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LUCIDITÉ, DÉSESPOIR ET ÉCRITURE

1. 182 St phane Mallarm Une dentelle s abolit 1887 183 Paul Verlaine Chanson d automne recueilli dans Po mes saturniens 1866 184 Octave Mirbeau Th tre complet ditions Inter Universitaires Saint Pierre du Mont 1999 p 564 185 C est ainsi que Paul Val ry a con u Le Cimeti re marin partir du rythme du d casyllabe 186 L art na t de contraintes vit de luttes meurt de libert De l volution du th tre 1904 in Essais critiques d Andr Gide Gallimard Pl iade 1999 p 437 187 Dans Chanson d automne Verlaine recourt aussi aux vers de trois syllabes pour clore chaque strophe 188 Yves Bonnefoy Rimbaud par lui m me d du Seuil 1964 p 23 189 Olivier Rolin Michaux Commencement sans fin de ma vie obscure Le Monde 27 ao t 1999 p 12 190 Fran oise Collin op cit p 89 32 191 L op ration d crire implique celle de lire comme son corr latif dialectique C est l effort conjugu de l auteur et du lecteur qui fera surgir cet objet concret et imaginaire qu est l ouvrage de l esprit Qu est ce que la litt rature Gallimard 1948 p 52 192 Un livre n a pas un auteur mais un nombre ind fini d auteurs Car celui qui l a crit s ajoute de plein droit dans l acte cr ateur l ensemble de ceux qui lont lu ou le liront Le Vol du vampire Mercure de France 1981 p 10 On pourrait
2. chiures de mouches comme dit Mirbeau 173 qui salissent et encombrent la m moire 174 Cela implique aussi de mieux s observer soi m me gr ce un effort de d tachement confinant au d doublement comme s y exerce pr cis ment Meursault en prison devenu tranger lui m me ou plut t la repr sentation que les autres se font de lui de mieux regarder le monde environnant afin de mieux le rendre et de n en rien laisser chapper sur le mod le d un peintre comme Claude Monet qui tait dot d une acuit visuelle singuli re et de peser chaque mot sur le tr buchet de l esprit critique jusqu ce qu il colle aussi justement que souhait aux choses el les m mes telles qu on les per oit Ces choses dont pr cis ment le mat rialiste et lucide Francis Ponge par exemple prend le partil175 contre tout d rapage rh torique et contre tout romantisme id aliste ainsi le po te explore t 1l les ressources infinies de l paisseur des choses et fixe t 11 son attention sur le premier objet venu afin d en d couvrir et d en r v ler des aspects rest s insoup onn s Mais outre le risque de heurter malgr tout un des nombreux cueils envisag s plus haut et de retomber peu ou prou dans une des multiples formes de l id alisme toujours mena ant ne pourrait on pas adresser Francis Ponge ou dans un autre genre aux romanciers minimalistes ou encore
3. Faut il s tonner d s lors si les enfants ainsi conditionn s et qui les parents et les enseignants imposent de par leur autorit l gale des go ts des fonctions des actions qui ne sont pas les leurs et qui deviennent non pas une joie ce qu ils devraient tre mais un v ritable supplice sont d s quilibr s et malheureux Combien rencontrez vous dans la vie de gens r ellement ad quats eux m mesti9 Par opposition aux pauvres diables dont il peuple ses r cits Mirbeau nous incite d velopper au mieux nos facult s dominantes et nos forces individuelles qui correspondent exactement un besoin ou un agr ment de la vie20j Seule fa on d tre ad quat soi m me et de devenir un tre unique et non le mouton anonyme et indiff renci d un troupeau qu on conduit aux urnes et l abattoir de l usine ou de la guerre seule fa on aussi par cons quent d avoir une chance d tre un tant soit peu quilibr et heureux Bref le bonheur ne tombe pas non plus du ciel il se construit il est une conqu te voire comme l crit Comte Sponville une action et une cr ation C est bien pourquoi il ne saurait tre la port e de tout le monde seuls les happy few chers Stendhal peuvent dans leur chasse au bonheur pr tendre sinon l atteindre du moins s en approcher Car les obstacles sont multiples non seulement dans la soci t
4. dire selon Roland Barthes un langage litt raire transform par sa finalit sociale est le moyen indispensable pour que l crivain puisse exprimer et faire partager son d sespoir il n en demeure pas moins qu elle ne saurait bien videmment constituer un v ritable rem de aux maux consubstantiels la vie et notre humaine condition et qu elle risque alors d appara tre elle aussi comme une duperie puisqu elle ne nous donne que l illusion compl te de la vie comme Mirbeau l crit des toiles de Pami Claude Monet il est alors tent d en conclure que la litt rature au m me titre que l art la philosophie la science ou la politique est tout enti re du c t de l illusion 148 Mais il y a pire encore elle peut son tour tre la cause de nouveaux probl mes ou susciter de nouvelles illusions e Tout d abord les mots de la tribu comme dit le po te 149 apparaissent comme tellement souill s et prostitu s par l usage tellement vulgaires et passe partout qu ils en sont d mon tis s et qu ils seraient bien en peine de donner prise sur le r el ou de l voquer dans sa pl nitude et sa complexit moins mais est ce possible de leur donner un sens plus pur l instar d Edgar Poe chant par Mallarm 150 L artiste du langage est in vitablement confront au probl me de l impuissance de l outil sa disposition qui n est jamais comm
5. oise Collin de constitution de son sujet 178 Car par del l aspect ludique ou performatif elle est souvent une exp rience existentielle et formatrice de premi re importance que l on pourrait comparer la symbolique peste qui frappe Oran dans le roman de Camus 179 et qui serait susceptible de transformer l crivain et de l aider devenir et assumer ce qu il est Bref une forme d auto ma eutique e Lucidit sur l homme sa nature et sa condition ensuite dans la mesure o selon la c l bre formule de Montaigne chaque homme porte en soi la forme enti re de l humaine condition et o la d couverte de soi rend possible celle de l humaine nature Mieux se conna tre soi m me gr ce l criture comme le narrateur anonyme du Jardin des supplices au visage ravag qui d atroces preuves initiatiques ont permis d accoucher de son talent 180 peut constituer un premier pas vers la connaissance de ce qu est et de ce que vaut r ellement l homme L criture en ce qu elle est la fois douloureuse et gratifiante l image de la vie pourrait galement aider d couvrir exp rimentalement le m lange de supplice et de d lice qu est l existence terrestre ce qui pourrait aider se d barrasser des s quelles de l id alisme na f et mensonger dans lequel baigne notre ducation humaniste et ou chr tienne Mais ces id es sont tellement banales que j aurais scrupule m
6. Id alisme Finalisme Rationalisme Acad misme R alisme L art pour l art Se prendre au s rieux AU RISQUE DE L CRITURE EN GUISE DE CONCLUSION 12 16 19 28 31 34 40 33 58 61 22 28 66 PUBLICATIONS DE LA SOCI T OCTAVE MIRBEAU TABLE DES MATI RES 84 86 87 Achev d imprimer la Reprographie de l Universit d Angers n ISBN Presses de l Universit d Angers 2001 U Voir ses Lettres Alfred Bansard d du Limon Montpellier 1989 p 80 lettre du 1 juin 1867 2 Et aussi par Albert Camus Dans L tranger Meursault met la porte l aumonier venu tenter de r cup rer au profit de son Eglise et de l ordre social cette me endurcie dans ce qu il appelle le p ch en essayant d veiller en lui l espoir d une vie ternelle 8 Mirbeau cologiste avant la lettre craignait que les ing nieurs ne d truisent la plan te 4 Andr Comte Sponville Trait du d sespoir et de la b atitude P U F 1984 t I p 14 et p 15 51 Octave Mirbeau Un mot personnel Le Journal 19 d cembre 1897 Il y d nonce l opium de l esp rance 6 Albert Camus Le Mythe de Sisyphe Gallimard 1942 p 21 et p 23 7 Octave Mirbeau Le Jardin des supplices deuxi me partie chap IX d Folio 1986 p 251 Pascal avait bien compar lui aussi la condition des hommes celle de condamn
7. conomique p 123 136 Gustave Flaubert lettre Louise Colet du 16 janvier 1852 Correspondance loc cit t IL pp 70 71 137 Dans le ciel p 110 u38 Dans Situations IT Gallimard 1948 Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la r pression qui suivit la Commune parce qu ils n ont pas crit une ligne pour l emp cher 139 Sur ces contradictions de Mirbeau pendant l affaire Dreyfus voir mon article L Opinion publique face l Affaire d apr s Octave Mirbeau dans Litt rature et nation universit de Tours n hors s rie janvier 1997 pp 151 160 140 Voir par exemple la pr face de Cromwell de Victor Hugo celle de Genevi ve de Lamartine celle de Germinie Lacerteux des fr res Goncourt celle de Pierre et Jean de Maupassant ou celles de Montherlant Malatesta Port Royal ou encore l Avant propos de 1842 La Com die humaine de Balzac Pour sa part Mirbeau n a accompagn ses uvres d aucune pr face si l on consid re que la pr face la neuvi me dition du Calvaire r dig e conjoncturellement en r ponse des attaques non litt raires et publi e dans Le Figaro du 8 d cembre 1886 n a pas t reprise dans les r ditions suivantes 141 Mirbeau a dirig pendant six mois en 1883 un hebdomadaire de combat anti opportuniste et de petit format appel Les Grimaces o il d voilait des scandales tenus sous le boisseau et faisait grimacer l
8. son insu la simple copie conforme de contraintes ext rieures qui auraient t int rioris es et constitueraient une mani re d autocensure e Cinqui me d rapage possible de la lucidit de l crivain et particuli rement du romancier l illusion r aliste qui a triomph au XIX si cle Elle repose sur des pr suppos s que Mirbeau et Paul Val ry les symbolistes et les expressionnistes notamment ont remis en cause En premier lieu le roman de la tradition r aliste pr suppose l existence d une r alit ext rieure et objective Or pour Mirbeau dont je reprends l analyse ce que l on entend par r alit n est jamais qu une convention culturelle relative un groupe social donn et donc variable dans le temps et dans l espace et aussi en fonction des classes sociales Le r el n existe et ne peut exister que r fract par une conscience et dans une uvre d art ce que pr tendent tre les grands romans du XTX si cle par un emp rament d artiste qui lui conf re son unicit 112 L image qui en r sulte ne peut donc tre que subjective et le g nie cr ateur de l artiste transfigure n cessairement ce que les larves humaines d ment rhinoc rifi es appellent la r alit C est pourquoi Baudelaire crit que selon la conception moderne ce qu il appelle l art pur consiste cr er une magie suggestive contenant la fois l objet et l
9. y attarder et je ne les signale en passant que pour m moire e L criture peut aussi permettre la d couverte de liens inattendus entre les choses ce qui peut on esp rer offrirait une chance d ouvrir l acc s leur essence par del leurs apparences condition bien s r de ne pas voir dans le mot essence qui n est ici qu une m taphore son implication platonicienne On sait que dans toutes les langues les po tes et les humoristes 181 sur un registre videmment diff rent aiment s amuser avec les mots et en tirer des effets Soit en jouant de leurs sonorit s suppos es vocatrices suggestives ou porteuses de sens ou encore sources de rapprochements a priori incongrus entre des mots de significations diff rentes mais qui sonnent pareillement par exemple le vers mallarm en Tristement dort une mandorel 182 Les assonances et les rimes surtout quand elles sont riches et que les vers sont courts facilitent ce type d effets exemple verlainien Les sanglots longs Des violons 183 Soit en jouant sur les diff rentes acceptions du m me mot auquel sa polys mie conf re une ambigu t qui constitue une richesse par exemple le mot grimaces chez Pascal Moli re et Mirbeau le proc d est d autant plus efficace si on donne au mot un sens plus pur en remontant la source c est dire l tymologie pensons l emploi po tique
10. est fourni par le dernier chapitre de l Ulysse de Joyce o se d roule sans ponctuation un monologue int rieur de pr s de cent pages La technique du multiple point de vue mise en uvre par Andr Gide dans sa trilogie L cole des femmes Robert et Genevi ve et par d autres apr s lui est aussi un moyen plus classique de contourner l cueil du r alisme de la confrontation de visions subjectives des choses ne pourra surgir aucune v rit objective la r alit du monde se dissoudra travers des regards conditionn s par le temp rament et l histoire de chaque personnage et le lecteur s il risque de se sentir frustr pr servera du moins sa lucidit 130 e Un sixi me cueil se situe aux antipodes du pr c dent ce serait la gratuit de l art pour larf Sous pr texte que l engagement et le didactisme sont mortif res pour la cr ation 131 que les id aux sont mensongers et meurtriers comme l affirmait d j l abb Jules en 1888 que la v rit est inaccessible et que la r alit chappe toutes prises ce qui t moigne bien d une lucidit d sesp r e nombre d artisans des mots ont choisi de se r fugier dans une bien commode tour d ivoire et d y fa onner labri des fracas du monde des bhibelots d inanit sonore pour reprendre la superbe et suggestive expression de Mallarm 132 Au premier abord on pourrait tre tent de voir dans ce d sengag
11. interrompt il L ducation sentimentale sur une phrase nigmatique et d ceptive souhait 82 qui cl t dignement le r cit anti romanesque au possible de ce que Sylvie Thorel a appel un gigantesque avortement Soit en grenant au fil de l uvre suffisamment d l ments contradictoires notamment en recourant la d sinvolture l autod rision l humour l ironie au pastiche pour exclure toute interpr tation simpliste r ductrice et mutilante et pour placer le lecteur dans l inconfort de ne savoir pas avec certitude ce que veut dire l auteur ni m me s il veut dire quelque chose C est par exemple ce qu a fait Mirbeau dans Dingo il est bien difficile de savoir s il se fait l apologiste rousseauiste des instincts naturels ou si au contraire il nous d montre exp rimentalement et par l absurde la n cessit de les r primer dans Le Jardin des supplices certains ont vu de la complaisance pour le bric brac sado masochiste voire une esp ce de racisme anti chinois quand ce n est pas un imaginaire pr fasciste 84 l o d autres ont per u une d nonciation des soci t s occidentales homicides et une exaltation de la civilisation chinoise Flaubert pour sa part malgr son impassibilit proclam e et apparente voque nombre de ses personnages avec une distance ironique qui rend difficiles les jugements univoques ainsi le lecteur est il bien en peine de savoir si Bouvard
12. par ce que j appellerai faute de mieux l acad misme condition d entendre ce mot dans un sens tr s large Je ne veux pas parler ici de la sous litt rature bien pensante ou l eau de rose qui ne rel ve pas de notre propos puisqu elle constitue une tentative d lib r e de cr tinisation et d aveuglement des masses Mais plus g n ralement des concessions d crivains qui sans tre suspects de ce type de crime contre l esprit n en respectent pas moins un certain nombre de codes v ritables lits de Procuste fauteurs d acad misme qui ne sont en r alit que des conventions hypocrites et mystificatrices les codes de la vraisemblance de la cr dibilit romanesque et de la biens ance ainsi que les codes g n riques Au nom du code de la vraisemblance on refuse le droit de cit litt raire des personnages jug s exceptionnels ou des v nements consid r s comme exag r s et statistiquement improbables dans la r alit d o l uvre litt raire est suppos e tirer ses mat riaux On sait que Boileau gardien du temple du classicisme auquel se r f rent implicitement tant de critiques litt raires refusait le vrai lorsqu il ne lui paraissait pas vraisemblable avouant ainsi qu en litt rature il pr f rait la simple apparence des choses leur r alit trop souvent choquante son go t et qu il convient donc de rectifier Or le vraisemblable en que
13. sur le m tier est bien oblig de remettre son ouvrage selon le conseil de Boileau le moins spontan des crivains De toutes ces contradictions inh rentes au processus m me de l criture certains notamment des po tes du si cle coul ont conclu dans la continuit de St phane Mallarm la n cessit de consid rer les mots en eux m mes sans aucun r f rent ext rieur comme un mat riau brut qui se suffirait lui m me 170 et qui finirait par se substituer au monde au lieu de chercher pr somptueusement l exprimer Certains seront peut tre tent s d y reconna tre la forme supr me de la r volte de l crivain d sesp r contre un univers d pourvu de sens et qu il s agirait donc de nier ou de fuir comme indigne de retenir l attention Mais ne conviendrait 1l pas plut t de diagnostiquer l une resuc e de la doctrine de l art pour l art et de craindre que cela ne r duise la litt rature de simples jeux avec les mots ou des acrobaties verbales du genre de celles de Th odore de Banville jadis et n aboutisse une totale gratuit politiquement suspecte on l a vu Ainsi le po te Jean Claude Pinson d c le t 1l dans cette tendance une forme de snobisme langagier d autant plus incapable de changer la vie qu il tourne le dos au monde et au langage ordinairen171 quoi bon crire si c est pour aboutir ce qu il appelle juste titre une form
14. Villenave d Ornon 1999 p 68 179 Tarrou d clare par exemple que chacun la porte en soi la peste et qu il faut se surveiller sans arr t pour ne pas tre amen dans une minute de distraction respirer dans la figure d un autre et lui coller l infection La Peste loc cit pp 202 203 180 Il est tentant d en dire autant de l criture du romancier lui m me comme l crit Philippe Ledru par exemple puisque l art ne peut na tre que de la douleur l exemple de l art sculptural du bourreau chinois du Jardin des supplices il conclut que l criture de Mirbeau est l image des corps supplici s du bagne de Canton tout la fois plaisir et supplice Le Calvaire des corps dans l uvre romanesque d Octave Mirbeau m moire de ma trise universit d Angers 2000 p 27 181 Les calembours constituent un cas int ressant d un c t ils peuvent appara tre comme des enfantillages d autant plus indignes de gens s rieux qu ils ne font rire que s ils n ont aucun sens mais d un autre c t ils contribuent de la sorte d sacraliser le pouvoir signifiant des mots et portent la contestation au c ur m me de ce qui fait la litt rature l art d accommoder les mots Ils peuvent appara tre alors comme le meilleur outil de la d s illusion souhait e par l homme lucide et d sesp r dont l humoriste Alphonse Allais tait un bon sp cimen
15. au point d une v ritable machine infernale afin de rendre plausible la condamnation mort d un innocent victime coupable d un homicide accidentel la structuration en deux parties qui se r pondent et s opposent point par point le choix de la premi re personne et du pass compos l ext riorit du personnage tout ce qu il d crit comme s il n tait qu une cam ra enregistreuse le refus de liaisons logiques entre les faits pour mettre en lu mi re le r le d cisif du hasard roi proc d d j employ par Voltaire dans Candide l emploi du style direct contretemps pour souligner la banalit et la vacuit des changes verbaux le choix d un vocabulaire plat et d une syntaxe rudimentaire qui font contraste dans la sc ne du meurtre accident de l Arabe avec le lyrisme des images entra nant l identification du lecteur etc 77 Bernard Lalande crit ainsi qu En attendant Godot n apporte aucune assurance aucun message mais nous d barrasse de nos illusions ce qui est un bien En attendant Godot Profil d une uvre Hatier 1984 p 56 78 La question peut aussi se poser pour des textes ou dessins produits par des pensionnaires d h pitaux psychiatriques 79 Aucun grand g nie n a conclu et aucun grand livre ne conclut parce que l humanit elle m me est toujours en marche et ne conclut pas lettre Mie Leroyer de Chantepie du 18 mai 185
16. aussi citer Eug ne Ionesco qui acceptait fort bien que des publics fort diff rents aient donn de sa pi ce Rhinoc ros des lectures multiples en fonction de la situation politique et sociale o ils se trouvent Dans Antidotes Gallimard 1977 il crit ainsi Combien de personnes de classes sociales les plus diff rentes ne se sont elles pas reconnues en moi 193 In Le G nie du lecteur num ro sp cial de L cole des Lettres juillet 1999 n 14 p 3 194 Ainsi Pierre Lepape crit il rendant compte des mprovisations sur Balzac de Michel Butor Peut tre croit il lui m me cette profession de foi monarchiste et catholique mais ses textes n y croient pas si l on veut bien les lire attentivement Le Monde des livres 16 octobre 2000 p IT 195 Fran oise Collin op cit p 101 196 Charles Baudelaire Les Fleurs du mal Au lecteur Hypocrite lecteur mon semblable mon fr re
17. compressive qui selon le libertaire Mirbeau cherche tuer l homme dans l homme afin de le r duire l tat larvaire mais aussi au c ur de chaque individu qui du fait de sa pseudo ducation ali nante est perp tuellement d chir entre les instincts de sa nature et les contraintes et les interdits de sa culture comme le romancier en a fait la douloureuse exp rience 21 Il sait que pour se lib rer des pr jug s corrosifs inculqu s pendant des ann es il faut des efforts persistants qui ne sont pas la port e de toutes les mes Ainsi crit il propos des palinodies que lui reprochent les antis mites pendant l affaire Dreyfus Devant les d couvertes successives de ce qui lui appara t comme la v rit cet homme l de bonne volont est heureux de r pudier un un les mensonges o le retiennent si longtemps prisonnier de lui m me ces terribles cha nes de l ducation de la famille des pr tres ou de l tat C est plus difficile qu on ne pense d effacer ces empreintes tant elles sont fortement et profond ment entr es en vous 22 Ainsi bien avant Jean Paul Sartre et Eug ne Ionesco Mirbeau oppose les mes faibles les larves moutons et rhinoc ros d ment poss d s p tris 23 mascul s et cr tinis s par la famille l cole l glise et la presse 24 et qui perdent dangereusement toute autonomie et tout esprit critique au sein d une fouler251 et les
