Sophie Marchand, Sur la scène comme au parterre : relais
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1. cras s par la r v lation d une parent qui s oppose leur amour s crie Ils en pleurent tous deux Ils en pleurent que a fait piti 4 Dans Le Caf ou l cossaise de Voltaire 1760 la servante Polly s exclame la vue des malheurs de sa ma tresse Lindane Ah Mon adorable ma tresse Que vous me faites verser de larmes 5 L motion est contagieuse et le propos de ces personnages vise videmment en insistant sur cette efficacit des larmes prolonger la circulation du flux sentimental au del de l espace sc nique On observe le m me proc d chez Mercier dans Zo 1782 o la contagion non contente d tre dite fait l objet d une prescription morale C est ici Franval le h ros souffrant qui c l bre la vertu de la compassion en attirant l attention du spectateur sur le personnage de Mme Gervais tenanci re d auberge qui ne semble avoir d autre utilit dans l action que d incarner l int rieur m me de la fable les effets du spectacle En observant Vous marquez de la compassion pour deux c urs cruellement agit s et qui ont quelque droit la piti des mes sensibles 6 Franval souligne pesamment la vis e de la pi ce et d signe explicitement l attention du public les motions sur lesquelles il doit modeler sa r ception Cette vis e programmatique et prescriptive est plus vidente encore dans L Ecossaise de Voltaire o revient r guli rement dans le dialogue ent2. orchestr e Fanni ouvre la lettre et va la lire Mme Sonbrige David et Betzi sont autour d elle press s les uns contre les autres et l coutent avec un trouble presque gal au sien Tout le monde fait un cri Les six ouvriers rentrent au cri qu ils ont entendu et saisis d tonnement et d effroi la vue du tableau douloureux qui s offre leurs yeux ils s arr tent tous dans le fond il r gne sur la sc ne un grand calme et un grand silence 21 Comme dans la sc ne pr c dente le tableau est double et triple le public qui fr mit l unisson de l h ro ne Au premier plan entourant la protagoniste de l action un premier cercle de spectateurs manifeste des signes passionnels presque gaux en intensit ceux de l agent de la passion Il s agit de personnages indispensables la fable int gr s au cadre spatial de la fiction comme l univers domestique des h ros A l arri re plan mais toujours sur la sc ne apparaissent des personnages secondaires qui s ils manifestent leur motion par des signes semblables ceux des proches de la victime r agissent en fait bien moins la cause de cette affliction qu ses manifestations visuelles et traduisent une motion compassionnelle de nature bien moins thique qu esth tique anticipant ainsi l attitude des spectateurs ultimes qui au parterre sont eux bien conscients de n avoir affaire qu une fiction condition indispensable du plaisir qu il
3. en place par Diderot dans Le Fils naturel Il n en demeure pas moins que dans son texte de 1757 Diderot inaugure un dispositif et formalise un champ de questionnement originaux qui se verront repris et sans doute simplifi s par les dramaturges philosophes de la seconde moiti du si cle renvoi 4 Sade Henriette et St Clair uvres compl tes t XIII th tre t I dition par Annie Le Brun et Jean Jacques Pauvert Paris Pauvert 1991 acteII sc ne 1 p 178 renvoi 5 Voltaire L cossaise Th tre du XVIIIe si cle t II dition de Jacques Truchet Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 1974 II 7 p 233 renvoi Mercier Zo Th tre complet Gen ve Slatkine reprints acte I sc ne 2 p 373 renvoi Voltaire L cossaise I1 5 p 228 renvoi Voltaire L cossaise 11 6 p 233 renvoi Baculard d Arnaud Coligny ou la Saint Barth l my 111 4 p 76 renvoi Mercier Zo II 6 p 221 222 renvoi Mercier Natalie 1 6 p 366 NATALIE Tout est dit et je dois m loigner VERBERIE Quoi rien ne le touche NATALIE Rien vas te dis je VERBERIE Ah qui l e t dit qu il deviendrait un jour insensible ce point Mercier Natalie III 4 p 403 renvoi H NN mn H 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 Mercier Natalie III 5 p 414 41
4. le de signaux pragmatiques Quelles sont ces larmes sur lesquelles se mod le selon un m canisme pr tendument imparable l motion seconde du spectateur Il appara t bien vite la lecture des textes th oriques qu il ne saurait s agir de celles des personnages principaux des acteurs souffrants de la fable puisque dans ce cas l identification path tique risquerait de devenir pathog ne faute de l alchimie esth tique qui mod re la douleur repr sent e en plaisir des larmes Se pose ici la question de la catharsis telle que l entend un th oricien comme Batteux 19 Au nom de la r ussite de l art mais aussi et surtout au nom du plaisir une approche v ritablement esth tique de la r ception path tique suppose une prise de recul de la part du public prise de recul qui tient bien moins un d sengagement motionnel qu une sortie du cadre De m me que dans la fiction g n tique du Fils naturel Diderot se trouvait int gr au salon mais cach derri re une tenture c est dire mi chemin entre la salle et la sc ne assez pr s des acteurs pour recevoir leur nergie passionnelle mais suffisamment loign pour n en souffrir qu en spectateur le public de th tre est invit adopter une posture interm diaire Il doit pouvoir s impliquer dans la fable qui se joue devant lui sans pourtant s y ab mer corps et me Telle est la fonction d une th tralisation interne de la r ception qui mettant en uvre une esth
