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Hyacinthe Azaïs, diariste ambulant

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1. crire mon journal In dit 6 octobre 1801 Pour tenir un journal comme pour crire une lettre il fallait du papier un support stable pour appuyer le papier une plume plume d oie taill e au canif et de l encre dans un encrier C tait une occupation d int rieur Il existait des critoires de voyage petits meubles c est dire ensembles mobiles n cessaires criture permettant d emporter avec soi tout ce qu il fallait pour crire mais qui ne dispensaient pas de s installer m me en voyage on crivait assis sur une chaise devant une table ou quelque chose qui en remplissait la fonction D ou l tonnement que met en sc ne Karl Philipp Moritz quand son h ros Anton Reiser se met a crire sur le talus au bord d une route Pour ce voyage il s tait muni d une carte grande chelle de la Basse Saxe d un encrier portatif et d un carnet aux pages blanches car il entendait tenir soigneusement son journal de route Premi re publication dans le n 28 2008 de Lalies p 221 227 Son impatience et son nergie croissaient avec chaque pas qui l loignait des portes de H et il tait ce point enthousiasm par son entreprise qu quelques lieues seulement de H il s assit sur un talus en bordure de la route planta devant lui dans le sol son encrier qui tait muni d une tige pointue et a demi tendu commenga a r diger son journal Quel
2. Me voil redescendu au centre de cette enceinte laquelle on donne dix huit cents toises de tour Le soleil n en claire plus le fond il ne frappe que le c t auquel appartient la grande cascade Il frappe aussi il p n tre un tr s beau nuage de forme arrondie dont on ne voit que la moiti et qui s est plac exactement comme s il e t voulu figurer le fronton de l difice Ce bel accident ajoute la r gularit du monument Mais comme il est passager un l ger vent le saisit il se r sout en lambeaux qui eux m mes se dissipent il ne me donne point le temps d crire d j a disparu cette coupole pompeuse et la cr te si fi re si prononc e de ces monts superbes ne se dessine plus que sur l aimable azur des cieux Un quart d heure de marche Je vais me reposer sur ce tertre recouvert de gazon Qu entends je quel bruit effrayant a retenti dans ces montagnes L tonnement a augment ma frayeur un coup violent semblable un coup de canon mais un coup sourd et terrible quelque masse tomb e Mais je n ai rien vu c est sans doute dans l int rieur de ces monts Dieu que mon me est encore saisie d pouvante Est ce que dans cette journ e auguste je devais aussi recevoir le signal du d part J ob is eal BIBLIOGRAPHIE Hyacinthe Azais Hyacinthe Azais Journal volumes I IX manque le volume IV sans nom d auteur respectivement 179
3. portefeuille Insensiblement je suis arriv aupr s d une tr s jolie fontaine ayant toujours sous mes regards le charmant vallon de Luz c toy le long de la montagne o je me trouve par le gave de Saint Sauveur et travers dans sa longueur par le gave de Bar ges J cris je me prom ne et je parcours un tr s agr able chemin qui m tait inconnu Mille fois en jouissant d une id e si heureuse je me demande pourquoi je ne lai pas eue plus t t In dit 14 septembre 1800 Il est voluptueux d crire l instant actuel me voil parvenu toujours marchant et crivant Car si l criture reste en aval de l ordre du diff r en amont elle colle ici au r f rent si bien que la distance aval par une sorte d effet de miroir nous semble annul e nous aussi nous y sommes Dans les journaux tr s d velopp s qu il tient Saint Sauveur pendant ces mois d t o il revient la vie Aza s joue de deux mani res sur cet effet Puisqu il est musicien je dirai qu il s en sert tant t pour la m lodie tant t pour l harmonie Mais d abord un mot sur ce journal de Saint Sauveur crit de juillet septembre 1800 Nous le connaissons sous deux formes Une copie au sein de la copie g n rale du Journal faite apr s 1809 par son pouse il s est mari sur le tard en 1808 et sa femme est devenue sa collaboratrice copie dans laquelle elle saute mais signale par des renvoi
