Ethologie animale et image de l`homme
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1. d apr s ce que sugg rent de tels sites se manifeste un nouveau mode de vie la capacit c r brale commence d augmenter rapidement ainsi que l indiquent les cr nes fossiles datant de ce m me horizon tem porel ETHOLOGIE ANIMALE ET IMAGE DE L HOMME 249 Le partage de nourriture appara t ainsi comme le comportement qui rassemble parce qu il les pr suppose plusieurs diff rences sp cifiques commun ment attribu es l homme par les anthro pologues Qu il s agisse de marche en station droite de fabrication d outils de chasse ou de cueillette voire m me de langage tous ces comportements avanc s par tel ou tel anthropologue comme caract risant l homme parmi les primates figurent comme autant de composantes d un nouveau mode de vie o le partage de la nourriture joue un r le central Si cette perspective se trouve confirm e par les d couvertes ult rieures de l thologie et de l arch ologie la facult de partager avec son semblable devra d sormais figurer dans une d finition scientifique de l homme au m me titre que la capacit de fabriquer des outils et de transformer son environnement physique Peut tre m me mais ceci n est qu une suggestion d couvrira t on qu elle ne fait qu un avec la facult de communiquer par le langage Conclusion Il ne semble donc pas exag r d affirmer que l tude intensive des chimpanz s en milieu naturel au cours des vingt derni res ann2. es tout en nous r v lant des ressemblances inattendues entre leur comportement et celui de l homme nous a par l m me amen s comme le pressentait Jane Goodall r fl chir de fa on plus intelligente sur ce qui fait l originalit de l homme et mieux situer sa v ritable grandeur Si l homme nous appara t alors la fois comme celui qui trans forme son milieu de vie homo faber et comme tre ne pouvant survivre que dans et par le partage homo communicans le th o logien ne peut il pas bon droit y lire deux traits majeurs du visage par o l homme appara t comme image de Dieu Image de Dieu cr ateur donnant tre et forme ce qui n en avait pas image aussi de Dieu Trinit qui ne vit que dans un don mutuel o chaque personne partage avec les autres la totalit de ce qu elle est et poss de L int r t d une telle image de l homme n est certes pas d tre nouvelle mais bien d tre atteinte par une voie quasi exp rimen tale partir d observations scientifiques portant sur des chim panz s en milieu naturel et sur des populations humaines soit actuellement existantes soit telles que nous les r v le l arch ologsie 250 J KITAHARA FRISCH S J pr historique observations qui ne font appel aucune r flexion philosophique encore qu elles puissent trouver de ce c t un puis sant stimulant Il ne para t pas non plus d plac de m diter au terme de cet article
3. rieur d volution que les chimpanz s nous permettent d imaginer Une fois engag dans cette nouvelle voie l homme s est vu forc peut on dire de devenir de plus en plus cr ateur Le progr s d allure exponentielle de la technologie humaine tel que nous le d couvre l arch ologie pr historique en fournit un loquent t moignage IT Recherche sur le comportement nourricier Un probl me qui a longtemps pr occup les anthropologues s int ressant aux origines humaines est de comprendre pourquoi les anc tres de l homme la diff rence des grands singes anthro po des ont adopt la posture rig e et un mode de locomotion recourant aux seuls membres post rieurs Une des hypoth ses pro pos es il y a quelques ann es et qui fut largement diffus e dans le grand public par quelques livres plus proches parfois de la science fiction que de la saine vulgarisation scientifique tait centr e sur la chasse En effet tandis que les grands singes se nourtissent surtout sinon exclusivement de fruits et de mati res v g tales l homme est le seul primate incorporer son r gime alimentaire une quantit relativement importante de viande pro cur e au moyen de la chasse C est du reste pourquoi les peuplades ne connaissant pas l agriculture sont commun ment d sign es par les ethnologues comme chasseurs cueilleurs L hypoth se liant les origines humaines la chasse permettait aussi d expliquer