5. singularit de l exp rience esth tique et du plaisir qui en d coule Un malheur trop loin de nous nous touche peu trop pr s il nous blesse vu sur le th tre il est au point pr cis parce que s il est tr s pr s il n est qu image Nous avons donc par limitation tragique et musicale l motion vive qui nous fait plaisir sans la douleur qui p n tre par la r alit Cet entre deux qui correspond la distance n cessaire au d ploiement d une sensibilit pure est pr cis ment celui qui selon les moralistes fonde le sentiment de piti et autorise un protocole compassionnel tenant un juste quilibre de l ali nation et de la pens e de soi m me Pour Aristote sont en effet sujets cette passion mixte ceux qui ne sont ni dans un tat de passion qui tienne du courage telle que la col re ou la t m rit car ces passions ne calculent pas l avenir ni dans une disposition qui les porte l arrogance car les arrogants ne sont pas en tat de calculer que la m me preuve pourra les affecter mais plut t dans une situation d esprit interm diaire Il en est de m me de ceux qui n ont pas de vives alarmes car on est sourd la piti quand un malheur nous frappe d pouvante parce que l on est tout entier ses propres preuves Rh torique 8 6 p 219 Pour pouvoir compatir aux malheurs d autrui il faut donc tre la fois s r de sa s curit et conscient de la fragilit de celle ci c est dire ress
6. tique du tableau exhibe les conditions du protocole esth tique et fonctionne aussi bien comme renforcement des effets path tiques que comme mode d emploi destination des spectateurs Les dramaturges se plaisent mettre en abyme sur la sc ne la r ception m diatis e et la compassion pur e qui sont le fait des spectateurs en inventant des personnages p riph riques n ayant d autre fonction que de prescrire au public r el les modalit s de sa participation affective On remarque en effet dans bien des drames un d doublement de la structure spectaculaire et un ench ssement du tableau path tique dans un autre tableau peignant l effet de cette sc ne sur les spectateurs internes la fiction C est ce que l on observe dans Jean Hennuyer un premier tableau est form par Laure qui va tomber sur un fauteuil Suzanne la suit et se jette un genou en terre en l embrassant pour la relever Cette image touchante n est pas destin e au seul spectateur r el puisque la didascalie ajoute Arsenne p re soutenu par Th venin et suivi d Evrard arrive pas lents jusqu en pr sence de Laure ils s arr tent tous trois la contempler dans un morne silence 20 Le m me dispositif d ench ssement est pr sent dans Le Fabricant de Londres de Fenouillot de Falbaire 1771 Il s agit d un des moments clefs de la pi ce o l h ro ne d couvre la lettre dans laquelle son poux lui annonce son suicide La sc ne est savamment
7. 5 renvoi Ch nier Jean Calas dition critique par Malcolm Cook Presses de L universit d Exeter Exeter 1987 II 2 p 15 renvoi Ch nier Jean Calas 111 5 p 40 41 renvoi Ch nier Jean Calas V 6 p 69 renvoi Mercier Jean Hennuyer Th tre complet Gen ve Slatkine reprints 1970 III 5 p 367 renvoi Mercier pr face de Jean Hennuyer p 294 295 Si je parvenais teindre dans le c ur de ceux qui me liront quelques racines de ce penchant pers cuteur qui anime les trois quarts des hommes Si je parvenais ajouter quelque chose la libert publique et particuli re la conviction de ce droit naturel si manifestement viol si j arrachais quelques traits l intol rance religieuse civile et litt raire qui se soutiennent et se pr tent un appui mutuel si le tableau de ces pid mies morales qui bouleversent toutes les notions d ordre de justice et d quit servait pouvanter ceux qui re oivent l erreur comme la v rit ou pour s exprimer sans embl me si ceux qui peuvent seuls r aliser les v ux plaintifs de l humanit mus par la voix touchante de la philosophie daignaient lui pr ter une force qu elle n a pas elle m me et foudroyer en cons quence ce opinions impies et d raisonnables qui attaquent la f licit publique et la leur propre alors souriant leurs augustes travaux les premiers peut tre de ce genre je m applaudirais en ne faisant que passer sur cette terre