18. compte pour intituler son tude de la r ception de Germinal Librairie S guier 1989 49 C est ainsi que Mirbeau a d pendant douze ans faire le domestique en tant que secr taire particulier faire le trottoir en tant que chroniqueur gages de la presse bonapartiste et faire le n gre en r digeant des romans et nouvelles alimentaires pour le compte de fruits secs 50 Ainsi Mirbeau crit il dans un article de 1888 sur Rodin Le Chemin de la Croix L artiste est un tre privil gi par la qualit intellectuelle de ses jouissances et par ses souffrances elles m mes o il arrache l effort n cessaire lenfantement de son uvre Plus directement que les autres hommes en communicaton avec la nature il voit d couvre comprend dans l infini fr missement de la vie des choses que les autres ne verront ne d couviront ne comprendront jamais C E t II p 345 51 On pourrait citer l exemple d Antonin Artaud pour qui l criture a t un temps un moyen de se d solidariser des forces inconnues qui l assi geaient et d viter d tre submerg par elles ou celui d Henri Michaux irr ductible solitaire pour qui elle a valeur d exorcisme 52 Flaubert crit par exemple Le seul moyen de supporter l existence c est de s tourdir dans la litt rature comme dans une orgie perp tuelle lettre Mi Leroyer de Chantepie du 4 septembre 1858 in Correspondance de
19. d j dans S bastien Roch 1890 et servira de titre un roman d Edouard Estauni 1895 qui traite galement de l ducastration j suitique 23 Mirbeau qualifie les j suites de p trisseurs d mes C est le titre d un article paru dans Le Journal le 16 f vrier 1901 et recueilli dans ses Combats pour l enfant Ivan Davy 1990 pp 159 164 24 Voir la pr face de notre dition des Combats pour l enfant de Mirbeau et Les Combats d Octave Mirbeau pp 100 104 25 Mirbeau a intitul Paysage de foule deux de ses contes Contes cruels t I pp 411 417 et pp 502 507 26 Ce n est videmment pas un hasard si ces Lettres de l Inde ont paru sous le pseudonyme de Nirvana dans les colonnes du Gaulois pendant l hiver 1885 Voir notre dition critique parue aux ditions de L Echoppe Caen en 1991 27 Octave Mirbeau L Abb Jules loc cit pp 470 471 28 La formule appara t dans un article de 1877 sur La Fille lisa d Edmond de Goncourt Sur M duse voir Claude Herzfeld La Figure de M duse dans l uvre d Octave Mirbeau Nizet 1992 et Le Monde imaginaire d Octave Mirbeau Soci t Mirbeau Presses universitaires d Angers 2001 29 Pour l anarchiste Mirbeau il convient en effet de r duire l tat puissance d oppression son minimum de malfaisance comme il l explique dans une interview parue dans Le Gaulois du 25 f vrier 1894 30 Andr Comte
20. d tachement et fait de l uvre une fin en soi et le devoir de responsabilit qui implique un engagement et un enracinement social et risque de r duire l uvre un simple moyen au service d une cause qui la d passe la marge de man uvre de l crivain d sesp r est des plus troites et il risque fort comme Mirbeau pendant l affaire Dreyfus 139 d tre en permanence tir hue et dia e Je serais tent de signaler encore un septi me cueil que l on peut aussi consid rer comme commun tous les pr c dents le danger pour l crivain de se prendre au s rieux crire c est en effet assumer une fonction sociale occuper une certaine place souvent privil gi e dans la hi rarchie des m rites et de la reconnaissance disposer d une forme de c l brit f t elle limit e aux cercles troits des happy few tre charg de faire passer dans le lectorat un message ou des motions et partant exercer une forme de pouvoir ou tout le moins d influence et se situer du m me coup au dessus de la tourbe des humains Il n est qu jeter un coup d il sur les manifestes de toutes les coles litt raires depuis ceux du symbolisme 1886 puis de l cole romane 1891 r dig s par Jean Mor as jusqu ceux du surr alisme uvre d Andr Breton 1924 et 1930 en passant par le manifeste v riste de Louis Pilate de Brinn Gaubast 1888 ou le manifeste futuriste de Marinetti 190
21. d incoh rences de contradictions de vertus funestes de mensonges sinc res de vices ing nus de sentimentalit s f roces et de cruaut s naives qui rendent l homme si douloureux et si comique et si fraternelli20 Aussi la pr tentieuse psychologie des romans de Paul Bourget ce vidangeur des mesu21 lui appara t elle d sormais comme du 27 toc Ensuite parce que l uvre d art expression d un v cu unique n a rien voir avec la recherche scientifique et que son objectif exprimer ou sugg rer la vie multiforme est fondamentalement diff rent de celui d un savant qui tente d lucider les myst res de la nature 122 C est donc une mystification ridicule que de faire croire comme Zola que la litt rature puisse tre d termin e par la science que le roman doive devenir une science gr ce la m thode exp rimentale et que le romancier ait pour but d arriver au vrai Au bout il y a la connaissance de l homme la connaissance scientifique dans son action individuelle et socialer123 Nous ne voulons plus r plique Octave Mirbeau d s 1884 que la litt rature et la po sie ces myst res du cerveau de l homme soient de la physique et de la chimie que l amour soit traduit en formules g om triques qu on fasse de la passion humaine un probl me de trigonom trie124 Vouloir comme Zola ramener toutes choses des d terminismes simples r duire l homme des m c
22. de La Cantatrice chauve pi ce inspir e on le sait par les phrases d cousues de la m thode Assimil d anglais peuvent alors appara tre comme des mod les extr mes de lucidit litt raire L ennui est que apr s avoir ri ou souri des trouvailles cocasses de l auteur ce qui n est certes pas rien le lecteur est en droit de se demander si le jeu n est pas un peu trop gratuit pour ne pas tre suspect d inutilit Lucidit peut tre mais pour quoi faire et pour quoi dire LES D RAPAGES DE LA LUCIDIT L on commence deviner qu il ne va pas tre ais du tout de rester fid le au d sespoir inaugural pas plus qu l absurde camusien 59 et que la lucidit de l crivain risque de sombrer sur de multiples cueils alors que c est elle et elle seule qui peut viter l uvre de n tre plus qu un d risoire jeu de l esprit ou qu un vulgaire divertissement destin la consommation des masses ou qu un moyen de flatter un ego meurtri Nous allons envisager bri vement quelques uns de ces cueils sans la moindre pr tention l exhaustivit et sans nous attarder davantage sur le mercantilisme et l industrialisme d j pingl s de tous ceux qui dans une conomie capitaliste transformant toutes choses en marchandises ne visent qu amuser et caresser dans le sens du poil un public ab ti et avide de consolations factices et qui entretiennent les mensonges sur lesquels
23. de concr tiser les esp rances et qui sont r solus justifier tous les moyens au nom de fins suppos es mancipatrices On sait ce qu il en est advenu Pour Comte Sponville en effet sous quelque forme qu il soit accommod l usage du bon peuple l espoir qui selon la pr tendue sagesse des nations fait vivre n est en r alit qu une maladie et une drogue voire un opium 4 comme l crivait Mirbeau en 1897 propos de sa trag die prol tarienne Les Mauvais Bergersis quand ce n est pas une forme de suicide de la pens e comme le qualifie Albert Camus dans Le Mythe de Sisypher De fait l espoir constitue bien souvent une v ritable politique de l autruche Il interdit de regarder M duse en face et de se rendre compte par exemple que l univers est un vaste abattoir ou comme dit Mirbeau un immense un inexorable jardin des supplices 7 o tous les jours d innocentes cr atures sont mises mort au terme d atroces tortures ou bien que la soci t dite de consommation loin d tre ce que les publicitaires et les politiciens veulent nous faire accroire repose en r alit sur la mis re du plus grand nombre sur l exploitation du tiers monde sur la destruction de cultures ancestrales sur le saccage de la nature sur le gaspillage des mati res premi res non renouvelables et sur la mutilation des intelligences ou bien encore que ce qu il est convenu d ap
24. dont l appel r sonne au plus profond de l homme op cit p 37 72 Cf La Gen se d un po me dans Edgar Allan Poe Contes Essais Po mes Robert Laffont collection Bouquins 1989 pp 1004 1017 Poe crit notamment Pour moi la premi re de toutes les consid rations c est celle d un effet produire puis je cherche autour de moi ou plut t en moi m me les combinaisons d v nements ou de tons qui peuvent tre les plus propres cr er l efjet en question op cit p 1008 73 La pratique des ateliers d criture r serve cependant des surprises Ainsi le r alisateur Christian Vincent qui a con u son film Sauve moi partir du travail collectif d un atelier de Roubaix crit il Les textes les plus impressionnants venaient des gens qui n avaient aucune pratique de l criture aucune censure pas de regard sur ce qu ils crivaient Politis 7 septembre 2000 p 29 74 Roland Barthes Le Degr z ro de l criture Le Seuil 1954 p 26 75 Il arrive fr quemment aussi que les autobiographies et celle de Rousseau n chappe pas la r gle aient pour objectif premier de fournir l auteur toutes les justifications dont il a besoin le pass est alors relu et r interpr t la lumi re du pr sent Il est clair que de semblables apologies sont incompatibles avec la lucidit de l crivain d sesp r e 76 Cela comprend notamment la mise
25. du mot charme par exemple de Ronsard Paul Val ry Soit en prenant au pied de la lettre des expressions tellement usuelles qu on ne fait plus attention l image qu elles v hiculent afin de nous obliger percevoir les choses sous un jour nouveau ainsi dans L cume des jours Boris Vian voque t il un escalier d rob qui se d robe effectivement sous le pied du passant ou un pharmacien qui ex cute une ordonnance au moyen d une petite guillotine Soit encore en laissant les mots s agglutiner selon des affinit s qui n ont rien voir avec la logique mais qui n en sont pas moins r v latrices d une r alit mal camoufl e ainsi dans Les Amants farce de Mirbeau qui pr figure celles d Ionesco l Amant d sempar et insinc re d clare t 1l sa ma tresse r duite l tat d animal de compagnie Mais tu es mon soleil mon intelligence mon tout mon cher tout mon cher petit tout tout 184 Dans tous les cas de figure il s agirait pour les manieurs de mots de d celer par del l aspect ludique ou cocasse du proc d des similitudes insoup onn es de la froide raison ou des relations inattendues entre les choses voqu es par les mots voire une esp ce d au del des mots que l on n aurait jamais soup onn sans la suggestion po tique le rapprochement incongru ou la pointe d sopilante Dans le domaine de la po sie l effet produit peut aus
26. enfant avec l eau du bain de confondre le s rieux des choses elles m mes et l esprit de s rieux des grotesques qui se gargarisent de leur propre importance de tout mettre sur le m me plan le bien et le mal le beau et le laid la v rit et le mensonge la r gle et l abus le l gitime et l inadmissible le tol rable et le monstrueux et d aboutir une esp ce de nihilisme philosophique et de relativisme culturel ou pire encore sur le plan politique une sorte de populisme poujadiste dont l extr me droite fait ses choux gras et dont l histoire prouve qu ils peuvent tre extr mement pernicieux Et puis l universelle d rision et la salissante blague des ateliers d test e des Goncourt et de Mirbeauf145 ne camoufleraient elles pas une radicale impuissance prouver des motions ou bien les exprimer 146 N y aurait il pas un snobisme rebours affecter de tout m priser commencer par ce qui passe pas toujours tort pour noble et h ro que et tirer gloire de ce qui d ordinaire est source de g ne ou de honte Enfin est ce vraiment rester fid le au d sespoir initial que de se moquer de tout de tout jeter dans le m me sac d infamie sans op rer de tri ni par cons quent exercer un v ritable esprit critique Inversement 1l pourrait arriver que le rejet des dogmatismes en vigueur ne soit qu un pr lude l laboration d une nouvelle forme de dogmatisme
27. est l me de la vie lettre de 1853 Louise Colet Correspondance loc cit t II p 187 164 Mirbeau crit ainsi de lami Claude Monet Une de ses grandes originalit s c est qu il n a t l l ve de personne Il regarda la nature II ne voulut point d autre ma tre qu elle et il mit toute son nergie se d faire de ces quelques souvenirs ext rieurs de Courbet et de Manet qui nuisaient au d veloppement complet de sa personnalit Claude Monet Le Figaro 10 mars 1889 C E t I pp 355 357 165 L int r t de certains ateliers d criture peut tre pr cis ment de donner la parole des sans voix et des exclus de la culture dominante voir supra la note 73 Mais cela ne veut pas dire pour autant qu ils ne soient pas impr gn s de la culture de leur propre milieu 166 De moi dont le nom s tale en t te du volume sur la couverture jaune je ne retrouve rien crit Minti au chapitre III de son r cit confession uvre romanesque de Mirbeau t I p 187 167 Un exemple plaisant d impr gnation culturelle tait donn dans le domaine musical par un film italien interpr t par Laura Antonell Ma femme est un violonsexe o l on voyait un compositeur violoncelliste inspir au terme d une longue gestation accoucher d une ouverture de Rossini laquelle il ne manque pas un seul b mol 168 Dans le roman de Mir
28. et force ellipses 96 On sait que Freud a beaucoup choqu au d but du si cle en voyant dans l enfant un pervers polymorphe 97 M me ces derni res ann es les crivains des deux sexes qui ont voqu librement les d sirs sexuels des femmes ont suscit r probation et scandale par exemple Louis Calaferte dans Septentrion ou La M canique des femmes ou Christine Angot dans L Inceste 981 On a dit propos des viols par inceste que c tait le secret le mieux gard c est le titre d une tude de l Am ricaine Florence Rush consacr e l exploitation sexuelle des enfants Deno l Gonthier 1980 991 Aujourd hui la rubrique des faits divers des quotidiens rapporte de multiples cas de viols d enfants des deux sexes par des pr tres catholiques que l on traduit enfin en justice et que l on commence tardivement condamner mais quand en 1890 Mirbeau a voqu le sujet dans S bastien Roch r cit du meurtre d une me d enfant il s est heurt une v ritable conspiration du silence 100 Rappelons que en 1664 le cardinal archev que de Paris P r fixe r clamait le b cher contre l auteur de Tartuffe que la plupart des grandes uvres des philosophes du Si cle des Lumi res ont t br l es de la main du bourreau que le marquis de Sade a t br l en effigie et que en 1922 des centaines d exemplaires de l Ulysse de Joyce ont t br l s pa
29. g n ration Toute dispositio est donc suspecte d arbitraire et porteuse d illusion rationaliste s6 Mais est il possible de ne jamais rien disposer Resterait alors l ultime esquive l inach vement l instar de Bouvard et P cuchet de Flaubert de F lix Krull de Thomas Mann ou du r cit posthume de Mirbeau Un Gentilhomme pourtant entam d s 1900 propos duquel l universitaire am ricain Robert Ziegler crit Un r cit laiss en suspens peut contrecarrer les efforts du critique pour parfaire l uvre au moyen de l analyse De m me que l uvre tronqu e se refl te dans son lecteur castr l interpr tation ne peut tre concluante rien n est d finitif et la capacit du texte signifier est sans limites et reste ind finie 87 La cr ativit du lecteur en est videmment renforc e puisqu il peut compl ter le r cit sa guise sans trop se pr occuper des intentions du d miurge dont l autorit peut tre plus ais ment bafou e Mais une uvre inachev e que ce soit cause de l impuissance de l auteur en venir bout 88 ou parce qu il l a laiss e volontairement en chantier est in vitablement frustrante pour l crivain puisqu elle appara tra comme la preuve exp rimentale de son incapacit dire D s lors peut elle tre r ellement satisfaisante pour le lecteur et combler sa curiosit On est en droit d en douter e Un quatri me cueil est constitu
30. les sens pr conis par Rimbaud dans sa c l bre lettre Izambard en vue de se faire voyant ou la faveur des r ves tels que ceux retranscrits par Robert Desnos son r veil ou en recourant des stup fiants suppos s jouer le r le de r v lateurs l exemple d Henri Michaux il n est pas exclu pensent les irr ductibles optimistes qu il parvienne d couvrir en lui m me soit des d sirs refoul s soit des traumatismes enfouis dans les profondeurs de l inconscient et sources de n vrose selon la vulgate freudienne laquelle je ne crois gu re et qui pourrait bien n tre qu une forme d illusion scientiste soit encore le fonctionnement r el de la pens e comme le soutient le pr somptueux Manifeste du Surr alisme de 1924 Beaucoup moins conventionnellement que ces tartes la cr me il n est pas exclu non plus que ce faisant 1l d gage de sa gangue l inconnu que chacun porte en soi et qui peut appara tre au premier abord comme monstrueux comme celui que r v le par exemple la mythologie de Michaux ou tel le Mirbeau fort inattendu chauffard craseur de chiens et d enfants que d couvre avec tonnement le lecteur de La 628 E8 1907 L criture peut constituer alors une sorte d exp rimentation mais pas du tout dans le sens o l entendait Zola et partant devenir un moyen de connaissance de soi voire comme l crit la po tesse et philosophe Fran
31. mes fortes mes d exception qui r sistent aux forces d oppression ne serait ce qu en leur opposant leur propre force d inertie comme les cancres de lyc e et qui ne deviennent elles m mes qu au terme d une douloureuse asc se l instar des grands dieux de son c ur Auguste Rodin et Claude Monet Cette asc se est elle suffisante pour autant et permet elle vraiment de parvenir une s r nit proche du bonheur entrevu Mirbeau est trop lucide pour croire la chose possible comme tout id al le bonheur est inaccessible et tel un mirage s loigne chaque fois que l on croit s en tre rapproch Face au tragique de notre condition il en arrive alors comme l abb Jules souhaiter l extinction de la conscience Ce que les bouddhistes voqu s avec sympathie dans les Lettres de l Inde appellent le Nirvana 26 d faut d y parvenir 1l convient du moins comme le pr che l abb Jules de diminuer le mal en diminuant le nombre des obligations sociales et de se d tacher progressivement de tout ce qui entrave l ascension les remords qui attristent les passions d amour ou d argent qui salissent les inqui tudes intellectuelles qui tuent Au terme de ce d pouillement d inspiration schopenhauerienne il faudrait arriver ne plus sentir son moi tre une chose insaisissable fondue dans la nature comme se fond dans la mer une goutte d eau qui tombe du nuage Mais reconna t l abb Ju
32. monologues De l autre Georges P rec plus subtil encore utilise un proc d diam tralement oppos pour produire un effet comparable dans La Vie mode d emploi 1978 c est en effet l exc s m me de l invraisemblable rigueur d une construction en forme de d fi qui nous met la puce l oreille assimilant le romancier un fabricant de puzzles destin s au lecteur charg de les reconstituer il nous interdit d oublier le caract re ludique et contingent de l exercice e Troisi me cueil ins parable des deux pr c dents celui du rationalisme d autant plus dangereux que les lecteurs et les auteurs ont le plus grand mal l esquiver Les premiers parce qu ils sont avides de clart 71 et l instar des amateurs de romans policiers souhaitent comprendre et donner sens ce qu ils lisent et partant ce qu ils vivent comme si dans le chaos environnant tout tait rationnel et devait malgr tout avoir un sens ce qui ne peut qu inciter les auteurs r pondre leur attente dans la mesure o toute criture litt raire a une destination sociale Les seconds parce que quand ils laborent leur uvre ils sont bien oblig s de mettre en branle leur raison pratique en vue de d terminer aussi froidement que possible les moyens les mieux adapt s aux effets produire ou aux id es exprimer comme Edgar Poe l a lumineusement expliqu dans son fameux texte sur la gen se d
33. notre enthousiasme ou notre d go t 36 En deuxi me lieu une esth tique du d sespoir se garde de tout finalisme et du d sir minemment suspect de l crivain ou de l artiste de donner du monde une vision claire et intelligible ce qui serait pr supposer apr s Descartes un dieu rationnel et bienveillant Pour contribuer d truire l illusion romanesque qui entretient l illusion rationaliste et l illusion finaliste sur lesquelles nous reviendrons Mirbeau va proc der des romans collages tels que Le Jardin des supplices ou Les 21 jours d un neurasth nique faisant voisiner des textes de nature et de ton tr s diff rents et mettant rude preuve les habitudes culturelles de lecteurs d concert s contraints de se demander quel degr de lecture 1l convient de situer le texte voire si comme le souhaitait Flaubert le romancier ne se paye pas carr ment leur t te Dans un univers qui n ob it aucune finalit et o rien n a de sens o r gnent le chaos et l entropie 1l serait vain d attendre de l uvre d art en g n ral et du roman en particulier qu ils nous rassurent en nous offrant une vision claire ordonn e et totalement intelligible du monde ce ne serait qu une grossi re mystification Enfin une esth tique mat rialiste doit r cuser l inspiration et le romantisme Ainsi Mirbeau dans la continuit de Gustave Flaubert a toujours mis l accent sur la n cessit imp rieuse pour
