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1. on sanctionn e par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propri t intellectuelle www seuil com Le Dieu est proche et difficile saisir H lderlin Extrait de la publication Pr face Chaque fragment de sa vie est contredit par un autre En 1933 il se fait renvoyer d un d p t de la Marine nationale on lui reproche d avoir cit Paul Val ry dans une dissertation sur la natation apr s s tre d clar analphab te Ce qui ne emp che pas en 1939 d tre affect au renseignement militaire note un d pliant de pr sen tation du film que Jean Luc Alpigiano a consacr en 2000 Jean Cayrol Lazare parmi nous Double personnalit go t de la clan destinit plus que de la dissimulation ou volont farouche depuis toujours d chapper tout tiquetage toute identit aux fron ti res arr t es toute fonction cadr e et encadr e tout r le social d ment rempli et affich fa on de dire non pas seulement Je ne suis pas celui que vous croyez mais Je ne suis pas l o vous me croyez et en d finitive Je ne suis pas des v tres D dain de la repr sentation de la respectabilit ou souci combien m ri par l exp rience de ne pas se faire remarquer de pr f rer vivre l mer veillement et la douleur dans la peau d un homme apparemment quelconque plut t que de se laisser racornir dans des c nacles l motion rar fi e parmi d autres parven
2. avec l Agence de l Eau l ADEME Agence de l Environnement et de la Ma trise de l nergie et PUNIC Union Nationale de l Imprimerie et de la Communication La marque Imprim Vert apporte trois garanties essentielles e la suppression totale de l utilisation de produits toxiques e la s curisation des stockages de produits et de d chets dangereux e la collecte et le traitement des produits dangereux avr Q A Q S R ALISATION CURSIVES PARIS IMPRESSION NORMANDIE ROTO IMPRESSION S A S LONRAI D P T L GAL AVRIL 2012 N 104558 0000 IMPRIM EN FRANCE
3. d couverts et contribu mettre sur orbite 19 JEAN CAYROL UNE VIE EN PO SIE ceux l il a certes r p t certaines des injonctions qu il s tait vu infliger et qu il aurait pu s adresser lui m me rappel du mes sage surr aliste cultiver une limpidit qui d barrasse le style de ses caillots exhortation se d tourner de ce qui sent par trop le m tier stigmatisation de ce savoir faire tout juste bon d bou cher sur une esp ce de brillante m diocrit etc mais plus les ann es passent plus il voit se profiler l av nement d un monde post litt raire comme on le dit aussi post industriel qui lui fait craindre le rabaissement de son art une litt rature de service utilitaire ou de divertissement consid rer les uvres qu il a aid faire venir au monde on ne peut en effet que constater que de rares exceptions pr s les t tes br l es ont perdu leurs r ves avec leurs cheveux et pris les places qui s offraient cumulant les jetons de pr sence dans les r dactions la table des jurys et celle de comit s de lecture o elles ne reconna traient plus leurs d buts dans les choix de leur maturit La subversion des c urs et des esprits note le po te ne passe d cid ment plus par les uvres crites et y passe rait elle encore que celles ci ne seraient plus reconnues ni retenues par les filtres d un milieu o la t l g nie et le carnet d adresses
4. di tions du Seuil o il publia des crivains aussi diff rents que Roland Barthes Michel Braudeau douard Glissant Erik Orsenna Didier Decoin Marcelin Pleynet Jean Marc Roberts Denis Roche Pierre Guyotat bien d autres encore Ses seuls enfants auront t ses 1 La vie r pond GLM 1948 23 JEAN CAYROL UNE VIE EN PO SIE auteurs il en a capt le premier cri dans crire un objet cer tainement unique dans l histoire de l dition Innombrables et par fois terribles ces enfants l image de Philippe Sollers un Bordelais lui aussi qui place tr s haut le Lazare de Cayrol entre La Naus e et Voyage au bout de la nuit On peut aussi bien le glisser aux c t s de Kafka il ne s y serait pas senti d pays lui qui croyait que Phomme a perdu le ciel tout en ne pouvant vivre sans lui Je revois son il mobile qui me fouaille comme celui d un de ces petits rapaces que l on aper oit de temps en temps perch s sur un fil lectrique au dessus du bocage Dans ses vies ant rieures il s est appel Adam Icare Ulysse Lazare Il ressuscite dans chaque livre jamais semblable toujours le m me Jean Cayrol est un homme venu d ailleurs Dieu sait exactement o D ailleurs et d avant L entreprise litt raire de Jean Cayrol dit Pierre Mertens est magnifiquement et secr tement exemplaire parce que cette uvre n est pas maudite m me pas m connue mais elle reste tapie dans la couliss