8. Universit Paris IV Sorbonne Centre de Recherche sur l Histoire du Th tre Sophie Marchand Sur la sc ne comme au parterre relais fictionnels de la r ception dans la dramaturgie path tique des Lumi res La v ritable innovation de Diderot en 1757 r side moins dans le fait de publier conjointement Le Fils naturel et les Entretiens accompagnant sa proposition dramaturgique d un commentaire vou la justifier th oriquement que dans le fait d largir consid rablement le champ de l criture dramatique m me en proposant outre le texte de sa pi ce un roman cadre d pla ant le point de vue sur le th tre d une approche strictement po tique une appr hension v ritablement esth tique soucieuse des conditions de l incarnation sc nique du texte et interrogeant dans une perspective originale les rapports de la fiction et de la r alit A l occasion de cet largissement m tatextuel de la fable th trale s immisce dans le texte dramatique et dans l espace m me de la repr sentation un personnage jusqu alors maintenu hors du champ de la fiction le spectateur La fable g n tique du Fils naturel impose en effet un protocole r ceptif hors du commun Apr s avoir relat sa rencontre avec Dorval Diderot qui parle en son nom propre manifeste son d sir d assister la repr sentation priv e vou e comm morer les aventures r elles advenues aux personnages et relat es par Le Fils naturel Il se heurte aux r
9. ard port sur les actions repr sent es vaut comme positionnement moral comme le prouve cette didascalie du Coligny de Baculard d Arnaud o l on nous dit que B me d tourne les yeux frappe Coligny alors que tous les conjur s saisis d horreur fuient ce spectacle affreux Hamilton seul regarde avec joie 9 Dans le m me ordre d id es Mercier nous peint dans Zo un homme de main r ticent enlever l h ro ne et parachever ainsi ses malheurs En v rit Monsieur je suis tout attendri de votre bon naturel et je ne sais comment j aurai le courage de contribuer pour ma part une telle d solation 10 d clare t il Le regard compatissant agirait donc comme un pr servatif contre les actions mauvaises Un drame de Mercier Natalie entreprend ainsi de d montrer la puissance r demptrice du jugement ext rieur et la vertu persuasive de l attendrissement A travers le personnage de Verberie domestique que de Fondmaire a charg de le d barrasser de Natalie femme qu il a autrefois s duite se fait entendre un jugement moral qui passe moins par la forme du sermon que par une th tralisation de la compassion du personnage secondaire l gard de l h ro ne Verberie en larmes d clare Eh moi Monsieur je ne verrai point cela permettez que je vous quitte j irai la servir tout le reste de ma vie et pleurer avec elle jusqu la mort votre infid lit 11 Il ne cesse par ailleurs de se scandali
10. car j avais l me triste il faut que je sois bien bon de m affliger ainsi Tout ceci n est qu une com die Cependant La repr sentation avait t si vraie qu oubliant en plusieurs endroits que j tais spectateur et spectateur ignor j avais t sur le point de sortir de ma place et d ajouter un personnage r el la sc ne 2 Sur la sc ne comme au parterre le spectateur du nouveau th tre fait l exp rience d une participation accrue qui brouille les rep res de l exp rience traditionnelle Ce protocole esth tique particulier va conna tre dans la seconde moiti du dix huiti me si cle une fortune remarquable et se voir reconduit dans de nombreux textes dramatiques sous la forme de s quences paradigmatiques Maints drames incluent ainsi leur fable 3 des personnages de spectateurs internes explicitement int gr s au champ fictionnel Selon quelles modalit s et quelles fins C est ce que je tenterai d tudier L inscription de la r ception dans le drame m me est souvent th matis e dans le texte des pi ces sentimentales qui appara t de fait comme programmatique Elle intervient dans les commentaires que les personnages secondaires font sur l action dans des r pliques qui apparaissent comme autant d excroissances anti dramatiques du dialogue et de retours r flexifs sur la fiction Dans Henriette et Saint Clair de Sade 1788 c est une domestique Lucette qui au spectacle des deux h ros