4. KANo Social behavior of wild pigmy chimpanzees of Wamba dans Journal of Human Evolution 9 1980 243 260 ETHOLOGIE ANIMALE ET IMAGE DE L HOMME 245 nourriture fruit ou plante qu ils auraient pu sans aucune peine se procurer par eux m mes L int r t de ces observations est de mettre en lumi re les grandes diff rences qui s parent le partage de nourriture caract ristique des soci t s humaines et des comportements premi re vue semblables observ s chez les chimpanz s aussi bien s il s agit de plantes et de fruits que pour les produits de pr dations occasionnelles L absence du partage r gulier de nourriture au sens de don spontan et direct se comprend du reste fort bien si l on prend la peine de le situer dans l ensemble du comportement nourricier du chimpanz Ce comportement peut tre d crit comme une man ducation p r grinatoire avec consommation imm diate sur l en droit de la cueillette Un territoire de dimension limit e est ex ploit de fa on globale itin rante et indiff renci e La nourriture est mang e sur place chacun pour soi et la Nature pour tous Certains transferts limit s de la nourriture r colt e ont parfois lieu de m re enfant et aident peut tre au sevrage Rien en tout ceci qui corresponde l accumulation de nourriture en vue d une consommation diff r e telle qu on la voit chez les cureuils les castors les fourmis ou les hommes Un chercheu
5. de celles qu on observe chez les chimpanz s Bref un site comme Melka Kuntur ne se comprend bien que si l on admet qu il tait occup par un groupe repr sentant tout le moins un embryon de famille o comme l exprimait joliment le P re Hours dans une conf rence faite Louvain la Neuve en avril 1983 le m le devient p re Point n est besoin sans doute d insister sur la part d hypoth se que comportent in vitablement de telles tentatives de reconstruc tion du comportement social partit des maigres restes laiss s sur ces sols d occupation vieux de pr s de deux millions d ann es Ce qui importe pour notre propos c est la difficult d interpr ter la nature et l arrangement de ces restes sans supposer que les occu pants de ces sites partageaient entre eux la nourriture r colt e et rassembl e sur place En fait la d couverte de tels sites nous aide grandement com prendre comment le partage de nourriture agit comme l ment cen tral et unificateur dans un complexe tout nouveau de comporte ments d adaptation le camp de base la conservation du produit de la chasse et de la cueillette le transport de la nourriture impliquant la marche debout et l existence de r cipients videmment dis parus l emploi d outils de pierre pour couper et d pecer les carcasses impliquant la confection de ces outils D s lors il n est pas tonnant de remarquer que pr cis ment l poque o
6. de partage observ es parmi les carnivores sociaux surtout les canid s chez qui le produit de la chasse est apport aux enfants ou aux jeunes fr res et s urs de m me qu aux adultes rest s la tani re pour garder les enfants un comportement bien 5 G TELEKI The Predatory Behavior of Wild Chimpanzees Lewisburg Bucknell Univ Press 1973 6 G Isaac The food sharing behavior of protohuman hominids dans Cmemtifir Amereran 928 1078 00 108 244 J KITAHARA FRISCH S J plus proche de celui des soci t s de chasseurs humains que celui qu on observe chez les chimpanz s Cette diff rence entre le comportement des carnivores et celui des chimpanz s s explique d ailleurs fort bien par la place que la chasse occupe dans le mode de vie des uns et des autres Pour les chimpanz s les proies animales ne contribuent que pour une part minime au r gime alimentaire fournissant une nourriture de luxe a t on dit Ceci explique que la pr dation n entra ne ni r ciprocit dans la distribution du produit de la chasse ni division du travail entre sexes comme on le voit chez les chasseurs cueilleurs parmi lesquels les hommes s adonnent la chasse et les femmes la cueil lette Une des difficult s de l tude du comportement de partage chez les chimpanz s provient de la fr quence relativement basse de la pr dation et du fait qu il n a pas encore t bien tudi dans d autres populations o la pr dation s
7. de vie sociale Y figurent 1 l tablissement d un camp de base o la nourriture est rapport e en fin de journ e tandis que le chimpanz se construit chaque soir un nid individuel dans un nouvel endroit 2 une consommation diff r e de la nourriture li e au fait que la r colte fruits tubercules gibier est souvent plus consid rable que ce qu une personne peut manger seule tandis que le chimpanz consomme sur le champ et individuelle ment le produit de sa cueillette 3 la division du travail et des responsabilit s dans l approvisionnement du groupe et le soin des enfants hommes et femmes se r partissant des r les diff rents tandis que cette diff renciation des r les est inconnue chez les chimpanz s Bref m me lorsqu ils habitent et exploitent des territoires sem blables hommes et chimpanz s s y nourrissent de fa on fort diff rente ETHOLOGIE ANIMALE ET IMAGE DE L HOMME 247 Tout en reconnaissant l int r t d une telle comparaison entre le comportement nourricier du chimpanz et celui de l homme jusqu aux tout derniers temps on se croyait autoris douter que ce comportement ait pu comme la confection d outils laisser des traces dans les archives de la terre Or parmi les d couvertes ma jeures faites par les arch ologues au cours de ces derni res ann es figure pr cis ment celle de sites pr historiques vieux de pr s de deux millions d ann es et qui sugg rent fortement un ty
