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L`OPÉRA DE QUAT`SOUS

1. TRACES ET STRATES Au mois d ao t 2011 le d but des r p titions a t pr c d d une s rie de laboratoires ax s sur l improvisation et la pr paration physique Qu en retiens tu a posteriori C est un moment qui a t exigeant comme un saut dans le vide vingt a nous a permis de trouver des corps un langage de se frotter les uns aux autres de cr er une quipe On a r utilis des images surgies pendant ces moments m me si on est loin d avoir tout inscrit dans la mise en sc ne Je sais que tout ce qui est dit s accumule dans le processus Les images qu on a cr es en laboratoire sont pr sentes malgr tout Elles alimentent le spectacle de fa on invisible CHANTIER DRAMATURGIQUE PAGE 16 Je pense aussi toutes les pistes surgies en r union de conception qui ont finalement t cart es Anick a d abord parl de b ton de docks avant d opter pour le bois La question a n est pas b ton ou bois Le chemin c est plut t bois parce qu on a parl de b ton Au cours du processus on est pass des quais du Port aux ruelles de Montr al avec les maisons en bois les trottoirs d glingu s La massivit du d cor renvoie peut tre au b ton m me s il est en bois L id e d esth tique industrielle est sans doute venue des discussions pr alables sur la ville le grouillement des tramways etc Les quais qu on avait voqu s au d but du travail sont p
2. SIBYLLINES L OP RA DE QUAT SOUS CHANTIER DRAMATURGIQUE par FLORENT SIAUD SOMMAIRE 11 19 29 34 40 45 L ENVERS DE LA PIECE INTRODUCTION Florent Siaud MOT DE MISE EN SC NE Brigitte Haentjens LA LENTEUR DYNAMIQUE DES R P TITIONS Entretien avec Brigitte Haentjens metteure en sc ne CET ESPACE EST UNE CHIM RE Entretien avec Anick La Bissonni re sc nographe LE DERAISONNABLE ET LA DISCIPLINE Entretien avec Bernard Falaise directeur musical ENTRE LE CAPRICE ET L AB ME Entretien avec S bastien Ricard acteur SURTOUT N ENNUYER PERSONNE AVEC MES MOTS Entretien avec Jean Marc Dalp traducteur ORGANIQUE Entretien avec Yso costumier PAGE 1 EXTRAIT DE TEXTE Du pauvre B B 1 Moi Bertolt Brecht je suis des for ts noires Ma m re m a port dans les villes Quand j tais dans son ventre Et le froid des for ts En moi restera jusqu a ma mort 2 Je suis chez moi dans la ville d asphalte Depuis toujours muni des sacrements des morts De journaux de tabac d eau de vie M fiant fl neur et finalement satisfait 3 Je suis gentil avec les gens Je fais comme eux je mets un chapeau dur Je dis ce sont des animaux l odeur tr s particuli re Puis je dis ga ne fait rien je suis l un d eux 4 Sur mes chaises bascule parfois J assieds avant midi deux ou trois femmes
3. on est li aux tres humains qui sont en train de faire une performance devant nous pour nous une performance qui nous inclut Tu as galement parl de sculpture qui serait con ue ind pendamment du corps humain cens l habiter N est ce pas contradictoire avec ton souci du bien tre des acteurs Disons alors qu il y a un travail sculptural dans la sc nographie On touche ici l importance de la lumi re au th tre Le Corbusier parlait du jeu magnifique et complexe des volumes sous la lumi re Au th tre un espace peut tre clair de cent fa ons diff rentes Nous n en devons pas moins nous soucier du rapport de la forme la lumi re Le travail sur la sculpture est une fa on de d ranger le cerveau et l il il nous permet de regarder l espace comme un objet et non plus un espace habiter Le danger c est alors que l espace en devienne inhabitable 15 Bertolt Brecht Exercices pour com diens trad dirig e par J M Valentin L Art du com dien crits sur le th tre Paris l Arche 1999 p 121 Cit par Georges Didi Huberman Atlas ou le gai savoir inquiet L oeil de l histoire 3 Paris Editions de Minuit 2011 p 181 183 traduction l g rement modifi e 16 Bertolt Brecht Sur le d clin du vieux th tre Les d cors in Ecrits sur le th tre traduits par J Tailleur et G Delfel B Perregaux et J Jourdheuil Paris L Arche 1972 t PAGE 20 Ta rec
4. Je les regarde sans souci et je leur dis Je suis quelqu un sur qui vous pouvez compter 5 Le soir j assemble chez moi quelques hommes Et nous causons nous disant gentleman lls posent les pieds sur ma table et d clarent Pour nous bient t a ira mieux Jamais je ne demande quand PAGE 2 6 Le matin les sapins pissent dans l aube grise Et leur vermine les oiseaux commence crier C est l heure o dans la ville je siffle mon verre Je jette mon m got je m endors plein d inqui tude 7 Nous nous sommes assis esp ce l g re Dans des maisons qu on disait indestructibles Ainsi nous avons lev les longs buildings de l le Manhattan Et ces minces antennes devisant dont s amuse la mer Atlantique 8 De ces villes restera celui qui passait travers elles le vent La maison r jouit le mangeur il la vide Nous le savons nous sommes des gens de passage Et qui nous suivra Rien qui vaille qu on le nomme 9 Dans les cataclysmes qui vont venir je ne laisserai pas j esp re Mon cigare de Virginie s teindre par amertume Moi Bertolt Brecht jet des for ts noires Dans les villes d asphalte quand j tais dans ma m re autrefois Bertolt Brecht Po mes Paris Arche t 1965 p 143 145 L OP RA DE QUAT SOUS CHANTIER DRAMATURGIQUE TEXTE Bertolt Brecht D APR S L OP RA DES GUEUX DE John Gay TRADUIT DE L ANGLAIS PAR Elisabeth Haupt