5. tiennent d sormais lieu de curriculum et de laissez passer aux imp trants Quelle prescience dans cette mise en garde confinant la pr diction dat e d j du num ro 5 d crire la toute fin des ann es 1950 L criture n est pas seulement succulence gentil miroir rencontres flatteuses mais un moyen de combattre et de s opposer avec le mot le plus modeste comme avec le plus souverain un enva hisseur astucieux et courtois qui saura sans parler rendre le lan gage exsangue et l abandonner comme une cosse vide et s che aux boueux de l loquence publique Ne vous laissez pas d vorer mes chers petits plants Il est si facile d arracher la bonne herbe avec l ivraie et de les br ler dans le m me tas Il est si facile aujourd hui de faire taire un livre sans recourir aux grandes br leries nazies cet trange enfant d un si cle de terreur dont Michel Pateau a raison de ramasser la vie dans le seul mot de po sie on d diera pour braver une post rit mesquine ses aimables f lonies son ingrati 20 PR FACE tude pateline ces trois vers de Pierre Emmanuel l un de ceux qui le comprirent le mieux Vous fites plus que survivre vous avez tenu des yeux le monde au dessus de l ab me vous qui nous revenez avec des mots d enfant CLAUDE DURAND Extrait de la publication Prologue Une parole saisissante et souvent insaisie lit on dans la revue du Seuil en 1968 prop
6. tre fou pour crire encore de la po sie l heure actuelle 1 Cit par Daniel Oster Jean Cayrol Seghers coll Po tes d aujourd hui 1973 IO PR FACE De la pointe du Raz au cap Gris Nez nous avons pour tourner certains de nos courts m trages parcouru pied au d but des ann es 1960 nos quinze vingt kilom tres de sable ou de rocher de pr f rence la morte saison dans la compagnie des go lands des chiens errants des marginaux r fugi s sous terre dans les blockhaus en ruine leur pr sence attest e par un panache de fum e grise sortant et l d un talus Tour tour c tait le commencement du monde dans Pair p tillant d un lever de soleil ou la fin d un monde dans les aff ts rouill s les obus pars la jach re des jardins de villas d labr es les vestiges d une belle poque en all e les falaises rogn es par les tem p tes les cimeti res marins emport s les mouroirs de bateaux o pinasses et palangriers ach vent de pourrir au fond d estuaires que les grandes mar es n atteignent plus Remuant des clich s de cette p riode je retrouve ces vers in dits griffonn s par Jean sur un coin de nappe en papier dans un caboulot de moules frites des environs de Boulogne sur Mer par un hiver o la mer avait gel La nuit refuse de mourir elle coute le vent geler dans la grande cisaille des r ves La jeunesse se fend comme le bois dans l pouvante des mo
7. FACE battants tout en lui se fait inventaire fouaille annexion l univers entier peut s engloutir dans cette pupille dilat e l extr me comme drogu e par la fascination de ce qu elle a fait surgir du visible un r el in dit qui se r v le la mani re d une encre sympathique ou d une plaque sensible sous le candide effleurement ou la traque impatiente d un regard Mais l il qui en a trop vu qui mest pas revenu de ce qu on l a forc voir avec cette macula laiss e par l inestompable fum e du cr matoire cet il qui projette son deuil sur un visage aim l insigne beaut d un couchant une marelle d enfants une poign e de cerises offertes par une main anonyme il lui faut litt ralement se r duquer r apprendre tre lui m me source de lumi re et puisque ce monde inhospitalier le refoule sur ses marges s inviter soi m me l instar des peintres dans les tableaux qu il en fera se donner asile dans sa propre cr ation De Delft Venise ou Florence de Berlin Madrid ou Londres Cayrol retrouve dans la fr quenta tion des ma tres de la lumi re la m me r assurance qu aupr s de sa brocante famili re ces objets en d sh rence ce pass d adoption ces reliques profanes auxquels il a pr t un toit pour retrouver une place dans la continuit du monde Il fait sienne l aspiration clau d lienne remettre comme il le r p te si souvent ses auteurs l tat na