8. par deux ou trois entour es d ossements bris s de hachereaux de pierre et de galets cass s d finissent vraisemblablement une aire de d pe age et de d membrement de carcasses apport es peut tre par morceaux sur le site Par ailleurs des concentrations d clats de pierre et de nucleus d o ceux ci furent tir s repr sentent sans doute un lieu 9 Fr Hours Les aspects socio culturels de l mergence humaine dans Emergence et Originalit de l Homme coll Cahiers de l Institut Catho lique de Lyon 9 1983 248 J KITAHARA FRISCH S J de d bitage de la pierre et de fa onnage d outils Ailleurs encore alors que des art facts fort nombreux forment une sorte de pavage discontinu le sol reste nu certains endroits et un espace vide rompt la juxtaposition des galets sugg rant une aire de repos le sable fournit un lit plus commode que les pierres Ces traces d activit s diverses ainsi que la quantit de mat riel lithique apport sur le site font penser un camp de base plus ou moins durable A en juger d apr s le mode de vie des chasseurs cueilleurs un tel camp pr suppose une vari t de t ches une r partition du travail et une structure sociale diff renci e La chasse implique aussi que les femelles restent garder les petits labri du campement et re oivent une part du produit de la chasse Tout ceci suppose et indique un type de relations entre m les et femelles fort diff rentes
9. tres dans 11 cas observ s L emploi des marteaux de pierre peut r clamer une vigueur physique consid rable pour briser les noix les plus dures il faut laisser tomber un marteau de 10 kilos d une hauteur de 120 cm mais il faut encore que cette force soit utilis e avec pr cision La grosse noix panda longue de 5 6 cm contient trois ou quatre amandes dispos es en cercle envelopp es chacune dans une corce paisse et dure Une fois la noix bris e l corce de chaque amande doit tre frapp e suivant un angle bien d fini Il s agit donc de manier le marteau d abord avec force puis avec plus de pr cau tion et de justesse De plus pour d tacher chacune des amandes il est n cessaire de donner la noix une position nouvelle D ail leurs l orientation donn e la frappe est importante galement pour les autres esp ces de noix Bref la technique exig e par ce comportement nourricier requiert une grande habilet manuelle qui demande un long apprentissage et suppose un syst me nerveux ETHOLOGIE ANIMALE ET IMAGE DE L HOMME 239 hautement d velopp capable d assurer la m moire de l exp rience acquise et un contr le sensori moteur de pr cision Il est int ressant de remarquer que ces observations faites en C te d Ivoire confirment ce qui tait d j connu par les tudes de Jane Goodall sur les chimpanz s de la r serve naturelle de Gombe Stream en Tanzanie La fa on dont ces chimpanz s se s
10. Ethologie animale et image de l homme Dans le livre bien connu Iz the Shadow of Man o l thologue britannique Jane van Lawick Goodall raconte ses recherches sur la vie des chimpanz s en milieu naturel on peut lire le paragraphe suivant Je me suis aper ue tout r cemment que c est seulement en com prenant bien les aspects par o le chimpanz ressemble l homme dans son comportement que nous pourrons r fl chir de fa on intelli gente sur les points par o les deux diff rent Et c est seulement alors que nous pourrons commencer appr cier sa juste grandeur Punicit de l homme de fa on la fois biologique et spirituelle Ce sont l il est vrai des paroles peu communes sous la plume d un thologue mais elles d finissent bien l angle sous lequel ce genre d tudes est susceptible d int resser le philosophe chr tien et le th ologien Le propos du pr sent article est d exposer bri vement comment des tudes r centes sur le comportement des chimpanz s en milieu naturel paraissent confirmer la justesse et la f condit de la per spective sugg r e par Jane Goodall On voudrait plus particuli re ment examiner comment ce que nous avons appris r cemment sur le comportement du chimpanz quant l emploi et la confection d outils et dans la mani re de se nourrir peut nous clairer par effet de contraste sur l originalit du comportement propre l homme Il a