5. Je vins parmi les hommes au temps de l meute Et je m insurgeais avec eux Ainsi se passa le temps Qui me fut donn sur terre Mon pain je le mangeais entre les batailles Pour dormir je m tendais parmi les assassins L amour je m y adonnais sans plus d gards Et devant la nature j tais sans indulgence Ainsi se passa le temps Qui me fut donn sur terre De mon temps les rues menaient au mar cage Le langage me d nongait au bourreau Je n avais que peu de pouvoir Mais celui des maitres Etait sans moi plus assur du moins je l esp rais Ainsi se passa le temps Qui me fut donn sur terre Les forces taient limit es Le but Restait dans le lointain Nettement visible bien que pour moi Presque hors d atteinte Ainsi se passa le temps Qui me fut donn sur terre Vous qui mergerez du flot O nous avons sombr Pensez Quand vous parlez de nos faiblesses Au sombre temps aussi Dont vous tes saufs Nous allions changeant de pays plus souvent que de souliers A travers les guerres de classes d sesp r s La ou il n y avait qu injustice et pas de r volte Nous le savons La haine contre la bassesse elle aussi Tord les traits La col re contre l injustice Rend rauque la voix H las nous Qui voulions pr parer le terrain a l amiti Nous ne pouvions tre nous m mes amicaux Mais vous quand le temps sera venu O l homme aide l homme Pensez nous Avec
6. Plut t que subir le temps qui passe j ai l impression qu il l acc l re en d fiant le destin Il joue en quelque sorte la roulette russe Il y a chez lui une d pendance au danger ce qui l am ne prendre des risques inconsid r s Par exemple il joue avec le feu en couchant avec la fille de Brown qui est pourtant son ami et son alli En m me temps il veut se reconvertir dans le secteur bancaire pour avoir une vie peut tre moins dangereuse et assurer ses vieux jours N est ce pas paradoxal C est vrai Ga m voque l une des derni res lettres que Rimbaud a crite sa famille Il veut rentrer d Afrique pour trouver une femme avoir un fils Le po te maudit aspire une vie rang e Mais il est trop tard Dans ses notes sur L Op ra de quat sous Brecht indique que Macheath le bandit est repr senter par le com dien comme figure bourgeoise Cela m amuse car ce n est pas la direction qui a t prise ici Non effectivement pas du tout rires Dans ce m me texte Brecht fait allusion aux esquisses originales qui ont accompagn L Op ra des gueux de John Gay au XVIII si cle Elles montrent un homme de quarante ans environ ramass mais robuste la t te en forme de radis un peu chauve d j non sans dignit C est amusant car pour moi c est plus l id e que je me faisais du personnage de Peachum Mais en fait il est difficile de savoir qui est vraiment Macki
7. comment les orateurs se voyaient se d placer dans leur espace mental pendant qu ils pronon aient un discours J ai ador ce livre brillant Je l ai lu au moment o j ai d couvert la port e po tique de l espace Pour moi l espace nous habite bien plus qu on ne l habite Nous avons tous un espace int rieur investir C est ce qui fait que j ai toujours l impression de vivre ailleurs Un ailleurs int rieur Que t a encore enseign Frances Yates Si on est capable de se construire un difice mental et de le visiter alors l espace doit tre porteur de sens puisque c est lui qui structure le discours Il y a des couches profondes dans l espace qu on habite La sc nographie consiste peut tre parler de ces paisseurs l de ce que portent les murs qui sont autour de nous PARTAGER L APPARITION quel moment vois tu appara tre cet espace l qui a la particularit d tre mental Quand j arrive en salle je suis ravie et mue mais rarement surprise parce que j ai v cu dans cet espace pendant plusieurs mois C est mon travail d tre habit e par un espace qui va ensuite tre habit par des acteurs Il s agit d incarner un espace en soi et de le porter Cela demande beaucoup d nergie d effort C est d finitivement faire merger une forme du n ant et faire appara tre quelque chose de concret depuis un monde sublunaire L architecture est quelque chose de tr s trange elle fait