11. d y avoir fait le m tier d homme et d crivain renvoi Mercier Du Th tre p 1141 renvoi Voir Les Quatre po tiques d Aristote d Horace de Vida de Des pr aux avec les traductions et les remarques Paris Saillant et Nyon Desaint 1771 renvoi Mercier Jean Hennuyer II 1 et I1 2 p 323 324 Voir aussi Fenouillot de Falbaire Le Fabricant de Londres Th tre de Fenouillot de Falbaire Paris Fouquet 1821 111 10 p 44 Les ouvriers de Vilson qui travaillaient la fabrique de ses draps sortent de leur atelier d o ils sont renvoy s par les gens qui saisissent et les draps et les m tiers Les ouvriers en veste en tablier passent par la sc ne pour s en aller par la boutique ils marchent lentement les bras pendants la t te baiss e et dans une profonde tristesse UN OUVRIER Quel dommage C tait un si bon ma tre Ah Il n y a point de bonheur pour les honn tes gens Mais le voil Dans quelle douleur il est plong Les ouvriers apercevant Vilson s arr tent tous dans un morne silence renvoi Fenouillot de Falbaire Le Fabricant de Londres IV 12 p 58 renvoi Fenouillot de Falbaire Le Fabricant de Londres 111 6 p 40 renvoi Mercier Natalie Th tre complet Gen ve Slatkine reprints 1970 III 5 p 409 renvoi Le spectateur se trouve pris dans cette tension entre adh sion et distance entre proximit motionnelle et recul C est aux yeux de Batteux cette position qui fait la
12. e lorsque regardant sa fille avec complaisance il s exclame ah Ma ch re Fanni que les sentiments de la nature sont d licieux 37 il ne fait que mettre en vidence le credo humaniste des Lumi res et la loi fondamentale de la r ception sentimentale que le th tre des Lumi res th matise tout autant qu il la met en uvre w Rien d tonnant d s lors ce que nos pi ces s ach vent dans des sc nes d harmonie g n rale marqu es par les reconnaissances et les r int grations diverses la communaut qui laborent euphoriquement une collectivit id ale dans un espace de pure sociabilit sensible L action se cl t g n ralement sur l dification d une soci t id ale dont l motion collective du parterre sonne comme un cho Mercier adopte avec Jean Hennuyer une telle strat gie traitant un pisode difiant de la Saint Barth l my il montre au d nouement de sa pi ce la fraternisation des catholiques et des protestants pers cut s La didascalie finale voque ainsi une foule de catholiques de chaque paroisse qui chang s par les pr dications embrassent les protestants et leur parlent avec l effusion de l amiti et de la tendresse 38 et le drame s ach ve sur ce regret d Arsenne Que n avons nous toujours t ainsi unis Ah J ai retrouv les hommes 39 La pi ce non contente de faire entendre son beau message r conciliateur op re par le dispositif path t
13. entir la passion d autrui comme simultan ment trang re et jumelle de celle que nous pourrions tre amen s prouver En pleurant sur les souffrances d un tranger on verse des larmes sur ce qui ne nous concerne pas directement mais cette effusion n est possible que parce que l on sait que la passion qui l treint pourrait nous frapper notre tour Il entre donc dans cette motion a priori altruiste une part d amour propre ce qui trahit la fois l ambigu t de notre position vis vis de l objet qui suscite la compassion et l ambivalence morale de la piti Burke partage l opinion d Aristote mais pose plus explicitement le probl me en termes de distance et non plus de dispositions psychologiques Il crit dans les Recherches philosophiques sur nos id es du sublime et du beau Lorsque le danger ou la douleur serrent de trop pr s ils ne peuvent donner aucun d lice et sont simplement terribles mais distance et avec certaines modifications ils peuvent tre d licieux et ils le sont comme nous en faisons journellement l exp rience Recherches philosophiques sur nos id es du beau et du sublime 1 7 p 84 La compassion ne saurait se d ployer que sur un fond d alt rit d faut duquel elle ne serait pas compassion mais simple passion L adh sion suppose donc un d tachement pr alable C est ce que dit en d autres termes Beaumarchais lorsqu il d clare dans la Lettre mod r e sur la chute et la critique d
14. illot de Falbaire Le Fabricant de Londres I1 7 p 24 Les deux enfants viennent s asseoir l un vis vis de l autre sur de petites chaises devant leur table couverte de cartes et de joujoux et Betzi s assied pr s d eux David avance avec respect un fauteuil c t de la table crire la gauche du th tre Falkland d un air r veur se jette dedans sans regarder David ni dire un seul mot DAVID s en allant la boutique et se retournant de temps en temps pour regarder Falkland Cet homme est diablement triste Voir aussi Fenouillot de Falbaire Le Fabricant de Londres 11 8 p 26 FALKLAND arr t consid rer les enfants H las j ai t p re et je n ai pas joui du bonheur d lever ma fille dans mon sein JULIETTE s apercevant que Falkland le regarde Ma bonne il me regarde FALKLAND a levant dans ses bras et la baisant au front Aimable enfant i la remet terre et se d tourne avec douleur ma fille o es tu Que ne puis je ainsi recevoir tes caresses te serrer dans mes bras me pr cipiter dans ceux de ta m re il va se rejeter avec d sespoir dans son fauteuil HENRI et JULIETTE allant tous deux vers Falkland et lui montrant l un ses tablettes lautre son collier Monsieur FALKLAND se d tournant des enfants et s appuyant sur la table en cachant son visage dans ses mains Non je ne veux plus de la vie BETZI allant prendre les enfants qui demeurent interdits et tou