11. diverses particularit s de notre vie sociale telles que la coop ration entre les membres du groupe la division du travail entre hommes et femmes le partage de la nourriture acti vit s toutes li es aux n cessit s de la chasse et qui rendent la soci t humaine fort diff rente de la soci t des chimpanz s d o ces divers comportements semblaient tre compl tement absents Or ici aussi comme pour l emploi et la fabrication d outils l tude intensive de plusieurs populations de chimpanz s en milieu naturel a men les thologues nuancer et pr ciser une fa on parfois simpliste de distinguer soci t simienne et soci t humaine C est ainsi que l on apprit que les chimpanz s de la r serve naturelle de Gombe Stream Tanzanie capturaient assez souvent Mes anaa Mess anse AA anet Atari mms Aa ETHOLOGIE ANIMALE ET IMAGE DE L HOMME 243 petits mammif res et que parfois plusieurs individus participaient la consommation de ces proies Geza Teleki un chercheur am ricain a consacr au comportement pr dateur des chimpanz s de Gombe Stream une longue monographie o il pense pouvoir mettre en vidence des strat gies de chasse concert e et des par tages de nourriture entre membres du groupe Il va sans dire que ces d couvertes ont grandement int ress et sans doute m me tonn les anthropologues On s accorde au jourd hui reconna tre que les primates en g n ral sont omnivores
12. e diverses par la nature des aliments consomm s et celle des objets employ s comme outils font manifestement appel des facult s psychiques semblables On y rel ve entre autres 1 une certaine capacit r elle quoique limit e de d passer les limites temporelles et spatiales de la situa tion pr sente de l animal les activit s de celui ci paraissant influen 3 J van LAWICK GOODALL The behaviour of free living chimpanzees in the Gombe Stream Reserve coll Animal Behaviour Monographs 1 1968 n 161 211 2 240 J KITAHARA FRISCH SJ c es par des facteurs qu il n a pas sous les yeux 2 un d but de projet anticipant lavenir et le pr parant 3 la construction men tale d une cha ne op ratoire produit d un apprentissage et suscep tible de modifications et d additions qui d pendent des contin gences du lieu et du moment Il ne saurait tre question videmment de sous estimer les diff rences s parant les capacit s de pr vision de construction et d invention observ es chez les chimpanz s de celles qui caract risent les technologies humaines m me les moins d velopp es La question peut cependant se poser ces diff rences sont elles autres que de degr Quoi qu il en soit les ressemblances observ es rendent d autant plus remarquable le fait que sur deux points au moins le comportement du chimpanz dans l emploi d outils ren contre des limites apparemment fondamentales e
13. emble tre encore moins fr quente qu Gombe Stream Heureusement les nourritures habituelles du chimpanz plantes et fruits peuvent elles aussi faire l objet de transactions entre individus Mais faut il dans ces cas parler de partage Ne convient il pas d abord de distinguer entre simple transfert de nourriture d un animal un autre pas suite de mendication de vol etc et don spontan un autre membre du groupe Un chercheur japonais T Kano tudiant une population de chimpanz s nains Pan paniscus au Za re a fait des observations fort int ressantes sur la fa on dont des cannes sucre plant es par lui pour attirer les chimpanz s sont parfois partag es Il re marque d abord que la mendicit est fr quente mais que souvent elle est ignor e et la sollicitation refus e soit que le possesseur se d tourne du qu mandeur soit qu il cache la nourriture Le don direct accompli en brisant un morceau de canne et en le tendant au demandeur semble tr s exceptionnel Les cas les plus fr quents de partage entre adultes ont pour objet des cannes trop longues pour pouvoir tre tenues enti rement par un animal qu entoure une foule de mendiants En second lieu viennent les cas o la m re laisse prendre par son enfant des morceaux de canne que le petit n est pas encore capable de peler par lui m me Kano observe enfin que les jeunes demandent le plus souvent leur m re une 7 T
14. ervent de menues branches pour extraire les termites de leurs nids a fait l objet de nombreuses publications de niveau stricte ment scientifique ou de vulgarisation Rappelons bri vement les principales capacit s mises en lumi re par cette p che aux ter mites Ici aussi il y a s lection d un mat riau appropri la branche employ e doit pr senter la longueur l paisseur et la flexibilit convenables Les d butants qu il s agisse de jeunes chimpanz s ou du zoologiste s essayant imiter le chimpanz n y parviennent qu apr s un apprentissage assez long Le maniement de l outil demande ici encore une grande habilet les mouvements de la main devant s adapter la conformation interne des tunnels dans lesquels les termites sont log s Qui plus est les outils employ s pour la p che aux termites sont pr par s l avance et transport s parfois d une termiti re une autre sur une distance pouvant atteindre plusieurs centaines de m tres La forme naturelle des branches employ es est souvent odifi e de fa on rendre l outil mieux adapt les feuilles sont lagu es ainsi que les tiges lat rales la branche est coup e la longueur d sir e Les extr mit s d form es en cours d usage sont retran ch es pour restituer l outil la forme convenant l emploi demand Ainsi aussi bien en C te d Ivoire qu en Tanzanie les activit s nourrici res des chimpanz s bien qu
