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1. We all of us are distracted by so many practical things that we miss the mystery We should stop at times and consider the mystery Blavier 1979 610 Il lib re les objets comme on lib re des particules dans les cyclotrons en esp rant que ces particules lib r es s entrechoqueront et donneront acc s des niveaux d existence plus profonds Expert il guide ces chocs pour que l nergie contenue dans les objets se lib re en une intelligence nouvelle Les habitudes Dans la vie comme dans ma peinture je suis traditionaliste aussi m me r actionnaire j ai horreur du mobilier moderne des machines de la Science avec un grand S Blavier 1979 643 Cette d claration confirme une partie de notre hypoth se C est pr cis ment partir de l exp rience de ses routines et de ses habitudes que Magritte parvenait acc der la face myst rieuse des objets I would not go to a strange country to get new images I need the familiar world about me to get a S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 95 real sense of mystery I cannot do this in a strange country That would only be exotic and picturesque Ibid 611 Ce que Magritte appr cie dans son monde c est la fois la familiarit habituelle et les d calages qui mergent de temps autre de cette banalit m me Les objets qu il peint sont pour lui l occasion d voquer ces surgissements du myst re mais aussi2. 100 Dans Blavier page 674 Magritte ajoute L image po tique elle a t imagin e pour r pondre l int r t que nous avons naturellement pour l inconnu elle voque directement le myst re qui est un irrationnel r el 9 Nous supposons que ce mod le est une Pacific 231 Elle comportait un bogie porteur 2 essieux 3 essieux moteurs et un essieu porteur ici cach d o son num ro 231 dans la codification europ enne 10 L abri est la partie de la locomotive dans laquelle travaille l quipe de conduite compos e du chauffeur et du m canicien 11 Nous faisons ici r f rence la pertinence telle qu elle est d finie par Sperber D et Wilson W 1986 La pertinence est cette inf rence sociale et contextuelle qui rend une option signifiante plus viable que les autres 12 Ah Je n aime pas ce mot de th me Par quoi faut il le remplacer Mais des figures ce sont des figures Entretien avec Jacques Goossens 28 janvier 1966 13 Toujours des images des objets les plus simples comme chacun peut en voir autour de soi un chapeau un grelot une pomme un chevalet un oiseau un r verb re un nombre de briques des souliers un complet veston Pierre Descargues Ren Magritte Faire la peinture qui se remarque le moins possible in La tribune de Lausanne 15 janvier 1967 14 Ajoutons qu un manteau de chemin e ou une console en pierre appara t dans La repr sentation 1962
3. Sylvester 1992 302 8 Apr s ces trois commandes celui ci commanda nouveau trois tableaux une copie du Monde po tique de 1926 une troisi me version du Mod le rouge et La jeunesse illustr e Ces deux derniers taient aussi destin s la salle de bal Magritte r alisa aussi deux autres commandes les deux portraits aux visages cach s Le principe du plaisir 1937 Ibid 1992 1997 249 portrait d Edward James dont le visage est masqu ou remplac par un fort clat lumineux L aur ole aveuglante d une ampoule lectrique remplace le visage Sylvester 1978 50 et La reproduction interdite 1937 Ibid 1992 1997 244 8 Dans ce second portrait de James son visage n appara t pas non plus James est vu de dos devant un miroir pos sur le dessus d une chemin e de marbre rose mais son reflet est une autre vue de lui toujours de dos partir de cette s rie de commandes Magritte s tait imagin qu un flux r gulier de tableaux pourrait tre envoy James qui deviendrait son m c ne Il savait que James avait proc d ainsi avec Dali ce qui l encourageait tenter une relation commerciale avec beaucoup d audace Sans vergogne il crit James il se fait que par hasard vous en avez trop d argent et moi pas assez pour viter toute question commerciale l avenir je vous propose ce c r monial vous me ferez parvenir 100 livres chaque d but de mois d ao t jusqu
4. sont des pieds dont on distingue les orteils le mur de briques se creuse en forme d un bureau et le complet veston abrite une douce vall e Ses id es de combinaison des images me viennent sans que je ne cherche Parfois je les carte car je vois qu elles sont mauvaises Tout l heure en venant la galerie je m en suis refus une Mais quand je l ai retenue alors tout est simple elle est si claire que je n ai qu l ex cuter Pas de probl me je ne rate jamais un tableau Blavier 1979 660 Le rejet du symbolisme Dans cette op ration de d shabituation Magritte a rencontr l obstacle s miotique Tout au long de sa vie il a d r affirmer l absence de tout contenu symbolique dans ses images On me demande souvent ce que cache ma peinture Rien Je peins des images visibles qui voquent quelque chose d incompr hensible Je ne suis pas un symboliste Mais bien s r je ne puis emp cher les gens d interpr ter mes toiles S ils pr f rent essayer de traverser les murs plut t que de passer par la porte que voulez vous que j y fasse Ibid 643 Cette m taphore du mur et de la porte ne fait pas que condamner les processus interpr tatifs inad quats et les contresens au contraire Magritte rappelle que pour viter de jouer au passe muraille il suffit d emprunter les portes qu ouvrent ses images C est au Symbolisme comme mouvement artistique auquel Magritte fait ici r f rence mais celle ci est ambival
5. universaliste et essentialiste la participation de l agent serait n glig e ou cach e derri re a view from nowhere alors qu au contraire elle est r v l e et situ e dans les approches constructivistes compr hensives et culturalistes Dans ce cadre toute analyse peut tre consid r e comme l actualisation d une rencontre situ e entre des syst mes s miotiques Dans le cas qui nous concerne ici il s agit de l actualisation d une interaction entre des habitudes mat rialis es dans l uvre peinte et S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 83 la production crite de Magritte d une part et nos propres habitudes interpr tatives et connaissances internes et externes mobilis e dans une r flexion r dig e d autre part cette occasion notre attention analytique a t orient e la fois par nos intentions personnelles et professionnelles et capt e par les saillances de la pens e imag e et mat rialis es dans l uvre tudi e Cette double action a t int gr e dans le mode discursif qui g re le genre plus ou moins scientifique que l on appelle analyse et tout particuli rement analyse d une image Selon le type d inf rence logique abduction induction et ou d duction que nous avons d velopp lors de ce dispositif d investigation une partie du potentiel s miotique de l oeuvre tudi e et une partie de notre potentiel d interpr tation se sont act
6. 15 Edward F W James 1907 1984 tait le richissime h ritier de la famille James qui avait fait fortune aux USA Il tait aussi par sa m re ce que pudiquement on appelait le filleul du roi Edward VII James tait passionn d art et collectionnait particuli rement les Surr alistes Il avait financ et achet toute une ann e de production de Dali Grand m c ne il avait peine trente ans quand il invita Magritte Londres et commanda trois peintures D autres commandes et achats suivirent Son uvre de po te et crivain Surr aliste est assez peu connue Mais la fin de sa vie il fit construire Las Pozas un r ve surr aliste en b ton dans la jungle mexicaine pr s de Xilitla dans l Etat de San Luis Potosi Un documentaire Edward James Builder of Dreams a t r alis par Avery Danziger La fondation Edward James poursuit son projet artistique 16 Ils seront encastr s dans les murs derri re des miroirs sans tain de sorte qu ils ne deviendront visibles que lorsque les lumi res seront allum s dans cet interstice 17 Huile sur toile de 73 x 54 cm no 443 sa localisation actuelle est inconnue 18 Huile sur toile de 81 x 65 cm Museum Boymans van Beuningen Rotterdam 19 Magritte ne pr cise pas les d cennies 20 Cette peinture fut achet e en 1970 James par The Art Institute of Chicago Les r dacteurs du texte du site web du mus e http www artic edu notent que Magritte d sapprouvait le ti
7. des objets qu avec leurs d tails apparents car mes recherches ne pouvaient se d velopper qu cette condition Je ne renon ais gu re qu une certaine mani re de peindre qui m avait conduit un point qu il me fallait d passer Cette d cision qui me fit rompre avec une habitude d j S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 101 devenue confortable me fut d ailleurs facilit e cette poque par la longue contemplation qu il me fut donn d avoir dans une brasserie populaire de Bruxelles La disposition d esprit o j tais me fit para tre dou d une myst rieuse existence les moulures d une porte et je fus longtemps en contact avec leur r alit Blavier 1979 107 Comme interpr tant de cette exp rience de Magritte nous citerons un exemple que Peirce utilise pour parler de la second it un exemple concernant une porte encore une fois L actualit a quelque chose de la brute Il n y a pas de raison en elle Je prends pour exemple le fait de mettre son paule contre une porte et d essayer de l ouvrir de force en poussant contre une r sistance invisible silencieuse et inconnue Nous avons une double conscience d efforts et de r sistance qui me semble assez proche du pur sentiment d actualit En somme je pense que nous avons ici le mode d tre d une chose qui consiste dans la mani re d tre d un second objet Je l appelle Second it CP 1 24 N est ce p