34. plus subtile que les autres certes mais qui ne vaudrait pas beaucoup mieux que les religions ali nantes les meurtri res utopies politiques ou les philosophies id alistes verseuses d illusoires consolations Taraud par ce soup on Mirbeau par exemple en arrive souvent blasph mer ce qu il a ador Rien de plus parfaitement abject que la litt rature Je ne crois plus Balzac et Flaubert n est qu une illusion de mots creux crit il Claude Monet en 1890157 Nombre d auteurs lucides ont partag ses doutes notamment Jane Austen qui constatait d j il y a pr s de deux si cles que les mots sont utilis s pour ne pas penser aux choses et qu ils ne sont donc qu un vulgaire divertissement dans l acception pascalienne de ce mot et Flaubert qui tait parfaitement conscient de la vanit de sa propre entreprise l instar de celle de ses anti h ros Bouvard et P cuchet e Une deuxi me contradiction appara t entre le caract re myst rieux nigmatique imp n trable inintelligible d un univers contingent et par cons quent absurde au sens camusien du termel158 et le souci p dagogique d crivains lucides un tant soit peu soucieux de le pr senter sous un jour tel que leurs lecteurs puissent l appr hender quels que soient par ailleurs leurs projets litt raires leurs pr suppos s philosophiques ou leurs choix politiques Ce d calage entre l obscurit des choses et l ind
35. pour une nouvelle m thode d alphab tisation etc l action laquelle il se rallie ne saurait avoir que des objectifs tr s long terme pour ne pas dire qu en r alit ces objectifs lointains n ont aucune chance d tre jamais atteints Il s agit de pr parer les conditions sociales d une r volution culturelle qui transforme l homme en profondeur et sans laquelle les r volutions politiques sont condamn es avorter dans le sang comme les grandes trag dies du vingti me si cle en apporteront la confirmation exp rimentale Comme l crit Comte Sponville opposant la vie et la pens e si l on ne peut vivre sans illusions on peut penser sans mystifications et s il est vrai qu il n y a pas de politique sans illusions il peut exister une philosophie politique sans mystifications 44 En bon mat rialiste Mirbeau est bien progressiste et se bat sans rel che pour un peu moins d injustice et de mal tre ou comme dira Albert Camus pour diminuer arithm tiquement la douleur du mondej45 comme si l homme tait amendable et la soci t perfectible Mais 1l se refuse sombrer dans les mystifications de la propagande et les r ves souvent sanglants de l utopisme Selon la formule de Jaur s au pessimisme de la raison il oppose l optimisme de la volont Mais la coexistence de ces deux postulations simultan es et contradictoires n est pas facile vivre D SESPOIR ET CRITURE Ainsi le d sespo
36. repose l ordre ou plut t le d sordre social ce ne sont que des industriels fabriquant un produit adapt l tat du march et le devoir de lucidit leur est bien videmment tranger Il est malheureusement craindre que la plupart des best sellers expression combien r v latrice n appartiennent cette r mun ratrice cat gorie D tournons en notre regard afflig pour ne consid rer que des uvres relevant vraiment de la litt rature e Le premier cueil pour des crivains dignes de ce nom est naturellement constitu par toutes les manifestations possibles d id alisme Au premier chef bien s r chez ceux dont l uvre refl te ouvertement une id ologie spiritualiste ou id aliste soit parce qu eux m mes ne sont pas parvenus l indispensable d s illusion en forme d asc se soit parce qu ils cherchent dans une foi religieuse une vision eschatologique ou une esp rance politique long terme d illusoires consolations leur angoisse existentielle ou aux maux de la soci t 60 soit encore parce que comme dit Camus 1ls vivent non pour la vie elle m me mais pour quelque grande id e qui la d passe la sublime lui donne un sens et la trahitiei Mais c est aussi paradoxalement le cas chez nombre de ceux qui camouflent leur id alisme sous les apparences d un mat rialisme pur et dur qu il soit m caniste comme chez Zola ou dialectique comme chez tous
37. ses lecteurs et de les d s 1llusionner comme il s est d s illusionn lui m mer13 Mais et c est ce qui fait son originalit et sa modernit cela ne l a pas emp ch pour autant de continuer vivre et se battre sans r pit sans rien esp rer ici bas et sans entretenir la moindre illusion sur ce qui nous attend post mortem pour substituer l universel chaos la mis re de notre condition et l injustice sociale un monde un tout petit peu plus supportable et humain L thique qu il a labor e l esth tique qui impr gne sa critique d art et ses romans et son engagement politique d intellectuel dreyfusard et libertaire t moignent d un mat rialisme sans failles C est pourquoi il constituera un exemple de choix e Une thique mat rialiste la pseudo morale qui tombe du ciel qui est impos e par une autorit religieuse ou politique ou par le d sastreux succ dan qu est l autorit paterneller14 et qui se r v le l usage minemment compressive et liberticide il convient de substituer une thique qui s l ve de la conscience du sujet et qui se propose de chercher le bonheur en soi m me Comme l crit Andr Comte Sponville le mat rialisme d truit la morale comme th orie des devoirs et la remplace par une thique comme th orie du bonheur usy C tait d j ce que pr chait l abb Jules h ros ponyme du roman de Mirbeau 1888 rejetant vio
38. tre lucide elle ne saurait avoir de sens faute d un dieu organisateur du chaos en cosmos parce que l crivain a compris ce que les larves humaines adeptes de la politique de l autruche refusent de regarder en face qu il prouve le besoin de traduire en mots son exp rience du d sespoir Le polissage et le repolissage de l uvre au lieu de n tre qu un simple moyen au service de l id e exprimer tendent alors devenir une fin en soi l affirmation d une esth tique en m me temps que d une thique et le patient travail de l artiste artisan tiennent lieu de transcendance et l crivain refusant d tre un substitut de Dieu se contente d tre un d miurge qui arrange sa fantaisie les mat riaux dont il dispose L crivain artiste peut alors du moins s il ne tend pas ses filets trop haut selon l expression de Stendhal car alors tels Flaubert et Mirbeau 1l ne peut tre que perp tuellement d u et d courag prouver face l uvre achev e la satisfaction du cr ateur face Lenfant d un nuit d Idum e comme dit le po te s5 si parfaitement conforme ce qu il a r v Mais ne court il pas d s lors le risque de se prendre trop au s rieux nous y reviendrons de sombrer dans l autosatisfaction et d en tre aveugl sur son propre compte ou de sacrali ser la litt rature en oubliant son caract re profane voire de se proclamer d crypt
39. v ler paradoxalement lucide aux yeux d un anarchiste en r volte 61 Albert Camus op cit p 21 62 Alphonse de Lamartine Genevi ve Nelson Calmann L vy 1932 p 52 63 Il en est de m me dans des formes po tiques telles que le sonnet o bien souvent les treize premiers vers ont pour fonction premi re de pr parer le dernier en fonction duquel a t compos tout le po me C est vident aussi bien chez Ronsard et Du Bellay que chez Baudelaire voir L Albatros Heredia voir Soir de bataille ou Mallarm voir Le Tombeau d Edgar Poe 64 C est ce que avant Mirbeau niait aussi Gustave Flaubert qui a apport une illustration romanesque de ce refus du sens avec Bouvard et P cuchet 65 Beaumarchais Le Mariage de Figaro Garnier Flammarion 1999 Pr face p 60 66 Octave Mirbeau La Mort de Balzac d du F lin Arte 1999 p 27 67 Gustave Flaubert lettre Mie Leroyer de Chantepie du 18 mars 1857 in Correspondance loc cit tome III p 78 68 mile Zola Le Roman exp rimental Fasquelle s d 1880 p 16 69 Ibidem p 17 p 28 p 29 et p 10 70 Mirbeau a publi dans la presse sous le titre loquent de Fragments des chapitres du Jardin des supplices et du Journal d une femme de chambre sans donner au lecteur les moyens de les situer et de leur donner un sens par rapport un ensemble 71 Camus parle de d sir perdu de clart
40. 43 leurs uvres ne survivront certainement pas Rien de caduc autant que les uvres s rieuses a pronostiqu Andr Gide dans son Journal Heureusement face aux auteurs pontifiants reconnus lagarde et michardis s honor s de leur vivant de la faveur des grands et post mortem de l ternelle reconnaissance des petits b ats d admiration il a toujours exist dans le champ litt raire des courants contestataires libertaires marginaux d braill s et volontiers port s sur la dive bouteille qui refusaient absolument de se prendre au s rieux et qui jubilaient faire la nique aux crivains consacr s acad mis s pensionn s et couverts de d shonorantes breloques comme des animaux gras ou des commissionnaires 144 Depuis Rabelais Th ophile de Viau Saint Amant Cyrano de Bergerac et Scarron jusqu Jacques Pr vert Boris Vian ou Pierre Dac voire Raymond Queneau et l OuLiPo en passant par le Th tre de la Foire les chansonniers Panard D saugiers et B ranger la boh me romantique les Hydropathes le Chat Noir Alfred Jarry et les pataphysiciens Alphonse Allais Reboux et Muller Apollinaire Dada Le Grand Jeu et beaucoup d autres nombreux sont ceux qui avec des fortunes diverses et sous les formes litt raires les plus diff rentes ont manifest leur refus d une litt rature trop s rieuse pour ne pas tre suspecte de dogmatisme mortif re La d sinvolture l g
41. 7 in Correspondance de Flaubert loc cit t II p 84 80 Une v ritable uvre d art n a pas besoin de r quisitoire La logique de l uvre suffit toutes les postulations de la morale et c est aux lecteurs tirer les conclusions de la conclusion L Art romantique Lemerre s d p 371 81 Il crit par exemple dans Le Roman exp rimental loc cit p 29 Souvent j ai dit que nous n avions pas tirer une conclusion de nos uvres et cela signifie que nos uvres portent leur conclusion en elles Cette formule sous entend cependant que la marge de libert laiss e au lecteur est fort mince puisque l uvre comporte sa propre conclusion implicite 82 Sortant d une maison close Fr d ric Moreau et son ami Deslauriers d clarent l un apr s l autre C est l ce que nous avons eu de meilleur Garnier 1954 p 427 83 Sylvie Thorel Cailleteau R alisme et naturalisme Hachette 1998 p 81 84 C est l opinion d un universitaire italien Ruggero Campagnoli Voir Seminari pasquali di analisi testuale n 8 consacr au Jardin des supplices Ed E T S Bologne Pise 1993 p 80 85 Ainsi dans S bastien Roch Mirbeau est il la fois le petit S bastien la sensibilit d artiste et le r volt et taiseux Bolorec dans L Abb Jules il est la fois Jules et son neveu dans le dernier chapitre des 27 jours d un neurasth nique il est la fois le narrateu
42. 9 ou sur des textes th oriques tels que Le Roman exp rimental de Zola 1880 ou les fumeux trait s philosophico litt raires du S r Jos phin P ladan 1892 1897 ou encore sur les pr faces dont tant d auteurs accompagnent pr somptueusement leurs uvres 140 pour tre difi sur leur propension se prendre au s rieux voire pour certains atteints de nombrilisme se gonfler d autant plus de leur importance qu elle est moins vidente et du m me coup perdre une bonne partie de leur esprit critique Ce sont l pures grimaces pour reprendre l expression pascalienne affectionn e par Mirbeau 141 faites par des gens qui oublient en jouant leur r le qu il s agit du r le d un personnage emprunt 142 Elles sont bien videmment contraires la modestie dont doit faire preuve l crivain d sesp r qui est perp tuellement d chir par la conscience de ses ind passables contradictions et par le sentiment lancinant de ses limites ou de son impuissance Il est clair que l auteur qui se prend au s rieux et perd du m me coup sa lucidit va s rieusement gauchir son uvre pour lui conf rer une port e qu elle n a pas ou pour la faire entrer de force dans un cadre jug plus appropri ses ambitions au risque de tomber bien involontairement dans l insignifiant ou le grotesque Innombrables sont ceux qui sont tomb s dans ce pi ge et ont perdu toute cr dibilit r1
43. Gustave Flaubert Charpentier Fasquelle 1916 tome II p 141 53 Charles Baudelaire Les Bons chiens Le Spleen de Paris Petits po mes en prose Librio 1997 p 88 54 Dans Les Po tes mausits 1884 Paul Verlaine qualifiait ainsi St phane Mallarm Tristan Corbi re Arthur Rimbaud Villiers de l Isle Adam Marceline Desbordes Valmore et lui m me 55 St phane Mallarm Don du po me 1865 56 Il n est pas iconoclaste de se poser la m me question pour des crivains de la stature d Andr Gide de Romain Rolland de Jean Paul Sartre d Andr Malraux et m me d Albert Camus dans la mesure o leur succ s public et la reconnaissance institutionnelle ont fait d eux des oracles aux yeux de quantit d admirateurs Ainsi Boris Vian a t il tourn en d rision la sartromania des lendemains de la guerre dans L cume des jours 57 Pour Baudelaire la condition g n ratrice des uvres d art est l amour exclusif du Beau et le Beau est l unique ambition le but exclusif du go t Th ophile Gautier in L Art romantique Lemerre s d pp 149 150 58 Le cas d Alphonse Allais pr sente cette particularit que s il fait rire son lecteur il n y prend gu re de plaisir lui m me et n crit qu aiguillonn par la n cessit comme le note son biographe et diteur Fran ois Caradec Tous ses textes sont crits sous la contrainte des d
44. LUCIDIT D SESPOIR ET CRITURE Texte revu et compl t par l auteur de la conf rence donn e l initiative des ditions Pleins feux le 9 d cembre 1999 Nantes Soci t Octave Mirbeau Presses de l Universit d Angers Angers 2001 PIERRE MICHEL LUCIDIT D SESPOIR ET CRITURE Soci t Octave Mirbeau Presses de l Universit d Angers Angers 2001 AVANT PROPOS C est apr s m avoir entendu traiter du mat rialisme radical et d sesp r du romancier dramaturge pamphl taire et critique d art Octave Mirbeau 1848 1917 que Didier P rigois des ditions Pleins Feux de Nantes m a propos de r fl chir aux probl mes des relations entre la lucidit ins parable du d sespoir et l criture Le d sespoir et quel d sespoir est il une condition d accession au r el Est il soluble dans l criture La lucidit face au r el est elle une condition de l criture Ou bien n est ce pas plut t l criture qui serait la source de toute lucidit Quelles relations y a t il entre une vision d sesp r e du monde de la soci t et de la nature humaine d un c t et de l autre l outil et le mat riau que constituent les mots pour l crivain Vastes questions en v rit o convergent litt rature et philosophie esth tique et psychologie et sur lesquelles j ai d autant moins la pr somption d apporter des r ponses tranch es que j
45. Sponville op cit t I p 49 B1 Ibidem t I p 214 32 Octave Mirbeau La France 8 novembre 1884 article recueilli dans ses Combats esth tiques C E Nouvelles ditions S guier 1993 t I p 72 33 Octave Mirbeau Aristide Maillol La Revue 1 avril 1905 C E t II p 386 M me id e vingt ans plus t t En art il n y a rien d absolument exact et rien d absolument vrai Ou plut t il existe autant de v rit s humaines que d individus Le R ve La France 3 novembre 1884 Formulation pr pirandellienne 84 Octave Mirbeau Des peintres Le Figaro 9 juin 1908 C E t I p 474 35 Andr Comte Sponville op cit t I p 111 86 Octave Mirbeau pr face au catalogue de l exposition F lix Vallotton janvier 1910 C E t IL p 496 Le roman Dingo 1913 offrira Mirbeau une nouvelle occasion de remettre en cause sa propre autorit d crivain Voir l article de Pierre Michel Mirbeau et l autofiction dans les Cahiers Octave Mirbeau n 8 para tre en avril 2001 87 Octave Mirbeau Premi res chroniques esth tiques Presses de l Universit d Angers Soci t Octave Mirbeau 1996 p 152 38 Octave Mirbeau Le Salon La France 1 mai 1885 C E t I p 78 39 Le v ritable cr ateur est celui qui dans son uvre livre tableau symphonie se cr e lui m me Le R ve La France 3 novembre 1884
46. a mesure o comme l crit Arlette Bouloumi le sens de l uvre jamais fix est sans cesse congu rir193 Cette participation du lecteur est particuli rement imp rative dans des uvres romanesques par ailleurs fort diff rentes telles que celles de William Faulkner de James Joyce de Georges P rec voire d Alain Robbe Grillet par exemple Les Gommes quand le recours syst matique l ellipse la confusion des temps des lieux et m me des personnages chez Faulkner notamment la multiplicit des voix narratives ou la coul e d un monologue int rieur d apparence herm tique ou encore l adoption par l auteur de r gles inconnues du lecteur exigent de ce dernier qu il soit perp tuellement en veil et r interpr te constamment chaque donn e mais sans la moindre garantie de validit la lumi re des l ments nouveaux apparus au fil du r cit Ensuite le fait que le sens effectif d une uvre aux yeux de la plus grande partie de ses lecteurs puisse tre totalement diff rent de celui que l auteur a pr tendu consciemment lui conf rer Ainsi la port e objecti vement progressiste de la Com die humaine et pas seulement au regard des critiques marxistes chappe t elle aujourd hui aux vis es d un romancier politiquement obscurantiste et partisan du Tr ne et de l Autel 1194 et l analyse pascalienne de la condition humaine d ment la cis e et coup e de ses racines jans n
47. a griserie de la libert nouvellement conquise pourrait pousser l crivain la facilit voire l extr me au n importe quoi on l a vu il y a un si cle avec le vers libre qui pour Mirbeau n tait qu une mystification dans la mesure o il y cherchait en vain l expression de quelque chose pens e motion ou sensation 109 on l a vu aussi avec le terme de roman qui a fini par recouvrir les productions les plus diverses et par tre sans objet comme Baudelaire le d plorait d j il y a pr s d un si cle et demif110 Sauf en arriver l criture automatique force est aux auteurs qui s mancipent des formes g n riques traditionnelles de fixer eux m mes leurs uvres des r gles sp cifiques et non g n ralisables qui leur conf reront seules un minimum d unit et d efficacit mais au risque de tomber alors dans l illusion rationaliste ou finaliste malgr qu ils en aient D autre part parce que si au contraire il se cr e des formes nouvelles sur les ruines des anciennes elles pourraient fort bien tre f tichis es et se figer leur tour en se conformant des r gles impos es dogmatiquement et par suite ne produire que de nouveaux st r otypes et aboutir un nouvel acad misme qui ne vaudrait pas forc ment mieux que le pr c dent On l a vu dans le domaine des beaux arts o sous pr texte de modernit un nouvel art offici
48. age des lyc ens Vouloir faire entrer de force une masse de mat riaux divers dans une forme pr tablie c est videmment leur imposer des d formations incompatibles avec le devoir de lucidit qu il s agisse des genres po tiques fixes tels que le sonnet acclimat en France par Du Bellay de la trag die classique sur le mod le fran ais de la pi ce bien faite coul e dans le moule d Eug ne Scribe ch re au c ur de Francisque Sarcey ou du roman pr tendument r aliste du XIX si cle qui tend se normaliser pour conqu rir ses lettres de noblesse et appara tre comme un genre s rieux et digne de respect On comprend que le roman et le th tre aient travers au tournant du si cle lorsqu a commenc l re du soup on selon l expression de Nathalie Sarraute 107 une crise qui a rendu possibles par del les fronti res g n riques h rit es du pass l affirmation de la totale libert de l crivain la qu te de voies originales et l mergence de formes renouvel es Il fallait bien mettre mort les genres fix s par la tradition pour pouvoir aller de l avant et donner sa chance une litt rature vivante Cependant si justifi e qu elle soit dans son principe cette contestation radicale des genres litt raires n est pas sans pr senter elle aussi quelque danger D une part parce que tout art vivant de contraintes comme l a bien compris Andr Gide 108 l
49. ait preuve d une lucidit d sesp r e qui nous autorise voir en lui le prototype du mat rialiste moderne cher au c ur de Comte Sponville C est pourquoi nous nous r f rerons souvent son uvre et ses combats Mais il convient avant d aller plus loin et afin de nouveau d viter tout contresens de pr ciser que ce mat rialisme au sens philosophique du terme n a videmment rien voir avec le pr tendu mat rialisme trivial de la soci t de consommation qui se situe aux antipodes de la sagesse d sesp r e du philosophe ce n est en r alit qu un id alisme na f et grossier que le produit d illusions grossi res concoct es ad usum populi par le d cervelage publicitaire les super niaiseries hollywoodiennes et t l visuelles et la d magogie des aventuriers de la politique en qu te d lecteurs moutonniers tondre i2 puisqu il fait croire aux consommateurs que le bonheur est dans les choses et qu ils seront d autant plus heureux qu ils auront consomm davantage la diff rence de ceux qui tentent d risoirement de combler le vide existentiel par des valeurs sacralis es ou divinis es fussent elles purement commerciales Mirbeau est un v ritable ath e il n a substitu aucun dieu nouveau ceux des vieilles religions charlatanesques d mon tis es et 1l a entrepris un norme effort de d mystification de d sacralisation et de d rision en vue de dessiller les yeux de
50. amment l humour l ironie la d rision l h naurmit sape du m me coup l illusion romanesque en interdisant de faire du texte une lecture au premier degr Reste que l encore la transgression du code de cr dibilit ne saurait elle seule prouver le g nie de l crivain que l apparente incoh rence interne de l uvre n est pas en soi une qualit si elle ne d bouche pas sur une r v lation ou une motion qui la justifie et que la distanciation et la d sinvolture n ont d int r t que si au del du sourire ou du rire elles permettent vraiment au lecteur d exercer son esprit critique et de se d barrasser de ces grandes pens es dont se moque Ionesco dans Antidotes Pr coniser l incoh rence ou la contradiction comme principes d criture peut m me devenir suspect ne pourrait on pas y d celer un sympt me d impuissance Le code de la biens ance pour sa part interdit au nom de la pseudo morale des bien pensants et de l ordre social qui profite aux dominants que l on traite dans la litt rature des sujets tabous ou shocking fussent 1ls tout fait courants dans la vie Il peut s agir au premier chef de sujets implications politiques ou religieuses en butte la censure de l tat ou de l glise dont la respectabilit ne saurait tre mise en cause sans que ces institutions sacro saintes se sentent menac es de vaciller sur leur base 92 On compren