15. es noix les plus dures taient cras es de pr f rence sur des enclumes de pierre m me si celles ci se trou vaient loign es de plus de 30 m tres de l arbre fruitier De m me les marteaux choisis pour briser ces noix taient de pierre plus dure granit et de poids sup rieur et ils taient transport s plus souvent sur des distances plus longues que les marteaux em ploy s pour briser les noix moins dures Le transport des outils les plus efficaces explique aussi pourquoi certains outils paraissent avoir servi de fa on r p t e pendant de longues p riodes Cette constatation implique la conservation des instruments les plus utiles et sugg re une troisi me caract ristique du psychisme des chimpanz s la pr vision anticipant l emploi futur des outils Cette facult d anticiper un emploi futur se remarque du reste aussi dans le fait qu on a vu des chimpanz s se munir d un gour din avant de grimper dans un noyer o ils devaient s attendre trouver des noix assez tendres pour tre bris es sur une grosse branche de l arbre m me Dans le cas des noix plus dures on a vu un chimpanz apporter un marteau de pierre pr s d une en clume avant d aller r colter une provision de noix dans les arbres voisins Le choix du mat riau appropri implique videmment lui aussi une pr vision surtout lorsque ce mat riau n est pas abon dant et demande tre cherch une certaine distance plus de 200 m
16. f rents Parmi ces derniers cependant le chimpanz se signale la fois par le nombre d objets utilis s et par la vari t des modes d emploi Une branche peut par exemple jouer le r le de canne p che pour capturer des termites de levier pour forcer le couvercle de caisses contenant de la nourriture d instrument pour explorer le contenu d une cavit ainsi dans le cas d un tronc d atbre renfermant du miel darme pour menacer ou frapper un ennemi Par ailleurs des feuilles peuvent servir tancher le sang d une blessure nettoyer la fourrure absorber l eau rest e dans un trou de racine ou encore ponger les restes de cervelle dans le cr ne d une proie animale Des pierres feront office tant t de projectiles destin s effrayer un adversaire tant de marteaux ou d enclumes pour briser des noix comme on le d crira ci dessous Une telle diversification dans l emploi d objets pris comme outils n est connue jusqu ici que chez le chimpanz elle montre que chez celui ci la mani re de se comporter dans l utilisation d outils est affranchie du caract re st r otyp qui marque ce genre de comportements tel qu on le conna t chez d autres animaux ces comportements sont essentiellement instinctifs ainsi la construc tion de digues et de canaux chez les castors la confection du nid par les oiseaux L mancipation l gard de l instinct se manifeste aussi par le r le bien
17. n corps aux exigences de l environnement comme doivent le faire toutes les autres esp ces animales Tandis que le jeu combin des muta tions g n tiques et de la s lection naturelle a ainsi dot si l on peut dire chaque esp ce animale des propri t s physiques et men tales qui l adaptent son milieu de vie c est sa capacit d invention et de transformation du milieu qui permet l homme cette adapta tion Diff rence videmment fondamentale qui explique par o l emploi d outils chez les chimpanz s joue un r le totalement diff rent de celui de la technologie humaine m me la plus rudi mentaire Ces diff rences pour capitales qu elles soient ne sauraient vi demment faire oublier combien les capacit s mises en lumi re par l tude des chimpanz s en milieu naturel nous clairent sur l en racinement lointain de la technologie qui nous a permis d chapper aux contraintes de la s lection naturelle Si l homme est devenu cr ateur de son milieu c est sans doute en passant par ce d but d mancipation par rapport l instinct dont les chimpanz s nous donnent une si parlante image Mais ne l oublions pas cette mancipation partielle par rapport la s lection naturelle s accompagne chez l homme de l appari tion d une nouvelle forme de d nendance d sormais il ne pent 242 J KITAHARA FRISCH S J plus se passer des outils dont lemploi restait encore facultatif au stade ant