8. une opportunit pour en stimuler l apparition quitte en syst matiser le processus par des op rations de d paysement de transformation et d association C est ce qu il dit Les tableaux peints pendant les ann es qui suivirent de 1925 1936 furent galement le r sultat de la recherche syst matique d un effet po tique bouleversant qui obtenu par la mise en sc ne d objets emprunt s la r alit donnerait au monde r el d o ces objets taient emprunt s un sens po tique bouleversant par change tout naturel Les moyens employ s furent analys s dans un ouvrage de Paul Noug intitul les images d fendues ces moyens sont d abord le d paysement des objets par exemple la table Louis Philippe sur la banquise le drapeau dans le fumier Il convenait que le choix des objets d payser fut port sur des objets tr s familiers afin de donner au d paysement son maximum d efficacit La cr ation d objets nouveaux la transformation d objets connus le changement de mati re pour certains objets un ciel de bois par exemple l emploi des mots associ s aux images la fausse d nomination d une image la mise en oeuvre d id es donn es par des amis la repr sentation de certaines visions du demi sommeil furent en gros les moyens d obliger les objets devenir enfin sensationnels Paul Noug dans les images d fendues note aussi que les titres de mes tableaux sont une commodit pour la co
9. Elles ne cachent notamment aucune signification symbolique L inanit des symboles en peinture tant vidente les symboles n ont aucun rapport avec la r alit po tique Je nomme le mieux possible avec des titres les images que je peins Blavier 1979 687 La dur e poignard e 1938 qui fera l objet de cette tude nous semble typique du programme de Magritte Le tableau repr sente une fraction d un espace int rieur compos d un sol en parquet d une cloison dont le bas est recouvert de panneaux muraux en bois et d une chemin e dont le manteau est de marbre blanc Le linteau supporte un miroir et une parure de chemin e compos e d une pendule de marbre noir et de deux bougeoirs Dans l tre est situ e une locomotive vapeur fumante Cette description rudimentaire pourrait d ailleurs tre invers e au b n fice de la locomotive une locomotive vapeur de type Pacific est repr sent e en vue plongeante de trois quart L abri de la locomotive n est pas visible Il est cach par la plaque de fond de l tre d une chemin e dans laquelle la machine semble encastr e la hauteur de l acc s au conduit de chemin e La chemin e dont le linteau supporte un miroir une pendule et deux bougeoirs est situ e dans une pi ce etc Dans ces deux descriptions le rapport m trique entre la taille de la pi ce et celle de la machine est tel que la locomotive est interpr t e comme une miniature Cette versi
10. I eruUua wWww erudit org Article S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte La dur e poignard e entre aisth sis et semiosis Bernard Darras Recherches s miotiques Semiotic Inquiry vol 28 n 3 1 2008 2009 p 81 108 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 1005864ar DOI 10 7202 1005864ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al II a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 November 2015 05 50 S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte La dur e poignard e entre aisth sis et semiosis Bernard Darras Paris 1 Panth on Sorbonne Dans les plus sombres yeux se ferment les plus clairs Paul lua
11. Magritte au risque de la s miotique Bruxelles Publications des facult s universitaires Saint Louis LUARD P 1968 1925 Au d faut du silence In uvres compl tes I Marcelle Dumas et Lucien Scheler ds Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade FRASNAY D 1969 Peintres et sculpteurs leur monde Paris Draeger KAUFMANN J C 1996 L entretien compr hensif Paris Nathan S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 107 MAGRITTE R 1979 crits complets Textes rassembl s par Andr Blavier Paris Flammarion MEURIS J 1990 Ren Magritte Woodstock NY Overlook Press PALMER M 2004 Un art Belge D Ensor Panamarenko 1880 2000 Bruxelles ditions racine PEIRCE C S 1978 crits sur le signe Rassembl s traduits et comment s par G rard Deledalle Paris Seuil REY P Dir 1992 Dictionnaire historique de la langue fran aise Paris ditions le dictionnaire le Robert ROISIN J 1995 Ren Magritte un destin particulier de la pulsion scopique Petit essai de psychanalyse appliqu e Cahiers du CEP 5 Plainevaux 32 60 SYLVESTER D 1978 Portrait de Magritte Catalogue de la R trospective Magritte Bruxelles Mus e des Beaux Arts 1992 Magritte Paris Flammarion 1992 1997 Portrait d Edward James Ren Magritte catalogue raisonn Anvers Fonds Mercator Menil Foundation 1992 1997 vol 2 R sum Ren Magr
12. Magritte dont les univers d objets ne sont incoh rents que par rapport aux habitudes qui g rent notre syst me de pertinence du monde Selon notre conception pragmatique de la culture mat rielle les artefacts sont consid r s comme des coop rateurs affordants factitifs et performatifs qui r agissent ou sont susceptibles de r agir lors des diverses exp riences plus ou moins finalis es que nous avons avec eux Qu elles 92 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry soient anticip es d lib r es ou concr tes ces exp riences convoquent alors des programmes pragmatiques des habitudes des pr disposi tions agir incorpor s dans l objet et plus ou moins ma tris s par l utilisateur De tels programmes pragmatiques sont aussi int gr s dans tous les artefacts et leur intelligence est distribu e en r seaux qui font syst me L interaction r elle ou anticip e entre l objet et le sujet actualise un segment de cette intelligence distribu e et stock e dans la culture mat rielle tant du sujet que des artefacts Quand ils sont arrang s dans un ensemble les artefacts charg s d intelligence embarqu e et distribu e de leurs liens et de leurs interactions font sens pour les usagers qui ma trisent la culture qui a construit ces artefacts et qu ils contribuent construire Voir ce sujet les articles de Belkhamsa amp Darras 2009 Darras amp Belkhamsa 2009 Trois exemples extraits de La dur e poign
13. ard e vont nous permettre d illustrer cette approche la fois pragmatique et syst mique Figure 3 Intrigu par le titre de l oeuvre le spectateur curieux peut s interroger sur l heure affich e par la pendule Est il midi quarante trois ou minuit quarante trois la recherche d informations collat rales susceptibles de l aider r soudre cette question il tudie l clairage du tableau S il est midi la lumi re qui claire la pi ce est probablement solaire s il est minuit elle est certainement artificielle Le syst me des ombres fournit un ensemble d indices que les humains apprennent interpr ter avec plus ou moins de pr cision Dans le cas d une image peinte et notamment de celle ci il n est pas certain que toutes les donn es lumineuses aient t trait es avec exactitude et m me si la sc ne semble coh rente en terme d clairage il n est pas facile de lui accorder plus de cr dit sans avoir recours une expertise plus fine C est ce que nous avons fait lors de la reconstitution en trois dimensions de ce tableau et nous avons test les deux options Bien qu il soit possible d obtenir un tel clairage partir de sources lumineuses artificielles les ombres projet es sont celles qui r sultent d une source lumineuse lointaine Il est donc probable que Magritte ait choisi une source d origine solaire Les logiciels permettant des calculs tr s pr cis en terme de latitude et de longitude nous avon
14. as ce pur sentiment d actualit que ressentait Magritte devant les moulures de sa porte N est ce pas ce qu il a toujours tent d voquer dans toutes ses images en esp rant que la rencontre de deux objets bien choisis permettrait de reconstituer son exp rience de la second it Second it qu il nommait avec ses termes le myst re de l existence Conclusion Dans un monde anesth si par les habitudes Magritte l homme des routines vivait en esth te des surprises et en contemplateur du myst re des objets et de l existant Gr ce aux reconstitutions de ses pens es visuelles par la peinture il esp rait partager ses instants d aisth sie avec ses spectateurs mais leurs mauvaises habitudes s miotiques ne cessaient de les d tourner de l tat de choc et de panique qu taient cens es provoquer ses uvres et ceci pr cis ment au profit de la recherche de symboles dont elles taient suppos es les d tourner En juillet et ao t 1966 lors d une s rie de rencontres avec Suzi Gablik Magritte d plora encore cette incompr hension de son uvre mais surtout il en profita pour prescrire encore plus clairement le bon mode d emploi de ses images et au del il donna sa recette pour transcender la m diocrit paniquer People who look for symbolic meaning no doubt sense this mystery but they wish to get rid of it They are afraid By asking what does this mean they express a desire for everything to be unde
15. chanalyse Selon lui m me le mot subconscient n avait pas de sens C est ce qu il d clare entre autre Claude Vial le 6 juillet 1966 Le 20 janvier 1967 en r ponse Carl Wa pseudonyme de Charles Flamand qui lui demandait quelle importance accordez vous vos r ves Magritte a eu cette formule Les r ves sont une maladie de la pens e faciles oublier in Le Patriote Illustr Bruxelles 2 avril 1967 793 797 Le vers cit par Magritte est extrait du po me des Contemplations o Victor Hugo s adresse Dieu Nous ne voyons jamais qu un seul c t des choses L autre plonge en la nuit d un myst re effrayant L homme subit le joug sans conna tre les causes Tout ce qu il voit est court inutile et fuyant Hugo V Les contemplations IV 15 A Villequier Hugo in Alpes et Pyr n es 27 juillet 1845 Parfois il est plus h sitant ce sujet Palmer cite Suzi Gablik 1970 Cette recherche s miotique et syst mique sur les artefacts et la culture mat rielle est conduite au Centre de Recherche Images Culture et Cognition en collaboration avec Sarah Belkhamsa Voir bibliographie Dans un studio de cin ma le directeur de la photographie sait reconstituer l quivalent d un clairage solaire en pla ant ses projecteurs une distance suffisamment loign e de la sc ne pour que les ombres propres et port es des objets restent parall les l oppos une source d clairage