51. anismes l mentaires et la psychologie la physiologie c est nier l infinie complexit de la vie c est mutiler l me humaine c est nous proposer au nom de la science une vision du psychisme qui ne peut tre que mensong re et c est de surcro t nier l apport sp cifique de la cr ation artistique En troisi me lieu et nous y reviendrons plus loin le roman pr tendument r aliste pr suppose que cette r alit objective et intelligible puisse tre exprim e par le truchement des mots et que le langage soit apte notamment restituer la richesse de l exp rience humaine et la beaut de la nature Mirbeau comme bien d autres apr s lui n en est pas du tout convaincu D une part parce que la nature est tellement merveilleuse qu il est impossible n importe qui de la rendre comme on la ressent confie t 1l au peintre Claude Monet en 18871125 D autre part cause des insuffisances propres au langage qui n est lui aussi qu une convention culturelle sans prise sur les choses Pour toutes ces raisons Maupassant pr f rait parler d illusionnisme plut t que de r alisme Car ce n est pas la r alit qu est confront le lecteur d un roman ou le spectateur de th tre mais un simple simulacre rendu cr dible et plausible et donnant l illusion compl te du vrai gr ce un certain nombre d effets de r el selon l expression de Barthes produits par l habi
52. ard de tout ce qu un vain peuple respecte aveugl ment la fantaisie d brid e la caricature le go t de l h naurmit les clins d il au lecteur la parodie et le pastiche des illusions dominantes v hicul es par la litt rature s rieuse la pratique permanente de l ironie de l humour et de la d rision y compris l indispensable autod rision qui constitue le meilleur garde fou caract risent ces courants rest s fid les la lucidit sans laquelle l criture n est qu un vain mensonge Dans un univers litt raire corset soumis de multiples interdits des contraintes politiques ou des pressions conomiques et o l crivain risque toujours d tre instrumentalis ou r cup r que ce soit par le pouvoir en place par le march comme on dit aujourd hui ou par un contre pouvoir du genre de celui exerc pendant des d cennies par le Parti Communiste Fran ais ils ont fait souffler sur la R publique des Lettres un salutaire vent de libert et de v rit 1ls ont arrach bien des masques r v l bien des grimaces et des mystifications Force est cependant de se demander si de nouveaux dangers ne risquent pas de surgir pour peu que l esprit de r volte qui sous tend cette marginalit litt raire ne se fixe n1 limite n1 garde fou efficace contre les risques inh rents au fumisme Plus rien n tant pris au s rieux ne risque t on pas de jeter l
53. art l utopisme politique ou religieux fauteur des illusions majeures qui ont pr cipit la plupart des grandes catastrophes de l histoire C est par exemple ce que sugg re Olivier Rolin propos d Henri Michaux La litt rature est une pens e la plus vaste qui soit puisqu il lui arrive m me d tre pens e de ce qu elle ne pr tend pas pensertis9r Au lieu de partir d une id e pr existante qu il s agisse d une th se faire passer ou simplement d une Weltanschauung toute subjective elle constituerait un moyen irrempla able de construire une pens e originale et non programmable dans la dynamique m me d une criture chappant au contr le mutilant de la raison ou aux contraintes de la vie sociale Comme le dit Fran oise Collin toute criture va en direction de l inconnul190 et constitue donc une belle et fructueuse aventure de la pens e Ce dynamisme de l criture porteuse de riches potentialit s pourrait permettre de comprendre deux ph nom nes souvent constat s encore que parfois vivement contest s Tout d abord le fait qu une uvre litt raire m me achev e ne soit pas vraiment close n1 referm e sur elle m me et ne se r duise jamais son contenu objectif il reste au lecteur faire la moiti d un travail minemment subjectif comme l affirment notamment Jean Paul Sartre 191 et Michel Tournier 192 qui relativisent ainsi le r le de l crivain dans l
54. article recueilli dans les Combats litt raires de Mirbeau para tre aux Belles Lettres en 2001 40 Octave Mirbeau Questions sociales Le Journal 20 d cembre 1896 Voir aussi Un Mot personnel en d cembre 1897 Le collectivisme me para t une doctrine abominable plus que les autres parce qu elle ne tend qu asservir l homme lui ravir sa personnalit tuer en lui l individu au profit d une discipline ab tissante d une ob issance esclavagiste 41 Andr Comte Sponville op cit t I p 125 42 Andr Comte Sponville op cit t I pp 127 128 43 Mirbeau a tout de m me consenti faire trois exceptions en faveur de ses compagnons dreyfusards Georges Clemenceau Jean Jaur s et Aristide Briand Mais les trois l ont successivement d u Jaur s en sacrifiant son thique la politique partidaire et les deux autres en trahissant leurs promesses une fois parvenus au pouvoir 44 Ibidem t I p 151 45 Dans La Peste le docteur Rieux sait pertinemment que les victoires remport es contre la mort ne sont que provisoires mais il ajoute en mat rialiste d sesp r Mais ce n est pas une raison pour cesser de lutter Livre de Poche 1965 p 103 46 Albert Camus Le Mythe de Sisyphe Gallimard 1942 p 49 47 Ibidem p 38 48 L expression est de Philippe Gille critique litt raire du Figaro la fin du XIX si cle Alain Pag s l a reprise son
55. aubert appelait faire la pyramide et qu il refusait Du m me coup chaque fragment de r cit ou chaque r plique des dialogues occupe une place d termin e l avance remplit une fonction et a une utilit aux yeux du lecteur tout devient coh rent et semble donc avoir un sens 64 et une finalit par r f rence au projet du romancier ou du dramaturge qui appara t alors comme un substitut de Dieu l ordonnateur du monde Ainsi Beaumarchais avoue t 1l ing nument que dans Le Mariage de Figaro il a form son plan de fa on y faire entrer la critique d une foule d abus qui d solent la soci t 651 Presque tous les auteurs de fiction quelles que soient par ailleurs leurs intentions auraient pu signer une d claration du m me tonneau et le roman policier la mani re d Agatha Christie ne constitue qu un cas extr me du finalisme inh rent au roman traditionnel et partant de de la rationalisation finaliste du monde qu il induit Quant Balzac on sait qu il faisait pr cis ment du romancier un ersatz de Dieu et entendait concurrencer l tat civil sa vie est selon le mot de Mirbeau un permanent foyer de cr ationf s et le titre de Com die humaine qu il a donn l ensemble de ses uvres narratives sign es de son nom fait de toute vidence pendant la Divine com die M me l ath e Flaubert crit paradoxalement que l artiste doit tre dans son uvre comme Di
56. aux descriptions objectales d Alain Robbe Grillet voir par exemple La Jalousie le reproche lanc par Odilon Redon aux peintres impressionnistes celui de rester la surface des choses et d tre trop bas de plafond Soit au contraire parce que l criture dans sa dynamique propre tend chapper au contr le tatillon d une conscience enracin e dans une pseudo raison imbue de son infaillibilit ce qui pourrait lui permettre d ouvrir des horizons nouveaux et de raffermir la lucidit du scripteur C est ce point que nous allons aborder tr s bri vement pour finir e Lucidit sur soi m me tout d abord On sait que l introspection est suspecte et que le connais toi toi m me recommand par Socrate et Montaigne se heurte d insurmontables obstacles Parce que comme dit Pascal notre propre int r t est un excellent instrument pour se crever les yeux agr ablementl176 et que ce qui nous semble raisonnable est bien souvent dict par cette puissance trompeuse qu est l amour propre galement d busqu et d masqu par La Rochefoucauldr177 Il est donc vain d attendre de l crivain qu il soit v ritablement lucide sur son propre compte quand il se sert des mots comme le musicien des notes froidement et avec d tachement comme le pr conise Flaubert Par contre s il abdique une part de contr le sur lui m me gr ce par exemple au d r glement de tous
57. beau Dans le ciel le peintre Lucien inspir de Vincent Van Gogh finit par se couper la main coupable de ne pas rendre ce que l esprit a con u 169 Flaubert se m fie de cette pr tendue inspiration et insiste sur la froideur indispensable au styliste 77 faut crire plus froidement tout doit se faire froid pos ment lettre Louise Colet de 1853 in Correspondance loc cit t I p 175 170 Nous avons not plus haut que Flaubert a connu aussi cette tentation 171 Jean Claude Pinson quoi bon la po sie aujourd hui ditions Pleins Feux Nantes 1999 p 25 172 Jean Claude Pinson op cit p 17 173 Dans le ciel loc cit p 61 174 Ainsi l historien Paul Veyne avoue t 1l que pour lui crire c est une lutte contre toutes les b tises anachroniques tous les souvenirs dont on est rempli L Histoire n 247 octobre 2000 p 96 175 Allusion son recueil Le Parti pris des choses 1942 o Francis Ponge veut redonner la parole au monde et parvient par exemple merveiller le lecteur partir d un objet aussi usuel que le pain 176 Blaise Pascal Pens es d Didier Anzieu Biblioth que de Cluny 1960 pens e n 43 p 28 177 D autres puissances trompeuses peuvent galement nous garer selon Pascal les passions l imagination et la coutume 178 Fran oise Collin Je partirais d un mot Le Champ symbolique Fus Art
58. bituels pourfendeurs de la censure 106 Nombre de critiques et de moralistes s y emploient pourtant en tentant par exemple sans jamais parvenir des conclusions convaincantes de distinguer l rotisme suppos sain et moral et la pornographie tax e d immoralit et qui m riterait les foudres de la censure 107 Dans L re du soup on 1956 Nathalie Sarraute explique notamment que apr s Freud Proust et Joyce les romanciers et les lecteurs de romans ne peuvent plus croire aux personnages trop souvent r duits des caract res tiquettes et que le trompe l 1l qu est un roman livr l imagination de l auteur ne trompe plus personne 108 Georges P rec l a galement bien compris qui s est impos des contraintes d une rigueur exceptionnelle dans La Disparition et La Vie mode d emploi 109 Voir son article Le Chef d uvre titre videmment ironique dans Le Journal du 10 juin 1900 110 Le roman est un genre b tard dont le domaine est vraiment sans limites Z ne subit d autres inconv nients et ne conna t d autres dangers que son infinie libert Th ophile Gautier in L Art romantique p 160 111 Pierre Bourdieu constate juste titre que l autonomie des crivains artistes au tournant du pr c dent si cle consiste dans une ob issance librement choisie mais inconditionnelle aux lois nouvelles qu ils inven
59. c es jadis d nomm es pr cis ment classes de rh torique Loin d tre neutre il porte gale ment la marque d une id ologie caract ristique de la classe culturellement dominante celle qui lit les grands quotidiens consomme des romans et des essais hante les mus es et les expositions et remplit les parterres et les loges des th tres la bourgeoisie C est justement contre cette domination politico culturelle et contre l id ologie sous jacente qui contribue la perp tuer que se sont lev s des crivains r fractaires soucieux de dessiller les yeux de leurs lecteurs tels que Jules Vall s Octave Mirbeau Jacques Pr vert et beaucoup d autres leur suite Or l un des traits de cette id ologie bourgeoise brillamment d cortiqu e par Roland Barthes consiste affirmer le dualisme du monde et de l crivain et supposer qu il n y a jamais qu une seule forme optimale pour exprimer une r alit inerte comme un objet sur laquelle l crivain n aurait de pouvoir que par son art d accommoder les signes 63 Nous avons vu plus haut qu il s agit l d une illusion id aliste Pour n y point c der nonobstant les facilit s de la sainte routine vilipend e par Mirbeau et pour se d livrer du moule classique et de tous les conditionnements culturels 1l faudrait r aliser une asc se comparable celle de Monet 164 de Rodin ou de Van Gogh dans le domaine des beaux arts afin de parve
60. c naturel de la sexualit des enfants et des femmes qui jusqu une poque r cente taient suppos s les uns n avoir aucune vie sexuelle 96 les autres refouler leurs pulsions et leurs d sirs au nom de la pudeur et de la puret f minine 97 dont le mod le propos tait la Vierge Marie ou pire encore quand on aborde le sujet tabou par excellence que sont les violences sexuelles exerc es sur des enfants par des d tenteurs de l autorit que ce soit par des p res 98 par des professeurs ou comble d horreur par des pr tres suppos s faire respecter les lois divines 99 Or c est pr cis ment ce th me scandaleux entre tous que Mirbeau a eu le courage d aborder dans S bastien Roch 1890 o l on voit un adolescent s duit viol et bris jamais par un p re j suite inf me qui cumule l autorit du p re de l ducateur et du pr tre Ces interdits jet s sur les mamifestations polymorphes de la vie sexuelle sont videmment un d ni de la r alit v cue Les crivains qui s y soumettent font comme si l instinct g n sique n existait pas ou tait sans effet sur le comportement de l homo sapiens sapiens Comme si les violences sexuelles et les perversions multiformes ne constituaient pas le pain quotidien de la rubrique des faits divers De m me ils donnent de l humanit une image dulcor e et mensong re Comme si la monstruosit ne gisait pas au c ur m me de l ho
61. ceux qui se sont peu ou prou r clam s du marxisme Glissons sur l id alisme ing nu et avou d un Lamartine par exemple qui dans la pr face de Genevi ve 1850 prend le contre pied de Stendhal qui est emprunt e l image du miroir et souhaite que le roman soit une esp ce de miroir de sa propre existence o le peuple se verrait lui m me dans toute sa na vet et dans toute sa candeur mais qui au lieu de r fl chir sa grossi ret et ses vices r fl chirait de pr f rence ses bons sentiments ses travaux ses d vouements et ses vertus pour lui donner davantage l estime de lui m merez C est videmment une duperie paternaliste que de ne vouloir refl ter que le c t gratifiant tres et des choses sous pr texte de vis es p dagogiques en vue de l mancipation du bon peuple un peu demeur qu il convient de ne pas d sesp rer et que l on manipule en toute bonne conscience Mais on retrouve bien souvent des mensonges de la m me farine chez nombre d crivains engag s qui ont pr tendu mettre leur plume au service d id aux progressistes et humanistes et qui se sont piqu s d apporter la bonne parole au prol tariat suppos ali n oubliant que selon la formule de Gramsci seule la v rit est r volutionnaire ou que selon L nine les faits sont t tus Comme l a bien vu Andr Gide ce n est d cid ment pas avec de beaux sentiments source d illusions et propices a
62. chacun de nous 33 Mieux encore Mirbeau se m fiera de ses propres crit res de jugement pr sent s pendant une trentaine d ann es comme alternatifs ceux des acad miques et dot s parfois de majuscules ambigu s la Vie sans laquelle il n y a pas d art et la Nature source in puisable o l artiste doit puiser des motifs et des le ons Ainsi sous l effet des peintres Nabis il en arrive soup onner que la nature n est qu un tat de notre d veloppement intellectuel donc relative chaque artiste La nature n tait plus pour eux rien d absolu et ils comprenaient que les plus dou s d entre nous ceux qui conqui rent le droit d tre salu s du nom de cr ateurs la font et la tranforment mesure au gr de leur g nie 34 Belle preuve de mat rialisme selon les crit res de Comte Sponville tre philosophe mat rialiste c est savoir que l id al auquel on croit et que l on pense n existe pas 35 Mais en r cusant de la sorte toute pr tention l absolu et l universel le critique du m me coup remet en cause sa propre autorit comme l a bien vu Comte Sponville Et de fait Mirbeau avoue en 1910 Ce que je pense des critiques je le pense de moi m me lorsqu il m arrive de vouloir expliquer une uvre d art Il n y a pas pire duperie Le mieux serait d admirer ce qu on est capable d admirer et ensuite de se taire Mais nous ne pouvons pas nous taire Il nous faut crier
63. comme on l a vu avec le surr alisme plac sous la houlette d Andr Breton grand organisateur de proc s politico litt raires Ou bien qu il d bouche sur des objectifs 1llusoires l instar du dada sme qui a fini paradoxalement par se prendre au s rieux et par pr tendre lui aussi aboutir la r v lation de l authentique brut sur le champ de ruines de la litt rature ou tel le Grand Jeu qui apr s un massacre d espoir n en partait pas moins en qu te d une parole absolue D cid ment 1l appara t de nouveau que la voie est troite sur laquelle est engag l crivain d sesp r qui ne peut n1 se contenter du monde existant par trop contraire ses exigences thiques n1 se r fugier dans un mythique mundus inversus trop commode pour tre vraiment au dessus de tout soup on ni se prendre au s rieux sous peine de faillir son devoir de lucidit n1 se livrer une r volte totale qui finirait par se nier elle m mer147 AU RISQUE DE L CRITURE Il s av re donc aussi difficile pour un crivain de rester obstin ment fid le la lucidit d sesp r e que dans la vie pratique de mettre en uvre la radicale philosophie de l absurde de Camus si contraire aux besoins de clart et d esp rance enracin s dans le c ur de l homme Il reste examiner maintenant les probl mes sp cifiques l outil dont il dispose le langage Or m me si l criture c est
64. d barrass e de tous les germes pernicieux d id alisme et de spiritualisme qui empoisonnent encore les esprits et que Mirbeau d j aurait souhait radiquer parce qu ils emp chent de vivre dans le monde r el et g n rent une kyrielle de souffrances de conflits et de catastrophes Au premier chef bien s r 1l convient d liminer l id alisme archa que des anciennes religions ali nantes et culpabilisantes tout juste bonnes pour des pensionnaires de Charenton aux yeux du jeune Octave Mirbeau Elles ont t accus es d entretenir l espoir mystificateur d une autre vie suppos e meilleure et consolatrice pour mieux inciter les domin s et les exploit s se soumettre leurs oppresseurs et se r signer leur mis re et ce titre elles ont t stigmatis es par les penseurs des Lumi res par les libertaires par les la ques de tout poil et par les marxistes de toute ob diencef2 Mais il faut aussi et c est plus original faire la chasse l id alisme camoufl sous des apparences de mat rialisme scientifique succ dan la cis des vieilles religions qui se r v le l exp rience tout aussi dangereux celui des scientistes toujours pr ts au nom de la science exp rimenter les inventions les plus dommageables pour l humanit 3 et celui des r veurs d utopies politiques et des vendeurs d orvi tan r volutionnaire pour qui c est hic et nunc qu il convient
65. d que Rabelais Moli re Voltaire Diderot Rousseau et beaucoup d autres aient d ruser pour se faire lire et il en est encore de m me pour les crivains qui vivent dans tous les pays soumis des dictatures politiques ou religieuses et qui risquent leur peau 93 Mais le plus souvent notamment ces deux derniers si cles la proscription frappe tout ce qui a trait la sexualit humaine et qui est aussit t tax d obsc nit ou de pornographie accusation souvent lanc e contre Mirbeau notamment propos du Journal d une femme de chambre 94 et plus encore contre l auteur de Nana de Pot Bouille et de La Terre souvent assimil un boueur ou un vidangeur par les caricaturistes de l poque Sous l effet de ce que Mirbeau appelle l empreinte religieuse et de la morale chr tienne r pressive et contre nature toute sexualit parce qu elle ob it au principe de plaisir et qu elle est suppos e rapprocher l homme de l animalit primitive et l loigner de ses devoirs moraux et sociaux est a priori consid r e comme potentiellement subversive Mais elle le devient beaucoup plus encore quand sont convoqu es les perversions de l instinct sexuel dont les vocations litt raires se multiplient au tournant du si cle 95 surtout chez Catulle Mend s et Rachilde mais aussi chez Jean Lorrain Maizeroy P ladan Paul Bonnetain Paul Adam et Mirbeau lui m me quand on ose traiter ave
66. e d acosmisme c est dire de n gation du monde Ce serait l une d robade videmment contraire au d sespoir de Mirbeau et de Comte Sponville et l absurde de Camus Il est donc fort craindre que pris dans les pi ges de l criture l auteur lucide en d pit de toutes les ruses qu il est amen mettre en uvre pour tenter de les esquiver ne soit plus ou moins contraint de faus ser quelque peu son message d sesp r quand il n est pas amen le trahir carr ment Et pourtant l criture peut aussi appara tre l usage comme un instrument de d couverte Mais c est qu elle cesse alors de n tre qu un simple outil passif au service d une pens e pr existante ou d objectifs esth tiques thiques politiques ou id ologiques qui lui sont trangers pour devenir elle m me sa propre fin sans pour autant se r duire un simple jeu gratuit sur les mots quilibre d licat pr server Il implique naturellement de la part du manieur de mots une asc se comparable celle du d sespoir du penseur et celle du peintre on l a vu aussi difficile et aussi douloureuse puisqu il va s agir de se d barrasser non pas seulement des pr jug s bien ancr s des illusions toujours renaissantes et des conditionnements sociaux ce qui ne va pas sans risques ni d chirements mais aussi des habitudes linguistiques des automatismes d criture et des clich s bien co