4. 179 144 128 129 134 157 et 258 feuillets Il commence le 20 mai 1799 et s ach ve au d but d octobre 1802 Paris Biblioth que de l Institut 8 volumes cote 2637 2645 Hyacinthe Aza s Un mois de s jour dans les Pyr n es Paris Leblanc 1809 pr face de Mme Azais 227 p Baude Michel Le Moi venir Paris Klincksieck 1993 tudes sur R tif Aza s et le journal anniversaire Philippe Lejeune Un journal d Aza s in De Perec etc derechef M langes offerts a Bernard Magn recueillis et pr sent s par Eric Beaumatin et Mireille Ribi re Paris Joseph K 2005 p 275 285 Autres r f rences L art de l criture Recueil de planches sur les sciences et les arts lib raux et les arts m chaniques avec leur explication Paris Interlivres 2001 Reproduction en fac simil des articles critures et Caract res et alphabets des langues mortes et vivantes de l Encyclop die de Diderot et d Alembert Jean Jacques Rousseau Les Confessions et autres textes autobiographiques Paris Gallimard Pl iade 1959 p 162 368 404 Karl Philipp Moritz Anton Reiser trad G Pauline Paris Fayard 1986 p 278 Joyce Irene Whalley Writing implements and accessories From the Roman stylus to the typewriter Detroit Michigan Gale Reserach Co 1975 Henry Petrosky The Pencil a History of Design and Circumstance Faber amp Faber London Boston 1989 Et aussi des crayons crit
5. salutaire au corps et l esprit il varie pour ce dernier les points de vue ce qui donne du jeu l imagination Je m assois je me rel ve je m incline je m appuie je fais ce que je veux sans que ma table me quitte dans son assiette horizontale Je fais autant de pas qu il en faut pour trouver l expression d une pens e alors je m arr te partout o je me trouve debout assis peu m importe ma plume va toujours C est ainsi qu l instant actuel me voil parvenu toujours marchant ou crivant en face de Luz et dans la direction pour mes regards du Gave de Bar ges J ai pris ce soir le petit sentier qui son d but domine le chemin de Saint Sauveur et conduit au village de Sazos Je sens que dans cette position et dans cette occupation je ferais sans fatigue et sans m en apercevoir la route d ici au Pic du Midi Paris au bout du monde pourvu que je ne fusse point press L id e d crire ainsi est d une simplicit singuli re et peut tre n tait elle encore venue personne Je l avais eu peu de jours avant d aller Gavarnie et elle a singuli rement contribu l agr ment de mon voyage Cependant mon parapluie servant de support horizontal mon portefeuille tait incommode placer et pesant porter Ce matin il m est venu je ne sais d o et je ne sais comment l id e de le r former et me voil marchant toujours sans autre bagage que mon
6. Hyacinthe Azais diariste ambulant On conna t peu ou m me plus du tout Hyacinthe Aza s 1766 1845 Il obtint quelque notori t pour son trait philosophique Des compensations dans les destin es humaines 1809 Apr s 1850 on l oublia Seul les pyr n istes se souvinrent de lui de temps autre pour se moquer d Un mois de s jour dans les Pyr n es 1809 livre dont je vais faire l loge Dans les ann es 1970 Michel Baude retrouva et tudia son extraordinaire journal anniversaire de 1811 1844 Aza s avait tenu parall lement 366 journaux un par jour de l ann e C tait un philosophe m diocre mais une sorte de g nie du journal intime En tout cas un pionnier ce qu il fit n avait jamais t tent avant lui ni m me imagin Et n a gu re t imit depuis Je voudrais voquer ici son premier journal tenu de 1798 1803 in dit dont une copie se trouve conserv e la Biblioth que de l Institut Paris huit volumes plus de deux mille pages Quel dommage pour nous et pour lui que l original en soit perdu En effet une de ses inventions fut l criture de plein air comme les impressionnistes ont pratiqu la peinture de plein air Autant que l authenticit du lieu ce qu il cherchait c tait celle du moment Il tait en qu te de l instantan M de Charri re taquinait Benjamin Constant qui morcelait ses lettres en notant chaque heure de r daction elle l