15. ique qu elle met en uvre le m me m canisme de r unification sociale Le rapprochement des diff rents espaces et des divers actants de la c r monie th trale dans l exp rience path tique est d autant plus in vitable que la sensibilit et sa mise en spectacle semblent constituer un d nominateur commun toutes les parties en pr sence dans le protocole de la repr sentation et pr sident l laboration fugitive d une sorte d utopie Auteurs personnages acteurs spectateurs tous versent des larmes qui agissent comme autant de liens possibles et transcendent l tanch it de la fiction et de la r alit ces deux univers tant momentan ment abolis au profit d un espace autre qui est celui de la c r monie esth tique Ce qui se joue dans la r ception path tique interne comme externe c est donc l laboration sur le mode de la c r monie d un espace tiers utopique marquant la r union des c urs dans une communaut harmonieuse conforme aux aspirations de la sensibilit rendue possible par la m diation esth tique inh rente au statut de spectateur Qu il soit interne ou externe celui ci occupe donc une place centrale dans le dispositif dramaturgique des Lumi res 1 Diderot Le Fils naturel uvres dition Laurent Versini t IV Paris Bobert Laffont Bouquins p 1083 renvoi 2 Diderot Le Fils naturel p 1126 renvoi 3 Selon des modalit s fictives qui videmment diff rentes de celles mises
16. ique et dans la place marginale qu ils occupent dans le personnel dramatique Qu il soient serviteurs ouvriers ou occupent une fonction sociale qui les pr destine au r le d observateur comme les tenanciers d auberges particuli rement nombreux dans les exemples cit s tous se signalent par leur statut interm diaire la fronti re de l espace intime et de l univers social Cette pr sence des conditions aux marges de la repr sentation sur le fond de la sc ne mais dans un rapport de sp cularit avec le public vaut moins me semble t il comme indice sociologique d un acc s du tiers tat la mimesis th trale et au statut de public que comme preuve symbolique de l laboration au sein du processus repr sentatif d un espace tiers interm diaire entre l univers fictif et l univers r el Espace tiers qui serait celui de l effet esth tique m lange d adh sion motionnelle et de distance 24 espace de la rencontre imaginaire et de l laboration d une sociabilit id ale travers les larmes des spectateurs s tablit alors une co ncidence entre ce qui se passe sur la sc ne et dans la salle co ncidence qui sugg re une possible jonction des deux espaces sur un plan qui serait celui de l effet esth tique Ce n est en effet qu au prix de la distance esth tique marqu e par la sortie du cadre des spectateurs internes que peut s op rer une sorte d alchimie du path tique Communiant avec la fable pleurant au parterre le spec
17. ivilisatrice explicitement d volue au th tre Par le biais des clins d il appuy s que repr sentent les prescriptions r ceptives internes la fiction qui sont comprendre dans le cadre d une strat gie rh torique les dramaturges tendent accr diter l id e d une sp cularit de la sc ne et de la salle et d une quivalence profonde entre une fiction et une r alit qui seraient ou devraient tre gouvern es par la m me loi du sentiment et de l humanit Inscrire de mani re visible un spectateur l int rieur m me de la fable reviendrait terme affirmer l identit des motions suscit es par un spectacle r el et de celles provoqu es par le spectacle fictionnel et contribuerait valider l hypoth se illusionniste ou tout au moins renforcer la confusion qui caract rise une approche sentimentale de l exp rience th trale Toute l efficacit path tique semble en effet inscrite sous le signe d une circulation d affects qui transcendant les bornes de la fiction tablissent sur un plan physiologique un syst me d changes entre des univers jusqu alors strictement discrimin s Toutefois si l on pleure sur la sc ne comme au parterre les larmes des spectateurs ne sauraient absolument se confondre avec celles vers es par les personnages et il convient avant de postuler une absolue sp cularit des deux espaces de s interroger sur la nature des supports fictionnels qui jouent dans les fables le r
