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"La fiancée juive" de Jean Rouaud - Bibliothèques de l`Université de

1. cette femme ainsi qu au souhait d unit Le romancier semble craindre la solitude et est pr t s engager solennellement Outre cela nous avons constat dans cet intitul l emploi de l article d fini en premi re mention qui rev t ici une valeur de soulignement et d emphase et tend marquer l excellence la perfection typique ou procure m me au substantif auquel il est 4298 Nous constatons d s lors que le rattach une valeur de notori t contenu du titre son actualisation ainsi que la majuscule sont autant d l ments qui conf rent cette femme une place primordiale aux yeux de l auteur Une note de sensualit est ajout e cette relation par les multiples parties du corps sollicit es par l treinte amoureuse dont Rouaud fait mention dans ce po me t tes paules cous bras l vres mains visage Le texte proprement parler de ce blues celui que nous pouvons couter gr ce au CD s tend sur dix huit pages chacune contenant un couplet de huit vers Aucun refrain ne vient s parer ces couplets sinon un vide typographique mim tique de l absence qui ronge le chanteur et qui n est avou qu la derni re page Qu on me rende ma fianc e juive et que les larmes qui me rongent Soient des larmes de plaisir gt Rouaud a en effet le blues car cette femme dont il parle la troisi me personne dans ce texte de chanson fait l objet d loges d a
2. n est pas fixe jamais il va continuer de subir l action dissolvante du temps et voluer en d pit ou gr ce lui La m moire n est pas une collection de documents d pos s en bon ordre au fond d un ne sait quel nous m mes elle vit et change elle rapproche les bouts de bois morts pour en faire de nouveau de la 63 flamme Dans le cas de Jean Rouaud et de sa Fianc e juive le lecteur a surtout affaire l crivain reconnu qui relate sa vie avec un certain recul La mort du p re est accept e l enfance malheureuse est plus ou moins g r e et le travail de deuil est d finitivement accompli Rouaud peut enfin passer autre chose Afin de prouver la diff rence entre ces deux tats du je il faut faire un petit d tour par les romans du cycle de Minuit et peut tre plus pr cis ment par le premier roman de Jean Rouaud Les Champs d honneur qui a t crit dans le vif de la douleur un moment o l avenir de Jean Rouaud en tant qu crivain reconnu est encore plus qu incertain En effet s il est ind niable que la mort du p re est l l ment phare de l uvre roualdienne ce personnage central est pourtant pratiquement absent de ce premier roman dont la structure est significative en ce que Jean Rouaud y inverse l ordre chronologique de la suite des d c s qui endeuillent la famille Rouaud La mort du grand p re maternel est du point de vue chronologique la derni re de cette s
3. visiter il n y a pas de r elle s paration entre le monde des vivants et celui des morts et le deuil devient quelque chose de tr s difficile accomplir Toutes les soci t s ont besoin de rituels pour accompagner les d funts Traditionnellement les rites fun bres ont comme t che d accompagner le disparu vers sa destin e post morterm cependant Janin Devillars souligne le fait que sa vraie fonction est d aider les vivants surmonter leurs angoisses de la mort Le recueillement aupr s du d funt la pr sence du corps les gestes codifi s des survivants sont tous des l ments du rituel qui prolongent le travail de l inconscient face au deuil Cette question du rite mortuaire est relev e par l crivain qui tisse des liens entre le fait d enterrer les morts le fait de penser le sentiment de tristesse et la litt rature moi qui r vais de r soudre les grandes questions qui assaillent l humanit depuis qu elle pense c est dire pour tre plus pr cis depuis qu elle enterre ses morts ce qui d note un vrai trouble une motion car avant c est dire avant les n andertaliens qui sous leurs arcades sourcili res paisses invent rent d licatement le chagrin avant a ne devait pas aller bien loin la r flexion d o l on peut d duire avec une quasi certitude que la litt rature commence avec ceux l les doux pleureurs du pal olithique En effet la locution conj
4. La Fianc e juive dans laquelle ces divergences sont corrig es C est une des raisons 7 ROUAUD Jean op cit 2004 p 87 14 pour laquelle la Fianc e juive va tre analys e dans ce travail sous l angle de l autobiographie dont le pacte autobiographique est l une des caract ristiques les plus importantes Nous avons d j annonc que Lejeune lui m me propose diff rentes mani res d tablir ce pacte autobiographique Dans le cas de la Fianc e juive celui ci est tabli implicitement dans la quatri me de couverture c est dire que le narrateur prend des engagements vis vis du lecteur en se comportant comme s il tait l auteur de telle mani re que le lecteur n a aucun doute sur le fait que le je renvoie au nom port sur la couverture pe Cependant selon ce th oricien du genre autobiographique ce pacte doit se trouver dans la section initiale du texte Nous avons donc ici un cas particulier mais dont la non conformit ne remet pas en cause le caract re autobiographique de l uvre dans la mesure o un deuxi me crit re essentiel vient appuyer sa validit celui de la mani re patente d tablir l identit de nom entre auteur narrateur et personnage Celle ci se trouve au niveau du nom que se donne le narrateur personnage dans le r cit lui m me et qui doit co ncider avec le nom de l auteur sur la couverture nouveau il nous faut recourir au texte de la quatri me
5. La musique nous l annonce et la mine du musicien nous le confirme On le sait fatigu depuis quelque temps Le on employ ici traduit une inqui tude commune des proches du p re mais il y a comme un silence entre eux chacun se fait du souci de son c t de fa on individuelle Cette occurrence ne donne pas l apparence d une inqui tude communiqu e et v cue au sein d un groupe soud Dans cette m me lanc e nous constaterons que si le je se fait tr s rare en revanche Rouaud a souvent recours au nous et au vous En effet si la premi re personne du pluriel inclut le je ce dernier est accompagn au moins d une personne il n est pas laiss seul Cette utilisation du pronom personnel refl te certainement mieux que de longs discours le mal ressenti par Rouaud se reconna tre dans cette douleur face la solitude s assumer dans ce je seul face la mort du p re seul en tant qu crivain devant le r cit de cet v nement douloureux Il n a pas la force d assumer cette preuve difficile sans l appui de ses proches et des lecteurs et c est pourquoi il inclut d autres personnes souvent ses fr res et s urs ou la famille en g n ral consid r e comme entit homog ne En revanche le nous marque la solidarit et revient la famille comme entit massive L emploi de ce pronom de premi re personne pluriel marque l appartenance une communaut
6. est identifiable qu en fonction d un rep re interne l nonc d ictique qui fait d faut ici Donc il peut tout aussi bien s agir du moment de l nonc que du moment de l nonciation Rouaud pleure et cette absence de rep re temporel pr cis donne aux larmes de Rouaud un caract re absolu donc essentiel spontan atemporel Ensuite apr s tre reparti dans le r cit des derniers instants de Mozart Rouaud revient en place devant son t l viseur sur lequel s est install son chat dont la queue bat contre l cran L criture d une autobiographie suppose de son auteur qu il ait d j une certaine exp rience de la vie qui lui permet le regard en arri re sur sa vie muni d un certain recul Les exp riences v cues qu elles aient t agr ables ou douloureuses ont toutes contribu la construction de la personne Ainsi Rouaud tire des le ons de son pass et conclut des affirmations qui en tout cas pour lui ont valeur de v rit g n rale le pr sent gnomique de certains passages vient appuyer cette th se ie 123 l criture ne se paie pas de mots c est une pens e qui pleure ou encore Car en fait de lieu il n y en n a qu un c est celui de l enfance 124 l enfance en soi l enfance est ce lieu gt 120 HERSCHBERG PIERROT Anne op cit 2003 121 Ibid p 132 12 Ibid 123 ROUAUD Jean op cit 2008 p 66 49 L
7. image en notre modernit d coule d une double r duction celle de l ancillarit illustrative o l image n est que soutien du discours de savoir et celle du vecteur path matique o l image n est plus que v hicule d motion Ainsi il existe dans une uvre d art une alliance fid le entre l motion et la raison entre l esth tique et le cognitif En effet il n y a pas uniquement 7 SURGERS Anne 2007 Et que dit ce silence La rh torique du visible Paris Presses Sorbonne Nouvelle 104 transmission de sens mais galement incarnation du sens par la forme afin d atteindre tant la raison que les sentiments si l crit est le lieu du savoir l image en est la formalisation n cessaire conform ment la formule Aristote selon laquelle il n est rien dans l entendement qui ne soit d abord connu par les sens sous la forme de ces repr sentations qui ne A 262 permettent le bon fonctionnement des trois puissances de l me Le titre du tableau Saint Joseph Charpentier place d embl e le motif de la toile dans une dimension biblique donc religieuse et les personnages qui pourraient d apr s leur repr sentation tre identifi s comme des figures issues du peuple repr sentent saint Joseph et l Enfant J sus Saint Joseph patron des charpentiers issu de la g n alogie de David devient le p re nourricier de J sus en pousant Marie et en
8. la premi re de l ordre de l attestation d identit se situerait du c t du figement r trospectif de la vie dans l criture du c t de la co ncidence du texte et de la vie de soi et de la repr sentation de soi La seconde de l ordre du t moignage d une alt ration d une identit alt r e se situerait du c t de la non co ncidence du texte et de la vie de soi et de la repr sentation de soi Certes le caract re r trospectif de l autobiographie semble vident le narrateur raconte son pass Pourtant en r alit une parfaite r trospective d une existence n est pas possible et rel ve de l illusion dans la mesure o le rapport entre le temps de l criture et celui de l histoire n a de cesse de se modifier Pendant la r daction la vie continue et le regard de l crivain est tourn vers le pass de son existence Il est donc logique que le temps dominant soit le pass mais celui ci est entrecoup de passages au pr sent lorsque l auteur intervient directement dans le texte La temporalit dans une uvre autobiographique est donc caract ris e par une alternance des temps de la di g se et des temps du discours et joue donc sur la duplicit nonciative En fait personne ne me demandait rien sinon ce que je comptais faire plus tard quoi il m est arriv de r pondre journaliste justement parce que a prenait vaguement la forme de la chose crite et qu il me semblai
9. loi des s ries qui frappe la famille condamn e aux deuils r p tition Dans ce roman caract re autobiographique le narrateur fait le portrait de son grand p re maternel Alphonse Burgaud personnage d crit comme tant l axe autour duquel tourne la maisonn e et qui d c de brusquement soixante seize ans Ensuite vient le tour de la tante Marie dont la mort pr c de celle du grand p re et suit de peu celle de son neveu Joseph p re de Jean Rouaud C est la perte pr matur e de son neveu qui semble avoir raison de cette c libataire la meilleure institutrice de Loire Inf rieure qui a vou toute sa vie aux Saints et ses l ves Outres ces trois personnages importants pour l enfant Rouaud d autres d c s survenus dans la famille trouvent galement leur place dans ce livre Joseph fr re de tante Marie et mort au champ d honneur en 1916 Emile autre fr re disparu Commercy Pierre le grand p re paternel du narrateur qui meurt en 1941 un an apr s sa femme et laisse son fils Joseph orphelin Le livre s ach ve sur le d c s de ce Joseph mort pr matur ment l ge de 41 ans La mort fait donc partie int grante de la di g se des Champs d honneur mais galement de l architecture de l uvre dans la mesure o elle structure le r cit en inaugurant et en concluant chaque partie du livre ROUAUD Jean 2008 La Fianc e juive Paris Gallimard p 53 3 ROUAUD Je
10. narrant qui fait partie du moment d nonciation d criture et au je narr qui est l enfant dans la souffrance l adolescent dans la solitude et enfin l adulte dans l accomplissement de son r ve le bonheur d inscrire crivain sur votre 60 passeport L analyse de l criture autobiographique a donc galement pour enjeu d clairer la question du texte comme lieu de figuration d une repr sentation de soi Cependant le moi n est pas une v rit fixe il n est pas assur dans le temps mais varie avec lui Depuis le gar on de onze ans jusqu l crivain adulte volue l entendement et surtout la facult de relativiser certains chapitres d une existence et ce gr ce l exp rience acquise au fil des ann es et de la vie Ainsi si l auteur d une 58 ROUAUD Jean op cit 2004 p 123 Thid p 119 Thid p 58 27 autobiographie tente de s annoncer lui m me et d annoncer aux autres ce qu il est ces r v lations ont toujours comme source d interpr tation l adulte qui relate sa vie de fa on r trospective L criture t moigne donc de ce que l crivain fut par rapport quoi il ne cesse de prendre ses distances C est dans cette perspective que Chiantaretto parle d approche bipolaire de l criture autobiographique dans le sens o celle ci est caract ris e par le fait que les deux positions psychiques y sont en concurrence
11. tre explicit on maintenant l ind termination de la personne Ainsi dans notre passage ce pronom peut aussi bien se r f rer Rouaud sa m re ou aux deux ensemble L occurrence du chiffre deux que l on retrouve donc doublement dans le chiasme mais galement dans le rythme binaire sans trop savoir sans trop oser accentue la sensation d enfermement d j cr e par le chiasme 160 ROUAUD Jean op cit 2004 p 93 161 Thid p 123 16 HERSCHBERG PIERROT Anne op cit 2003 16 Thid p 29 61 2 2 Entre la vie et la mort Freud montre dans son essai Deuil et m lancolie que les cons quences du deuil sont comparables aux sympt mes de la m lancolie qui se caract rise par une d pression profond ment douloureuse une suspension de l int r t pour le monde ext rieur la perte de la capacit d aimer l inhibition de toute activit et la diminution du sentiment d estime de soi Le deuil s v re la r action la perte d une personne aim e comporte le m me tat d me douloureux la perte de l int r t pour le monde ext rieur dans la mesure o il ne rappelle pas le d funt Il constate cependant que la premi re diff rence entre le deuil et la m lancolie consiste dans le fait que la personne endeuill e s est vue tre s par e d un objet d amour alors que la personne m lancolique a subi une perte affectant le Moi
12. 35 Ibid 6 ROUAUD Jean op cit 2008 p 15 19 soud e et constitue un r f rent englobant la famille comme entit homog ne isol e Nous tr s loin en arri re orphelins abandonn s avec ce sanglot des profondeurs au travers de la gorge in puisable nappe phr atique que le drame qui vient de se d rouler n arrive qu moiti nommer Car enfin qu est ce qui vient de mourir que nous voulions sans plus chercher lutter arr ter tout nous poser l et n en plus bouger La variabilit r f rentielle de ce pronom permet une utilisation tr s souple de celui ci ainsi il est galement capable de d signer par exemple le monde rural les myopes mais toujours dans le sens de groupe soud Rouaud se sert admirablement de la polys mie attach e ce pronom qui en m me temps lui vite de dire je bien que celui ci fasse partie du nous ainsi que du on En effet les deux personnes du dialogue sont adjointes dans le pluriel de la rs personne Benveniste conteste d ailleurs le fait que le nous serait le pluriel du je mais voit en lui une jonction entre je et le non je Le nous peut en effet correspondre un je tu je il je tu il gt Ainsi m me si la premi re personne ne pr domine pas dans le texte roualdien le je responsable du dire sujet de l nonciation et sujet de l nonc est pr sent
13. DOUBROVSKY Serge 1977 Fils Paris ditions Galil e SCHLECHTER Lambert 2006 Le murmure du monde Mayenne d Le Castor Astral 125 YOURCENAR Marguerite 1988 Quoi L Eternit Paris Gallimard 6 ARTICLES ET CHAPITRES DRIJKONINGEN FERNAND 1994 LA MORT DANS L ME LES CHAMPS D HONNEUR DE JEAN ROUAUD IN AMMOUCHE KREMERS MICH LE ET HILLENAAR D HENK JEUNES AUTEURS DE MINUIT AMSTERDAM RODOPI P37 52 GOOGLE LIVRES FREYERMUTH Sylvie 2011 sous presse L antre ventre dans le roman roualdien ou les lieux de r surrection n p communiqu par l auteur 7 Grammaire et linguistique AUTHIER REVUZ J 1992 Rep res dans le champ du discours rapport In L information grammaticale 55 p 38 42 AUTHIER REVUZ J 1993 Rep res dans le champ du discours rapport suite In L information grammaticale 56 p 10 15 BENVENISTE mile 1966 De la subjectivit dans le langage in Probl mes de linguistique g n rale 1 Paris Gallimard p 258 266 COSNIER Jacques BOUCHARD Robert KERBRAT ORECCHIONI Catherine 1991 D crire la conversation Presse Universitaire de Lyon Broch DUCROT Oswald 1984 Le Dire et le dit Paris d De Minuit HERSCHBERG PIERROT Anne 2003 Sfylistique de la prose Paris Belon collection Belin Sup Lettres KERBRAT ORECCHIONI Catherine 2005 Les actes de langage dans le discours Th o
14. Les Champs d honneurs Paris Les ditions de Minuit ROUAUD Jean 1993 Des hommes illustres Paris Les ditions de Minuit ROUAUD Jean 1996 Le Monde peu pr s Paris Les ditions de Minuit ROUAUD Jean 1998 Pour vos cadeaux Paris Les ditions de Minuit collection double ROUAUD Jean 2004 L Invention de l auteur Paris ditions Gallimard ROUAUD Jean 2010 vangile selon moi Paris ditions des Busclats 3 Sur Jean Rouaud Ducas Sylvie sous la direction de 2005 Jean Rouaud Les fables de l auteur Angers ditions Presses de l Universit d Angers Ducas Sylvie 2006 Jean Rouaud Les Champs d honneur Pour vos cadeaux Saint Armand ditions Hatier coll profil d une uvre FREYERMUTH Sylvie 2006 Jean Rouaud et le p riple initiatique une po tique de la fluidit Paris L Harmattan coll critiques litt raires FREYERMUTEH Sylvie 2011 Jean Rouaud et l criture les yeux clos De la m moire engag e la m moire incarn e Paris ditions L Harmattan LANTELME Michel 2009 LIRE Jean Rouaud Paris ditions Armand Colin coll crivains au pr sent 124 4 Sur l autobiographie et l autofiction CHIANTARETTO Jean Fran ois CLANCIER Anne ROCHE Anne sous la direction de 2005 Autobiographie journal intime et psychanalyse Paris d Economica Anthropos GUSDORF Georges 1991 Auto bio g
15. Les volets suivants vont continuer dans cette perspective Au lieu d une chronologie li e au temps Rouaud choisit plut t une temporalit affective qui va marquer la totalit de la Fianc e juive En effet ind pendamment de la chronologie des faits Rouaud consacre plut t les volets cons cutifs de son livre des personnages importants et 1 ROUAUD Jean op cit 2008 p 19 107 RIEGEL Martin PELLAT Jean Christophe RIOUL Ren op cit 1994 dition consult e Paris PUF 2006 p 160 108 Ducas Sylvie 2006 Jean Rouaud Les Champs d honneur Pour vos cadeaux Saint Armand ditions Hatier coll profil d une uvre p 73 45 des p riodes d cisives de sa vie Ainsi en gros il commence par la mort du p re raconte sa m re les s urs Calvaire la p riode pass e dans son kiosque journaux ses d buts en tant que journaliste ses d buts en litt rature l instituteur qui l a le plus marqu les t s ennuyeux de son enfance sa vie sentimentale pr sente avec comme personnage de r f rence sa fianc e juive Il n y a donc pas de chronologie lin aire mais une promenade avec des allers et retours dans les moments importants de la vie de l auteur l image des phrases roualdiennes que nous analyserons de plus pr s dans la partie consacr e au deuil et la spirale ascendante le traitement du temps dans La Fianc e juive suit tout de m me une progression chronologique puisque le
16. ce sont leurs enfants qui sont de part et d autre au nombre de trois Mutter Courage a deux fils et une fille qui est muette La m re de Rouaud a aussi trois enfants deux filles et un gar on dont le fils Jean est galement enfoui dans un mutisme profond pendant sa p riode de deuil mutisme duquel il va progressivement sortir surtout par le biais de l criture qui est la voix de l me et qui nous l avons vu est le meilleur soutien de Rouaud pendant de son travail de deuil 96 Et puis il y a ce pacte faustien r f rence au c l bre Faust de Goethe histoire d un savant qui vise la connaissance absolue et qui signe un pacte avec le diable M phistoph l s lequel consiste en l change de son me contre une nouvelle jeunesse Comme Faust Anna Fierling et Anne Rouaud ont abandonn leur me leur commerce en change d un semblant de jeunesse ternelle les couples qui s taient promis l un l autre dans le choix des articles qui allaient composer leur liste de mariage se pr sentaient avec cette exquise fra cheur sans cesse renouvel e L ge des postulants la cha ne conjugale tant toujours un peu pr s le m me dans les campagnes ses petits mari s ayant toujours peu pr s vingt ans ce miroir r fl chissant lui renvoyait une image sans rides et la faisait repousser d ann e en ann e l ge de la retraite avec l nergie d une jeune fille Sans doute s tait elle
17. crivain qui n h site pas tisser des liens entre les personnages bibliques et son p re ainsi que le d montre la superposition de son p re avec saint Joseph dans la toile mais galement dans ses textes ce qu illustrent ces deux exemples j ai tent de relever le temple du corps de mon p re le nom du p re on le porte comme une croix gt l Les r f rences bibliques abondent dans l uvre roualdienne et la plus significative est certainement celle qui renvoie au myst re de l incarnation du p re dans le fils Rappelons qu en th ologie l Incarnation est le fait que Dieu se soit incarn en un homme J sus Christ Selon la tradition chr tienne il s agit l de l union parfaite de la nature divine de la Personne du Verbe et de la nature humaine J sus enfant par Marie Le Christ tant d fini comme tant un tre humain r el donc dou d une volont humaine et le vrai Verbe de Dieu dont la volont divine est commune avec celle de Dieu le P re L uvre roualdienne en retrouve l empreinte dans la symbolique des pr noms le p re de J sus et le p re de Jean s appellent tous les deux Joseph il y a concordance des initiales entre le p re Joseph Rouaud et le fils Jean Rouaud Int ressant est le fait que ces initiales J R renvoient J sus ressuscit ainsi qu Jean et Joseph ressuscit s par la plume de l crivain affaire de r surrection par le texte gt D autant plus
18. explicite le je dissimul et le je absent Un crit re grammatical relatif au contrat qui lie l auteur au lecteur est l utilisation de la premi re personne du singulier qui marque l identit du narrateur et du personnage principal Nous pouvons d s pr sent noter que l utilisation des pronoms personnels dans l uvre de Rouaud est tr s particuli re et significative L emploi du je n est pas une vidence chez cet crivain qui semble parfois avoir du mal assumer cette identification avec le personnage et pr f re garder de la distance par rapport certaines situations et par rapport lui m me Dans La Fianc e juive le je embrayeur d ictique qui permet d tablir un contact avec la situation d nonciation n appara t que tardivement En effet le lecteur doit patienter jusqu la cinqui me carte de visite intitul e non sans raison case d part avant de lire un je explicite S il y avait certes certaines rares mentions du pronom possessif de la premi re personne comme par exemple dans le deuxi me volet qui relate l histoire de la m re de Rouaud Ma m re c tait pareil y l vitement du recours au je est flagrant dans ce livre Une certaine h sitation se fait en effet ressentir comme une sorte de scrupule s identifier parler en son nom propre En sachant la souffrance qui se cache derri re la di g se on peut facilement about
19. la mort et la r surrection Je viens de cet imaginaire d importation Nul ne sait comment les rapports de Rouaud Dieu se seraient d velopp s sans ce drame du lendemain de No l Toutefois un tel d c s pr matur est apte perturber la foi en un dieu d amour m me si celle ci avait des bases solides Comment pardonner ce Dieu qui est cens tre bon et aimant cette trag die qui touche une famille pieuse et innocente Cependant la confrontation avec la mort susceptible de d stabiliser la position par rapport la foi peut tout aussi bien raviver les rapports avec le transcendant dans la mesure o la spiritualit fait partie de la r flexion sur la perte d finitive La date du d c s du p re situ e par Rouaud par rapport No l ou par rapport la Saint Jean place cette journ e fatidique entre deux f tes religieuses dont No l qui est cens tre l une des f tes les plus joyeuses No l pour la naissance et P ques pour la r surrection Pourtant notons entre parenth ses qu au del de la c l bration de la naissance de J sus de nombreuses croyances notamment en Bretagne mettent en vidence que le jour de No l c est f te pour les morts comme pour les vivants gt et que les enfants endossent le r le de passeurs entre vivants et mort Co ncidence int ressante tant donn les circonstances La date du d c s en est d autant plus tragique qu elle se trouve
20. le disciple pr f r ce dont je m enorgueillissais enfant comme si j tais moi m me l lu Jai racont comment quelques heures de mourir mon p re allong dans son lit me souhaita ma f te pour le lendemain mais je n ai pu m emp cher de penser par la suite qu il avait pressenti que le lendemain il serait trop tard Plus tard j ai interpr t ses derni res paroles comme une invitation t moigner Rappelle toi que tu es Jean l crivain On m avait 5 2 Spas z 241 donn ce pr nom pour qu mon tour je raconte ce qui s tait pass La figure du p re la personne du fils les liens divins qui les unissent le t moignage l inspiration la qu te vers le salut sont autant d l ments qui permettent de constater l ind niable influence des textes 226 http www larousse fr dictionnaires francais trinit C3 A9 02 02 2011 2 http www vatican va archive FRA0013 _INDEX HTM 02 02 2011 24 ROUAUD Jean op cit p 69 1 ROUAUD Jean op cit 2010 p 30 31 88 bibliques et de la religion en g n ral sur la conception roualdienne des relations filiales de l criture et de la mort sans pour autant s inscrire dans une perspective de croyance mais plut t en tant que source de mati re po tique D La Trinit qui n est pas nomm e de fa on explicite dans l uvre de Jean Rouaud y figure cependant l image du Saint Esprit c est di
21. premi re personne se d finit par l articulation de deux niveaux la r f rence et l nonc Premi rement selon lui les pronoms personnels je tu n ont de r f rence actuelle qu l int rieur du discours dans l acte m me d nonciation Le je renvoie celui qui parle et que nous identifions du fait m me qu il parle En ce qui concerne l nonc les pronoms personnels de la premi re personne marquent l identit du sujet de l nonciation et du sujet de l nonc Jusque l nous pouvons donc affirmer qu en effet ce pacte autobiographique hors norme est bien une d claration de co ncidence entre le je narrant et le je narr Cependant Lacan va un peu plus loin en affirmant que c est non pas le pronom personnel mais l identit de l auteur par rapport son personnage qui tablit la preuve du caract re autobiographique d un crit et que cette identit s tablit non seulement par le je mais surtout par une d claration sign e de l auteur c est dire ayant en plus du pronom je le nom propre de l auteur En effet pour ce psychanalyste c est bien dans le nom propre que personne et discours s articulent avant m me de s articuler dans la premi re personne C est donc par rapport au nom propre que l on doit situer les probl mes de l autobiographie Dans les textes imprim s toute l nonciation est prise en charge par une personne qui a coutume
22. riode pass e au coll ge qu il nomme ici Saint Cosmes alors que dans la Fianc e juive ce m me coll ge est appel coll ge Saint Louis qui est le nom r el de 29 DOUBROVSKY Serge 1977 Fils Paris ditions Galil e 21 Thid quatri me de couverture 2 COLONNA Vincent 1989 L autofiction essai sur la fictionalisation de soi en litt rature Doctorat de l E H E S S 7 DOUBROVSKY Serge op cit 1977 24 STALLONI Yves 2006 Dictionnaire du roman Paris Armand Colin p 27 13 l tablissement Dans Les Champs d honneur Rouaud situe l histoire de sa famille Random alors que le village s appelle Campbon nom r el que reprend le romancier dans La Fianc e juive Une autre modification concerne le nom des s urs Calvaire qui en r alit et c est le professeur Freyermuth proche de Jean Rouaud qui me l apprend portaient le nom de Calvez Dans ce cas pr cis le lien entre la signification du nom masculin calvaire avec le parcours difficile de ces deux personnages voqu s dans la saga de Rouaud donne un sens particulier cette modification qui rev t une signification s mantique L analogie entre ce nom de sc ne et le patronyme de ces deux villageoises font m me penser un jeu de mots plut t qu une volont de d tourner la r alit Y aurait il peut tre le d sir de pr server une part d intimit ces villages et villageois qui figurent malgr eux dans des livr
23. Blue Devils id es noires ainsi que de son d riv de l ancien fran ais qui signifie histoire personnelle ses explique cette tendance ainsi que l utilisation de la premi re personne du singulier Le texte de ce blues intitul comme son autobiographie La Fianc e juive est pr c d d un po me qui ne fait pas partie de la chanson Dans celui ci l interpr te s adresse directement un tu cette fianc e laquelle il d clare son amour et lui avoue la douleur qui le ronge tre s par d elle Une gare lieu tr s repr sentatif de s parations et de retrouvailles ainsi que le champ lexical du serrement et de l treinte s accrocher l un l autre entrelac s colle forte verrouillage de leurs bras ins parables treinte l tau 7 http fr wikipedia org wiki Blues 2 5 2011 116 aimant mettent l accent sur cette absence qui lui p se et sur le besoin qu il ressent tre avec cette femme La vue de couples qui affichent leur amour ainsi que leur complicit ravive en l auteur la tristesse de l absence et de la s paration La connotation d engagement et de lien est galement introduite par le titre du livre qui renvoie une femme laquelle on a fait une promesse de mariage Nous avons vu lors de l analyse de ce titre que le fait de nommer son autobiographie La Fianc e juive donnait d embl e une importance majeure
24. DENIS Paul 2000 Sigmund Freud 1905 1920 Paris Puf FREUD Sigmund 1908 Essais de psychanalyse appliqu e La cr ation litt raire et le r ve veill dition consult e Paris Id es Gallimard 1980 FREUD Sigmund 1917 Deuil et m lancolie M tapsychologie dition consult e Paris Id es Gallimard 1976 KAHN Laurence 2000 Sigmund Freud 1897 1904 psychanalystes d aujourd hui oubli et souvenir Paris Puf 10 Sur la peinture Georges de La Tour catalogue d exposition Galeries du Grand Palais Paris 1997 1998 SURGERS Anne 2007 Et que dit ce silence La rh torique du visible Paris Presses Sorbonne Nouvelle VERDON Timothy 2006 Le Christ dans l art europ en Paris ditions Citadelles et Mazenod 127 11 Divers BERGOUNIOUX Pierre 2000 La puissance du souvenir dans l criture Nantes ditions Pleins Feux CYRULNIK Boris 2000 Un merveilleux malheur Paris ditions Odile Jacob GRUAU Maurice 1999 L homme rituel Anthropologie du rituel catholique fran ais Paris d M taili LE BRIS Michel et ROUAUD Jean dir 2007 Pour une litt rature monde Paris Gallimard PERROT Martyne 2000 Ethnologie de No l Une f te paradoxale Paris dition Grasset 128 Annexe 129
25. Kerbrat Orecchioni c est moi qui souligne 72 Thid p 86 77 Ibid COSNIER Jacques BOUCHARD Robert KERBRAT ORECCHIONI Catherine 1991 D crire la conversation Presse Universitaire de Lyon Broch 77 Thid p 341 30 C est moi qui souligne 84 L alliance heureuse est bien l association du je et du il dans la mesure o ensemble ils pourraient continuer alors que le je seul est d sesp r et tend arr ter tout Le verbe commencer qui montre que l on rentre dans un proc s qui est graduel est certes plus positif et ambitieux mais n est que le d but d une aventure dont l aboutissement est plus qu incertain Cela tant dit il nous reste trouver l identit de celui ou de celle qui Rouaud adresse cette suite de questions en le suppliant de lui fournir les pi ces manquantes du puzzle Cependant il faut noter que Jean Rouaud a rarement recours l change dialogu traditionnel et que par cons quent le rapport entre le locuteur et l interlocuteur peut s av rer d sarticul et n entre plus dans le sch ma classique de l interaction Et c est en effet le cas pour le passage analys dont les interrogations ne sont pas adress es un interlocuteur mentionn explicitement ou un personnage du livre D apr s Sylvie Freyermuth la modalit interrogative a pour destinataire soit le lecteur auquel Rouaud a l habitude de s adresser directemen