7. Jean Baptiste Jalon n en 1771 de cinq ans son cadet lui fait un cadeau qui va tout changer pour lui La complaisance de mon jeune ami m a procur aujourd hui un petit meuble que son usage me rendra pr cieux C est une bo te en fer blanc pouvant contenir l aise une petite provision de papier du format dont je me sers en ce moment un petit critoire quelques plumes un canif et une feuille de carton un peu plus grande que mon papier Tout cela est enferm d une mani re tr s portative et telle sera ma compagnie habituelle dans mes promenades solitaires qu il me sera permis de faire un jour Ce portefeuille aura l avantage de garantir de la pluie tout ce qu il contiendra et de tenir toujours ma disposition en voyage et partout o je pourrai me trouver ce qui me sera n cessaire pour que je puisse d poser sans cesse les impressions re ues par mon c ur et les observations de mon esprit Mon journal entre autres pourra ainsi ne se trouver jamais interrompu J ai c d l impatience de jouir tout de suite de cette petite acquisition J ai t crire sous ma fen tre du Nord dans la position o je pouvais me supposer en pleine campagne la facilit avec laquelle j ai pu le faire m a t bien agr able et elle m a transport bien vite au temps o je pourrai crire en pleine nature dans quelqu une de ces positions d licieuses que mon imagination d couvre ais ment la faveur de mes so
8. are remonte se dissipe tout cela n est il que de l eau Mais non de l eau ne m pouvanterait pas je fr mis une grande fournaise s est d fonc e Grand Dieu arr te ferme le volcan un flot n attend pas l autre Mon Dieu quelle impression je tremble je n y puis tenir A 1 heure 45 min Quelle vo te la fois brillante et sombre Je suis sous le plus fort pont de neige Mais je me retire j en parlerai ailleurs je suis glac par le froid A 2 heures 5 min Au pied de la cascade elle m inonde A 2 heures 15 min C tait un beau spectacle je n ai pu le peindre sur place J tais mont sur un rocher pic qui domine de deux ou trois toises le pied de la cascade je n y tais pas moins inond je n ai pu y rester que le temps n cessaire pour admirer un superbe arc en ciel que je m attendais voir et que je ne pouvais voir que de 1a car c tait le seul point o je pouvais me mettre entre le soleil et la vapeur Ici je ne veux point me permettre des r flexions des discussions des conjectures je ne veux que peindre Revenu a Saint Sauveur et enfonc dans ma cabane je me livrerai a l examen de tous les d tails qui auront rest dans mon souvenir Quittons cette lavange levons encore une fois la t te Dieux que cette cascade est belle Suivons le m me c t de l enceinte Demi heure de marche A 3 heures 10 min
9. espace et suspendue dans le vague des airs 2 septembre Un mois p 56 ANNEXE Extraits de Un mois de s jour dans les Pyr n es 1809 p 122 129 A 11 heures et demie O suis je et quel lieu de repos ai je choisi Un rocher norme sert d appui une forte masse de neige Vers l une des extr mit s un faible intervalle les s pare je me suis introduit dans cet intervalle presque rempli par mon corps Le bloc de neige se rel ve sur ma t te en commencement de cintre il se rapproche du rocher C est travers ces deux masses presqu aussi dures l une que l autre qu en levant les yeux je vois en ligne sinueuse et serr e l azur d un beau ciel Mais sortons d ici il y fait froid midi Plac sur les bords du torrent abrit contre le soleil par un bloc de marbre qui au besoin me garantirait d une lavange je suis en face de la grande cascade qui dans peu de minutes va tre frapp e du soleil J attends je guette ce moment comme l un des plus int ressants du spectacle Mais regardons l int r t augmente Le soleil commence caresser les premi res vapeurs c est lui qui les rend apercevables avant ce moment elles se confondaient avec le brun du rocher Grand Dieu que c est beau Quelle est cette mati re fondue embras e qui se verse torrents de cette hauteur pouvantable et cette fum e tincelante qui se s p