8. MICHEL PATEAU JEAN CAYROL Une vie en po sie Pr face de Claude Durand DITIONS DU SEUIL 25 bd Romain Rolland Paris XIV Pour les photos Tous droits r serv s Archives Jean Cayrol except p 7 en haut Archives UNADIF p 14 Denis Roche p 15 Ulf Andersen Pour les citations Extrait des Lettres fran aises n 606 L Humanit f vrier 1956 cit p 247 Daniel Oster Jean Cayrol Seghers Po tes d aujourd hui 1973 cit p 10 Paul Claudel Art po tique Mercure de France 1913 cit p 17 P Philippe Un martyr des camps le P re Jacques ditions Tallandier 1949 cit p 157 Pierre Jean Jouve avec la collaboration de Pierre Klossowski Po mes de la folie de H lderlin ditions Gallimard 1963 cit p 328 Marie Laure Basuyaux T moigner clandestinement Les r cits lazar ens de Jean Cayrol Classiques Garnier 2009 cit p 246 Sylvie Lindeperg Univers concentrationnaire et g nocide Mille et Une Nuits d partement de la Librairie Arth me Fayard 2008 cit p 242 ISBN 978 2 02 108025 4 ditions du Seuil avril 2012 Le Code de la propri t intellectuelle interdit les copies ou reproductions destin es une utilisation collective Toute repr sentation ou reproduction int grale ou partielle faite par quelque proc d que ce soit sans le consentement de l auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefa
9. ant des rimes sa conve nance puis s vertuant remplir rebours les lignes mais pr cise t il aussit t en un joli d menti j ai tellement regard la mer que je me suis endormi sur un sonnet que je rai jamais crit Le littoral c est l enfance des jeux interdits la prime adolescence de Part mais au m me titre qu un finisterre l o la mer vient mourir C est sur la plage de Lacanau en bordure des Landes que l enfant pillard a vu le ressac rejeter les barriques de rhum et les cargaisons de bl de bateaux naufrag s mais aussi d couvert son premier cadavre Robert Kanters lami belge chou Bordeaux qui deviendra l un des plus p n trants et f roces critiques que la presse ait connus crivit en 1935 dans un journal girondin La mer et les choses de la mer et ces esp ces de vivants qu on appelle les morts sont comme les deux refuges d une sorte de frayeur d enfant comme deux routes d vasion comme des hypostases de l espace pour les enfants prodigues revenus que nous sommes et qui ne pouvons plus compter d un c ur aussi ferme ni assez sinc re sur les vasions de la terre Toujours pour sa part Cayrol lira dans la houle et l horizon livre ouvert tournant le dos aux qu en dira t on de l int rieur qu essaiment les vents mauvais aux labours d une litt rature trop bien ordonn e aux domaines clos gard s de molosses contre la maraude o l on estime qu il faut
10. codifi es d une cri ture cossue aux finitions soign es ou celle d herm tismes d fiant l ex p se gale d testation du fin mot de l histoire et des mots de la fin au contraire pr dilection pour l inachev l tat naissant le trembl l h sitation juste la lisi re ind cise la mue Ce n est pas un hasard si devenu diteur son attention in gal e se portera sur les textes de d butants ces critures adolescentes en train de se chercher et devrait on ajouter et esp rer en train de ne jamais cesser de se trouver De Punta del Este en 1969 Je suis devant la mer en pleine chaleur en ce d but d hiver Ahuri par un si extraordinaire voyage 12 PR FACE en avion Ici on ne lit pas on mange des pralines De Tokyo en 1970 La discussion avec les diteurs s est termin e dans une maison japonaise perdue dans les gard nias vers deux heures du matin Jaime cette ville ses millions de ruelles de boutiques de buildings avec l admirable graphisme de l criture Il fait chaud et humide comme Bordeaux Plut t rares sont ces messages envoy s par Cayrol du bout du monde l occasion de l inaugura tion d une statue la m moire de Lautr amont ou d un cycle de conf rences dans l archipel des Signes ils appartiennent la p riode o le futur acad micien Goncourt est d j en repr sentation ce ne sont plus l des aventures mais des missions Jean qu on