26. acceptant l enfant Dans les images du Christ avec son p re putatif saint Joseph il est vident que c est l Enfant J sus qui rev t le r le de personnage principal Pourtant Georges de La Tour a d cid de d dier cette toile la figure du p re affirmation prouv e par le titre du tableau Pourtant Timothy Verdon note que c est bien le fils qui est lui m me la lumi re du monde incarnation de la sagesse et son p re pench sur son travail semble s incliner devant l Enfant qui claire son p re de sa bougie Le texte biblique nous informe que J sus adulte alors qu il revint enseigner dans la synagogue de Nazareth incita la curiosit des gens qui se demand rent D o lui viennent cette sagesse et ces miracles Celui l n est il pas le fils du charpentier Mt 13 54 55 La forme interrogative par laquelle sont rapport es dans l Evangile les questions du peuple sugg re que la sagesse de J sus ne peut pas uniquement provenir du fait qu il soit le fils du charpentier Joseph mais qu il est le fils de Dieu Et c est exactement ce qu exprime le peintre lorrain en faisant du visage de l Enfant la principale source de lumi re de l image ainsi qu en jouant sur l effet translucide de sa main gauche En effet cette main 262 Thid pr face par Anne Elisabeth Spica p 16 17 263 VERDON Timothy 2006 Le Christ dans l art europ en Paris ditions Citadelles et Mazenod p 75
27. autobiographique de l uvre comme une vidence Cette premi re partie de l analyse s est galement pench e sur le r le de la m moire crucial dans tout r cit autobiographique et ce par le biais de ses deux principaux composants que sont le souvenir et l oubli Ce travail s est galement int ress aux raisons qui ont motiv Jean Rouaud transformer sa destin e en un texte litt raire consid r dans sa structure et son organisation par rapport aux personnages aux v nements et aux temps 120 Apr s avoir d crit le genre autobiographique et d montr que La Fianc e juive remplissait globalement les crit res d finis par Lejeune Gusdorf et d autres th oriciens peut tre moins connus de ce type d criture de l intime cette analyse a t men e travers les diff rents deuils v cus par Jean Rouaud et qui forc ment p n trent cette autobiographie dans sa di g se par le biais de la mort du p re de la souffrance de la m re et de l effacement de l enfance mais galement par l criture roualdienne qui refl te admirablement ce mal tre d la s paration d finitive Le deuil n tant pas un tat fixe mais un travail s accomplissant dans le temps et voluant par rapport diff rentes tapes le rapprochement avec la forme g om trique de la spirale qui associe la boucle et la progression s est av r d terminant pour mettre en vidence la progression lente mais certaine
28. celui de la mort de Mozart v cue travers le feuilleton et celui de l criture Notons l article ind fini du syntagme un lendemain de No l qui par son emploi g n rique conf re ce 26 d cembre le caract re d exemplaire repr sentatif 107 de toute sa classe c est dire de tous les lendemains de No l qui vont suivre et qui seront tous marqu s par l v nement tragique de l ann e 1963 Le brouillage temporel associ au pr sent de dramatisation d crit une douleur qui ne s est pas att nu e malgr le nombre des ann es pass es elle reste aussi vive apr s vingt ans qu au moment des faits La Fianc e juive trouve donc son point de d part au moment de la mort du p re du mythe fondateur mais non pas uniquement dans son aspect temporel mais plut t dans l motion dans la douleur intense suscit e par cet v nement Le deuxi me volet L lixir d Anna s ouvre sur la guerre et d s la premi re phrase on pense aux Champs d honneur ce qui renvoie la figure de continuit caract ristique de la tradition roualdienne en ce que chaque l ment est li un autre Au niveau de la temporalit ce deuxi me volet raconte globalement la vie de la m re de Rouaud de sa rencontre avec son mari en passant par ses ann es dans son magasin de porcelaine jusqu sa mort mais ce travers le personnage de Mutter Courage Nous reviendrons sur cette superposition plus tard dans l analyse
29. cit 2008 p 71 52 Les hauts b timents en U du coll ge qui dessinaient une vaste cour int rieure o tournoyaient des vents furieux interdisaient de m me toute vue sur la mer Quant penser y tremper un pied ils nos ma tres de vertu y avaient pens qui trouv rent sans peine la parade le jeudi jour de repos nous marchions peine tions nous enfin arriv s au lieu dit le Rocher du Lion distant de plusieurs kilom tres une anse de sable ferm e mar e montante qui constituait le terme de notre marche forc e qu apr s un bref sit in alors que nous tions croul s de fatigue sur la plage on c est dire le vieillard de vingt deux ans qui nous servait de surveillant nous conviait reprendre le chemin du retour La voix du locuteur se d double en deux instances narratives le narrateur qui retourne en arri re le vocabulaire plus recherch lui revient et qui se projette dans l enfant source d un point de vue diff rent et qui parle d un homme de vingt deux ans en termes de vieillard Ce m lange de voix diff rentes prises en charge par un m me locuteur est propre au discours indirect libre dont l int r t r side cependant dans son ambigu t dans l ind cision de ses fronti res 17 Ceci cr e un effet de fusion de liss entre les voix qui se croisent mais qui du point de vue de l nonciation forment un tout coh rent et fluide Apr s
30. crire mais rien dire et son d sir d crire n tait pas pouss par l envie de raconter Ainsi parler de la mort du p re quivalait aller contre cet ordre id ologique du moment et faire all geance au p re c tait aller contre ce 35 LE BRIS Michel et ROUAUD Jean dir 2007 Pour une litt rature monde Paris Gallimard p 7 22 38 credo de la litt rature moderne surtout en sachant que pour parler de la mort du p re il allait forc ment placer son livre dans le contexte rural du sud de la Bretagne parler de petits commer ants et de surcro t d une communaut prise en mains par l autorit religieuse A nsi en ce qui concerne le champ social Rouaud n avait pas de place l gitime dans le monde de la litt rature mais sa chance a t d tre publi par une maison litt raire qui tait la maison d dition de la modernit celle des nouveaux romanciers Les ditions de Minuit La suite a t plus facile apr s un Prix Goncourt la donne n est plus tout fait la m me Vous avez des lecteurs on vous tudie on vous demande id 1 4 2 Une destin e transform e en un texte crire une autobiographie signifie solliciter l criture pour t moigner d une exp rience de soi Il y a donc chez l auteur un d sir profond de prendre la parole sous forme d criture pour interpeller les lecteurs et tre reconnu digne d attention et peut tre aussi de respect L critur
31. croie vraiment Mais on se gardera bien d avouer que le portrait a t 7 ROUAUD Jean op cit 2004 p 107 3o BERGOUNIOUX Pierre 2000 La puissance du souvenir dans l criture Nantes ditions Pleins Feux p 35 36 l g rement forc C est qu on les pr f re ainsi n est ce pas En h ros du dimanche et du lundi parfois Et puis de vous moi il y eut tant de repeints que je ne sais m me plus quoi ressemblait l original 1 4 L auto bio graphie la graphie L acte autobiographique met en jeu les probl mes de la m moire de la personnalit et du regard que l auteur porte sur sa propre vie mais une autobiographie est tout d abord un texte un texte litt raire Pour Rouaud l criture permet de faire revivre le souvenir des membres de la famille qui sont morts et en quelque sorte de leur conf rer ainsi une existence ternelle en les pr servant de l oubli conform ment ce qu a crit Roland Barthes dans son Journal de deuil crire pour se souvenir Non pour me souvenir mais pour combattre le d chirement de l oubli en tant qu il s annonce absolu Le bient t plus aucune trace nulle part en personne Mais l criture permet Rouaud en m me temps de s panouir dans ce qui est le but essentiel de son existence Le titre de ce m moire d voile ou du moins pr tend qu il existe galement chez Rouaud un lien entre l criture et le travail de deuil Cette par
32. de placer son nom sur la couverture du livre et sur la page de garde au dessous ou au dessus du titre du volume Dans le cas de l uvre trait e ces conditions sont remplies mais en plus le nom de l auteur se trouve en initiales en dessous du texte de quatri me de couverture Cependant on ne peut dans le cadre d une analyse s rieuse se contenter de classer La Fianc e juive dans le genre de l autobiographie sans avoir envisag la question de l autofiction 17 BENVENISTE mile 1966 De la subjectivit dans le langage in Probl mes de linguistique g n rale 1 Paris Gallimard p 258 266 ISCHIANTARETTO Jean Fran ois CLANCIER Anne ROCHE Anne sous la direction de 2005 Autobiographie journal intime et psychanalyse Paris d Economica Anthropos Thid p 25 12 Ce terme d autofiction cr par Serge Doubrovsky et qui appara t pour la premi re fois sur la quatri me de couverture de son livre Fils paru en 1977 est dans ce cas cens clairer le lecteur propos du genre de son livre Autobiographie Non c est un privil ge r serv aux importants de ce monde au soir de leur vie et dans un beau style Fiction d v nements et de faits strictement r els si l on veut autofiction d avoir confi le langage d une aventure l aventure du langage hors sagesse et hors syntaxe du roman traditionnel ou nouveau Pourriez vous rev rifier la syntaxe et ou la p
33. de d tours et de diversions qui permettent l crivain de ne pas aller droit au but dans ce qu il veut dire mais d aller au del de la simple information en pratiquant le but premier de son entreprise d criture celui d crire de d crire avant m me celui de raconter La premi re chose laquelle vous vous contraignez celle qui vous co te le plus c est d appeler un chat un chat Ce qui n a l air de rien qui para t m me l vidence mais quand on a des pr tentions po tiques une propension lyrique tourner autour du pot c est une violence gt Cette auto analyse de son style met en vidence la volont de ne pas se contenter de raconter sa vie et ses malheurs mais de transformer ceux ci en litt rature en texte qui va bien 18 ROUAUD Jean op cit 2008 p 125 199 Ibid 200 Thid p 56 72 au del de la simple transmission d information Rouaud tourne autour du pot il le dit lui m me mais en m me temps il avance dans la narration il ne se contente pas de d crire et de stagner dans des informations de second plan mais son histoire avance dans La Fianc e juive Rouaud part dans le premier volet de la mort du p re rev cue travers le feuilleton sur la vie de Mozart donc d un tat de pleine souffrance caus e par la mort de celui ci et il aboutit une sorte de r surrection d entre les morts gr ce cette femme qui lui permet finalement de tourner l
34. de lui Ces pens es pu riles restent ancr es jusque dans la vie d adulte Cette part de culpabilit tablie dans les jeunes orphelins et donc dans l esprit de Rouaud l incite sans doute r gler sa dette envers le p re d funt N ayant que son talent et sa plume pour alli s il redonne au p re une deuxi me vie en le ressuscitant par l criture Il est tr s difficile d expliquer ou de dire la mort et les rites sont d autant plus importants qu ils permettent de l voquer et ce par des 207 BACQU Marie Fr d rique HANUS Michel op cit 2001 p 78 77 gestes communs dont la signification est connue de tous Si le rite est un langage symbolique pour les vivants il est aussi un moyen employ par l endeuill pour se rapprocher du d funt en essayant de communiquer avec lui dans l au del Ainsi selon Marie Fr d rique Bacqu 208 un rite est toujours porteur de sens et se situe toujours comme un pont entre les g n rations permettant d allier le pr sent au pass et donne ainsi une image d ternit ce moment parce qu il est le m me pour les g n rations qui le r alisent Aussi un des rites les plus importants pour la communaut chr tienne dont fait partie la famille de Jean Rouaud est l ensevelissement de ses morts qui a pour objet de maintenir le vivant dans sa vie et qui vise moins le cadavre que ses proches 0 Car sans cadavre ensevelir sans tombe
35. deuil dans sa fa on de s habiller et de se comporter Ce sens demeure d ailleurs dans l expression tre en deuil De nos jours le deuil se trouve plus souvent impliqu dans l expression faire son deuil qui renvoie la r action psychologique et subjective face la perte Il est donc employ notre poque pour signifier la r action psychologique essentiellement individuelle la perte d un tre important mais aussi bien d une chose ou d une valeur Un deuil important rime toujours avec changement radical Les enfants concern s ne sont plus les m mes et ils ne sont plus des enfants comme les autres M Hanus psychiatre et psychanalyste explique dans son livre qu un enfant qui subit la perte d un parent ressent un sentiment d norme injustice car frapp par la vie cet enfant endeuill s attend au pire il perd confiance devient inquiet et restera anxieux surtout en pr sence d une menace ou d un risque de s paration Toujours selon Hanus les enfants ont en effet pour grandir besoin d un espace int rieur de r ve appel espace transitionnel o ils peuvent vivre librement en d calage avec les risques li s la r alit sans avoir besoin de tenir compte des contraintes de la vie r elle La mort d un parent dans l enfance est une exp rience radicale qui laisse des traces durables et vari es qui ne se manifesteront que progressivement Elles dureront toute
36. difficile pour Rouaud de se construire une identit sur ce socle caduque qui menace de s effondrer tout moment Aussi il d cide de se lancer dans cette reconstruction du p re n cessaire sa propre qu te d identit Pain perdu temps perdu p re perdu rien ne se perd vraiment pour qui s applique accommoder les restes remonter un temple reconstituer une vie On peut partir d une trace d un vestige d une m moire enfouie dans une p tisserie au pr nom f minin Le temps perdu il faut l entendre ainsi comme le pain perdu comme un dessert ce n est ni plus ni moins ce recyclage de l motion qu une fa on de finir en beaut 7 Cependant le fait d accommoder entra ne forc ment une certaine modification et si possible une am lioration de la mati re 7 ROUAUD Jean op cit 2004 p 105 75 Ibid p 59 60 34 travailler Les restes ne suffisent pas il va falloir en rajouter pour enfin arriver une image satisfaisante et apte redonner la valeur initiale m rit e et satisfaire les attentes ses propres attentes Impossibilit de conna tre la v rit donc n cessit de l inventer Ceci nous am ne donc au probl me de l autobiographie et de la promesse de dire la v rit que l autobiographe fait au lecteur En effet nous avons vu que selon Lejeune le pacte autobiographique pouvait tre tabli sous diverses formes pourvu que soit manifest e l inten
37. disent les mots mais aussi ce qu ils ne peuvent dire par exemple la spiritualit Et si l art permet d exprimer certaines choses qui chappent au langage ordinaire celui ci permet galement de se d connecter de la r alit de s chapper par la r verie et l imagination d un r el parfois lourd et pesant En effet nous avons vu que la relation p re fils est compar e et mise en relation avec Joseph et J sus noter que cette relation filiale se trouve dans le tableau dans un contexte religieux qui cr e un lien suppl mentaire avec l uvre de Rouaud et permet l crivain de se recr er une relation p re fils dans une dimension sup rieure mystique D ailleurs m me si Jean Rouaud se dit non croyant son enfance a tellement baign dans le culte catholique que la religion ou plut t les textes religieux ont forc ment une quelconque influence sur son uvre De sorte que lors de ce premier voyage en Isra l alors que tous les lieux me parlaient me renvoyaient cette histoire qui avait nourri mon enfance j eus le sentiment d arriver oui chez moi Un accord se faisait entre les textes mille 287 Thid p 316 788 Thid p 234 113 fois entendus et la g ographie Le sentiment de trouver enfin un paysage ia gainn 289 correspondant la carte de mon imaginaire Cette constatation r v le donc une nouvelle passerelle entre le tableau de La Tour et son influence sur la vie et l uvre de l
38. enfants Le pronom n gatif ind fini IShttp www ithaque editions fr extrait ITHPSY005 pdf 20 11 2010 i SROUAUD Jean op cit 2008 expression tir e du po me de Paul luard en exergue de La Fianc e juive et que Jean Rouaud reprend tr s souvent propos de sa m re SROUAUD Jean op cit 1998 p 116 58 personne qui par d finition nie l existence d un r f rent accentue l impression de v rit g n rale et d vidence de ce propos L adverbe sinon qui ouvre la phrase suivante donne toutefois une nuance en introduisant une restriction l affirmation qui pr c de en fin du compte ils lui en veulent mais juste un peu Notons que Jean Rouaud avoue en vouloir sa m re mais il nuance imm diatement avec le quantificateur adverbial un peu noter galement la bri vet de cette phrase de l aveu qui contraste avec le style de Rouaud caract ris habituellement par de tr s longues phrases D autant plus que le point final qui s pare cet aveu de la subordonn e relative introduite par le pronom relatif qui lequel a pour fonction de donner des pr cisions quant son ant c dent savoir le pronom personnel clitique nous cr e une coupure grammaticalement incorrecte mais qui accentue le malaise ressenti par l crivain par rapport cette d claration Il avoue en vouloir sa m re ce qui est l gitime mais il se r tracte presque imm diatement en nuan an
39. f te d un saint soit c l br e le jour de sa mort Le d c s de Joseph Rouaud s inscrit justement proximit des moments d cisifs de ces deux cycles celui de la nativit et celui de la saint Jean Nous avons donc une enfance baign e dans la tradition catholique ainsi qu un d c s sid rant ancr dans le calendrier religieux dont le rapport au temps est la fois cyclique et lin aire dans la mesure o il suit le parcours de J sus de sa naissance sa r surrection et se r p te continuellement chaque ann e Le deuil que subit Rouaud est syst matiquement raviv la date anniversaire de la mort et peut tre de fa on plus intense que de coutume tant donn que les pr parations des f tes de No l et de fin d ann e commencent tr s t t et font presque autant partie de notre culture que la f te en soi Chaque vitrine de magasin chaque d coration ext rieure et int rieure est adapt e ces pr paratifs qui connotent la joie le bonheur la f te de famille Cette ambiance festive en parfait contraste avec la r alit de Rouaud ajoute une touche 7 http www jean rouaud com 17 01 2010 6 GRUAU Maurice 1999 L homme rituel Anthropologie du rituel catholique fran ais Paris d M taili 237 Thid p 116 87 sombre au tableau Le contexte religieux de la date du d c s rend donc le travail de deuil encore plus difficile dans la mesure o il suit ce cycle annuel qui tend raviver
40. face au souvenir d un p re qu il a peine connu et qui est mort depuis tellement longtemps de sorte qu il y a forc ment un grand vide autour des quelques souvenirs r els sur lesquels 7 LEJEUNE Philippe op cit 1971 dition consult e 1975 p 26 77 ROUAUD Jean op cit 2008 p 78 78 Jbid p 72 35 fonder ce personnage fondamental dans la vie et donc galement dans l uvre de l autobiographe Jamais tout fait conforme cette recomposition laquelle s est livr e la m moire Les traits sont flottants Alors pensez un visage disparu depuis si longtemps que vous n avez eu que les six premi res ann es de votre vie pour vous le mettre dans la t te Or ce n est pas avec celles l qu on se fabrique le meilleur des albums du souvenir quelques flashes de vagues impressions dont on n est m me pas s r qu elles soient de premi re main bien souvent fabriqu es partir d anecdotes r investies et qui plus est dans votre cas un visage ph m re peu pr sent de passage un visage clair en somme L image du p re que nous transmet Rouaud est donc certainement sinc re mais pas n cessairement tout fait conforme la r alit La reconstruction de cette figure paternelle subit les lacunes de la m moire qui sont remplies par l auteur non pas de souvenirs r els mais d l ments rassembl s au cours de sa vie au regard de photographies de conversations ave
41. lui m me Le Moi dans la m lancolie est en quelque sorte amput d une partie de lui m me la suite de la perte ou de la d ception qu il a v cue gt Et en effet l environnement de tristesse et de larmes suscit par la mort du p re a pratiquement emp ch Rouaud de se cr er une identit propre Pendant de tr s longues ann es et nous l avons vu jusqu l ge adulte l identit de Rouaud se d finissait uniquement par rapport au p re d c d Il tait l orphelin celui qui a brutalement perdu son p re gt issu de la famille amput e de son grand homme Rouaud enfant ainsi que Rouaud adolescent n a exist et ne s est d velopp que par rapport au fant me du p re L crivain a grandi et s est construit dans un monde l envers o lui vivant est devenu quasiment invisible sans identit propre et sans exigences parce que cras par la pr sence imposante du fant me du d funt et de l ambiance plor e de l auberge endeuill e du p re Et c est avec ce bagage encombrant que Jean Rouaud s est lanc dans la conqu te d une v ritable identit par le biais de l criture Celle ci s est en effet montr e salvatrice dans la mesure o elle a permis Jean Rouaud de gu rir en partie de son enfance et du deuil Le pass et 164 FREUD Sigmund op cit 1917 dition consult e Paris Id es Gallimard 1976 165 Thid p 146 147 166 DENI
42. n it et de fluidit il ne faut pas omettre d analyser les diff rentes valeurs de ce pr sent En effet on est ici face deux diff rents rep rages temporels qui tendent se confondre certains moments En effet le d ictique d terminant d monstratif non anaphorique cette fois synonyme du d ictique maintenant li l indicatif pr sent situe l nonc par rapport au moment de l nonciation le moment o Rouaud crit Le pronom personnel nous tend faire croire que Rouaud s adresse au lecteur Voil coutez bien je vais maintenant vous raconter l essentiel Dans ce cas le pr sent utilis ici serait bien le pr sent d nonciation Pourtant le syntagme verbal qui ouvre ce passage peut galement avoir son ancrage temporel au moment o Rouaud regarde le feuilleton Dans ce cas le nous se r f re plut t aux t l spectateurs qui regardent le feuilleton et dont Rouaud fait partie Le pr sent de cette phrase adopte donc une valeur diff rente celle du pr sent de narration qui selon Anne Herschberg Pierrot t lescope la distance temporelle entre l autrefois et l aujourd hui STE suite c est dire le r cit des derniers instants de Mozart dans le feuilleton t l vis relate des faits du pass en cr ant un effet fictif de proximit nonciative L emploi de ce pr sent dit historique qui est sollicit lorsque le rep re temporel ne co ncide
43. notamment face au d c s de ses proches Jean Rouaud est n en 1952 Camphon en Loire Atlantique Lorsque son p re d c de en 1963 sa maman continue g rer le magasin de porcelaine en levant seule ses trois enfants Jean Rouaud passe une grande partie de sa scolarit dans un pensionnat poque qui l a norm ment marqu et laquelle il consacre certains pisodes de son uvre Apr s le bac et des tudes de lettres Nantes il va exercer de petits m tiers avant de devenir en 1983 marchand de journaux dans un kiosque Mais il n est pas combl car son r ve depuis toujours est 4 d crire de devenir crivain mais aussi d tre reconnu en tant que tel une histoire qui commence tr s t t par on ne sait trop le go t d crire ou le d sir d tre crivain le d sir d tre crivain passe n cessairement par la publication d un livre condition sine qua non pour tre reconnu comme tel La rencontre avec J r me Lindon des ditions de Minuit va s av rer tre d cisive dans le parcours de Rouaud Celui ci accepte de publier Les Champs d honneur en 1990 et ce premier roman couronn du Prix Goncourt et traduit en vingt cinq langues va marquer l ascension de l auteur dans le milieu de la litt rature Ce roman est aussi le premier d une s rie de cinq livres qui retracent son parcours sinueux et celui des personnages importants de sa vie Les Champs d honneur retrace surtout la
44. par Bertolt Brecht raconte la vie de la cantini re Anna Fierling dite Mutter Courage m re courage qui pendant la guerre de Trente Ans accompagn e de ses trois enfants deux gar ons et une fille muette va de champ de bataille en champ de bataille tirant son petit commerce sur roue sa charrette afin de faire du n goce entre autres de son corps et gagner ainsi sa vie Malheureusement ses enfants deviennent l un apr s l autre victime de cette guerre qui elle est pourtant aussi son gagne pain Le courage de cette femme hors norme va lui interdire de sombrer dans le d sespoir elle va donc en d pit de ses malheurs choisir de vivre malgr tout Outre le pr nom et la jeunesse marqu e par la guerre il y galement le m tier et la d votion pour leurs petits commerces qui tissent des liens entre la m re de Jean Rouaud et ce personnage de th tre hors du commun caract ris par son norme courage Mise part l absurdit de la guerre qui n a de cesse de se renouveler Brecht parle galement travers sa pi ce de l importance de l change avec d autres personnes En effet la carriole d Anne Fierling au m me titre que le magasin de porcelaine de la m re de Rouaud est un lieu de commerce mais aussi un point de rencontre de discussion et parfois m me de confidences entre g n rations diff rentes Mais ce qui relie surtout cette personnalit singuli re Anna Fierling la m re de Rouaud
45. pas une exacte quivalence avec le r f rent qui ouvre le passage mais l emploi du pronom de troisi me personne qui est grammaticalement correct pour d signer Mozart et le p re les deux tant identiques en genre et en nombre permet de maintenir la fluidit de la lecture La connaissance pr alable de l histoire de Jean Rouaud permet au lecteur de d coder le contenu s mantique la confirmation de ce glissement est valid e la fin du passage c est cela ce corps de votre p re s affalant brutalement dans la salle de bains quarante et un ans un lendemain de No l CE 204 Thid p 13 205 Thid p 19 75 Le deuxi me volet de l uvre consacr la m re de Jean Rouaud met au jour un proc d identique Si le p re faisait cho au c l bre compositeur Mozart la m re est mise en relation avec un personnage c l bre tir de la litt rature allemande Anna Fierling personnage principal de Mutter Courage de Bertolt Brecht 2 4 2 La spirale et le deuil Pleurer la disparition d un proche est un long travail absorbant et douloureux Selon Luce Janin Devillars psychanalyste et auteur du livre Ces morts qui vivent en nous ce travail de deuil exige de la part des personnes touch es qu elles mettent une grande partie de leur nergie penser au disparu s en souvenir et parler de lui avec ceux qui sont dans le m me chagrin Des jours des semaines des mois voire u
46. peu la tristesse ressentie au regard de la blessure va en s amenuisant L ultime tape sera atteinte quand le sentiment de culpabilit sera lev L tre perdu prendra 8SDE BROCA Alain 1997 Deuils et endeuill s dition consult e Paris d Masson collection m decine et psychoth rapie 2001 184 Thid p 6 185 Thid p 10 c est moi qui souligne 186 HANUS M SOURKES B M op cit 1997 p 94 68 sa place tout doucement et son souvenir s int grera dans la m moire historique de la famille gt La m taphore de la cicatrisation d une plaie grave utilis e par de Broka pour le travail de deuil est tr s illustrative et parlante En effet le tissu l s gravement puis cicatris reste marqu jamais car il ne prendra plus jamais l apparence qu il avait avant le drame Dans un premier temps la cicatrice est tr s nettement diff renciable du tissu sain Cette diff rence va s att nuer au fil du temps mais restera toujours visible Dans certains cas il est possible de regarder la cicatrice regard de soi sur soi voire de l exhiber regard de l autre sur soi Elle prend sa place dans l histoire de l individu rappelant TA se ue 188 combien la personne traumatis e aura t modifi e par ce drame Le fait que De Broka compare le travail de deuil une spirale n est pas anodin dans le cadre de ce travail et nous m ne une analyse de l uvre de Rouaud qui nou
47. plonger dans les tr fonds sous les piles des catalogues de vente par correspondance veillant ne pas passer trop de temps en apn e remonter de temps autre la surface l Cette spirale qui associe la boucle et la progression d crit donc un mouvement lent mais toutefois constant vers le haut Malgr la situation difficile de l auteur narrateur qui fait le r cit de son enfance difficile et ennuyante la structure m me de La Fianc e juive d crit cette lente tendance stagner dans le malheur et marque pourtant chaque tournant la plupart du temps gr ce une personne qui serait rest e anonyme sans la plume de Rouaud une l g re tendance vers le haut comme une douce lueur qui contraste avec le sombre quotidien de ce jeune orphelin priv des joies d une enfance insouciante et joyeuse Le premier volet raconte nous l avons vu la mort du p re travers la description d un pisode d une s rie t l vis e qui d crit la mort de Mozart Nous nous trouvons donc ici tout en bas de la spirale l endroit o son extr mit inf rieure fr le le sol Le deuxi me volet qui parle de la m re d c d e ici mise en relation avec le personnage d Anna Fierling la Mutter Courage de Bertolt Brecht maintient la boucle quasiment au ras du sol car bien que moins m lodramatique l auteur se souvient de sa maman et de son commerce qui agissait sur elle comme un lixir de jouvence en lui donna
48. pr sent dans tous ses tats 46 1 45 Q i parl sn ns a mnt Annals nina 50 2 Le deuil dans l me et au bout de la plume 54 2 1 Notion de deuil 2552448 nn eee Rss nee rte 54 2 1 1 la m re morte n A n a a A E 57 2 2 Entre la vie t la MOR hedores met sde 62 2 3 Tu me donnes je te donne 66 2 4 La spirale ascendante n honeei e e 69 2 4 1 La spirale et la phrase 72 2 4 2 La spirale et le deuil 76 2 5 Le rite alli important du travail de deuil AT 2 5 1 L ensevelissement des morts 79 2 6 Au nom du P re du Fils et du Saint Esprit 86 3 La place de l art dans l uvre de Jean Rouaud 91 3 1 La Fianc e juive et la litt rature nnneeeeeeeereerersseree 91 3 1 1 Le Colonel Chabert au chevet de l imminent orphelin 92 3 1 2 Un d tour par l Allemagne 95 3 1 3 Unarr t SUr PrOUST 254 de ee en ae es R 98 3 2 La Fianc e juive et la peinture 101 1 3 2 1 Saint Joseph Charpentier ss 102 3 2 2 Saint Joseph Charpentier et Jean Rouaud 106 3 2 3 L uvre picturale comme source d inspiration mn monique et PO TIQUE restreinte M nn rate terre tas t nt est nent 107 3 2 4 La dimension religieuse 113 3 3 Rouau
49. pr sent refus voir le vrai visage de votre p re il me l a offert 7 En superposant la figure de saint Joseph celle de Joseph Rouaud il transpose la figure de son p re et ainsi galement la relation filiale dans le monde esth tique qui est celui de l art Monde r el pass pr sent et art s enlacent s entrem lement et se compl tent L criture joue un r le fondamental dans cette relation dans la mesure o elle fait partie des deux mondes et rev t donc le r le d interm diaire entre les deux L art pictural en symbiose avec la litt rature permettent Rouaud de reconstruire la figure du p re de lui redonner vie mais galement de l immortaliser 27 Thid p 33 75 Thid 77 Thid p 253 77 Thid p 248 109 Je l avais vu appara tre au fil des phrases comme ligne ligne une image sur un b linographe dans une sombre lumi re rougeoyante de forge d guis e l ancienne cheveux en moins et rides en plus mais que trop d indices rendaient suspecte la fonction le travail du bois le pr nom Joseph le lien un p re et son fils le doute n tait pas de mise Pas lui pas mon p re tout de m me Eh bien si Lui Il me semblait pourtant avoir puis tous les mots pour le sortir de l ombre le rendre pr sent le r animer Ainsi cinq ECS i 276 livres ne lui avaient pas suffi Il en redemandait mon p re Sylvie Freyerm
50. que la croix symbole de la crucifixion du Christ renvoie au fait qu il va falloir souffrir et traverser les t n bres avant de retrouver la lumi re de ressusciter avant de passer de l aveuglement la lumi re On retrouve donc ici le motif de la r surrection on passe par les t n bres de la mort et on arrive la lumi re Notons que ce passage des t n bres vers la lumi res se retrouve dans le clair obscur de l uvre du peintre lorrain Le visage illumin de l Enfant renvoie justement au ph nom ne de r surrection car il fait appara tre 1 Enfant comme un spectre ou comme 23 ROUAUD Jean op cit 2010 p 20 7 ROUAUD Jean op cit 2004 p 289 1 Thid p 115 22 FREYERMUTH Sylvie op cit 2006 p 115 3 ROUAUD Jean op cit 2004 p 321 114 un personnage revenu d entre les morts Le lien avec l aur ole du Christ est probable tant donn qu elle est l expression de la lumi re spirituelle et de son rayonnement et il est d usage de s en servir dans l art pictural pour indiquer la saintet Outre le myst re de l incarnation la nature morte du premier plan du tableau ainsi que le regard de saint Joseph semblent livrer l Enfant son exp rience humaine avec le regard douloureusement pr monitoire du supplice de la Croix cet homme pench qui muni d une tari re perce un trou dans la poutre pos e au sol qu il maintient de son pied chauss d une sa