10. heureux Il aurait mieux fait de s en tenir la lettre d un journal qui tel quel est sympathique et original Le proc d m lodique c est de tenir son journal sous la forme d une cha ne de petits reportages minut s Aza s inaugure sa m thode lors d une excursion de trois jours au cirque de Gavarnie 10 12 septembre Un mois p 108 150 Il faut supposer qu il avait une montre m me s il n en parle jamais Minutage est peut tre un terme exag r il mesure le temps la louche par quart d heure demi heure ou heure enti re Il n en vient aux minutes et encore par multiples de cinq que dans les moments dramatiques Le second jour de son excursion 1h45 il est sous le plus fort pont de neige la notation est rapide il est glac par le froid 2h05 il note seulement Au pied de la cascade elle m inonde 2h15 ayant pris du recul C tait un beau spectacle je n ai pu le peindre sur place et il le peint longuement avec dix minutes de retard mais depuis un endroit sec Les notations sont s par es par des indications de d placements Un quart d heure de marche Elles sont br ves et sobres quand il d crit les transformations progressives du paysage mesure que le point de vue se d place Aza s souligne plusieurs reprises la sup riorit de l criture sur le dessin et la peinture parce qu elle peut int grer le temps Elles sont longues et empha
11. iture Il y a en effet un trait commun au journal minute des Pyr n es en 1800 et au journal anniversaire tenu de 1811 1844 la pratique de l criture comme exercice spirituel destin vous placer la pointe aigu de l instant l attention port e au pr sent le souci d en fixer la trace et en mettant ces traces en s rie de saisir quelque chose qui ait rapport avec l ternit Je remarque enfin que cette passion d inscrire le lieu et le moment dans l criture s accompagne de la manie inverse d ins rer l criture dans le lieu et le moment en effet quatre reprises au cours de son excursion Gavarnie Aza s grave son nom sur des rochers Un mois p 112 et 146 ou son initiale sur le tronc d un fr ne ibid p 36 ou d un h tre ibid p 120 comme s il signait le paysage en y apposant sa trace acte que dans l instant m me bien s r il note dans son journal J ai pr f r dans cette tude citer des passages de m tadiscours sur l criture o Aza s manifeste mes yeux son intelligence et son intuition plut t que ses descriptions de paysages qui pourraient le faire paraitre pompeux et naif On trouvera en annexe quelques extraits du journal de Gavarnie qui permettront de s en faire une id e Il est vident que les carnets du fondateur du pyr n isme Ramond de Carbonni res 1755 1827 publi s en 1930 sont plus pr cis et riches que ceux d Aza s J ai lu e
12. jonglait il avec la plume et l encrier J ai du mal l imaginer Il fallait bien malgr tout se poser quelque part Anton Reiser on l a vu avait plant son encrier et s tait demi tendu Comment faire debout C est apr s son premier essai lors d une excursion de trois jours Gavarnie qu il fit le point sur son invention dans la longue entr e qu on va lire Comment son parapluie pouvait il servir de support son portefeuille Et s il le faisait comment Azais a t il pu ensuite comme il le raconte ci dessous s en passer en le r formant J y perds mon latin mais je fais confiance cet homme candide et inventif Dans une note de son livre de 1809 Un mois p 161 il confirme avoir d s 1801 r duit le dispositif une simple planche tr s petite tr s l g re ficel e sur son b ton qui lui a permis de noter en plein air tout son syst me philosophique J ai remarqu dans une autre occasion pourquoi il est dans notre nature de ne parvenir que tard a la d couverte des id es originales et simples c est parce qu il tait bon que nos plaisirs et nos avantages fussent distribu s avec galit sur le cours de notre vie Ma mani re d crire en marchant est depuis aujourd hui d une facilit et d une commodit singuli re Je serais moins bien sur une table et je n aurais pas le plaisir de m avancer de me d placer cet exercice est tr s
