le r sistant se positionne contre les institutions qui le dominent En affirmant que Cousin voue une admiration aux h ros de la r sistance H l ne Lafond semble lui attribuer une conscience de classe et une volont quasi r volutionnaire de bouleverser l ordre tabli tout fait trang res son apolitisme Or Cousin refuse de s int resser aux discussions que le commis de bureau tente d engager avec lui aux manifestations auxquelles il le convie ou aux tracts qu il lui distribue Si Cousin subit une domination il lui manque
157. n Introduction Avouons le d embl e le rapprochement entre les romans Alexandre Chenevert 1954 de Gabrielle Roy et Gros C lin 1974 de Romain Gary ne semble pas vident tablir au premier abord il est cependant li la gen se de ce travail En effet il nous est apparu que les deux romans font un usage particuli rement abondant des discours que nous avons d abord qualifi s d officiels avant de r viser ce vocable Les articles de journaux les bulletins d information radio ou t l diffus s les slogans publicitaires les trait s scientifiques les discours politiques les expressions du langage courant les opinions partag es ou individuelles sont autant de traces des discours des soci t s des auteurs au sein de la soci t de leur roman Pour d crire cette pr sence nous avons pr f r adopter le terme discours social qui comme nous le verrons plus en d tails implique une saisie globale de ce qu une soci t dit et crit Toutefois la simple r utilisation d l ments du discours social dans Alexandre Chenevert et Gros C lin n a pas suffi nous convaincre de les comparer dans une tude puisque presque tous les romans pr sentent dans une proportion moindre certes la particularit de r fl chir sur une soci t de r f rence l aide des discours de celle ci C est davantage la ressemblance entre les trames narratives de ces romans et leur personnage principal qui est devenu le f
158. n du langage la fonction conative Comme l explique Ellen Reisman Babby cette derni re semble aller de pair avec le climat urbain Loudspeakers and newspaper headlines oral and written codes consolidate their forces in their linguistic rule The metropolis becomes characterized by the predominantly conative function of its language language e 34 7 here is intented primarly to act on its recipient Fonction agissant sur le r cepteur 32 Paula Gilbert Lewis The literary vision of Gabrielle Roy an analysis of her works Birmingham Summa 1984 p 262 3 Dans la cat gorie discours doxiques officiels on peut regrouper les textes produits par les instances gouvernementales les organismes non gouvernementaux et les compagnies Ellen Reisman Babby The play of Language and Spectacle structural Reading of Selected Texts by Gabrielle Roy Toronto ECW Press p 105 34 souvent pour le convaincre elle se retrouve aussi dans le roman sous la forme de slogans publicitaires vantant un produit ou une uvre de charit Exploitant largement la deuxi me personne et un ton direct ces affiches tapissent les murs de la ville et cr ent un climat d oppression en jouant sur la sollicitation agressive et la culpabilisation du lecteur auditeur ALLEZ VOUS LAISSER LES ENFANTS GRECS MOURIR DE FAIM Donne entendait lisait Alexandre du sang la Croix Rouge ton obole au Catholic Welfare tout au moins de v
159. n o se m lent espace public et espace priv Dans la r alit cet individu est isol Oblig de rester chez lui devant son cran il participe d autant moins des structures de socialisation traditionnelles existantes Il perd tout contact direct avec les autres Le tissu urbain r el qui l entoure se trouve dissout et perd de l importance L environnement concret les infrastructures du quartier de la banlieue dans laquelle on vit s effacent En ce sens la t l vision participe la privatisation de l espace Pourtant restant chez soi devant son poste cet individu symboliquement se mondialise Il est l coute du monde ouvre son horizon utilise l cran comme une fen tre sur l univers Ses pr occupations se font plus abstraites ses probl matiques plus lointaines Cet individu a le sentiment d appartenir une citoyennet du monde En ce sens par contre la t l vision est un espace public TJ rgen Habermas L espace public Paris Payot 1988 1978 p 112 Coline Klapisch et Andr a Semprini Mondialisation de l information de l espace public l espace socioculturel In Sylvia Ostrowetsky d Sociologues en ville Paris L Harmattan p 216 105 Col blanc aux pr occupations abstraites et aux probl matiques lointaines Chenevert manifeste plus d int r t pour l actualit internationale que le font ses coll gues et sa femme Tel le Zarathoustra nietzsch en incompri
160. n outre trop faire signe la ville devient illisible le citadin se perd parmi la prolif ration des mots des chiffres des images des noms Bien que centr e sur la publicit urbaine cette affirmation et la sentence sur la vie du citadin qui en ressort nous rappellent Chenevert qui devant informations et publicit s absorbe leurs discours jusqu plus soif Son rapport la ville se manifeste surtout par l int r t qu il porte aux manifestations crites ou radiodiffus es qui l isolent davantage de ses cong n res D ailleurs son r seau de connaissances est limit et il ne fr quente pas de lieux de rencontre contrairement aux personnages d s uvr s de Bonheur d occasion Azarius Pitou Alphonse etc qui peuvent se rabattre sur Les deux records et le restaurant de la m re Philibert pour satisfaire leur besoin de socialisation Tout aussi solitaire que Chenevert Michel Cousin semble aller davantage la rencontre des Parisiens tant dans les caf s que lorsqu il d ambule dans les rues fr quent es son python sur les paules Pourtant le narrateur de Gros C lin vit un rapport extr mement complex envers la capitale fran aise et ses dix millions d habitants Le nombre dix millions revient avec persistance dans la narration de celui qui Marie Claire Kerbrat Le on litt raire sur la ville Paris Presses universitaires de France 1995 p 82 83 97 souhaiterait une pr sence humaine pour me
161. nal 1994 p 147 148 30 Cousin n est pas le seul entretenir un flou d identit entre lui et son python Ses coll gues de bureau et voisins le surnomment et le nomment quand ils ne connaissent pas son nom Gros C lin Ainsi le gar on de bureau qui le pousse vers l activit politique subversive parle de Cousin comme si celui ci tait un serpent L autre jour le gar on de bureau qui j ai touch un mot de mon animal parce qu il semble s int resser aux probl mes d histoire naturelle en raison de son absence et m encourage l clairer par 19 animal de compagnie ajoutent l effet comique d doublement que Paul Marchand associe au style entier de l uvre L hypotexte chez Gary Ajar serait nous semble t il celui du d doublement Le d doublement en arriverait au maximum de son loignement du sociolecte avec Gros C lin si l on se r f re aux d placements continuels engendr s dans le style corr lativement l laboration du personnnage symbole du python figure tout fait invraisemblable du double on encore si l on pense la notion historique de la R sistance qui se retrouve par lambeaux dans le m me roman Selon Marchand l auteur avec son reptile tournerait en d rision la notion du double si ch re l tude psychanalytique du texte Au centre du r cit le personnage de Gros C lin serait selon Marchand un personnage symbole et selon Alexandra Jarque
162. nt de vue temporel rentrant chez lui reint il utilise le reste de ses facult s intellectuelles pour lire les journaux et couter la radio Toutefois il se montre incapable de poursuivre ce qu on pourrait associer l issue du roman ses v ritables aspirations communiquer l crit ou l oral les impressions qu il ressent au contact des nouvelles du monde Le drame de Chenevert repose sur cette contradiction qui existe entre ses m tiers non stimulants alimentaires et sa passion pour les actualit s Repris des critiques litt raires s tant d di s l tude de l ali nation dans Alexandre Chenevert le th me de la d personnalisation est li la condition du caissier gagne petit habitant une m tropole d un pays occidental qui sur le chemin de la Isabelle Godin Alexandre Chenevert de l ali nation urbaine une r conciliation avec autrui M moire de ma trise Montr al Universit de Montr al 1994 p 31 17 Lee Brotherson Alexandre Chenevert an uhnappy Sisyphus Essays in French Literature no 18 1981 p 87 48 C line Tanguay a crit une tude sur le langage non verbal du h ros au travail entre autres et conclut que celui ci porte la trace de la soumission du caissier Elle affirme propos d Alexandre la critique l unanimit d finit ce personnage comme LE personnage ali n par excellence C line Tanguay 41 prosp rit n a p
163. o which Alexandre s discourse is devoid of content is reflected in his use of verbal and nonverbal phatic language language in which emphasis is not on transmitting thought but rather on establishing and maintaining contact tranger l laboration des discours savants Chenevert vit l angoisse de la page blanche et de la formule creuse lorsque vient le temps d crire au quotidien Le Sol une deuxi me lettre qui ne verra Jamais le jour Clarifi es lors de son s jour la campagne les r flexions d Alexandre ne peuvent se mat rialiser l crit celui ci demeure ainsi l cart des faiseurs de discours qui revient le privil ge d utiliser le langage de fa on constructive The sad result of having spent one s entire life in this linguistic environment is the inability to express oneself in any other manner When Chenevert finally decides to Ben Zion Shek Social realism in the French Canadian novel Montr al Harvest House 1977 p 180 3 Ellen Reisman Babby The play of Language and Spectacle A structural Reading of Selected Texts by Gabrielle Roy Toronto ECW Press p 102 33 communicate to others his personal experiences and discoveries at Lac Vert he cannot do 50 Dans le chapitre 1 les faits historiques et les questionnements didactiques d Alexandre sont pr sent s en alternance avec ses petits malheurs ses maux physiques et des slogans publicitaires de produits pharmaceutiques Une
164. ol mique des langages usuels canonis s mensongers avec les noms pompeux qu ils donnent aux choses et aux v nements langage po tique p dantesquement savant religieux politique juridique et ainsi de suite La joyeuse supercherie du fripon c est le mensonge justifi pour les menteurs la sottise c est l incompr hension du mensonge justifi Telles sont les deux r ponses de la prose au path tique lev comme tout s rieux 109 toute conventionnalit Or entre le fripon et le sot se dresse la figure du bouffon qui appara t comme un singulier amalgame des deux autres c est un fripon qui porte le masque du sot pour motiver par son incompr hension les distorsions et les permutations des langages nobles et des grands noms Le bouffon est l une des figures les plus antiques de la litt rature et son discours de bouffon cause de son statut social particulier les privil ges du bouffon est l une des formes les plus anciennes de la parole humaine dans l art Dans le roman les fonctions stylistiques du bouffon tout comme celles du fripon et du sot sont totalement d finies par leur relation au plurilinguisme ses strates sup rieures le bouffon c est celui qui a le droit de parler un langage non reconnu et de d figurer les langages reconnus avec une pointe de m chancet Appartenant au roman picaresque dont Gary se r clame tout au long de l essai Pour Sganarelle cette figure d
165. omans Ajar pr sentent tous un narrateur autodi g tique qui arrange le discours social sa fa on dans le but de cr er une langue originale et ludique le d marquant de ses cong n res Centr es autour du langage des doxas ces narrations en soulignent les perversit s tout en formant des alliages s mantiques qui tonnent et contribuent d finir la subjectivit marginale du h ros Elles r cup rent ainsi les discours qui manent de la soci t pour offrir un regard nouveau sur celle ci Ce faisant Michel Cousin pige dans tout un ventail de discours qui vont des actualit s aux expressions populaires dans le but de forger une nouvelle langue qui lui permet d entretenir son espoir de changer le monde un tant soit peu En comparant deux textes fort diff rents l un plus conventionnel que l autre nous avons pour but d observer les diverses formes que peut prendre l introduction d l ments du discours social dans le roman De plus nous tudierons la port e de ce proc d que nous assimilons une relation d intertextualit entre le discours social l hypotexte et le roman qui l int gre l hypertexte En effet cette port e nous semble davantage li e la description d une poque et de l environnement urbain dans Alexandre Chenevert tandis qu elle prend dans Gros C lin une dimension la fois mihiliste et cr atrice Analyser 3 Le verbe jongler est utilis pour d crire la fa