11. e Tous ses personnages sont indistincts mouvants Ils sont des lazares des survivants Jean Cayrol pense que l on est au mieux les rescap s d un pouvantable naufrage et que le monde concentra tionnaire est la cl du n tre que nous n en sommes en fait jamais sortis On a dit de lui qu il est un Adam de la deuxi me chute qui aurait gard le souvenir de l den Il d route sans cesse les mots se bousculent dans cette voix qui commence haut perch e pour finir en note basse m tal fondant au murmure presque caressant Quelque chose de Pierre Fresnais dans le regard qui tient juste distance Fils d un dentiste bordelais sa denture au sortir du camp tait d labr e il le savait et mettait sa main devant sa bouche ce qui obligeait le visiteur pr ter oreille Les ruelles qui acc dent aux portes de Cayrol ne respirent pas le vieux r ve ferment Le po te s en est d j all pour peu qu on cherche le saisir dans le vol d un oiseau sur la plus haute branche ou la houle des lointains Plus que les rails dont l nergie conduc trice accentue la pr sence de l homme on verra o les rails un jour de 1942 emmen rent cet homme l c est la mer qui emportera 1 Interview France Culture 1997 24 Extrait de la publication Le Seuil s engage pour la protection de l environnement Ce livre a t imprim chez un imprimeur labellis Imprim Vert marque cr e en partenariat
12. e une fois la vue d gag e nul ne se soucie plus de rien regarder La pr m dita tion l ing niosit les ruses du savoir faire si elles peuvent pr parer le terrain l invention se dressent l heure de son closion en d signant un mode d exploitation qui la fait avorter Privil gi en cela celui qui encore d tenu ou largi jour et nuit en tat de r ve acc de depuis sa ge le r elle ou ressentie un surnaturel port e de main sans pr paratifs ni code d acc s 18 PR FACE Paradoxalement c est le retour du camp qui conduit Cayrol basculer avec la trilogie Je vivrai l amour des autres dans la prose romanesque Ce changement de cap dans le mode d expression accompagne moins une mont e Paris qu un non retour Bordeaux Fa on de s int grer au mouvement de l poque qui voit th tre et roman plus ou moins engag s revenir en force apr s les ann es de clandestinit o le po me fut le genre royal jusque dans les messages dada stes de Radio Londres L auteur de la pr sente biographie parle lui m me du canal endormi de la po sie emprunt pour frayer le passage via la prose narrative puis le r cit po tique une litt rature nouvelle qui apr s 1968 marquera pour l crivain reconnu ayant acc d son c ur d fendant non seulement la notori t mais la notabilit un retour d brid l lan po tique de ses d buts dans des textes l appellati
13. es exposition universelle miniature confi e au plumeau et aux commentaires d une ma tresse d cole la retraite Chasseur aux tr sors Cayrol a toujours aim fureter parmi la brocante lanti quaille il s est fait armateur de bateaux en bouteille et des arts pre miers il fut l un des premiers s prendre collectionnant toute une peuplade de masques et de totems comme pour conjurer la nuit le retour de faci s barbares C est dans cette compagnie que ni vu ni connu il pouvait embarquer vers des ailleurs inconnus des carto graphes dans une d rive plus ou moins contr l e dont le po me tait lui m me le pilote Ainsi dans cette autre page retrouv e une de celles dont jamais conome de ses textes il faisait cadeau comme on tend un fruit 14 PR FACE Je prends la paix dans la pomme je prends l pi dans la joie je prends feu dans une voix je prends le temps dos d homme Pourquoi revenir dans des mots qui n ont pas su me comprendre j attise la plume d un oiseau ma hache est bleue sur novembre Ne retirons rien de nos mains tout se fait comme un nid les ufs du jour ont d j faim je plie je d plie ma pluie Quand je serai r veill je prendrai le bord de mer la route mouill e la route paill e j aime le vent quand il est de plein air Les d parts font des ricochets sur une eau que je pagine qui voudra bien m embaucher sur un long papier de Chine J ai du voyage sous