13. moment de l criture Aza s a eu l id e originale de faire imprimer ces notations dans un corps plus petit et entre parenth ses un peu comme les didascalies d un texte de th tre Il n a recours ce proc d que sept fois au long de l ouvrage publi mais le lecteur prend vite conscience que d autres passages auraient pu avoir la m me pr sentation Voici l une de ces parenth ses le 8 septembre Un mois p 94 il est en train de d crire le paysage de montagne qu on d couvre depuis sa cabane lorsque Je m interromps pour prendre note ici de l admiration que me cause un charmant petit insecte Il a commenc par se promener sur ma main il parcourt maintenant la longueur de ma plume et il d crit minutieusement la morphologie de l insecte et s abandonne lyriquement son admiration Ces parenth ses ne sont pas malgr les apparences des digressions elles sont aussi pertinentes que les d veloppements qu elles interrompent Un journal en effet peut il avoir d autre sujet que ce qui vient la pens e ou tombe sous l attention de celui qui l crit Notre homme est si raisonnable que je n irai pas jusqu dire qu il a l intuition de l criture automatique ou de la libre association d id es Mais il a l toffe d un mystique et mes yeux il le prouve moins comme il le croit par ses motions devant les Pyr n es que par sa fascination pour l cr
14. n es Lib r en mai 1800 Aza s n eut gu re le temps d en profiter il tomba si gravement malade le 30 mai 1800 qu il fut trois ou quatre jours au seuil de la mort il appela cela mon coup de mort et ne se remit que lentement Il acheva sa convalescence de juillet a septembre 1800 chez des amis a Saint Sauveur sur le chemin de Gavarnie Deux mois de solitude de promenades et de r veries o l id e lui vint d crire en marchant Non plus recomposer le soir ce qu on a vu ou r v dans la journ e mais crire en direct sur le motif dans l instant Ce qui supposait de se servir enfin pour de bon de la petite bo te procur e par son ami Il voque r trospectivement en mai 1801 en pr cisant les perfectionnements qu il a lui m me apport s depuis au dispositif Je n crivais dehors il y a un an que sur une petite feuille de carton sur laquelle ma main ne pouvait tre suffisamment assujettie Ce ne fut qu Saint Sauveur et m me assez tard que j y substituai le portefeuille envoy et fait par mon ami Aujourd hui je me sers encore plus commod ment d une petite planche solide et cependant l g re qui peut entrer dans la grande poche que je lui ai destin e Mon portefeuille tenu la main me donnait l air fort embarrassant d un homme qui veut tre remarqu In dit 30 mai 1801 De la petite feuille de carton au portefeuille plus rigide il y a progr s Mais comment
15. n parall le leurs carnets d excursion Gavarnie Ramond en 1792 Aza s en 1800 Ramond est plus curieux et d taill plus sobre et pour tout dire bien plus int ressant Il note aussi les heures mais il les note le soir apr s coup C est l o Aza s prend sa revanche dans la vibration mystique du pr sent Certes c tait un g nie incomplet il n avait pas l art d une Eug nie de Gu rin qui savait en trois mots rendre la saveur de l instant Mais il a eu l id e que s il est utile de relever des chantillons g ologiques et botaniques ou d observer l habitat et les m urs ce n est pas perdre non plus son temps en voyage que de noter la fantasmagorie d un nuage jouant avec les sommets J allais ramener mon esprit sur la route de Coteretz je suspends un moment ce retour pour prendre note d un bel accident qui n a lieu que dans les montagnes L une de celles qui sert d enceinte au bassin de Luz est sous mes regards un nuage fortement dessin et formant une bande horizontale s pare le sommet de la montagne de sa base rebondie Cette pointe fait un bel effet entre le blanc d un nuage et l azur des cieux un si beau cadre lui donne une forme et une couleur plus tranchantes l imagination a besoin d appuyer ce sommet sur sa base car d ailleurs s par d elle par une vapeur fonc e qui ne peut rien soutenir il pr sente l id e d une masse imposante jet e dans l