51. quoique dissimul ou plut t soutenu par une collectivit qui l aide affronter certaines situations difficiles qu il a du mal encore assumer Le je qui pose une identit r f rentielle renvoie celui qui parle mais le chagrin qui submerge parfois l auteur est tellement insoutenable qu il n a pas d expression possible par le je Ainsi Rouaud r serve l emploi particulier des pronoms on et nous le soin de signifier une souffrance que je ne sait pas dire ou trahit Selon la psychanalyste Anne Levallois il n est pas fait du hasard que pour parler de soi on vite souvent le je qui engage pour employer le on de la g n ralit refusant ainsi d endosser ses identifications inconscientes et de faire siens les discours que l on a int rioris s tout en se gardant 7 ROUAUD Jean op cit 2008 p 18 19 Cit dans HERSCHBERG PIERROT Anne Sfylistique de la prose Paris Belon collection Belin Sup Lettres 2003 p 18 39 yp Ibid 4 Magazine Lire entretien avec Catherine Argand d cembre 1996 janvier 1997 p 44 20 d avoir assumer une position personnelle qui renverrait la solitude de la singularit gt Et justement lorsque le d sarroi de Rouaud devient insupportable il se retire compl tement de la situation prouvante en utilisant selon les termes de Sylvie Freyermuth le vous de distanciation qui va permettre l auteur narrateu
52. sa vie une uvre litt raire 1 2 Auto bio graphie P autos Pourquoi d cider de parler de soi et des siens Si l on s en remet Gusdorf le fait d crire sur soi a pour ambition une recherche d identit au b n fice de laquelle un homme s engage livrer soi m me mais galement aux autres la v rit intrins que de ce qu il est En d autres termes il s agit d explorer et de mettre nu le champ d exp rience de soi et le texte autobiographique renvoie donc l irr ductible singularit de chaque auteur En consid rant ces g n ralit s il n est donc pas tonnant qu une autobiographie se resserre souvent autour d un v nement central heureux ou tragique d une existence D ailleurs si l on consulte les grands textes autobiographiques de la litt rature l on constate ais ment que l v nement d clencheur de l criture de soi est souvent un grand traumatisme ou du moins un grand revirement dans la vie de l autobiographe Chez Jean Rouaud il va sans dire que la mort du p re qui a boulevers l existence paisible de ce petit gar on de onze ans a incit l auteur crire son histoire et a donc lanc l dification de la charpente de l uvre roualdienne o Rouaud va devoir apprendre assumer ce pass douloureux et apprendre dire je a GUSDORF Georges op cit 1991 Thid p 10 16 1 2 1 L emploi particulier des pronoms le je
53. sans avoir quelque chose dire Ainsi une parall le peut d embl e tre tir e avec l uvre de Marcel Proust Du c t de chez Swann dans la mesure o l un des th mes majeurs se centre autour de la vocation litt raire Et ces r ves m avertissaient que puisque je voulais un jour tre un crivain il tait temps de savoir ce que je voulais crire Nous verrons par la suite que ce texte de Proust joue un r le relativement important dans La Fianc e juive dans la mesure o de nombreuses r f rences parfois videntes et d autres fois plus subtiles pars ment le texte de Rouaud Mais pour l instant il s agit de commenter le lien entre le personnage du p re sa mort brutale son absence et l criture de Rouaud Donc Rouaud se d cide crire sur quoi il a toujours eu du mal parler la mort de son p re Car en effet ce d ficit de la figure paternelle est une souffrance qui l a accompagn durant toute sa vie et qui se retrouve galement dans tous ses livres qui relatent de sa vie Pourtant m me si l preuve s av re tre difficile le fait d crire sur le p re sa r surrection par l criture vont la fin du compte s av rer tre une tape d cisive et cruciale dans le travail de deuil que l crivain avait du mal accomplir ROUAUD Jean op cit 2008 p 57 94 Conf rence de Rouaud l universit de Luxembourg le 12 mai 2009 7 PROUST Marcel 1913
54. utilisation du verbe tre verbe copule qui tend s effacer passer inaper u permet de focaliser l attention du lecteur sur l l ment important de la phrase notamment l enfance La r p tition trois reprises de ce syntagme nominal renforce cette mise en relief Et l utilisation du pr sent de v rit g n rale pr sent des sentences et des maximes conf re au r le de cette p riode de la vie une influence majeure Un des effets de cette ample utilisation du pr sent de l indicatif est nous l avons bri vement mentionn une fluidit des phrases de Jean Rouaud Le style lyrique de l crivain est en effet caract ris entre autre par cette fluidit qui rappelle l coulement de l eau des larmes Ce r sultat mane galement en grande partie de la mani re de Rouaud rapporter les paroles m langer les voix et les styles dans le discours de ses diff rents je 1 4 5 Qui parle La voix de l auteur personnage adulte qui jette un regard r trospectif sur sa propre vie est celle qui m ne et guide le lecteur le long du chemin Rouaud crivain est donc celui qui prend la parole partir du moment de l criture pour raconter sa vie ses joies et ses peines Cependant s en tenir cette affirmation quivaudrait r duire La Fianc e juive un texte monophonique qui rend compte d une seule vision du monde et qui exclut toute possibilit d volution En
55. voil c est moi souligne qu il z Ee 3 gt 114 s agit bien ici du centre de l nonciation donc du moment de l criture Cependant le pr sent de l indicatif peut avoir d autres valeurs avec lesquelles semble jouer Jean Rouaud afin de simuler une sorte d osmose motionnelle En effet l crivain invite le lecteur certains moments s identifier lui afin de ressentir les m mes motions prises dans le vif de leur d roulement Cette fois nous y sommes L homme ouvre grand la bouche comme s il s impatientait de saisir cette ultime nourriture terrestre Z porte la main son c ur et c est comme s il faisait serment de ne plus mourir tant il montre de stupeur qu une telle chose lui arrive A ce moment les larmes se d versent flots bruyantes que vous ne pouvez plus contenir un flot ininterrompu comme si un chagrin int rieur avait aliment jour apr s jour un r servoir de pleurs qu aucune digue ne pouvait plus retenir De sorte que la suite vous la percevez sur un monde brouill par les larmes et les hoquets du 13 Jbid 4 de couverture 114 HERSCHBERG PIERROT Anne op cit 2003 p 19 47 sanglot l homme tente de se lever puis s effondre tandis que la queue du chat bat contre l cran d sert Si ce passage est crit au pr sent de l indicatif et que l utilisation de ce m me temps du verbe cr e un effet d homog
56. 105 para t b nir le morceau de bois que le charpentier est en train de travailler Elle peut galement tre interpr t e comme un signe qui rappelle que la lumi re ultime sera la mort sur la croix volontairement accept e par le Christ adulte Ceci est galement sugg r par la disposition des morceaux de bois sur le sol qui voque une croix et pr sage la crucifixion du Christ Le visage illumin de la figure de l enfant qui est nous l avons vu la source de lumi re principale annonce galement la r surrection du Christ qui a d traverser les t n bres avant de r appara tre la lumi re 3 2 2 Saint Joseph Charpentier et Jean Rouaud Saint Joseph Charpentier uvre picturale caract re all gorique a paul l auteur dans son travail de deuil entam Les liens du motif de la toile avec la vie de Rouaud ont fourni celui ci l inspiration n cessaire la reconstruction litt raire de son parcours de la figure du p re et de sa souffrance Cette toile tr s connue de Georges de La Tour joue indubitablement un r le tr s important dans l uvre de Jean Rouaud tant donn qu elle est mentionn e explicitement par l auteur et qu elle porte en elle les th mes majeurs du p riple de cet crivain la relation p re fils l ombre et la lumi re dans la mesure o une grande partie de l uvre roualdienne va se poser comme objectif de sortir le p re de l ombre et de le r anime
57. 6 la vie la vie c est l art Et l art est aussi musique 24 Thid p 21 75 ROUAUD Jean op cit 1993 p 107 26 BLAKE William Le premier livre d Urizen 1794 115 3 3 Rouaud a le blues Il a t annonc dans l introduction de cette analyse que La Fianc e juive faisait r f rence un amalgame de diff rentes formes d art dont la musique fait partie Le volet La double mort de Mozart ayant t voqu et analys plusieurs reprises nous ne reviendrons pas une nouvelle fois sur ce point mais insistons toutefois sur son importance dans cette autobiographie A Ce livre de Jean Rouaud offre ses lecteurs quelque chose de particulier en effet se trouve dans le rabat de la couverture du carton verso un CD de blues dont la musique le texte ainsi que l interpr tation sont r alis s par Jean Rouaud en personne D ailleurs si l on conna t Rouaud surtout pour ses livres il faut savoir que ceci n est pas sa premi re exp rience musicale En effet le romancier a crit des chansons pour Johnny Halliday ainsi que pour Juliette Gr co Pour sa chanson lui il a opt pour un genre musical qui convient particuli rement bien au personnage le blues En effet cette forme musicale est adapt e l expression de sentiments tristes li s des exp riences personnelles malheureuses D ailleurs l tymologie du terme qui provient de l abr viation de l expression anglaise
58. Du c t de chez Swann la recherche du temps perdu I dition consult e Paris ditions Gallimard collection Folio classique 2009 p 233 41 Maintenant se pose le choix du sujet Pour vous qui avez brutalement perdu votre p re un lendemain de No l vous ne faites que semblant d h siter la r ponse s impose peu peu Il se trouve que cet v nement qui a consid rablement pes sur la suite de votre vie vous n avez jamais r ussi en parler Alors ce roman ce serait peut tre l occasion non Il vous faudra du temps Il m a fallu dix ans Mais c est ainsi qu on arrive trente sept ans publier un premier roman intitul Les Champs d honneur Ensuite la donne n est plus tout fait la m me Vous avez des lecteurs on vous tudie on vous demande Notons toutefois que cette mort va tre abord e progressivement par Rouaud Si dans ce premier roman la mort du p re est tr s habilement contourn e et voqu e de mani re allusive dans Des hommes illustres Rouaud fait preuve d une grande volution dans la mesure o 1l aborde cet v nement de front La premi re tape semble avoir t franchie La transformation d une destin e en un texte conf re cette existence une mat rialit et une immortalit qui prot ge des pr occupations suscit es par le caract re ph m re de la vie L criture permet d associer l adjectif d finitif et l existence r
59. EF Pierre Jean op cit 2001 p 54 112 ROUAUD Jean op cit 2008 p 63 46 du personnage est sujet de verbes au pass Cette d marcation entre je auteur qui est en train d crire et les je personnage diff rentes tapes de sa vie montre bien qu il s agit de je diff rents malgr la concordance de l tat civil Les preuves de la vie le temps qui a pass a fait voluer Jean Rouaud vers ce qu il est aujourd hui il a t l enfant endeuill il a t le marchand de journaux mais aujourd hui il est l crivain S il est incontestable que l imparfait domine dans La Fianc e juive les r cits au pass l indicatif pr sent a pour sa part une place importante mais toutefois ambigu En effet le temps du pr sent mis en sc ne dans ses diff rentes valeurs tend brouiller la piste de l ancrage temporel des nonc s dans la mesure o justement le pr sent n est pas exclusivement utilis pour les passages qui renvoient au temps de l criture Bien entendu on retrouve dans La Fianc e juive des passages au pr sent a valeur proprement d ictique et qui co ncident avec le temps de l nonciation et ce notamment sur la quatri me de couverture Je suis us 113 ue cet ex vendeur de journaux Me voil c est moi La combinaison du pronom personnel de premi re personne avec le verbe copule tre et la double tournure pr sentative
60. S Paul 2000 Sigmund Freud 1905 1920 Paris Puf p 48 49 167 Thid p 57 168 ROUAUD Jean op cit 2008 p 35 18 ROUAUD Jean op cit 2004 p 93 62 l avenir le monde des morts et celui des vivants se sont r concili s travers l criture mais ce parcours difficile a stigmatis l crivain et une partie de son uvre de fa on ind l bile L criture s est tr s t t r v l e tre tr s importante pour Rouaud Mais il ne s agissait pas seulement d crire en soi non ses ambitions taient de devenir crivain et surtout d tre reconnu en tant que tel ainsi qu il l crit dans La Fianc e juive Une histoire qui commence tr s t t par on ne sait trop le go t d crire ou le d sir d tre crivain Le go t d crire peut se contenter de la correspondance ou du journal intime au lieu que le d sir d tre crivain passe n cessairement par la publication d un livre condition sine qua non pour tre reconnu comme tel Car c est ce qui vous importe cette reconnaissance d un suppos talent 7 Le repli sur soi m me et le refoulement de toute tentative d ext riorisation c est dire de projection vers l ext rieur de ce que l on ressent l int rieur ont peu peu enferm le jeune Rouaud dans un anonymat crasant Et pendant tout ce temps le p re d c d s est montr plus imposant que l enfant invisible et quasi inexistant I
61. a page et de reprendre go t la vie Parce que sans toi vraiment la vie Je n y arrive pas C est une douleur permanente un ennui Qu on me rende ma fianc e juive Mes poign es de saphirs Et que les larmes qui me rongent Soient des larmes de plaisir Il y a donc progression dans la narration malgr le fait que l crivain aime s attarder sur certains d tails et aime s loigner de ce dont il vient d entamer la narration sans pour autant oublier d y revenir et perdre le fil rouge Et c est justement ceci qui fait galement mettre les phrases de Rouaud parfois tr s longues en relation avec la forme de la spirale il ne va pas droit au but il tourne autour du pot revient quasiment au point de d part mais avec un l ger suppl ment d information qui fait que le r cit et la narration avancent et que le lecteur reste attentif et ne se lasse pas La guerre on l a oubli depuis que ce sont les populations civiles qui composent les in puisables bataillons de la mort au point que les militaires portent plainte lorsque les effets secondaires d une arme uranium appauvri se retournent contre eux estimant qu on leur avait cach que la guerre pouvait tre mortelle pour eux m mes du moins tellement il est bien tabli que les derniers mourir ce sont les professionnels de la vocation de sorte que lorsque ceux ci voquent l option z ro mort c est pour leurs unit s bien s r sensible ava
62. a plume Les lecteurs du premier livre de Rouaud Les Champs d honneur dont l attribution du Prix Goncourt en 1990 signe la cons cration de l crivain et en retrace la vie en s attachant comme nous venons de voir particuli rement aux d c s de ses proches notamment de son p re de sa vieille tante religieuse et du grand p re paternel savent quel point l uvre est marqu e par ces disparitions qui sont d autant plus tragiques que celles ci sont survenues dans un laps de temps de trois mois alors que le futur crivain n tait encore qu un enfant dans sa douzi me ann e Plong dans la souffrance du d c s subit du p re puis des autres membres de la famille et ensuite baign dans une atmosph re de tristesse et de deuil dans ce long tunnel de son chagrin selon les mots de Paul Eluard dans le po me plac en exergue de La Fianc e juive et expression souvent reprise par Rouaud pour d crire la tristesse in puisable de la jeune veuve il n est pas tonnant que cette p riode douloureuse de sa vie constitue le fil rouge de son autobiographie Si le deuil a donc marqu son enfance on peut galement aller plus loin en disant qu il l a lui a en partie vol e dans la mesure o on fait rimer enfance avec joie de vivre insouciance gait et bonheur Donc si la vie lui a arrach brusquement le p re elle en a fait tout autant de son enfance dont Rouaud ne semble retenir que peu de bons souvenirs au point
63. ableau de La Tour sur lequel nous reviendrons en d tail dans la prochaine partie de cette analyse mais galement par une autre forme d art l criture gr ce laquelle il transpose la mort et le mort dans le domaine de l art donne en offrande une deuxi me vie au p re en faisant de lui un personnage litt raire dans la mesure o comme l a dit Roland Barthes dans son Journal de deuil son souvenir d pend enti rement de moi 7 Notons ce propos que si le p re est tr s pr sent dans l uvre de Jean Rouaud le personnage n est au m me titre que les bisons et autres animaux tapissant les parois de grottes pr historiques qu esquiss car on a beau chercher dans toute la saga familiale on n y trouve aucune description pr cise du physique du d funt mais uniquement certains d tails parpill s ici et l Nous avons vu que l criture est une alli e importante de Rouaud dans son travail de deuil et qu il tente de se d barrasser de sa souffrance en crivant N anmoins si le rite de l ensevelissement sert d limiter l espace entre vivants et morts l criture fait de m me En effet Rouaud cr e deux espaces diff rents lui crivain se situe dans le monde des hommes l air libre et le p re pour sa part est enfoui dans la litt rature dans le livre Et si l criture fait partie du travail de deuil et qu elle peut tre envisag e en rapport avec les rites mortuaires elle pe
64. acont e qui deviendrait le cas ch ant t t ou tard une vie perdue dissip e aux courants de l histoire individuelle et de l histoire sociale r duite aux prises de vue des parents et amis qui disparaftront eux aussi et rien ne restera Ainsi crire permet de r sister la corrosion du temps qui passe et transforme une vie en une uvre d art destin e survivre son auteur ainsi que les personnages qui figurent dans le texte J cris donc je suis J cris donc j ai t j cris donc je serai gt L histoire d une vie consid r e dans toute la mat rialit que lui conf re l objet livre n est plus assujettie au cours du temps qui passe et aux surprises parfois tragiques li es l impr visibilit de l existence humaine L criture fixe le temps jamais et pr serve de l inlassable domination du temps sur la vie l arc en ciel du soir dure deux minutes on n a pas le temps de le regarder parce qu il faut avancer aller de l avant aller ROUAUD Jean op cit 2008 p 58 7 GUSDORF Georges op cit 1991 p 139 Thid p 490 42 vers la nuit aller vers le lendemain Jean Rouaud crit pour contrer la peur du lendemain incertain et pour avoir une emprise totale sur l existence racont e Il n y aura pas de feuillet blanc rompant brusquement la chronologie Des m decins il en a vu ne plus savoir o donner de la t te au point q
65. ais galement se reconstruire une identit car depuis la mort du p re Rouaud a t priv d identit propre et tait r duit au statut d orphelin Il s est donc cr avec mal une identit au fil de l lan de sa plume au fil de son mode d emploi en cinq volumes A de sa r surrection ainsi que celle de son p re par l criture et du salut qui vient des 0 lettres Le tableau de La Tour va l accompagner dans cette d marche Auquel cas l image produite bricolage de souvenirs sur le canevas d un tableau du ma tre des nuits serait celle programm e par leur entremise construite avec les mat riaux po tiques disposition un compos de lyrisme et de syntaxe Eh bien s il en est ainsi je leur suis tr s reconnaissants mes phrases Depuis le temps qu elles tournent autour de leur sujet qu elles tissent autour de lui un cocon de soie il fallait bien qu il sorte mon papillon de nuit C tait tr s r ussi Parfaitement ressemblant s y m prendre Et l motion qui se d gageait de cette treinte je la ressens encore Si le travail de deuil va constituer chez notre crivain en une reconstruction du p re en vue d une qu te identitaire d une affirmation de soi il ne faut pas perdre de vue que nous avons affaire un crivain donc un tre dont les textes vont au del du simple t moignage Malgr la ma trise roualdienne admirable du verbe la lecture d
66. al universite metz UNIVERSITE PAUL VERLAINE UFR lettres et langues Approche stylistique Le deuil travers l criture autobiographique dans La Fianc e juive de Jean Rouaud M moire de Master 2 Lettres pr sent et soutenu par Val rie Fabris Sous la direction du Prof Dr Sylvie Freyermuth Ann e universitaire 2010 2011 semestre d t les opinions exprim es dans ce m moire sont propres leur auteur et n engagent pas l Universit Paul Verlaine de Metz Introduction at AR nt AEE AEE 4 1 La Fianc e juive et l autobiographie 11 1 1 L autobiographie la loupe 11 1 2 Auto bio graphie P autos 16 1 2 1 L emploi particulier des pronoms le je explicite le je dissimul et le je absent 17 1 2 2 Et le lecteur dans tout a 22 1 2 3 POULE CR ER EU RE OU ET EE 24 1 3 L auto bio graphie le bios 26 1 3 1 La vie au pr sent et la vie au pass 27 1 3 2 Le r le de la m moire aa 31 1 4 L auto bio graphie la graphie 37 1 4 1 La l gitimit de l autobiographie 38 1 4 2 Une destin e transform e en un texte 39 1 4 3 L criture du temps 43 1 4 4 Le
67. an 1990 Les Champs d honneur Paris Les Editions de Minuit As Ibid p 48 Apr s ce premier roman Rouaud va consacrer un livre en 1993 la figure du p re Des hommes illustres et poursuit avec Le Monde peu pr s en 1996 dans lequel il relate sa jeunesse et s autorise pour la premi re fois employer le je Un an plus tard sa m re d c de et deviendra le sujet principal du livre lui tant d di Pour vos cadeaux paru en 1998 et l ann e suivante Sur la sc ne comme au ciel 1999 Ces cinq romans sont donc consacr s la famille de Rouaud et constituent les livres de la saga familiale L uvre de Jean Rouaud ne se limite pourtant pas la question du roman familial La D sincarnation 2001 R gional et dr le 2001 Le Pal o Circus 1996 L Invention de l auteur 2004 et L Imitation du bonheur 2005 sont quelques exemples de livres qui pr c dent l criture et la publication de La Fianc e juive et qui viennent toffer la bibliographie de l auteur La Fianc e juive publi e en 2008 chez Gallimard est un texte int ressant dans le cadre du sujet trait le deuil travers l criture autobiographique dans la mesure o quoi qu il ne fasse pas partie des romans de la saga familiale dans lesquels Rouaud relate une une les disparitions d tres chers qui l ont marqu et dans lesquels la mort pr matur e du p re constitue le fil rouge ind niable de la di g se c
68. ans la troisi me et derni re partie de ce travail 2 6 Le partage avec le lecteur L criture nous l avons vu sert aussi partager sa souffrance afin de mieux la surmonter Malgr tout Jean Rouaud a du mal faire son deuil car il existe encore beaucoup trop de questions auxquelles il n a pas de r ponse Qu y a t il de moi qui continue en lui O est ce que je m arr te O commence t il Qu est ce qui passe entre nous Qu est ce qui ne passe pas Qu est ce qu il attend de moi Qu est ce que je lui dois encore Quelle est cette part myst rieuse en lui pour laquelle je ne peux revendiquer ma part cette part inspir e divine de notre double nature qui nous sort par clairs de l humaine condition La modalit interrogative de ce passage m rite d tre analys e car elle pose non seulement le probl me de l tat d esprit de Rouaud tortur par tant de questions sans r ponses mais galement le probl me de savoir qui ces demandes d informations sont destin es Cet encha nement de questions 12 en tout met en vidence le manque d informations qui d stabilise Jean Rouaud L allit ration en q contribue l expression d un bruit sec et r p t qui permet de redoubler la valeur des morph mes interrogatifs dont l accumulation appuie l importance et cr e l effet d un interrogatoire En effet l auteur a norm ment d interrogations qui restent
69. ant ainsi plus supportable 3 1 2 Un d tour par l Allemagne Les r f rences litt raires qui maillent le texte de l autobiographie de Jean Rouaud ne se limitent pas aux fronti res de l hexagone En effet Rouaud rend galement hommage la litt rature allemande par le biais notamment du personnage de Mutter Courage und ihre Kinder de Bertolt Brecht ainsi que par des allusions au Faust de Goethe Ainsi ayant norm ment parl de La Grande Guerre dans Les Champs d honneur ainsi que de la Seconde Guerre Mondiale objet de d veloppement important dans Des hommes illustres Rouaud met en vidence une des facettes positives de l Allemagne laquelle ne doit pas tre r duite aux monstruosit s de la guerre En effet le deuxi me volet de La Fianc e juive L lixir d Anna est consacr au portrait de la m re de l crivain Anne Annick Rouaud Comme dans la double mort de Mozart o nous avons vu que Rouaud passe par des intercesseurs qui lui permettent de parler de la mort de l un pour dire celle impossible raconter de l autre Rs il a galement ici recours des personnages fictifs dont la vie est reli e d une fa on ou d une autre l art Dans ce deuxi me volet Jean Rouaud a recours au ROUAUD Jean op cit 2004 p 313 95 personnage d Anna Fierling dite galement M re Courage pour raconter sa propre maman Cette pi ce de th tre allemande crite en 1939
70. ant d avouer explicitement le caract re autobiographique de son oeuvre il met de 56 http fr wikipedia org wiki Rembrandt 15 10 11 2010 57 ROUAUD Jean op cit 2010 p 9 26 m me un certain temps avant d tre capable de s assumer en tant qu crivain Pourtant certains paradoxes subsistent pourquoi un crivain qui appara t comme une personne discr te et timide d cide t il de se mettre nu dans une autobiographie Rappelons que l autobiographie est contrairement au journal intime un texte qui est destin tre publi donc lu par de nombreuses personnes L crivain qui ne voulait pas recycler la mort du p re en billets de banque a pourtant t motiv par des raisons que nous allons tenter d lucider raconter sa vie et ses motions les plus intimes Le fait d avoir transform cette mort ce socle fondateur sur lequel b tir une qu te identitaire en art prouve l aboutissement d une qu te de soi une reconnaissance en tant qu crivain et surtout du recul face aux v nements tragiques 1 3 1 La vie au pr sent et la vie au pass D apr s ce que nous savons de l enfance de Rouaud il est facilement compr hensible que le traumatisme subi par l enfant aura marqu sa personnalit d adulte et que celle ci subit des changements au fil du temps de sa gu rison de son deuil Nous avons donc ici faire comme dans chaque autobiographie au je
71. asi galit Si la religion aide de nombreux croyants surmonter les preuves douloureuses et les injustices que la vie leur a r serv es Rouaud pour sa part s en remet l criture pour pallier sa tristesse pour faire ressusciter son p re et pour remonter l air libre celui du monde des vivants Par l criture l crivain rend gr ce ses d funts regrett s et leur b tit un monument aux morts dans un lieu sacr celui de la litt rature Car la vraie religion de Rouaud c est elle c est la litt rature 75 ROUAUD Jean op cit 2004 p 321 6 ROUAUD Jean op cit 1996 p 67 90 3 La place de l art dans l uvre de Jean Rouaud Nous avons vu que les livres de la saga familiale constituent la premi re tape de l uvre de Rouaud dans laquelle l crivain tente de se r approprier une identit En effet partir de la mort du p re la famille est abrutie de chagrin et ces cinq premiers romans relatent tout le parcours de l homme qui tente de sortir des t n bres dans lesquelles il est plong depuis son enfance depuis la mort pr matur e de son p re Durant toutes ces ann es d criture il parcourt tous les chemins impos s par sa m moire meurtrie afin de trouver dans l art et par l art son deuil et sa reconnaissance en tant qu crivain Si L Invention de l auteur roman caract re autobiographique post rieur au cycle de Minuit dit en 2004 ch
72. ation de l v nement tragique de 203 Thid p 87 74 son enfance le fait encore souffrir et qu il n est donc pas encore capable d aller droit au but de le regarder en face Dans cette m me logique les personnes r elles voqu es dans La Fianc e juive apparaissent souvent sous le couvert d un personnage fictif souvent tir de la litt rature ou du moins du domaine de l art en g n ral l image d un voile plac entre la personne et la r alit qui a pour fonction d en att nuer les couleurs et de lisser les angles Nous avons d j vu que La Fianc e juive s ouvre sur une double mort premi rement la narration de la mort de Mozart dans un feuilleton et deuxi mement la mort du p re Les deux agonies se fondent dans un r cit qui reste tr s coh rent et fluide Cette fluidit est rendue possible par l emploi judicieux du clitique de troisi me personne Il s agissait de Mozart De sa vie racont e en cinq ou six pisodes la t l vision La musique nous l annonce et la mine du musicien nous le confirme On le sait fatigu depuis quelques temps A lire ce passage hors contexte aucun doute n est possible quant au r f rent du on le sait fatigu Pourtant si le pronom personnel anaphorique a une fonction de validation du d signateur premier il peut galement se r f rer un d signateur diff rent ici le p re La reprise anaphorique ne correspond donc
73. atis et influenc le jeune Rouaud que la mort du p re Car l enfant souffre doublement il subit la mort du p re mais il endure galement la peine de sa m re Sans le vouloir et sans m me pouvoir faire autrement la m re de Jean Rouaud a entra n avec elle ses enfants dans le long tunnel de son chagrin SE leur volant ainsi une partie de leur enfance et de leur adolescence Et bien s r personne ne lui en veut Sinon nous un peu Qui l avons accompagn e dans cette travers e des t n bres qui d une certaine mani re sommes descendus avec elle dans la tombe o tout est sombre et silencieux comme la mort d o nous avons cru comme elle qu elle ne ressortirait jamais qui l avons vue pourtant avec ces dix longues ann es de remont e et lancer son grand rire moqueur prendre la vie comme ses colis bras le corps et courir courir tandis que c est nous sonn s bien plus qu elle peut tre qui peinions regagner nos existences La structure de ce d but de citation met en vidence le malaise de Rouaud par rapport la situation et par rapport sa m re La location adverbiale bien s r qui ouvre la d claration de l crivain au sujet des sentiments envers la m re introduit une vidence un propos qui repose sur le bon sens et auquel tout le monde s attend Comme s il tait inconcevable de pouvoir en vouloir cette femme qui malgr elle a contribu au malheur de ses
74. attention que ne le feraient des virgules ou des parenth ses les tirets pr sentent ce passage qu ils isolent comme tant d tach du texte Un passage d limit par des tirets peut apporter soit une pr cision une objection ou un commentaire sur ce qui pr c de L nonc entre tirets donc l ments de hors texte marque un d crochement nonciatif Il y a changement de plan d nonciation et une l g re diff rence de point de vue Les tirets peuvent donc marquer une confrontation de voix diff rentes ici le locuteur narrateur qui prend en charge l nonc Mais les tirets permettent galement Rouaud d introduire les paroles en discours direct d un autre personnage et ce sans passer par la coupure provoqu e par du discours direct traditionnel introduit par des guillemets Au plus fort de l horreur quand partout on s approprie violemment les objets et les corps qu on dispose autoritairement de l autre de sa vie de ses biens il suffit la cantini re de mettre en avant sa raison sociale moi vos querelles ne m int ressent pas du tout pas un pour racheter l autre en revanche vous avez tous besoin de moi qui vous vends de ce que vous pourriez prendre pour rien ailleurs pour qu aussit t on n gocie Ou encore l approche de la belle saison comme nous tirions la langue sous le soleil exceptionnellement nous tions autoris s acheter une glace au marchan
75. aud n est d finitivement pas comparable une fl che dont le trac marque une ligne droite qui choisit le chemin le plus rapide et le plus court pour arriver au but de la pens e Au contraire le signe g om trique de la spirale convient tr s bien pour d crire ce style tr s particulier de Jean Rouaud qui aime l image de l enseignement du fr re Honorat tellement 2 2 203 appr ci prendre des chemins buissonniers Ces d tours lyriques caract ristiques des phrases et donc du style de l auteur rapprochent le deuil et l criture En effet nous avons pu constater que Jean Rouaud aime se laisser aller dans des envol es lyriques qui font de ses phrases de longues promenades po tiques sem es de passerelles qui m nent divers chemins aux paysages diff rents Mais une fois de plus le style de Jean Rouaud d voile son tat d me car si cette aptitude d vier les propos rend son style reconnaissable entre mille cette fa on d appr hender un sujet permet l auteur d approcher en douceur le r cit de ce qui fait mal Tel un enfant qui se couvre les yeux la vue d une image ou d une sc ne effrayante et qui d couvre un il tr s lentement pour regarder par un champ de vision r tr ci l objet de frayeur avec la conviction que l image en sera plus supportable Cette fa on d crire prouve d une certaine fa on que la douleur de Rouaud n est pas encore surmont e que l voc