16. depuis pr s de deux si cles conduit toutefois associer ce texte avec le contenu visuel ce qui ne manque pas de produire une sorte de jeu de sens impliquant divers effets s mantiques po tiques et esth tiques plusieurs occasions Magritte a d fini son projet d art des images Le texte suivant qui date de l ann e de sa mort 1967 nous a sembl le plus concis Je con ois la peinture comme art de juxtaposer des couleurs de telle sorte que leur aspect s efface pour laisser appara tre visiblement une image po tique Cette image est la description enti re d une pens e qui unit dans un ordre qui n est pas indiff rent des figures famili res du visible ciels personnes arbres montagnes meubles astres solides inscriptions etc Cet ordre efficace a t imagin mais il n est pas irr el La r alit de l image po tique est la r alit de l univers Les images que je peins ne montrent rien d autres 86 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry que des figures du visible mais dans un ordre qui r pond l int r t que nous prouvons naturellement pour l inconnu L invisible a une valeur inestimable mais la peinture est absolument impropre repr senter l invisible par exemple le plaisir et la douleur la connaissance et l ignorance la voix et le silence c est dire ce que la lumi re ne peut clairer Les images po tiques ne sont pas tangibles En cons quence elles ne cachent rien
17. e nous donnons tous les lecteurs les r f rences pour qu ils puissent retrouver les textes cit s nous n avons pas obtenu la validation finale de Magritte Dans ses d clarations et crits dont le contenu a peu vari entre 1925 date de son entr e dans l art des images et 1967 quelques mois avant son d c s Magritte offre avec insistance un mode d emploi destin acc der aux finalit s de son uvre En g n ral nous citerons in extenso les textes que nous avons utilis s mais un travail plus minutieux plus syst matique ou tendu d autres corpus montrerait sans doute que la pens e de Magritte tait plus h t rog ne que celle que nous avons extraite et exploit e ici En nous appuyant sur certaines descriptions de ses exp rience de pr sence d esprit nous tenterons de montrer que Magritte ne cherchait S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 85 pas atteindre une ni me dimension myst rieuse mais qu il tentait plut t d acc der l exp rience pr s miotique de la pr sence du monde et plus probablement qu il tentait d interrompre le processus triadique de constitution de la pens e pour vivre l immanente second it des objets Pour cela il s effor ait de casser le tout puissant syst me d intelligence distribu que constituent les habitudes qui nous font vivre et agir dans le monde des objets toujours d j pens s Nous tenterons donc de montrer que Magri
18. ement son rapport aux objets aux habitudes aux symboles et finalement l exp rience pr s miotique L objet Le travail de Magritte porte donc sur des arrangements d objets que sa pens e visuelle ses moments de pr sence d esprit et sa technique picturale exposent au regard des spectateurs Bien que ces ob jets soient repr sent s il a toujours souhait qu ils soient trait s comme s ils taient r els Ma conception de la peinture tend au contraire rendre aux objets leur valeur d objets Ibid 596 Malgr ses avertissements r p t s il regrette videmment que la confusion persiste entre l exp rience directe des objets et celle que l on d veloppe face des objets peints Les gens acceptent d utiliser des objets sans y rechercher la moindre intention symbolique mais lorsqu ils regardent des tableaux ils n y trouvent aucun usage Alors ils s acharnent leur d couvrir une signification Palmer 2004 204 On pense ici notamment son c l bre tableau La trahison des images Magritte expose ici une conception tr s commune de la signification Pour lui la diff rence de ce que pense Peirce agir avec un objet ce n est pas produire de la signification Et pourtant c est bien un processus s miotique complet qui se met en uvre lorsque nous activons l interface d un objet et qu il fonctionne ou non comme nous l esp rions et c est sur cette base que fonctionnent aussi les uvres de
19. en 19 19 et en change vous recevrez le meilleur tableau selon moi des tableaux r cents que j aurai faits Je vous cris comme je peins en m prisant compl tement les habitudes quivoques comme il faut et en ne me souciant que de ce qui devrait tre le monde tel qu il est n ayant pas encore r ussi me supprimer Sylvester 1992 306 James repoussa gentiment ce projet de m c nat forc et Magritte en fut fort d u La mise en uvre de La dur e poignard e se situe dans ce contexte de tentative de p rennisation des rapports de production Quand James acquit effectivement le tableau en 1939 Magritte crut bon de lui donner quelques consignes de mise en sc ne Apr s lui avoir S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 89 dit qu il avait pens lui en peignant ce tableau nous reviendrons sur ce point au sujet du chandelier il note Je pensais que la place id ale pour la Dur e poignard e tait en bas de votre escalier et qu ainsi vos visiteurs seraient poignard s au rez de chauss e et pourraient se pr senter d une mani re int ressante au premier tage tage de la salle de bal En ce qui concerne les motifs de ce tableau Magritte a d clar que son projet initial tait de peindre une locomotive puis dit il J ai pens r unir l image d une locomotive l image d une chemin e de salle manger dans un moment de pr sence d es
20. ence directe sans tre encombr par l imm diate mont e des processus s miotiques et des habitudes qu ils convoquent immanquablement Il savait peut tre exploiter les phases de doute que les s mioses inadapt es ouvrent dans les croyances et la connaissance et il savait probablement exploiter ces moments pour tendre vers moins de s miose et plus de conscience directe Pour le spectateur ordinaire tout comme pour le spectateur clair des intentions mystagogiques de Magritte ce parcours esth tique n est pas ais et peut tre n est il pas accessible Une fois pass e l effet du choc de la rencontre avec le montage sensationnel et d concertant propos par Magritte il est bien difficile de maintenir son int r t Il faudrait comme Magritte devant la moulure d une porte tre capable d acc der la pr sence du monde encore vierge de s miose d habitudes de sens et de pertinence C est une exp rience de l aisth sis qui sait se dispenser de la s miosis L exp rience pr s miotique En nous appuyant sur les d clarations de Magritte nous avons S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 99 formul l hypoth se que son int r t pour le monde des objets son habilet les assembler pour provoquer entre eux des chocs calcul s son d sir d mancipation des habitudes et le rejet de toute explication symbolique t moignaient du fait qu il tentait d acc der des niveaux pr s
21. ent des processus de mutation de signe en signe Pour ce faire nous avons d velopp diff rents dispositifs d enqu tes individuelles et collectives de type compr hensifs Darras 2002 2003 2006a 2006b Pour l entretien compr hensif voir Kauffmann 1996 En terme de m thode l occasion de l tude ici pr sent e nous avons d cid de limiter et m me de conditionner l influence de notre propre syst me de signes partialement implicite un autre syst me de signes explicite cette fois Nous aurions pu le faire partir des diff rents syst mes propos s par d autres auteurs ou par des spectateurs mais nous avons pr f r nous confronter aux crits de Magritte qui fut aussi un m diateur de son oeuvre 84 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry Magritte ayant eu d abondants changes pistolaires c est dans sa correspondance rassembl e par Andr Blavier 1979 que nous avons recherch les informations susceptibles d clairer et de guider notre tude compr hensive Les crits de Magritte fourniront donc l essentiel des interpr tants explicites de cette tude Dans un premier temps nous assujettirons nos interpr tants ses recommandations et nous tenterons d acc der son monde comme il aurait souhait que nous y acc dions si nous en croyons ses crits Dans un second temps nous questionnerons le r sultat de cette enqu te pour tenter de mieux comprendre encore ses recommandations et re
22. ente D une part tout comme les Symboblistes il tente d acc der au myst re d autre part la diff rence des Symbolistes qui recherchaient l expression de l id e il s en distingue en se rapprochant des Naturalistes attach s peindre les objets en tant qu objets If I show an object it is that object and that s all Blavier 1979 609 Le myst re de Magritte n est donc pas celui des Symbolistes et son naturalisme n est pas celui des Naturalistes c est une autre exp rience qu il nous convie Alors que les symbolistes tentent de bloquer le chemin interpr tatif habituel du spectateur afin d voquer le myst re Magritte stimule son interrogation et provoque au contraire un doute sur ce qu il voit et il d clenche aussit t une enqu te et une recherche de solutions une signification permettant d assurer la coh rence du monde et la pertinence de la communication En effet peut on arr ter longtemps 98 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry la machine s miotique et m me exiger qu elle fonctionne rebours en se concentrant sur le choc des objets images et sur la porte qui s ouvre sur l exp rience brutale de la second it C est tenter de contrarier tout le processus de la pens e qui ne s accomplit que dans le signe et la dynamique de la s miose L exp rience esth tique que tente Magritte ne peut tre que de tr s courte dur e celle du choc face l in dit l inou l invu et l impr vi