18. rac se voit d savou au d nouement lorsque le Religieux d clarant Pleurez tous et prenez ces v tements de deuil Un juste est descendu dans l ombre du cercueil 15 donne le signal des larmes De la compassion marqu e au spectacle d un v nement injuste l engagement dans l action il n y qu un pas qui constitue bien videmment l horizon avou de cette dramaturgie path tique Ceci est mis en sc ne par Mercier dans Jean Hennuyer v que de Lisieux 1772 o il fait dire par son h ros aux cur s de Lisieux t moins de sa g n rosit envers les protestants Vous sentez mes douleurs et vous les partagez J ai vu couler vos pleurs au premier r cit de ces fureurs que vous d testez mais ce ne sont pas des larmes st riles que Dieu demande ce sont des actions 16 Jouant pleinement des vertus de la double nonciation ces prescriptions id ologiques ont videmment vocation se prolonger hors de l espace fictif dans la r alit comme l explique Mercier dans la pr face de son drame 17 Comme il l crit dans Du Th tre Mercier cherche faire du spectacle un tableau utile c est dire le mettre la port e du plus grand nombre afin que l image qu il pr sentera serve lier entre eux les hommes par le sentiment victorieux de la compassion et de la piti 18 Cr atrice par excellence de lien social la sensibilit constitue la modalit la plus propre accomplir la mission c
19. re Fabrice tenancier de la maison dans laquelle se situe l action et Freeport l un de ses pensionnaires la question de l motion suscit e par Lindane h ro ne particuli rement int ressante au sens o l entend le dix huiti me si cle Fabrice qui lui d clare C est un prodige de malheur de noblesse et de vertu elle m arrache quelquefois des larmes d admiration et de tendresse Freeport r pond dans un premier temps Vous tes bien tendre je ne m attendris point moi Ecoutez comme je m ennuie je veux voir cette femme l elle mamusera 7 Mais d s la sc ne 6 de l acte II il semble converti aux lois de la compassion avouant son tat et sa vertu me p n trent l me me font aussi quelque sensation 8 Le d roulement de la fable aura donc eu pour effet secondaire de gagner la r ception path tique un personnage a priori w r ticent Se fait ainsi jour l enjeu id ologique qui justifie le recours une th tralisation interne de la r ception path tique Ces prescriptions internes ont vocation diffuser et g n raliser un mod le comportemental fond sur la reconnaissance de la sensibilit qui lit dans l motion compassionnelle la preuve de la vertu et de l humanit Il est cet gard significatif que l motion manifest e par les spectateurs internes toujours en faveur de l innocence pers cut e d bouche syst matiquement sur une polarisation morale des actants Le reg
20. s en retirent On est bien loin ici d une conception strictement rh torique de la r ception path tique et force est d admettre l existence d une m diation fondamentalement esth tique Pleurant sur sc ne ces personnages pleurent en spectateurs Il est int ressant de constater que cette motion des spectateurs internes ind niablement seconde va de pair avec un mouvement de retrait ou d extraction explicitement traduit par les didascalies Fenouillot de Falbaire nous pr cise que David l assistant du h ros lorsqu il prend son mouchoir et se met pleurer se retire dans un coin 22 C est de m me du fond du th tre qu entre chez Mercier Verberie toujours bien triste 23 En se mettant l cart ces personnages soulignent la nature compassionnelle de leur motion et r v lent que celle ci n est pas de l ordre d une passion v ritable mais l cho modifi de celle ressentie par le h ros lui m me Adopter une position marginale sortir du cadre tout en marquant sa participation l action sc nique revient donc pour ces personnages adopter sur un plan physique comme sur un plan symbolique une position qui est par d finition celle du spectateur de th tre mais d un spectateur transport sur la sc ne et devenu lui m me objet de th tralit Si cette position paradoxale s observe dans la disposition spatiale des personnages elle est galement sensible dans leur caract risation sociolog
21. ser de l insensibilit de son maitre avant de se r jouir au d nouement du retour vertueux de de Fondmaire que le spectacle de la grandeur d me de Natalie a su s duire Cette conversion finale fait elle m me l objet d une r ception sentimentale exacerb e Verberie s criant Que mon c ur est satisfait Ah Ma femme ma pauvre femme Comme tu vas pleurer de joie en apprenant tout ceci 12 L enjeu id ologique de la compassion se manifeste tout aussi nettement quoique dans une optique un peu diff rente dans le Jean Calas de Ch nier 1791 o la r action au spectacle de la famille Calas effondr e et suppliante permet de distinguer une bonne et une mauvaise pratiques de la justice La r ception se fait ici enjeu politique et judiciaire Au bon La Salle qui d un bout l autre de la pi ce manifeste sa compassion ne cessant de d clarer que leur aspect lui fait verser des larmes 13 s oppose le pharisien Cl rac qui somm par Mme Calas de se laisser attendrir par la vue de ses enfants prostern s ne trouve r pondre que J en g mis mais h las Qu avez vous pr tendre cette heure en ces lieux devons nous vous entendre avant de se voir r torquer par Mme Calas Que font l heure et le lieu quand il faut tre humain 14 Inflexible incapable de percevoir que la raison a tort quand elle contredit le c ur et que la vraie justice n est qu une manation de l humanit Cl