67. e des intelli gences 53 Mais on est aussi en droit de se demander si dans bien des cas cette pr tendue clairvoyance sup rieure ne participe pas d une strat gie de cons cration et si cette consolation en forme de d lectation morose n est pas un peu trop commode pour tre tout fait honn te Ainsi dans la masse de po tes qui se faisaient gloire d tre incompris voire maudits comme les a qualifi s Verlaine 54 la fin du si cle dernier XIX du nom combien y en a t il qui aient r ellement jet sur les choses un regard neuf et qui aient permis leurs lecteurs d acc der un stade sup rieur de lucidit Bien peu sans doute si l on consid re les jugements de la post rit qui a pr cipit la quasi totalit d entre eux dans les oubliettes de la litt rature Certes Reste cependant savoir comment sur le coup faire le tri entre les crivains r ellement dot s d un temp rament d artiste voyants et novateurs et qui ont de bonnes chances de survivre et les ambitieux mais vulgaires imitateurs qui se contentent d appliquer moutonni rement leurs proc d s dans l espoir de les suivre sur les sentiers d une gloire souvent posthume e L criture peut aussi tre un moyen de donner sa propre vie sinon un sens ce qui ne saurait en avoir dans un univers irrationnel du moins une valeur et une unit qui en soient la justification C est pr cis ment parce que pour tout
68. e dit Mirbeau qu une plate mensong re et absurde contrefa on de la viej151 on aura beau se mettre en qu te des mots les plus rares des combinaisons les plus vocatoires des images les plus synth tiques des rythmes les plus suggestifs des sonorit s les plus musicales ou expressives dans l espoir que de cette sorcellerie vocatoire dont parle Baudelaire 152 jaillira une soudaine r v lation 153 jamais de pauvres mots ne parviendront rendre l infinie complexit de la vie ni l infinie beaut de la nature ni l infinie diversit des tats de conscience de l homme qu ils pr tendent restituer D s lors si les mots risquent de cacher les choses de les trahir de les salir 154 ou de les mutiler au lieu de les r v ler ou de les sugg rer ou s ils sont le truchement de la mauvaise foi et constituent une fausse monnaie comme dans la plupart des changes de la vie quotidienne 155 o chacun joue la com diel156 ou plus forte raison s ils ont pour fonction de manipuler les esprits faibles comme dans la propagande politique ou dans la publicit commerciale on est en droit de se demander ce que peut vraiment valoir la litt rature dont ils constituent la mati re premi re Peut elle encore s en servir sans tre souill e son tour et sans tre condamn e au mensonge En se pr tendant source de v rit la bonne litt rature ne serait elle pas elle aussi une mystification un peu
69. e ne suis pas un pro fessionnel de la plume et n ai sur l criture que le regard ext rieur d un universitaire qui n en fait qu un usage fonctionnel Je me contenterai donc de d broussailler le probl me la lumi re de l crivain que je connais le mieux pour l avoir fr quent pendant un tiers de si cle et dont toute l uvre longtemps mal lue travers de multiples verres d formants et par cons quent mal comprise est irrigu e par ce type de questionnement je veux parler d Octave Mirbeau l auteur notamment de L Abb Jules du Journal d une femme de chambre et de Les Affaires sont les affaires Je ne souhaite pas pour autant m y enfermer et je ne manquerai pas de faire quelques escapades en dehors des chemins bien balis s de la mirbeaulogie LE D SESPOIR Mais il convient avant d aller plus loin de d finir le mot probl matique de d sespoir afin d viter tout contresens Je l entends ici dans un sens tr s particulier et minemment positif celui l m me que lui donne le philosophe Andr Comte Sponville Dans les deux volumes de son Trait du d sespoir et de la b atitude intitul s respectivement Le Mythe d Icare et Vivre il voit dans ce qu il appelle le d sespoir le premier pas indispensable vers une sagesse mat rialiste cons quente qu il nomme la b atitude c est dire lib r e de toute croyance en une quelconque transcendance et
70. e sujet le monde ext rieur l artiste et l artiste lui m mel113 D s lors faire croire que le roman ou le th tre peut tre r aliste constitue une mystification que Mirbeau s emploie ridiculiser 114 chez tous ceux qui comme Alexandre Dumas fils et d autres industriels du m me tonneau pr tendent restituer la vie elle m meli15 ou qui tels les naturalistes frapp s selon lui de myopie s imaginent qu il convient de compter les boutons de gu tres et les feuilles des arbres En art l exacti tude est la d formation et la v rit est le mensonge Il n y a rien d absolument exact et rien d absolument vrai ou plut t il existe autant de v rit s humaines que d individus Ce subjectivisme pr pirandellien traduit l influence de Schopenhauer pour qui le monde n est pas moins en nous que nous ne sommes en lui de sorte que la source de toute r alit r side au fond de nous m mesti16 Mirbeau tire de cette affirmation un principe majeur de son esth tique que l on peut qualifier d expressionniste avant la lettre La beaut d un objet ne r side pas dans l objet elle est tout enti re dans l impression que l objet fait en nous par cons quent elle est en nous 117 Ce que le peintre Lucien de Dans le ciel 1893 inspir de Vincent Van Gogh exprime lapidairement sa fa on Un paysage c est un tat de ton esprit comme la col re comme l amour comme le d sespoir
71. el tout aussi conventionnel et mensonger et tout aussi r mun rateur pour ses fabricants a succ d l art pompier d nonc 1l y a plus d un si cle par Zola Mirbeau ou Huysmans On l a vu aussi dans le domaine romanesque avec la vogue vite puis e du nouveau roman dans les ann es 1960 ou plus r cemment avec l mergence de romans dits minimalistes dont l avenir semble bien compromis Il n est pas toujours facile l encore de faire le d part entre d un c t ce qui rel ve d une vision personnelle du monde qui appartient chaque crivain en toute singularit qui constitue la condition de la lucidit et qui implique de recourir des formes originales d expression et de l autre ce qui n est qu effet de mode et roublardise c est dire exploitation par un imitateur habile d un proc d consid r comme un filon que l on esp re juteux Pour l crivain lui m me l quilibre n est pas ais trouver entre d une part l irr ductible besoin de libert qui le pousse s exprimer sans souci des conventions g n riques ni des contraintes multiformes qui p sent sur lui et d autre part le respect d un minimum de r gles indispensables cette expression pour qu elle corresponde le mieux possible ce qu il souhaite Comment faire pour que les r gles qu il s impose apparemment en toute libert les seules qui vaillent 1111 ne soient pas
72. els que Les 21 jours d un neurasth nique de Mirbeau Les F cheux de Moli re ou Le Mercure galant de Boursault I peut s agir aussi de la coh rence psychologique des personnages ch re nos grands classiques et l poque moderne Paul Bourget grand anatomiste autoproclam des mes f minines l aide de son d risoire scalpe conception r ductrice du psychisme humain mise mal par la psychologie des profondeurs de Dosto evski par la d couverte freudienne du r le fondamental de l inconscient et par la r volution proustienne Ou encore de la coh rence du point de vue adopt par opposition aux collages du genre du Jardin des supplices ou du Plus beau tango du monde de l Argentin Manuel Puig Ou bien encore de celle du style par opposition aux montages de textes h t roclites tel U S A de Dos Passos aux uvres collectives telles que Les Soir es de M dan 1880 qui devaient servir de manifeste au naturalisme ou aux recueils de textes disparates destin s recycler des fonds de tiroirs l instar de ce que dans le domaine de la musique Berlioz a fait avec Leliors9 Dans tous les cas l exigence de cr dibilit a pour fonction de faciliter la digestion de l uvre par un public mison iste aux exigences routini res Une illustration caricaturale de cette attente du public est fournie par les spectateurs d Au th tre ce soir qui nagu re applaud
73. emandons nous ce qui peut inciter un individu lucide et d sesp r prendre la plume e Une premi re explication classique est d ordre psychologique l criture serait une th rapie L crivain artiste par opposition au vulgaire fabricant se distinguerait de la masse par une perception des choses diff rente 1l serait le seul voir sentir et comprendre ce qui serait inaccessible au commun des mortels 5s0 et par cons quent il serait in vitablement condamn la souffrance et la marginalit voire l incompr hension la moquerie ou la pers cution de ses aveugles contemporains ce qui aggraverait encore la mis re de sa condition d homme On sait qu partir de Baudelaire cette marginalit du po te et de l artiste en g n ral appara tra m me aux yeux des avant gardes comme une preuve exp rimentale de sa sup riorit et de son g nie tel l albatros ses ailes de g ant l emp chent de marcher ce sont sa grandeur spirituelle et son exceptionnelle capacit d l vation qui sont dialectiquement la cause de sa mis re sociale et partant de son mal tre En prenant la plume l artiste incompris aurait donc la triple satisfaction de provoquer son si cle incompr hensif et pouvant en lui faisant entendre une voix trange comme l crit Mallarm d Edgar Poe de d fouler par le verbe un trop plein de sentiments refoul s d angoisses ou de f
74. ement et cette asc se dans ce choix du d serf auquel aspirait d j le misanthrope de Moli re dans cette double rupture dont parle Pierre Bourdieu avec l art bourgeois et avec l art utile 133 et dans cet humble travail sur l outil que sont les mots devenus la seule r alit tangible une forme supr me de sagesse et de lucidit un ersatz de nirvana l usage des po tes Surtout si comme Flaubert on temp re la mission accord e la litt rature qui ne doit avoir d autre but qu elle m me par la conviction que comme l crit Sylvie Thorel le langage en tant que tel ne donne plus acc s d sormais aucune compr hension du monder134 Mais en m me temps ces partisans de la religion de l art en arrivent bien souvent une sacralisation de leur mission cr atrice qui pourrait bien n appara tre l exp rience que comme un pur snobisme ou comme une forme nouvelle de mystification telle celle que Mirbeau pourfendait chez nombre de po tes symbolistes praticiens d exercices de style dont il se gaussait et chez les peintres pr rapha lites hors la vie qui lui inspiraient de jubilatoires caricatures 135 Flaubert lui m me n est pas l abri de tout soup on dans la mesure o son r ve d un livre sur rien fait de la force interne de son style ce qui permet l uvre de tenir elle m me sans attache ext rieure et o le style lui tout seul lu
75. es puissants 142 I faut jouer d ment notre r le mais comme r le d un personnage emprunt Montaigne Essais livre III chap X Classiques Garnier 1952 p 253 143 Ainsi rendant compte du premier volume de mon dition critique de l uvre romanesque de Mirbeau en m me temps que de la derni re production de Philippe Sollers Dominique Jamet a t il m chamment intitul son article Plus je lis Sollers plus j aime Mirbeau Marianne 30 octobre 2000 144 Octave Mirbeau Les Peintres prim s L cho de Paris 25 juillet 1889 C E t I p 394 145 Pour Mirbeau la blague exprime toujours l opinion moyenne dans un jet d immonde salive Le Calvaire chap III in uvre romanesque de Mirbeau t I p 180 146 C est ce dont souffre le peintre Lucien de Dans le ciel Je ne suis pas un fou comme tu pourrais croire je suis un impuissant ce qui est bien diff rent chap XXV p 129 147 De nouveau on pourrait rapprocher Mirbeau de Camus en l occurrence de L Homme r volt 148 C est ce qu affirme Roger Fresselou dans le dernier chapitre des 27 jours d un neurasth nique de Mirbeau L art est une corruption la litt rature un mensonge la philosophie une mystification le progr s c est plus rapide plus conscient un pas en avant vers l in luctable fin ditions du Passeur Nantes 1999 pp 375 376 149 St phane Malla
76. et P cuchet sont des hommes potentiellement intelligents ou de d risoires imb ciles Soit en recourant la forme dialogu e en dehors m me du th tre ce qui permet l occasion de dialoguer avec soi m me Elle est en effet un moyen efficace de pr server l ambigu t d une uvre et partant sa richesse condition bien s r d viter tout manich isme on sait qu elle a t adopt e avec pr dilection par Diderot voir Le R ve de d Alembert Le Neveu de Rameau ou Jacques le Fataliste et aussi par Octave Mirbeau dans nombre de ses chroniques et m me dans ses romansfss S ils se d doublaient de la sorte c tait en premier lieu afin d exprimer les contradictions qui taient en eux et de s en lib rer gr ce l exutoire des mots mais cela leur permettait du m me coup de mettre galement en vidence celles qui sont dans les choses elles m mes et qui interdisent tout jugement trop tranch et toute interpr tation m caniste Il n en demeure pas moins que dans ces trois cas de figure c est encore l crivain qui en derni re analyse est seul ma tre bord c est lui qui dispose comme il l entend les mat riaux qu il utilise pisodes narratifs passages descriptifs dialogues et intrusions et qui ce faisant leur conf re malgr tout une certaine rationalit intrins que f t ce dans L ducation sentimentale qui a servi de mod le de roman anti romanesque toute une
77. eu dans la Cr ation invisible et tout puissanti67 Une telle pr somption l omnipotence et l omniscience risque d entretenir l illusion cart sienne et combien rassurante selon laquelle tout aurait t con u ordonn et programm par le grand architecte de l univers De l l affirmation de Leibniz disciple de Descartes pour qui tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles il n y a qu un pas et le lucide et d sesp r Voltaire a grandement raison de nous mettre en garde contre cette forme d aveuglement providentialiste en brocardant une formule aussi videmment inadapt e la r alit du monde tel qu il va mile Zola lui se dit mat rialiste se r clame de la science contemporaine condamne formellement l id alisme des romantiques et rejette totalement le finalisme vestige de l ge religieux Il semble donc s opposer sur ce point son ma tre Balzac par exemple quand il pr tend appliquer au roman la m thode exp rimentale d finie nagu re par Claude Bernard et op rer sur les caract res sur les passions sur les faits humains et sociaux comme le chimiste et le physicien op rent sur les corps bruts comme le physiologiste op re sur les corps vivants 6s donc sans aucune r f rence une finalit transcendante Pourtant malgr qu il en ait il semble bien tomber avec son d terminisme m caniste par trop simpliste et r ducteur dans le m
78. eur de significations cach es au profanum vulgus et de retomber du m me coup dans les errements et illusions qu il a lui m me d nonc s Que d exemples de jeunes crivains lucides et prometteurs rapidement d voy s par le succ s public ou l admiration de leurs pairs l instar de Paul Bourget de Jean Mor as de Jean Richepin ou plus r cemment de Philippe Sollers de Renaud Camus ou de Michel Houellebecqgr56 Seul le silence auquel Flaubert Mallarm et Mirbeau ont tant aspir et auquel ont fini par se r soudre Rimbaud et Artaud pr munit vraiment contre cette tentation de croire la toute puissance des mots Il peut encore arriver que l criture ne soit qu un jeu avec les mots qu elle n ait pas d autre enjeu que de r pondre un d sir ludique de l crivain et qu elle soit prioritairement source pour lui et par cons quent pour ses lecteurs d un plaisir communicatif Les mots ne servent plus alors communiquer une exp rience unique ni produire du beau 57 ni p n trer dans le myst re des choses ni conf rer de l harmonie la platitude de la vie quotidienne Ils ne sont qu un mat riau sonore d sacralis dont la manipulation ne requiert que de la dext rit de la part d un crivain d pourvu de toute autre ambition et qui ne court pas le risque de se prendre au s rieux Alphonse Allais dans ses contes du Journal 5s ou Eug ne Ionesco quand il entame la r daction
79. fisaient jadis justifier le r le le statut social et le prestige de ses devanciers Il ne peut plus manifester la m me na vet n1 la m me innocence que ceux qui croyaient la mission sacr e de l intellectuel ou aux capacit s quasiment surhumaines du po te albatros prince des nu es ou Voyant ou bien la toute puissance de l criture d miurgique ou encore l innocuit de ce que nous croyons tre la raison laquelle certes s est construite historiquement contre l ali nation religieuse et pr tend s tre purg e de l opium de l espoir d outre tombe mais a fait na tre de nouvelles illusions et a apport la preuve au cours du vingti me si cle de ses limites pour ne pas dire de sa faillite D livr de ces illusions consolantes qu elles soient religieuses ou la ques mais d s lors constamment sur la corde raide il est confront comme l tait d j Octave Mirbeau il y a un si cle au doute l incertitude la mauvaise conscience l am re conviction r currente de ses propres limites et insuffisances et des contradiction inh rentes sa place dans la soci t et son m tier de magicien des mots Il sait qu une absolue fid lit au d sespoir inaugural est impossible en pratique et que des compromis sont indispensables qui vit parmi les hommes mais des compromis avouables et in vitables aux compromissions honteuses et injustifiables il n y a sou
80. i re sur les objets qu il peignait mais dont la main n tait jamais assez rapide m me dans ses s ries de la Cath drale de Rouen ou du Parlement de Londres de sorte qu il lui fallait parfois achever dans son atelier froid et sous un clairage artificiel ce qu il n avait pu noter sur le motif Il en est de m me pour l crivain d sesp r qui refusant les lendemains qui chantent a pour ambition de fixer la vie parse fugace et merveilleuse et de la traduire dans sa mobilit et ses contradictions pour ne pas la trahir mais qui risque d s lors de s engager dans une puisante et vaine course poursuite Car malheureusement les mots ne sont pas plus rapides que le pinceau du peintre 168 et sont bien en peine de saisir la fugitivit des sensations qu ils risquent par cons quent de figer ou de d naturer par une reconstitution a posteriori qui sentirait par trop la litt rature de m me que sur un autre plan les autobiographies toujours suspectes on l a vu de pr senter une version dulcor e et mensong re de la r alit v cue par l auteur La spontan it r v e n est sans doute l encore qu un id al inaccessible au m me titre que la mythique inspiration po tique des anciens qui tait suppos e guider la main du po te 169 moins qu elle ne soit qu un pieux mensonge destin occulter le patient labeur jug trop trivial de l artisan crivain qui en r alit cent fois
81. i appara t d s lors comme une mani re absolue de voir les choses 136 Et puis ne peut on pas accuser les esth tes de l art pour l art comme le fait Mirbeau dans son roman Dans le ciel propos des peintres symbolistes de l che et hypocrite d sertion du devoir social de l crivain peu soucieux de se confronter aux monstrueuses iniquit s et aux inacceptables douleursu377 L indiff rence au monde aux hommes et aux soci t s peut appara tre l extr me comme une forme de politique de l autruche comme la n gation suspecte des probl mes qu on ne parvient pas r soudre voire comme une forme de complicit avec les atrocit s qui se perp trent en toute impunit sur toute la surface du globe la faveur du silence des crivains dont le devoir serait au contraire de se servir de leur notori t pour les d noncer publiquement On sait que Jean Paul Sartre prototype de l intellectuel engag au risque de se perdre accusera Flaubert et Goncourt d avoir une responsabilit dans le massacre des communards pour s tre tus lors de la Semaine sanglante 138 Entre le r le de l artiste dont l objectif premier sinon unique est d ordre esth tique et la mission de l intellectuel soucieux avant toutes choses des effets de ses interventions dans le champ politique et social la contradiction est permanente et douloureuse Entre le devoir de lucidit qui suppose asc se et
82. ir ou comme dit Camus l absence totale d espoir 46 est bien une condition sine qua non de la lucidit qui lui est consubstantiellement li e et chez tout individu lucide comme l absurde analys par Camus 1l tend devenir une passion la plus d chirante de toutes 47 qui s impose lui et laquelle il est imp ratif de rester fid le sous peine de retomber dans des illusions qui sont source d erreurs de d ceptions de souffrances et de catastrophes Reste savoir maintenant ce qu il en est de la fonction de l criture et d terminer si elle s enracine elle aussi dans le d sespoir de l crivain et ou si elle constitue une asc se indispensable toute lucidit Questions d autant plus d licates trancher qu il existe quantit s de mobiles poussant un candidat crivain passer Pacte et prendre la plume qu il y a autant de cas particuliers que d individus et qu on ne saurait donc g n raliser sans risques Pour viter une trop grande dispersion cartons tout d abord des formes d criture qui n entrent pas dans notre propos D une part celle qui n a pas d autre objet que de permettre la transmission d informations et de connaissances les journalistes les philosophes et les chercheurs par exemple n ont pas sauf exceptions de pr tention la litt rature et l criture est pour eux purement fonctionnelle ce qui 1l est vrai n exclut pas la l