166. on d Alexandre Chenevert est h t rodi g tique mais son point focal demeure le h ros et plus particuli rement la relation qu il entretient avec les discours m diatis s Le but premier du narrateur est de rendre compte de la multiplicit de ces discours m diatiques et de la difficult de rep rage que peut prouver le protagoniste dans cet amas de doxas contradictoires et de propagande Il se produit ce que Bakhtine nomme interrelation dialogis e des langages c est dire la confrontation de toutes sortes d avis sur un m me sujet ainsi que la juxtaposition de discours sp cialis s qui se disputent les pens es du h ros Cela donne lieu des situations cocasses comme Alexandre se questionnant la fois sur son tat de sant et sur l tat d un monde vacillant diplomatiquement parlant Dans le chapitre sur Gros C lin nous nous attarderons d abord cerner les traits de Michel Cousin et sa vie au travail ou seul dans son deux pi ces Nous analyserons ensuite le travail de r cup ration de concepts et d l ments relevant de la politique ou de l conomie par exemple qu il effectue en tant que narrateur autodi g tique Suivant ses raisonnements particuliers nous observerons les transferts s mantiques qu il fait subir aux notions r utilis es dans un contexte nouveau ce sujet on utilisera la notion d hybridation tant le langage du h ros bouscule les convenances et greffe ensemble
167. oncerne la pr sence d l ments du discours social dans les romans l tude Comme il a t avanc plus t t c est cette pr sence exceptionnellement abondante qui nous a conduit tablir un parall le entre les deux 103 r cits Cette pr sence est tributaire de l poque laquelle se d roulent les r cits c est dire la deuxi me moiti du vingti me si cle La multiplication des imprim s livres journaux magazines et la d mocratisation de l usage des appareils radios et des t l viseurs a permis aux Occidentaux de se divertir diff remment et de s informer rapidement sur des r alit s parfois tr s lointaines Tout en restant chez soi ils avaient maintenant acc s aux nouvelles du monde entier L augmentation du nombre de lecteurs et d auditeurs a favoris l essor des m dias de masse immenses machines de propagation des discours fonctionnant gr ce aux revenus publicitaires Ainsi une pluralit de discours mergeant d une quantit d organes m diatiques se sont r pandus et conjointement avec les publicit s ont envahi la sph re publique Les univers d Alexandre Chenevert et de Gros C lin sont remplis de ces discours qui se font concurrence pour obtenir l attention des h ros et ceux ci se forment des opinions sur une foule de sujets d actualit en se basant sur ce que d autres ont crit Dans Alexandre Chenevert les discours doxiques forment une pr sence trang re avec la
168. ournal ce qu il convenait de penser du Pays 56 Ce dialogue de sourds nous instruit sur la place que les m dias prennent dans la vie du h ros d ailleurs dans l pisode suivant cette discussion Alexandre rompt sa seule relation amicale sous pr texte que le manque de s rieux et d esprit critique de Godias les emp che de d battre de fa on constructive des enjeux d actualit qui l habitent La critique du Pays qu il formule aupr s de son ami et la lettre ouverte qu il a jadis fait publier dans le quotidien Le S l t moignent de son attachement envers ce journal communiste tandis qu il qualifie Le Pays que l on imagine de tendance plus 5 ce sujet Eug nie Chenevert trouve pour une rare fois une place centrale dans un texte consacr Alexandre Chenevert en l occurrence celui de Suzanne Paradis qui consacre un essai au personnage f minin dans le roman f minin canadien fran ais Paradis jette un regard lucide sur Alexandre et le couple Chenevert en affirmant Il n existe entre Eug nie et Alexandre aucune communication aucun change Les lubies et les utopies d Alexandre Eug nie les repousse Elle y d c le avec raison les causes des maux de t te et de l insomnie de son mari Suzanne Paradis Madame Chenevert In Femme fictive femme r elle le personnage f minin dans le roman f minin canadien fran ais 1884 1966 Ottawa Garneau 1966 p 58 22 populaire de journa
169. oute litt rature conseil donn au narrateur dans le 55 niveau international Cousin fait mention du Printemps de Prague de la Russie sovi tique de la Chine communiste Il est aussi question dans le texte d v nements moins actuels comme la Deuxi me Guerre mondiale qui trente ans plus tard hante le roman par les nombreuses r f rences au mouvement de la r sistance qu on y trouve Trois th mes emprunt s aux discours doxiques soit la surpopulation ou du moins l tude d mographique l avortement et la r sistance apparaissent fr quemment dans les pages du roman C est par l analyse du d tournement de ceux ci que nous amorcerons l tude du langage dans le texte Ainsi on sent une pr occupation pour les questions de surpopulation mondiale chez le h ros ayant d nombr treize occurrences du mot d mographique dans le texte nous pouvons affirmer qu il est souvent employ et la plupart du temps hors contexte Le poids d mographique On est tent de croire qu il y a deux raisons pour lesquelles le roman accorde une telle importance l tude statistique des collectivit s humaines Ces raisons se trouvent dans la d finition m me de la d mographie En premier lieu on notera que Cousin travaille en statistiques dans un m moire ax sur l tude des normes sociales et des marginalis s H l ne Lafond dresse le portrait de la situation d emploi du h ros Cousin travaille la S
170. p 62 114 Quoique avec Romain Gary il faille toujours se m fier de la v racit d une telle entreprise litt raire 15 Romain Gary La nuit sera calme Paris Gallimard 1974 p 14 91 Il ressort galement du long discours de M Parisi un n buleux passage sur l art et le besoin d authenticit dans la communication avec le tout qui surprend de la part de ce ventriloque vendeur de simulacres On reconna t ici la marque que Gary a laiss e sur sa cr ation et une poursuite de l argumentaire d velopp dans son essai Pour Sganarelle sur la n cessit d laboration d un roman total Son principe de constitution serait le suivant J arrive ainsi trois conceptions du roman que je voudrais tenter de combiner dans un roman total un le roman o l imagination picaresque s exerce vers l aventure int rieure vers les p rip ties int rieures du psychisme o le roman imagine l introspection deux le roman o l imagination est plus lib r e vers l ext rieur dans les rapports de l histoire de l individu avec l Histoire dans un infini de formes et de p rip ties de personnages et d identit s trois le roman de la litt rature o le langage est explor par l imagination comme un monde en soi ce qui aboutit aujourd hui l tape flaubertienne du mot juste et de la perfection de la phrase rationnelle tant d pass e l tape du roman post mallarm en o le sens e
171. p se et discute Il en va de m me pour le roman et le plurilinguisme porte ouverte sur la multiplicit des langages qui sont repris dans le roman fait fonctionner celui ci comme un changeur qui emprunte transforme et retourne le discours social la soci t Ainsi le roman participe l volution du discours social qui est indivisible et incontournable ce qui fait crire Marc Angenot La fonction premi re du discours social laquelle se subordonnent des fonctions d riv es de routinisation de la nouveaut de convivialit nationale d identification distinctive des groupes de leurs go ts et de leurs int r ts consiste garantir une entropie d id es re ues et de sch mes de raisonnements prouv s Le discours social dans sa diversit apparente occupe en un moment donn tout l espace du pensable Nous pouvons lui appliquer la formule de Saint Paul In eo movemur et sumus en lui nous voluons et nous s mmes Le discours social serait la prise en compte de la totalit de ce qu Angenot qualifie de dicible et de scriptible le narrable et l argumentable pour une soci t fix e dans l espace et dans le temps Cette d fimtion englobante nous permet dans une perspective sociocritique de poser les assises de l tude d un vaste hypotexte dont les limites sont sans cesse repouss es par l volution des m dias dans un monde de plus en plus populeux scolaris et info
172. pas utilis s seulement pour leur caract re informatif dans Gros C lin Le narrateur vise d abord d tourner ces r f rents partag s par toute une communaut culturelle dans le but de cr er un idiolecte qui se d marque du sociolecte dont il est issu Le principe intertextuel l uvre dans la formation de ce nouveau langage est l hybridation les discours introduits se m lent entre eux ainsi qu aux mots de Cousin Constitu d emprunts diversifi s l hypertexte passe de la politique la cuisine en un tournemain cr ant des images d routantes et humoristiques Les nonc s de Cousin sont hybrides parce que les registres de langue y sont confondus toutes les doxas y interviennent et c est le clivage entre ces registres qui tonne comme en fait foi cette description d un voisin Il s arr ta un instant court de pens e car selon une tude r cente le vocabulaire des Fran ais a baiss de cinquante pour cent depuis le si cle dernier Je voulus lui venir en aide 156 Aussi nommer la femme de m nage portugaise la main d uvre trang re rel ve d une hybridation d rangeante dans laquelle la perversit d un terme technique est soulign e par son emploi dans une description normale De la m me fa on les humains deviennent de la viande sur pied et Cousin d crit les sentiments avec un vocabulaire conomique dont la froideur frappe dans un tel contexte Le narrateur comme tant d autres a
173. passages charg s de r f rents ressemblent des d lires journalistiques comme l explique Andr Brochu c est la r p tition compulsive qui r git une grande partie du roman et qui g n re de nombreuses s quences num ratives Les deux processus litt raires de r p tition et d num ration agissent ind pendamment et se combinent dans le texte Les r p titions majeures que l on distingue concernent entre autres les noms des nations des peuples du monde et leurs synonymes ex Japonais Nippons qui se retrouvent souvent dans deux phrases successives qui s opposent ou se compl tent Ainsi les points de vue pass s ou actuels sur le peuple en question s accumulent Il faut d truire l Allemagne Il faut remettre l Allemagne sur pied 19 En termes de r p titions il faut ajouter celle du pr nom Alexandre qui hante le texte par son omnipr sence Dans le chapitre un accompagn ou non de son nom de famille le pr nom revient en moyenne cinq fois par page or ce chapitre ne fait intervenir qu un seul autre personnage Eug nie Chenevert et seulement pour deux r pliques Cette strat gie narrative centre le chapitre sur les pens es du h ros sur sa qu te dans l horizon flou des opinions qu il est bon d avoir sur l un ou l autre des ph nom nes d actualit Protagoniste pourtant faible et malade Alexandre Chenevert occupe le centre du r cit ses jugements l emporte pi
174. peu aux actualit s internationales en plus d tre coup des m dias auxquels il s abreuve habituellement En fait selon Grahame C Jones la vie du h ros se trouve enti rement boulevers e par ce changement de paysage Pour Alexandre l absurde routine cyclique est remplac e par le cycle harmonieux de la Nature Sa vie en est transform e de sorte que la solitude devient pour lui non plus ce vide angoissant de ses nuits d insomnie mais une profonde exp rience quasi religieuse Hormis le voyage du retour et l arriv e au terminus de Montr al qui figurent aussi dans la deuxi me partie peu d pisodes comportent des contextes favorables au d ploiement d un paradigme des m dias d information cet effet le narrateur signale le changement de rythme entre la premi re partie et le s jour de son h ros dans la r gion de Saint Donat dans l pisode o dormant sa premi re nuit au camp de trappeur Alexandre fait un cauchemar dans lequel son sup rieur M Fontaine lui demande de compter les Chinois pour Dieu le P re Or recenser le p ril jaune en entier transforme le r veur agit en un Sisyphe attel une t che impossible accomplir t che qu interrompt le lancer salutaire dans le lac du grand registre dans lequel il tenait ses comptes Il y eut comme un petit floc Presque aussit t les rides du lac s teignirent 160 Le lac jouxtant le camp de trappeur devient symboliquement le rem d