76. avoir d montr l appartenance de La Fianc juive dans le genre de l autobiographie et apr s avoir analys le texte dans ses trois composantes principales que sont d apr s Gusdorf l autos le bios et la graphie et ce aussi bien au niveau de la structure de l uvre qu celui de la di g se il s agit pr sent de relever les l ments qui font de La Fianc e juive non seulement un r cit de vie mais galement le r cit d une mort une criture du deuil 136 Thid p 105 137 HERSCHBERG PIERROT Anne op cit 2003 p 116 53 2 Le deuil dans l me et au bout de la plume La mort d autrui constitue l une des preuves ma tresses de la vie de chacun Si l tre qui s absente dans la mort tait l un des supports de l quilibre personnel sa disparition irr versible menace d effondrement la vie du survivant Celui qui demeure doit r orienter et restructurer son existence et galement compenser la perte subie apr s cet irr vocable bouleversement La mort a en effet pour le survivant un avant et un apr s il y a la relation qui existait entre celui qui demeure et le d funt avant le d c s et il y a le devenir de cette personne apr s la mort de l tre aim parent ou autre Cet apr s de la mort pour les proches ce sont le deuil et le travail de deuil Afin de bien cerner l preuve par laquelle passent les endeuill s et notamment celle par laquelle es
77. b r l crivain de certains maux li s son pass mais qu en m me temps ses beaux livres ont t crits gr ce la mort du p re En effet Rouaud d sire la reconnaissance du monde litt raire n cessaire sa qu te identitaire il veut la gloire pour se sentir respirer pour remonter la surface c est dire pour r appara tre dans le monde des vivants et effectivement cette popularit arrive rapidement et de fa on presque brutale Cependant cette reconnaissance est comme une lame double tranchant car elle constitue le pilier de l identit de l crivain dont toute la vie d adulte post Goncourt s est construite autour de cette reconnaissance popularit aisance financi re et en fin de compte le bonheur de faire son m tier de sa passion Pourtant ce tournant positif dans la vie de Jean Rouaud s est fait sur le dos du p re La vie de Rouaud gr ce la mort du p re La mort du p re ne s est elle pas en fin de compte av r e b n fique Jean Rouaud puisqu il dit lui m me que cette mort est le socle fondateur sur lequel b tir sa qu te identitaire N est il pas douloureux de b tir son bonheur sur le malheur de construire sa vie sur la mort d autrui d riger son identit sur le cadavre du p re Car Jean Rouaud a bien r alis son v u le plus cher c est dire devenir un crivain reconnu et ce gr ce la mort de son p re l art au d pens de la
78. c des gens qui ont connu le d funt Rouaud souffre de l absence du p re mais galement de cette m connaissance C est la raison pour laquelle son entreprise litt raire va avoir comme but de reconstruire la figure du p re et ce notamment gr ce l art que ce soit la litt rature la musique ou la peinture Nous reviendrons sur cette question dans la troisi me partie de cette analyse Mais pour l instant il s agit de mettre en vidence le fait que ces lacunes de la m moire font de la place l imaginaire qui tend se diriger non vers une reconstruction r ellement conforme du p re mais plut t une id alisation de ce personnage dans le but de le c l brer de lui rendre hommage P re et m re honoreras Mais il n y a pas besoin de consulter les tables de la loi pour observer le quatri me commandement On le porte grav dans le c ur en lettres de feu L obscurit du pass se double de la c cit en partie involontaire en partie d lib r e qui tend nous d rober le visage v ritable des principaux agents de notre destin e Car en fin de compte m me si l image que Rouaud dessine de son p re est tout l honneur de celui ci il avoue dans L Invention de l auteur avoir embelli id alis le d funt J aurais pourtant jur qu il s tait sorti plut t son avantage de cet exercice de clonage par le verbe Mais un peu trop peut tre Je veux dire pour qu on y
79. ce volet vient renforcer ce brouillage temporel dans la mesure o sa valeur omnitemporelle permet de situer le proc s dans n importe quelle poque et seule une indication contextuelle permet de situer le proc s on a beau raisonner on sent sourdre en soi cette lev e du sanglot on s invente des pens es distantes Les indications qui pourraient situer le moment d nonciation restent cependant floues tout au long de cette premi re partie ce stade bient t depuis quelques temps vingt ans plus tard Rouaud brouille la chronologie interne de ce d but de r cit le lecteur se retrouve face au r cit d une souffrance mais ne peut pas distinguer si c est la souffrance du moment de la mort la souffrance ressentie devant la t l vision ou celle qui torture l crivain au moment de l criture La fin de ce volet livre quelques pr cisions sans pour autant donner de date pr cise c est cela ce corps de votre p re s affalant brutalement dans la salle de bains c est cela qui vingt ans plus tard s autorisait enfin pleurer sous le couvert d une biographie 104 RIEGEL Martin PELLAT Jean Christophe RIOUL Ren 1994 Grammaire m thodique du fran ais dition consult e Paris PUF 2006 105 ROUAUD Jean op cit 2008 p 17 44 illustre Il y a donc dans ce premier chapitre trois moments diff rents qui se confondent celui de la mort du p re
80. couvert d une biographie illustre Ce roman de Balzac paru en 1818 raconte le destin peu envieux du c l bre et victorieux colonel Chabert qui avait t pass pour mort la bataille d Eylau en 1807 Pourtant celui ci se r veille dans un foss entre les cadavres et survit de fa on miraculeuse ses blessures Dix ans plus tard il revient pour faire valoir ses droits et r clamer la r cup ration de son titre Mais le vieillard v tu aussi mis rablement qu il est devenu constate son retour que sa femme s est remari e et qu elle a d sormais deux enfants de son nouveau mari le compte Ferraud Celle ci qui a h rit de la fortune de son soi disant d funt mari se refuse le 7 ROUAUD Jean op cit 2008 p 18 92 reconna tre officiellement et le supplie de dispara tre Il se retire renonce ses pr tentions et retourne la mis re pour enfin finir ali n dans un hospice Ce qui relie le roman de Balzac avec l histoire de Rouaud sont essentiellement les questions de l identit de la mort sociale ainsi que de la reconnaissance n cessaire la re construction d une identit dont une partie consiste en ces liens qui unissent un tre humain aux autres hommes En effet le Colonel Chabert laiss pour mort dans ce foss Eylau n a pas perdu sa vie mais son identit sociale dans la mesure o 1l n existe plus pour tous ceux qui l on c toy Pourtant l identit suppo
81. d ambulant implant sur la plage de Vill s Martin mais d p chez vous de sorte que dans la bousculade seuls les cadors parvenaient obtenir ce qu ils voulaient qui les bredouilles tu auras devin qui au hasard demandaient 128 TI s agit des s urs Calvaire 12 ROUAUD Jean op cit 2008 p 35 10 ROUAUD Jean op cit 2008 p 26 c est moi qui souligne 51 tout en trottinant leur c t tu me fais go ter pour la forme car la r ponse allait de soi qui invitait aller voir ailleurs 131 Ce m lange de r cit et de discours direct tend effacer les fronti res entre les paroles des diff rents personnages et du narrateur D autant plus que les fragments de discours direct sont d pouill s de guillemets Le rapport de paroles ne se fait pas une seule fois en discours direct introduit par un verbe de la parole des doubles points et des guillemets En effet en ce qui concerne le discours direct nous constatons que les dialogues sont compl tement d vi s de leur fonction traditionnelle savoir rompre la trame d un r cit par l exercice de la parole Les guillemets ont pour fonction d encadrer un discours ou un emploi autonymique Dans ce cas les paroles constituent dans l nonc un corps tranger un objet montr au r cepteur elles sont tenues distance au sens o on tient bout de bras un objet que l on regarde et que l on montre Nous retiendrons do
82. d a le blues 116 CONClUSION E EE E ne RO A T nn ere ee 120 Bibliographie nn a taire 124 ANNEXES serie nn Sen rentrant E Ea nent 129 Les v nements aussi sont des paroles qui parfois bouleversent ceux qui il est donn de les entendre v nements n gatifs des deuils des catastrophes qui d truisent brusquement l ordre d une existence R v lations de la mort car la mort d autrui l effacement d une existence avec laquelle notre existence avait partie li e sonne le glas de notre destin Nous mourrons un peu chaque fois que s efface un t moin de notre vie un partenaire en lequel s abolit une partie de notre tre La mort est l exp rience de l irr parable la victoire du n ant sur le sens avec l abolition de cette part de nous m mes qui tait engag e en l autre signe avant coureur de notre propre mort horizon en attente inexorable On peut mourir de la mort d autrui brusquement priv de cette ressource qu tait pour nous un tre cher dont la d finitive absence rev t le sens d une amputation Le sens de notre vie ne nous appartenait pas en propre notre autobiographie s ouvrait des participations des partages avec autrui le mort saisit le vif qui risque de sombrer avec lui l GUSDORF Georges 1991 Auto bio graphie Lignes de vie 2 Paris d Odile Jacob p 437 Introduction Jean Rouaud crivain appr ci des amateurs de litt rature contemporaine mais s
83. de litiste et difficile d acc s de la litt rature Le caract re vital accord l criture propre va de pair avec l importance des lectures faites au cours de la vie de l crivain et qui lui ont tendu la main pendant ses ann es de d luge motionnel en lui accordant des moments de r flexion des moments de divertissement des moments de r pit En effet de nombreux textes l ont accompagn dans sa travers e du deuil et lui ont apport soutien et r confort Ce r le fondamental de la litt rature explique que l uvre de Jean Rouaud et notamment La Fianc e juive est parsem e de r f rences litt raires Mais l auteur va plus loin en associant des moments fondamentaux de son existence et des personnages influents de sa vie des textes ou des personnages litt raires 3 1 1 Le Colonel Chabert au chevet de l imminent orphelin Ironie du sort au moment o le p re de Jean Rouaud meurt le jeune Jean est couch dans son litet est en train de lire Le Colonel Chabert de Balzac C est cela ce corps de votre p re s affalant brutalement dans la salle de bains sous on ne sait quelle corruption de l organisme sans crier gare quarante et un ans un lendemain de No l alors que dans votre chambre vous entamiez la lecture de ce Chabert deux fois mort d pos parmi d autres pr sents au pied d un sapin c est cela qui vingt ans plus tard s autorisait enfin pleurer sous le me 247
84. de couverture pour v rifier le lien entre le personnage principal du livre celui qui dit je et l auteur donc Jean Rouaud Le nom de Jean Rouaud n appara t nulle part l int rieur du livre ne serait ce que par allusion Saint Jean qui rev t un r le important dans la vie de Rouaud dans la mesure o l crivain se sent une obligation commune cet ap tre de J sus celle de t moigner L auteur narrateur personnage reste en marge du texte pour laisser la place l essentiel la souffrance caus e par la mort du p re et toutes les cons quences que celle ci a bien pu avoir sur l existence du fils pourtant le rapprochement du je de la di g se et du je de la quatri me de couverture r v lent un lien ind niable entre les deux 26 LEJEUNE Philippe op cit 1971 p 27 27 Ibid 15 Pour poursuivre l analyse de La Fianc e juive sous l angle du genre autobiographique je vais emprunter au philosophe Georges Gusdorf la dissection du terme autobiographie en ses trois constituants morphologiques autos pour ce qui est en relation avec l identit de l crivain bios pour analyser tout ce qui est en relation avec la vie et la continuit vitale de cette identit et enfin graphie l criture dans la mesure o une autobiographie est avant toute chose un texte une suite de phrases de mots de phon mes jaillis de la plume d un tre qui a d cid de faire de
85. de l auteur en mati re de remont e la surface et de retour dans le monde des vivants Ainsi il a galement t d montr que le principe de la spirale ascendante d crite par Sylvie Freyermuth sp cialiste de Jean Rouaud tait galement applicable dans cette autobiographie et qu elle apparaissait non seulement dans la structure de l uvre dans la structure de la phrase mais qu elle tait galement mim tique du travail du deuil accompli par le romancier Mais pour cela il s est d abord av r n cessaire de faire un d tour th orique sur la notion de deuil afin de bien cerner l preuve v cue par Jean Rouaud laquelle a fa onn son tre et donc forc ment son uvre La mise en vidence de l importance des rites notamment des rites fun raires ainsi que de la dimension religieuse qui tend donner un caract re divin au p re et la relation p re fils a men ce travail son point culminant savoir la pi ce ma tresse de l uvre le tableau Saint Joseph Charpentier de George de La Tour qui porte en lui seul la l gitimation des trois sujets principaux trait s dans cette analyse l autobiographie le deuil ainsi que l art L identification de Jean Rouaud avec ce tableau dans lequel l crivain retrouve une image de relation absolue entre un p re et un fils et dont la dimension religieuse contient l id e de r surrection tr s intimement li e avec la qu te identitaire men e pa
86. des ann es apr s l v nement tragique mais un atelier rest dans l tat o Joseph l avait quitt pour la derni re fois Mais la meule tait de peu d usage qui servait exclusivement aff ter les ciseaux bois de diverses largeurs pi ces centrales de l atelier aussi indispensable alors que la scie ou le marteau des mod les rigoureusement semblables celui que l on rencontre dans le tableau de Georges de La Tour De sorte que les gestes de Joseph charpentier longtemps les si cles n y ont rien chang Ici on voyait les m mes Mais diff re l clairage En plus de la superposition de l image de l atelier il y a galement surimpression des deux personnages le p re de Jean Rouaud Joseph Rouaud et le p re de l Enfant saint Joseph bien qu il s agisse ici de personnages issus de deux poques diff rentes Le lecteur se retrouve un moment donn transport dans l atelier du tableau ainsi que dans le r el du peintre enfant 2 ROUAUD Jean op cit 2004 p 110 77 FREYERMUTH Sylvie op cit 2006 p 104 107 71 ROUAUD Jean op cit 2004 p 31 108 Nous sommes donc bien Vic sur Seille dans le fournil du boulanger tr s catholique Jean de La Tour poux de Sybille M lian tous deux parents d un gar on baptis Georges car Vic d pend de l v ch de Metz bastion de la r sistance la pouss e de la R forme dans la r gion ce qui est capi
87. dimension religieuse du tableau auxquelles s ajoutent le raffinement et la puissance de l effet lumineux il faut galement noter que le peintre donne la mesure de son talent par des d tails fascinants la main de l enfant travers e par la lumi re de la bougie la nature morte du premier plan constitu e des outils du charpentier d un copeau de bois et d un outil les ongles sales de l Enfant Ayant tout deux leur importance dans le cadre de cette analyse il s agit maintenant de distinguer les deux niveaux de lecture celui rattach au sens litt ral de la toile ainsi que celui rattach son sens figur Le sens litt ral d une image est l image visuelle repr sentative et rel ve de l apparence Elle correspond la repr sentation plastique et a trait l ordre visuel imm diat et descriptif Il s agit donc ici de constater ce que le peintre a dessin ses personnages ses paysages ses objets qui ornent la toile Le sens litt ral du tableau de La Tour est donc cette 103 repr sentation r aliste d un homme g travaillant le bois et qui jette un regard plein de complicit un enfant qui claire l atelier de ce charpentier avec une bougie afin que l homme qui semble tre son p re puisse continuer travailler dans cette pi ce qui ne dispose d aucune autre source lumineuse Apparemment l image d crit donc le fils d un artisan qui en aidant son p re commence apprendre
88. dmiration de gratitude mais est absente et cette absence est difficile supporter Le chanteur lance un regard nostalgique sur leur rencontre et sur leur voyage en Isra l qui nous est galement narr dans Evangile c MOLINI Georges op cit 1993 dition consult e Paris Presses Universitaires de France 1997 p 169 7 ROUAUD Jean op cit 2008 p 130 117 selon moi Ce texte de chanson reprend certains th mes de la saga roualdienne mais vus accord avec th mes ou avec saga sous un angle diff rent peut tre moins pessimiste Le th me de la deuxi me Guerre mondiale y figure mais n est qu effleur par l hommage que Rouaud rend au peuple juif victime de tant d horreur Sous le couvert de cette rencontre et surtout de leur voyage J rusalem Rouaud reprend le fil rouge de son autobiographie savoir la mort du p re le deuil et la remont e la surface apr s avoir reconstruit ce fameux tombeau du p re il doit maintenant le d livrer Il en a fini de ce deuil interminable car sa peine il l a purg e Apr s s tre pr cipit au Mur des lamentations S il choisit de vivre et d exister nouveau car cette femme l a ressuscit d entre les morts Vivants gt et l a sorti de sa tranch e sn La dimension religieuse ainsi que l importance de la litt rature se rencontrent avec l vocation de l crivain Paul Claudel qui est
89. du fils offert sur la croix D o faire le f lt 277 pain et faire le p re c est tout comme L interpr tation de Rouaud montre que selon l crivain l inspiration premi re de la cr ation artistique est nettement influenc e par l enfance de chacun Nous avons vu qu il en est de m me chez l crivain dont toute la premi re partie de l uvre romanesque se fonde sur l v nement tragique de son enfance Rouaud ressent tr s intens ment le manque de la figure paternelle et le manque de protection venant du p re qui procurent un enfant un sentiment de bien tre et de s curit n cessaire la reconstruction d une identit solide Mais pour pallier cette souffrance qui entrave sa qu te identitaire il est 6 Thid p 113 777 Thid p 22 110 indispensable pour Rouaud de faire le deuil de cette enfance malheureuse et bien s r de faire celui de son p re Car si la perte a marqu son enfance on peut galement aller plus loin en disant qu il l a lui a en partie vol e dans la mesure o on fait rimer enfance avec joie de vivre insouciance gait et bonheur Donc si la vie lui a arrach brusquement le p re elle en a fait tout autant de son enfance dont Rouaud ne semble retenir que peu de bons souvenirs au point qu il aimerait taper dans la balle comme on exp die son enfance Et c en serait fini Sa Ainsi le deuil va consister surmonter le d c s du p re et des siens m
90. e l aide de ne que et qui quivaut uniquement seulement est restrictive en ce qu elle exclut de son champ tout terme autre que celui qu elle introduit Ceci met l accent exclusif sur la reconnaissance et sur l criture L importance de cette derni re est d ailleurs amplifi e par l occurrence du verbe crire qui appara t quatre fois dans ce court passage et dont la position en d but et en fin de phrase cr e un effet de boucle ferm e autour de l criture L ant position du verbe en position d tach e suivi d une explication en tournure pr sentative qui reprend le verbe crire modalis par l adverbe bien centre nouveau toute l attention sur le verbe Et l utilisation du verbe tre verbe copule qui tend s effacer passer inaper u permet de focaliser l attention du lecteur sur l l ment important de la phrase notamment nouveau sur le verbe crire Notons galement le champ lexical de la mort mort cercueil arr ter qui est reli au fait d crire mal Seule la reconnaissance en tant qu crivain soumise la condition de bien crire peut sauver Jean Rouaud de la mort de son p re Bien crire Rouaud sait le faire et la reconnaissance de son talent lui a t d cern e par l acad mie Goncourt en 1990 Il serait donc logique que ce premier livre sur son p re et les deux autres personnes d c d es la m me poque ait l
91. e La m re morte Ainsi on peut mettre en relation cet effacement de la figure maternelle avec le concept de la m re morte me introduit par ce psychanalyste la fin du XX si cle Selon ce 148 FREUD Sigmund 1917 Deuil et m lancolie M tapsychologie dition consult e Paris Id es Gallimard 1976 p 168 149 CIORAN mile 1964 La chute dans le temps dition consult e Paris Gallimard Les Essais CXIV Paris 1987 150 Thid p 171 172 EL ROUAUD Jean 1998 Pour vos cadeaux Paris Les ditions de Minuit collection double p 9 57 psychiatre de formation la m taphore M re morte renvoie au fait que la m re est encore bien en vie cependant si elle tait autrefois une source de vitalit pour son enfant le traumatisme v cu par exemple la perte d un tre cher fait qu elle retire son int r t et son amour pour l enfant La m re de Jean Rouaud n a pas sombr ce point mais si l amour qu elle vouait ses enfants lui a permis de ne pas toucher le fond son comportement montre certains points communs avec ce ph nom ne clinique qui transforme donc une maman vivante source de vitalit de l enfant en figure lointaine atone quasi inanim e SP La m re quoique vivante physiquement est psychiquement morte pour Penfant Et l image de cette m re bris e qui ne parvient pas se faire au d c s de son mari a peut tre tout autant traum
92. e celle ci est racont e par le biais d un pisode d une s rie de t l vision relatant la mort de Mozart Les deux 22 SCHLECHTER Lambert 2006 Le murmure du monde Mayenne d Le Castor Astral p 25 100 ROUAUD Jean 1993 Des hommes illustres Paris Les ditions de Minuit p 103 10 SCHLECHTER Lambert op cit 2006 p 25 1OH UBIER S bastien 2005 Litt ratures intimes les expressions du moi de l autobiographie l autofiction Paris Armand Colin 103 Thid p 30 43 moments diff rents de ce volet celui de la diffusion de l pisode en question et celui de la mort du p re se confondent au m me titre que se superposent les deux personnages que sont le p re et le c l bre compositeur Le conditionnel de la phrase nous n aurions bient t que nos yeux pour pleurer qui fait r f rence la mort annonc e du p re mais aussi celle de Mozart dans le feuilleton exprime un futur vu partir d un moment du pass En effet le proc s indiqu ici au conditionnel n est pas rep r par rapport au moment d nonciation de l criture mais par rapport un rep re temporel ant rieur La valeur temporelle de ce conditionnel en relation avec la valeur s mantique de la phrase sugg re la connaissance de la mort prochaine L adverbe bient t appuie cette affirmation mais ne donne pas d indication temporelle pr cise La r currence du pr sent de l indicatif de
93. e du d but jusqu la fin son attachement l art qu il soit litt raire musical ou pictural Cette attache a donc accompagn et paul le romancier tout au long de son parcours autobiographique qui s est fait en parall le avec son travail de deuil L criture lui a permis de s exprimer de sortir du silence endeuill dans lequel il tait prisonnier et de se reconstruire une identit propre que la mort du p re lui avait d rob e L crivain commence son autobiographie par la disparition du p re et la finit par une chanson d amour preuve de la progression et du retour la vie de cet ternel orphelin Le romancier a transform sa vie ainsi que son deuil en uvre litt raire Il a donn la litt rature et la litt rature lui a rendu la reconstruction de la figure du p re la construction d une identit propre la reconnaissance en tant qu crivain et surtout la possibilit de vouer une existence l criture sont tous des l ments qui ont t n cessaires au travail de deuil et qui ont tous t accomplis gr ce l art et surtout gr ce l criture Et c est justement cette observation qui justifie mon avis 122 l affirmation que le deuil s est fait chez Jean Rouaud travers l criture autobiographique 123 Bibliographie 1 Corpus ROUAUD Jean 2008 La Fianc e juive Paris Gallimard 2 Autres uvres de Jean Rouaud ROUAUD Jean 1990
94. e qui selon Gusdorf marque le passage de la pr histoire l histoire permet d acc der une nouvelle dimension de l existence en ce que l criture est l accomplissement la mat rialisation de la pens e de l auteur L criture de la vie transforme la vie en un texte qui au contraire de la vie en soi est quelque chose d artificiel en ce qu il est une production humaine L criture du moi est une uvre du moi qui est soumise un principe de s lection car seuls seront racont s les v nements et situations du pass qui sont selon l auteur d terminants pour la transmission du message et des images qu il d sire transmettre aux lecteurs Ceci peut aller selon Gusdorf jusqu la d formation volontaire ou non de la v rit historique Si L autobiographe est donc juge de sa propre cause et il lui appartient de s lectionner dans ses souvenirs les v nements et aspects signifiants et de laisser de c t ce qui lui para t tre insignifiant tant l auteur du texte l autobiographe 3 ROUAUD Jean op cit 2008 p 57 7 GUSDORF Georges op cit 1991 p 12 S Ibid p 259 39 devient en quelque sorte l auteur de sa vie au sens litt raire du terme et donc cette vie est tout fait ma tris e et domin e par celui ci ce qui dit bien quel point j ai construit mon histoire comme on con oit l am nagement d un mus e avec sa d ambulation didacti
95. e deuil 1 3 2 Le r le de la m moire Beaucoup de temps plus pr cis ment 18 ann es se sont coul es entre l criture des Champs d honneur et de la Fianc e juive Cette dur e correspond une partie de la vie de Rouaud pendant laquelle jour apr s jour il a fallu affronter la douleur caus e par la perte d finitive d un tre cher et les cons quences que cette mort qui a agi telle une faux qui d truit ou du moins meurtrit tout sur son passage a entra n es SROUAUD Jean op cit 2008 p 19 SMAINGUENEAU Dominique op cit 1999 p 86 31 Cependant l on survit la perte d un parent Aussi accablante que soit la douleur au moment des faits l instinct de vie l emporte sur tout La douleur s estompe lentement pour faire place une sorte de nostalgie qui peu peu se dissolve en un tas de bons et de mauvais souvenirs R sulte de cette constatation que la m moire et l oubli jouent un r le d cisif dans le deuil M me si l oubli est ce que craignent le plus les personnes qui se savent jamais s par es d un tre cher et que celles ci revendiquent la volont de ne jamais oublier comme le prouve les inscriptions du genre le temps passe mais le souvenir reste dans les avis de d c s et les pierres tombales le temps vient cependant lentement bout du chagrin ainsi que de la pr cision des souvenirs notamment des souvenirs visuels peu peu les traits du visage deviennent moins pr ci
96. e entre l auteur et le lecteur a une forme particuli re dans La Fianc e juive dans la mesure o cette d claration se trouve ici en quatri me de couverture Ce texte bref crit par Rouaud d clare explicitement le caract re autobiographique de l uvre Je suis celui l qui sanglote Je suis cet ex vendeur de journaux celui l qui cherchant tre crivain La pr dominance du syntagme je suis par lequel d bute la majorit des phrases de cette d claration qui constitue un r sum de l uvre en ce qu elle mentionne toutes les tapes importantes qui tablissent la structure de l uvre et du parcours de Rouaud tablit explicitement le lien entre l auteur et les v nements narr s Le Me voil c est moi qui cl t ce passage efface les derniers soup ons quant au caract re autobiographique de l uvre Si l utilisation du pronom personnel de la premi re personne dans cette quatri me de couverture est d j en soi une a LEJEUNE Philippe 1971 Le pacte autobiographique Paris d Seuil collection Po tique d consult e 1975 p 14 IDUFIEF Pierre Jean 2001 Les critures de l intime de 1800 1914 Autobiographies M moires journaux intimes et correspondances Rosny ditions Br al coll Amphi Lettres p 51 11 preuve du lien existant entre le texte et la vie de l auteur pr cisons tout de m me que pour Benveniste la
97. e l uvre de Jean Rouaud donne l impression que parfois les mots ne suffisent pas d crire le ressenti et les motions et que dans certaines situations la musique ou la peinture refl tent mieux que de belles phrases les tats d mes singuliers de l crivain Ce ph nom ne est tr s bien formul par C sar 775 ROUAUD Jean op cit 1996 p 27 7 ROUAUD Jean op cit 2004 p 93 280 Thid p 312 281 Thid p 252 111 Ripa qui crit dans la pr face de conologie ou la Science des embl mes devises etc que Les images que l Esprit invente font les Simboles de nos pens es Elles appartiennent proprement aux Peintres amp autres semblables Ouvriers qui par les Couleurs amp les Ombrages ont trouv l admirable secret de donner un Corps nos pens es et de les rendre visibles Ecouter Mozart contempler le tableau de La Tour c est rencontrer un son une image entendre des chos de ce que l on vit et de que l on ressent Chaque cr ateur dans la perfection de son expression nous rend davantage nous m me davantage humain S en remettre aux mots aux sons aux formes ou aux couleurs pour tenter de dire et de partager et donc de mieux vivre la douleur la tristesse provoqu e par la conscience de l irr m diable du d finitivement d finitif et du terrible constat de l ph m re humain Ce tableau rend compte d une alternative l expression crite mais consti
98. e r cit autobiographique a l avantage d avoir t crit avec plus de recul que les cinq premiers romans de Rouaud dont l inspiration semble avoir t arrach e dans le plus vif de la douleur et de la tristesse En effet La Fianc e juive est un texte qui constitue une sorte de condens de l uvre roualdienne et il invite le lecteur se promener dans toute l uvre pour suivre l volution de Rouaud en tant qu homme celle de ses romans et bien entendu celle de l crivain reconnu qu il est aujourd hui Ce livre offre donc mon avis un texte qui r sume les romans de la saga familiale mais qui a l avantage d avoir t r dig apr s l acceptation de la s paration de la mort en d autres termes une fois le travail de deuil accompli Cette constatation n enl ve en rien l motion qui ressort du style de Rouaud mais au contraire permet d analyser le bienfait de l criture sur un tre d sesp r qui avait failli tout abandonner comme le d montre le oh arr tez tout 5 qui cl t Les Champs d honneur et atteste un tel point d puisement que Rouaud pensait tre incapable d aller plus loin dans son entreprise d criture du moins en ce qui concerne l criture sur la mort et sur sa qu te d identit Il s agit donc gr ce entre autres La Fianc e juive de tracer les diff rentes tapes de travail du deuil qui s est fait chez l crivain principalement par le biais de s
99. ean op cit 2004 p 21 23 257 ROUAUD Jean op cit 1990 p 73 268 ROUAUD Jean op cit 2008 p 71 107 lorsque la peinture inspire la litt rature et plus sp cifiquement l autobiographie Ainsi que je l avais annonc il s agissait d avancer le nez au vent de permettre au verbe de d rouler librement sa pelote de soie de laisser la phrase d river et au moment de la remonter nous verrions bien ce qu elle ram nerait dans ses filets Et parmi les inattendus bonne p che miraculeuse p che un tableau de Georges de La Tour Et en effet ce tableau va jouer un tr s grand r le dans l uvre de Jean Rouaud dans la mesure o le motif de la toile permet l crivain de transposer la cruelle r alit de son enfance dans le monde irr el et esth tique de l art qui agit comme une sorte de filtre motionnel sur la douleur ressentie l vocation de certains souvenirs La toile va galement animer par la concordance de diff rents l ments rattach s son sens litt ral autant qu son sens figur l entreprise de reconstruction de la figure paternelle et de la relation filiale par l art A ce sujet Sylvie Freyermuth a observ et analys la surimpression de l image de l atelier du tableau de La Tour avec l image qui appara t dans le texte de Jean Rouaud l occasion d une description de l atelier du p re de l crivain dans lequel celui ci p n tre
100. effet depuis les th ories de Bakhtine et celles de Ducrot on sait qu il faut envisager la possibilit d entendre diff rentes voies l int rieur m me de chaque nonc Le locuteur n est de ce fait plus forc ment confondu avec le contenu de son nonc et le sujet parlant n est plus n cessairement identique au sujet de conscience Cela revient dire qu il faut distinguer le locuteur L qui prend en charge l nonc de l nonciateur qui est 124 Thid p 70 125 HERSCHBERG PIERROT Anne op cit 2003 p 20 126 DUCROT Oswald op cit 1984 127 Thid 50 la source m me du point de vue lequel n tant pas forc ment exprim physiquement La Fianc e juive est construite d nonc s qui sont pour la plupart pris en charge par l auteur narrateur adulte donc par celui qui jette un regard r trospectif sur sa vie Apr s le d c s de notre p re ce qui prouve que le bourg avait eu vent des difficult s financi res de notre famille amput e de son grand homme elles nous offraient les magazines dont elles ne rendaient au fournisseur ce devait tre un arrangement les temps n taient pas du tout comme maintenant que la couverture Pourtant l auteur ne se contente pas de raconter la g n rosit des s urs Calvaire mais il fait gr ce au recul des ann es des commentaires propos de ces gestes de gentillesse Plus visibles et plus aptes attirer l