23. es puis d exposer notre hypoth se de d passement du myst re en pr sentant deux hypoth ses d riv es de la s miotique de C S Peirce au sujet du fonctionnement des phan ra des signes et des s mioses L tude s miotique Dans cette tude nous tenterons de mettre en uvre des l ments de s miotique pragmatique emprunt s C S Peirce en les augmentant d approches constructiviste interactionniste et syst mique Dans ce cadre nous avons privil gi trois postures th oriques et pratiques qui concernent notre position d analyste par rapport la gestion des signes et interpr tants et par rapport nos intentions de recherche En accord avec Peirce nous consid rons que tout analyste est un agent d interpr tation qui convoque n cessairement des syst mes d interpr tants pour produire des s mioses lorsqu il enqu te sur telle ou telle entit ou exp rience de son environnement Ces syst mes d interpr tants sont constitu s d ensembles plus ou moins coh rents de croyances et d habitudes internes et externes construites dans les interactions et consensus ordinaires mais aussi dans le champ des connaissances rudites et scientifiques Ce vaste ensemble d habitudes de croyances de r f rences et de connaissances implicites et explicites est travers par le dispositif d enqu te plus ou moins incorpor probl matis finalis et singularis que produit l analyste Dans le contexte scientifique objectiviste
24. es lecteurs tout en esp rant contribuer au d veloppement de la connaissance Sous intentions professionnelles nous regroupons toutes les motivations et assignations institutionnelles et personnelles constituant le champ des agences qui poussent ou tirent l action de l analyste Un chercheur doit 104 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry provoquer le doute chercher innover critiquer communiquer publier expliciter ses m thodes soumettre son travail l valuation et la reconnaissance de ses pairs etc 4 Voir ce sujet les diff rentes contributions de Jan Baetens Christophe Genin Pierre Fresnault et Jean Pierre Sag dans la partie comparative du site ImagesAnalyses 5 Dans cet article nous utiliserons des citations de Magritte g n ralement pr lev es dans sa correspondance ses entretiens ou discours Ils ont t rassembl s par Andr Blavier 1979 Afin d viter les r p titions les r f rences faites cet ouvrage porteront les indications suivantes Blavier 1979 suivies du num ro de la page Magritte aurait pr f r que l on utilise le mot figure Sauf pour les uvres des p riodes dites Renoir et Vache Extrait du catalogue de l exposition Het mysterie von de werkelijkheid Rotterdam Boymans Van Beunigen Museum Ao t 1967 30 Au cours de sa carri re Magritte a r guli rement cit cette phrase avec quelques variantes voir par exemple Daniel Frasnay 1969
25. et je la montrais sous ce jour nouveau les grelots de fer pendus aux cous de nos admirables chevaux je pr f rais croire qu ils poussaient comme des plantes dangereuses 96 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry au bord du gouffre Quant au myst re l nigme que mes tableaux taient je dirais que c tait la meilleure preuve de ma rupture avec l ensemble des absurdes habitudes mentales qui tiennent g n ralement lieu d un authen tique sentiment de l existence Ibid 109 En 1959 il revient sur cette d marche au sujet de La dur e poignard e Pour que son myst re soit voqu une autre image imm diatement famili re sans myst re l image d une chemin e de salle manger a t r unie l image de la locomotive Je n ai donc pas r uni une image famili re une image soi disant myst rieuse telle que par exemple un martien un ange un dragon ou un autre tre dit myst rieux par erreur il n y a pas en effet des tres myst rieux et des tres non myst rieux La puissance de la pens e se manifeste en d voilant en voquant le myst re des tres qui nous sem blent familiers par erreur par habitude J ai pens r unir l image d une locomotive l image d une chemin e de salle manger dans un moment de pr sence d esprit J entends ainsi ce moment de lucidit qu aucune m thode ne peut faire appara tre Seule la puissance de la pens e se mani feste alors nous p
26. geur 1937 5 Motifs de miroirs La naissance de l idole 1926 la suite de l eau 1926 Le mariage de minuit 1926 ou 27 L amour d sarm 1935 Les liaisons dangereuses 1936 et Le voyageur 1937 6 Motifs des bougeoirs La lumi re de la co ncidence 1933 Les portraits de Claude March 1937 et ceux de Bazou et Pilette Spaak de la m me ann e Les grands rendez vous 1947 Le lib rateur 1947 La folie des grandeurs 1948 La folie des grandeurs Il 1948 La part du feu I 1948 La folie des grandeurs 1949 La J e ignorante 1950 Le chant des sir nes 1952 M lusine 1953 Souvenir de voyage 1955 et 1962 La f e ignorante 1956 Notes 1 Ren Magritte est n Lessines en Belgique en 1898 et il est d c d Bruxelles en 1967 2 Ce vers d Eluard aurait autant impressionn Magritte que le tableau de De Chirico Le chant d amour qu il a d couvert dans un catalogue d exposition Lorsque j ai vu pour la premi re fois la reproduction du tableau de Chirico Le chant d amour ce fut un des moments les plus mouvants de ma vie mes yeux ont vu la pens e pour la premi re fois Carl Wa Ceci n est pas Ren Magritte in Le patriote illustr Bruxelles 2 avril 1967 3 Sous les termes intentions personnelles nous entendons tous les motifs qui nous ont conduits s lectionner cette uvre parmi d autres et exposer nos id es et trouvailles aux jugements d
27. interne la pi ce produit immanquablement un effet de rayonnement dont elle est le centre Un doute subsiste quand m me l ombre port e de la chemin e avec le sol n est pas exactement conforme au r sultat que nous obtenons lors de nos reconstitutions avec un logiciel 3D De 1908 jusqu en 1960 les locomotives Pacific taient des mod les abondants sur les r seaux de chemin de fer des trains de passagers en Europe En 1938 ce mod le de locomotive tait donc un exemple de technologie r cente Pour tenter de reconstituer l impact visuel d alors il faut imaginer le contraste visuel entre une pi ce aux signes tr s convenus et ce train grande vitesse de l poque Un choc qui s est fatalement estomp aujourd hui Lettre Hornick 8 mai 1959 Fonds A Bosmans Bruxelles Cette lettre est connue par un brouillon que Magritte a envoy son ami Andr Bosmans le 11 mai 1959 la lettre elle m me n a pas t retrouv e Nous remercions Jacques Roisin qui nous a transmis ces r f rences La citation est pr sente dans son article Ren Magritte un destin particulier de la pulsion scopique Petit essai de psychanalyse appliqu e 1995 32 60 Il existe une r f rence plus ancienne et plus br ve datant de 1938 que nous 106 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry avons extraite de La Ligne de Vie I La locomotive je la fis surgir du foyer d une chemin e de salle manger au lieu de l habitue
28. iographie BAUDRILLARD J 1968 Le syst me des objets Paris Gallimard BELKHAMSA S amp DARRAS B 2009 L objet et le cycle d habitudes et les changements d habitudes Approche s miotique In B Darras amp S Belkhamsa Objets et Communication MEI n 30 31 147 160 BLAVIER A 1979 Ren Magritte Ecrits complets Paris Flammarion DARRAS B amp BELKHAMSA S 2009 Mod lisation dynamique de la communication de l objet approche syst mique et s miotique In B Darras amp S Belkhamsa Objet et Communication Paris L Harmattan MEI 30 31 160 184 DARRAS B 2002 tude d une M diation Audiovisuelle Miracle dans la Loggia d Alain Jaubert In P Fresnault Deruelle Dir Un regard T l visuel sur l Art INA L Harmattan 151 181 2003 La Culture des M dias l Epreuve de la R alit In Jeux M dias et Savoirs B Darras Dir Paris L Harmattan 111 129 2006a L enqu te s miotique appliqu e l tude des images Pr sentation des th ories de C S Peirce sur la signification la croyance et l habitude In Anne Beyaert Dir L image entre sens et signification Paris Publications de la Sorbonne 15 34 2006b Sans titre In Bernard Darras Dir Images et s miotique Paris Publications de la Sorbonne 59 76 De TIENNE A 1999 Ceci n est il pas un signe Magritte sous le regard de Peirce In Nicole Everaert Desmedt Dir
29. ith visual culture studies His art of images is indeed a good starting point for a semiotic journey as the questions it raises are extraordinarily challenging Many Belgian French and Canadian scholars have explored his work De Tienne Lefebvre etc All have tried to explain the functioning of a given painting or certain aspects of Magritte s semiotic system In this paper we also turn a specific work by Magritte La dur e poignard e 1938 After a brief presentation of our theoretical stance and our research programme we conduct a rapid inventory of the motifs used in La dur e poignard e comparing them to the repertoire of figures used by Magritte throughout his career We then contextualize the painting with regards to the historical situation in which it was created and address in more detail what Magritte referred to as the mystery something he spent his entire oeuvre trying to express This will offer an opportunity to discuss Magritte s vision of objects habits and symbols and finally to present to the reader our hypothesis regarding this mystery by refering it to two ideas acquired from the philosophy of C S Peirce concerning phaneroscopy and semiotics 108 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry BERNARD DARRAS est professeur de s miotique et de m diation de la culture l Universit Paris 1 Panth on Sorbonne Docteur en Esth tique Agr g d Arts plastiques dipl m de psychologie il e