83. ispensable clart impliqu e par la mission de d saveuglement que s est fix e l crivain d sesp r tend devenir un ab me chez des intellectuels engag s dans les luttes de la cit pour qui l intelligibilit est une condition sine qua non de l efficacit Or comme l a not Roland Barthes la clart id al classique n est ni neutre ni innocente elle n est m me Pen croire quun attribut purement rh torique l appendice id al d un certain discours celui l m me qui est soumis une intention permanente de persuasion 159 Comme tout ce qui rel ve de la rh torique voqu e plus haut elle est donc minemment suspecte Faut il en conclure pour autant que seule l obscurit est dialectiquement porteuse de lumi re et de v rit dans la mesure o elle refl te l paisseur imp n trable des choses C est ce que semble penser Flaubert quand il crit aux fr res Goncourt propos de Salammb Pour tre vrai il faudrait tre obscur parler charabia 11601 Quant Mirbeau il n est pas loin de partager cet avis quand propos de La Ville du jeune Paul Claudel il crit l admiratif Marcel Schwob qu il n est pas n cessaire de tout comprendre en art et que l obscurit a son charmer161 Cependant si l exc s de clart est juste titre devenu suspect on est en droit de douter que l herm tisme soit une condition suffisante l mergence paradoxale de la lu
84. issaient de confiance d s le lever du rideau le d cor du salon bourgeois si conforme leurs rassurantes habitudes culturelles Aux yeux de Mirbeau se soucier de cette pseudo cr dibilit c est se soumettre aux usages et aux rituels du lecteur ou du spectateur moyen ab ti par des ann es de conditionnement et de d cervelage Foin donc de tout souci de cr dibilit C est pour se pr munir face ce d rapage que dans la lign e de Lawrence Sterne et de Diderot il a manifest une d sinvolture croissante destin e d truire l illusion romanesque ou l illusion th trale dans ses Farces et moralit s annonciatrices de Brecht et Ionesco ce qui n a pas manqu de choquer les Aristarques de la critique tatillonne Ainsi dans L Abb Jules le narrateur en culottes courtes rapporte quantit de sc nes auxquelles il n a pas assist de m me que C lestine la soubrette du Journal d une femme de chambre quand elle fait le r cit des intimit s pr rapha lites transgression du pacte tacite pass avec le lecteur sur la base du titre l aventurier sans scrupules d En mission n est plus dans la deuxi me moiti du Jardin des supplices qu une petite chiffe et un b b dont se moque Clara incoh rence psychologique celle ci sadique vamp aux yeux verts se repa t des plus atroces supplices mais n en r cite pas moins un article du romancier d non ant les exactions coloniales q
85. istes appara t elle comme existentialiste avant la lettre et alimente t elle la r flexion d crivains aussi ath es et anti chr tiens que Mirbeau Camus et beaucoup d autres De m me en croire Fran oise Collin toute crivaine f t elle femme au foyer et fi re de l tre serait f ministe volens nolens par le fait m me que prenant la plume elle introduit sa trace dans l univers des signes ind pendamment des motifs qui l inspirent ou qu elle revendique et ind pendamment des formes d expression qu elle adopten95 On ne saurait pour autant dans ces trois exemples parler de contresens commis par les interpr tes bien que les interpr tations du lectorat soient clairement oppos es aux intentions affich es des auteurs car c est l criture porteuse d affirmation comme dit Fran oise Collin qui les a fait accoucher leur insu d une v rit qu ils n avaient certes pas pr vue EN GUISE DE CONCLUSION Au terme de ce survol qui ne constitue qu une modeste interrogation J aurais scrupule r pondre cat goriquement par oui ou par non aux questions initiales tant 1l convient de rester modeste et nuanc face des probl mes aussi complexes et des r alit s litt raires aussi diverses et contradictoires Il appara t du moins que l crivain en qu te d une lucidit d sesp r e ne peut plus aujourd hui se contenter des convictions rassurantes qui suf
86. la critique myope Aussi bien tous les crivains d sesp r s et politiquement incorrects et pas seulement le marquis de Sade ou Petrus Borel le Lycanthrope Mirbeau ou C line Boris Vian ou Pierre Guyotat mais aussi Moli re Balzac Stendhal ou Camus est il vraisemblable qu Alceste soit pris de C lim ne que le p re Goriot millionnaire et beau p re de Nucingen vive mis rablement chez M Vauquer que Julien Sorel tire sur M de R nal ou que Meursault soit condamn mort pour avoir tu un Arabe dans l Alg rie coloniale tous ceux qui se sont employ s secouer p dagogiquement la bonne conscience et la force d inertie de leurs lecteurs en les obligeant voir ce qui offusquait leurs yeux timor s ont ils t accus s d exag ration ou d invraisemblance m me le bon bourgeois mile Zola c est bien commode Reste bien videmment que la simple transgression de la vraisemblance pensons aux m lodrames ou aux romans d aventures voire nombre de romans l eau de rose o la vraisemblance est le dernier souci des fabricants ne saurait pour autant garantir la v rit humaine notion que l on serait certes bien en peine de d finir pr cis ment mais que tout lecteur digne de ce nom per oit d embl e tr s fortement Le code de la cr dibilit romanesque ou th trale exige du romancier ou du dramaturge qu il joue le jeu et respecte le contrat
87. lais de publication Allais n a jamais crit un seul texte sans y tre forc par le besoin de gagner sa vie Pr face aux uvres posthumes d Alphonse Allais Robert Laffont coll Bouquins 1990 p IV 266 59 Camus crit par exemple qu bout op cit p 22 il est presque impossible d tre logique jusqu au 60 Il est cependant noter que des auteurs chr tiens coup s r id alistes tels que Pascal Barbey d Aurevilly Villiers de l Isle Adam ou L on Bloy pouvaient appara tre aux yeux de l ath e et mat rialiste Mirbeau plus lucides et infiniment plus riches que les scientistes de son temps aveugl s par leur na ve confiance en l omnipotence de la m thode scientifique Les divergences id ologiques et politiques n excluaient pas les convergences et n emp chaient pas Mirbeau de les admirer et de puiser chez eux de quoi alimenter sa propre r flexion Mais en la cisant leurs propos en liminant ce qui pour eux tait pourtant l essentiel le religieux il mettait en lumi re ce qui lui apparaissait comme des r v lations d mystificatrices sur la condition humaine sur l humaine nature et sur la soci t de leur temps De m me dans Le Jardin des supplices il a emprunt Joseph de Maistre sa th se sur la loi universelle de la destruction rebaptis e loi du meurtre comme quoi un catholique fanatique et ultra r actionnaire comme de Maistre peut n anmoins se r
88. lemment les id aux propos s par la soci t et dont sont n s les banquiers les pr tres les escrocs les d bauches les assassins et les malheureux cherchez l intrus il pr nait l eud monisme Qu est ce que tu dois chercher dans la vie Le bonheurs Simplement ce bonheur du sage n a rien voir avec les illusions que la soci t et notamment la soci t capitaliste homicide nous fait miroiter pour mieux nous pi ger Il n est pas dans la satisfaction d ambitions sociales qui ne peuvent au contraire que d praver et frustrer Il n est pas davantage dans l accumulation des biens mat riels qui d tournent des vraies valeurs et rendent l homme perp tuellement esclave de nouvelles illusions l instar de l ne condamn courir apr s la carotte qui lui pend au nez Il est encore moins dans la qu te effr n e du plaisir mortif re que Mirbeau dans la lign e de Baudelaire 17 d mystifie au vitriol Jl vient de la vanit et il va au crime Il vide les cervelles pourrit les mes dess che les muscles d un peuple d hommes robustes il fait un peuple de cr tins C est lui le pourvoyeur des bagnes et qui alimente les chafauds C est le grand destructeur car il ne cr e rien et il tue tout ce qui est cr is8 Ce sont l autant de miroirs aux alouettes qui d poss dent les larves humaines de tout pouvoir sur leur propre vie et les soumettent l instinct de mort
89. les dont la grande carcasse est agit e de passions mal contenues et de d sirs inassouvis et toujours renaissants ce n est point facile d y atteindre et l on arrive plus ais ment fabriquer un J sus Christ un Mahomet un Napol on qu un Rien 27 Il y a l un double paradoxe c est pr cis ment parce qu il est mat rialiste et regarde M duse en face 28 que sans entretenir la moindre illusion Mirbeau en arrive pr coniser un d tachement maximal des biens mat riels pour r duire la vie son minimum de malfaisance comme il le dira de l tat compressifi29 et c est parce qu il souhaite rendre l individu libre et heureux qu il aboutit lucidement l apologie du renoncement et de l an antissement de la conscience Mais c est l un itin raire logique pour un v ritable mat rialiste selon Comte Sponville car si l me n existe pas si le moi n est rien il n y a rien en attendre Et le seul refuge c est ce rien m me d s lors la sagesse est d accepter cette non possession de soi accepter de n tre jamais que l ombre de soi m mel307 e Une esth tique mat rialiste Pour Comte Sponville ce ne peut tre qu une esth tique du d sespoir c est dire une esth tique sans beaut ternelle ni absolue sans finalisme sans monde intelligible sans inspiration sans romantisme 31 Et de fait ce sont l tous les ingr dients d un art id aliste et mens
90. let de l crivain qui n appara t d s lors que comme un prestidigitateur des mots J en conclus ajoute Maupassant que les R alistes de talent devraient s appeler plut t des Illusionnistesti26 C est pourquoi aussi l minent zolien qu est Henri Mitterand a pu intituler un de ses derniers essais L Illusion r aliste 1994 Car personne aujourd hui n aurait la na vet de prendre au pied de la lettre les affirmations de Zola dans Le Roman exp rimental qui n avaient d autre objet que de lui permettre de se situer dans le champ litt raire et qui participaient donc d une strat gie promotionnelle et depuis quelques ann es chacun convient parmi les sp cialistes du naturalisme que la s mi sis et l art du romancier importent beaucoup plus dans la lecture de Zola que la mimesis et la pr tention documentaire De m me la v rit profonde des romans de Balzac g n ralement admir e n a rien voir avec l id e longtemps r pandue notamment dans les manuels scolaires et les histoires litt raires selon laquelle cet observateur d exception aurait peint d une fa on r aliste la soci t fran aise de la Restauration en fait on le sait aujourd hui la v rit de sa peinture emprunte le d tour de la fiction et r sulte beaucoup plus d un travail de l imagination fertile et visionnaire du romancier que d une morne description d une r alit sociale pr existante observ e la l
91. mat rialisme dans le domaine politique tourne le dos l utopisme et la pr paration du grand soir qui ne sont qu une dangereuse illusion et toute forme de propagande qui ne peut tre que mensong re et manipulatoire Ainsi Mirbeau se m fie des utopies r volutionnaires et il a m me comme une pr monition de ce que seront les totalitarismes du vingti me si cle et en particulier du stalinisme Qu est ce donc que le collectivisme sinon une effroyable aggravation de l tat sinon la mise en tutelle violente et morne de toutes les forces individuelles d un pays de toutes ses nergies vivantes de tout son sol de toute son intellectualit par un tat plus compressif qu aucun autre40 Non seu lement il d nonce les grandes escroqueries intellectuelles que sont ses yeux le christianisme surtout la sauce catholique romaine ou le collectivisme guesdiste pr figuration du communisme la sauce stalinienne mais on l a vu propos des Mauvais bergers il refuse d entretenir l espoir des opprim s sans lequel 1l est pourtant bien difficile d imaginer une action collective Comme l crit Comte Sponville le militant mat rialiste n a pas de Dieu pour le soutenir pas de V rit pour lui donner raison pas de Bien pour le justifier Il se bat tout seul et fait ce qu il peut IL est lucide et d sesp r 41r Si ce n tait que le terme de militant ne convient gu re son individ
92. matique ch re aux surr alistes mais bien frustrante pour l crivain amoureux de la langue pour chapper totalement ce risque de rationalisation des mat riaux bruts en fonction des objectifs propres chaque crivain Et encore serait on en droit de se demander d une part quoi pourrait bien servir la suppos e lucidit d un auteur qui se mierait en tant que tel et qui se refuserait communiquer quoi que ce soit et d autre part si des textes bruts non labor s m ritent encore d tre consid r s comme des cr ations litt raires avec ce que cette expression implique de conscience de volont et de clairvoyancel 78 Sans en arriver ces attitudes extr mes et probl matiques on peut toutefois essayer de r duire l ampleur de la contradiction Soit en refusant obstin ment de conclure exigence esth tique affirm e notamment par Flaubert 79 et par Baudelaire s80 et que m me le dogmatique Zola a faite sienne non sans r serves il est vrai 81 de mani re laisser le lecteur libre de tirer lui m me de l uvre la conclusion ou l absence de conclusion qui lui plaira au risque de le voir commettre des tas de contresens si tant est que sens il y ait bien au regard de l auteur Ainsi Laclos se garde t 1l bien de tirer lui m me une le on des Liaisons dangereuses dont la port e donne lieu bien des controverses depuis deux si cles et Flaubert plus provocant encore
93. mbre chap XVI Livre de Poche 1986 p 423 122 Ainsi Baudelaire crit il La po sie ne peut pas sous peine de mort ou de d ch ance s assimiler la science elle n a pas la V rit pour objet elle n a qu lle m me op cit p 152 123 mile Zola op cit p 1 p 30 et p 8 124 Octave Mirbeau Le R ve Le Gaulois 3 novembre 1884 recueilli dans ses Combats litt raires 125 Octave Mirbeau Correspondance avec Claude Monet d du L rot Tusson 1990 p 50 126 Guy de Maupassant Pr face de Pierre et Jean 1888 Classiques Hachette 1998 p 16 127 Un scandale r cent a confirm ce danger dans une autobiographie mystificatrice parue en 1995 et qui n est en r alit qu une fiction un pseudo Benjamin Wilkomirski Bruno D sselkker de son vrai nom a racont avec beaucoup de cr dibilit sa pr tendue enfance dans les camps de Majdanek et d Auschwitz alors que l auteur a pass en Suisse une enfance tranquille Ce t moignage bidon a boulevers des centaines de milliers de lecteurs tromp s par l illusion du r el jusqu ce qu une enqu te men e par un historien suisse r v le qu il ne s agissait l que de litt rature 128 Paradoxalement Michel Tournier se r clame de Zola et comme son mod le enqu te et se documente avant d crire ses romans mais il s agit simplement pour lui d ancrer les mythes qu il actualise dans le m
94. me travers que l auteur du P re Goriot Lorsqu il affirme par exemple qu i y a un d terminisme absolu pour tous les ph nom nes humains et qu il appartient au romancier moraliste exp rimentateur pour le mettre en lumi re de produire et de diriger les ph nom nes 6 on a bien l impression qu il la cise l ananke et le fatum des anciens comme si tout tait d j crit Au nom de la science qui a bon dos il r tablit une mani re de destin l encha nement n cessaire de causes et d effets dont le romancier tire les ficelles et du m me coup r introduit par la fen tre et en catimini le finalisme qu il s agissait de chasser par la porte au nom de la m me science Plus logique ou plus lucide Mirbeau on l a vu s est au contraire affranchi progressivement des r gles de la composition auxquelles Zola reste attach mais qui ne sont ses yeux que des conventions mystificatrices Renon ant tout r cit lin aire 1l tend r duire le roman une simple juxtaposition d pisodes sans autre lien les uns avec les autres qu un narrateur unique dans Les 21 jours d un neurasth nique 1901 ou Le Journal d une femme de chambre 1900 ou que la volont arbitraire du romancier d miurge de coudre ensemble des chroniques et des r cits que rien ne pr disposait voisiner comme il l a fait dans Le Jardin des supplices 1899 Le caract re arbitraire de ces combinaisons qui cr
95. mi re de la v rit Ne risque t 1l pas lui aussi de devenir un attribut purement rh torique qui rel verait d une forme de snobisme et participerait d une strat gie de cons cration sociale sous tendue par la conviction fort r pandue dans le profanum vulgus que l obscurit est un indice de profondeur N crirait on pas obscur ment pour se faire remarquer en sortant des sentiers battus ou parce qu on est incapable de s exprimer clairement i 2 ou tout simplement pour camoufler le vide de la pens e quand on n a rien dire Auquel cas l crivain qui a fait le choix de l herm tisme apporterait par l m me la preuve de ses propres insuffisances Entre l ab me de l intelligibilit qui risquerait de le faire soup onner de superficialit de sch matisme ou de mensonge et celui de l opacit qui rendrait son apport inop rant et galement suspect la ligne de cr te est une fois de plus bien troite sur laquelle doit avancer l crivain d sesp r e Une troisi me contradiction d coule de la pr c dente L outil dont dispose l crivain depuis trois si cles a t fa onn par des habitudes rh toriques fort pr gnantes transmises de g n ration en g n ration et qui ont la vie longue puisqu elles r gissent encore le style journalistique et l loquence parlementaire et qu on les a remises r cemment l honneur et au programme dans les classes de premi re des ly
96. mme Comme si toute l histoire de notre triste humanit n tait pas ensanglant e par une multitude d atrocit s plus pouvantables les unes que les autres De fait la pseudo biens ance n est jamais qu une tartufferie par laquelle les P res la Pudeur des ligues de vertu auto proclam es les charlatans et les fanatiques de toutes les religions les aventuriers de la politique les pirates des affaires et les nantis l homicide et ind racinable bonne conscience esp rent censurer les artistes et les crivains potentiellement subversifs pour l ordre dont ils tirent profit fussent 1ls nomm s Charles Baudelaire ou Gustave Flaubert Oscar Wilde ou James Joyce quand ils ne se permettent pas au besoin sous ce bon pr texte de les exp dier au b cher 100 au goulag ou l h pital psychiatrique pensons au marquis de Sade Antonin Artaud ou Wilhelm Reich En r alit ces honn tes gens stigmatis s par Mirbeau et beaucoup d autres seraient bien en peine de pr ciser ce qui est moral et ce qui ne l est pas et d expliquer par exemple pourquoi les r mun rateurs adult res chr tiens du psychologue catholique et mondain Paul Bourget sont d une haute moralit appr ci e des confesseurs et des acad miciens cependant que les galipettes de C lestine ou de ses ma tresses seraient moralement r pr hensibles brave et honn te morale que de b tises et aussi que de crimes on c
97. mmodes auxquels ont recours les professionnels de la plume et auxquels se r duisent la quasi totalit des changes entre les hommes Certes pour qui accepte de vivre dans un univers d senchant sans la moindre perspective de transcendance et purg du moindre espoir l instar de Meursault en prison la veille de son ex cution 1l serait vain d attendre de l criture qu elle permette d acc der un absolu comme se le sont imagin pr somptueusement des po tes id alistes moins qu ils n aient eu d autre souci que de justifier leur propre existence en se gratifiant d une mission d int r t sup rieur On sait que des romantiques particuli rement en Allemagne ont cru voir en la po sie une forme d omniscience pour reprendre l expression de Novalis bonne nous faire entrer dans l intimit de la r alit ultime comme l crit Jean Claude Pinson 172 Il est clair que personne aujourd hui sous peine de s attirer la raillerie g n rale ne caresse plus pareille ambition ou pareille na vet Mais d faut de donner acc s l absolu l criture nonobstant ses contradictions et ses limites peut du moins conforter parfois la lucidit Soit tout simplement parce que prendre la plume oblige clarifier et ordonner sa pens e se poser des questions nouvelles op rer des remises en cause d id es pr con ues se d barrasser de toutes les
98. nir voir toutes choses travers ses propres yeux et non travers les verres d formants de la culture o l on baigner165 f t elle h rit e des grands ma tres du pass Mais telle une seconde nature comme disait Pascal les couches accumul es de culture ont f cheusement tendance dicter des clich s et des automatismes langagiers qui sont d autant plus pr cieux pour l crivain besogneux ou press par le temps qu l occasion ils suppl ent avantageusement l inspiration d faillante Mirbeau en donne un exemple dans Le Calvaire 1886 avec le personnage de Jean Minti dont la premi re uvre amalgame quantit de souvenirs livresques et semble faite de pi ces et de morceaux 166 Une des trag dies de l crivain lucide c est de devoir en permanence se m fier du seul outil sa disposition qui risque toujours de le trahir son insu Car comment savoir si les mots qui viennent spontan ment sous la plume ne r sultent pas d une impr gnation culturelle tellement enracin e et marquante qu elle est devenue inconsciente l instar de celle de Voltaire auteur tragique qui pondait tout naturellement et sans effort et pour cause des alexandrins emprunt s Corneille ou Racine 167 e Une quatri me contradiction de l criture place l crivain devant le m me dilemme que Claude Monet qui entendait rendre l instantan it et saisir l effet fugitif de la lum