101. emand e concerne un seul des constituants de la phrase sorte d inconnu dont le questionneur demande au questionn de pr ciser la nature De plus une demande d information peut s av rer tre l aveu d un manque et d une sup riorit de savoir du questionn sur le questionneur et ainsi Rouaud se place en position basse et d inf riorit par rapport ce fameux interlocuteur car selon Jacques Cosnier tout questionneur est en effet un solliciteur en posant une question on s inf ode l autre suppos sup rieur puisque d positaire du savoir fs Si nous regardons ces interrogations d un peu plus pr s nous constatons qu elles tournent toutes autour de la relation p re fils et que cet encha nement est caract ris par un rythme ternaire la premi re question porte sur les deux personnes le je et le il associ s au verbe imperfectif continuer qui ne contient pas l id e du terme Qu y a t il de moi qui continue en lui La deuxi me question a pour sujet le je associ au verbe perfectif s arr ter O est ce que je m arr te Et la troisi me question porte pr sent sur la troisi me personne du singulier conjugu e avec verbe inchoatif commencer O commence t il II en ressort le sch ma suivant 1 Je il continuer 2 Je arr ter 3 Il commencer 225 Thid p 83 Citation de Benveniste sur les trois archi actes reprise par
102. en rapport direct avec la f te de la nativit la mort fait cho la naissance le malheur fait cho au bonheur comme s il s agissait d une suite 7 ROUAUD Jean op cit 2010 4 me de couverture 220 PERROT Martyne 2000 Ethnologie de No l Une f te paradoxale Paris dition Grasset p 154 2 Thid 86 logique d un rapport de cause effet qui de surcro t serait accompagn de l obligation de raconter les faits v cus engagement rappel par la f te de la Saint Jean Ainsi toute l enfance de Jean Rouaud a norm ment t influenc e par la religion catholique et ce jusqu aux circonstances du d c s du p re L influence de la religion de son enseignement ses rituels son encadrement cur s fr res s urs missionnaires sa vision du monde sa finalit ses interdits sa crainte du jugement dernier gt est donc un aspect qui m rite l attention du lecteur d sireux de comprendre la d marche litt raire de Jean Rouaud analys e sous l angle de la th matique du deuil Tout au long de l ann e l histoire mythique du salut de l humanit est rev cue de mani re symbolique Maurice Gruau nous apprend que ceci constitue en effet la tradition rituelle chr tienne la plus ancienne connue sous le terme de cycle temporal gt Celui ci se voit cependant tre concurrenc par le cycle sanctoral c est dire les f tes des saints La tradition veut que la
103. es tir s des milliers d exemplaires Ou y a t il un d sir de transformation de travestissement des noms et des choses en vue d une cr ation litt raire donc esth tique Pour r pondre ces interrogations il faut toutefois tenir compte du rapport particulier qu entretient Jean Rouaud avec la v rit n ayant pas le souci de la v rit des faits m affirmant surtout comme le sp cialiste de l approximation d un monde peu pr s en somme Il m arrive fr quemment de placer dans le fil du r cit une information que je sais provisoire en me promettant de la v rifier plus tard et de la corriger ce que entra n par le texte j oublie de faire si bien qu elle demeure en l tat 2 L int r t principal de Rouaud se trouve donc dans l criture et non pas dans la di g se qui n est que pr texte l criture et ce sans doute en tant qu h ritage du Nouveau Roman genre dominant de la sc ne litt raire pendant les ann es d tudes de lettres de Jean Rouaud Et cependant il n est dans l uvre de Rouaud aucun personnage r el mis en sc ne dans des faits qui ne se sont pas r ellement pass s Alors oui Rouaud adapte certains d tails et les transforme l g rement constatation qui peut influencer la classification de son uvre Notons cependant que les modifications apport es par rapport la r alit mis part la modification du nom des s urs Calvaire sont ant rieures
104. et intitul La Fianc e juive Ce syntagme pourrait donc tre consid r comme une pr cision une caract risation de cette ch rie D ailleurs Rouaud confirme dans l vangile selon moi la co ncidence entre la personne dissimul e derri re ces deux d nominations Nous avions rapproch amoureusement nos chaises au bord du bassin de Marie de M dicis dans le jardin du Luxembourg et nous tions si parfaitement 48 KERBRAT ORECCHIONI Catherine 2005 Les actes de langage dans le discours Th orie et fonctionnement Paris Armand Colin collection fac p 86 4 MAINGUENEAU Dominique 2005 Linguistique pour le texte litt raire dition consult e Armand Colin coll Lettres sup 2007 p 17 50 Thid p 17 5 ROUAUD Jean op cit 2008 p 107 23 seuls au monde sous le soleil de mai Elle elle est ma fianc e juive pour qui j ai crit et chant un long blues de douze minutes un chant d amour courtois 1 2 3 Le titre Une certaine dimension sentimentale de l uvre est directement introduite par le titre du livre qui renvoie une femme avec laquelle un homme s est engag par une promesse solennelle de mariage En prenant la d cision de nommer son autobiographie La Fianc e juive l importance de cette femme dans sa fonction de partenaire dans sa fonction d ouverture vers une promesse d avenir est tablie Cependant le titre d un ouvrage l ment de paratex
105. et la litt rature Cette approche de l analyse litt raire rend me semble t il l interpr tation plus pragmatique et objective et permet d viter des analyses non fond es tout en gardant bien entendu l esprit que chaque uvre est plurielle et que plusieurs interpr tations sont donc possibles 13 FLAUBERT extrait de lettres de Flaubert Louise Collet 15 16 mai 1852 MOLINI Georges op cit 1993 p 202 208 10 1 La Fianc e juive et l autobiographie 1 1 L autobiographie la loupe Pour une meilleure compr hension de La Fianc e juive dans le genre litt raire de l autobiographie il est utile de rappeler bri vement les caract ristiques de ce genre litt raire et de constater quel point cette uvre de Rouaud y correspond Selon Philippe Lejeune l autobiographie est un r cit r trospectif en prose qu une personne r elle fait de sa propre existence lorsqu elle met l accent sur sa vie individuelle en particulier sur l histoire de sa personnalit Il s agit galement d un genre qui repose sur la confiance tablie entre le lecteur et l auteur mais qui suppose aussi une d claration explicit L auteur s engage d voiler sa v rit sur sa vie et cet engagement nomm pacte autobiographique par Lejeune est un des l ments indispensables et caract ristiques du genre autobiographique Nous avons vu plus haut que le pacte qui scelle la relation de confianc
106. et les r gles de savoir vivre de la soci t et de l poque dans laquelle nous vivons les d tails et les lieux qui nous ont marqu s les traits de visage de personnes qui nous sont ch res Sigmund Freud qui s est en outres pench sur le ph nom ne de la m moire en a 7 ROUAUD Jean op cit 2004 p 106 32 d couvert certains m canismes psychiques dont le refoulement qu il d crit comme tant un m canisme psychologique inconscient qui permet d oublier le souvenir d v nements p nibles afin d viter les sentiments de peur d angoisse de souffrance qui en r sulteraient L oubli fait donc partie int grante du m canisme de la m moire et constitue m me un l ment indispensable au bien tre de chacun D ailleurs selon les scientifiques on ne saurait pas vivre le pr sent sans mettre de c t le pass du moins temporairement Il est important psychologiquement d oublier car les souvenirs peuvent tre douloureux et lourds porter si on s en souvenait quotidiennement Ainsi l oubli permet d esquiver tous les d sagr ments que le vif souvenir de la mort pourrait avoir sur la vie d un tre humain Notons que cet oubli va de pair avec le processus de r silience terme introduit par Boris Cyrulnik et qui d signe en psychologie l aptitude de se refaire une vie et de s panouir en surmontant un choc traumatique grave La r silience est donc une aptitude personnelle qui permet de surviv
107. eur elle est introduite dans l uvre de Jean Rouaud d s son premier livre Les Champs d Honneur et ce travers le personnage de saint Joseph Le lendemain de la mort de papa saint Joseph un robuste charpentier d alb tre qui portait son enfant d un seul bras contemplait ainsi le fond de sa niche mais elle traverse galement quoique plus discr tement l autobiographie La Fianc e juive Je viens de ce clair obscur de mon enfance LAS Ainsi l importance de ce tableau dans l uvre roualdienne est tablie et il s agit d s pr sent de relever les liens entre le texte la vie de Rouaud et l image propos e par La Tour L art pictural faisant partie d un syst me polyphonique qui propose toujours plusieurs fa ons de voir et d interpr ter les choses la toile de La Tour qui est l objet de cette analyse doit tre consid r e sous deux aspects diff rents sous son sens litt ral dans un premier temps puis sous son sens figur et ce en mettant l accent sur l interpr tation tr s personnelle que Rouaud en fait 3 2 3 L uvre picturale comme source d inspiration mn monique et po tique Si le type de rapport entre litt rature et peinture le plus connu est la relation externe c est dire la litt rature qui inspire la peinture comme par exemple la Bible qui nourrit l inspiration picturale depuis deux mill naires nous constatons ici le ph nom ne inverse c est dire 266 ROUAUD J
108. ez Gallimard est l ouvrage de r f rence dans le cadre du sujet trait en ce qu il incarne une sorte de transposition dans le monde de l art donc esth tique du parcours sinueux de l crivain La Fianc e juive est elle aussi parsem e de r f rences tir es du domaine de l art et si la peinture incarn e par le tableau Saint Joseph Charpentier de Georges de La Tour est l uvre d art par excellence qui traverse les livres de Rouaud la musique la litt rature le cin ma trouvent galement une place plus ou moins importante dans l uvre Le livre La Fianc e juive qui est l objet principal de ce m moire est ainsi li l art par son essence l autobiographie tant un genre litt raire reconnu mais galement par son contenu L analyse des textes de Rouaud va donc permettre de mettre en vidence l importance de l art pour l crivain en plein travail de deuil 3 1 La Fianc e juive et la litt rature Il va sans dire que la litt rature joue videmment un r le supr me dans la vie d un crivain Et il en va de m me pour Jean Rouaud pour qui les lettres ont influenc certains choix d cisifs pris au cours de sa vie notamment celui de travailler dans un kiosque journaux afin d avoir assez de temps libre consacrer l criture Nous avons en effet vu que l criture tait capitale pour Rouaud qui avait un besoin existentiel celui 91 d tre reconnu comme crivain par le mon
109. faire d faut Et en effet un clin d il cette l gende de la litt rature fran aise lui est fait dans la quatri me sous partie du volet intitul R gional et dr le Le titre de cette vignette autobiographique Le temple perdu n est pas sans rappeler le titre du roman la recherche du temps perdu Nous savons que la lecture entre autres de Proust a nourri Jean 253 Rouaud pendant son adolescence et que son style notamment ses longues phrases a d j t mis en relation avec celui de l auteur du d but 51 ROUAUD Jean op cit 2008 p 24 2 Thid p 27 Le DUCAS Sylvie sous la direction de 2005 Jean Rouaud Les fables de l auteur ditions Presses de l Universit d Angers 98 du vingti me si cle Nous ne rel verons pas ici les affinit s esth tiques qui existent entre Proust et Rouaud et nous nous bornerons simplement relever l emprunt ou plut t l hommage rendu Proust dans La Fianc e juive et mettre en vidence certains aspects communs de leurs textes voquant cette fameuse madeleine D s lors inutile de parcourir le monde la recherche de ce lieu id al reste trouver la formule ce s same ouvre toi qui permettra d avoir acc s au c ur du naos Voyons farine beurre sucre levure ufs citron amalgamez le tout remplissez chaque moule laissez reposer vingt minutes environ Pendant ce temps vous pr parez un th pr sent que tout est pr t t
110. ffet le rite est langage il est un moyen de communication dans un langage symbolique compris et accept consciemment et inconsciemment dans une communaut donn e Et le rite est fait pour ceux qui restent et non pour ceux qui se sont absent s dans la mort 2 5 Le rite alli important du travail de deuil Autrefois le deuil tait social et on pouvait reconna tre les personnes endeuill es par la fa on dont elles s habillaient et par la fa on dont elles se comportaient Aujourd hui le deuil est devenu quelque chose de priv qui n est plus forc ment ext rioris et dont l importance n est plus consid r e sa juste valeur Et pourtant le deuil est une activit qui s empare pendant un certain temps de toute l nergie de la personne en pleurs jusqu que celle ci parvienne accepter l inacceptable c est dire la s paration d finitive La mort est d autant plus difficile appr hender pour les enfants du fait que dans leur esprit la mort n est pas quelque chose de naturel mais quelque chose qui est provoqu on ne meurt pas mais on est tu ce qui fait entrer en jeu un coupable D o la grande d tresse dont peuvent tre touch s les enfants qui ont perdu un parent de fa on pr matur e dans la mesure o ils se placent en position de coupable potentiel est ce qu il est mort cause de moi parce que je n tais pas toujours sage ou parce que j ai souvent pens du mal
111. genre autobiographique Me voil c est moi Ceci est d autant plus important que cette d claration constitue une des caract ristiques indispensables ce genre d criture de l intime savoir le pacte autobiographique si cher Philippe Lejeune sp cialiste de l autobiographie et auteur de nombreuses tudes ce sujet Mais afin de bien situer l ouvrage tudi dans son contexte litt raire et plus pr cis ment dans ce genre de l criture de l intime il est certainement utile de s arr ter un instant sur les caract ristiques qui font de La Fianc e juive le premier ouvrage de Rouaud tre identifi explicitement en tant qu autobiographie Notons galement que l analyse qui va suivre s inscrit dans une approche stylistique dont Georges Molini nous explique que l objectif premier n est pas en premier lieu le style contrairement ce que l on pourrait croire mais le discours litt raire la litt rature et plus pr cis ment le caract re sp cifique de litt rarit du discours de la praxis langagi re tel qu elle est concr tement d velopp e r alis e travers un r gime bien particulier de fonctionnement du langage la litt rature La stylistique vise en effet analyser le fonctionnement du langage et donc surtout du langage litt raire et relever les faits de langue saillants qui permettent de construire et d appuyer une observation au niveau du sen
112. i les enveloppait et luxueux linceul en couvrit la petite victime Apr s un rapide tour d horizon il avisa une pierre au pied d un bouquet de gen ts en bordure du champs la souleva puissamment la transporta sur plusieurs m tres et la planta verticalement au dessus de la s pulture improvis e parachevant l uvre des lointains fossoyeurs nous assistions en silence la c r monie fun raire Le champ lexical de l inhumation linceul bouquet de gen ts s pulture fossoyeurs c r monie fun raire compos d autant l ments qui appartiennent au rite des fun railles conf re un c t solennel ce geste du p re qui ne sait pas encore que ceci n est qu un avant go t de ce que va vivre et revivre sa famille Car les trois d c s successifs qui assaillent la famille vont faire des jeunes Rouaud des habitu s des c r monies fun raires des cimeti res et du deuil Vous devenez ainsi votre insu une sorte de sp cialiste du domaine mortuaire D s qu il est question de d c s d inhumation de deuil de cimeti re de perte irr m diable de chagrin inconsolable de regrets ternels vous tendez l oreille c est pour vous L encha nement de syntagmes pr positionnels par juxtaposition ainsi que la combinaison de noms tir s du lexique de la mort et du deuil amplifi s par des adjectifs valeur hyperbolique permet de mettre en relief le contexte endeuill L accum
113. ib r Rouaud en partie de ses fant mes Et pourtant nous savons que quatre livres vont suivre pour compl ter la saga familiale et que d autres vont encore tre crits tous gravitant autour de cette mort qui a boulevers l crivain dans toute la vuln rabilit de l enfance Tereska Torr s a r pondu Fran ois Busnel qui lui avait demand les raisons qui l avaient pouss e crire ces livres relatant des p riodes douloureuses de sa vie que l on se d barrasse des choses 171 ROUAUD Jean op cit 2004 p 329 172 RIEGEL Martin PELLAT Jean Christophe RIOUL Ren op cit 2004 173 Tereska Torr s est une femme de lettres et r sistante franco am ricaine 64 difficiles en les crivant Cette th orie de l criture lib ratrice expliquerait la d marche de nombreux crivains qui ont des poques diff rentes racont sous forme d autobiographie d autofiction ou m me de romans des faits r els et douloureux de leur vie Tel est le cas d Albert Cohen dans le Livre de ma m re mais galement de Roland Barthes de Georges Perec et bien d autres qui ont tous subi un traumatisme li la perte d un tre cher et qui ont choisi comme rem de leur malheur de le raconter afin de s en lib rer Oui les mots ma patrie les mots a console et a venge Mais chez Rouaud le probl me se pose diff remment dans la mesure o l criture a sans aucun doute li
114. ions si parfaitement seuls au monde sous le soleil de mai que cet ami peintre qui nous aper ut vita d licatement de nous d ranger gt Pourtant le lien cr avec la peinture viendrait compl ter la relation intense qu entretient Rouaud avec l art dans la mesure o ce titre b tit un pont avec la litt rature en ce qu il fait partie int grante d une uvre litt raire ainsi qu avec la musique puisque La Fianc e juive est galement comme mentionn plus haut le titre du blues grav sur le CD qui accompagne le livre et dont le texte constitue la derni re partie du livre Le titre de son autobiographie comporterait ainsi de fa on tr s discr te et tr s subtile les trois formes d art tr s ch res Rouaud qui jouent un r le crucial dans la vie ainsi que dans l uvre de l crivain la litt rature cela va sans dire la musique la mort de Mozart est le th me du premier volet du livre et bien s r la peinture et plus pr cis ment le tableau de La Tour dont le r le essentiel fera plus loin l objet d une analyse d taill e 1 3 L auto bio graphie le bios La Fianc e juive ne peut sans doute pas tre consid r e comme tant un tournant important dans l uvre de l crivain mais il n en demeure pas moins qu il s agit bien d une volution de la relation qu entretient Rouaud avec son uvre et sa vie vue travers elle S il met donc plusieurs ann es et de nombreux livres av
115. ir la conclusion que ces d tours sont r v lateurs d une attitude significative de Rouaud celle du mal affronter reconna tre son propre destin son statut d orphelin son parcours sem de souffrance Il choisit donc de faire des d tours pour raconter une histoire qui s av re tre moins douloureuse vue de l ext rieur en tant que simple spectateur Cette mise distance qui se retrouve dans le style par le biais de l absence du je est galement pr sente dans la di g se et Michel Lantelme constate ce sujet que le je est volontairement en retrait ce qui diff rencie l criture roualdienne des critures autobiographiques ordinaires La premi re partie de La Fianc e juive intitul e La double mort de Mozart est une excellente d monstration de l attitude de Rouaud 3 ROUAUD Jean op cit 2008 p 24 31 LANTELME Michel 2009 LIRE Jean Rouaud Paris ditions Armand Colin coll crivains au pr sent 17 par rapport son histoire Dans ce premier volet Rouaud raconte l motion ressentie la vue d un pisode de s rie t l vis e qui retrace la mort de Mozart Mais une mort peut en cacher une autre et en effet plus on avance dans la lecture de cette partie plus on se rend compte que l histoire de cet illustre musicien se superpose et se confond celle du p re La musique nous l annonce et la mine du musicien nous le confirme On le sait fatigu depuis quel
116. is une variation qui s appuie sur le s personnages qui domine nt dans chaque texte gt En ce qui concerne La Fianc e juive le r cit du drame s appuie sur le jeune Jean qui se trouve seul dans sa chambre et entame la lecture du Colonel Chabert de Balzac au moment du fracas caus par la chute du p re dans la salle de bains En consid rant le fait que la mort du p re est racont e par rapport aux personnages importants relatifs chaque livre nous pouvons d duire que Jean Rouaud a pris un peu de recul qui lui permet enfin de parler de lui de ce que lui a ressenti au moment du drame de ses motions et de son chagrin Il s autorise exister et raconter ce qui sera confirm par l emploi certes tardif du pronom personnel je Le r cit de cette mort de cette borne monumentale du lendemain de No l ne laisse vu son importance aucune place des d tails insignifiants qui constitueraient une forme d injure par rapport la gravit du moment Par cons quent le fait de mentionner qu il entamait la lecture du Colonel Chabert de Balzac au moment de la chute pose d embl e l importance de la litt rature ainsi que celle de l art en g n ral dans La Fianc e juive Cette th matique 718 JANIN DEVILLARS Luce op cit 2005 p 155 156 2 ROUAUD Jean op cit 1993 p 114 20 FREYERMUTH Sylvie op cit 2006 221 Thid p 63 82 importante de l uvre roualdienne sera trait e d
117. ise en relation s mantique de la formule terme qui connote la cr ation par l criture mais qui renvoie galement au pouvoir magique des mots formule magique et ce m lange d ingr dients n cessaires la r alisation de madeleines Trouver la formule quivaut m langer tous ces l ments ordinaires qui n ont rien d exotique et d extravagant laisser reposer et cuire Le registre du mode d emploi ici de la recette caract ris par l emploi de l imp ratif attire l attention du lecteur l implique et cr e un semblant de proximit avec celui ci effet renforc par la modalit interrogative qui cl t cette partie Rouaud num re les ingr dients n cessaires l laboration de madeleines Ces biscuits traditionnels sont compos s de choses simples au m me titre qu une uvre litt raire est faite de mots dont l assemblage peut mener un r sultat remarquable L essentiel r side dans l art d crire de raconter l art de transformer des choses ordinaires et communes en uvres d art Et c est justement ce que fait Rouaud dans son autobiographie Par le biais de l art de la litt rature il proc de cette reconstruction esth tis e de son enfance de ses joies mais surtout de ses malheurs et cela lui permet nous l avons vu de rendre la souffrance li e la mort du p re beaucoup plus supportable Cette 6 ROUAUD Jean op cit 2008 p 73 100 esth
118. it les nombreuses digressions et d tours qui viennent s interposer dans les phrases sont autant de contournements qui permettent Rouaud de se distancier par rapport aux faits narr s de s abstraire de la situation p nible de mani re se prot ger fuir hors de soi pour mieux supporter l insupportable Les travaux de Sylvie Freyermuth au sujet de l emploi des pronoms personnels dans les textes de Jean Rouaud montrent tr s clairement l importance de emploi de ceux ci au niveau de ROUAUD Jean op cit 2008 p 15 33 Ibid p 19 4 FREYERMUTH Sylvie 2006 Jean Rouaud et le p riple initiatique une po tique de la fluidit Paris L Harmattan coll critiques litt raires 18 l interpr tation du texte et de l tat d esprit de l auteur face diff rents v nements et certaines situations significatives de son p riple initiatique Ainsi Sylvie Freyermuth nous propose une analyse de l emploi du pronom impersonnel on en concurrence avec le pronom personnel de premi re personne nous et du clitique de deuxi me personne vous Elle d montre que le pronom cam l on on renvoie dans la majorit de ses occurrences indiff remment aux membres de la famille Rouaud et ce dans leur singularit Avec le on toutes les combinaisons sont possibles c est dire les membres de la famille peuvent tre indistinctement voqu s de mani re individuelle
119. it pas r unir les fonds n cessaires Le tableau reste donc chez son propri taire qui finit par l offrir au Louvre en 1948 Depuis l uvre figure parmi les plus admir es du peintre Cette huile sur toile a pour sujet deux personnages Joseph le p re nourricier du Christ et J sus Les deux personnages se trouvent dans l atelier de charpentier de Joseph qui est occup percer une pi ce de bois avec une tari re alors que l enfant assis pr s de lui l claire d une bougie qu il tient dans sa main droite et dont la flamme tr s haute fait appara tre la translucidit tonnante de sa main gauche qui fait cran Le visage de l enfant son buste le front demi chauve de Joseph ainsi que ses bras sont clair s par l incandescence de la flamme alors que le reste est noy dans la p nombre le brun dominant cette toile La disposition des pi ces de bois qui se trouvent sur le sol rappelle la croix sur laquelle J sus sera crucifi Notons que ces trois l ments de la toile que sont Saint Joseph J sus et la croix se r f rent trois des d votions les plus me 260 pratiqu es en Lorraine au XVII si cle Ce tableau fait acte de la capacit de La Tour conf rer une sc ne nocturne une motion intense gr ce la distribution de la lumi re Joseph est en partie clair par la lumi re que propage l enfant dont le 260 Georges de La Tour catalogue d exposition Galeries du Grand Pa
120. justes en partie ils ne permettent pas de souligner le fait que la r organisation psychique et physique de l endeuill va durer toute la vie et va suivre globalement la m me dynamique que le processus biologique de la cicatrisation d une plaie grave Le processus biologique de la cicatrisation est toujours long et complexe et il restera pour toujours une cicatrice rappelant tout moment l histoire pass e pour soi et pour ceux qui la verront Ainsi l endeuill va suivre une sorte de p riple qui va l amener un v ritable processus de cicatrisation tous les niveaux psychique physique social et peut tre repr sent comme une longue spirale Des moments d am lioration succ dent des moments plus sombres plus tristes et ainsi de suite sur plusieurs mois pour ne jamais v ritablement se terminer car la cicatrice sera toujours pr sente la m moire Malheureusement le deuil n a pas de r elle fin Hanus pr cise que chaque deuil est unique mais que pratiquement tous les deuils suivent un chemin identique Comme tout processus le deuil a un commencement un centre un c ur et une terminaison plut t qu une fin car le travail de deuil ne finit jamais compl tement que le jour de notre mort Cependant il s chelonne en plusieurs tapes qui chacune d entre elles permettent l endeuill de trouver un nouvel quilibre autour de sa cicatrice dans la mesure o peu
121. l n est donc gu re tonnant que ces conditions dans lesquelles l enfant a v cu et s est d velopp ont cr chez le personnage une envie tr s forte d enfin exister en tant que personne part enti re et non plus uniquement en tant que fils de ou orphelin de Rouaud veut exister avoir une identit propre et en plus que cette identit et son talent soient reconnus grande chelle Jean Rouaud entreprend donc un moment de sa vie de couper le cordon avec son d sespoir et le fardeau qu il tra ne depuis trop longtemps derri re lui et qui l emp che d avancer Il veut crier au monde entier qu il existe lui en tant que personne singuli re et unique et que de surcro t il est dou d un certain talent d criture Talent qui pourrait bien tre la seule bou e de sauvetage envisageable pour cet homme meurtri par l histoire familiale peu enviable L criture pour passer du monde des morts celui des vivants Je n avais que cette id e troite d une reconnaissance par l criture crire c tait essentiellement bien crire La revanche du gribouilleur crire mal c tait accompagner la mort c tait comme cet homme 170 ROUAUD Jean op cit 2008 p 53 54 63 assemblant le cercueil de sa femme arr ter de chanter Comment passait on d crire mal crire bien Comme on passe de la mort la vie La n gation exceptive ou restrictive formul
122. la douleur de fa on intense chaque nouvelle envol e festive A nsi ce deuil s apparente t il au parcours de J sus et celui de son salut et cr e un lien fort entre le deuil et le dogme chr tien Le dogme central de la religion chr tienne est la Trinit c est dire la d signation de Dieu en trois personnes P re Fils Saint Esprit distinctes gales et consubstantielles en une seule et indivisible nature La relation p re fils tellement importante chez Jean Rouaud trouve en la Trinit l exemple divin par excellence Le Saint Esprit galement appel l Amour du P re et du Fils et qui fait partie int grante de cette unit est pr sent dans le Cat chisme de l glise 9 catholique comme L Interpr te de l criture laquelle a t transmise oralement mais galement par crit et notamment par les ap tres qui se sont vu donner pour t che de d poser sous l inspiration m me du Saint Esprit le message du salut Nous constatons d s lors le caract re essentiel des liens existant entre le ph nom ne de la Trinit et 40 l entreprise d criture de salut par l criture entam par Jean Rouaud et qui sont d autant plus significatifs que son pr nom Jean le destine l image de Saint Jean t moigner parmi les douze ap tres il y a bien s r celui qui me concerne au plus haut point dont je porte le nom et qui se f te le 27 d cembre Jean
123. la vie m me si elles arrivent trouver des issues satisfaisantes et apaisantes Tout comme demeure la peur de l abandon les sentiments d angoisse d incertitude de l avenir les sentiments d impuissance devant la vie restent bien ancr s 1 HANUS M SOURKES B M op cit 1997 14 Thid 141 Thid p 15 55 Car les adultes mais aussi les enfants sont confront s au long de leur existence de multiples pertes Et si tous les deuils se retrouvent dans de grandes tapes de d roulement dans de grands mouvements internes et inconscients o s exprime et s effectue la s paration gt et qu ils se vivent tous dans la souffrance chaque deuil est unique dans la mesure o la relation qui unissait et unit toujours le d funt et l endeuill est galement unique S paration et perte sont toujours difficiles supporter L endeuill a l impression de pleurer sur le pass mais c est plut t le fait d tre maintenant priv d un avenir commun qui fait le plus souffrir En effet tre en deuil c est tre en souffrance et quelle pire souffrance que la perte d un tre cher Pourtant le deuil ne se r sume pas cette seule perte humaine au contraire selon Andr Comte Sponville il y a deuil chaque fois qu il y a perte et le deuil est cette frange d insatisfaction ou d horreur par quoi le r el nous blesse et nous tient Vivre et mourir vont ensemble du m
124. lais Paris 1997 1998 p 208 102 visage est si intens ment illumin par le foyer lumineux qu il fait effet d apparition de spectre D autant plus que le physique fruste et imposant de l homme qui jette un regard complice l enfant mais dont le froncement du front traduit une lueur d inqui tude s oppose la gr ce la puret et la force de l Enfant qui semble tout autant endosser le r le de prot g travers le regard du p re que celui de protecteur il est source de lumi re il donne la lumi re au p re La communion des regards dont le haut de la flamme constitue le point d attache traduit un lien tr s fort entre le p re et le fils La forte r flexion de la lumi re sur le visage de l Enfant qui semble tre la source lumineuse principale de l atelier marque ainsi la pr sence de la divinit mais ce dans une sc ne issue de la vie quotidienne trait e ici avec r alisme et v racit D ailleurs Joseph est ici repr sent en charpentier qui est justement en train de s adonner son travail d artisan Cette intensit motionnelle qui mane en particulier des tableaux religieux de La Tour dont fait videmment partie St Joseph charpentier est donc surtout mettre sur le compte de l trange effet du clair obscur ainsi que de quelques gestes inspir s qui suffisent donner une dimension mystique spirituelle de simples personnages Outre donc la beaut la simplicit et la
125. le m tier La relation qui lie ces deux personnages est repr sent e par l intensit des regards qui se croisent et qui semblent en dire tr s long sur les liens qui les unissent La nature morte du premier plan est constitu e des outils et mat riaux n cessaires au travail du charpentier un cube de bois un maillet cylindrique un copeau vrill un ciseau La description de la toile ayant d j t faite plus haut nous nous contenterons ici de ces quelques informations suppl mentaires Si le sens litt ral de la toile rel ve de la perception dans le sens qu il se trouve dans l image proprement parler le sens figur pour sa part rel ve de l herm neutique donc de l interpr tation de cette image qui nous est donn e analyser Mais une uvre qu elle soit litt raire ou picturale est toujours plurielle par le fait qu aucune interpr tation n est fixe La culture dont ont h rit les peintres du XVII si cle est en effet une culture qui joue sur le litt ral et sur le figur L art en g n ral et ce pour les peintres de l poque de La Tour mais galement ceux des si cles pr c dents ne rel ve donc pas d un syst me monologique mais d un syst me polyphonique dans la mesure o il y a toujours plusieurs fa ons de voir les choses et de les interpr ter On parle donc ici de principe du feuilletage et de l empilement des sens Notons galement qu Anne Surgers souligne que le statut de l