175. pr c d s coup s suivis d annonces publicitaires qu Alexandre subissait les sourcils fronc s en agitant les feuilles de son journal Les missions s rieuses elle les ll Ben Zion Shek affirme que l absence de r f rence la toponymie montr alaise dans Alexandre Chenevert a pour but de rendre Montr al anonyme et de souligner les int r ts du h ros pour ce qui se passe l international the photographic realism of Bonheur d occasion in which some twenty streets are frequently mentioned gives way to a vaguer system of reference Only eight streets are named in Chenevert and quite rarely Ben Zion Shek Social realism in the French Canadian novel Montr al Harvest House 1977 p 173 Chenevert c est le petit col blanc des grandes villes et il ne faut pas qu on sache exactement o il vit et o il meurt Ben Zion Shek L espace et la description symbolique dans les romans montr alais de Gabrielle Roy Libert vol 13 no 4 1971 p 89 The number of his apartment indicates that the teller lives in the northern end of Saint Denis near Cr mazie Boulevard a little distance from which in fact one finds a small street bearing the teller s surname Chenevert and not Ch nevert as some critics wrongly spelled bhis name The author possibly composed his name by combining this street name with the Alexandre of the bank branch at Alexandre de S ve and Ontario streets Ben Zion
176. pressions que la critique royenne avait mises de l avant le texte alterne entre des parties b ties fort diff remment tant dans leur propos que dans leur forme On ne peut associer qu une tr s faible concentration de signifiants voquant le bulletin de nouvelles la deuxi me partie du roman correspondant au s jour d Alexandre en dehors de la ville Les critiques litt raires en ont soulign le calme voqu par les promenades en barque ou en for t du h ros citadin le repos comme rem de aux insommies du protagoniste tourment et la simplicit et la cordialit des changes entre humains qu y a connus le petit monsieur du 8846 Lors d un des Fran ois Ricard Introduction l uvre de Gabrielle Roy 1945 1974 Qu bec Nota Bene 2001 p 84 2 Andr Brochu Le sch me organisateur chez Gabrielle Roy Voix et Images vol 14 no 3 1989 p 420 2 Autant de caract ristiques que l on peut associer la s curit maternelle Many of Gabrielle Roy s characters make trips frequently in similar attempts to rediscover their youth When Alexandre Chenevert travels outside of Montreal to Lac Vert he returns to the warmth and security of maternal paradise 27 nombreux passages en discours indirect libre le narrateur emprunte le point de vue de son h ros pour s extasier Que d espace de lumi re de libert 147 Dans sa cabane lou e ou chez les Le Gardeur Alexandre songe tr s
177. programme d tude S appuyant sur ses connaissances comme si celles ci repr sentaient ses derniers remparts Alexandre jongle maladroitement avec les concepts historiques Leurs r surgences dans ses moments de solitude ne lui apportent rien d autre que des inqui tudes En fait sa fa on de ressasser ses connaissances se rapproche bien plus souvent de l num ration sans fin que de la dialectique raisonn e les quelques liens qu il tablit semblent lui tre sugg r s par la propagande et quand il est seul son esprit cruciverbiste sans grille s gare en num rations Alexandre se figurait n tre pas fait pour le temps o il vivait toute cette poque d un atroce ennui peine dissip par les instruments en nickel en aluminium en plastique en cellulo d en bak lite en nylon en zylon 15 Autre cas de narration calquant mot pour mot les pens es de son h ros cette suite de mat riaux laquelle on pourrait presque attribuer des vertus po tiques modernes t moigne de la volont du narrateur de pr senter un texte suivant le d veloppement intime des r flexions de son protagoniste Selon Schonberger l innovation esth tique du roman repose en grande partie sur ces moments au cours desquels les pens es du h ros traduisent la surabondance des discours qui circulent au sein de la soci t le texte cr e par cette juxtaposition des discours un collage improbable et t moigne du d sarroi du h ros
178. que tendance introspective qui caract rise le roman La pr sence d un registre tranger produit des effets singuliers sur la forme du texte et ajoute l atmosph re de ce r cit traitant de la d personnalisation d un citadin dont l existence est D ailleurs cinq critiques ont utilis ce concept pour d crire la fa on qu ont les discours sociaux m diatis s d assaillir la conscience du h ros Alexandre is depicted as the submissive target of bombarding verbal and nonverbal imperatives Ellen Reisman Babby The play of Language and Spectacle A structural Reading of Selected Texts by Gabrielle Roy Toronto ECW Press 1985 p 105 Bombarded on all sides by contradictory propaganda he cannot cling to the security of a single fact Phyllis Grosskurth Gabrielle Roy Toronto Forum House Pub p 28 constant bombardment by contradictory media messages and sollicitations Ben Zion Shek French Canadian and Qu b cois Novels Toronto Oxford University Press 1991 p 37 continousiy bombarded with dire national and international news on the radio and in the press and equally inundated with the impersonal and commercial slogans of advertisements Paula Gilbert Lewis The literary vision of Gabrielle Roy an analysis of her works Birmingham Summa 1984 p 76 Alexandre est le type m me du citadin qui subit tout moment le bombardement d une information Andr Brochu Le
179. quelle le h ros interagit le narrateur nous montre cet change comme un produit du dialogisme c est dire qu on peut distinguer cette pr sence de sa narration et des paroles du protagoniste C est la doxa journalistique que l on retrouve le plus souvent dans le roman Alexandre consulte les journaux Le Sol surtout et coute la radio les missions s rieuses de pr f rence De plus il fait une lecture de l espace urbain et de sa publicit sur les murs les panneaux r clames etc Chenevert assimile les l ments des doxas journalistiques et lorsqu il s exprime ou r fl chit propos de ce qu il a lu ou entendu il produit un nonc form de deux strates distinctes ses propres mots se greffent autour de citations provenant des discours m diatiques Il en r sulte que les pens es de Chenevert rendues dans la narration se construisent souvent autour des manchettes reproduites et accompagn es de r flexions du h ros De la m me fa on lorsqu il discute avec Godias ou l abb Marchand il donne une information tir e d un journal ou d un quelconque m dia et la commente pour jouer en priv le r le d ditorialiste Ce faisant il analyse l actualit selon un ensemble d imp ratifs moraux qui lui sont propres et dans lesquels on peut d celer un fond d humanisme chr tien Dans L espace public J rgen Habermas d finit ce qui forme l opinion publique en s inspirant 104 de Kant l op
180. quet et sans m me nue dame m re pour nous soutenir mutuellement la sensation dans ma gorge d un bouchon de quinze kilom tres hauteur de Juvisy la terreur l id e que Gros C lin avait peut tre t renvers par un camion et que madame Niatte allait me donner un magasin de sacs pour dames prenaient de telles proportions qu elles provoquaient dans ma t te un naufrage o flottaient les d bris culturels rejet s par le vase int rieure Napol on guidant son peuple hors de l gypte nos anc tres les Gaulois le buste de Beethoven les gr vistes de chez Renault le programme commun de la gauche l Ordre des M decins le professeur Lortat Jacob proposant l avortoir pour faire mine de rien et la conviction que Gros C lin avait t choisi pour repr senter la France l tranger Je sentais qu on allait entrer me saisir sous un filet ce dessein que j allais tre soumis Pexpertise afin de voir si c tait 3 Dominique Rosse Romain Gary et la modernit Ottawa Les presses de l Universit d Ottawa 1995 p 100 116 encore utilisable et remis ensuite la Ligue des Droits de l Homme pour suites donner clefs en main 150 De m me l affirmation j ai un c t qui est plus eff min que f minin tu sais du genre cinquante mille thiopiens qui sont encore morts de faim page 174 La nuit sera calme est reprise en partie dans Gros C lin quand Cousin raconte ll y
181. r Quiconque manifeste un int r t pour l auteur constatera que c est sa biographie aliment e par une vie mouvement e qui retient surtout l attention du public 88 ce sujet les scientifiques de Charge d me roman de Gary publi en 1978 mais en 1973 dans sa version originale anglaise The Gasp exploitent l inverse le souhait de Cousin En effet ils mettent au point un syst me de captation de l me des d funts et de transformation de celle ci en nergie lectrique la question g ographique Paul Marchand affirme que s i l uvre de Gary fait r f rence aux cinq continents il est loin d en tre de m me pour celle d Ajar qui accuse en fait un r tr cissement significatif de l espace romanesque Ajar par surcro t tient dans la ville de Paris sauf pour Pseudo avec son Danemark aux allures de conte de f es Paul Marchand La tentation prot enne Identit et cr ation chez mile Ajar Th se de doctorat Montr al Universit de Montr al 1992 p 27 84 lettr Ses multiples supercheries litt raires continuent de fasciner et de stimuler la r daction d tudes Toutefois de plus en plus de monographies de m moires et de th ses sont consacr s ses crits et non au ph nom ne Gary Ici nous nous int resserons non pas la vie de Gary mais aux liens entre l uvre qu il a publi e sous son nom et les quatre textes sign s du pseudonyme mile Ajar Ce faisan
182. r chez les hommes Dans l exemple qui suit c est un parall le entre l annonce d une statistique sur l accroissement du niveau de vie des Fran ais et leur bonheur qui bouleverse les perceptions de Cousin Je tendais d j la main vers mon stylo mais c est ce moment pr cis comme pour me rassurer que le niveau de vie des Fran ais a augment de dix pour cent par rapport leur histoire et par rapport leur revenu brut de sept pour cent J avais laiss la radio ouverte et c est sorti d un seul coup dix et sept pour cent a ne se discute pas les chiffres Je suis tr s impressionnable et j ai imm diatement senti que je vivais mieux de dix et sept pour cent J ai couru la fen tre et il me parut que les gens taient plus vivants Pai eu une extraordinaire sensation de bien tre j ai pris Gros C lin et j ai fait quelques pas de danse avec lui en fredonnant Dix et sept pour cent c est norme 84 F ru de chiffres Cousin d veloppe un rapport personnel avec ceux ci la simple vocation d un pourcentage sa vision du monde est transform e Au del des chiffres la Karine Lalancette Les m canismes de l ironie litt raire dans le roman Gros C lin d mile Ajar M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 2001 p 101 55 Karine Lalancette Les m canismes de l ironie litt raire dans le roman Gros C lin d mile Ajar M moire de ma trise Qu bec Uni
183. r le raisonnement suivant Si ce mythe est tragique c est que son h ros est conscient O serait en effet sa peine si chaque pas l espoir de r ussir le soutenait L ouvrier d aujourd hui travaille tous les jours de sa vie aux m mes t ches et ce destin n est pas moins absurde Mais il n est tragique qu aux rares moments o il devient conscient Sisyphe prol taire des dieux impuissant et r volt conna t toute l tendue de sa mis rable condition c est elle qu il pense pendant sa descente Les cols blancs et les ouvriers sont ainsi que l affirme Camus des employ s qui participent la r alisation d un produit ou l offre d un service mais le fractionnement des t ches les emp che de tirer satisfaction de leur travail Un ouvrier de cha ne de montage qui pose une pi ce pr cise sur un nombre interminable de voitures par exemple ne conna t de la fabrication globale du produit que l tape laquelle il participe En tant que caissier Chenevert r p te les m mes informations toute la journ e aux clients de la banque Lorsque les all es de la banque se transforment en cha ne de montage les Lee Brotherson Alexandre Chenevert an uhnappy Sisyphus Essays in French Literature no 18 1981 p 87 Albert Camus Le mythe de Sisyphe Essai sur l absurde Paris France Loisirs 1989 1942 p 123 124 4 Albert Camus Le mythe de Sisyphe Essai sur l absurde Par