14. es et r veille les chiens ce badaud timor qui s approche des bals et des carnavals fascin par la liesse collective tremblant l id e qu on lui demande ce qu il fait l et se carapatant pour lancer aux mouettes une fois l cart son hymne la joie ou sa complainte aux steamers et fr gates nau frag s Il est celui qui est revenu et qu on ne reconna t pas pour qui il n y a personne l adresse indiqu e et qui erre en qu te d un point fixe d un amarrage plus ou moins fiable et provisoire Mon langage aussi aura besoin d un foyer d un chauffoir crit il dans ce conte dormir debout dans sa vie qu il intitule M tait une fois Jean Cayrol 1982 Trouver une maison donc Pas celle qui l emploie rue Jacob dont il aura franchi le seuil dans un sens puis dans l autre apr s nombre d ann es de bons et loyaux services et des dizaines de livres qu il put parfois estimer avoir t publi s moins par conviction que par devoir de fid lit Non un refuge dont il faut apprendre apprivoiser les murs se concilier les invisibles occupants un foyer rassurant o reprendre souffle et convoquer le monde entier l image de ce mus e municipal de Ch teaudun miteux et mit o nous tourn mes De tout pour faire un monde 1963 parmi des buissons de volatiles d penaill s et toute une faune exotique pass e il y a cent ans des mains d explorateurs palud ens en celles de taxi dermist
15. issant le temps dans l ternit Sous ce qui recommence il y a ce qui continue La mati re brute persiste la plante et l animal m me font partie du cycle qu ils historient de l ann e comme le jacquemart sortant de sa gu rite frappe sur la cloche les demies et les quarts Phomme seul ne marque d autre heure que la sienne Il sent en lui il poss de en lui le mouvement m me dont les horizons successifs qui s largissent autour de lui sont les reporteurs circon f rants Ce ne sont plus les astres qui fixent notre destin e avec l arr t horoscopique ce sont eux m mes qui ob issent la palpita tion h r ditaire d l gu e ce vase clos de la vie sous mes c tes Celui que ses cod tenus surnommaient au camp Canari cause de cette fragilit frileuse qui lui fera craindre jusqu au bout le froid du soleil fixe sur ce qui l entoure un il rond car il est le premier surpris d tre encore de ce monde mais c est un il en 1 Paul Claudel Art po tique Mercure de France 1913 17 JEAN CAYROL UNE VIE EN PO SIE tat de veille qui devine aussi bien la menace r dant dans son dos que l autre c t du miroir qui sait voir parce qu il a au pr alable d sappris tout ce qu il croyait savoir un regard affam d amour et se nourrissant de son impossibilit Quand mon regard devient loin tain c est sur toi qu il se pose r cite Suzanne Flon dans Madame se meurt qui cr e des fa
16. la paillasse des palmiers nus et vaporeux entends dans les sombres calebasses la vieille foire des peureux l poque la Cin math que d Henri Langlois n avait pas encore migr au Trocad ro et c est rue d Ulm que Jean et moi vimes un soir de 1959 ce qu il faut bien appeler avant de parler de film culte un film fondateur The Savage Eye r alis en r action la 15 JEAN CAYROL UNE VIE EN PO SIE toute puissance des majors d Hollywood et leurs superproduc tions par Joseph Strick qui allait adapter plus tard Joyce Henry Miller et Genet dans un genre hybride celui d un documentaire l image dramatis la bande son une jeune divorc e d barque Los Angeles et p r grine travers la ville exhib e dans son insolite et crapuleuse mochet comme dans les cercles de l Enfer tout en tant sans cesse interpell e par un narrateur qui n est autre que le film lui m me Gr ce au savant montage d synchronis effectu par Sidney Meyers qui emprunte la technique du cut out ch re Burroughs le r cit quasi al atoire au lieu de faire sens comme on dit de nos jours plonge le spectateur dans un malaise ind finis sable tout de surprise hypnotis e de perte de rep res et de peurs obscures On retrouvera l influence d cisive de ce chef d uvre dans les modestes courts m trages et dans l essai sur le cin ma que Jean et moi avons cosign s dans la premi re moiti des ann es 1960
17. mais inconsciente ou informul e force est de reconna tre l troite parent entre cet il sauvage et celui que portait d j sur l espace humain le po te et romancier r merg de la nuit et du brouillard si peu en famille en revanche avec une cole du regard aux liens plus l ches que ses th oriciens et g rants n ont voulu apr s coup le donner penser L il dit le Christ est la lumi re du corps Soit mais qui habite ce corps Si c est par la vue qu il existe au monde le voyeur cayrolien ne se sent pas pr sent derri re son propre regard il ne fait pas corps avec lui m me on l a expuls de soi il a vocation tre sempiternellement un autre et ailleurs Pour tenter de rena tre au monde qui l entoure il lui faut reconstituer de bric et de broc un puzzle ressemblant pr lever par le regard des pans de r alit attes tant qu il est encore capable de se les approprier mais sous peine de le voir sans cesse lui chapper il doit obtenir la reddition de ce r el fuyant le cerner l enserrer l incarc rer dans un cadre le presser jusqu en faire jaillir de l imaginaire pour reprendre une expres sion qui toute sa vie tiendra lieu de s same l crivain il lui faut passer de la vue la vision Ce faisant l il redevient la fen tre de Phomme ce qu il lui est donn de voir le po te s ouvre deux 1 Le Droit de regard Seuil 1963 16 PR