18. onstruit son nid mais en cela il proc de par instinct pour la plus large part Chez le chim panz au contraire plusieurs ann es sont requises avant que les comporte ments ici d crits atteignent leur plein d veloppement ETHOLOGIE ANIMALE ET IMAGE DE L HOMME 241 capture d insectes ces derniers ne constituent qu une partie infime de l alimentation quotidienne du chimpanz Les noix bris es par des marteaux de pierre ou de bois fournissent il est vrai des quan tit s de prot ines non n gligables mais ici non plus les outils n ont gu re d importance vitale ce qui appara t dans le fait que l emploi de marteaux ou d enclumes n est connu jusqu ici qu en Afrique Occidentale Par ailleurs pour l attaque comme pour la d fense le chimpanz se sert de ses mains bien plus que du jet de branches ou de pierres Chez l homme au contraire l outil est indispensable la sur vie m me chez une population comme celle des Tasmaniens main tenant teinte qui ne disposaient que du minimum connu de technologie Absence d outils secondaires et r le des outils non essentiel pour la survie les deux diff rences ainsi mises en lumi re ne sont sans doute pas sans rapport l une avec l autre N est ce pas gr ce Pem ploi d outils secondaires en effet que l homme est parvenu transformer son milieu Or c est en transformant son milieu que l homme s est lib r de la n cessit biologique d adapter so
19. pe humain d exploitation du territoire impliquant le partage de la nourriture Lors d un colloque organis en janvier 1982 au Centre des Fontaines Chantilly le P re Francis Hours put d crire trois de ces sites situ s respectivement en Tanzanie dans le Nord du Kenya et en Ethiopie et montrer comment il est possible d y lire les traces de modes de vie caract ristiques de l homme et ceci une date remontant plus d un million et demi d ann es dans le pass Chacun de ces trois sites a livr des sols d occupation distincts montrant qu un m me endroit a t utilis de fa on r p t e Le nombre d outils de pierre et de restes d animaux indique qu il s agit vraisemblablement l de points de ralliement de s jour et de d part pour des exp ditions de chasse et de cueillette aussi sans doute mais les produits v g taux ne laissent pas de traces Comme le souligne le P re Hours on devine l au lieu de Pex ploitation lin aire itin rante et indiff renti e caract ristique des chimpanz s un d but d organisation rayonnante qui implique des r les divers Cette impression est encore renforc e par ce qui ap pata t de la structure de ces habitats Le site de Melka Kuntur 50 km au sud d Addis Ababa en fournit un bon exemple En diff rents endroits du niveau d habi tation d nomm Gombor I b on trouve des signes d activit s apparemment diverses De grosses pierres group es
20. plus grand revenant l apprentissage soit individuel par essais et erreurs successifs soit social par imita tion L importance de l apprentissage social chez les chimpanz s est sugg r e galement par les variations locales caract risant la distri bution de certains emplois d outils ainsi la confection d ponges ahenthamtnce laheda en marchant Adac farilloc at le rarniure dec ETHOLOGIE ANIMALE ET IMAGE DE L HOMME 237 marteaux de pierre pour briser des noix n ont t constat s jus qu ici que dans quelques localit s mais ne serait ce pas faute d observations suffisantes Dans un article r cent deux thologues suisses Christophe et Hedwige Boesch d crivent comment les chimpanz s du parc national Tai de la C te d Ivoire se servent d objets trouv s dans leur environnement comme de marteaux ou d enclumes pour briser cinq esp ces de noix Ces derni res riches en calories et en prot ines sont consomm es chaque jour durant les quatre mois que dure leur saison Des observations m thodiques sur la nature des mat riaux utilis s et leur mode d emploi mettent bien en lumi re les capacit s psychiques que le comportement en question suppose chez le chimpanz Une premi re s rie d observations indique par exemple la s lec tion d un mat riau appropri comme enclume et comme marteau compte tenu de la duret de l esp ce de noix briser Font office d enclume soit de grosses racines d arb