184. raphe du roman prend tout son sens lorsque Cousin donne une nouvelle acception au terme avortement et c est selon Madeleine Godin autour de ce s me nouvellement forg que s articule la di g se AVORTEMENT ce substantif ne renvoyant plus la d finition du dictionnaire mais celle qu en donne le personnage et devenant du coup synonyme de renonciation d abdication devant l amour de non existence de non pr sence par rapport NAISSANCE qui prendrait ici le sens de conjonction avec l amour de pr sence et d existence Devant l imposition de na tre le personnage s avorte Le r cit ne serait donc qu une expansion de la figure de l avortement pr sent e en microcosme au d but du r cit 42 Madeleine Godin double d tour M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 1987 p 26 63 il 4 Fr F F x a L avortoir pr sent comme lieu affect la pratique des interruptions volontaires de grossesse entre rapidement en relation ainsi que l explique Robert Bellerose avec l existoir mile Ajar invente ce mot existoir pour d crire son environnement Le mot form partir du verbe exister et du nom qui d signe l endroit o l on pratique les avortements l avortoir Pour l essentiel le personnage consid re son monde comme un lieu o on ne fait qu exister et o toutes les aspirations la vie le d sir restent insa
185. rice de son syst me id ologique Karine Lalancette Les m canismes de l ironie litt raire dans le roman Gros C lin d mile Ajar M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 2001 p 77 Toutefois ce point de vue peut tre mis en opposition avec celui que propose Fortier sur la nouvelle langue qu utilise Cousin moins que Lalancette ne per oive le langage du narrateur de Gros C lin comme r sultant de son manque de courage ou comme faisant partie du syst me id ologique dont l emprise serait r ductrice sur Cousin 93 Le renouveau ajarien ne peut tre consid r comme un exercice de style tel que cela se pr sente chez Queneau dans ses Exercices de style trop grandes sont les correspondances entre les instances textuelles en fonction d investissements diff rents de strates d un psychisme ou d un imaginaire Gary s est bel et bien exprim pour cr er avec m tier avec g nie et son uvre sortie des tranch es de l Histoire se r v le un immense t moignage En fait cr ateur et cr ature fusionnent un point tel que la critique d aujourd hui fascin e par un des plus grands subterfuges de la litt rature fran aise analyse l uvre prot iforme mais loin d tre discordante de Romain Gary comme un ensemble de textes qui clament l unisson le besoin fondamental de voir la promesse de l aube Pamour d une m re s universaliser J rn Boisen id
186. rm Il nous permet aussi de saisir l importance d une compr hension juste de la soci t et de l poque mises en fiction par l auteur De la prise en compte de cette globalit s ensuit un fractionnement bakhtinien dans la m rarchisation Mikha l Bakhtine Esth tique et th orie du roman Paris Gallimard 1978 p 157 158 10 Marc Angenot Dialogues de sourds doxa et coupures cognitives Montr al Chaire James McGill de langue et litt rature fran aise de l Universit McGill 2001 p 65 du discours social la doxa La doxa selon Marc Angenot peut la fois d finir l opinion moyenne et les divergences des composantes qui la forment On peut parler de la doxa comme commun d nominateur de l opinion sociale r pertoire topique le plus ordinaire d un tat de soci t mais on peut aussi aborder la doxa comme stratifi e selon les savoirs et les implicites propres telle ou telle quantit et composition de capital culturel Il y a alors une doxa de haute distinction pour les aristocrates de l esprit comme il y a une doxa concierge pour le journal un sou et encore plus bas de la doxa pour pauvres d esprit m l e de dictons et de proverbes et comprenant pas mal d allodoxies du reste On peut encore c est un autre ordre de stratification appeler doxa le pr suppositionnel des discours exot riques de l opimon publique du journalisme par opposition aux fondements r fl
187. rot enne Identit et cr ation chez mile Ajar Th se de doctorat Montr al Universit de Montr al 1992 p 120 121 82 Alexandra Jarque L ironie et l humour dans l uvre de Romain Gary et d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit de Montr al 1990 p 83 80 venait de gauche Je suis ins curis cet gard et je ne puis accepter que des produits garantis d origine Le label est de toute importance en mati re de paix de Pesprit car on sait avec lui que la mati re est louable 181 182 Associant la paix de l esprit aux uniformes nazis et la r pression d un r gime de gauche aux produits garantis d origine Cousin continue pratiquer un humour grin ant dans l laboration de ses jugements tout fait contre courant de ce qu il convient de penser Ses rapprochements de concepts oppos s sont le fruit de son idiolecte qui emprunte sans vergogne aux discours doxiques les mots aux symboliques les plus fortes pour les r cup rer hors contexte Le terme fasciste est sur employ par ce narrateur qui exhume comme on joue dans une plaie ce concept de sa mort en 1945 pour le r actualiser et suivre ainsi le cours de l Histoire qui en 1973 voyait Augusto Pinochet prendre le pouvoir au Chili lors d un sanglant coup d tat D ailleurs le h ros prend r guli rement et pas toujours pour les bonnes raisons une position antifasciste dans le roman Liant son co
188. roupement d un mat riau langagier emprunt par un auteur ses contemporains ou pr d cesseurs L id e de consid rer en bloc en totalit ce que dit une soci t ses dicibles et ses scriptibles ses lieux communs et ses id es chics est une id e vieille comme la modernit Une bonne partie des pr d cesseurs d une analyse du discours social est form e par des gens de lettres tout au long de la modernit cette re du soup on de Flaubert Bloy Musil Nathalie Sarraute on voit revenir le recensement et l interrogation accabl e des id es re ues de l Ex g se des lieux communs qu il s agisse de Un amour de Swann Proust pisode que l on peut dater de la pr sidence de Gr vy en 1887 1888 ou de L Homme sans qualit s Robert Musil ou encore des Fruit d Or et de Vous les entendez Nathalie Sarraute ce sont des romanciers qui ont avec le plus de subtilit cout et transcrit la vaste rumeur h t rologique des langages sociaux Analyste du discours social lui m me Angenot n est pas tranger ces compilations de langages sociaux Dans son essai 1869 un tat du discours social il r alisait l ambitieux projet de recenser tous les crits publi s en 1889 en France Nous retiendrons de ses recherches une base terminologique et m thodologique pour notre tentative de saisie du discours social dans des uvres de fiction qui sans tre Le dictionnaire des
189. s L Harmattan 2003 231 p Poier Bernhard Astrid 2002 La conception de Pseudo ou l ubiquit garyenne In Romain Gary et la pluralit des mondes Actes du premier colloque international consacr Romain Gary organis en Sorbonne 26 et 27 mai 2000 sous la dir de Mireille Sacotte p 75 85 Paris Presses Universitaires de France Rosse Dominique Romain Gary et la modernit Ottawa Les presses de l Universit d Ottawa 1995 196 p 125 Sacotte Mireille 2002 G ographie singuli re et lieux communs chez Romain Gary In Romain Gary et la pluralit des mondes Actes du premier colloque international consacr Romain Gary organis en Sorbonne 26 et 27 mai 2000 sous la dir de Mireille Sacotte p 151 167 Paris Presses Universitaires de France Schoolcraft Ralph Romain Gary The Man Who Sold His Shadow Philadelphie University of Pennsylvania Press 2001 214 p Simon Anne 2004 Ajar ou les m tamorphoses du corps In Sign Ajar Actes de la premi re journ e d tudes Romain Gary organis e en Sorbonne Paris 6 mars 2004 sous la dir de Firyel Abdeljaouad Jean Fran ois Hangou t et Denis Labouret p 123 142 Jaignes La Chasse au snark Tournier Michel Le vol du vampire Coll Folio Paris Mercure de France 1981 409 p E Articles et ouvrages g n raux Angenot Marc Dialogues de sourds doxa et coupures cognitives Coll Discours social Montr al Chaire
190. s comme si Cousin voyait le fait de chercher quelqu un aimer comme un change commercial L expression le fort int rieur d riv e du for int rieur traverse le roman et on comprend que ce jeu de mot implique une part de repli sur soi dans ses quartiers et de clandestinit une absence de fraternit que ne peut combler le simple contact sexuel st rile en affection L inefficacit du tuyau d chappement que sont les rapports sexuels dans la lib ration des motions involontairement pargn es provoque le marasme conomique de la stagflation stagnation conomique et inflation des prix combin es Provoquant un effet comique la pr sence du mot dollar s inscrit dans le paradigme conomique sans pour autant ajouter au sens du syntagme qu est la phrase Ainsi Cousin affirme que la difficult d entrer en relation de fa on panouissante entra ne une accumulation de d sirs de socialisation inassouvis chez l individu R p t des millions de fois ce ph nom ne cause 5 Situ dans le Paris de l apr s Deuxi me Guerre mondiale le roman Le grand vestiaire de Romain Gary raconte l histoire de jeunes trafiquants qui s approvisionnent aupr s des soldats am ricains pour revendre les produits ainsi acquis Le Robert d finit la th saurisation comme Le fait de constituer une pargne sans l affecter un placement productif Alain Rey et Josette Rey Debove dir publ Le
191. s que d un style Dominique Fortier tudes stylistique des romans d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1997 p 22 18 On me dira qu en tirant parfois sur le bout du lacet tous les n uds se d font comme a d un seul coup crrac comme en mai 68 mais en mai 68 j ai eu tellement peur que je ne suis m me pas sorti de chez moi pour aller au bureau j avais peur d tre sectionn coup en deux ou trois ou quatre comme au music hall dans le num ro d illusionnisme o a fait une forte impression mais o le lacet est enfin montr exactement comme il tait auparavant 32 1 Le Conseil National de l Ordre des M decins r affirme son hostilit l avortement libre estimant que si le l gislateur l autorisait cette besogne devrait tre pratiqu e par un personnel d ex cution particulier et dans des lieux sp cialement affect s les AVORTOIRS Journaux du 8 avril 1973 7 2 Anne Charlotte stman L utopie et l ironie Stockholm Almqvist amp Wiskell International 1994 p 148 Commentant le choix d une telle pigraphe celle ci en souligne le caract re inhabituel La fonction de l pigraphe est th matique elle n est pas comme c est le cas le plus souvent une d monstration de l rudition de l auteur La citation ne vient pas d un grand po te ou philosophe En fait l pigraphe s accorde bien avec les mots vitez surtout t
192. s et sur l amour qu il voue na vement la belle Guyanaise pour mieux se moquer de lui En r sum la situation d emploi de ces deux cols blancs va de pair avec leur condition de citadins ils travaillent dans un milieu urbain et participent aux mouvements quotidiens des salari s qui se d placent aux heures de pointe De plus ils subissent une routine bien diff rente de celle des travaux agricoles un horaire leur est impos avec une heure d entr e une heure de sortie ainsi qu une pause pour le d ner Ils exercent une profession sur laquelle les saisons n influent pas hiver comme t ils s acquittent des m mes t ches Aussi Chenevert n est pas appel r aliser un projet on a l impression que servir les clients de la banque est une besogne sans fin et monotone Dans Gros C lin Mile Dreyfus donne une vision semblable du travail de bureau et l on peut d duire de son analogie que la prostitution du corps vaut mieux que celle de la t te C est pas humain le bureau les machines toujours le m me bouton qu on appuie Celle ci ajoute qu au bordel cl est plus social il y a le contact humain c est plus personnel On participe quelque chose tu vois ce que je veux dire 201 la banque le contact humain semble d cevant pour Chenevert qui consid re tre per u comme une machine trangement ce contact avec la client le lui manque l h pital o il songe avec regret aux visag