99. olokhov Tous ils trahissaient leur mission de dessillement des yeux de leurs lecteurs L engagement de l intellectuel au sens que ce mot a pris partir de l affaire Dreyfus f t ce au service des causes apparemment les plus louables constitue donc un risque permanent pour la lucidit de l crivain les exigences thiques ou politiques et les exigences esth tiques ne font pas toujours bon m nage et peuvent m me parfois devenir carr ment incompatibles quand au nom de la fin atteindre et du pr tendu r alisme politique on s autorise des compromissions avec le mensonge e Deuxi me cueil variante du premier celui du finalisme inh rent la plupart des romans traditionnels et aussi de toutes les pi ces de th tre coul es dans le moule classique de la trag die racinienne au vaudeville la Feydeau en passant par le th tre de boulevard qui ob issent des r gles de composition Le r cit ou la mise en sc ne des v nements est organis compos arrang en fonction des objectifs des finalit s du romancier qu il s agisse pour lui de produire un effet dramatique savamment pr par d illustrer une analyse pr tablie cas des uvres th se la mani re des pi ces d Alexandre Dumas fils de Fran ois de Curel ou d Eug ne Brieux de susciter artificiellement une motion ou tout simplement d alimenter la curiosit du lecteur jusqu au d nouement 63 C est ce que Fl
100. ommet en ton nom 101 Un crivain respectueux de son devoir de lucidit se doit donc d tre politiquement incorrect comme Mirbeau et de transgresser tous les interdits dress s par l hypocrite code de la biens ance en abordant sans r ticences n1 haut le c ur les th mes les plus choquants pour les bonnes m urs 102 puisque l instinct sexuel et ses perversions existent et pr valent parmi les hommes puisque les pires abominations se perp trent sur toute la surface du globe puisque les soci t s reposent sur le vol et le meurtre puisque le c ur humain est creux et plein d ordures selon la forte expression de Pascalr103 tout peut et doit avoir droit de cit litt raire Certes un auteur peut se trouver oblig pour que sa pi ce de th tre soit repr sent e ou son roman publi de faire des concessions la pseudo morale en vigueur et la censure gouvernementale ou eccl siastique Mais alors que du moins le compromis soit clair pour tous et que le public clairvoyant comprenne demi mot ce que l crivain n a pu proclamer trop clairement ainsi les d nouements de Tartuffe et des Liaisons dangereuses 104 o les m chants sont miraculeusement punis par l arriv e de l exempt qui arr te Tartuffe et la petite v role qui frappe et d figure la Merteuil apparaissent 1ls comme des conventions sans cons quence comme des trompe l il volontairement maladroits trop a
101. onde connu de ses lecteurs pour mieux faire passer une probl matique philosophique la documentation n est qu un moyen sans v ritable pr tention au r alisme 129 L Etranger est un cas tr s particulier de r cit subjectif dans la mesure o l il de Meursault appara t comme aussi neutre et objectif que celui d une cam ra ce qui bien s r n est qu une illusion cr e par l art du romancier 130 Au th tre Luigi Pirandello a pouss ce proc d subjectiviste l extr me dans Chacun sa v rit 131 Baudelaire d nonce ce qu il appelle l h r sie de l enseignement et affirme que la Po sie n a pas d autre but qu Elle m me et qu aucun po me ne sera si grand si noble que celui qui aura t crit uniquement pour le plaisir d crire un po me op cit p 151 132 St phane Mallarm Ses purs ongles tr s hauts sonnet qui d fie l interpr tation et dont le sens s il en a un est aux dires du po te lui m me voqu par un mirage interne des mots m mes 133 Pierre Bourdieu op cit pp 115 121 134 Sylvie Thorel Cailleteau op cit p 86 135 Notamment dans le chapitre X du Journal d une femme de chambre et dans ses Combats esth tiques t II pp 81 95 Pierre Bourdieu les soup onne aussi de faire de n cessit vertu op cit p 121 ou de vouloir triompher sur le terrain symbolique en perdant sur le terrain
102. onger dont Mirbeau n a cess de tourner en d rision les mystifications pour y substituer un art et une litt rature qui nous aident jeter sur les choses un regard neuf et y d couvrir ce que par nous m mes nous n y aurions jamais vu ni senti Son esth tique refuse donc en premier lieu toute r f rence un mod le divin une beaut absolue transcendant les si cles et les cultures comme le pr suppose l id al classique p trifi en acad misme Nous recevons d s en naissant une ducation du Beau toujours la m me comme si le Beau s apprenait ainsi que la grammaire et comme s il existait un Beau plus Beau un Beau vrai un Beau unique comme si le Beau n tait pas la facult toute personnelle et par cons quent diff rente chacun de nous de ressentir des impressions et de les fixer sur la toile dans la pierre en un livreg32 Le beau n est pas seulement variable dans le temps et dans l espace et relatif l poque et la culture dominante qui conditionnent nos go ts comme Voltaire l avait bien senti 1l est de surcro t variable d un artiste l autre et fonction du regard tout personnel qu il jette sur les choses selon son temp rament et son tat d esprit du moment Il est donc totalement subjectif I n existe pas une v rit en art il n existe que des v rit s variables et oppos es correspondant aux sensations galement variables et oppos es que l art veille en
103. ors que la politique l art et la morale sont tout entiers et jamais du c t de l illusion ibid p 116 29 66 14 Mirbeau voit dans l autorit paternelle une des plus prodigieuses tyrannies une des plus ravalantes oppressions de la vie Dans le ciel L Echoppe Caen 1989 p 56 15 Andr Comte Sponville op cit t I p 51 L6 Octave Mirbeau L Abb Jules chapitre III de la deuxi me partie uvre romanesque Buchet Chastel Soci t Octave Mirbeau 2000 t I p 470 U7 Voir Recueillement dans Les Fleurs du mal 1857 Pendant que des mortels la multitude vile Sous le fouet du Plaisir ce bourreau sans merci Va cueillir des remords dans la f te servile 181 Octave Mirbeau Le Plaisir La France 16 f vrier 1885 Voir l analyse du plaisir dans Les Combats d Octave Mirbeau de Pierre Michel Annales litt raires de Besan on 1995 pp 72 73 H9 Octave Mirbeau Souvenirs d un pauvre diable Contes cruels Librairie S guier 1990 t II p 487 M me id e et m me formulation dans son roman Dans le ciel loc cit p 57 20 bidem 21 Sur ces points voir le premier chapitre des Combats d Octave Mirbeau et dans le chapitre II les pages 72 87 22 Octave Mirbeau Palinodies L Aurore 15 novembre 1898 article recueili dans L Affjaire Dreyfus Librairie S guier 1991 pp 159 164 Le terme d empreinte appara t
104. oupe Ce sont bien des romans qu il r dige et non des trait s de sociologie L ennui est que si le romancier n est pas plus dupe de ses propres trucs qu un prestidigitateur ne l est des siens et pour cause le lecteur lui risque d accorder foi ce qu il lit de prendre pour argent comptant ce qui n est qu une construction de l esprit et de confondre le monde r el avec le monde fictif quand ce n est pas comme aujourd hui la faveur de la t l vision des jeux vid o et d Internet avec le monde virtuel De m me que le seront plus tard le cin ma et la t l vision le roman de facture classique peut tre un excellent outil d ali nation et de manipulation comme l ont notamment illustr les auteurs de Don Quichotte et de Madame Bovary qui s en prenaient l un aux romans de chevalerie l autre aux romans d amour tous de nature tournebouler des cervelles un peu fragiles mais 1l est d autant plus efficace et pernicieux qu il se pr tend r aliste et documentaire et que le lecteur m me dot d esprit critique s en d fie moins 1271 D o la n cessit pour les romanciers de l re post r aliste de multiplier les pr cautions afin de ne pas susciter l illusion r aliste dans l esprit de leurs lecteurs Outre les moyens voqu s plus haut qui contribuent d truire l illusion romanesque et du m me coup toute pr tention la mimesis ils peuvent au
105. peler l amour chant sur tous les tons et id alis dans toutes les langues n est en r alit qu une grossi re illusions quand il n est pas une horrible torture 91 Au contraire de la vulgaire croyance et de l aveugle esp rance qui ne sont que duperie la port e de toutes les intelligences commencer par les plus rudimentaires le d sespoir selon Comte Sponville implique une force d me que tout le monde n a pas Et avant d tre un faf tape n cessaire pour parvenir la b atitude il est une action qui suppose toujours la force pr alable d un refus Cette action vise nous purger de toutes les illusions pr tendument consolantes qui en r alit nous garent nous ali nent et nous interdisent de vivre pour notre propre compte Le mat rialisme est une d s illusion 10 Afin de nous permettre de sortir des r ves religieux ou m taphysiques de l enfance et de l adolescence et d acc der enfin la lucidit de la maturit il lui faut d senchanter l univers une bonne fois pour toutes Prenant le contre pied du slogan communiste de jadis Comte Sponville en d duit que pour tre un mat rialiste digne de ce nom et contribuer l mancipation des souffrants de ce monde et non un de ces mauvais bergers charg s de diffuser un nouvel opium du peuple il faut d sesp rer Billancourt Or pr cis ment dans toute son uvre Octave Mirbeau a f
106. peu que les mots soient prononc s gravement sans souci de l utilit la voici pr par e nous accueillir dans un autre monde o rien ne priverait l existence la plus r elle du pur ruissellement de la vie infinie Le langage po tique sugg re l tre Admettons bien que je tique sur l tre qui semble impliquer un essentialisme d inspiration platonicienne et donc id aliste Mais il ajoute prudemment et je ne puis que l en approuver qu il convient de contester l espoir ainsi donn car on risquerait en accordant la priorit aux mots que l on aime de l cher la proie pour l ombrel1s8 Il pointe l la contradiction fondamentale laquelle se heurte l crivain d sesp r ment lucide outil d investigation de p n tration et par cons quent de d s illusion le langage peut aussi devenir un obstacle un verre d formant voire une nouvelle source d illusions et il convient donc de s en m fier Pour finir on peut se demander si la force de la bonne litt rature ne r siderait pas dans sa modestie m me et si l approfondissement du r el qu elle rend possible par le truchement de l criture ne proc derait pas paradoxalement de son refus de penser le monde a priori Ce en quoi elle s opposerait essentiellement d une part la sp culation philosophique toujours suspecte de d rapages et de c r bralit sans rapport avec la vraie vie et d autre p
107. r et Roger Fresselou dans Dingo il est la fois le personnage qui porte son nom autofiction et son chien Dingo 86 Est ce un hasard si des chefs d uvre du r pertoire th tral fran ais aussi diff rents que Le Cid Dom Juan Turcaret Le Mariage de Figaro Lorenzaccio ou Les Affaires sont les affaires ont t consid r s comme des pi ces mal construites voire comme des monstruosit s th trales par les Trissotins de la critique ou de l histoire litt raire 87 Robert Ziegler Du texte inachev l interpr tation int grale La cr ativit de la lecture dans Un Gentilhomme Cahiers Octave Mirbeau n 9 para tre en avril 2002 88 C est le cas de Dingo 1913 dont Mirbeau devenu incapable d crire a charg L on Werth d achever la r daction mais sur ses directives 891 C est souvent le cas des recueils de contes et de nouvelles quand l auteur se contente comme Maupassant de rassembler p le m le sa production journalistique de l ann e coul e 90 Ce roman qui a re u le prix Goncourt en 1974 et connu un norme succ s de ventes a malheureusement t le plus souvent lu au premier degr comme un r cit path tique aux effets lacrymatoires garantis alors que le romancier de son propre aveu avait r dig cet anti roman comme une mystification c est dire comme une d mystification du genre romanesque 91 Gide a exp riment le proc d dans
108. r la Poste am ricaine 101 Octave Mirbeau Le Secret de la morale Le Journal 10 mars 1901 article recueilli dans ses Combats litt raires para tre en 2001 aux Belles Lettres 266 102 Baudelaire dans un article du 27 novembre 1850 crit qu il faut peindre les vices tels qu ils sont c est dire s duisant s et que les d nouements des romans et des pi ces de th tre ne doivent pas toujours ch tier le crime ni gratifier la vertu Sous peine d appara tre comme un art faux L Art romantique Lemerre s d pp 267 268 103 Pens e 134 Divertissement Pens es Biblioth que de Cluny 1960 t I p 106 104 Choderlos de Laclos voque sans fard ces concessions oblig es dans la Note de l diteur qui cl t Les Liaisons dangereuses Des raison particuli res et des consid rations que nous nous ferons toujours un devoir de respecter nous forcent de nous arr ter ict d Robert Laffont 1959 p 373 105 C est par exemple ce dont se plaint le critique litt raire du Nouvel Observateur Didier Jacob dans le n du 26 ao t 1999 propos de la derni re rentr e romanesque du si cle plac e selon lui sous le signe de l horreur et de la barbarie M me son de cloche dans Le Monde des livres du 2 septembre 1999 Un an plus tard un roman et un film de Virginie Despentes Baise moi suscitent des remous et des divergences parmi les ha
109. rancs e Cahiers Octave Mirbeau n 6 320 pages 1999 150 francs e Cahiers Octave Mirbeau n 7 320 pages 2000 150 francs e Cahiers Octave Mirbeau n 8 environ 500 pages 200 francs para tre en avril 2001 e Octave Mirbeau Premi res chroniques esth tiques 358 pages 1996 220 francs en co dition avec les Presses de l Universit d Angers e Pierre Michel sous la direction de Octave Mirbeau brochure de l exposition Mirbeau 1998 r dition 2000 48 pages 30 francs e Octave Mirbeau uvre romanesque trois volumes pr s de 4000 pages dition critique r alis e par Pierre Michel 2000 2001 800 francs en co dition avec Buchet Chastel e Claude Herzfeld Le Monde imaginaire d Octave Mirbeau 103 pages 2001 65 francs en co dition avec les Presses de l Universit d Angers e Pierre Michel Lucidit d sespoir et criture 87 pages 2001 55 francs en co dition avec les Presses de l Universit d Angers e Octave Mirbeau Chroniques musicales para tre en 2001 en co dition avec Michel Archimbaud Tous ces volumes sauf le premier peuvent tre command s la Soci t Octave Mirbeau 10 bis rue Andr Gautier 49000 ANGERS 02 41 66 84 64 TABLE DES MATI RES AVANT PROPOS LE D SESPOIR Une thique mat rialiste Une esth tique mat rialiste Une politique mat rialiste D SESPOIR ET CRITURE LES D RAPAGES DE LA LUCIDIT
110. rm Le Tombeau d Edgar Poe 1877 150 Pour Mirbeau seul Mallarm pr cis ment r alise ce miracle Il est le seul extraordinaire vraiment qui ait trouv le mot exprimant la fois une forme une couleur un son un parfum une pens e Ses mots ne sont plus des mots ils sont des tres Quelques opinions d un Allemand Le Figaro 4 novembre 1889 article recueilli dans ses Combats litt raires para tre 151 Propos rapport par Albert Ad s dans ses Notes in dites archives de M Edmone Ad s Theix 152 Charles Baudelaire op cit p 158 Il parle aussi de sorcellerie de la Muse ibid p 163 153 Baudelaire consid rait que c est par la po sie et travers la po sie que l me entrevoit les splendeurs situ es derri re le tombeau op cit p 153 Un mat rialiste comme Mirbeau n attend bien s r aucune r v lation de ce genre 154 L abb Jules compare les mots du caca Les po tes Peuh Ils ne servent qu salir la nature de leurs mots absolument comme si toi tu allais barbouiller un lys ou une glantine avec ton caca L Abb Jules II chap 3 in uvre romanesque de Mirbeau t I p 473 155 C est ce qu illustrent en particulier les romans de Jane Austen et de Flaubert les Farces et moralit s de Mirbeau L Etranger de Camus ou les pi ces d Ionesco 156 Nos vaca
111. rtificiels pour que le spectateur ou le lecteur puisse se laisser d tourner de l essentiel il est clair que dans la soci t de l poque comme dans les romans du divin Marquis et comme dans la n tre ce sont presque toujours les m chants qui triomphent Cependant force est de constater la lumi re de l volution intervenue au cours du si cle coul de la lib ralisation des m urs et de la r volution sexuelle des ann es 1960 1970 que le risque existe que les transgressions syst matiques du code des biens ances finissent par devenir une forme nouvelle de conformisme et que des crivains suivistes sans scrupules n1 originalit s engouffrent des fins d auto promotion et de succ s de ventes dans la br che ouverte par les plus courageux 105 Comment s parer alors le bon grain de l ivraie 106 les v ritables cr ateurs et les vulgaires imitateurs les t moins lucides d un monde m dus en et les vils exploiteurs d une mode commercialement rentable pour qui le voyeurisme et le scandale constituent de bons arguments de vente Au respect de ces trois codes il conviendrait d ajouter tout aussi mortif re pour la lucidit d sesp r e de l crivain celui d une suppos e essence des genres litt raires comme s ils existaient de toute ternit dans le ciel des id es platoniciennes conform ment l image qu en pr sentent encore trop souvent tant de manuels l us
112. rustrations douloureuses 51 et d enrober le tout comme Flaubert dans une apparence formelle qui soit esth tiquement satisfaisante ses yeux et qui t moigne de son originalit sans laquelle il ne saurait y avoir de g nie L criture dot e de vertus cathartiques est alors tout la fois un moyen de se venger de ses contemporains obtus un exutoire pour des pulsions ou des souffrances trop longtemps contenues et une consolation esth tique aux mis res de la vie quotidienne transfigur es par la magie du verbe 52 les mots seraient un rem de aux maux de l existence ceux dont souffre l auteur d abord mais aussi par voie de cons quence ceux de ses lecteurs qui esp rent bien trouver dans la litt rature une r ponse leur qu te de sens On peut d celer dans cette pratique th rapeutique de l criture une forme de lucidit dans la mesure o les artistes de la langue tels les albatros de Baudelaire ont en effet de bonnes chances de voir plus clair et plus loin que les hommes d quipage ou que les bourgeois la vue courte qui du haut de leur pr tendu bon sens de leurs pr jug s et de leur ind racinable bonne conscience affectent de les m priser l instar des bons chiens chant s par le m me Baudelaire et condamn s la marginalit et la mis re ils vont en effet la meilleure cole qui soit celle de a n cessit cette si bonne m re cette vraie patronn
113. s mort jouant aux cartes en attendant l heure du supplice mais c tait pour mieux susciter le d sespoir chez les libertins pens e 196 Pens es d Didier Anzieu Biblioth que de Cluny 1960 p 137 avant de leur tendre une planche de salut et de leur faire miroiter l espoir d une issue mystificatrice leurs yeux le salut ternel gr ce la foi chr tienne et l ab tissement volontaire cf la pens e 429 n y a de bien en cette vie qu en l esp rance d une autre vie op cit p 267 8 Mirbeau s emploie la d mystifier et la d sacraliser dans une farce de 1901 Les Amants reprise la Com dir Fran aise au printemps 2000 91 Voir notamment les Contes cruels de Mirbeau et parmi ses romans Le Calvaire Le Jardin des supplices L cuy re et La Belle Madame Le Vassart 10 Andr Comte Sponville op cit t I p 13 et p 15 11 bidem p 15 Comte Sponville voit dans l utopisme des r volutionnaires aussi bien que dans les esp rances des religions la terre promise de toutes les ali nations p 149 12 Mirbeau compare les lecteurs des moutons qui choisissent le boucher qui les tuera et le bourgeois qui les mangera Voir son appel la gr ve des lecteurs dans ses Combats politiques 1990 Librairie S guier pp 109 115 13 Comte Sponville crit que le mat rialisme c est une th orie de l illusion op cit t I p 119 al
114. s simple car d apr s Roland Barthes ce point de vue omniscient et ce temps de la narration crite et litt raire impliquent un univers ordonn intelligible et rassurant en tous points conforme l id ologie bourgeoise qui triomphe au XIX si cle 74 mais videmment incompatible avec le devoir de lucidit On peut mettre des r serves du m me ordre propos des autobiographies dont le prototype est fourni par les Confessions de Rousseau et qui quoique r dig es la premi re personne n en tentent pas moins presque toujours de donner r trospectivement de la coh rence et du sens des v nements pass s d pourvus de rationalit et qui se sont encha n s fortuitement 75 Paradoxalement on pourrait m me quoique degr moindre formuler le m me type de critique l endroit d un romancier philosophe tel que Camus th oricien de l absurde qui fournit avec L tranger mise en images du Mythe de Sisyphe une illustration parfaite de cette contradiction bien que le r cit soit r dig la premi re personne et que le romancier ait adopt le pass compos temps de l oralit et de la discontinuit afin d viter les effets pervers induits par l emploi du pass simple En effet pour susciter chez ses lecteurs le sentiment de l absurde l instar de Voltaire dans Candide pour les amener du m me coup une remise en cause radicale et d sesp r e de toutes leurs id es to
115. sa premi re uvre narrative Paludes 1895 o un anonyme narrateur romancier qui lui ressemble fort est en train d crire un roman pr cis ment intitul Paludes et qui s enlise dans les mar cages d un genre d liquescent qui a fait son temps comme son titre ne manque pas de le sugg rer 92 C est pr cis ment cette respectabilit injustifi e que Mirbeau dans tous ses crits s emploie ruiner car il voit en elle un obstacle majeur l mancipation intellectuelle des opprim s La caricature la d rision et l interview imaginaire qui permet de faire dire tout haut aux puissants de ce monde ce qu ils pensent in petto sont ses moyens de pr dilection Il appara t bien alors comme le grand d mystificateur 93 Salman Rushdie quoique citoyen britannique vivant en Angleterre risque lui aussi sa peau il a t condamn mort par une fatwa du d funt ayatollah Khomeyni 94 Ce roman a t interdit en Autriche en 1902 pour atteinte aux bonnes m urs et mis au pilon De m me Le Jardin des supplices et Les 21 jours d un neurasth nique ont t interdits en Allemagne pour le m me motif 95 Dans la premi re moiti de ce si cle d hypocrisie bourgeoise Henri de Latouche Fragoletta 1829 Balzac La Fille aux yeux d or 1835 et Th ophile Gautier Mademoiselle de Maupin 1835 ont aussi trait de sujets scandaleux aux yeux des Tartuffes de tout poil mais avec moultes pr cautions