21. plut t que strictement v g tariens et que les chimpanz s en parti culier introduisent dans leur menu des quantit s non n gligeables de prot ines animales plus sans doute que les autres singes l exception peut tre des babouins Par contre on a beaucoup dis cut et on discute encore de la fr quence relative du comporte ment pr dateur chez les chimpanz s fr quence assez basse m me d apr s les donn es de Teleki et de la r alit de la coop ration pr tendument observ e lors d pisodes de pr dation il peut se faire que plusieurs individus poursuivent une proie en m me temps chacun pour son compte sans que cela implique n cessaire ment concertation Le point le plus discut est sans doute l existence d un v ritable partage de la nourriture On fait remarquer par exemple que le soi disant partage consiste le plus souvent laisser un autre animal prendre une part de la proie sans exercer de repr sailles ou encore abandonner un morceau de nourriture en r ponse une sollicitation insistante et importune m me alors notons le un tiers seulement des demandes sont exauc es Pour ces raisons l an thropologue G Isaac pense que l expression chapardage tol r exprime mieux que le mot partage la nature du comportement observ A noter aussi le fait que pr s de 80 des demandes et cessions de nourriture carn e se font entre adultes Ceci est fort diff rent des conduites
22. ppara tra nous l esp rons que cet clairage indirect n est pas sans int r t pour une meilleure compr hension de ce qui fait la grandeur de l homme et des responsabilit s que celle ci entra ne I Recherche sur le comportement relatif l emploi et la confection d instruments Un premier comportement dont l tude nous invite nuancer et pr ciser certaines opinions traditionnelles sur l originalit hu maine concerne l emploi et la confection d outils 1 J VAN LAWICK GOODALL In the Shadow of Man London Collins 1971 trad france Les Chimpanz s et moi Paris Stock 1971 236 J KITAHARA FRISCH S J Comme on le sait Pusage et la fabrication d instruments ont longtemps t regard s comme caract ristiques de Phomme Aux yeux de l anthropologue tudiant les origines humaines ce com portement offre de plus l avantage pr cieux d avoir laiss des traces dans les archives de la terre telles que nous les r v lent les fouilles de larch ologie les outils de pierre tudi s par le pr historien A vrai dire on savait depuis quelque temps que l emploi de certains objets comme outils n tait pas enti rement inconnu chez les animaux et particuli rement chez les primates Une tude plus pouss e de ceux ci au cours des vingt derni res ann es a permis de relever des exemples d un tel comportement en milieu naturel dans nombre d esp ces de primates appartenant dix sept genres dif
23. r a fait remar quer avec humour que le seul endroit o le chimpanz accumule la nourriture est son estomac Wrangham un thologue anglais ayant longtemps tudi les chimpanz s de Gombe Stream fournit une bonne illustration de leur mani re de se nourrir en milieu naturel Ce faisant il montre en quel sens il est permis de parler de partage et comment celui ci s ins re dans un contexte de comp tition plut t que de coop ration Les animaux mangeant ensemble s espacaient de fa on r guli re maintenant g n ralement entre eux une distance sup rieure la longueur du bras Les palmiers taient les seuls arbres porter une seule grosse grappe de fruits et l seulement les chimpanz s s as seyaient d ordinaire port e de bras les uns des autres La qualit des relations individuelles affectait aussi de fa on importante la tol rance de la proximit dans le temps o les animaux mangeaient Wrangham mentionne encore que la comp tition pour les en droits riches en fruits mordait en r alit sur le temps consacr la cueillette et qu il arrivait qu un animal ayant d couvert une masse de fruits ses compagnons le laissaient manger seul 8 R W WRANGHAM Feeding behaviour of chimpanzees in Gombe National Park Tanzania dans Primate Ecology dit T CLUTTON BROCK London Academie Press 1077 246 J KITAHARA FRISCH S J Ces descriptions pr cises sugg rent certes un comportement fort diff ren
24. res soit des rochers Une enqu te minutieuse a r v l pour une surface donn e de la for t une pr dominance massive des racines 99 7 sur les rochers 0 3 N anmoins c est sur des enclumes de pierre qu ont t bris es 6 13 des noix les plus dures comme en t moignent les d bris de coquilles qui les entourent et seulement 1 70 des noix d une esp ce moins dure De m me bien que la fr quence des marteaux potentiels d nombr s sur le sol f t de 97 de massues de bois contre 2 5 de pierres de nature friable et 0 5 de pierres de granit 70 des 80 marteaux utilis s pour briser les noix les plus dures et trouv s pr s des enclumes taient en pierre tandis que cette proportion de marteaux de pierre ne d passait pas les 44 sur 513 pour les noix moins dures Ces diff rences s expliquent videmment par l efficacit sup rieure des outils de pierre De fait des exp riences ont montr que pour briser les noix il suffit d une force m ca nique beaucoup moindre quand le marteau et l enclume sont de granit La s lection des mat riaux les plus appropri s entra ne aussi le transport des noix et des marteaux sur des distances plus ou moins 2 Chr amp H Borscu Optimization of nut cracking with natural ham mers by wild chimpanzees dans Behaviour 42 1973 265 286 238 J KITAHARA FRISCH SJ grandes d apr s la duret de l esp ce de noix briser On a ob serv par exemple que l