30. itte est l un des peintres favoris des s mioticiens de la culture visuelle Il est vrai que son art des images est un bon candidat pour une aventure s miotique tant les interrogations qu il pose sont stimulantes De nombreux s mioticiens notamment Belges Fran ais ou Canadiens ont explor cette uvre Tous se sont vertu s expliciter le fonctionnement de telle ou tel uvre ou de telle partie du syst me s miotique de Magritte Dans cet article nous pr sentons notre tour une tude qui traite la fois de ce syst me et d un tableau en particulier La dur e poignard e de 1938 Apr s un rapide expos de notre position th orique et de notre programme de recherche nous proc derons un rapide inventaire des motifs utilis s dans La dur e poignard e que nous mettrons en regard avec le r pertoire des figures utilis es par Magritte Nous proc derons ensuite l inscription de cette uvre dans son environnement historique de production avant de traiter plus en d tail la question du Myst re que Magritte a tent d voquer dans toute son uvre Ce sera l occasion d aborder sa conception des objets des habitudes des symboles et d exposer notre hypoth se de d passement du myst re en pr sentant deux hypoth ses d riv es de la s miotique de C S Peirce au sujet du fonctionnement de la phan roscopie et surtout de la s miotique Abstract Ren Magritte is a favourite painter of semioticians concerned w
31. l tuyau de po le Cette m tamorphose s appelle La dur e poignard e 36 Ce terme d riv du francique ban repr sente la loi dont la non observance entra ne une peine 37 Ceux qui cherchent un sens symbolique sont incapables de saisir la po sie inh rente et le myst re de l image Suzi Gablik 1970 Cit e par Palmer 2004 204 38 No my painting has no symbolism or allegory It doesn t have that sort of sense If I show an object it is that object and that s all 39 Cit par Andr de Tienne 1999 23 Manuscrit non publi Charles S Peirce Papers Houghton Library Harvard University MS 337 1904 4 40 L attention est l activit cognitive qui fait passer de la conscience directe awareness la conscience indirecte consciousness 41 Il s agit ici de l objet du signe ce dont le signe est propos son aboutness 42 Idem 43 Actuel actual en acte Note dans Peirce C S 1978 69 44 Ibid 70 45 Nous donnons l aisth sie son sens physiologique de conscience l mentaire et non labor e d une stimulation 46 Dans la mouvance structuraliste nous avons retenu les contributions de Jan Baetens Francis Edeline et Jean Marie Klinkenberg Pierre Fresnault Louis H bert Nathalie Roelens Georges Roque Pierre Stercks et parmi les peirciens Dominique Chateau Andr De Tienne dont nous discuterons une des th ses Nicole Everaert Desmedt Martin Lefebvre et Robert Marty Bibl
32. miotiques de la pens e En effet au del des enjeux po tiques et mystagogiques l uvre dans ses images nous pensons qu il tentait aussi si ce n est avant tout un autre type d exp rience de conscience avec le monde Dans sa correspondance ses entretiens et ses conf rences nous avons rep r des indices t moignant de ces exp riences et bien que nous regrettions de ne pouvoir valider nos hypoth ses aupr s de Magritte nous pensons que ces exp riences la fois ph nom nologiques et s miotiques renvoyaient certaines formes de l exp rience de l univers des phan ra et de la s cond it tel que les d finit C S Peirce Selon Andr De Tienne Magritte cherchait voquer dans sa peinture le niveau des phan ra auquel il acc dait lors d tat de conscience directe lui permettant de ressentir la pr sence du monde avant qu une mutation n entame un processus s miotique De Tienne pense que la conception que Magritte avait du myst re correspond celle que Peirce avait du phan ron ce qui est port la lumi re pleinement manifeste ouvert de part en part l inspection publique Et nous citons encore De Tienne ce sujet Le phan ron est le remplissement continue de la conscience par l vidence irr sistible de l apparence il est le creuset dans lequel les mondes ext rieurs et int rieurs sont fusionn s tre conscient d un phan ron dit Peirce ce n est pas tre conscient d un signe d
33. n sans titre r veil d un nuage au dessus de la mer 1966 Les mod les d horloges et de pendules diff rent les uns des autres et la pendule dite poser de marbre noir ou teint de La dur e poignard e est notre connaissance le seul exemplaire de ce type dans l uvre de Magritte Enfin nous ne connaissons que trois autres repr sentations de la locomotive chaque fois un mod le Pacific une composition cubiste de 1923 Composition avec locomotive un dessin colori intitul Locomotive et poisson sign mais non dat et enfin Le rossignol 1962 dont il existe aussi une tude au crayon dat e de la m me ann e Aucun des motifs de La dur e poignard e n est donc in dit dans 88 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry l uvre de Magritte et tous conna tront des succ s divers apr s 1938 L uvre dans la production Apr s avoir situ les composantes de La dur e poignard e dans le r pertoire des figures d objets combin s par Magritte explorons les conditions de production de cette uvre l invitation d Edward F W James Magritte se rendit pour la premi re fois Londres en f vrier et mars 1937 Il passa plusieurs semaines rue Wimpolet chez James Ce dernier avait command trois tableaux de grande taille dont une version verticale d Au seuil de la libert Ces trois toiles taient destin es d corer la salle de bal n oclassique de la r sidence londonienne de James
34. nversation et qu ils ne sont pas des explications Les titres sont choisis de telle fa on qu ils emp chent aussi de situer mes tableaux dans une r gion rassurante que le d roulement automatique de la pens e lui trouverait afin de sous estimer leur port e Les titres doivent tre une protection suppl mentaire qui d couragera toute tentative de r duire la po sie v ritable un jeu sans cons quence Ibid 110 Car en g n ral ce n tait pas dans la repr sentation des objets eux m mes que Magritte recherchait le choc d stabilisant et d shabituant pour donner acc s au myst re mais en transformant l ordre attendu des arrangements habituels et familiers Son intention tait de secouer ce monde endormi dans les conventions pour faire hurler les objets qui le constituent et percer la carapace des habitudes et usages automatis s tant donn ma volont de faire si possible hurler les objets les plus fami liers l ordre dans lequel on place g n ralement les objets devait tre videm ment boulevers les l zardes que nous voyons dans nos maisons et sur le visage je les trouvais plus loquente dans le ciel des pieds de table en bois tourn perdait l innocente existence qu on leur pr te s ils apparaissaient dominant soudain une for t un corps de femme flottant au dessus d une ville rempla ait avantageusement les anges qui ne m apparurent jamais je trouvais tr s utile de voir les dessous de la Vierge Marie
35. on du rapport est plus pertinente Sperber amp Wilson 1986 construire que sa compl mentaire une v ritable locomotive vapeur dans un immense salon Autant il existe dans le monde pratique des maquettes de locomotives et des formes miniatures telles que des jouets autant l existence d un d cor g ant est improbable Dans les deux cas cette raison pratique a d termin notre interpr tation Ainsi que nous allons le montrer en proc dant un inventaire aucune des figures Blavier 1979 626 d objets arrang es dans ce tableau n est unique dans la production de Magritte mais ces figures sont toutefois moins typiques et c l bres que ne le sont les grelots les nuages les chapeaux melons les pipes les pommes et les bilboquets Ibid 660 Les vues de pi ces int rieures sont fr quentes dans l uvre tr s domestique de Magritte et permettent toute sorte de mise en sc ne d objets et de personnages nous en avons relev plus d une dizaine de 1926 1960 Tant pour les pi ces que pour les autres items nous avons report les titres des uvres la fin de cet article e Les repr sentations de planchers de bois et de panneaux muraux en S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 87 bois sont tr s fr quentes dans son univers tout comme les motifs de la texture du bois qu il utilise abondamment de 1926 1966 e Un fragment de chemin e est aussi mis en sc ne dans L homme du la
36. orte que nous avons cit e 100 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry plus haut peut ais ment tre reformul e dans la proposition suivante dans ses images aux chocs calcul s Magritte tentait de reconstituer ses tats de surprise en conduisant le spectateur jusqu au seuil du signe juste avant que celui ci ne se forme Par ses assemblages sensationnels il tentait de suspendre le travail de la s miose et il tentait de bloquer la mont e d un interpr tant habituel afin que l attention du spectateur se fixe sur la construction de l objet du signe dont la gestation tait suppos e tre interrompue par la surprise Cette mise en suspens des s mioses interne et externe du signe devait interdire que la triade ne s accomplisse et que le signe ne se r alise dans la signification d o son rejet de toute dimension symbolique Ce choc calcul devait tre propice au maintien de la suspension du signe afin de r tablir l acc s au monde de la pr sence l authentique sentiment de l existence Blavier 1979 109 Toute l exp rience esth tique de la s miose interrompu devait se d rouler avant que le syst me de repr sentation ne vienne refermer la triade en l int grant dans le monde des habitudes et des pr dispositions penser et agir Ainsi vos visiteurs seraient poignard s au rez de chauss e crivait il James au sujet de La dur e poignard e C est avec ses coups de poignards visuel