126. lecteur a l impression de voir son propre p re s affaler par terre il ressent la terreur et l incompr hension ressenties par Rouaud au moment des faits ICHIANTARETTO Jean Fran ois CLANCIER Anne ROCHE Anne sous la direction de op cit 2005 p 18 4 FREYERMUTH Sylvie op cit 2006 p 264 ROUAUD Jean op cit 2008 p 19 21 1 2 2 Et le lecteur dans tout a L autobiographie est au contraire du journal intime un texte destin tre publi Le discours autobiographique est donc un texte qui s adresse quelqu un de r ellement pr sent et engag dans une coute active le lecteur L utilisation du vous renvoie donc fr quemment cette personne hors texte qui est le lecteur En effet il ne faut pas n gliger la fonction conative rattach e au vous qui met l accent sur le destinataire r cepteur en cherchant le contraindre couter agir s mouvoir Les lecteurs sont parfois directement sollicit s et interpell s par l crivain Pendant ce temps vous vous pr parez un th pr sent que tout est pr t trempez la madeleine dans votre tasse de th Go tez a ne vous rappelle rien Dans ce cas Sylvie Freyermuth parle du vous d interlocution qui a la caract ristique de s adresser directement nous en notre qualit de lecteur Notons ici la sollicitation de l interlocuteur marqu e par l emploi de l imp ratif ainsi que par la fo
127. les de son p re lui tant consacr es furent celles pour lui souhaiter la St Jean anticipativement sur le lendemain sans savoir alors que le lendemain il serait trop tard Cependant tre endeuill c est aussi continuer vivre apr s la perte d un tre proche et aim D sormais il va falloir supporter l absence de son regard de ses paroles de sa pr sence Etre endeuill 17 GLAUDES Pierre RABATE Dominique Modernit s 21 2005 Ces morts en moi 180 ROUAUD Jean op cit 2004 p 121 18 LAUFER LAURIE 2008 L nigme du deuil Paris PUF p 44 182 ROUAUD Jean op cit 1993 p 107 67 c est galement perdre une part de soi tre amput d un morceau de soi Ce d chirement est toujours difficile g rer surtout lorsqu il survient de fa on brutale et sans m nagement Alain de Broka p diatre et pr sident de l association Vivre son deuil Picardie insiste dans son ouvrage Deuils et endeuill s sur le fait que le temps du deuil est le travail de toute une vie tant donn que cette perte brutale a caus comme l amputation d un morceau de soi il va falloir accepter une tr s longue p riode de cicatrisation mais surtout l impossibilit de revenir en arri re et de retourner la situation ant rieure Ainsi Broka explique que le mot deuil n est pas synonyme de renoncement r organisation restauration ou acceptation Si tous ces mots sont
128. live s ouvre sur la mort du p re et se cl t au moment de l criture Cependant de nombreux d tours tendent brouiller cette temporalit 1 4 4 Le pr sent dans tous ses tats L autobiographie s crit au pr sent elle est fonction de ce pr sent en lequel s accomplit l uvre de rem moration L emploi des temps et plus particuli rement du pr sent de l indicatif m rite d tre regard d un peu plus pr s car il en dit long sur l auteur sur sa fa on de raconter sa vie et sur le regard qu il porte sur son pass Afin de construire cette analyse rappelons que Benveniste fait la distinction entre l histoire racont e et le discours qui est une prise de position par rapport aux v nements L autobiographie fait se succ der le r cit organis et les commentaires et fait alterner le pass et le pr sent donc le temps du v cu et celui de l criture l poque je me sentais contraint par cette double exigence Je voulais de grands espaces et du s rieux J ai depuis r tr ci Pour mes romans je n ai eu besoin que d une moiti de d partement Et on y sourit parfois De ce fait le je de l auteur est g n ralement sujet de verbes au pr sent pendant que le je 1 GUSDORF Georges op cit 1991 p 463 110 BENVENISTE mile 1976 Probl mes d linguistique g n rale Paris Gallimard cit par DUFIEF Pierre Jean op cit 2001 11 DUFI
129. lus intense et plus forte que la pr sence Pour faire son deuil il faut pouvoir le vivre Or il est dans notre soci t devenu inconvenable de manifester sa douleur par des g missements ou des cris et les rituels religieux ou la cs tendent dispara tre Le deuil est devenu quelque chose d intime d int rieur Les larmes sont raval es la tristesse dissimul e les plaintes refoul es Comme le dit Cioran dans La Chute dans le temps pour avoir d sappris les larmes nous sommes sans ressources Faute de pouvoir le crier le parler certaines personnes notamment nombre d crivains comme par exemple Cohen dans Le livre de ma m re Barthes dans Journal de deuil Bergougnoux dans L orphelin Jean Rouaud dans ses cinq romans de la saga familiale ont fait le choix chacun sa mani re et avec son style propre de l crire criture comme ultime recours contre le d sespoir 2 1 1 la m re morte Le deuil que doit surmonter Rouaud ne se limite donc pas l absence de la figure paternelle mais s ajoute ce drame l vanouissement de la figure maternelle condamn e au silence par le ravissement brutal de l poux et un chagrin si violent qu elle crut qu il aurait raison d elle de sa vie un chagrin couper le souffle ser Cette attitude peu valorisante de la m re n est cependant pas un cas isol et a t tudi et d crit notamment par Andr Green en 1980 dans son articl
130. mation de la mort sociale du victorieux militaire en effet le pronom personnel de troisi me personne associ au pronom d monstratif masculin singulier prouve que Chabert se d double en celui qui prend la parole ainsi qu en celui qui est mort la bataille N oubliez pas non plus que Benveniste disait que la troisi me personne est la non personne celle qui ne peut pas acc der au statut d interlocuteur Les deux se retrouvant dans le verbe mourir qui d signe pour l un la mort physique et pour l autre la mort sociale Ce jeu sur les deux interpr tations possibles du verbe mourir conf rent cette d claration une dimension humoristique voire absurde bien qu elle ait un sens bien r el et s rieux Chabert en tant qu nonciateur de cette affirmation parle de lui m me de son ancien lui la troisi me personne donc il cr e un cart une dissociation entre lui au moment de l nonciation et lui dans son existence pass e avant la bataille fatale La lecture faite par le petit Rouaud lui annonce donc d une certaine mani re ce qui l attend sous peu c est dire apr s la mort du p re qui vient de s affaler sur le sol de la salle de bains Cette mort va en effet nous l avons vu plus haut le d munir de son identit propre et le p riple de l orphelin va galement l amener l image du fameux Colonel une qu te de reconnaissance qui va chez Rouaud passer par la recon
131. me pas En effet l enfant meurt dans l adulte l endeuill perd ce qu il tait pour le mort et chaque jour pass meurt dans chaque jour pr sent C est la loi du devenir ainsi que celle du deuil Nous ne savons renoncer rien Ne disait Freud et c est pour cette raison que le deuil est synonyme de souffrance et de travail Il y a cette douleur accablante non chaque fois que l on subit une perte mais lorsque cette perte ce manque n est pas accept L acceptation du fait que vivre c est perdre finit dans la plupart des cas l emporter mais n cessite un long et douloureux travail du deuil que Freud d finit comme tant le processus psychique par quoi la Thid p 92 Ibid p 93 COMTE SPONVILLE Andr CZECHOWSKI Nicole DANZIGER Claudie DOLTO Fran oise sous la direction de 2004 Deuils vivre c est perdre Paris Hachette Litt ratures Pluriel 45 Tbid p 19 46 FREUD Sigmund 1908 Essais de psychanalyse appliqu e La cr ation litt raire et le r ve veill dition consult e Paris Id es Gallimard 1980 p 71 47 Selon l expression d Andr Comte Sponville 56 r alit la joie de vivre l emportent Mais avant d accepter cette preuve de r alit avant d accepter l intol rable l endeuill doit trouver un moyen propre afin de supporter de tol rer l absence m me quand celle ci est plus pr sente p
132. naissance de son statut d crivain La mort physique du p re a entra n la mort sociale du fils dont une partie de l identit est ensevelie jamais dans la tombe de Joseph Rouaud Cependant plus chanceux que le Colonel qui va finir par abandonner cette qu te de reconnaissance et qui va devenir demi fou Rouaud lui va parvenir sinon faire compl tement son deuil du moins obtenir cette reconnaissance tant recherch e et donc acqu rir nouveau gr ce ses lecteurs son identit sociale L histoire du Colonel intervient dans la vie de Rouaud tel un songe pr monitoire auquel l crivain enfant pourra s identifier afin d en 248 BALZAC Honor de 1844 Le Colonel Chabert dition consult e Paris ditions Gallimard collection Folio 1999 p 63 94 retenir une le on et surtout afin de jeter une esp ce de regard ext rieur sur son propre destin S il veut vraiment sortir de sa spirale infernale il a tout int r t s accrocher et tout mettre en jeu pour atteindre son but de reconnaissance au risque le cas ch ant de devenir fou La litt rature a ainsi marqu Rouaud par ses enseignements moraux et ses le ons de vie mais Jean Rouaud rend galement hommage certains personnages fictifs qui lui permettent toujours dans cette perspective de distanciation et de d tours de parler de ses proches en transposant la r alit douloureuse dans le monde de l art la rend
133. nc e d mocratique sous la pression de l opinion l option z ro tant autrefois r serv e l tat major mais la guerre jusqu il y a soixante ans mettons jusqu ce que s allongent les tirs se syst matisent les bombardements a riens et que croisent au dessus de nos t tes des vols de missiles qu aucune ligne Maginot aucun bouclier des toiles ne pourra jamais arr ter la guerre c tait la jeunesse Le noyau minimal de la phrase La guerre mais la guerre la guerre c tait la jeunesse est la partie qui fait progresser la spirale vers le haut dans la mesure o elle fournit les informations sur la notion de 201 Thid p 130 202 Thid p 23 c est moi qui souligne 13 guerre qui introduit cette phrase Tout le reste constitue des informations suppl mentaires qui repr sentent le d tour lyrique la digression caract ristique du style roualdien et qui font un certain moment de la phrase s loigner l auteur de la trajectoire attendue de la phrase mais l expression mais la guerre prouve qu il n a pas perdu le fil rouge et qu il revient sur ce qu il voulait dire sur la guerre et pourtant il repart sur une envol e lyrique avant d enfin achever sa phrase avec le rapprochement de la guerre et de la jeunesse alors qu il aurait pu se contenter du d but de la phrase et de la fin La guerre c tait la jeunesse s il tait all droit au but Mais le style de Rou
134. nc que les guillemets d signent les bords instables du discours ils le d signent comme tant en interaction avec la parole des autres Le terme de bord implique la notion de rupture dans la narration L absence de ces guillemets qui marquent donc l h t rog n it dans le discours permet justement d viter cette cassure dans la trame narrative et ainsi de maintenir cette fluidit des phrases il vous faut imp rativement faire cette diff rence entre le lieu de l enfance et l enfance laquelle rel ve d une obscure clart dans la nuit de l esprit de sorte qu la question d o venez vous il nous faudrait toujours SR 135 r pondre je viens de ce clair obscur de mon enfance Dans certains cas l utilisation de cette ponctuation caract re polyphonique permet Rouaud de mettre en abyme la confrontation de ses propres voix et ainsi de placer ses propos sous diff rents angles mais au sein m me d un seul nonc sans pour autant porter atteinte la fluidit du style l Ibid p 106 AUTHIER REVUZ J 1992 Rep res dans le champ du discours rapport In L information grammaticale 55 1993 Rep res dans le champ du discours rapport suite In L information grammaticale 56 33 HERSCHBERG PIERROT Anne op cit 2003 p 127 ouvrage cit J Authier Paroles tenues distance 4 Ibid p 102 35 ROUAUD Jean op
135. ncore en 2004 soit plus de trente ans apr s le d c s de son p re L auteur est conscient de ce fardeau qu il tra ne depuis trop longtemps en lui et la volont de quitter le monde des morts est dite de fa on explicite mais l crivain n a ce moment de l criture pas encore trouv le moyen de redonner de la couleur sa vie teint e depuis trop longtemps d un cama eu de gris et de noir couleurs de la mort et du deuil la mort dans le paysage et la sienne dans le paysage de la mort et on reste avec son cadavre sur les bras sans trop savoir comment s en d barrasser sans 161 trop oser sachant tout le respect qu on doit aux morts Notons le chiasme syntaxique qui se double d un chiasme s mantique mort paysage paysage mort et qui en tant que symbole de situation de verrouillage repr sente l enfermement de Jean Rouaud qui est prisonnier d un double malheur le sien et celui de sa m re Le clitique on encore appel fac tieusement par les linguistes pronom cam l on peut tre employ comme quivalent de presque toutes les personnes et seule l interpr tation contextuelle permet de lui attribuer son statut nonciatif Selon Anne Herschberg Pierrot l int r t du on tient pr cis ment cette neutralisation de la personne qui rend n cessaire son interpr tation mais n impose pas l identification de son r f rent celui ci peut tre identifi sans
136. ndale poutre qui est d j un morceau de la vraie croix et ce trou un avant trou pour les clous comme le confirme le maillet terre et pos s c t du maillet la lame du ciseau bois qui entaillera le flanc et le copeau de bois enroul qui est une pr figuration de la couronne d pines cet homme qui pose un regard inquiet et interrogateur sur l enfant car pr parant l instrument du supplice Notons ce propos que le r cit de la Passion est relat dans l vangile selon saint Jean d tail non n gligeable dans l uvre roualdienne tant donn que le pr nom Jean semble pr destiner Rouaud t moigner dans la mesure o St Jean c est ce disciple qui t moigne au sujet de ces choses et qui les a crites Ceci est d autant plus important pour Rouaud que les derni res paroles que son p re lui a consacr es taient pour lui souhaiter la St Jean anticipativement sur le lendemain sans savoir que le lendemain il aurait t trop tard Saint Joseph Charpentier uvre picturale caract re all gorique a donc paul l auteur dans son travail de deuil entam Les liens du motif de la toile avec la vie de Rouaud ont fourni celui ci l inspiration n cessaire la reconstruction litt raire de son parcours de la figure du p re et de sa souffrance La toile en tant que source d inspiration mn monique est donc devenue source d inspiration po tique L art est 29
137. ne d sire pas s identifier et son monde lui Ainsi il d limite les espaces les vivants l air libre et les sans vie sous la terre Albert Cohen d crit d ailleurs cette s paration des espaces fa on tr s bouleversante Sous terre ma bien aim e tandis que bouge ma main faite par elle ma main qu elle baisait sous terre l ancienne vivante allong e maintenant en grande oisivet pour toujours immobile Fini fini plus de Maman jamais Nous sommes bien seuls tous les deux toi dans ta terre moi dans ma chambre Moi un peu mort parmi les vivants toi un peu vivante parmi les morts Si l enterrement du p re n est pas d crit en d tail dans l uvre roualdienne les rites fun raires ont tout de m me leur place dans la di g se et leur importance pour la famille Rouaud est mise en vidence dans le passage des Hommes illustres qui raconte comment Joseph a 2 proc d l ensevelissement d un petit oiseau retrouv mort lors d une 212 LEROI GOURHAN Andr cit par JANIN DEVILLARS dans Ces morts qui vivent en nous op cit 2005 p 47 25 COHEN Albert op cit 1964 dition consult e Paris Gallimard collection folio 2008 p 32 79 excursion Carnac et a ainsi compl t l alignement des fameux menhirs qui ornent le paysage de cette commune de Bretagne Maintenant que ses cigarettes taient en vrac dans sa poche il pr leva le papier argent qu
138. ne vie toute enti re sera n cessaire la cicatrisation de la plaie pour reprendre l expression de De Broka Dans ce long p riple douloureux qu est le travail de deuil et au fur et mesure que le temps passe la douleur va s amoindrir pour donner l impression de devenir plus supportable et pourtant une photo une parole un souvenir suffiront faire retomber l endeuill dans une souffrance pouvantable Quasi retour la case d part et pourtant pas tout fait Car plus le temps passe et plus on s loigne au niveau temporel du moment fatidique du d c s de la personne ch rie et plus la douleur devient surmontable La remont e vers l oxyg ne est entam e bien que sem e d emb ches Ce processus nous Pavons vu plus haut est compar par De Broka une longue spirale ce qui fait donc cho la spirale ascendante d crite par Sylvie Freyermuth D s lors nous pouvons constater que le deuil chez Jean Rouaud se trouve bien entendu dans la di g se de son uvre mais galement dans ses phrases dans son style ainsi que dans la structure du livre qui est l objet principal de cette analyse La Fianc e juive i JANIN DEVILLARS Luce 2005 Ces morts qui vivent en nous Paris dition Fayard 76 Au travail de deuil appartient un certain nombre de coutumes communes ou d entreprises personnelles cens es faciliter ce travail de d tachement et de s paration d avec la personne d funte En e
139. nsciente frein voire emp ch toute tentative de remont e la surface Ceci est d autant plus grave et lourd de cons quences pour Rouaud que les dix ann es de deuil de la m re sont certes une longue p riode pour la veuve souffrante mais que pour son enfant cette p riode repr sente une tape enti re de la vie savoir une partie de l enfance et la totalit de l adolescence L enfance de Rouaud se voit ainsi amput e d une bonne partie des mat riaux n cessaires aux fondations cens es assurer la solidit l quilibre et la stabilit de la personnalit D autant plus que le travail de deuil n a pu r ellement tre entam qu apr s que la m re a bascul de l autre c t de sa vie apr s dix ann es de travers e du chagrin Lac gt En effet il s av re tre tr s difficile de sortir des t n bres quand la mort est tout ce qui reste et qu elle devient l axe autour duquel tournent toutes les personnes qui vous sont proches et qu elle organise le d roulement de votre quotidien et de vos activit s la jeune veuve l avait formul e autrement devant la dalle de granite gris qui devenait notre lieu de p lerinage dominical et o nous nous livrions un peu de jardinage devant la s pulture avant de terminer notre visite par une minute de silence recueillie pendant laquelle la figure de notre p re s entourait d un halo propre aux sanctifi s Et c est ce moment
140. nsult e Paris PUF 2006 p 318 16 Thid p 36 197 Titre d une sous partie du cinqui me volet p 76 71 l oxyg ne de ce petit orphelin qui mena ait d tre asphyxi par sa tristesse accentu e par l ennui pesant sur son enfance Ainsi chaque fois que l auteur semble s engouffrer dans le r cit pessimiste de son existence la structure du livre fait ressortir une petite note optimiste et encourageante incarn e la plupart du temps par des personnages hors du commun qui ont particip d une mani re ou d une autre au l ger mouvement ascendant de la spirale caract ristique de l uvre des phrases de la vie et du deuil roualdien En effet Rouaud d die le titre de son livre et le blues final qui cl t l ouvrage la personne qui lui a sans doute le mieux tenu la main pendant cette remont e sa fianc e juive qui l a ressuscit d entre les morts Vivants l 8 et gr ce laquelle il est sorti de sa tranch e et a couru vers le ciel p2 Apr s la vue d ensemble de la structure de l ouvrage il s agit pr sent de mettre en vidence cette lente progression en spirale des phrases de Jean Rouaud et ensuite de l volution du travail de deuil 2 4 1 La spirale et la phrase En ce qui concerne les phrases de Jean Rouaud un lien avec la forme de la spirale peut galement tre tabli et ce non pas dans le sens de la remont e de la spirale ascendante mais dans le sens
141. nt l impression de rester jeune et immortelle Ce volet s ach ve sur une touche pessimiste ou plut t fataliste N y aurait il pas cette charrette tirer de plus en plus lourde notre Sisyphe pourrait croire que la vie est ternelle Le conditionnel utilis ici dans son emploi d interrogation oratoire qui ne constitue pas une question ouverte mais qui est dirig e ici vers une r ponse n gative c est dire une question pragmatiquement orient e exprime ici l irr el du pr sent et d note un tat du monde possible mais qui est ou a d j annihil par le 1 ROUAUD Jean op cit 2008 p 47 13 Thid p 96 14 Thid p 27 70 r el Cet emploi met bien en vidence que cet lixir n a de vertu qu en apparence car sa m re vieillit et meurt cinq jours avant la fermeture officielle de son magasin Et voil qu apparaissent dans le troisi me volet les deux figures un peu irr elles des s urs Calvaire et de leur petite maison de presse Dans ce volet Rouaud raconte comment ces deux petites ferventes travailleuses offraient des moments de bonheur aux enfants Rouaud en leur r servant les revues invendues qui taient certes amput es de leurs couvertures mais qui procuraient aux enfants un v ritable moment de divertissement gr ce la lecture des bandes dessin es et des romans photo qui finissaient toujours bien Et voil que ce rien de gentillesse suffisait faire sortir les pe
142. onctive c est dire sert en g n ral introduire l explication du mot de la chose ou de l expression qui la 208 Thid 20 Thid p 79 210 JANIN DEVILLARS Luce op cit 2005 p 19 211 ROUAUD Jean op cit 2008 p 65 66 78 pr c de Dans ce cas pr cis Rouaud met donc galit le fait de penser et d enterrer les morts Il y aurait donc selon lui une sorte de progression une suite logique entre le fait d enterrer les morts le chagrin le fait de penser et la litt rature La tristesse li e au deuil comme germe de la litt rature et comme analyse de son propre parcours 2 5 1 L ensevelissement des morts Selon les anthropologues les premiers ensevelissements des morts remontent au pal olithique moyen donc plus de quatre vingt mille ans avant J Ch La question se pose de savoir ce qui a incit l homme de Neandertal inhumer c est dire placer en humus les siens et ce selon une certaine sym trie non encore expliqu e par les sp cialistes Selon Andr Leroi Gourhan ethnologue arch ologue historien fran ais sp cialiste de la pr histoire et professeur au Coll ge de France il est certain que le fait d enterrer un corps constitue une forte pr somption en faveur de l id e sur la suite d un au del d une mort apparente En d autres termes l homme de Neandertal cr e une sorte de barri re entre le monde de ses semblables inertes auxquels il
143. onctuation me paraissent bizarre Rencontre fils des mots allit rations assonances dissonances criture d avant ou d apr s litt rature concr te comme on dit musique Ou encore autofiction patiemment onaniste qui esp re faire maintenant partager son plaisir Selon Vincent Colonna les explications de Doubrovsky ne permettent cependant pas de distinguer l autofiction du roman personnel et il va publier en 1994 un essai intitul L autofiction amp autres mythomanies litt raires dans le but d affirmer l autonomie du genre qui selon lui est trop souvent confondu et les d finitions des diff rents dictionnaires le confirment avec l autobiographie et le roman autobiographique Pour Colonna en effet l autofiction repose sur une affabulation de soi c est dire un texte essentiellement centr sur le moi que l auteur examine commente d cortique mais aussi reconsid re reconstruit r invente D Dans le cas des livres de Jean Rouaud la classification s av re difficile En effet dans le cas de l autobiographie l auteur s engage dire sa v rit avec le plus de sinc rit alors que dans l autofiction l auteur s inclut comme personnage r el dans une fiction L auteur s y int gre donc comme personne dot e d un tat civil On sait que Jean Rouaud a volontairement modifi certains noms dans son uvre Dans le Monde peu pr s il parle longuement de la p
144. ourn vid tamis d vast Ne reste plus rien de lisible C est une autre histoire qui s inscrit qui se r sume une histoire de fouilles toujours la m me Je crois qu il en est ainsi pour cette remont e dans le temps L exploitation d une trace d truit la trace Si l criture a quelque peu transform les personnages qui apparaissent dans l uvre roualdienne celle ci en tra ant la funeste loi des s ries a galement assur le salut de Rouaud qui entre temps a r ussi conqu rir le monde de la litt rature et qui d sormais a le ROUAUD Jean op cit 2004 p 104 GUSDORF Georges op cit 1991 p 4 l Thid p 140 ROUAUD Jean op cit 2004 p 105 40 bonheur d inscrire crivain sur son passeport La mort du p re a donc un r le ambigu dans la vie de Rouaud En effet si elle fait de trois enfants heureux et insouciants des orphelins malheureux dont l enfance est baign e dans la tristesse le d sespoir et l ennui c est galement gr ce elle que Rouaud a atteint le statut dont il jouit actuellement celle d crivain contemporain reconnu et appr ci Rouaud avoue volontiers que l envie d crire tait en lui depuis tr s longtemps Selon ses termes il avait crire mais rien dire Tak il avait donc ce besoin d crire mais n tait pas pouss par l envie de raconter Dr le de position d avoir envie de devenir crivain
145. out Nous tr s loin en arri re orphelins abandonn s avec ce sanglot des profondeurs au travers de la gorge in puisable nappe phr atique que le drame qui vient de se d rouler n arrive qu moiti nommer Car enfin qu est ce qui vient de mourir que nous voulions sans plus chercher lutter arr ter tout nous poser l et n en plus bouger Rouaud emploie la m me expression que dans son premier roman et l imparfait associ un verbe valeur volitive qui pr sente le proc s dans son d roulement et inscrit cette volont dans un rep re du pass met l accent sur la vision s cante li e l emploi de ce temps L imparfait apte rendre compte d un fait situ dans le pass en cours d accomplissement et dont le point de rep re n est autre qu un moment dont l nonciateur parle sa fait donc r f rence un moment d nonciation situ dans le pass celui de l criture des Champs d honneur L emploi de ce temps du pass fait appara tre un changement au niveau de l approche de l auteur narrateur En effet au moment de l criture de La Fianc e juive Rouaud se souvient avoir voulu tout arr ter mais ce n est plus le cas au moment de l criture de son autobiographie L emploi de ce temps du pass sous entend donc une volution chez Rouaud qui malgr tout n a pas tout arr t mais a fait des progr s en mati re d acceptation de la mort du p re et d
146. pas avec l instant d nonciation suppose de l nonciateur et de son destinataire un d calage ou un transport imaginaire La diff rence entre le pr sent historique et le pr sent de narration est relativement subtile et n est pas identifi e par tous les sp cialistes En effet ee 119 Dominique Maingueneau ne fait pas de distinction entre les deux termes alors que Anne Herschberg Pierrot nous informe que si tous deux tendent effacer l opposition entre le pass et le pr sent le pr sent na ROUAUD Jean op cit 2008 p 18 c est moi qui souligne 116 HERSCHBERG PIERROT Anne op cit 2003 17 Thid p 132 18 Thid p 68 119 MAINGUENEAU Dominique 2005 Linguistique pour le texte litt raire dition consult e Armand Colin coll Lettres sup 2007 48 historique montre les faits comme si l nonciation tait contemporaine alors que le pr sent de narration tire toujours selon Herschberg Pierrot les v nements pass s vers le pr sent et en fait le r cit comme 1 Notons s ils taient contemporains de l nonciation pr sente galement que dans le cas du pr sent historique le cotexte est domin par des temps du pass alors que dans le cas du pr sent de narration le seul pass perfectif est le pass compos 7 Le d ictique temporel ce moment cr e une localisation temporelle qui marque une rupture par rapport ce qui pr c de Cependant il n
147. persuad qu aussi longtemps que cette jeunesse l viendrait elle en donnant l impression de ne rien changer l ordre des choses c est dire en renouvelant insensiblement sans rupture il n y avait aucune raison que la vie s arr te laquelle n en saurait rien continuerait comme si rien n tait Ce qui constitua sans doute ce pacte faustien le secret de sa formidable vitalit Pure illusion car finalement comme Moli re Annick Rouaud va mourir sur sc ne dans son commerce Si ce deuxi me volet tend brouiller la distinction entre deux personnages dont la superposition met en vidence les caract ristiques communes ainsi que les divergences celui ci fait galement voyager le lecteur dans le temps En effet il y a galement superposition entre l poque d Anna Fierling dix septi me si cle l Antiquit Hannibal et la guerre l ancienne les ann es soixante mariage d Annick et de Joseph Rouaud et en surimpression l poque contemporaine et l enfance de Jean Rouaud Ainsi ce deuxi me volet est d di la m re de Jean Rouaud laquelle il rend hommage Pourtant il y parle aussi de la guerre et le ton railleur de la premi re page de ce volet permet Rouaud de prendre une distance critique par rapport cette guerre La longue premi re phrase dont le noyau minimal consiste en ce paradoxe La guerre mais la guerre c tait la jeunesse voque les g
148. plein de gravit enti rement occup par l id e de la mort qu elle avait choisi pour nous sugg rer son tour venu que nous gravions son nom sym triquement celui du disparu de l autre c t du pied de la croix couch e se penchant pour bien nous montrer l emplacement gauche vierge de toute inscription nous annon ant presque sous la date de sa naissance celle de son d part prochain La mort devient le fil rouge de l existence Il y a certes cette mort tragique du p re mais il y a donc aussi la mort symbolique de la m re laquelle vient s ajouter la peur de sa mort r elle Il vous semble que ce n est pas trop abuser que d esp rer un d lai de gr ce Sentant confus ment que ce n est pas dans la poche ce sursis que vous venez de r clamer vous vous constituez bient t en garde rapproch e veillez sur la survivante comme sur une candidate au suicide organisez des tours de garde faisant en sorte de la laisser seule le moins possible de sorte que vos vacances vous les passez pr s d elle gt Il y a mort au pass mort au pr sent et mort qui menace le futur proche Il devient donc compr hensible et m me vident que Jean Rouaud ait fini par se d finir par rapport elle et qu il continue le faire 157 ROUAUD Jean op cit 1998 p 140 158 Thid p 117 19 Thid p 117 118 60 l ge adulte je suis ce vieil orphelin crit il e
149. pris par la gr ce dans la Cath drale Notre Dame de Paris c t de la statue de la Vierge Chez Rouaud la gr ce vient par cette fianc e dont toute la description rel ve du divin et donne la r surrection de Jean Rouaud une illusion de miracle Cette autobiographie finit donc en chanson et le romancier est rest fid le du d but jusqu la fin son attachement l art qu il soit litt raire musical ou pictural L art a accompagn Rouaud tout au long de son parcours lui a permis de s exprimer de sortir du silence endeuill dans lequel il tait prisonnier Dans le premier volet de La Fianc e juive le p re et l art travers Mozart sont plac s au premier plan de la di g se Dans le dernier volet la chanson ce n est plus le p re mais une femme qui d croche le r le principal Mais l art a gard sa place pr sente d s le d but et ce jusqu la fin de l autobiographie l importance de l art reste au premier plan et surtout reste constante Que ce soit la litt rature la peinture la musique Rouaud passe par l art pour 30 Thid p 128 301 Thid p 118 302 Thid p 125 303 Ibid 118 raconter sa vie ses peines et ses joies L art en tant que th me principal et en tant qu essence m me de cette autobiographie L art en tant que refuge L art en tant que sauveur 119 Conclusion Nous voici parvenus au terme de cette analyse qui s tait fix comme bu
150. qu il aimerait taper dans la balle comme on exp die son enfance Et c en serait fini Ainsi le deuil qui sera tudi dans ce travail ne se limitera pas au travail fait pour surmonter le d c s du p re et des siens mais s arr tera galement sur les efforts fournis pour gu rir de cette perte brutale de ROUAUD Jean op cit 1990 p 188 ROUAUD Jean 1996 Le Monde peu pr s Paris Les ditions de Minuit p 27 7 l enfance qui a entrav le jeune Rouaud dans la construction de son identit identit qu il s est cr e avec mal au fil de l lan de sa plume au fil de son mode d emploi en cinq volumes de sa r surrection ainsi que celle de son p re par l criture et du salut qui vient des lettres se La Fianc e juive autobiographie la forme particuli re va permettre d tudier les th matiques de l criture de soi en relation avec l tat et le travail de deuil va inciter approfondir certains sujets voqu s en allant rechercher dans les livres de la saga familiale mais va galement permettre de tracer des liens entre les diverses formes d art qui apparaissent dans l uvre En effet Rouaud y voque la litt rature l histoire la peinture et y m le prose lyrisme et musique un morceau de blues crit compos et interpr t par Jean Rouaud lui m me tant fourni avec le livre La Fianc e juive se pr sente ainsi que men