193. s le sens de Genuist quand il lie la condition du h ros aux soci t s modernes celles ci offrant aux hommes des emplois de cols blancs aux t ches intellectuelles r p titives The novelist has clearly chosen to describe the functions of a bank teller as indicative of 7 Monique Genuist La cr ation romanesque chez Gabrielle Roy Montr al Cercle du livre de France 1966 p 75 38 unstimulating depersonalized existence in modern industrialized society Repris par Brotherson le th me de la d personnalisation pour d crire la situation d emploi de Chenevert peut tre g n ralis d autres aspects de sa vie son rapport aux actualit s le laissant plus souvent qu autrement aux mains des propagandistes dont les formules exercent une forte emprise sur son esprit On serait tent de parler d ali nation en ce qui trait la condition d emploi et la servitude de Chenevert Reprenant la comparaison d Alexandre avec le h ros tragique qu est Sisyphe on peut se r f rer Albert Camus dont le texte Le mythe de Sisyphe a marqu l poque laquelle Gabrielle Roy crivait son roman R interpr tant dans son essai le supplice subi par celui qui d sob it aux dieux Camus compare l preuve d ternelle ascension avec un rocher un travail inutile et sans espoir un supplice indicible o tout tre s emploie ne rien 4 achever Camus poursuit son actualisation du mythe pa
194. s parmi les hommes Alexandre se bute l indiff rence d autrui lorsqu il essaie de discuter des conflits qui s vissent dans le monde C est d ailleurs ce qui en ferait un h ros mythique personnage auquel Paul Socken attribue l angoisse de faire des d couvertes personnelles qu il est incapable de communiquer ses semblables Submerg par le langage de la publicit fonction conative et par celui des discussions banales de la banque fonction phatique le caissier est incapable d utiliser le langage crit pour communiquer ses id es et reproduire ce qu il lit dans les journaux fonction informative Cette frustration qui prend naissance dans l impossibilit de s exprimer d ext rioriser sa subjectivit est le propre des individus qui vivent sous le r gne des m dias condamn s se remplir du discours de l autre En citant C W Mills Habermas d crit ainsi cette r partition du pouvoir d expression au sein d une soci t Au sein d une masse I les individus qui expriment une opinion sont beaucoup moins nombreux que ceux qui en sont r cepteurs tant donn que la communaut form e par les diff rents publics n est plus qu une s rie abstraites d individus dont les opinions sont command es par les mass medias H la mani re dont la communication est structur e rend difficile sinon impossible un individu de r pondre imm diatement ou de donner sa r ponse une port e quelconque
195. s qu il ne conna t pas du reste Habitu marcher seul dans les quartiers multiculturels qui le fascinent il redoute l heure de pointe 96 dans les tramways ainsi que les mouvements de masse de la circulation La caf t ria surpeupl e remplie d odeurs de nourriture le d go te et il s y cache derri re son journal dans le but de passer inaper u aupr s du coll gue de travail et ami dont il ne supporte pas les familiarit s En fait la seule pr sence urbaine qu il semble rechercher est celle des quotidiens qui lui manquent lorsqu il fait un s jour la campagne Il ne peut s emp cher de lire la ville autant ses kiosques journaux que ses murs placard s de publicit s qui attirent et agressent le promeneur L effet pervers de ce ph nom ne se manifeste dans le roman quand Alexandre est submerg de discours qui emploient la fonction conative du langage pour le convaincre de faire un don telle ou telle cause La publicit qui surgit tous les coins de rue ainsi que dans les organes m diatiques perturbe le h ros au point o il en perd ses rep res quand vient le temps de r diger une lettre d opinion Dans Le on litt raire sur la ville Marie Claire Kerbrat fait tat de l envahissement du marketing sur les murs de la ville Mais les murs de nos villes nous conseillent aussi de boire Coca Cola de rouler en Mercedes et de se parfumer au Chanel n 5 L espace public c est une surface publicitaire E
196. s que son ma tre le donne en adoption au jardin d acclimatation le reptile le quitte sans manifester de regret j ai port Gros C lin au Jardin d Acclimatation car je n avais plus besoin de lui j tais tr s bien dans ma peau sur toute la ligne Il me quitta avec la plus grande indiff rence et alla s enrouler autour d un arbre comme si c tait pareil 209 Ce passage rec le d autres bourdes commises par le narrateur On remarque une expansion de locutions fig es par association de mots comme l a d finie David Bellos lorsque Cousin affirme j tais tr s bien dans ma peau sur toute la ligne L expression sur toute la ligne cens e donner davantage de poids une quelconque affirmation pr cise tout fait maladroitement le segment dans ma peau De plus le avec pr c dant la plus grande indiff rence serait avantageusement remplac par dans Enfin on note la fin de cet extrait ce qui s apparente un passage l absolu B C est d autant plus courageux de sa part que ainsi que je l ai d j dit avec estime et d gal gal c est une Noire et pour une Noire franchir ainsi les distances dans le grand Paris c est mouvant 21 74 Michel Tournier explore le concept d association du python avec le membre humain dans Le vol du vampire Heureusement il y a Gros C lin Pourquoi un python plut t qu un chien ou un chat L id e est g n
197. se calque p jorativement d ailleurs sur celui employ dans les journaux ou les tudes scientifiques L influence des discours doxiques sur le h ros culmine lorsque celui ci tente de s en servir pour calmer ses angoisses la famine en Afrique se montre d ailleurs inefficace pour le rassurer sur son sort Il y a cinquante mille thiopiens qui viennent encore de mourir de faim pour d tourner notre attention je sais mais a ne me fait pas de l effet je veux dire je me sens aussi malheureux qu avant C est mon c t monstrueux 131 Autant Cousin vit une relation mitig e envers le fascisme qu il rejette tout en l appelant de ses v ux autant son rapport aux malheurs humains est ambigu Si comme dans l extrait pr c dent Cousin utilise l annonce d une famine en Afrique pour oublier sa propre condition il r ve ailleurs dans le texte d tre un fl au pour tenter d attirer l attention du professeur Tsour s J avais une envie terrible d tre remarqu par le professeur Tsour s comme si j tais un massacre moi aussi un crime contre l humanit Je r vais qu il m invitait chez lui on devenait amis et apr s le dessert 1l me parlait de toutes les autres horreurs qu il avait connues pour que je me sente moins seul La d mocratie peut tre d un grand secours 116 S il nuancera son propos plus tard il n en demeure pas moins que Cousin a l habitude de prendre des faits av r
198. se servent de diverses strat gies comptables la page 96 lors d une discussion en compagnie de Markhous le marchand de textile qui l emploie Chenevert convient avec son employeur du tort que les grandes soci t s causent aux finances publiques en vitant de payer leur juste part d imp ts Toutefois reconnaissant les avantages qu il tirerait lui m me d une telle fraude il s y refuse son sens des responsabilit s sociales l emportant sur l avantage p cuniaire qu il pourrait en tirer ce qui le conduit r fl chir ainsi sur le fisc Les hommes ayant manqu de charit la loi avait d leur en faire une stricte obligation La p nible contrainte repr sentait une sorte de progr s en ce monde 96 Dans cette valuation des d savantages qu implique l accession de la soci t un progr s ind niable on reconna t le h ros du roman qui offre des fleurs et songe la d pense que cela implique et dont les implacables lans de fraternit semblent toujours troubl s par un sentiment de m fiance et de doute D ailleurs ce double mouvement qui le caract rise lui vient probablement des discours contradictoires des m dias et des mouvements de va et vient qui ont marqu l histoire de la diplomatie internationale au vingti me si cle Anim la fois par la sympathie et la crainte Chenevert s apitoie sur le sort des Chinois tout en redoutant le Marc Gagn Visages de Gabrielle Roy L uvre et l
199. ser o non ce travail dont il poss de un exemplaire L auteur tient remercier M Jacques Pelletier pour ses conseils et souhaite s excuser de lui avoir impos un rythme de travail que plusieurs qualifieraient de particulier L auteur tient par dessus tout remercier Papa et Maman qui ont toujours souhait qu il accomplisse ce genre de choses L auteur tient aussi remercier l quipe du 1823 pour le mat riel pr t les d rangements et les agr ments Enfin l auteur d sire exprimer toute sa gratitude Ti Catou pour les corrections minutieuses et tout le reste TABLE DES MATI RES R SUM eeeeueueeue eue eee IV INTRODUCTION eeuee eee eee 1 CHAPITRE 1 ALEXANDRE CHENEVERT CHRONIQUE D UN PETIT HOMME DE GRANDS PRINCIPES eeeeee eee 14 SECTION 1 1947 1948 REVUE DE L ACTUALIT INTERNATIONALE 15 SECTION 2 LES M DIAS AU QUOTIDIEN 19 SECTION 3 NARRATION PAR DOXAS INTERPOS ES 25 SECTION 4 LA VILLE AVILIE 44 uueeeueueeceu 35 SECTION 5 CHENEVERT P DAGOGUE VISIONNAIRE 45 CHAPITRE 2 MICHEL COUSIN DEVANT L ORACLE DU DISCOURS SOCIAL 50 SECTION 1 LA BIOGRAPHIE D UN INDIVIDU PROBLEMATIQUE 5 SECTION 2 LE LISEUR COUSIN ET LA CHOSE CRITE 52 SECTION 3 PARIS 1973 eee 54 SECTION 4
200. st enti rement port par le blanc par ce qui n est pas exprim et o ne r gne qu une sorte d cho de la derni re syllabe du Mot cl qui retentit dans ce qui n est pas dit dans la phrase comme une musique de l inexprimable qii8 Ce roman total ni une aventure de l criture ni un roman de l ali nation Gary serait parvenu l crire au moment o son pseudonyme devenait lui aussi un personnage tout tait fiction dans sa phase Ajar D ailleurs Dominique Fortier voit dans les romans sign s Ajar l actualisation la plus r ussie de la troisi me conception du roman total selon Gary l laboration d un langage nouveau C est ainsi que l uvre d Ajar nous para t r pondre cette volont de cr ation totale nonc e par Gary dans Pour Sganarelle par l invention d une nouvelle langue 116 Qu un personnage autre que Cousin monologue pendant 47 lignes dans Gros C lin veille d j des soup ons sur l ing rence de la pens e de l auteur dans son discours Romain Gary Pour Sganarelle Paris Gallimard 1965 p 180 pour Sganarelle est une v ritable charge contre le nouveau roman contre l criture de Kafka C line Camus et Sartre contre l application des th ories psychanalytiques en tudes litt raires contre le r alisme social bref contre presque tout sauf Malraux et Don Quichotte L essai fourre tout dont plusieurs ont soulign l criture
201. t nous tenterons d tablir des parall les entre les uvres et r pondrons Gary lui m me qui crivait dans Vie et mort d mile Ajar que Tout Ajar est d j dans Tulipe son roman paru en 1946 La production litt raire de Romain Gary volue dans le temps et il est possible de la regrouper en p riodes qui tiennent compte des pr occupations de l auteur Ainsi J rn Boisen propose une chronologie des cycles d criture garyens Il me semble que l uvre passe par trois grands cycles de variations Dans le premier d ducation europ enne aux Racines du ciel domine le th me de l engagement direct pour le bien Le deuxi me cycle de variations est une longue exploration et mise en question de la vision grandiose de la culture comme moteur du progr s humain qui est propos dans Pour Sganarelle Le troisi me cycle Ajar y compris marque un repli sur la sph re priv e Le bonheur personnel toujours repr sent par l amour devient plus important pour les h ros sans qu ils abandonnent pour autant le r ve de changer le monde On observe que plus on avance dans le temps plus l uvre de Gary se construit autour du langage et moins ses romans sont centr s autour d une s rie d actions Cette atrophie du faire par rapport au dire culmine avec la phase Ajar dans laquelle les romans sont presque priv s de p rip ties Toutefois des textes comme Europa Au del de cette limite votre ticket