37. ous ne voyons jamais qu un seul c t des choses a dit je crois Victor Hugo Or c est justement Tautre c t que je cherche exprimer Ibid 715 Dans ses lettres et entretiens Magritte reviendra r guli rement sur cette association du Myst re au divin All we can do is evoke the mystery We cannot reveal it or define it That becomes mere joking de S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 91 Yes I believe in God but I don t think anybody can say anything about God Instead of God I say mystery Ibid 611 C est Dieu encore dans cet entretien qu il avait donn en 1962 Guy Mertens lors de son retour d Isra l le mot Dieu n a pas de sens pour moi mais je le restitue au myst re pas au n ant Ibid 636 Les choses sont clairement annonc es par Magritte Son objectif consiste voquer le myst re de l existence plus ou moins divin et inconnaissable d en ouvrir les portes gr ce des combinaisons po tiques d objets dont l ordre a merg lors des r v lations de pens e visuelle que constituent ses moments de pr sence d esprit Ce mode d emploi est il suffisant pour guider notre exp rience de connaissance de l uvre de Magritte et des processus qu elle met en jeu Devons nous nous incliner devant le myst re ou pouvons nous explorer plus avant les images de Magritte Nous allons tenter de r pondre ces questions en explorant successiv
38. ouvons tre fiers de cette puissance tre fiers ou exalt s de ce qu elle existe Mais nous cet gard ne comptons pas nous nous bornons assister la manifestation de la pens e Quand je dis j ai pens r unir etc l exactitude exigerait que je dise la pr sence d esprit s est manifest e j ai connu ainsi comment l image d une locomotive devait tre montr e pour que la pr sence de l esprit se manifeste L Eur ka d Archim de est un exemple de la pr sence impr visible de l esprit Ibid 122 5 Magritte exploite doublement le syst me des habitudes qui verrouille le monde de l exp rience ordinaire D une part il est l aise dans ce monde qui le conforte et d autre part il a invent lart d en sortir quand bon lui semble ou presque C est en quelque sorte le paradoxe de Magritte homme de confort de tradition et de routine et homme de rupture et d exploration y compris par rapport au monde des artistes C est la rupture totale avec les habitudes mentales propres aux artistes prisonniers de leur talent de leur virtuosit Il s agit d une nouvelle vision o le spectateur retrouve son isolement et entend le silence du monde Ibid 662 Car Magritte se veut m diateur mystagogue et initiateur au monde des myst res Ses tableaux en sont des portes ouvertes aux spectateurs d sireux d acc der aux deux faces des objets et du monde La strat gie de Magritte se nourrit de l intelligence dist
39. pr sentations en les interpr tant y compris dans leurs contradictions ou limites Ce en quoi notre enqu te est bien de type compr hensif Bien que fatalement exog ne cette analyse a d une certaine mani re une pr tention endog ne Ce faisant et dans les limites de cet exercice d utilisation du syst me des interpr tants fournis par l auteur nous tentons d en prouver la pertinence et les limites Deux pr cisions sont encore ici n cessaires Nous ne croyons pas que le producteur du message soit le seul d tenteur du bon usage que l on peut faire de son oeuvre Et bien que nous d sapprouvions l attitude qui consiste tenter d analyser un objet sans en lire le mode d emploi nous savons que les d clarations des auteurs sur leurs intentions ne sont pas des dogmes Nous verrons d ailleurs que les crits de Magritte utilis s comme interpr tants conduisent une sorte d impasse celle du myst re que nous tenterons de d passer en exploitant d autres informations qu il donne au sujet de sa relation aux objets M me si pour constituer notre syst me d interpr tants ma grittiens nous avons op r consciencieusement partir du corpus des textes de Magritte rassembl s par Andr Blavier et par quelques autres nos pr l vements dans ce corpus ont un lien avec nos hypoth ses qui ont la fois servi de guide et de filtre M me si nous avons veill contr ler rigoureusement notre travail et qu
40. prit 22 Figure 2 Quant aux motifs de la chemin e et du miroir ils sont si proches de ceux qui figurent dans La reproduction interdite que l on devine que l intention de Magritte visait entretenir son commerce avec James quitte souligner les ressemblances pour s duire le collectionneur Cette hypoth se est renforc e par un d tail qu notre connaissance aucun analyste n a not Elle concerne le chandelier de gauche qui se situe du m me c t que James dans le portrait de dos Tout comme le faux reflet de James dans le miroir le reflet du chandelier est aussi un faux reflet Dans les deux images Magritte utilise le m me truc au m me endroit ce qui ne manque pas de fonctionner comme une autocitation pour qui est inform du projet de communaut de destination des deux oeuvres Nous avons pris conscience de ce ph nom ne lors de la reconstitution informatique en trois dimensions de La dur e poignard e que nous destinions l tude multim dia pr sent e dans le site web imagesanalyses Le logiciel 3D utilis ayant une fonction de calcul automatique des reflets il renvoyait immanquablement l image du dos du chandelier dans le miroir Pour reproduire l effet obtenu par Magritte nous avons d d brayer localement cet automatisme Ce jeu discret avec la disparition partielle du reflet est une sorte de clin d il James Un clin d il que ne per oit pas l observateur dont l attention est at
41. rd 1924 166 Figure 1 Ren Magritte La dur e poignard e Huile sur toile 140 x 97 5 1938 The Art Institute of Chicago Ren Magritte est l un des peintres favoris des s mioticiens de la culture visuelle Il est vrai que son art des images est un bon candidat pour une aventure s miotique tant ses uvres semblent inviter l interpr tation Pourtant Magritte ne cessa de lutter contre de telles RS SI vol 28 2008 n 3 vol 29 2009 n 1 Association canadienne de s miotique Canadian Semiotic Association 82 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry approches qui selon lui manquent la fois le choc des images et le myst re des objets qu elles figurent partir d une tude de La dur e poignard e de 1938 nous tenterons d acc der ces r ceptions et aisth sis manqu es et de comprendre le projet esth tique et s miotique de Magritte partir de ses d clarations r it r es Apr s un bref expos de notre position th orique et de notre programme de recherche nous proc derons un rapide inventaire des motifs utilis s dans cette uvre et nous le comparerons au r pertoire des figures utilis es par Magritte Nous inscrirons ensuite cette uvre dans son environnement de commande avant de traiter plus en d tail la question du Myst re auquel Magritte a tent d acc der dans toute son uvre Ce sera l occasion d aborder sa conception des objets des habitudes et des symbol
42. re que po tique et iconique et pour que ce m dium fonctionne il devait le d caper de ce qu il n tait pas le genre le style l illusion le fantastique l inconscient le symbolique l interpr tation psychanalytique Blavier 1979 643 6657 etc Dans ses textes et d clarations tel un mystagogue Magritte affronte la d finition du Myst re dont il ne cesse de r affirmer la relation son travail Les citations suivantes qui datent des ann es 1966 et 1967 un peu avant sa mort en t moignent avec force et insistance J ai le sentiment de vivre dans le myst re Tout dans la vie voque le myst re Ibid 659 J entends par myst re ce qui est inconnaissable Ibid 652 Les contingences du visible sont ins parables du myst re absolu sans lequel elle ne serait pas possible Ibid 669 Ce n est donc pas une repr sentation du myst re que je recherche mais des images du monde visible unies dans un ordre qui voque le myst re Ibid 652 Mes tableaux sont des pens es visibles Ces pens es sont form es exclusivement par les figures que le monde m offre Ces figures sont r unies dans un ordre qui voque le myst re Ibid 537 Et finalement dans cette citation qui le rapproche des Surr alistes Le surr el est la r alit qui n a pas t d barrass e de son myst re Ibid 537 Ce myst re ce surr el cet inconnaissable c est aussi Dieu N
43. rge 1926 ou 27 mais comme nous le verrons c est surtout le manteau de chemin e et le miroir qui figurent dans La reproduction interdite 1937 qui nous importent ici e La repr sentation des miroirs appara t dans les uvres ant rieures La dur e poignard e notamment en 1926 dans Les liaisons dangereuses puis en 1937 dans En hommage Max Sennett Le miroir fait son apparition sous sa forme linguistique en 1928 dans La querelle des universaux et dans L usage de la parole et toujours la m me ann e dans les titres Le faux miroir et Le miroir vivant Enfin dans l image et dans le titre encore il appara t dans Le miroir magique 1929 Apr s 1938 nous n avons pas retrouv de figuration de miroir dans le corpus que nous avons explor En revanche nous connaissons diverses figurations de bougeoirs et de chandeliers Leur motif tourn est d ailleurs tr s proche des pieds de table ou bilboquets en bois tourn qui abondent dans l uvre de Magritte Voir par exemple La loi de la pesanteur 1928 On en trouve aussi quelques exemplaires dans des photographies de Magritte e Le dormeur t m raire 1928 quant lui cumule un miroir une bougie et son petit bougeoir ainsi que la cellule en bois du dormeur e Le motif de la pendule est relativement rare Il n appara t que dans L id e fixe 1928 Les reflets du temps 1928 Illumination 1934 La clef des songes 1935 et un dessi
44. ribu e et m me s diment e dans l organisation ordinaire des objets pour y cr er une disjonction La s dimentation des habitudes qui sont selon Peirce des pr dispositions agir stabilis es sont pour lui des tremplins vers l autre face des habitudes vers leur origine Dans La dur e poignard e ni l aspect de la locomotive ni celui de la pi ce ne sont hors du commun Ce sont des vues banales Nous utilisons sciemment ce terme dans son sens ancien et toujours pr serv de ce qui est assujetti aux droits et aux r gles de l usage Rey 1992 173 Ce qui importe pour Magritte et ceci vaut pour la majorit de ses images c est que la rencontre adapt e S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 97 de deux banalit s puisse engendrer par transfiguration de leur banalit m me une sortie non pas vers l extraordinaire et le fantastique mais une r gression vers ce qui le pr c de c est dire l originalit Assurer le passage du r gl ce qui pr c de la r gle l origine c est assurer la mutation de la banalit vers l originalit Ce sont des images qui se rencontrent qui s imposent moi Toujours des images des objets les plus simples comme chacun peut en voir autour de soi un chapeau un grelot une pomme un chevalet un oiseau un r verb re un mur de briques des souliers un complet veston Seulement le chapeau repose parfois sur une pomme l oiseau est en pierre les souliers