151. que son accrochage th matique et ses bancs pour se reposer et laisser aller la r verie En tenant compte de cette intervention volontaire de l auteur et de la subjectivit qui en d coule et qui est donc indissociable de l criture autobiographique on se rend compte que l criture n op re pas pour tout dire car ceci serait impossible mais agit afin de n gocier et de comm morer le sens d une vie Prendre la plume pour crire son histoire est un moyen d affronter cette histoire et d essayer de trouver sa place d assumer son pass afin de reprendre le contr le de soi et de sa vie Transcrire sa vie sur papier peut donc avoir comme but de donner un sens sa vie et dans certains cas de prendre sa revanche sur elle gr ce une version revue et corrig e dont nous sommes les metteurs en sc ne Le texte qui raconte une existence s empare donc de cette existence car les critures une fois fix es deviennent une r alit autonome Dans ce sens Gusdorf dit que l criture du moi n est pas une imitation de la vie elle tend devenir l original Elle institue une m moire extra personnelle une identit de suppl ance tal e au regard d autrui et qui tend supplanter l identit premi re Et dans les termes de Rouaud Vous fouillez fouissez engrangez minutieusement une foule d informations et une fois celles ci consign es vous laissez derri re vous un terrain ret
152. ques temps Un labeur harassant l a conduit au bord de l puisement Il s en plaint parfois dans sa correspondance quoique devant sa femme il ait la d licatesse toute mozartienne de feindre l engouement Il craint m me de ne pas pouvoir achever l ouvrage en cours Toute l ambigu t de ce passage se trouve dans la variabilit r f rentielle du pronom il qui peut ici m me aussi bien faire r f rence au h ros du film c est dire Mozart qu au p re qui appara t tr s fatigu sa famille les jours pr c dant sa mort Notons que cette variabilit r f rentielle concerne tous les pronoms personnels Quant au p re Rouaud mettra dans cette premi re partie du temps le nommer c est cela ce corps de votre p re s affalant brutalement dans la salle de bains sous on ne sait quelle corruption de l organisme sans crier gare quarante et un ans un lendemain de No l alors que dans votre chambre vous entamiez la lecture de Chabert deux fois mort d pos parmi d autres pr sents au pied d un sapin c est cela qui vingt ans plus tard s autorisait enfin pleurer sous le couvert d une biographie illustre Nous constatons donc que tout se tient Rouaud a du mal prononcer son implication personnelle dans le texte Le d placement le plus tard possible de l aveu qu il s agit bien de son p re dont il parle l effort fourni pour enfin s identifier l orphelin du r c
153. r la r surrection par et travers l art et surtout parce qu elle m taphorise l acceptation de la mort donc l accomplissement du travail de deuil Ainsi ce tableau de La Tour accompagne plus ou moins explicitement le lecteur tout au long de l uvre et surtout dans L invention de l auteur dont la premi re partie donne une description d taill e et personnelle de ce tableau fondateur consid r par Sylvie Freyermuth sp cialiste de Jean Rouaud comme la clef de l uvre de l crivain et qui est introduit dans le contexte d une 264 VERDON Timothy op cit 2006 p 75 265 FREYERMUTH Sylvie op cit 2006 106 description de l atelier du p re de Jean Rouaud dans lequel l crivain p n tre de nombreuses ann es apr s le d c s tragique du p re Le Saint Joseph charpentier de Georges de La Tour regardez bien c est celui qui filtre de la porte ferm e du foyer vo t du fournil D ailleurs cet homme pench qui muni d une tari re perce un trou dans la poutre pos e au sol qu il maintient de son pied chauss d une sandale poutre qui est d j un morceau de la vraie croix et ce trou un avant trou pour les clous comme le confirme le maillet terre cet homme qui pose un regard inquiet et interrogateur sur l enfant car pr parant l instrument du supplice Si l uvre de ce peintre lorrain est donc voqu e explicitement dans L invention de l aut
154. r de fuir hors de soi de fa on se prot ger Avec la deuxi me personne du pluriel Rouaud va encore plus loin en se distanciant des v nements Il se d solidarise compl tement de la situation lorsque celle ci devient trop p nible Dans ces situations le vous devient une simple mesure d autoprotection L emploi de ce pronom caract ris par une int ressante plasticit r f rentielle semble donc dans certains cas tre une attente de compassion qui transforme l crivain en simple spectateur voire t moin de la souffrance Ainsi l emploi de ce pronom de deuxi me personne en qualit d nallage est une des caract ristiques tr s significatives de l criture roualdienne c est cela ce corps de votre p re s affalant brutalement dans la salle de bains sous on ne sait quelle corruption de l organisme sans crier gare quarante et un ans un lendemain de No l alors que dans votre chambre vous entamiez la lecture de ce Chabert deux fois mort d pos parmi d autres pr sents au pied d un sapin c est cela qui vingt ans plus tard s autorisait enfin pleurer sous le couvert d une biographie illustre L emploi de la deuxi me personne pluriel permet au lecteur de s identifier avec la situation narr e Il est face une description qui l implique directement qui le fait se transposer dans la situation comme si c tait lui qui la vivait directement En lisant ce passage le
155. r le romancier et l entreprise de reconstruction du temple de son corps a permis l crivain de sortir des t n bres pour revenir la 121 lumi re la vie et ce en traversant le clair obscur Et c est donc sur cette th matique de l art que s est resserr e la troisi me et derni re partie de cette analyse dans laquelle nous avons vu que l art omnipr sent dans de nombreuses formes fait partie int grante de l uvre trait e et ce dans son essence mais galement dans son contenu Ainsi des liens intrigants ont pu tre constat s entre la r alit de Jean Rouaud et Le Colonel Chabert de Balzac dans lequel l auteur narrateur enfant tait absorb au moment de la mort de son p re L hommage rendu la litt rature allemande travers les superpositions de la m re du romancier avec Mutter Courage personnage hors norme d une pi ce de th tre ponyme de Bertolt Brecht resserre les liens avec l Allemagne et balaye tout soup on de rancune envers ce pays qui appara t dans l uvre roualdienne surtout travers les horreurs des guerres Un long chemin a t parcouru entre l criture des Champs d honneur et de La Fianc e juive qui elle au contraire de cette premi re uvre de l crivain finit en beaut en chanson d une sublime tristesse par un blues crit compos et interpr t par Jean Rouaud en personne Dans La Fianc e juive Jean Rouaud est donc rest fid l
156. raphie Lignes de vie 2 Paris d Odile Jacob LEJEUNE PHILIPPE 1971 LE PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE PARIS D SEUIL COLLECTION PO TIQUE D CONSULT E 1975 HUBIER S bastien 2005 Litt ratures intimes les expressions du moi de l autobiographie l autofiction Paris Armand Colin DUFIEF Pierre Jean 2001 Les critures de l intime de 1800 1914 Autobiographies M moires journaux intimes et correspondances Rosny ditions Br al coll Amphi Lettres COLONNA Vincent 1989 L autofiction essai sur la fictionalisation de soi en litt rature Doctorat de lE HESS http tel archives ouvertes fr docs 00 04 70 04 PDF tel 00006609 pdf 05 02 2011 COLONNA Vincent 2004 Autofiction amp autres mythomanies litt raires Auch d Tristram 5 Autres uvres litt raires mentionn es BALZAC Honor de 1844 Le Colonel Chabert dition consult e Paris ditions Gallimard collection Folio 1999 BARTHES Roland 2009 Journal de deuil d Seuil coll Fiction amp Cie CIORAN Emil 1964 La chute dans le temps dition consult e Paris Gallimard Les Essais CXIV Paris 1987 COHEN Albert 1964 Le livre de ma m re dition consult e Paris Gallimard collection folio 2008 PROUST Marcel 1913 Du c t de chez Swann la recherche du temps perdu I dition consult e Paris ditions Gallimard collection Folio classique 2009
157. raphie en ancien fran ais http gallica bnf fr ark 12148 bpt6k1232686 image r iconologie ripa f7 langFR pagin ation 25 11 2010 284 Dans le premier volet de La Fianc e juive intitul La double mort de Mozart la mort de Mozart vu travers un feuilleton t l vis se superpose et se confond avec la mort de Joseph Rouaud 785 ROUAUD Jean op cit 2004 p 23 286 Thid p 247 112 charpentier pendant la guerre pour couvrir ses actes de r sistance Saint Joseph et il va encore plus loin en substituant cette expression de complicit pr sente dans ce tableau ses souvenirs qui eux deviennent de plus en plus flous En effet sa m moire ne lui permet pas de se reconstituer cette relation p re fils et l art lui donne la possibilit de combler ce n ant par la reconstruction id alis e mythifi e d une complicit presque divine L art pictural l imagination et l criture lui permettent de donner un visage au p re de le faire revenir d outre tombe de reconstituer le temple de son corps Il a retrouv l image du p re gr ce l art Ainsi un tableau d un peintre du temps de Louis XIII m a permis de revoir mon p re comme aucun souvenir ni aucune photo ne me l avait rendu depuis quarante ans 3 2 4 La dimension religieuse L image peut tre construite entendue et lue comme un r cit une narration ou un discours part enti re Elle permet de dire ce que
158. re aux drames importants de notre vie et de continuer vivre malgr les s quelles psychiques et psychologiques que ceux ci auront entra n es Cette qualit est li e la volont de s en sortir et de se surpasser afin de retrouver le go t de vivre et l panouissement La vie trouve sa valeur et son sens en elle m me elle est sa raison d tre et sa valeur la plus importante Oui je peux m imaginer ainsi Le vieil orphelin et ses cinq livres sur la question expliquant l orpheline aux yeux d extraterrestre qu il est possible de s en sortir Nous comprenons donc les raisons pour lesquelles le cerveau humain est organis pour limiter un trop plein de souvenirs qui finirait par l encombrer Dans sa fonction de tri et d organisation le cerveau se constitue une biblioth que de souvenirs dans laquelle beaucoup d entre eux ne trouvent pas de place long terme Ainsi en ce qui concerne une poque loign e comme par exemple l enfance du point de vue d un i KAHN Laurence 2000 Sigmund Freud 1897 1904 psychanalystes d aujourd hui oubli et souvenir Paris Puf p 23 25 12 CYRULNIK Boris 2000 Un merveilleux malheur Paris ditions Odile Jacob 7 ROUAUD Jean op cit 2004 p 92 33 adulte faute de pouvoir tout stocker notre cerveau ne pr serve dans son casier m moire long terme uniquement les souvenirs li s un contexte affectif inten
159. re de fa on impalpable et pourtant bien pr sente et ce sous forme du chiffre trois ainsi que de ses multiples Nous avons en effet d j voqu la redondance de ce chiffre dans l architecture notamment de la Fianc e juive ainsi que dans le style de Jean Rouaud L uvre de celui ci est amplement marqu e par une organisation soumise au chiffre trois repr sent de fa on r p titive dans les deux l ments indissociables d une uvre litt raire la forme et le contenu On ne peut voquer la dimension religieuse de l uvre en rapport avec la mort et le deuil sans voquer le ph nom ne de la r surrection du Christ ressuscit le troisi me jour conform ment aux critures En effet la croyance en une nouvelle chance une nouvelle vie apr s le d c s constitue un message d esp rance dans la mesure o J sus a vaincu la mort et cette chance nous est peut tre galement donn e ainsi qu nos proches Ce message d espoir qui va l encontre de l id e de fin d finitive et de n ant si difficile accepter apr s la disparition d un tre aim est pour les croyants une vigoureuse consolation et un partenaire fid le du travail de deuil En effet la r surrection est le signe de la victoire sur la mort qui n est plus envisag e comme une issue fatale et in luctable de l existence humaine mais peut tre consid r e comme une tape susceptible d tre d pass e D ailleurs le mot r sur
160. rection est d fini par le Nouveau Petit Robert comme tant le retour de la mort la vie mais galement le retour l existence l activit avec l id e d un nouvel essor parfois de progr s Il est donc int ressant de constater que le terme de r surrection relatif au ph nom ne li au Christ donne galement un sens dans le contexte de l entreprise litt raire de 7 http www jean rouaud com 25 03 2011 2431 Corinthiens 15 4 http www info bible org Isg 46 1Corinthiens html 25 03 2011 24 Le Nouveau Petit Robert de la langue fran aise 2007 89 Jean Rouaud cette affaire de r surrection par le texte qui redonne une deuxi me vie au p re une existence litt raire mais qui dans sa fonction d alli du travail de deuil permet Jean Rouaud de se lib rer de ses fant mes de tenter lui aussi de sortir de cette tombe dans laquelle la tristesse l a enferm avec le p re et ce l image des fleurs plant es dans la jardini re creus e dans la pierre tombale ce surgissement hors du granit c est comme si les petites fleurs en perforant une des pierres les plus dures qui soient taient parvenues se frayer un chemin vers la lumi re comme si leur exemple il tait possible de s chapper de la fosse maudite Les rapports serr s qu entretiennent les textes de Rouaud avec les r f rences bibliques placent le sacr et la litt rature qu
161. rempez la madeleine dans votre tasse de th Go tez Ca ne vous rappelle rien Et oui a nous rappelle en effet quelque chose notamment le passage c l bre et fondamental sur la petite madeleine extrait de Du c t de chez Swann 1913 premier volume d la recherche du temps perdu et qui r sume lui seul la conception proustienne de la m moire et de la cr ation deux notions galement fondamentales de La Fianc e juive Et tout d un coup le souvenir m est apparu Ce go t c tait celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin Combray ma tante L onie m offrait apr s l avoir tremp dans son infusion de th ou de tilleul La vue de la petite madeleine ne m avait rien ne subsiste apr s la mort des tres apr s la destruction des choses seules plus fr les mais plus vivaces plus immat rielles plus persistantes plus fid les l odeur et la saveur restent encore longtemps comme des mes se rappeler attendre esp rer sur la ruine de tout le reste porter sans fl chir sur leur gouttelette presque impalpable l difice immense du souvenir 7 Comme Marcel narrateur de Du c t de chez Swann Jean Rouaud fait revivre par le biais de sa m moire de ses souvenirs les visages et les lieux de sa petite enfance Les souvenirs li s l art de l criture permettent l un et l autre de peindre une soci t de faire revivre des personnages e
162. rie et pourtant elle est racont e en premier C tait la loi des s ries en 63 YOURCENAR Marguerite 1988 Quoi L Eternit Paris Gallimard p 279 29 somme martingale triste dont nous d couvrions soudain le secret un secret vent depuis la nuit des temps mais chaque fois recouvert et qui brutalement r v l martel nous laissait stupides abrutis de chagrin C est grand p re qui a clos la s rie alors que celle du p re qui est le premier d c s est repouss e jusqu la fin De plus l v nement fatal de l ann e 1963 est racont par un long d tour celui de la mort d un autre Joseph fr re a n de tante Marie et d c d le 26 mai 1916 la guerre L crivain a encore du mal affronter cette mort et le fait de l crire revient revivre ce moment fatidique La plaie est encore trop vive elle n est pas encore cicatris e et m me si l ombre du p re traverse toute l uvre de Rouaud il a encore beaucoup de mal en parler de fa on explicite D ailleurs ce ph nom ne de d tournement et de diversion se retrouve galement dans le style de Rouaud qui est parsem de digressions qui permettent l crivain de se laisser aller dans l criture mais qui lui vitent galement d en arriver trop brusquement l o a fait mal L effort fourni par l crivain pour enfin nommer la mort l puise tel point qu il en arrive la fin des Champs d honne
163. rie et fonctionnement Paris Armand Colin collection fac MAINGUENEAU Dominique 1994 L nonciation en linguistique fran aise dition consult e Paris Hachette sup rieur 1999 MAINGUENEAU Dominique 2005 Linguistique pour le texte litt raire dition consult e Armand Colin coll Lettres sup 2007 MOLINI Georges 1993 La stylistique dition consult e Paris Presses Universitaires de France 1997 RIEGEL Martin PELLAT Jean Christophe RIOUL Ren 1994 Grammaire m thodique du fran ais dition consult e Paris PUF 2006 126 8 Sur le deuil COMTE SPONVILLE Andr CZECHOWSKI Nicole DANZIGER Claudie DOLTO Fran oise sous la direction de 2004 Deuils vivre c est perdre Paris Hachette Litt ratures Pluriel BACQU Marie Fr d rique HANUS Michel 2001 Le deuil Paris Presse universitaires de France coll Que sais je no 3558 DE BROCA Alain 1997 Deuils et endeuill s dition consult e Paris d Masson collection m decine et psychoth rapie 2001 GLAUDES Pierre RABATE Dominique Modernit s 21 2005 Deuil et litt rature Presse universitaire de Bordeaux HANUS M SOURKES B M 1997 Les enfants en deuil Portraits du chagrin Paris d Frison Roche JANIN DEVILLARS Luce 2005 Ces morts qui vivent en nous Paris dition Fayard LAUFER LAURIE 2008 L nigme du deuil Paris PUF 9 Sur la psychanalyse
164. rme interrogative de l nonc En effet du point de vue de la linguistique le vous renvoie une personne de dialogue Il y a donc change communicationnel entre un je nous et un tu vous et l emploi du vous permet au lecteur de se sentir directement interpell par le je qui parle Le vous en tant qu interlocuteur participe l nonciation La situation juridique des interlocuteurs entra ne des obligations aux deux p les de la communication ainsi l emploi de l imp ratif suppose la mise en pr sence directe de l nonciateur et de l allocutaire au travers d un acte d nonciation par lequel le premier cherche agir imm diatement sur le second Notons galement le mode interrogatif employ en combinaison avec le pronom de deuxi me personne pluriel qui par d finition est un nonc qui se pr sente comme ayant pour finalit principale d obtenir de son destinataire un apport 4 ROUAUD Jean op cit 2008 p 72 45 FREYERMUTH Sylvie op cit 2006 46 DUCROT Oswald 1984 Le Dire et le dit Paris d de Minuit 41 MAINGUENEAU Dominique 1994 L nonciation en linguistique fran aise dition consult e Paris Hachette sup rieur 1999 p 57 22 d information Il y a donc double interpellation du lecteur le premier par le mode assertif et le deuxi me par l interrogation qui ont tous deux une forte valeur illocutoire Nous avons vu plu
165. s Pour ce fait elle suppose une corr lation entre disciplines connexes telles que la linguistique la po tique la rh torique et la pragmatique qui permettront en effet de r aliser une interpr tation qui met en valeur le caract re indissoluble du contenu et de la forme dans la mesure o la forme en effet manque l id e n est plus Chercher l un c est chercher l autre Ils sont aussi ins parables que la 10 yp Ibid MOLINI Georges 1993 La stylistique dition consult e Paris Presses Universitaires de France 1997 bid p 1 2 substance l est de la couleur et c est pour cela que l Art est la v rit A 13 se m me Georges Molini explique galement que l interpr tation dont il s agit v ritablement la stylistique interpr tative se situe deux autres niveaux c est l analyse des liens entre les mises en formes verbales les configurations mat rielles du discours les traits marquants des r gularit s textuelles et les caract res majeurs d un univers d une vision du monde d une id ologie ce rapport le rapport tabli par ces liens s appelle on le sait une esth tique La stylistique interpr tative a pour t che du moins pour horizon de d crire le fonctionnement d une esth tique ses composantes sa port e ses valeurs pt La stylistique permet donc de concilier et de rapprocher diverses disciplines en relation avec la langue
166. s des d tails quant au physique du d funt s estompent le son de la voix ne r sonne plus tout fait de la m me mani re Malgr tous nos efforts on oublie le visage de nos morts Je crois d ailleurs savoir que c est ce qui vous tracasse ce visage du disparu qui se refuse vous appara tre pendant votre sommeil Car vous r vez bien s r qu il surgisse du tableau noir de vos r ves qu il vous adresse d outre tombe travers les voiles de la mort par le biais du monde nocturne un coucou tendre Apr s tout si son reflet se d robe peut tre se forme t il ailleurs et dans ce cas on doit s agiter beaucoup dans les coulisses du r ve pour obtenir la bonne sortie Cette m moire qui nous fait si souvent faux bond est certes essentielle la vie comme l a montr le philosophe Bergson car sans elle nous ne pourrions m me pas avoir de conscience cependant elle est galement un frein potentiel car pour vivre au pr sent il ne faut pas rester prisonnier du pass D o l importance de l oubli qui s lectionne ce qui est utile la vie La m moire est indispensable notre pens e en ce qu elle permet entre autre d am liorer notre comportement l aide d exp riences que nous avons v cues Ainsi c est elle qui cr e l harmonie de notre personnalit en lui pr servant un pass c est elle qui nous permet de retenir les mots et la grammaire d une langue les habitudes les coutumes
167. s Busclats p 9 10 5 STALLONI Yves op cit 2006 p 270 54 rp Ibid 24 l uvre et dans la vie de Rouaud Outre cela nous constatons dans cet intitul l emploi de l article d fini en premi re mention Cet emploi a ici une valeur de soulignement et d emphase Il tend marquer l excellence la perfection typique ou procure m me au substantif auquel il est rattach une valeur de notori t Nous constatons d s lors que le contenu du titre son actualisation ainsi que la majuscule sont autant d l ments qui conf rent cette femme une place importante aux yeux de l auteur D autant plus que la derni re section du livre ainsi que le blues crit compos et interpr t par Rouaud porte galement cette d nomination Cependant il est un d tail qui peut avoir son importance dans la relation qu entretient ce titre avec l autobiographie et donc avec la vie de l auteur La Fianc e juive est galement le titre d un tableau c l bre du peintre hollandais Rembrandt qui est consid r comme un des peintres majeurs de l histoire de l art baroque europ en et de l cole hollandaise du XVI si cle Cette huile sur toile La Fianc e juive est une uvre qui date de la fin de la vie de l artiste et repr sente un homme qui prend sa fianc e dans ses bras en posant d licatement sa main droite sur la poitrine de la jeune femme Ce geste dont mane une grande tendresse marque le bonheur e
168. s haut que le vous ne constitue pas proprement parler le pluriel de tu mais qu il s agit plut t selon les termes de Benveniste d une personne amplifi e Vous d signe donc tu tu tu ou bien tu il il Dans ce cas on peut affirmer que Rouaud s adresse donc aux lecteurs pluriels L on peut toutefois galement supposer que l auteur interpelle un lecteur unique Dans ce cas il s agit du vous de politesse qui correspond non pas ni PE o a PR 50 une addition d unit s mais une amplification de la personne Toutefois ce vous se diff rencie du tu qui appara t partir de l avant derni re section de La Fianc e juive intitul e Les promenades de Saint Louis Il s agit du dernier volet crit sous forme de r cit car celui ci est uniquement suivi du texte de la chanson qui donne son titre l uvre et qui la cl t Si l utilisation par Rouaud de la deuxi me personne du singulier laisse un peu perplexe au d but la derni re phrase de ce volet lucide le lecteur quant la personne qui se cache derri re ce tu Et tu sais comme je d teste le froid ma ch rie Le lien qui existe entre le ma ch rie et l identit de cette fianc e juive est pos par le rapport de suite entre les deux interpellations Car comme nous venons de le voir le ma ch rie qui cl t ce huiti me volet est directement suivi du titre du dernier vol
169. s l avons compris parle beaucoup de la mort et du deuil mais dont le style en porte galement la marque ind l bile 2 4 La spirale ascendante Sylvie Freyermuth montre dans son ouvrage quel point l uvre roualdienne est marqu e et travers e par la figure de la spirale ascendante qui est tr s intimement li e au th me de la remont e En effet de nombreux passages de l uvre de Rouaud d montrent cette volont de remonter la surface voire plus haut afin de sortir des t n bres d une part mais peut tre m me avec une ambition encore plus grande celle d une remont e la lumi re de la reconnaissance du monde de la litt rature Sylvie Freyermuth appuie sa th se sur de nombreux exemples tir s des divers livres de la saga familiale mais La Fianc e juive en donne galement de bien convaincants notamment dans le troisi me volet Station Les S urs Calvaire o l crivain d crit le 187 Thid p 21 188 Jbid p 22 18 FREYERMUTH Sylvie op cit 2006 p 95 190 Ibid 1 Thid p 95 69 kiosque journaux dans lequel il a travaill de nombreuses ann es avant d tre sauv par sa r ussite litt raire en 1990 pour se saisir du bon num ro nous nous transformions en cosmonautes ou astronautes dans leur habitacle r duit toujours se contorsionner pivoter s agripper pour se hisser jusqu la revue rare plac e tout en haut ou
170. s la vie ainsi que dans l uvre de Jean Rouaud En effet si ce tableau est le plus pr sent dans le roman charni re qui marque l volution de Rouaud et son acceptation de soi et de son pass malheureux L invention de l auteur qui lance le d but de la deuxi me tape de l uvre de l auteur et fait le r cit de la r demption par l art Sr porte en lui tout le p riple du jeune orphelin qui a choisi de passer par l art pour faire le deuil de son p re et de son enfance boulevers e subitement ce lendemain 257 Voir annexe no 1 258 FONTANIER Pierre Les Figures du discours Paris Flammarion coll Champs Classiques Gi Cf FREYERMUTH Sylvie 2011 sous presse L antre ventre dans le roman roualdien ou les lieux de r surrection n p communiqu par l auteur 101 de No l o son p re s est affal sur le sol de la salle de bains victime d un arr t cardiaque Cette toile contient en effet tout dans son clair obscur tout ce qu on trouve dans ce premier cycle la puissance de la lumi re et des t n bres la relation p re fils et l espoir de la r surrection 3 2 1 Saint Joseph Charpentier Cette toile qui date des environs de 1640 est d couverte en 1938 peu de temps apr s la red couverte de l uvre de Georges de La Tour Elle fait alors partie de la collection de Percy Moore Turner Ce marchand anglais le propose la National Gallery de Londres mais celle ci ne r uss
171. sans r ponse et qui sont autant d entraves son bien tre et l accomplissement de son travail de deuil N anmoins la question acte de langage d finie par Catherine Kerbrat 3 Orecchioni comme tant un nonc qui se pr sente comme ayant pour finalit principale d obtenir de son destinataire un apport 224 Doui gt d information implique un metteur ainsi qu un r cepteur On reconna t partout qu il y a des propositions assertives des propositions interrogatives des propositions imp ratives distingu es par des traits sp cifiques de syntaxe et de grammaire Or ces trois modalit s ne font que 77 ROUAUD Jean op cit 2004 p 34 223 KERBRAT ORECCHIONI Catherine 2005 Les actes de langage dans le discours Th orie et fonctionnement Paris Armand Colin collection fac 224 Thid p 86 83 refl ter les trois comportements fondamentaux de l homme parlant et agissant par le discours sur l interlocuteur il veut lui transmettre un l ment de Fe 225 connaissance ou obtenir de lui une information ou lui intimer un ordre Le probl me dans ce passage de l Invention de l auteur est d identifier cet interlocuteur sollicit par Rouaud d autant plus que cette succession d interrogatives est compos e de question partielles ee qui ne se contentent pas d un oui ou d un non pour r ponse mais l information d
172. se la reconnaissance d un individu par soi m me mais galement par les autres La reconstruction de l identit sociale implique donc la reconnaissance par autrui Dans le cas du Colonel c est l avou Derville qui va s appliquer trouver des t moins dont les r cits fonderont la base de cette reconnaissance n cessaire au redressement de l identit car les seules affirmations du principal concern ne peuvent suffire parce qu insuffisantes prouver sa propre identit C est donc cela que le Colonel Chabert recherche la reconnaissance entre autres de sa femme de ce qu il est ou esp re tre L exemple du personnage de Balzac met donc en vidence le besoin existentiel de la reconnaissance d autrui dans la mesure o l homme est un tre fondamentalement social et que la reconnaissance sociale des autres hommes est une part essentielle de notre propre personnalit En ce qui concerne le Colonel de l Empire cette reconnaissance recherch e passe par la recherche du recouvrement de sa fortune et ce moins pour des raisons mat rielles que pour les liens qui unissent cette fortune la gloire militaire pass e forme extr me de cette reconnaissance sociale Le cas de Chabert est donc li la Fianc e juive par le th me de cette double mort du personnage principal qui dit un moment qu il est 93 celui qui est mort Eylau Cette d claration du colonel porte en elle seule l affir
173. se et des v nements marquants Tout ce qui pourrait tre qualifi de banal et d ordinaire v nements inutiles la construction de l identit de l intelligence des connaissances ou de l affectivit s estompe au fil des jours En sachant que l image et la connaissance que nous avons des personnes qui nous sont proches se construisent sur une dur e plus ou moins longue on comprend ais ment que l image pr serv e du p re soit insuffisante l panouissement de l crivain qui souffre de ce vide autour de la figure paternelle Le temps de vie commune qui leur a t accord a t trop bref s ajoute ceci que ce p re tait cause de son travail fr quemment absent et surtout que plus de vingt ann es s parent le moment de ce d c s inattendu du moment de l criture des Champs d honneur Tous les l ments sont ainsi rassembl s pour rendre plus que flous les souvenirs r els et personnels concernant ce p re pisodique D s lors en consid rant ce vide pesant qui entoure la figure du p re les difficult s de Rouaud aller de l avant deviennent videntes et sont d ailleurs confirm es par l auteur Mais aussi longtemps que vous ne voyez pas que cette figure en travers de votre chemin vous demeure nigmatique vous demeurez un genou au sol immobile attendre que l information remonte que l image apparaisse comme une photographie au fond d un bac Il s av re donc
174. t rature dans le champ social a sa l gitimit Qu est ce qui justifie faire des uvres litt raires quoi sert la litt rature dans la soci t Quelle est la place de l crivain Tout crivain s efforce de r pondre la question de l utilit de la raison d tre de la litt rature ce propos il faut se replacer dans le contexte litt raire dans lequel ba gnait le futur crivain Jean Rouaud claircit ces interrogations lors d une conf rence tenue le 12 mai 2009 l universit de Luxembourg Il rapporte alors que lorsqu il tait tudiant Nantes c est dire dans les ann es 70 on tenait pour v rit que le roman tait mort Ceci tant confirm par le succ s de La mort de l auteur de Roland Barthes paru en 1968 Rouaud explique que la mort du roman c est une fa on de tuer le fait de pouvoir raconter des histoires de parler de la soci t Comment faire d ailleurs pour en raconter apr s la guerre apr s la collaboration de la France avec le r gime nazi C est ce que l crivain explique dans Mort d une certaine id e In Pour une litt rature monde En 1973 il tait donc acquis qu on n crivait pas pour t moigner mais uniquement pour le jeu formel vingt ans Jean Rouaud est sensible l air du temps et son ambition n est pas de raconter le monde ou sa vie mais de cr er des phrases qui cr eraient un sens par elles m mes Le futur crivain avait