202. t au bourrage de cr ne Le bourrage du cr ne s il n y avait pas eu ensuite lavage du cerveau a aurait continu C est ce que les fascistes appellent continuer croire et esp rer C est le pire truc facho a et a m ne tout droit la politique et toutes sortes de trucs boutonneux comme le printemps de Prague pour hivers russes 71 S 1l refuse de s impliquer dans les manifestations et les comit s de son coll gue c est que Cousin craint de perdre sa subjectivit d j affect e par la vie dans la m tropole Aussi la mention du Printemps de Prague certes l euph misme de l expression trucs boutonneux rend la chose ambigu lie imm diatement un v nement tragique la politique On retrouve aussi cette association entre la panique et des v nements politiques de l actualit internationale Chez moi la panique prend toujours des formes humaines avec coup d tat militaire au Chili torture en Alg rie conflit isra lo arabe et paix au Vietnam C est tout de suite le r gne int rieur de la terreur alors qu ailleurs tout est si paisible 180 181 Les conflits politiques servent exprimer les sentiments n gatifs que ressent le h ros Toutefois comme le personnage n en est pas une contradiction pr s 1l affirme quelques reprises que sa vie serait plus facile s il vivait dans un pays excessivement pauvre ou dans un tat qui brime la libert l Madeleine Godin
203. t avec l effet de lecture ainsi cr l information surcharge le texte Le lien entre le texte et la soci t de r f rence de la romanci re tant tabli il est possible de retrouver les faits qui ont servi de mati re premi re lors de l criture d Alexandre Chenevert En effet tant donn son abondant intertexte journalistique on peut rep rer les sources dont l auteure s est inspir e pour cr er son roman C est ce travail de g n tique litt raire que s est attel e Jocelyne Thifault en consultant les archives de Gabrielle Roy ainsi que les journaux et revues de l poque laquelle se d roule le r cit Dans son m moire intitul L information et la publicit dans Alexandre Chenevert elle tablit des concordances entre les calepins dont Gabrielle Roy se servait pour noter des manchettes dans le but d alimenter son roman et les journaux dont celles ci sont tir es ensuite elle a compl t sa recherche en situant dans le texte les passages emprunt s et en identifiant leur provenance Nous croyons que ces trois exemples d montrent sans quivoque que G Roy s est servie de l actualit de l ann e 1947 pour crire son roman et que jusqu un certain point Alexandre Chenevert constitue un collage de titres de La Presse que l auteur a int gr textuellement ou quelque peu transform dans son roman Le travail de Thifault nous apprend aussi quelles sont les autres sources crites q
204. t de termes r f rant aux r alit s internationales que le texte devient le reflet de la conscience du h ros qu Andr Brochu affirme peupl e de slogans obs dants de toute une cha ne de signifiants ali nants hallucin s Certains passages du roman sont ce point charg s de signifiants issus des actualit s qu un ph nom ne d hybridisation intertextuelle s observe de fa on manifeste Si l on ne consid re que les noms propres o communs et les adjectifs r f rant une r alit trang re russe Mussolini Dachau on note une grande disparit d occurrences entre les trois parties du livre ainsi qu entre leurs chapitres c est l que les carts se creusent le plus En 139 pages la premi re partie compte pr s de 125 occurrences la deuxi me 25 en 60 pages et la troisi me 50 en 78 pages Sur ce total approchant 200 le dixi me 20 est constitu du mot russe peu importe son genre son nombre ou son statut de nom propre S tendant des pages 9 28 le chapitre I comporte presque la moiti 90 des mots cibl s par notre recensement le chapitre XVII p 213 232 lui en rec le pr s de 45 le chapitre IHI p 45 61 pr s de 30 Les plus lev s des totaux suivant ceux ci n exc dent pas 10 dans quelques chapitres les r f rences explicites des r alit s internationales sont tout fait inexistantes Il est donc possible de confirmer chiffres l appui certaines im
205. t que Cousin voque dans le roman R p t e deux reprises cette majuscule au titre de celui qui encourage Cousin crire son trait laisse planer un doute quant l ventuel statut de d it que son r le de destinataire lui conf re 60 zoologique Vous aurez donc raison de les mentionner dans un but d orientation de contraste de rep rage pour vous situer Car il ne s agit pas seulement de tirer votre pingle du jeu mais de bouleverser tous les rapports du jeu avec des pingles 10 Si l on reconna t la phras ologie du narrateur dans ces paroles rapport es on reconna t aussi que la logique de l nonc est tordue l image des raisonnements de Cousin mais qu elle demeure in branlable Pr sent es comme des intrusions trang res dans le r cit les noms de Moulin et Brossolette voquent la r sistance Or pour le protagoniste le simple fait de vivre seul Paris lui conf re un r le de r sistant qui le rapproche des deux h ros fran ais Son combat contre la d mographie a pour but ultime l accession un stade d volution de dib ration sociale sup rieur et le bouleversement des rapports du jeu avec des pingles Donc par leur pr sence Moulin et Brossolette orientent Cousin dans la lutte qui l oppose au contraste de la vie parisienne ils ont donc tout voir dans son trait lorsque celui ci perd ses pr tentions zoologiques Ins parab
206. teriori un lien entre un roman sign Gary crit pendant sa phase Ajar et le style Ajar En 1975 nul n aurait song faire ce parall le entre Au del de cette limite votre ticket n est plus valable l aveu d un auteur d clinant et des romans comme Gros C lin et La vie devant soi Dans Au del de cette limite votre ticket n est plus valable Gary allait au del de la limite du traditionnel de deux mani res en abordant un sujet litt rairement litt ralement inou c est dire l impuissance sexuelle secondaire d un c t et de l autre en introduisant dans le langage romanesque m me les jeux de mots et d esprit qui se manifestent de mani re plus visible dans les deux premiers textes sign s Ajar Il s est trouv des critiques qui l poque de la supercherie avaient cart l hypoth se voulant qu un auteur manifestement sur son d clin et traditionnel comme Romain Gary ne puisse tre l auteur de ce texte qui d apr s Alexandra Jarque frappe par son style apparemment anarchique et d cousu Or on reconna t ais ment les traces que Gary selon Ralph Schoolcraft aurait diss min es dans le corpus sign Ajar pour s assurer de la reconnaissance de sa paternit de l uvre Bien entendu le recul que nous avons aujourd hui nous pousse nous demander la lecture de Gros C lin pourquoi des ressemblances si videntes entre l criture de l aute
207. tes les bourses Elle h sita un moment en gardant sa main sur ma voie d acc s au droit sacr 202 Dans cet extrait premi re vue incompr hensible Cousin en visite au bordel exprime m taphoriquement la mont e de son d sir et par des rapprochements d id es inusit s son rection l ordre des grandeurs l Ordre des M decins l avortement la sexualit et de no veau son rection revient sur l pigraphe du roman sans pour autant argumenter dans un sens ou dans l autre Sans tenter de surinterpr ter on peut affirmer la lecture de cet extrait que Cousin ne cesse de penser au jour de sa mue d finitive mais qu il sent ce changement hors de sa port e pour l instant Ainsi pour le plus grand plaisir de certains lecteurs le m canisme du langage de Cousin proc de par croisement de discours et avanc es sinueuses et ambigu s o surgit parfois un constat frappant de lucidit Section 4 L ruptif langage du Python Apr s avoir observ le travail de d contextualisation que Cousin fait subir trois notions pr cises des discours doxiques il est plus ais de comprendre comment fonctionne son langage et quelles cibles il s en prend On retrouve tout au long du texte une multitude de jeux de mots fond s sur le m me genre de d tournement du discours social Aussi nous attarderons nous d couvrir quels domaines la narration emprunte ses expressions fig es La politiq
208. tisfaites Cousin parle quelquefois en parodiant les grands journaux et les politiciens de la prosp rit de l avortoir Ainsi Cousin se sert du d bat sur l avortement pour alimenter la r flexion ontologique de son trait Alexandra Jarque remarque avec justesse la distinction que le narrateur fait entre une naissance conventionnelle par voies urinaires et une naissance qui repr senterait une chapp e de l existoir une mancipation Proche parent de l existoir l avortoir serait un ensemble de conditions qui emp chent l homme de vivre une seconde naissance Dans le d bat de soci t voqu dans le roman Cousin se positionne du c t de l Ordre des M decins contre l avortement Toutefois ses arguments s ils tiennent compte de la terminologie des d battants le tiennent l cart du vrai questionnement Il affirme par exemple Je suis galement d accord respectueusement avec l Ordre des M decins il y a bien une vie avant la naissance 38 Quand Cousin parle d une vie avant la naissance il entend la deuxi me naissance et il est seul d battre autour d une telle id e De plus cette deuxi me naissance est 3 en croire l pigraphe ce terme qui ne conna tra pas de post rit a t imagin par l Ordre des M decins hostile la pratique de l avortement Or on distingue une connotation n gative voire barbare dans la formation de
209. toutefois un regard lucide sur le sort qui lui est r ellement r serv preuve il n est jamais selon Karine Lalancette volontairement ironique envers les institutions et la soci t Ses propres sous entendus semblent lui chapper donc ne pas tre le r sultat d une r elle distanciation critique En fait il nous semble que le jeu de langage du h ros doit tre compris l aide des propres mots de Cousin c est pr cis ment ce que fait Robert Bellerose Comme la r sistance fran aise combattait le fascisme hitl rien durant la Seconde guerre la R sistance de Gros C lin elle s attaque au f tuscisme avec ducation Nationale le f tuscisme correspondant l tat pr natal la vie dans la soci t existoir la vie dans l avortoir au calque de l homme C est donc dans cette perspective beaucoup plus large de la r sistance s en prenant la situation m me de l homme que la d marche de Cousin prend tout son sens 38 H l ne Lafond L univers romanesque d mile Ajar ou le refus de la norme M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1991 p 49 50 3 H l ne Lafond L univers romanesque d mile Ajar ou le refus de la norme M moire de ma trise Montr al Universit McGill 1991 p 75 4 Karine Lalancette Les m canismes de l ironie litt raire dans le roman Gros C lin d mile Ajar M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 2001
210. trouvent cho dans la pens e de Cousin selon laquelle son python lui procure un succ dan de tendresse et de fraternit sup rieur ce que Dieu saurait lui offrir Il ne peut supporter l id e de partager Dieu avec d autres croyants et c est le caract re universel de la divinit qui lui inspire une r flexion profane Je n coutais pas ce que le p re Joseph disait je le laissais faire il poussait la consommation Il para t que Dieu ne risque pas de nous manquer parce qu il y en a encore plus que de p trole chez les Arabes on pouvait y aller pleines mains il n y avait qu se servir 21 voquant la question du p trole l approche de la crise de 1974 le narrateur tablit un rapprochement entre la divinit et l abondance de combustible fossile Cousin se sert encore de faits d actualit pour exprimer son d go t envers l amour de Dieu jug pas assez exclusif F2 Le narrateur puise dans l actualit comme dans un r servoir de sous entendus entre lui et son lecteur il les utilise pour commenter sa propre vie Pour expliquer les d tournements de regards dans la rue il invoqu les agressions main arm e dans la banlieue parisienne 117 Il se sert aussi du discours m diatis pour d crire les autres narrant un pisode impliquant sa femme de m nage portugaise il crit La main d uvre trang re continuait gueuler Dans cet exemple on voit que le langage de Cousin
211. ttre de la vie dans son deux pi ces C est ce manque qui explique son besoin de s entourer d objets jug s bienveillants comme sa pipe et son fauteuil cela explique aussi le fait qu il attribue des sentiments humains un python qui agit sous la gouverne de ses instincts reptiliens Le cours de ventriloquie qu il suit t moigne de sa volont d tre sentimentalement autosuffisant mais l exp rience choue le h ros d cidant de ne point se satisfaire d un tel simulacre affectif L exp rience urbaine de Michel Cousin que l on doit lier ses espoirs d mancipation est form e de tentatives de rencontres rat es en raison entre autres de son incapacit se faire comprendre par ses interlocuteurs d o le paradoxe de son langage dont la diff rence est suppos e tre porteuse d espoir Bien qu infructueuses ces rencontres sont fr quentes et Cousin est celui qui les provoque Il bouleverse la loi non crite du n cessaire et s curitaire anonymat urbain en s assoyant c t des voyageurs solitaires dans le m tro et en attendant son voisin sur son pallier tous les jours pendant quelques semaines dans le but de s en faire un ami De m me il interagit avec une pl thore d autres citadins on voit Cousin en discussion avec le commissaire de police ou avec le gar on de bureau qui tente de le convaincre de joindre les rangs de son organisation politique il fr quente aussi les bordels les restaurants