18. on non contr l e publi s sous le manteau d un genre hybride ni po mes en prose ni proses po tiques o se donne libre cours la permissivit d un cr ateur devenu ses propres yeux hors d atteinte des avis conseils et rappels l ordre n en faisant plus qu sa t te et la t te d lib r ment ailleurs dans les nuages Car force d avoir inject dans cette prose ses yeux toujours trop copie conforme les vitamines de ses bonheurs d criture il s est retrouv en butte sur le tard aux affectueux reproches et aux r serves de ses premiers mentors tant t Albert B guin qui lui recommandait de moins c der la f brilit de se montrer moins facile lui m me tant t Mauriac qui lui faisait grief de la gratuit de morceaux de bravoure introduits d office tant t encore Robert Kanters lami fid le et sourcilleux qui l exhortait se d lester d un trop plein d images de ces artifices de blanc bec qui se croit trop malin M me si beaucoup commencer parfois par un diteur r sign ne lont pas compris on voit mieux pourquoi Cayrol a pr f r ne pas renoncer la profusion de son r pertoire et sa virtuosit plut t que de se couler dans le moule d une litt rature qu il voyait se formater du fait de l omnipr sence des nouveaux m dias et d une dilapidation des identit s culturelles y compris m me h las sous la plume d auteurs qu il avait
19. os de Jean Cayrol Faire la biographie d un tel homme c est en effet tenter de saisir l insaisissable Les cl s pour entrer dans son univers sont accroch es au trousseau des songes d pos es au fond de la mer et au fond des ges dans les racines des arbres les eaux noires des tangs de l enfance Il est un rouge gorge qui s attarde familier et fraternel sur une terrasse et qui s envole tire d aile d s qu on le regarde de trop pr s Un homme dit il 1 cest facile faire difficile dire Il dans l un de ses po mes sera toujours pour moi ce petit homme fr le t te d oiseau qui flotte en robe de chambre au milieu des antiquit s chinoises dans un appartement trop grand o il a l air tranger Le nom de Jean Cayrol m voquait alors comme celui de Paul Gadenne quelque crivain un peu oubli dans une biblioth que des ann es 1950 Je le confondais avec les objets pr cieux qui l entouraient Je d couvris plus tard qu une petite confr rie veillait pieusement sur lui le consi d rant comme un po te et un crivain majeurs du xx si cle Ce petit homme qui avait l apparence fragile d un de ses bibelots avait connu l enfer de Mauthausen il a veill les consciences sur la folle entreprise de d shumanisation des temps modernes Po te roman cier cin aste journaliste il fut aussi avec J r me Lindon l un des plus grands diteurs de l apr s guerre v ritable naisseur des
20. ts Croire aux parapets aux oiseaux froids que la neige r chauffe l hiver qui s avance plus loin que d habitude On ne refait pas sa nuit quand la mer a fait de ombre ses cumes Se rappeler qu un jour on avait d couvert le monde II JEAN CAYROL UNE VIE EN PO SIE le sable qui sautait aux yeux q y un appel dans le vent qui men finissait pas de siffler dans les t tes L Europe est morte avec les graffitis il faut tomber plus bas que terre comme dans un infime coquillage mal referm manteau l ger de la peau vie plus lourde miel Dans l un des essais qu il a consacr s Cayrol Daniel Oster rel ve que le p riple ulyss en amorc en 1935 avec Ce nest pas la mer aboutit dans Histoire de la mer 1973 une plong e subaqua tique plus bas que mer si l on peut dire o une fillette amphibie s invente une vie en refusant d abdiquer ses extases dans un l ment mouvant et nourricier qui n est autre que le langage non domestiqu sans contrainte ni interdit celui l m me dont le po te aura toute sa vie revendiqu l usage tout en niant lui avoir jamais trouv un mode d emploi Je ne suis pas s r qu on doive y voir comme Oster le laisse entendre une cl psychanalytique de l uvre Plut t une de ses or es de ses clairi res car rarement une po sie se sera autant offerte pour ce qu elle est hostile toute fermeture que ce soit celle des conventions inamovibles et