175. t son propos et veut vite en finir ce qui explique le point final ill gitime Ce malaise face aux reproches adress s sa d funte m re met en vidence la culpabilit de Rouaud face aux sentiments ressentis envers les personnes qui ont t l origine de sa grande souffrance Tous ces l ments prouvent qu au bout de cinq livres Rouaud est toujours en plein travail de r tablissement et que ce travail n est pas encore fini En effet c est justement le sentiment de culpabilit qui caract rise le travail de deuil et qu on ne peut parler de fin de deuil ou plut t d tape nouvelle tant donn qu il n existe pas r ellement de fin ce processus qu une fois le sentiment de culpabilit lev Nous avons galement vu plus haut que le traumatisme auquel Rouaud doit faire face ne se limite pas la perte de personnes proches et aim es et il devient vident la lecture de ce passage que la perte que d plore Jean Rouaud n est pas uniquement celle du p re mais bien celle de son enfance de cette p riode de sa vie qui aurait d tre heureuse et insouciante et qui au contraire a stagn dans la tristesse cause de l attitude de la m re i SBACQU Marie Fr d rique HANUS Michel 2001 Le deuil Paris Presse universitaires de France coll Que sais je no 3558 p 63 156 Thid p 21 39 meurtrie par la douleur Celle ci a en effet de fa on inco
176. t dans ses livres soit lui m me et ce de fa on introspective Il s agirait donc d un appel au secours destin aux lecteurs fid les compagnons discrets de l crivain ou bien un effort douloureux de trouver les r ponses ses questions au fond de lui m me dans la part du p re qui continue vivre en lui Remarquons ce propos la nouvelle r currence du chiffre trois qui revient fr quemment dans l uvre roualdienne et dans ce passage pr cis sous la forme de trois pronoms le je qui pose les questions le il axe autour duquel tournent ces interrogations et enfin le tu non exprim mais sous entendu dans la forme interrogative qui suppose un interlocuteur Ce chiffre de la trinit nous rappelle la dimension religieuse du deuil et la fa on de concevoir la mort Nous y reviendrons un peu plus loin 4 FREYERMUTH Sylvie op cit 2006 85 2 6 Au nom du P re du Fils et du Saint Esprit La religion catholique ses rites et ses croyances ont impr gn l ducation des enfants Rouaud M me si l crivain s avoue non croyant il reconna t l influence de cette ducation dans son uvre remplie de r f rences bibliques Il m aura fallu longtemps avant de reconna tre que mon imaginaire venait de l de cette histoire vieille de deux mille ans ancr e dans une histoire plus ancienne encore et dont chaque ann e comme des cureuils en cage nous parcourions le cycle de la naissance
177. t de relever les th mes convoqu s et les m thodes employ es par Jean Rouaud qui permettent d affirmer que l criture est un moyen de raconter le deuil mais galement de le vivre Cette autobiographie dont la classification repose en grande partie sur le texte en quatri me de couverture d voile sur le ton de la confidence souvent par le biais de nombreux d tours certaines tapes fondamentales de la vie de l auteur narrateur et notamment l v nement central qui a boulevers son existence la mort pr matur e un lendemain de No l de son p re alors que Jean Rouaud n a que onze ans Malgr les difficult s du romancier assumer son identification avec le personnage et c est ce qui nous est montr par l emploi particulier des pronoms personnels et surtout par celui de la premi re personne du singulier la co ncidence entre l auteur et le narrateur prouv e de fa on explicite que tardivement n appara t aucun moment comme une tentative de taire son identit mais comme une mise distance voulue en raison des difficult s affronter et reconna tre un destin douloureux En effet si Rouaud prouve du mal prononcer son implication personnelle dans le texte et qu il a recours de nombreuses digressions des d tours des superpositions entre personnages r els et personnages fictifs de nombreux l ments dont le pacte autobiographique certes particulier font appara tre le caract re
178. t l harmonie qui semble r gner entre ces deux personnes En anticipant un peu sur une prochaine partie de l analyse qui va nous amener nous arr ter plus longuement sur l art pictural notamment en analysant l importance du tableau St Joseph Charpentier de Georges de La Tour il est n cessaire de faire un petit d tour sur les techniques de travail de Rembrandt dans la mesure o elles ont certaines caract ristiques communes celle de La Tour En effet une des caract ristiques majeures de l uvre de Rembrandt ainsi que de La Tour est l utilisation de la technique clair obscur qui a pour effet d attirer le regard par le jeu des contrastes entre la lumi re et l obscurit et qui est tr s appr ci e de Jean Rouaud Rembrandt a galement le don d exprimer la compassion et l humanit travers l expression de ses MOLINI Georges op cit 1993 p 169 25 personnages Ses th mes pr f r s sont le portrait ainsi que les sc nes bibliques et historiques Rien dans le texte ne prouve que Rouaud fasse r f rence ce tableau dans le titre de son autobiographie et qu il existe un lien avec l art pictural ne serait ce la proximit d un peintre dans la sc ne qui se d roule dans le jardin du Luxembourg et dans laquelle il nous parle justement de sa fianc e juive Nous avions rapproch amoureusement nos chaises au bord du bassin de Marie de M dicis dans le jardin du Luxembourg et nous t
179. t pass Jean Rouaud et qui a influenc sa vie d adulte ses rapports au monde aux tres humains et donc forc ment ses textes il est indispensable de bien comprendre ce qu est en r alit le deuil le travail de deuil et quelles en sont les tapes essentielles Pour cela il est n cessaire de se r f rer aux tudes de sp cialistes en la mati re cette partie de l analyse va donc en premier lieu tenter de d finir la notion de deuil et son d roulement Se sont les recherches et th ories de psychiatres psychologues et psychanalystes qui vont fournir les informations scientifiques n cessaires cette analyse litt raire ax e sur la th matique du deuil dans l uvre de Jean Rouaud 2 1 Notion de deuil Comme nous l expliquent Michel Hanus et B M Sourkes dans leur ouvrage Les enfants en deuil le mot deuil d rive du latin souffrir dolere Il a plusieurs sens et est encore en pleine volution En effet la signification de ce mot a beaucoup chang au cours des derni res BSHANUS M SOURKES B M 1997 Les enfants en deuil Portraits du chagrin Paris d Frison Roche 54 d cennies Pratiquement depuis les origines et jusqu aux ann es d apr s guerre le deuil d signait les usages et coutumes qui accompagnaient la mort de quelqu un Il d signait donc exclusivement les usages impliqu s par le d c s d un tre humain Une personne touch e par la mort d un proche portait en effet son
180. t que c tait plus facile faire passer que prix Nobel de litt rature ou Chateaubriand ou rien ce qui ce d fi lanc la face du si cle le dix neuvi me est pour le moins gonfl Il est m me tonnant que personne n ait pens se frapper la tempe du bout de l index en pensant tr s fort mais pour qui se prend il celui l Or le plus incroyable c est que celui l le fanfaron arrogant fut non pas Ch teaubriand mais Victor Hugo ce qui de fait n est pas rien m me si DE Se 62 personnellement et d finitivement c est le vicomte que j aime 6l CHIANTARETTO Jean Fran ois CLANCIER Anne ROCHE Anne sous la direction de op cit 2005 Ibid p 65 28 Ainsi cette bipolarit de l criture autobiographique renvoie au fait qu un autobiographe qui cherche soit restituer son pass tel qu il l a v cu ou le raconter la lumi re de son moi actuel crit dans les deux cas au nom de ce moi actuel donc avec forc ment du recul volontaire ou non L auteur porte un regard critique sur ce qu il a v cu et qu il est en train de raconter Il juge ces v nements et les justifie la lumi re de ses connaissances actuelles et tente d tablir des liens de causalit entre eux Diff rents tats du moi se croisent et se succ dent dans l uvre autobiographique pour enfin aboutir au moi de l crivain en train d crire Cependant ce moi
181. t surtout d offrir une vision po tique du pass et de leur histoire personnelle De sorte que la madeleine donc les souvenirs et la remont e la surface de sensations motionnelles est la cl qui m ne au c ur du naos celui ci tant le point de d part la premi re pierre de la construction de 2 ROUAUD Jean op cit 2008 p 72 2 PROUST Marcel 1913 Du c t de chez Swann la recherche du temps perdu 1 dition consult e Paris ditions Gallimard collection Folio classique 2009 p 46 99 la pi ce la plus importante d un temple d gypte antique Selon les croyances anciennes c est lui qui abrite la divinit Rappelons dans ce contexte que l entreprise d criture de Rouaud vise justement reconstruire le temple de son p re C est en effet la m moire qui constitue le point de d part et l essence m me de cette reconstruction litt raire de la figure du p re laquelle se destine la saga roualdienne D ailleurs le d but de la sous partie suivante de La Fianc e juive la carte au tr sor Vient confirmer cette interpr tation Mais ce temple perdu il s agit maintenant de partir sa recherche de le d busquer un authentique travail d arch ologue pench au dessus d une carte et tentant de poser la pointe d un stylo l endroit suppos de son enfouissement dans cette jungle de la m moire Il est galement int ressant de constater la m
182. tal pour ce qui va advenir l uvre peint du fils ses mises en sc nes mystiques sa galerie E 272 des saints Ainsi l accent est pos sur la relation filiale et sur la destin e du fils d autant plus que la suite du texte continue sur cette lanc e Admettons nous sommes Vic sur Seille Mais ici que vient faire ce tableau pr texte Pour quelle raison l intrusion non pr m dit e de ce huis clos t n breux quand il y a peu nous tions ivres de vent voluant librement au milieu des grands oiseaux de mer Est ce cause de ce regard du p re qui semble interroger son gar on comme s il devinait que celui l l enfant photophore ne marcherait pas sur ses traces ne serait ni charpentier ni boulanger Qu y a t il de moi qui continue en lui Rouaud trouve donc des l ments dans le tableau ainsi que dans les personnages de La Tour qui lui permettent de se reconstruire une repr sentation visuelle de son p re d c d et dont les traits sont devenus flous son esprit Plusieurs dizaines d ann es pour reconstruire une image qui fuit d autant plus que le temps passe L crivain se retrouve et retrouve son p re dans cette toile qui lui permet de redonner un visage au d funt en l identifiant au personnage de saint Joseph De l il nous invite une plong e une travers e de ce clair obscur du pays de l enfance dont nous proc dons Ce qui vous est jusqu
183. te qui a pour fonction d identifier et de d signer une uvre cr e une attente chez le lecteur Leo Hoek qui d finit le titre comme un ensemble de signes linguistiques qui peuvent figurer en t te d un texte pour le d signer pour en indiquer le contenu global et pour all cher le public vis Ph pointe du doigt l horizon de lecture mais galement la promesse faite au lecteur de r pondre cette attente Cela dit certains auteurs tendent d jouer cet horizon d attente et ainsi violer le pacte de lecture pass entre l crivain et le lecteur Selon le critique suisse Robert Jauss c est ce qu on fait par exemple et de mani res diff rentes Diderot C line ou les Nouveaux Romanciers En effet bien qu il s agisse d une autobiographie donc par d finition d une uvre centr e sur l auteur nous constatons que d apr s ce titre Jean Rouaud se met en retrait Cette constatation vient renforcer ce qui a t dit plus haut au sujet de la mise en retrait de l auteur En consid rant la personne rattach e au tu de l avant derni re section c est dire cette fianc e juive comme tant un personnage quoique discret du livre nous pouvons classer ce titre sous la cat gorie de titre fonction th matique qui actualise simplement un personnage de l histoire et qui tablit l importance de ce personnage dans ROUAUD Jean 2010 vangile selon moi Paris ditions de
184. tie de l analyse va donc mettre en lumi re les raisons qui ont pouss Jean Rouaud d voiler une grande partie de sa vie et de celle de ses proches Elle va essayer de mettre en vidence la compl mentarit et la r ciprocit entre la mort et l criture dans la mesure o Rouaud s est servi de l criture pour t moigner de la mort et faire son travail de deuil mais qu en m me temps le d sir d crire s est assouvi travers et gr ce cette mort qui a donn mati re ce besoin vital d crire Du moins tait ce ma version officielle celle ce pr alable de l criture qui pr tendait que l id e d crire pouvait s imposer sans qu elle ait quelque S 4 RATS 84 chose dire et que donc dire arrivait en second 81 ROUAUD Jean op cit 2004 p 113 BARTHES Roland 2009 Journal de deuil d Seuil coll Fiction amp Cie 3 Ibid p 125 ROUAUD Jean op cit 2004 p 41 37 1 4 1 La l gitimit de l autobiographie Dans le cas de l autobiographie ou de la litt rature en g n ral la question de la l gitimit de la litt rature en tant qu art doit tre pos e En effet pourquoi est ce int ressant de publier un livre quoi sert la litt rature Est ce l gitime d crire sur soi L crivain doit se justifier d crire Il est en effet confront deux sortes de l gitimit dans le champ de la litt rature et dans le champ social Est ce que la lit
185. tion d honorer sa signature Ainsi le lecteur pourra prononcer certains doutes quant la ressemblance mais non quant l identit Dans une autobiographie il ne s agit donc pas forc ment d tre r aliste sur les v nements de son existence et des personnes qui en font partie mais d en d voiler sa vision personnelle Ainsi il est fort possible que les personnages qui apparaissent dans l uvre de Rouaud et notamment la figure du p re ne correspondent pas totalement une r alit objective mais plut t la vision que l enfant a retenue de ces personnages ou encore ce que l adulte veut bien retenir et croire en vue d une certaine id alisation de personnes qui en v rit n avaient gu re d attributs les faisant merger de la banalit Rouaud dont on apprend au fil de la lecture de ses romans une certaine aversion ou du moins une certaine souffrance provoqu e par ce manque de relief au d but a reste en travers de la gorge cette enfance sans qualit dans un pays sans charme qu on ne sait par quel bout prendre ainsi peut tre voulu se persuader du contraire en id alisant son entourage ou faute de pouvoir le sortir de la banalit au moins le faire conna tre et reconna tre d s lors inutile de parcourir le monde la recherche de ce lieu id al reste trouver la formule D s lors il s agit d analyser la d marche de Rouaud qui se trouve
186. tionn par Rouaud lui m me sur la quatri me de couverture comme une sorte de carte de visite en neuf volets neuf parties dont une sous divis e en six sous parties Ces neufs volets constituent chacun des sortes de fragments d autobiographie relatant les instants importants donc les tapes essentielles du parcours initiatique de Rouaud qui ont fait du petit orphelin de douze ans un crivain reconnu et couronn du Prix Goncourt pour son premier livre Les Champs d honneur en 1990 La mort subite du p re les personnages importants qui ont marqu son enfance les autres membres de sa famille qui ont disparu sa m re ch rie et son magasin de porcelaine son Kiosque journaux tous et tout y trouvent une place dans ce livre qui marque non seulement l aboutissement d une qu te d identit de la part de l orphelin et de l homme plein d ambition mais gu re s r de lui qui malgr tout r ussit en fin de compte s assumer et assumer son statut d crivain mais propose en plus le r sum des livres pr c dents avec un certain recul de la part de l auteur 7 ROUAUD Jean 2004 L Invention de l auteur Paris ditions Gallimard p 93 Ibid p 312 ROUAUD Jean op cit 2008 quatri me de couverture 8 donc avec un regard critique sur sa propre vie ainsi que sur le r cit de sa vie Si la quatri me de couverture d voile le contenu du livre elle inscrit galement l uvre dans le
187. tisation fait partie du proc d et de l accomplissement du deuil car la douleur est domin e apprivois e sublim e par l art 3 2 La Fianc e juive et la peinture Nous allons pr sent nous pencher dans le cadre de cette analyse sur la relation qu entretient le texte avec la peinture et plus pr cis ment avec la pi ce ma tresse qui appara t dans les livres de Rouaud St Joseph Charpentier de Georges de La Tour Au vu de l importance de ce tableau dans la vie ainsi que dans l uvre de Jean Rouaud nous nous pencherons un peu plus longuement sur l analyse de cette toile qui a largement contribu au choix ou la n cessit de passer par l art pour faire son deuil Cette toile du peintre lorrain a en effet une importance majeure dans l uvre de Rouaud dans la mesure o elle traduit le lien profond qu entretient ici le texte avec l image mais surtout en ce que la toile de Georges de La Tour intervient dans le texte de Rouaud comme une all gorie dont le sens litt ral ainsi que le sens figur et spirituel montrent d tonnants liens avec l uvre et la vie de l crivain La toile en tant qu all gorie repr sente une pens e sous l image d une autre pens e qui la rend plus sensible et plus frappante que si elle tait pr sent e directement et sans aucune esp ce de voile Son interpr tation va permettre de comprendre l importance de cette repr sentation picturale dan
188. tits orphelins de leur sombre quotidien et leur faire oublier le temps de la lecture de ces revues d chiquet es gt leur malheur d endeuill Et voil qu en fin de compte la boucle du malheur ne se referme pas compl tement mais cette l g re remont e va redonner un peu de force pour affronter la vie Ainsi Rouaud rend hommage non seulement ses parents et sa grand tante Marie mais galement ces personnages sans descendance vou s l anonymat et l oubli qui gr ce leur gentillesse et au souci de leur prochain se sont fait une place dans la m moire de l auteur reconnaissant leur gard Il en va de m me du fr re Honorat instituteur des coles chr tiennes et de l cole Saint Joseph que fr quentait le jeune Rouaud et qui appara t comme un ange chassant les d mons de l ennui du milieu de nulle part donc de Campbon o Rouaud a pass son enfance Honorat au plus haut des cieux titre du sixi me volet de La Fianc e juive rend donc hommage cet homme qui gr ce son savoir encyclop dique et son savoir faire avec ses jeunes l ves mettait un peu de couleur dans leur vie en suscitant leur curiosit leur imagination et leur admiration devant le savoir et les trouvailles de la modernit Tous ces personnages ont donc chacun sa fa on contribu la remont e vers 123 RIEGEL Martin PELLAT Jean Christophe RIOUL Ren op cit 1994 dition co
189. tue galement un rep re essentiel la compr hension de l identification de Rouaud avec l expression artistique Je l avais vue la figure appara tre au fil des phrases comme ligne ligne une image sur un b linographe dans une sombre lumi re rougeoyante de forge d guis e l ancienne cheveux en moins et rides en plus mais que trop d indices rendaient suspecte la fonction le travail du bois le pr nom Joseph le lien un p re et son fils le doute n tait pas de mise Pas lui pas mon p re tout de m me Eh bien si Lui Les bras m en sont tomb s Il me semblait pourtant avoir puis tous les mots pour le sortir de l ombre le rendre pr sent se 285 le r animer Ce regard de L opold que j imaginais se poser sur son gar on install devant le clavecin c est le m me que celui de Joseph dans le tableau du ma tre de Lun ville interrogeant en silence l enfant lumi re l authentique divin enfant celui l Je ne saurai jamais si un regard semblable s est port sur moi Rouaud avoue qu il a recours l art pour combler les lacunes de sa m moire l effacement des souvenirs plusieurs dizaines d ann es pour reconstruire une image qui fuit d autant plus que le temps passe Ainsi il va jusqu s identifier au jeune gar on du tableau de La Tour identifier le p re qui d ailleurs s appelle galement Joseph et qui tait 282 G
190. u en d sespoir de cause il a pris rendez vous pour le lendemain chez un rebouteux Vous le d couvrirez avec stupeur bien des ann es apr s en feuilletant son agenda Ce qui vous laisse cette trace crite posthume l impression trange que le lendemain de sa mort il tait encore en vie et que sa vraie disparition date du premier feuillet vierge de son carnet La graphie de la vie l image du calendrier qui d cerne une place certaine au lendemain des portes s ouvrent des portes se ferment et sur le calendrier il y a comme la promesse du lendemain le calendrier est noir sur blanc 1 43 L criture du temps Au plan psychologique la vie est per ue par l auteur narrateur comme un continuum et la successivit semble d couler d un rapport de causalit Cependant le r cit que l auteur en fait peut tre discontinu et fragmentaire et proposer ainsi selon les termes de S bastien Hubier des clats d une vie faite d instants toujours singuliers C est ainsi que Rouaud a con u son autobiographie en fragmentant le r cit de La Fianc e juive en neuf volets chacun d eux consacr un moment d cisif de son parcours initiatique Dans le premier volet de ce texte Rouaud joue avec la chronologie et fait alterner le pass et le pr sent donc le temps du v cu et celui de l criture En effet si la th matique centrale de ce premier volet est bien entendu la mort du p r
191. uerres modernes cruelles et d une technicit extr mes Les longues phrases complexes structur es par 250 ROUAUD Jean op cit 2008 p 25 97 coordination et juxtaposition refl tent les d rives de ces guerres modernes soi disant d une pr cision chirurgicale mais qui en r alit tuent un grand nombre de civils Lorsque l crivain commence parler des guerres l ancienne la structure des phrases change elles deviennent courtes simples et pr cises l image de ces guerres qui se faisaient pied sr La mise en relation des guerres et de sa m re n est pas anodine et au contraire elle r sume en elle seule le combat men par cette femme courageuse tout au long de sa vie Car en effet pour Annick maintenir son petit magasin de porcelaine c tait mener une guerre perp tuelle contre les grands commerces O l on voit que le commerce jeunesse mouvement change retraite a beaucoup en commun avec la guerre Et pour ma m re une guerre pacifique jamais un mot plus haut que l autre jamais une invective jamais la plus petite pi ce ind ment retourn e pas la moindre tentative de fraude Et si l on en juge par le succ s modeste mais incongru de sa petite affaire ce fut de bonne guerre 3 1 3 Un arr t sur Proust Au vu de la place importante d di e l art et la litt rature dans La Fianc e juive Proust auquel Rouaud voue une grande admiration ne pouvait
192. ui ont boulevers son existence mais il continue de livre en livre raconter l histoire des Rouaud et leur offre ainsi une monnaie d change pour r gler une dette et apaiser ce sentiment de devoir leur gard il les sort de l anonymat et les immortalise en leur donnant une existence litt raire 2 3 Tu me donnes je te donne L orphelin devenu adulte est en effet confront tous ces manques qui constituent la base irr cup rable de son histoire personnelle Sa personnalit ne peut se comprendre qu en relation avec cette histoire douloureuse Ma personnalit ce fut le deuil qui l enfanta gt S Cette d claration d Andr Blanchard est tout aussi bien applicable Rouaud o la mort du p re d finit son tre et hante ses textes Cette mort du p re suscite chez l orphelin devenu adulte un souhait de comm moration par laquelle la dette de fils se trouve provisoirement r gl e le lien filial r tabli et le mort tenu distance dans le souvenir Le fait d crire sur le 177 ROUAUD Jean op cit 2004 p 123 178 BLANCHARD Andr Messe Basse Carnets 1990 1192 Erti 1995 p 110 66 p re en rappelle l existence parmi les vivants et lui cr e en suppl ment une survie litt raire Mais cette situation demeure difficile pour l orphelin dont la pr sence des morts leur souvenir ou leur comm moration sont autant de liens qui rattachent l endeuill la mort l entravent dans son vol
193. ulation ainsi que l emploi de mots excessifs servent montrer au lecteur le sentiment de d sespoir dans lequel se trouve le jeune Rouaud qui croit sa peine et son deuil ternels ce moment il n y a aucune place pour une lueur d espoir Cette suite r p titive est repr sentative des malheurs qui touchent la famille suite rapide d v nements douloureux mais qui connote galement un sentiment de fatalit de la part de l crivain accabl par autant de malheur Cf la phrase incipit des Champs d honneur Dans l histoire des rites fun raires on sait que plus tard des d p ts d offrandes ont accompagn l ensevelissement des d funts Janin Devillars nous explique que l offrande est ce qui est offert aux dieux ou ses repr sentants et constitue la base essentielle du rite De plus dessins 14 ROUAUD Jean op cit 1993 p 63 75 ROUAUD Jean op cit 1996 p 61 80 et fresques glorifiant la chasse et selon elle inventant peut tre la magie tapissent les grottes Qu est ce qu un rite sinon une op ration magique un enchantement l origine des peintures rupestres bien plus que le contour d une forme animale plus ou moins aboutie l homme primitif trace autre chose Il compose une image vitale en fabriquant l animal lui m me dans un lan de magie cr atrice Et c est bien ce que fait Jean Rouaud par la description litt raire de la peinture comme dans le t
194. ur vouloir tout abandonner oh arr tez tout Rouaud se sent incapable d aller plus loin ne se croit pas en mesure d crire un autre roman Et pourtant plusieurs romans vont suivre qui vont permettre aux lecteurs de suivre entre autres l volution de l tat d esprit de l crivain face l l ment central de son uvre cette borne monumentale du 26 d cembre Une attention particuli re doit tre port e sur l emploi de l imp ratif dans cette derni re phrase du premier roman de Rouaud Il suppose la mise en pr sence directe de l nonciateur et de l allocutaire au travers d un acte d nonciation il n y a pas place ici pour un d coupage chronologique Ce oh arr tez tout est donc comme ext rieur au r cit Il ne fait pas partie des v nements relat s par Rouaud mais situe l nonc par rapport au moment d nonciation qui est le moment d criture On imagine l crivain de trente sept ans laissant tomber brutalement son stylo sur son pupitre se levant en repoussant de ROUAUD Jean op cit 1990 p 9 6 Jbid p 188 6 ROUAUD Jean op cit p 93 7 MAINGUENEAU Dominique op cit 1999 p 57 30 fa on brusque sa chaise derri re lui et quittant la pi ce le texte et la douleur devenus insupportables Maintenant une lecture attentive de La Fianc e juive permet d observer une r actualisation de cette expression arr tez t
195. urtout des amoureux du verbe des motions sinc res et bouleversantes propose au lecteur dans ses cinq premiers romans ceux du cycle de Minuit un r cit poignant sur sa vie mais surtout sur sa vie envahie et impr gn e par la mort de ses proches et en particulier par celle de son p re un lendemain de No l alors que le jeune Rouaud est peine g d onze ans Cette vie qui ne cessa de s acharner sur lui et sur sa famille en emportant dans les mois qui suivirent le d c s du p re sa tante Marie et son grand p re paternel Si ces v nements sont surtout relat s dans les cinq premiers livres de Rouaud dit s aux Editions de Minuit et que l on a coutume d appeler les livres de la saga familiale La Fianc e juive post rieure au cycle de Minuit parue en 2008 chez Gallimard reprend toutes les th matiques importantes de son uvre et constitue une sorte de condens des textes pr c dents en tra ant par fragments les tapes essentielles de l enfant qu il tait jusqu l crivain qu il est devenu et qui non sans difficult s finit par s assumer en tant que tel Jean Rouaud est donc bien aujourd hui reconnu en tant qu crivain important de notre poque Son parcours quelque peu particulier m rite que l on s y attarde un moment afin de mettre en vidence l volution du personnage de sa conception de la litt rature ainsi que de ses sentiments face aux moments d cisifs de sa vie et
196. ut aussi tre consid r e comme un rite de partage en sachant que partager sa souffrance est essentiel pour surmonter la tristesse due au deuil Ce qui soutient une personne dans le deuil ce qui lui permet de maintenir sa structure de tenir debout c est la possibilit de partager Cela constitue d j un 216 JANIN DEVILLARS Luce op cit 2005 p 51 717 BARTHES Roland 2009 Journal de deuil d Seuil coll Fiction amp Cie p 245 81 rite car parler de son chagrin avec un autre c est se construire des souvenirs qui chapperont la b ance terrifiante laiss e par la disparition Partager son histoire et ses souffrances avec le lecteur c est en effet ce que fait Jean Rouaud dans sa saga familiale Le r cit des heures qui pr c dent la mort du p re sa chute dans la salle de bains le moment LE sont fatidique de la mort confirm e par la phrase terrible c est fini des moments tr s poignants de la lecture des Hommes illustres Sylvie Freyermuth d montre que le moment tragique du d c s revient d une fa on quasi obsessionnelle dans l uvre de Jean Rouaud mais de fa ons diff rentes Par exemple dans certains passages Jean Rouaud pr sentera la date du d c s au lendemain de No l alors que dans d autres vocations il choisira de la situer par rapport la Saint Jean qui est f t e le 27 d cembre Le r cit de ce moment fatidique du d c s emprunte chaque fo
197. uth note galement que Jean Rouaud r v le dans la toile de La Tour non seulement les liens p re et fils qui manent des personnages repr sent s mais que la toile d voile galement une troite attache du peintre en tant que personne r elle avec ses parents tant donn qu il voit dans l atmosph re en clair obscur de la toile et dans la posture du p re une repr sentation inspir e du fournil du p re boulanger de La Tour comme le correspondant musical des tableaux nocturnes du fils du plus illustre boulanger de Vic sur Seille ce qui n est pas anecdotique car c est la nuit qu on fait le pain la lueur du four et le trait de lumi re qui traverse les doigts de la main de l Enfant J sus dans le Saint Joseph Charpentier de Georges de La Tour regardez bien c est celui qui filtre de la porte ferm e du foyer vo t du fournil cet homme s il tait vraiment occup percer le madrier devrait s incliner davantage tout son corps peser sur la vrille cruciforme on sentirait cet effort prolong intense qui gonflerait les veines de ses tempes mais visiblement ce Joseph l n est pas charpentier Ces m mes avant bras forts aux poignets puissants plongeons les dans le p trin et nous voyons bien que la posture convient mieux celui qui m lange la farine le levain l eau et le sel Son affaire c est le pain Ce qui de toute mani re revient au m me puisque le pain c est le corps
198. ution en le retenant du c t du n ant et l emp chent d adh rer pleinement l existence de na tre au monde des vivants Et moi rien Qu est ce que je suis Son porte plume Un porte croix En effet il faut savoir que l endeuill n a pas seulement perdu un proche il a galement renonc ce qu il tait pour le mort Rouaud a donc non seulement perdu son p re mais il a tout autant t amput d une partie de son statut de fils Perdre l autre c est aussi perdre en moi ce que l autre emporte de moi avec lui Ceci implique qu en d cidant d crire sur la mort du p re Rouaud a tent de re construire son moi en ressuscitant son d funt p re afin de remplir le n ant d absence et ce en essayant de retenir son image en sollicitant sa m moire mais aussi sans doute son imagination Car la question se pose de savoir quelle histoire on doit inventer pour s inventer Ecrire sans toutefois savoir o aller mais crire pour tracer une histoire et surtout crire pour t moigner Car si Chateaubriand disait que la vraie mort c est quand meurt le t moin lui m me il est d autant plus important pour Rouaud d endosser ce r le de t moin que son pr nom Jean semble le pr destiner dans la mesure o St Jean c est ce disciple qui t moigne au sujet de ces choses et qui les a crites Ceci tant d autant plus important pour Rouaud que les derni res paro
199. vie sujet exploit dans des romans et des 174 La Grande Librairie pr sent e par Fran ois Busnel France 5 mission du 10 mars 2011 HS COHEN Albert op cit 1964 dition consult e Paris Gallimard collection folio 2008 p 10 176 ROUAUD Jean op cit 2004 p 19 65 nouvelles c l bres tels que The Picture of Dorian Gray d Oscar Wilde ou encore le portrait ovale d Edgar Allan Poe A la diff rence pr s qu il s agit ici non pas d une fiction mais bien de la r alit ce stade Jean Rouaud n est donc d finitivement pas encore sorti de l auberge endeuill e et un long chemin reste faire car la culpabilit plane au dessus de l crivain on reste avec son cadavre sur les bras sans trop savoir comment s en d barrasser sans trop oser sachant tout le respect qu on doit aux morts que de tout temps on s est appliqu les soigner et qu on ne les traite pas comme de vieux chiffons que l on jette ou que l on recycle en billets de banque 7 Les maux de Rouaud adulte sont donc certes en relation avec le traumatisme v cu pendant son enfance ainsi qu avec l attitude de la m re cependant l crivain a certainement aussi du mal g rer cette r ussite qui repose et d pend de l v nement le plus tragique de sa vie C est peut tre pour cette raison que Jean Rouaud ne se contente pas d crire un seul livre sur sa famille et sur les d c s tragiques et successifs q

"La fiancée juive" de Jean Rouaud - Bibliothèques de l`Université de

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