25. spects mais aussi des diff rences irr ductibles Sont caract ristiques de l homme notamment la production d outils secondaires destin s fabriquer d autres outils la n cessit d outils pour la survie le partage proprement dit de la nourri ture avec un ensemble de traits qui lui sont li s 10 Intervention de Mgr Lustiger au cours de la r union de pri re tenue l occasion de la Conf rence des pays les moins d velopp s Doc Cath n 1816 18 oct 1981 940
26. sur la signification de cette image de l homme pour notre temps ce temps o il devient plus vident chaque jour que Phu manit ne saurait survivre qu en apprenant enfin partager avec les autres tous les autres Les peuples dits sous d velopp s ont certes besoin de l aide mat rielle des peuples dot s d une tech nologie plus d velopp e mais ces derniers n ont ils pas tout autant besoin pour retrouver leur humanit de regagner le suppl ment d me que pourrait leur donner la pratique du partage Ignorer ce besoin mutuel nous conduirait sans nul doute faire l exp rience redoutable d crite il y a peu par le Cardinal Lustiger Notre me est morte de la mort de nos fr res Si Teilhard de Chardin avait raison de penser que le processus d hominisation n est pas encore termin ne devient il pas au jourd hui de plus en plus clair que c est seulement en devenant plus humaine plus cr atrice et plus partageante que l humanit pourra survivre De cette sur vie au double sens du mot l thologie contribue nous indiquer le chemin Tokyo Japon Jean KITAHARA FRiIsCH S J Sophia University Life Science Institute Sommaire A partir d observations scientifiques portant sur le com portement des chimpanz s dans l emploi et la confection d outils et sur leur fa on de se nourrir une comparaison avec le comportement humain montre sans doute des ressemblances limit es certains a
27. t de celui qui est voqu par le mot partage En m me temps elles nous font comprendre que si les chimpanz s ne par tagent pas la nourriture c est que ce comportement ne leur est nullement n cessaire les jeunes chimpanz s bien que m rissant beaucoup plus lentement que les autres primates sont parfaite ment capables de se procurer par eux m mes la nourriture dont ils ont besoin Il est vrai comme l a montr Jane Goodall qu ils d pendent de leur m re pendant plusieurs ann es mais cette d pen dance semble tre avant tout affective Et ceci est un autre question qu on ne peut aborder ici Comme des thologues l ont fait remarquer certaines peuplades de chasseurs cueilleurs d Afrique Orientale et Australe exploitent un milieu qui ne diff re gu re de celui o vivent des groupes de chimpanz s L tude de leur mode d existence met bien en lumi re ce qui fait l originalit du comportement nourricier de l homme Il s agit toujours d une activit de groupe dont la responsabilit est collective Elle implique le partage organis de la nourriture recueillie suivant des r gles bien d finies le plus souvent l int rieur du groupe familial mais aussi entre familles lorsque la quan tit de nourriture r colt e le permet Ce partage ne forme d ailleurs qu un l ment dans un ensemble de comportements caract risant par comparaison avec les chimpanz s un type enti rement diff rent
28. t qu on ne conna t pas chez l homme Il s agit d abord de l emploi d outils destin s fabriquer d autres outils ce que l on appelle commun ment outils secondaires Des exp riences en laboratoire paraissent montrer qu il s agit bien l d une fronti re que le chimpanz est incapable de franchir par lui m me et quoi qu il en soit de la possibilit de lui enseigner par imitation l emploi d outils secondaires rien dans les observa tions faites en milieu naturel ne sugg re l emploi de tels outils On n a par exemple jamais vu un chimpanz se servir d une pierre tranchante pour se tailler une branche destin e p cher des termites Cette absence d outils secondaires s explique peut tre par lab sence dans le mode de vie des chimpanz s du besoin d outils tranchants tels que seule la pierre naturellement ou artificielle ment bris e peut en fournit Une seconde diff rence essentielle entre les outils employ s par les chimpanz s et ceux que produisent les plus primitives des technologies humaines concerne le r le jou par les outils dans la survie du groupe Chez les chimpanz s ni l approvisionnement en nourriture ni la protection contre les ennemis ext rieurs ne rend les outils vraiment n cessaires Si des outils sont employ s pour la 4 On objectera peut tre Bien d autres animaux n en font ils pas autant Ainsi l oiseau qui b tit son nid Certes l oiseau c
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