22. t de vue solipsiste et par un acquiescement autrui qui passe par un change de regards et un partage des larmes Ce parcours est encore plus vident dans Le Fabricant de Londres o Lord Falkland est d s son entr e en sc ne pr sent comme un tre si pr occup de ses propres malheurs qu il demeure insensible la pantomime charmante d enfants qui jouent pr s de lui 32 Il finit toutefois par s ouvrir l alt rit et se r concilie avec la vie lorsque sur le point de se jeter dans la Tamise il rencontre Vilson anim du m me projet et lui sauve la vie Au spectacle des retrouvailles de Vilson avec sa famille Falkland sur un des c t s du th tre et attendri jusqu aux larmes s exclame O Dieu Que ce spectacle est touchant C est le Ciel qui nous a fait rencontrer tous deux La vue de son d sespoir a suspendu le mien j ai voulu avant que de mourir r parer ses infortunes faire encore un acte de bienfaisance et voil la r compense que le ciel m en accorde 33 D livr de sa m lancolie par les vertus de l empathie 34 Falkland qui a su oublier sa condition de personnage pour se faire spectateur se voit miraculeusement r int gr la communaut familiale gr ce une reconnaissance bienvenue L altruisme a raison de l go sme et la collectivit de l individu isol dans un mouvement qui permet une mise distance consolatrice des souffrances w Op rant un d centrement du regard et
23. t honteux de voir que Falkland ne les regarde point Allons venez vous en vous importunez Milord renvoi Fenouillot de Falbaire Le Fabricant de Londres V 6 p 68 renvoi On retrouve le m me processus dans Henriette et Saint Clair de Sade IV 4 p 502 LE VOYAGEUR Daignez avant me secourir tous deux et les charmes de cette action vous raccommodant peut tre avec la vie vous ch rirez une existence qu on peut embellir par des bienfaits Co ncidant avec une reconnaissance le proc d s av re dans ce cas particuli rement efficace renvoi Fenouillot de Falbaire Le Fabricant de Londres 111 11 p 46 renvoi Voltaire L cossaise 1 6 p 221 222 f renvoi 37 Fenouillot de Falbaire Le Fabricant de Londres II 4 p 22 renvoi 38 Mercier Jean Hennuyer acte III sc ne 10 p 213 renvoi 39 Mercier Jean Hennuyer acte III sc ne 10 p 213 renvoi Actualis en avril 2008 Paris IV Sorbonne
24. tateur ne pleure pas comme les personnages principaux des larmes douloureuses mais les larmes pur es et consolatrices du t moin compatissant jouissant des d lices d une activation sensible assez d sint ress e pour tre un plaisir Par le biais des spectateurs internes le drame met alors en place un protocole esth tique fond sur la juste distance et la compassion protocole qu il illustre dans un certain nombre de fables valeur r flexive La fiction se fait cole du regard et mettant en abyme son propre fonctionnement invite le h ros souffrant s ali ner en adoptant son tour une position de spectateur seule issue possible la crise L cossaise de Voltaire et Le Fabricant de Londres de Fenouillot de Falbaire narrent la conversion l altruisme et la sortie d eux m mes de personnages m lancoliques qui retrouvent le bonheur d s l instant o ils acceptent de rompre leur enfermement narcissique et d oublier leurs malheurs dans la compassion pour les souffrances d autrui Est dress dans ces drames un autel une r ception empathique qui d tournerait de l go sme et de l individualisme fl aux sociaux contre lesquels s l vent les Philosophes Diderot dans son Fils naturel ent rine ce principe faisant dire par Constance interrogez votre c ur il vous dira que l homme de bien est dans la soci t et qu il n y a que le m chant qui soit seul 25 Pas seulement le m chant r pondraient nos au
25. teurs mais aussi le malheureux qui se prive de la consolation de pleurer avec autrui L enfermement solipsiste appara t d s lors comme une anomalie thique C est ce que l on observe chez Voltaire o Monrose r clamant la solitude 26 ou Lindane fuyant les regards 27 se voient reprocher Vous touchez ici tout le monde et vous l vitez trop 28 Se soustraire la th tralit est un vice qui au niveau de la fable a pour effet de prolonger artificiellement les preuves de la vertu Aussi toute l issue de la pi ce tient chez Voltaire la rencontre sans cesse retard e des deux h ros Fabrice l acte III d clare propos de Lindane Je suis f ch que ce brave gentilhomme ne l ait pas vue il en aurait t touch mais Monrose n en a cure Ah J ai d autres affaires en t te Malheureux que je suis 29 Pourtant apprenant que la jeune fille est elle aussi cossaise Monrose qui s est d couvert un point de contact avec l ext rieur 30 sort enfin de lui m me Je ne me poss de plus Il faut que je la voie Je suis son compatriote je partage toutes ses afflictions je les diminuerai peut tre souffrez qu avant de quitter cette ville je puisse entretenir votre ma tresse 31 d clare t il Polly faisant ainsi un premier pas sur la voie de la gu rison et de la r solution de l intrigue On le voit ces deux processus sont conditionn s par l abandon d un poin