16. ques cal ches pass rent et les gens pour qui un homme crivant sur un monticule au bord de la route devait on s en doute pr senter un spectacle bizarre se penchaient par la porti re aussi loin qu ils le pouvaient pour le regarder Anton Reiser trad G Pauline Fayard 1986 p 278 Jetez un il aux planches II et III de l article critures de l Encyclop die vous verrez qu crire est une affaire s rieuse Voici le mode d emploi Trois choses sont n cessaires pour crire un beau jour une table solide et un si ge commode La lumi re que l on re oit du c t gauche est toujours favorable lorsque de l endroit o l on crit on peut voir le ciel La table et le si ge doivent tre en telle proportion que la personne assise puisse couler ais ment les coudes dessus la table sans se baisser Cette attitude tant plus naturelle on doit la pr f rer toute autre Une table trop haute pour le si ge emp che le bras d agir et rend l criture pesante une table trop basse faire regarder de pr s fatigue le corps et force les effets de la plume Il faut donc autant qu il est possible se procurer toutes les commodit s afin que l criture acqui re plus de hardiesse et de l g ret Mais le crayon L Encyclop die n en souffle mot ici Invent en Angleterre la fin du XVI si cle il est pourtant d usage courant au XVIII si cle Mais il sert surtout au dessin pour l cri
17. s les passages du journal retenus pour l dition car cette section du journal a t publi e par Aza s en 1809 sous le titre Un mois de s jour dans les Pyr n es I avait d j lanc sans grand succ s un Essai sur le monde 1806 qu il d veloppera ult rieurement sous le titre modeste de Syst me universel Son livre Des compensations dans les destin es humaines 1809 avait t mieux accueilli mais trouvant qu on ne l appr ciait pas sa juste valeur Aza s voulut l gitimer ses th ories en montrant sa sensibilit devant la nature D o ce volume de 227 pages qui fut une premi re jusqu alors aucun journal intime n avait t dit en France du vivant de son auteur On avait depuis longtemps bien s r l habitude de publier des journaux de voyage Mais le titre au demeurant peu attractif le dit bien il ne s agit pas d un voyage c est un s jour Le livre r alise le programme des R veries du promeneur solitaire Rousseau avait promis un informe journal de ses r veries mais composa finalement des textes tr s concert s qui n avaient rien d un journal L initiative d Aza s est donc originale Pourtant il n est pas all jusqu au bout de la sinc rit le journal publi est s lectionn antidat 1797 au lieu de 1800 et agr ment la fin de d veloppements de fantaisie p 182 207 dont il faut reconna tre avec ses d tracteurs qu ils ne sont pas des plus
18. tiques quand il donne libre carri re l motion et plus proches alors du monologue de th tre ou du po me lyrique que du journal Qu entends je Quel bruit effrayant a retenti dans ces montagnes L id e est de substituer au temps recompos du r cit r trospectif le suspense d une s rie de pr sents sans cesse ouverts sur un avenir inconnu Ce reportage en direct se d veloppe de mani re th trale sous la forme d une sorte de monologue int rieur non fictif La veille de son d part pour Gavarnie il avait rod sa nouvelle technique en peignant minute par minute un lever de soleil 9 septembre Un mois p 99 ou bien en bougeant entre chaque paragraphe pour d crire les lieux o il vivait se pla ant chaque fois l endroit m me dont il parlait Ici je change souvent de position il n y a pas plus de deux minutes que j crivais la page pr c dente aupr s de ma cabane Tout l heure je l ai quitt e pour venir ici a l endroit ou sont situ s trois noyers et un ch ne j avais besoin d y tre pour pouvoir en quelque sorte parler sur place du charmant effet qui me sert a pr sumer par analogie le sort de ma jolie cascade Un mois p 102 103 Cette note est un exemple de ce que j appelle le proc d harmonique il consiste a tresser le texte du journal r cit d actions ou de pens es avec la notation du contexte sensations ou incidents contemporains du