45. roits o l on se r chauffe C est ainsi que jadis les tres taient habitables Quand leur taille s est adapt e aux pi ces plus petites de l habitat urbain les usagers ont continu s en approcher pour profiter de leur chaleur S accouder sur leur manteau pour se r chauffer et contempler le feu est devenu une habitude toujours courante Cette habitude et l attitude qui en r sulte ont t exploit es tant par la peinture que par la photographie pour pr senter des sc nes de la vie quotidienne ou des portraits La chemin e fonctionne alors comme un accessoire contextualisant ou comme une pi ce d apparat mais aussi comme une figure de la pose dans les syst mes de repr sentation C est ainsi que James pose devant la chemin e dans La reproduction interdite et que nous connaissons au moins quatre photographies de Magritte ou repr sentant Magritte posant devant ou proximit de chemin es cf fig 4 Figure 4 R f rence photographique inconnue 94 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry Mais la diff rence de la chemin e pose de La reproduction interdite celle de La dur e poignard e accueille bien une chaudi re et c est la fonction calorif re et fumante qui est mise en vidence alors que simultan ment elle est perturb e par l origine ferroviaire de ce po le locomotive La troisi me tude porte sur le quatuor chemin e miroir pendule bougeoir qui est un condens de domestici
46. rstandable But if one does not reject the mystery one has quite a different response One asks other things A poet friend of mine for example when he first saw L aimable v rit said For a moment I was struck by panic It is precisely this moment of panic which counts and not any explanation of it I am repatriated by a moment of panic These are the privileged moments that transcend mediocrity But for that these doesn t have to be art it can 102 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry happen at any moment Blavier 1979 647 part Magritte et quelques uns de ses amis probablement tr s sensibles bien peu de spectateurs ont t en tat de choc devant ses images et le cas ch ant rares ont t ceux qui ont su appr cier le moment de panique qui s en est suivi Tout au plus ces images sont elles jug es comme tant surr alistes terme artistique tr s galvaud qui est le plus souvent utilis dans son sens ordinaire de qualification des situations bizarres tranges et extravagantes En revanche les images de Magritte ont t diffus es tr s grande chelle par la publicit les posters et autres reproductions Elles font vraiment partie de la culture visuelle de masse o elles sont manifestement appr ci es pour le clin d il qu elles adressent l ordre des choses et tout particuli rement pour les nombreuses interpr tations symboliques qu elles favorisent au grand damne d
47. s obtenu un tel jeu d ombre et de lumi re au m ridien de Paris et donc de Bruxelles vers 13 heures Il est donc bien un peu plus de midi dans cet espace temps coh rent o l heure solaire et l heure de l horloge S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 93 ont probablement t reli es physiquement et conventionnellement l occasion d un r glage spatial et temporel du temps Magritte est il parvenu cette ma trise tr s pr cise de la repr sentation du temps ou a t il utilis une photographie comme mod le C est bien videmment vers cette solution que nous penchons Outre la locomotive et son jeu d ombre tr s coh rent lui aussi cette image repr sente tr s probablement un pr l vement photographique instantan d un espace domestique dont les composantes coordonn es sont g r es par nos habitudes de gestion de la lumi re habitudes conformes l heure affich e par la pendule dont le r le est d assurer la co ncidence et la continuit entre l ordre cosmique et le d coupage de la journ e ceci de jour comme de nuit Notre seconde tude porte sur cette portion de la pi ce qui est domin e par l ensemble coordonn que constitue le manteau de la chemin e et sa parure traditionnelle compos e d un miroir et d une pendule flanqu e de deux bougeoirs Les foyers de chemin e sont fonctionnellement et esth tiquement destin s accueillir des flamb es et tre des end
48. s que Magritte esp rait ouvrir les portes de la pr sence ant symbolique et ant s miotique ses spectateurs Selon notre hypoth se ce qu il nommait des pr sences d esprit tait en fait le r sultat d une interruption de l exp rience de la pens e au niveau du fait brut du fait non encore articul au monde par les habitudes et les usages automatiques et c est en ce sens que nous interpr tons son id e d authentique sentiment de l existence que nous rapprochons de la second it phan rique ou s miotique peircienne Quant au myst re l nigme que mes tableaux taient je dirais que c tait la meilleure preuve de ma rupture avec l ensemble des absurdes habitudes mentales qui tiennent g n ralement lieu d un authentique sentiment de l existence Sur ce point la th se de De Tienne est aussi valide que la n tre En revanche l exp rience de Magritte au sujet de la myst rieuse existence des moulures d une porte nous incline penser qu il s agit d un arr t sur la second it de la s miose Cette rupture remonte au moins 1925 et d rive d une exp rience qu il relate dans ces termes Par la suite j introduisis dans mes tableaux des l ments avec tous les d tails qu ils nous montrent dans la r alit et je vis bient t que ces l ments repr sent s de cette fa on mettaient directement en cause leur r pondant du monde r el Je d cidai donc vers 1925 de ne plus peindre
49. sible l inconnu et le sensationnel Magritte lui m me manque non seulement d outil th orique pour expliciter son intention mais le contexte de r ception artistique dans lequel il a laiss s inscrire ses images travaille contre lui En effet le monde des arts visuels entretient et m me exacerbe un certain type d habitude interpr tative une demande exacerb e de signes et de s miose Pour le spectateur les oeuvres sont des mondes qui incitent penser elles rec lent m me un plus de sens que les exp riences ordinaires et s il cherche une porte ce sera plus celle de la prolif ration du sens que celle de sa r duction En cr ant des associations d objets qui posent un probl me de pertinence et de coh rence Magritte lance la machine r soudre le myst re plut t qu une improbable machine a s miotique capable d accepter le myst re et ses dessous L histoire de la culture visuelle fournit m me une grande quantit de solutions plus ou moins satisfaisantes aux spectateurs tonn s qui voient dans ses images des oeuvres fantastiques imaginatives sot riques symboliques et m me surr alistes Magritte aura beau s en d fendre toute sa vie et lutter contre de telles interpr tations il n est pas parvenu les viter et son oeuvre est rest e incomprise ou plus exactement comprise autrement Magritte b n ficiait sans doute d une disposition d esprit qui lui permettait d acc der des exp riences de la consci
50. st actuellement Directeur du Centre de Recherche Images Cultures et Cognitions CRICC LETA du Master Multim dia Interactif du Master Etudes Culturelles et des formations professionnelles aux M tiers des Arts et de la Culture l Universit Paris 1 Il enseigne la s miotique pragmatique dans les universit s Paris 1 et Paris 8 ainsi que dans les universit s de Tunis et de Carthage de Recife et de Curitiba au Br sil Il est chercheur l institut Ledia Arts de Yonsei University S oul Il dirige depuis 1984 les formations culturelles l Universit Paris 1 et a t Directeur du d partement d Information et Communication l Universit Paris 8 Pendant neuf ans il a t directeur de la communication de l Universit Paris 1 Il est Directeur depuis 1993 de la revue Internationale de communication MEI M diation et Information Ses recherches concernent prioritairement les approches s miotiques pragmatiques constructivistes syst miques et interactionnistes de la culture visuelle et mat rielle images m dias et design Il a publi et dirig 17 livres et plus de 140 articles de revues et ouvrages scientifiques et donn plus de 115 communications dans des colloques internationaux
51. t bourgeoise Baudrillard 1968 33 s miotiquement stabilis et historiquement d pass que le surgissement de la locomotive fumante vient dissocier Dans cette sc ne l tre de la chemin e est obstru et les bougeoirs sont sans bougie Plus que la perp tuation d habitudes ancestrales ils assurent les r les de signes du pass d barrass s de leurs fonctions et rig s au rang de s miophores de la domestication du feu chauffant et de la flamme clairante Quant la pendule qui est l quivalent dans le temps du miroir dans l espace elle assure comme ce dernier une introjection encadr e du temps et de l espace dans la maison comme monde en miniature Cette association d objets en parure sont des rappels de la g n alogie que la maison bourgeoise entretient avec son patrimoine rural et la ma trise que la maison moderne exerce sur les forces de la nature la chaleur la lumi re l espace et le temps Est ce ce monde d objets habituels que la chaudi re fumante de la locomotive vient vaporiser ou est ce ce monde convenu et compass qui r v le et dilate la puissance thermodynamique et moderne de l engin ferroviaire signe de vitesse et de prestige C est ainsi que Magritte casse les liens de la culture mat rielle pour lib rer les objets de leur intelligence habituelle d une part et d autre part pour les remplacer par une intelligence po tique permettant d voquer le myst re que rec le la r alit