212. u de la non volont du narrateur de comprendre et d utiliser normalement la langue d un monde qu il ne parvient pas int grer pleinement Cela lui permet d ins rer des extraits des discours sociaux sous la forme d expressions charni res mal employ es des endroits insoup onn s dans son texte En continuit avec ses impropri t s lexicales son incorrection grammaticale semble aller de soi et donne au discours de Cousin la coh rence d une langue nouvelle fond e sur l irrespect des conventions d une langue de r f rence Ne pas avoir la langue de bois dans sa poche les effets du langage de Cousin Pour le lecteur ma trisant un tant soit peu les concepts qui sont d form s dans le roman l incompr hension peut faire place au rire car Gros C lin demeure une uvre humoristique ainsi que l explique Anne Charlotte Ostman C est pourtant le plus souvent l usage insolite de la langue que fait le narrateur qui provoque le rire il emploie un mot pour un autre il se sert d une fa on automatique de lieux communs de slogans politiques et publicitaires Il d tourne un langage technique de son sens habituel En cr ant un sens nouveau souvent ax sur une vaine recherche de fraternit les d placements s mantiques dont stman d crit humour ne se font pas sans heurts Heurts puisque Cousin bouscule dr lement le dicible en soulevant des enjeux pol miques de son poque C tait l angoisse
213. u lac Vert Alexandre semble se r concilier avec son entourage l h pital c est dire lorsqu il se pr occupe davantage de leurs t moignages d amiti et d amour que du sort des Palestiniens Cousin la recherche de l me s ur doit se contenter d un python et d une souris pour remplir le vide de son appartement et des prostitu es pour lui prodiguer coup de gros c lins la tendresse dont il a besoin Dans la narration des pisodes de sa vie il exag re le niveau de familiarit de toutes ses relations et la st rilit de celles ci transpara t lorsqu on entrevoit ses checs ou les r ponses n gatives que re oivent ses propositions Ainsi ces citadins souffrent d une solitude doubl e d une impossibilit de satisfaire en relation avec autrui leurs besoins intellectuels et affectifs Directement li e leur existence au sein de la ville leur condition de travailleur salari devient un autre frein leur mancipation intellectuelle et affective un autre indice de leur d personnalisation On comprend comment les emplois de cols blancs qu ils occupent ajoutent la routine une vie d j assombrie par l anonymat Marie Claire Kerbrat Le on litt raire sur la ville Paris Presses universitaires de France 1995 p 29 99 Tout au long de son volution le roman urbain s est construit autour de la repr sentation du travail mal n cessaire qu on d crit souvent comme ardu r p titif
214. u plan du sens et de l expression le degr d influence mutuelle par le dialogue peut tre tr s grand Voil pourquoi lorsqu on tudie les diff rentes formes de transmission du discours d autrui on ne peut s parer le proc d d laboration de ce discours du proc d de son encadrement contextuel dialogique les deux proc d s sont indissolublement li s Si l on affirme qu il est possible de faire dire n importe quoi aux chiffres il en est de m me pour les l ments emprunt s au discours social La reprise d l ments des doxas d une soci t de r f rence dans les romans l tude permet d abord leur auteurs de situer leur lecteurs dans un temps et dans un lieu pr cis et ensuite de s inscrire dans les d bats de leur poque tout en donnant leur voix l infinie subtilit que peut procurer la constitution d un personnage de fiction De plus cette r trospective romanesque peut ais ment se d cliner dans tous les tons allant du s rieux au comique le discours social y devient un personnage que l on malm ne souhait une pr sence dont on r arrange la constitution sa guise La pleine libert du romancier reprend ses lettres de noblesse quand vient le temps de recycler en courtepointe les tissus du discours social Il est toutefois malais dans le cadre de ce travail d aborder le th me de la pr sence du discours social au sein de la fiction sans r f rer aux romans
215. ublier Gros C lin sous un pseudonyme a t prise la suite de l criture du texte Il explique que la teneur de son nouveau livre lui permettait d esp rer que son op ration de dissimulation fonctionnerait la lumi re d une explication de Boisen on comprend cette id e qui fait tout de m me de Gros C lin un tranger dans la continuit esth tique de l uvre de Gary Gary a le go t du paradoxe des formules fracassantes et volontiers un peu vulgaires et du jeu de mots Avec Ajar cette dimension devient essentielle En mettant en vidence les propri t s et les m canismes du langage ses romans d clenchent souvent le rire Il s agit donc de distraire Il s agit davantage de promouvoir une r flexion sur le langage en g n ral Diversion comique et r flexivit se trouvent cependant subordonn es un objectif essentiel qui les unit et les d passe Il s agit d une remise en cause d une vision du monde accr dit e d une d rision des id es re ues critique du syst me des valeurs Dans la description que fait Boisen des m canismes litt raires l uvre dans La danse de Gengis Cohn publi sept ans avant Gros C lin on reconna t le postulat de base selon OI lequel nous explorons le trait sur La solitude du pyhton Paris c est dire l int gration des discours sociaux Partout des lambeaux des langages journalistique philosophique administratif et politiq
216. ue et toutes sortes de trucs boutonneux La politique se pr sente dans le roman d abord par le biais d une r flexion sur la libert libert s individuelles et r gimes politiques dictatoriaux s opposent dans le creuset de la cit fran aise Mai 68 a redonn Paris des airs de commune tout comme les 50 M me deuxi me vue certains passages demeurent obscurs ce qui contribue cr er le style Ajar dans lequel le narrateur donne l impression de perdre le contr le sur les signifiants qu il emploie 66 manifestations auxquelles Cousin oppose un apolitisme presque complet Ses commentaires politiques se pr sentent quand on les attend le moins comme le pr cise Madeleine Godin La politique est l objet de deux points de vue tout fait diff rents dans le roman on se souvient que le personnage refusait toute sollicitation caract re politique et qu il s empressait de se d barrasser des tracts qu on lui distribuait etc Ce qui n emp che pas d un autre c t le narrateur de tenir un discours r solument politique puisqu il passera syst matiquement par le politique pour parler d amour Habiter la capitale fran aise n inspire pas Cousin qui refuse de se m ler de politique ou de s impliquer politiquement aux c t s du gar on de bureau D ailleurs le terme politique est connot fort p jorativement dans le r cit Cousin l associant irr m diablement au fascisme e
217. ue sont introduits diss min s a et l caricatur s pr sent s sous un certain clairage Dans La danse de Gengis Cohn l introduction des langages trangers se fait encore plus rapide et plus d concertante sans doute parce que r ri 102 A 7 le narrateur est imitateur de son m tier De m me Jacques Lecarme tablit a Les narrateurs des romans sign s Ajar sont significativement plus jeunes Cousin Momo Pavlowitch et Jean ont une moyenne d ge de 27 ans et demi Les deux Rainier Michel Folain et Ludo les narrateurs des romans contemporains sign s Gary ont de leur c t une moyenne d ge de 40 ans environ Paul Marchand La tentation prot enne Identit et cr ation chez mile Ajar Th se de doctorat Montr al Universit de Montr al 1992 p 35 36 Voir Romain Gary Vie et mort d mile Ajar Paris Gallimard 1981 p 23 100 J rn Boisen l assaut de la r alit La dominante de l uvre de Romain Gary Paris Presses universitaires de France 2002 p 112 MT Biographe de Gary Dominique Bona relate que le texte a d abord t soumis aux ditions Gallimard sous ce titre et que le comit de Mercure de France la maison d dition qui a finalement publi le roman lui a pr f r le laconique Gros C lin Dominique Bona Romain Gary Paris Mercure de France 1987 p 356 357 12 J rn Boisen Un picaro m taphysique Odense Odense University press 1996 p 101 87 pos
218. ueuses de Godias L impertinence de son coll gue ne manque pas de d courager le h ros d u de l accueil r serv au savoir Outre la plan te terrestre se r chauffe on retrouve habituellement pr c d d une r f rence au discours crit Jai lu Je viens de lire As tu lu ce sera la famine dans trois ou quatre ans 52 et Il y a trois cent cinquante millions de gens aux Indes 52 entres autres informations qui sont ridiculis es par le sens de l humour douteux de Godias Doucet 46 partag avec son ami badin Source de conflits entre les deux hommes ce type de conversation nous d montre pourtant la passion pour la communication de Chenevert Incapable de d m ler toutes les donn es g opolitiques mondiales celui ci se montre toutefois fort comp tent dans son r le de p dagogue Si ses tentatives chouent invariablement on sent chez celui qui a rat sa vocation journalistique une volont un devoir selon Marc Gagn d instruire ses cong n res Bien s r il pourrait ne pas couter ne pas lire les organes d information Mais il se reconna t comme un devoir de s informer et d informer les autres ces enjeux d actualit que le r cit d crit et que le pr sent actualise dans les proportions qu ils ont prises aujourd hui on peut ajouter le probl me de perception des imp ts imp ts dont sont souvent exon r es les entreprises qui pour ce faire
219. ui ont inspir l auteure ainsi que la repr sentation qu en donne son narrateur dans la fiction J est question dans le roman de plus des journaux Sol L cho Le Pays Le Journal les deux derniers pouvant tre respectivement des allusions aux quotidiens de l poque Le Canada ou La Patrie et La Presse et puis 1l est question aussi des Ellen Reisman Babby The play of Language and Spectacle structural Reading of Selected Texts by Gabrielle Roy ECW Press 1985 p 101 Jocelyne Thifault L information et la publicit dans Alexandre Chenevert M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 1994 p 65 66 revues Digest Home Ideal Perfect Housekeeping l aussi probablement des sous entendus aux publications Reader s Digest et Good Housekeeping De plus si son roman est paru en 1954 sa chronologie correspond l poque laquelle Gabrielle Roy a entrepris ses recherches dans les journaux The time span of The Cashier extends from the early spring of 1947 to the early winter of 1949 Deuxi me Guerre mondiale et guerre froide l ouverture sur l international Afin d tablir le lien entre la conception du r cit et l Histoire il importe de comprendre ce contexte historique En 1947 le monde sort tout juste de la Deuxi me Guerre mondiale l Occident entre de plain pied dans la guerre froide qui l opposera l URSS ainsi qu ses pays satellites D
220. ur et celle de son pseudonyme n ont pas alert ses contemporains dont les critiques que Gary accusait de ne plus s int resser son uvre Lire les textes sign s Romain Gary apr s avoir lu ceux sign s mile Ajar c est ouvrir la voie aux correspondances et aux calques d expressions qui se retrouvent mot pour mot dans les textes des deux corpus La pr sence de traces que Romain Gary aurait laiss es dans les livres sign s Ajar est ind niable et semble presque relever du d fi lanc la vigilance du lecteur Publi la m me ann e que Gros C lin le pseudo 1 Lorsque Gary a publi son roman sur l impuissance plusieurs ont rapidement fait le lien entre les troubles sexuels du h ros et l auteur 1 Jacques Lecarme Au del de cette limite ou le nouveau ticket de Romain Gary Paris Presses universitaires de France 2002 p 113 15 Alexandra Jarque L ironie et l humour dans l uvre de Romain Gary et d mile Ajar M moire de ma trise Montr al Universit de Montr al 1990 p 104 1 Ralph Schoolcraft Romain Gary The Man Who Sold His Shadow Philadelphie University of Pennsylvania Press 2001 p 137 88 107 entretien La nuit sera calme regorge de passages qui laissent une impression de d j vu au lecteur du premier roman d A Fo Comme l affirme Dominique Rosse Romain Gary recyclait souvent des l ments de ses textes le lecteur habitu fr quenter son uvr