21. us des lettres Pour tenter d tre soi surtout ne pas tre Quelqu un La biographie de Jean Cayrol que Michel Pateau a r dig e pour le centenaire de sa naissance au terme d un m ticuleux et tr s m ri toire travail de documentation claire d autant mieux ceux qui Pont connu telle ou telle p riode de leur vie et de la sienne qu tous une part notable en a plus ou moins chapp sp cialement ce qui a trait l avant r surrection lazar enne Bordeaux le port mi assoupi ses bateaux illumin s dans la nuit l Oc an voisin les impossibles d parts au long cours l chapp e belle par les mots l exaltation de l amiti la reconnaissance pr coce par ses pairs en JEAN CAYROL UNE VIE EN PO SIE po sie et l inscription dans un r seau prestigieux d a n s attentifs Jammes Mauriac Fombeure Supervielle Val ry Delteil La Tour du Pin Brauquier Jouve Gu rin Guibert Emmanuel Aragon Klossowski impossibilit physique et mentale de se plier Pordre des choses et de se ranger dans une vie familiale et profes sionnelle la relation fraternelle l entr e en R sistance la d non ciation et le camp et une autre forme de r sistance aux fins cette fois de survivre y compris par les mots d rob s au knout sous la protection d authentiques saints martyrs en de des barbel s Cayrol raconte qu il composa son premier po me onze ans plat ventre au bord d une falaise dispos
22. ux semblants plus vrais que nature pour d fier et forcer l incr dulit offusqu e des abonn s au r alisme consensuel ceux l pour qui le po te jadis lier n est m me plus clamant dans le d sert qu on lui a m nag un fou dangereux Nous pr venions dans Le Droit de regard Un art qui n accepte ou ne permet pas toutes les tentatives les initiatives les inno vations qui dresse contre elles cette peur panique qu on porte atteinte son int grit et utilise ses fins toutes les ressources d une d fense eccl siastique un art qui pr tend copier la vie sans la donner qui refuse le droit au doute l interrogation l erreur qui craint par dessus tout la contamination des autres arts la per version litt raire en particulier parce qu ils sont plus libres que lui cet art devant lequel on ne pourra comme dit Char fermer souverainement les yeux n a plus qu mourir Pour sa part quoi que l on pense de ses r ussites ou de ses rat s de ses joyaux ou de ses verroteries de ses f eries ou de ses fac ties l uvre de Cayrol devrait rester comme un pr cis de d sob issance aux normes l usage des jeunes g n rations C est Louis Gabriel Gros qui rappelle Michel Pateau rep re en Cayrol dans Les Cahiers du Sud une voix qui ne d g n re pas en intelligence libre de l entrave des doctrines Le po te lui m me usant de la m taphore d un domaine essart sugg re qu
23. voit sur des photos de jeunesse d guis en marin pompon n a jamais malgr ses classes brestoises quitt alors le plan cher des vaches Mais comme le note pertinemment Oster il n est pas un seul roman de Cayrol l exception de la trilogie de Je vivrai l amour des autres qui n ait un port cach en lui pour orienter le tropisme de la fiction Ainsi dans ce chef d uvre La Noire o le personnage d Ulysse marin d voy devenu navigateur des terres ne cesse d chouer dans ses vell it s de d part l instar de cet autre Ulysse de vers pr coces remontant 1931 et qui incarne lumineu sement l ancrage du po te condamn rester quai Je suis menuisier du village Je pourrais construire un bateau dans le f t d un arbre sain Mais o sont les for ts Le vent les a toutes ras es En d finitive Cayrol ne sera ni le po te du Bateau ivre qui rompt les amarres en laissant derri re lui son uvre boucl e comme un paquetage devenu superflu ni le Hollandais volant qui inspira Heine et Wagner ce chien enrag de l Au del dont l ambition mystique et la hautaine mise en sc ne de la solitude ne s accom modent pas de plus humbles assomptions celles du retour lazar en un chez soi qui ne reconna t pas ses revenants 1 Ibid 13 JEAN CAYROL UNE VIE EN PO SIE Son chemin r p tons le c est la lisi re la bordure Il est cet ind sirable qui longe les cl tur

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