19. ture il reste cantonn des usages subalternes provisoires ou pr paratoires ou des situations extr mes Il s efface ce n est pas une trace durable Personne n crirait une lettre ne tiendrait un journal ne composerait un ouvrage au crayon Les documents en archives sont pratiquement toujours l encre Faisons un petit d tour par les Confessions de Rousseau Parlant des voyages pied de sa jeunesse et voquant le regret de n avoir pas tenu journal de ses r veries il s exclame D ailleurs portais je avec moi du papier des plumes Les choses changeront quand il deviendra crivain deux reprises soulignant qu il n arrive crire et penser que sub dio il dira avoir l habitude d emporter dans ses promenades un crayon et un petit livret blanc Mais ces notes de plein air devaient dispara tre d s qu au retour elles avaient t recopi es ou exploit es l encre Ceci dit le petit livret devait avoir une couverture rigide appui fort utile Toujours est il que jamais Azais lui n voque de pr s ni de loin la possibilit d crire au crayon Dommage que l original de son journal soit perdu nous aurions su s il parvenait crire r guli rement proprement dans les situations mouvantes o nous allons le voir se placer En juin 1799 alors qu il est toujours reclus dans une des tours de l h pital de Tarbes son jeune ami il s agit du peintre
20. ui disait que ce n tait plus l un journal mais un heural Taquinons Azais il a tent un minutal Peut tre faut il avoir v cu en prison pour r ver crire en plein air Peut tre faut il avoir fr l la mort pour vouloir saisir la pointe la plus fine de l instant Ayant publi une brochure contre r volutionnaire en 1797 notre Azais musicien enseignant philosophe fut oblig apr s le coup d tat du 18 Fructidor 4 septembre 1797 de se cacher Il v cut reclus plus de deux ans jusqu en mai 1800 Douce r clusion certes d abord l h pital de Tarbes o des religieuses la cis es mais r sistantes le cach rent dans leur pharmacie puis dans des familles amies l h pital il lut saint Augustin m dita sur le temps et sur les compensations dans les destin es humaines et au bout d un an lui vint le projet de tenir un journal Il le commen a le 4 septembre 1798 D abord con u comme guide moral il l appelait mon petit surveillant ce journal devint vite le barom tre de ses passions amoureuses il y avait des jeunes filles dans ses familles d accueil le confident de ses r veries dans la nature il sortait parfois en catimini et surtout le laboratoire de ses id es le brouillon d ouvrages futurs Il s merveilla de la plasticit de la forme journal au point d crire un Jour d exaltation Si nous venions deux fois la vie je consacrerais la premi re
21. ure papeterie et publicit coord Thierry Deviynck Paris Somogy Biblioth que Forney 1996
22. uvenirs In dit 12 juin 1799 Tant qu il sera reclus les occasions d utiliser ce dispositif seront rares En mars 1800 il va passer deux jours a Lourdes en cachette mais il n emporte pas sa bo te et le regrette am rement J eus le regret de n avoir point port mes petits ustensiles d criture j aurais d peint sur les lieux au lieu de le faire aujourd hui par souvenir ce n est pas que ma description e t t plus exacte car j y suis encore mais J aurais eu le plaisir de dater ce tableau du lieu m me et du moment o il aurait frapp mes regards cette circonstance me l aurait rendu un jour plus agr able Je ne marcherai plus sans ma petite bo te je veux mettre tous mes plaisirs profit In dit 13 mars 1800 S il regrette sa bo te c est donc moins pour l exactitude de la description il a bonne m moire que pour le frisson d tre embray directement sur le temps un sentiment existentiel la R tif de la Bretonne qu il ne devait pas conna tre La date doit chapper tout arrangement toute fiction Le plaisir de dater consiste en notant la date tre en prise sur un peu d ternit faire co ncider par cette inscription le fugitif et l ternel et d autre part faire passer le courant rendre possible une transmission d ici et maintenant vers l avenir en se cr ant une gamme d anniversaires possibles au fil des an

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