221. ures de quotidiens le texte d crit quelques reprises les rapports du h ros avec les organes m diatiques Lors de son s jour la campagne il s ennuie de la ville et des discours qui y circulent abondamment la radio et dans les journaux Lee Brotherson d crit ainsi ce besoin soutenu d informations Alexandre is ulnable to shut his mind to the endless stream of advertisment and political propaganda in the press on street signs on the radio La relation qu il entretient avec les m dias d information para t compulsive car il ne peut contenir son attirance pour les kiosques de journaux lorsqu il revient de ce rare voyage en dehors de la ville son regard malgr lui courait aux manchettes de journaux 206 Cette incapacit de rester imperturbable devant l afflux des manchettes que l on pourrait assimiler un besoin de comprendre le 1 On pourrait imaginer la m me discussion opposant aujourd hui les lecteurs du Journal de Montr al et ceux du Devoir 5 Lee Brotherson Alexandre Chenevert an uhnappy Sisyphus Essays in French Literature no 18 1981 p 92 23 monde prend chez Alexandre Chenevert une signification diff rente Alexandre avait d coup num rot class des centaines d articles 111 Lors de la r v lation ponctu e d une illustration de cette m thodologie de l existence de cette v ritable collection d imprim s qui occupent avec ses livres une
222. uteur nouveau et totalement novateur on pourrait nuancer ce propos en affirmant comme Gary que Gros C lin La vie devant soi Pseudo et L angoisse du roi Salomon reprennent des l ments formels et th matiques de l uvre de l auteur des Racines du Ciel I semble que les critiques litt raires cartant l poque l hypoth se de la paternit de Gary sur l uvre sign e Ajar ne lisaient pas ou plus ses livres En effet la simple mise en parall le des contemporains La nuit sera calme et Gros C lin r v le les m mes pr occupations que l auteur choisit de traiter diff remment selon qu il crive un faux entretien ou un roman finalement publi sous pseudonyme L exemple de l avortement est tout fait loquent ce sujet Dans La nuit sera calme la d nonciation des positions prises par l Ordre des m decins est ind niable tandis que le narrateur de Gros C lin se saisit du d bat pour en d placer l enjeu et servir ses intentions D ailleurs Michel Cousin r utilise le discours social pour en travestir les l ments et ainsi cr er l un des quatre styles de narrations ajariennes Tous men s par un narrateur autodi g tique et isol dans son entourage les quatre A jar forment un ensemble part et coh rent dans l uvre de Gary Toutefois on ne peut pour autant affirmer qu ils en sont compl tement ind pendants les multiples correspondances entre les uvres l indiquent 15 Romain Gary
223. utique de la solitude 121 et la r f rence pr c d e d un Cf conferre l ouvrage d thologie en trois volumes L irrespect ou la position d attente debout de Bourgeau Or il est impossible de retrouver ces ouvrages ou ces pr tendus sp cialistes il semble que comme l affirme Lalancette la seule fonction de ces r f rences dans le texte soit de donner une cr dibilit au discours scientifique de Cousin En fait le lecteur constate que le trait abandonne la th matique des pythons Cousin lui croit continuer cheminer dans cette voie cet gard plusieurs critiques ont relev et comment les passages dans lesquels la fronti re entre l identit de Cousin et celle de Gros C lin devient floue Cette interchangeabilit des r les permet de croire en effet que l ensemble du trait porterait sur Gros C lin 19 Karine Lalancette Les m canismes de l ironie litt raire dans le roman Gros C lin d mile Ajar M moire de ma trise Qu bec Universit Laval 2001 p 44 ll Romain Gary Gros C lin Paris Mercure de France 1974 p 19 Dor navant les r f rences au texte du roman seront identifi es par le num ro entre parenth ses de la page dont elles proviennent 12 Science des comportements des esp ces animales dans leur milieu naturel Alain Rey et Josette Rey Debove dir publ Le Petit Robert 1 Paris Dictionnaire Le Robert 1993 p 965 Cousin associe l homme aux animau
224. vant lui semble avoir pour but premier de raconter sa vie vie de Parisien seul r vant de contacts humains et particuli rement d une femme qui l aimerait Cette histoire somme toute assez banale se pimente avec la 108 pr sence du python que Cousin h berge et dont l alimentation base de rongeurs vivants pr occupe le h ros tant il s attache aux proies du reptile D ailleurs comment parvenir nourrir Gros C lin tout en pargnant sa sensibilit est un leitmotiv qui occupe une large part de la di g se du roman cette pr sence ovipare s ajoute le langage de Cousin suppos l aider clore na tre En d tournant des r f rences appartenant aux univers de l actualit de l conomie de la politique etc et en utilisant des mots dont il ne conna t pas le sens de purs emprunts le h ros croit qu il bouleversera la soci t et son lot de sous employ s Cette volont du protagoniste de vaincre l avortoir se traduit par l espoir d un individu de joindre une communaut et de vivre le contact humain son niveau le plus intime le couple Si le langage de Cousin emprunte au discours social il nous semble que c est toujours en vue de d crire son propre tat de manque et d en venir au constat suivant la soci t r fl chit sur elle m me en termes de plus en plus labor s et techniques mais les sentiments de l individu et l individu lui m me semblent exclus de cette
225. versit Laval 2001 p 49 quatorze ans je passais des nuits blanches compter jusqu des millions dans l espoir de rencontrer quelqu un dans le tas 57 69 terminologie du niveau de vie calcul en statistiques est largement exploit e dans le roman et Cousin en fait usage lorsqu il d crit par deux fois la vogue d une pratique sexuelle chez les clients des prostitu es qu il fr quente la feuille de rose C tait moins demand de mon temps mais le niveau de vie a augment cause de l expansion et du cr dit Les richesses sont mieux r parties et plus accessibles 30 Le niveau de vie tait mont les gens savaient pr sent ce qui tait bon cause de la publicit et ce quoi ils avaient droit cause de l abondance des biens avec participation et quels taient les morceaux de choix et les meilleures plages 194 Cette fa on d analyser les ph nom nes les plus h t roclites avec un vocabulaire didactique pr cis illustre bien la contamination du langage de Cousin Dans ce cas ci l association entre le m tier de prostitu e et une tude de march fond e sur l volution des go ts de la client le surprend alors que le caract re bizarre et la lucidit des nonc s de Cousin cohabitent avec humour L utilisation d un vocabulaire conomique pour d crire des vies humaines se poursuit tout au long du texte Des l ments du dialogue qui a cours chez monsieur Parisi
226. world to the confines of Cousin s strange mental universe Ralph Schoolcraft Romain Gary The Man Who Sold His Shadow Philadelphie University of Pennsylvania Press 2001 p 126 5 Le roman L homme la colombe 1958 v ritable charge contre l ONU crit alors que Gary y officiait a t publi sous le pseudonyme de Fosco Sinibaldi Il est question de la Deuxi me Guerre mondiale de fa on significative dans ducation europ enne Tulipe Le grand vestiaire Les couleurs du jour Les racines du ciel L homme la colombe La promesse de l aube Johnnie C ur Gloire nos illustres pionniers Pour Sganarelle La danse de Genghis Cohn La nuit sera calme Au del de cette limite votre ticket n est plus valable La vie devant soi Charge d me L angoisse du roi Salomon La bonne moiti Les clowns lyriques et Les cerfs volants Dans Gros C lin m me si Cousin fait abondamment r f rence aux h ros de la r sistance on ne peut affirmer que la di g se soit suffisamment orient e autour de la Deuxi me Guerre mondiale pour inclure le roman dans cette liste 77 Dominique Rosse Romain Gary et la modernit Ottawa Les presses de l Universit d Ottawa 1995 p 8 86 que les romans sign s Ajar se passent tous Paris et que leur narrateur soit plus jeune que ceux des romans sign s Gary on ne peut les dissocier de l uvre int grale de Pauteur d ailleurs c est lui m me qui affirme que la d cision de p
227. x dans leur milieu naturel quand vient le temps de d crire l objet d un livre dont il invente la r f rence voir note 13 B Le lecteur de Lady L constatera que Gary y donne une note bibliographique de neuf ouvrages qui sont inexistants 53 Le narrateur r f re d autres reprises ses lectures Ainsi il a lu tout sur la Guyane 15 pays d origine de Mlle Dreyfus les explorateurs anglais quand il tait jeune 24 une collection d histoires dont l auteur lui chappe 83 l Histoire de la r sistance en cinq volumes 176 De plus il r utilise dans un contexte de r ve veill le slogan soixante huitard L imagination au pouvoir graffiti lu sur les murs de Paris 75 Toutefois refusant de se m ler de politique il ne pr te pas attention aux trucs lire du gar on de bureau activiste 72 dont un guide intitul Comment fabriquer des bombes domicile avec des produits de premi re n cessit 180 Par contre il fait r f rence quelques reprises au Journal des Amis qui a publi une de ses lettres dans son courrier du lecteur 90 ce journal semble tre une lecture de r f rence pour les solitaires de sa trempe Il ne reste qu mentionner les journaux Cousin cite l Herald Tribune 25 et Le Monde 142 qu il semble lire l occasion Deux des citations reproduites I et Il voir note 15 concernent le professeur Tsour s il semble que Cousin ayant d couvert
228. x humaine aux objets inanim s afin qu ils se sentent entour s de pr sences bienveillantes La perspective de Cousin selon laquelle la vie dans le Grand Paris est synonyme de solitude semble la fois partag e par le reste de la classe et comprise par M Parisi Ainsi un autre l ve du ma tre ventriloque M Durs rejoint Cousin dans sa fixation sur le nombre dix millions Calculant le nombre de clients qu il a crois s Au Bon March o il travaille il affirme En un an a fait trois cent mille personnes qui passent c t en huit ans dans les dix millions 106 Ce calcul erron renforce l id e selon laquelle Paris et ses 26 J ai achet un cochon d Inde parce que c est plus d mographique l Inde 12 Il semble qu ici Cousin r f re la surpopulation en Inde 27 On trouve chez Anne Charlotte Ostman la th se selon laquelle la narration de Michel Cousin non polyphonique impose le filtre du langage du h ros aux paroles des autres personnages Ainsi si ceux ci M Durs M Parisi ou le p re Joseph par exemple s expriment parfois curieusement ou la mani re de Cousin c est parce que les dialogues sont rapport s par celui ci Le narrateur de Gros C lin ne caract rise pas ses personnages en leur donnant un langage individuel Sa subjectivit extr me embrasse toutes les figures du roman au point de leur donner son propre langage lui Le cur prononce involontairement d
229. xi me naissance et l intervention de Cousin rate sa cible Ce concept de deuxi me naissance appel e simplement naissance dans le roman est obscurci par une affirmation de Cousin voulant que quelqu un pouvait encore na tre quelque part la suite d une d faillance de l autorit ou d une fissure dans l avortoir comme il y a deux mille ans lorsque soudain il y eut homme 143 Cette r f rence l imaginaire catholique laisse entendre que Cousin aspire vivre quelque chose qui le ferait acc der au rang de figure christique De plus tout au long du roman Cousin voque des d bats politiques auxquels il r agit sa fa on permettant au narrataire de suivre en filigrane le d veloppement du dossier de l avortement en France sans qu on puisse toutefois affirmer que le protagoniste en fasse un suivi rigoureux Le lecteur peut aussi avoir l impression que le terme avortoir se retrouve dans le roman sans que le contexte se pr te r ellement une telle r f rence ainsi au caf Cousin d crit d abord le gar on de bureau comme tant accoud l abreuvoir de zinc avant d affirmer qu il se tient au zinc de l avortoir 179 On comprend que de multiples r f rences aux discours sociaux se pr sentent gratuitement dans le texte de Cousin simplement parce que celui ci les int gre sans en comprendre tous les enjeux La r utilisation des discours dans la narration de Cousin semb

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