116. si tre d en partie aux contraintes de la prosodie classique notamment celles de la c sure de la rime de la longueur et du rythme du vers 185 sans lesquelles telle image lourde d implications ne serait jamais venue sous la plume du po te on comprend que Baudelaire Mallarm et Val ry non seulement les aient obstin ment respect es ces r gles contraignantes sans lesquelles l art est condamn mort selon Andr Gide 186 mais se soient m me im pos de nouvelles difficult s pensons aux pantoums de Baudelaire par exemple Harmonie du soir au choix de vers de quatre syllabes 187 par Verlaine dans Charleroi Romances sans paroles ou au sonnet de Mallarm aux rimes en yx et ixe Ses purs ongles tr s haut qui constitue un cas extr me la diff rence de l id al classique qui r duit les mots au r le d outil passif la po sie en g n ral et en particulier celle qui a triomph avec Baudelaire et ses mules leur accorde la priorit comme l explique par exemple propos d Arthur Rimbaud le po te Yves Bonnefoy Pour r tablir le r el dans sa transparence primordiale pour retrouver la vraie vie il est bien naturel qu il ait eu recours au langage Car les mots dans une situation de t n bres ont un singulier pouvoir d clairement De la chose qu ils nomment et si m me elle est compromise dans l horizon quotidien ils semblent ne retenir qu une puret Dite pour
117. ssi s ils souhaitent crire malgr tout de vrais romans installer d embl e leurs personnages dans un univers de fantaisie ou de conte l instar de Boris Vian L Arrache c ur de Marcel Aym Travelingue ou d Arto Paasilinna Le Meunier hurlant voire dans un monde mythique comme chez Michel Tournier 128 qui a revisit les mythes de Robinson Vendredi de l ogre Le Roi des aulnes et de la g mellit Les M t ores pour mieux faire passer la m taphysique dans le roman Ils peuvent galement temp rer et conjurer le r alisme apparent en donnant au r cit et aux tres et aux choses une dimension pique ou fantastique comme l ont fait Garcia Marquez Asturias et Roa Bastos et aussi leur fa on G nther Grass Le Tambour Le Turbot ou Salman Rushdie Le Dernier soupir du Maure dans le cadre de ce qu on a appel le r alisme magique La totale subjectivit du r cit est aussi un moyen d interposer un filtre ou un cran entre le regard du narrateur et le monde ext rieur dont ne nous est donn e qu une repr sentation avec tous les risques de d formation et partant d incertitude pour le lecteur que cela comporte ainsi dans Le Journal d une femme de chambre nous ne saurons jamais si C lestine la narratrice extravague en se persuadant que le jardinier cocher Joseph est coupable du meurtre et du viol de la petite Claire 129 Le cas extr me de la subjectivit
118. stion n est bien souvent qu une d n gation du vrai lequel a le grand tort de faire peur au tout venant et 1l refl te l opinion moyenne d individus moyens qui se bouchent les yeux devant une r alit d rangeante pour leur digestion leur confort intellectuel ou leur bonne conscience qu il s agisse de l absurde et angoissante condition humaine des furpitudes sociales comme disaient les anarchistes ou de l inhumanit fonci re de l homme illustr e par toute sa sanglante histoire De fait en voulant rester dans une moyenne statistique on gomme les asp rit s et les contradictions des tres et des choses et en s interdisant d voquer ce qui appara t comme des anomalies ou des exceptions alors que ce sont pr cis ment les exceptions et les cas extr mes qui permettent de d couvrir ce qui risquerait de passer inaper u on banalise on dulcore et on aseptise toutes choses Bref on triche on d forme on ment on trompe Si Tartuffe et Don Juan Alceste et M Jourdain Ph dre et N ron Horace et Polyeucte le p re Goriot et Vautrin Julien Sorel et Fabrice del Dongo aussi bien que l abb Jules qu Isidore Lechat de Les Affaires son les affaires ou que Miss Clara du Jardin des supplices continuent de nous int resser voire de nous fasciner c est videmment parce qu ils sont des personnages hors du commun et que ce titre ils risquent d tre jug s invraisemblables par les Sarcey de
119. t118 En second lieu le roman qui se veut r aliste pr suppose que cette r alit pr tendument objective soit galement intelligible et que la lumi re des progr s de la science le romancier exp rimental la Zola qui est cens poss der une exceptionnelle capacit d observation et de synth se soit habilit nous en pr senter une vision clarifiante On sait aujourd hui que c est l une double illusion rationaliste D abord parce que personne ne croit plus que la V rit soit accessible l homme comme l crivait Pascal le principe et la fin des choses resteront jamais cach s dans un secret imp n trablel119 contrairement ce que s imaginaient na vement les scientistes dont se r clamait Zola et apr s la r v lation de Dosto evski et la d couverte de l inconscient on ne croit pas davantage que l homme travers de contradictions et domin par des pulsions profond ment enfouies en lui puisse tre autre chose qu un insondable myst re d o le soup on l encontre du personnage de roman qui appara t trop souvent comme fabriqu et sch matique C est aux grands romanciers russes que Mirbeau doit cette d couverte Gr ce eux crit il son ma tre L on Tolsto il a appris d chiffrer ce qui grouille et gronde derri re un visage humain au fond des t n bres de la subconscience ce tumulte aheurt cette bousculade folle
120. tacite pass avec les lecteurs ou les spectateurs en leur offrant un ensemble satisfaisant pour l esprit o tout se tienne o la logique interne soit respect e o les apparences d authenticit soient sauvegard es afin qu ils puissent y croire ou faire semblant d y croire et par cons quent ressentir des motions tout en sachant pertinemment qu il ne s agit que d une fiction Le r f rent n est plus l ext rieur de l uvre comme dans le cas de la vraisemblance mais l int rieur il s agit d une exigence de coh rence pour que l uvre puisse fonctionner conform ment au mode d emploi et pour que soit entretenue l illusion romanesque ou th trale Ce peut tre la coh rence de l intrigue imp rativement exig e dans un roman policier par opposition aux romans chroniques et aux Journaux intimes d une femme de chambre ou d un cur de campagne aux romans par lettres tels que Peints par eux m mes de Paul Hervieu ou Les Liaisons dangereuses aux romans unanimistes qui juxtaposent de br ves s quences sans rapport les unes avec les autres tels le premier volume des Hommes de bonne volont de Jules Romains ou Manhattan Transfer de Dos Passos aux romans puzzles tels que La Vie mode d emploi de Georges P rec aux romans foisonnants et fourre tout la fa on de Salman Rushdie Les Enfants de minuit ou encore aux r cits et aux pi ces de th tre tiroirs t
121. tent et qu ils entendent faire triompher dans la R publique des Lettres Les R gles de l art Le Seuil 1992 p 116 112 M me Zola reconna t que le r el est per u travers un cran mais il le souhaite aussi transparent que possible c est cette transparence qui selon lui oppose le roman r aliste au roman romantique 113 Charles Baudelaire L Art philosophique dans L Art romantique Lemerre s d p 117 114 De m me Baudelaire dans son compte rendu de Madame Bovary R alisme injure d go tante jet e la face de tous les analystes mot vague et lastique qui signifie pour le vulgaire non pas une m thode nouvelle de cr ation mais une description minutieuse des accessoires op cit p 369 115 Octave Mirbeau L Art et la Nature Le Gaulois 26 avril 1886 C E t I p 246 116 Arthur Schopenhauer M taphysique de l amour M taphysique de la mort U G E coll 10 18 1964 p 133 117 Octave Mirbeau Aristide Maillol La Revue 1 avril 1905 C E t IL p 386 118 Octave Mirbeau Dans le ciel p 92 119 Disproportion de l homme pens e n 197 Pens es loc cit p 143 120 Octave Mirbeau Lettre L on Tolsto l cart Reims 1991 p 15 121 Monsieur Jean valet de chambre vidait les pots de chambre M Paul Bourget vidait les mes crit C lestine dans Le Journal d une femme de cha
122. tions sont farcesques disait Montaigne qui ajoutait citant P trone Mundus universus exercet histrioniam Essais livre II chap X loc cit p 252 157 Octave Mirbeau Correspondance avec Monet loc cit p 102 H58 Pour Camus dans Le Mythe de Sisyphe Phomme est entour de murs absurdes il vit dans un univers irrationnel ind chiffrable et limit auquel se heurte en vain son d sir perdu de clart et c est de cette confrontation que na t ce qu il appelle l absurde Albert Camus Essais La Pl iade p 113 159 Roland Barthes op cit p 43 160 Lettre du 3 juillet 1860 Correspondance de Flaubert loc cit t II p 183 161 Mirbeau exprime la m me id e propos de Mallarm Son obscurit est elle m me de la vie de cette vie elliptique nigmatique qui r gne partout aussi bien aux pistils des fleurs qu aux prunelles des femmes Quelques opinions d un Allemand loc cit 162 De m me le peintre Lucien de Dans le ciel s crie t il am rement Sais tu pourquoi je me bats les flancs pour trouver un tas de choses compliqu es C est parce que je suis incapable de rendre le simple parce que je ne sais pas dessiner loc cit p 129 163 Roland Barthes op cit p 50 Flaubert a lui aussi d nonc cette illusion dualiste Il crit par exemple que la forme est la chair m me de la pens e comme la pens e
123. tout artiste digne de ce nom de se d barrasser des verres d formants et des pr jug s corrosifs du conditionnement culturel afin de voir avec son il et non avec celui des autres 37 et de faire passer les sensations prouv es au contact du monde ext rieur travers l alambic de son temp rament v ritable travail de distillation comparable la cristallisation amoureuse analys e par Stendhal au terme duquel le fait brut est devenu divinement modifi vers tableau ou statuel387 Mais il y faut une lutte incessante et douloureuse contre soi m me d abord dans la mesure o l empreinte du conditionnement profond ment ancr e est l origine d une dualit de l tre humain et aussi contre une soci t mison iste r fractaire cette angoissante recherche de l originalit Ce travail de d cantation sans lequel il n y aurait pas d art n est pourtant pas suffisant il faut galement poss der parfaitement son m tier tre seul ma tre de son cerveau et de sa main ce qui n cessite une longue difficile et permanente formation Seulement si le m tier est indispensable il ne saurait en aucune fa on tre suffisant il n est qu un outil non une fin en soi Et l artiste qui n est pas un simple technicien devra proc der une douloureuse et d sesp r e asc se afin de se cr er lui m me en m me temps que son uvre 39 e Une politique mat rialiste Le
124. u Corbeau traduit par Baudelaire et bien assimil par Paul Val ry 72 Qu est ce pr cis ment que la rh torique sinon l tude rationnelle des moyens les plus aptes op rer la persuasion souhait e Qu est ce qu un atelier d criture comme il en existe tant aux tats Unis et maintenant en France sinon le lieu d apprentissage des r gles immuables du bien dire et du bien raconter qui sont suppos es assurer un r cit son efficacit maximale 73 La quasi totalit des crivains qui ont quelque chose dire et ont besoin des mots pour transmettre ce qu ils portent en eux id es sentiments motions ou sensations sont confront s ce risque de figer une pens e mouvante et contradictoire et ce faisant de trahir leur devoir de lucidit sous pr texte d un devoir de clart ou d efficacit N est ce pas pr cis ment ce que je suis en train de faire en t chant p dagogiquement de donner une apparence claire et rationnelle l analyse d une probl matique o pourtant la raison est vivement remise en cause plus forte raison les crivains th se tombent ils bien videmment sous le coup de cette critique quelle que soit par ailleurs la th se 1llus trer f t elle qualifi e de progressiste de mat rialiste et de r volutionnaire Il en va de m me de tous les romanciers qui selon les r gles narratologiques classiques r digent des r cits la troisi me personne et au pas
125. ualisme farouche Mirbeau constituerait une belle illustration de la dualit du militant mat rialiste voqu par Comte Sponville condamn cette contradiction de croire quelque chose dont il ne cesse d affirmer l illusion oblig pour rester mat rialiste de se d sillusionner sans cesse de sa propre croyancera2 De fait tout en r pudiant la politique qui ne saurait tre qu oppressive et les politiciens qui en font commerce Mirbeau ne r pudie pas le politique auquel personne ne saurait chapper n1 l engagement social de l intellectuel qui est un imp ratif thique et tout en refusant la propagande destin e ne pas d sesp rer Billancourt il n en continue pas moins pr ner la n cessit de l action Mais l action pour lui ce n est ni le combat partidaire qu il honnit parce qu il n est qu un tremplin pour des arrivistes sans scrupules 43 ni la lutte lectorale et parlementaire qu il vomit car il n y voit qu une duperie ni le complot clandestin pour pr parer le mythique grand soir qui ne manquerait pas de d chanter M me s il n exclut pas de se battre pour des objectifs court terme par exemple contre les exp ditions coloniales contre les lois sc l rates de 1893 1894 pour le capitaine Dreyfus pour les droits des enfants pour la protection sociale des d munis et des vagabonds pour le droit l avortement pour la r habilitation des prostitu es
126. ucidit pensons notamment aux essayistes engag s qui lancent un cri d alarme Et d autre part la litt rature alimentaire perp tr e par tous ceux qui produisent des romans des contes des pi ces de th tre ou des essais non pas pour transmettre une exp rience unique et exprimer leur personnalit par le truchement du langage mais pour acqu rir en change de l argent de la reconnaissance de la notori t du prestige et de la cons cration sociale en r pondant une demande du march la v ritable litt rature n a videmment rien voir avec l industrialisme d nonc avec constance par Mirbeau il y a un si cle Nous nous cantonnerons l criture litt raire qui ne saurait tre n1 strictement utilitaire ni purement mercantile tout en sachant fort bien point d ang lisme que la plupart des grands crivains ont t aussi et sont encore confront s la bataille litt raire 48 et aux inflexibles lois du march du livre ou du th tre et qu ils ont bien t oblig s pour se frayer un chemin et conqu rir leur place dans le champ litt raire ou tout simplement pour pouvoir vivre ou survivre de leur plume 49 d adopter des strat gies qui n ont pas grand rapport avec une exigence int rieure qu elle soit d ordre thique ou esth tique Faisons n anmoins comme si ces vulgaires consid rations strat giques ou commerciales n taient que secondes et d
127. ui transforment des continents entiers en de terrifiants jardins des supplices incoh rence psychologique doubl e d une rupture de style quant Dingo sa derni re uvre narrative 1l nous introduit dans un univers de fantaisie o un modeste chien domestique est capable lui tout seul de trucider tout un troupeau de moutons et de dresser un spectaculaire et sanglant tableau de chasse passage du roman apparemment r aliste et autobiographique la fable ou au conte philosophique Il existe de multiples moyens d enfreindre l exigence de cr dibilit romanesque Le romancier par ses intrusions peut constamment faire sentir sa pr sence de d miurge qui tire les grosses ficelles du r cit comme Diderot dans Jacques le fataliste ou Pascal Lain dans La Dentelli re so Il peut aussi afin de cr er un effet d abyme de nature donner le vertige mettre en sc ne un romancier en train de composer un roman qui ressemble fort au r cit que le lecteur est en train de lire et qui porte le m me titre comme dans Les Faux monnayeurs de Gide o1 qu il s agisse de lui m me dans le cadre de ce que Serge Doubrovsky appellera l autofiction ou d un narrateur fictif dans lequel le romancier se projette ce dernier interdit ses lecteurs de croire ce qui ne nous est pr sent que comme une fiction en cours d laboration D une fa on g n rale tout ce qui contribue la distanciation du lecteur not
128. utes faites et notamment pour les purger d espoir c est dire de toute illusion rationaliste dans un univers irrationnel o rien ne rime rien il a mis en uvre avec une maestria confondante un ensemble de moyens narratologiques rh toriques et stylistiques qui ont t labor s on ne peut plus rationnellement 76 Certes les moyens sont d une extr me efficacit mais l vidente rationalit de leur laboration et de leur utilisation pose probl me puisqu elle est en contradiction avec l irrationalit du monde qu il s agit justement de sugg rer la r flexion le moyen peut paradoxalement appara tre en contradiction avec la fin En renon ant ce type d arrangements porteurs d illusions Samuel Beckett et Eug ne Ionesco du moins Ionesco premi re mani re car Rhinoc ros se heurte la m me contradiction que L tranger se montreront plus fid les l absurde 77 D une fa on plus g n rale c est toute pens e rationnelle m me si elle n a rien de dogmatique m me si elle remet en cause la raison qui risque de para tre incompatible avec la lucidit d sesp r e puisque comme l crit Camus elle se nie elle m me d s qu elle s affirme l extr me il faudrait n avoir rien dire mais cela serait bien d cevant pour des lecteurs en attente qui se trouveraient confront s de simples jeux d criture ou bien ne recourir qu l criture auto
129. ux manipulations id ologiques qu on peut faire de la bonne litt rature l extr me on aboutit au pr tendu r alisme socialiste qui a t en honneur pendant des d cennies en U R S S et l est encore en Chine mais qui n tait en fait ni r aliste puiqu il s agissait d une vulgaire propagande d cervelante donnant de l homme nouveau et de la soci t pr tendue communiste une image id alis e ni socialiste puisqu elle tait mise au service d un r gime totalitaire et d une dictature sans contre poids exerc e par une minorit sur le dos du prol tariat Les crivains qui ont ainsi peu ou prou pr t la main l endoctrinement des masses tels Henri Barbusse Clart Paul Nizan Le Cheval de Troie Aragon Les Communistes ou Jorge Amado au d but de sa production Les Souterrains de la libert voire Andr Malraux dans Les Conqu rants ou La Condition humaine qui donnent des communistes russes ou chinois une image flatteuse ou encore le compagnon de route Jean Paul Sartre qui dans Les Mains sales en arrive justifier les sales cuisines du Parti au nom du r alisme politique qui commande de s allier avec lui taient dans le meilleur des cas des na fs aveugl s et des cr tins utiles comme les qualifiait L nine avec m pris cependant que d autres se faisaient objectivement les complices de la nomenklatura au pouvoir l instar de Fadeiev ou de Ch
130. ve les yeux et qui choque roidement l attente de lecteurs soucieux de coh rence et conditionn s la trouver dans une uvre d art fait ressortir le caract re contingent de l univers Il en allait d j de m me dans Jacques le Fataliste o les bifurcations du r cit envisag es par l auteur soulignent le caract re contingent de la trame romanesque que renforcent encore les multiples intrusions de Diderot et l insertion de quantit d pisodes sans lien vident avec le r cit des amours de Jacques Quant Voltaire dans Candide il d montre par l absurde la contingence universelle en confrontant tout moment les th ses finalistes d ment caricatur es et les faits fortuits et impr visibles qui leur apportent imm diatement un cinglant d menti certes son roman philosophique suppose un romancier omnipotent et omniscient mais on le voit au travail en train de tirer les ficelles de ses marionnettes et d laborer en tout arbitraire son sc nario d monstratif ce qui suffit interdire toute illusion finaliste Deux exemples contemporains fort diff rents sont int ressants envisager sous l angle du refus du finalisme D un c t Louis Calaferte dans La M canique des femmes 1992 pousse jusqu ses cons quences extr mes son refus de toute composition en renon ant toute narration continue et en juxtaposant quatre cents fragments 70 bribes de r cits de remarques de dialogues et de
131. vent qu un pas et la fronti re est dangereusement fluctuante Il sait aussi que l criture son outil de pr dilection pour tre indispensable qui veut exercer sa lucidit a pourtant plus de chances de trahir son message de d sespoir que de lui donner acc s de nouveaux horizons Cela ne peut que l inviter une grande modestie Cette am re lucidit sur lui m me et sur sa fonction autant que sur le monde qu il aspire exprimer est si difficile vivre et lui inflige de telles souffrances qu il pourrait tre incit se taire sous peine de n tre jamais la hauteur de ses propres exigences thiques ou esth tiques bien cruelle tentation pour un professionnel du verbe Mais n est ce pas pr cis ment cette conscience douloureuse et coupable de sa mis re de ses limites et de ses contradictions qui fait pas caliennement sa grandeur tout humaine et qui peut encore inviter chacun d entre nous l hypocrite lecteur aveugle sur lui m me lire la production de celui qui malgr tout est un semblable et un fr res PUBLICATIONS DE LA SOCI T OCTAVE MIRBEAU e Cahiers Octave Mirbeau n 1 320 pages 1994 150 francs puis e Cahiers Octave Mirbeau n 2 320 pages 1995 150 francs e Cahiers Octave Mirbeau n 3 336 pages 1996 150 francs e Cahiers Octave Mirbeau n 4 416 pages 1997 200 francs e Cahiers Octave Mirbeau n 5 320 pages 1998 150 f

LUCIDITÉ, DÉSESPOIR ET ÉCRITURE

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