52. tir e par l assemblage troublant de la locomotive et de l tre mais un clin d il qui fait signe qui peut rapprocher les deux images James par exemple qui d s 1939 put interpr ter au moins localement La 90 Recherches s miotiques Semiotic Inquiry dur e poignard e partir de La reproduction interdite Nous r sisterons la tentation de jouer avec les associations qui mergent de la lecture de ces deux titres ainsi qu les mettre en relation avec le commerce que Magritte et James entretenaient L vocation du myst re Le myst re selon Magritte Magritte aurait aim nous faire partager son exp rience de la r alit de la r alit des choses R alit qui selon certaines dispositions de l esprit peut donner acc s au myst re de l existence Blavier 1979 669 C est une conviction qu il a forg e l occasion de certaines exp riences mentales qu il a nomm e pr sence d esprit et c est pour partager cette exp rience qu il a adopt le chemin de l art des images car c est en images qu il pense dit il C est aussi en ce sens qu il reconna t avoir conjoncturellement adopt la voie Surr aliste ouverte par le mouvement du m me nom Palmer 2004 202 Il cherchait avant tout un moyen susceptible de donner voir cette r alit qui selon lui est une porte ouverte sur le myst re qui chappe ceux qui ne sont pas disponibles Pour lui cette porte ne pouvant t
53. tre anglais Time Transfixed attribu cette oeuvre Les auteurs pr cisent que la traduction plus juste aurait t Ongoing Time Stabbed by a Dagger visit le 28 septembre 2007 No S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 105 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 Magritte 12 juillet 1939 Lettre Edward James du Edward James Fundation West Dean Lettre Hornick 8 mai 1959 Fonds A Bosmans Bruxelles Cette lettre est connue par un brouillon que Magritte a envoy son ami Andr Bosmans le 11 mai 1959 la lettre elle m me n a pas t retrouv e http imagesanalyses univ paris1 fr Cette reconstitution 3D a t effectu e par J r me Tailhades et Naji El Mir Ernest Degrange Nos artistes chez eux entretien avec Magritte m taphysicien international in Nouvelle gazette de Charleroi 2 f vrier 1967 son poque c tait dans le domaine po tique la seule orientation qui fut la fois disponible et au plus proche de ses pr occupations mais il ne se consid rait pas vraiment comme un Surr aliste ni comme un artiste d ailleurs Magritte r alisait que la po sie de l image tait plus importante que la peinture comme telle et aussi que sa fa on de mat rialiser une vision myst rieuse des objets passait par le Surr alisme Magritte d testait particuli rement tous les recours la psy
54. tte ne veut pas aller au del des habitudes mais en de des habitudes dans le monde qui s pare l aisth sis de la s miosis Inventaire des composantes Dans l immense majorit des cas les tableaux de Magritte comportent peu d l ments distinctsf et le plus souvent seulement deux d entre eux sont op rationnels po tiquement Ils appartiennent tous ou presque un r pertoire d objets de mots et de personnages limit dont les combinaisons sont simples et r currentes La po tique visuelle de Magritte semble construite partir d un dispositif topologique assez simple inclusions superpositions juxtapositions voisinages associ divers dispositifs de m lange de formes de couleurs et de textures figur es La sc nographie elle m me est g n ralement simple et lisible le dessin est clair la gamme chromatique assez peu tendue et la facture tr s neutre Le tout est homog n is par le syst me figuratif perspectif stabilis en Occident depuis plusieurs si cles Magritte joue d ailleurs avec les r gles de ce syst me moins pour le d construire que pour acc der ses fins d vocation du myst re Les uvres sont g n ralement accompagn es d un court texte qu institutionnellement on appelle un titre mais qui dans le cas de Magritte ne fonctionne pas selon les principes convenus d explicitation synth tique et de paraphrase du contenu En r ception l habitus artistique en vigueur
55. u Ma tre de Bruxelles Finalement si la porte ouverte par Magritte est prise contresens c est que ses spectateurs ne la voient pas mais surtout qu ils prennent grand plaisir jouer au passe muraille Annexe Inventaire partiel 1 Vues de pi ces int rieures Les complices du magicien 1926 La sortie de l cole 1927 Les muscles c lestes 1927 La g ante 1931 L attentat 1932 Le domaine d Arnheim 1949 Les valeurs personnelles 1951 52 La chambre d coute 1952 Le monde invisible 1954 Le tombeau des lutteurs 1960 etc 2 Motif des planchers de bois Les complices du magicien 1926 La for t 1926 Les muscles c lestes 1927 La saison des voyages 1927 La sortie de l cole 1927 Tentative de l impossible 1928 La promesse solitaire 1928 La vie secr te 1928 Au seuil de la libert 1930 La g ante 1931 L attentat 1931 ou 32 La r ponse impr vue 1933 Ir ne ou la lecture d fendue 1936 La g n ration spontan e 1937 La vengeance 1939 Le domaine d Arnheim 1949 Les valeurs personnelles 1951 52 La chambre d coute 1952 Les valeurs personnelles 1952 Le mod le vivant vers 1952 Le monde invisible 1954 Le tombeau des lutteurs 1960 Journal intime 1964 Deux myst res 1966 3 Motif des panneaux de bois Tentative de l impossible 1928 Le salon de Monsieur Goulden 1928 ou 29 L abandon 1929 Le sens propre V 1929 et L automate 1929 q
56. ualis es conjointement Bien videmment en tant qu analyste interpr te nous ne sommes qu un modeste carrefour un peu singularis des flux de croyances d habitudes et de connaissances qui constituent le Mind que nous avons plus ou moins incorpor s et auquel en retour nous esp rons contribuer en donnant voir autrement les uvres de Magritte par exemple Ce texte ne rend compte que d une partie des processus interpr tatifs qui ont t d clench s l occasion de notre tude En outre le processus interpr tatif dominant s est provisoirement interrompu quand les conditions pragmatiques de sa cl ture ont t ma tris es et pr cis ment quand l objectif d monstratif a t atteint mais aussi quand les limites temporelles et spatiales de la recherche ont t satur es et que le format conventionnel du genre article a t abouti Depuis quelques ann es notre programme de recherche s miotique a consist tenter de mettre au jour les diff rentes modalit s de construction de la signification en nous attachant tout particuli rement au d veloppement de diff rentes m thodes d enqu te Nous avons explor les processus s miotiques mergeants de l exp rience directe du monde des phan ra et comme il se doit en s miotique triadique nous avons tent d observer l mergence des signes au point de rencontre d un representamen d un objet et d un interpr tant tapes liminaire pr parant au d veloppem
57. ui lui sont presque consacr s La g ante 1931 L invasion 1938 Le retour la nature 1938 ou 39 La vengeance 1939 Le repas de noces 1939 La Saign e 1939 Le survivant 1950 La lunette d approche 1963 S miotique du syst me des objets dans la po tique de Magritte 103 4 Motifs de bois L aube Cayenne 1926 L oiseau mort 1926 La chambre du devin 1926 L ange migrateur 1926 Le parc du vautour 1926 Les paves de l ombre 1926 Le conqu rant 1926 Cette figure est tout particuli rement utilis e en 1927 La saison des voyages Le d mon de la perspective La passion des lumi res D couverte La doublure du sommeil La culture des id es Le prince des objets La promesse solitaire La r colte des nuages Les muscles c lestes La fin du temps Le brise lumi re La confidence capitale 1928 La loi de la pesanteur 1928 Le palais d une courtisane 1928 L id e fixe 1928 L alphabet des r v lations 1928 ou 29 Le sens propre 1929 La naissance des fleurs 1929 Le Mod le rouge 1935 La bonne aventure 1938 Le repas de noces 1939 La m moire 1942 La travers e difficile 1946 La philosophie dans le boudoir 1947 Perspective II Le balcon de Manet 1950 mais aussi la gouache de La trahison des images 1952 La naissance de l idole 1926 la suite de l eau 1926 Le mariage de minuit 1926 ou 27 L amour d sarm 1935 Les liaisons dangereuses 1936 et Le voya
58. un substitut ou d un simulacre mais c est tre mis en face face devant l apparence ou encore participer l apparition de l apparent Le trait important est ainsi celui de l imm diatet qui caract rise la conscience phan ronique apparences et esprit ne font qu un rien ne joue les interm diaires entre les deux il n y a donc pas de signes Ce qui appara t n est par cons quent pas repr sent Ibid En compl ment cette th se plus qu en opposition nous formulons l hypoth se que par un exc s d attention ou par un puisement de l attention Magritte parvenait interrompre ou contourner le processus de la s miose interne du signe avant qu un interpr tant et ou un objet ne viennent l accomplir Ce faisant il parvenait s installer au c ur de la second it dans cet tat brut de la s miose interrompue Le choc des objets qu il repr sentait dans sa peinture serait l quivalent de la suspension de s miose que provoque une surprise ou un choc inattendu et impr visible Etre en tat de choc c est ne plus pouvoir penser les v nements dans leur g n alogie ni relier les causes aux effets ni concevoir leurs finalit s Je crois que j prouve un myst re non familier devant tout ce qui est r put tout naturel C est la surprise Je suis toujours surpris Blavier 1979 636 Bien qu il n ait probablement pas eu acc s aux th ses s miotiques de Peirce la m taphore des murs et de la p
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