26. ticences de Dorval qui finit pourtant par c der d clarant c est moi qui fais ranger le salon Je ne vous promets point Je ne vous refuse pas Je verrai L acceptation du spectateur est donc fonction d un arrangement de l espace Le soir de la c r monie venu Diderot raconte Je m y rendis J entrai dans le salon par la fen tre et Dorval qui avait cart tout le monde me pla a dans un coin d o sans tre vu je vis et j entendis ce qu on va lire 1 On remarque que la distinction n est pas vraiment faite entre le lieu sc nique et l espace d volu un public qui ici est explicitement d ni Diderot est donc du fait de la configuration des lieux sur la sc ne mais comme au parterre s par de l action par une fronti re symbolique dans la mesure o sa pr sence ignor e des acteurs ne doit pas interf rer avec le bon d roulement de la repr sentation C est par cons quent clandestinement qu il assiste un spectacle dont la fonction premi re n est pas de divertir un public mais de c l brer rituellement un moment fondateur du roman familial celui de la constitution d un groupe social harmonieux Cette position de spectateur aussi inconfortable que paradoxale induit des effets particuliers et une implication in dite Lorsque tout le monde fut retir raconte Diderot je sortis de mon coin et je m en retournai comme j tais venu Chemin faisant j essuyais mes yeux et je me disais pour me consoler
27. u Barbier de S ville qu on ne s int resse gu re aux affaires des autres que lorsqu on est sans inqui tude sur les siennes p 268 s lectionnant ainsi implicitement son lecteur id al renvoi Diderot Le Fils naturel IV 3 p 1113 renvoi Voltaire L cossaise 2 p 214 MONROSE Qu on me pr pare je vous prie un appartement o je puisse tre en solitude Et I 3 p 217 FABRICE Cet homme l me para t accabl de chagrins et d id es je ne serais point surpris qu il all t se tuer l haut renvoi Voltaire L cossaise 5 p 227 FABRICE Cet homme n a pas m me la curiosit de voir une femme charmante que nous avons dans la maison FREPORT Il a tort Et quelle est cette femme charmante FABRICE Elle est encore plus singuli re que lui ily a quatre mois qu elle est chez moi et qu elle n est pas sortie de son appartement renvoi Voltaire L cossaise 6 p 221 f renvoi Voltaire L cossaise 1 3 p 238 renvoi Voltaire L cossaise 8 p 235 MONROSE On ne prononce point le nom de ma patrie que mon c ur ne soit d chir Et aussi III 6 p 241 MONROSE On arr te une jeune cossaise une personne qui vit retir e qui se cache qui est suspecte au gouvernement Je ne sais mais cette aventure me jette dans de profondes r flexions Tout r veille l id e d emes malheurs mes afflictions mes attendrissements mes fureurs renvoi Voltaire L cossaise 1 8 p 243 renvoi Voir Fenou
28. une ali nation l nifiante l attendrissement sur autrui est dot de vertus consolatrices et tend dissoudre le malheur et ses causes dans un d ploiement affectif qui aux yeux des dramaturges philosophes est en lui m me porteur d une certaine jouissance C est ce que montre Fenouillot de Falbaire Alors que son h ros Vilson fait l objet d une saisie paraissent au fond du th tre ses ouvriers La sc ne est difiante VILSON s adressant aux ouvriers H las Mes amis vous voyez mon d sastre je vous dois et je n ai pas de quoi vous payer Il presse de nouveau sa fille contre son sein et la baigne de pleurs Tous les ouvriers sont aussi en larmes UN OUVRIER O mon cher ma tre Ne pensez pas nous ce n est que sur vous que nous pleurons 35 La th tralisation du malheur se mue en c l bration de l humanit et de la sensibilit selon une alchimie rendue possible par la mise distance de soi et la r ciprocit de la compassion Se faisant spectateur de la douleur d autrui le personnage prouve les d lices de la communion sensible et trouve dans cette sympathie une att nuation de ses maux Le Fabrice de Voltaire avait bien compris tout cela qui d clarait Lindane propos de Monrose C est un vieillard qui me para t tout votre fait Vous paraissez bien afflig e il para t bien triste aussi deux afflictions mises ensemble peuvent devenir une consolation 36 Quant au Vilson de Fenouillot de Falbair
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