8. re sc nographe LES DESSINS DE NEHER Sc nographe de Brecht Caspar Neher 1897 1962 est revenu plusieurs reprises dans nos discussions de conception de l automne 2010 Qu as tu retenu de son uvre Ses dessins surtout Le rapport d chelle entre l espace et les corps y est assez curieux On ne sait jamais si les personnages sont l int rieur ou l ext rieur ils ne sont jamais enferm s quelque part il y a toujours un horizon derri re eux Sur l un des dessins ils prennent le th dans un environnement urbain o l on voit au loin des poteaux t l phoniques En r union tu as dit avoir t frapp e par l imaginaire des villes de Caspar Neher On a d ailleurs travaill sur des photos de villes de rails de poteaux de fils pour finalement ne pas utiliser cette piste Dans tous les processus il y a une part de tr s bonnes id es qu on doit laisser de c t Ces id es brass es pendant nos conversations sur plusieurs ann es ne sont jamais perdues elles ressurgissent au moment o on en a besoin Aujourd hui nous ne pensons plus a cette urbanit pass e La ville d avant la guerre tait tr s diff rente de la n tre Au del de cette urbanit que reste t il de l esprit de Neher dans ta sc nographie L id e qu il y a plusieurs lignes d horizon ni dedans ni dehors Les mat riaux nous m nent l le pr lart associ directement au plancher de cuisine le
9. Gallimard La Pl iade 2000 p 361 362 PAGE 10 LA LENTEUR DYNAMIQUE DES R P TITIONS Entretien avec Brigitte Haentjens metteure en sc ne SUDBURY BERLIN MONTR AL Tu as d j mont L op ra de quat sous en 1982 Que te reste t il de cette exp rience C tait la premi re ann e que j tais la direction artistique du Th tre du Nouvel Ontario Je voulais faire un spectacle avec beaucoup de personnes sur sc ne et un spectacle politique L action tant transpos e Sudbury on y voyait notamment le quartier du Moulin fleur un des plus anciens quartiers francophones de Sudbury Il s agissait d un spectacle communautaire qu on avait rebaptis L Op ra du gros 5 cennes clin d oeil au symbole de la ville J avais abondamment tranch dans le texte je ne pense pas que le spectacle ait dur plus d 1h45 En fait je me souviens davantage des interpr tes de l atmosph re des r p titions que du spectacle lui m me c tait un m lange de toutes sortes de mondes Apr s Sudbury le th tre de Brecht t a t il tent e nouveau Ce n est pas par hasard si je retourne lui aujourd hui Quand on est passionn par l criture de M ller de B chner Brecht ne peut pas tre tr s loin puisque M ller y fait toujours r f rence et que B chner avait cr la faille dans une dramaturgie jusque l classique psychologique J ai toujours r fl chi ce dramaturge ca
10. Je dois alors leur en trouver de nouvelles Le jour de la premi re ce sont plut t des ajustements de la finition et des bretelles qui n arr tent pas de tomber PAGE 48 Cet Op ra de quat sous est la suite d une d cennie de collaborations avec Brigitte Est ce que tu as d velopp une fa on particuli re de penser le costume pour son criture sc nique Brigitte a l art d habiter l espace avec les corps des com diens Le savoir me permet d imaginer des mouvements de couleurs En voyant la mise en place du prologue j ai imagin des concentrations de corps v tus de robes fleuries avec un impact visuel tr s fort J ai aussi pens l explosion de ces groupes motifs floraux Je pense donc les costumes individuellement mais aussi dans les masses qu ils forment Le fait de voir les encha nements me permet de comprendre quels moments les groupes se forment et se d forment L Op ra de quat sous est une uvre urbaine qui pose la question de la vie en soci t dans la ville Comment as tu trait cette probl matique J ai essay de cr er une uniformit dans les costumes de la foule tout en introduisant des diff rences dans les textures et les coupes Je fais comme si je m asseyais dans un caf de l poque pour y contempler les gens en train de marcher dans la rue J essaie de voir les gens ensemble mais aussi comme individus Comme je le fais dans la vraie vie Propos recueillis par Florent Si
11. ai ce que j ai accumul en faisant se confronter des choses parfois contradictoires C est pour cette raison que nous faisons des books J apporte des images je fais des photos je dessine Je laisse se confronter des images sur les m mes pages en faisant des assemblages Pourrais tu nous donner un exemple de ce type d assemblage On a parl des gueules cass es en voila Cette piste m a amen e a ce photographe contemporain allemand qui a repris presque litt ralement le terme de gueules cass es Cela m a ensuite amen e l un de ses coll gues qui a fait une installation la biennale de Venise dans les ann es 1990 dans ses uvres le sol est difficilement praticable pour le corps CHANTIER DRAMATURGIQUE PAGE 26 Opera ce Quatsous Y a t il une page de ton book o l on voit les dessins de Neher faire cho d autres sources d inspiration Voici des dessins de Caspar Neher qui rappellent l esth tique du cin ma expressionniste allemand Son travail m a rappel les projets de BIG des scandinaves qui travaillent beaucoup le sol Et cela m a amen e ces images o l on a l impression qu il y a une plaque de laquelle sortent des objets g ographie blanche Ici tu peux voir le projet d un architecte japonais en Suisse qui transforme en paysage l int rieur d un b timent sans si ge les gens s assoient au sol Sur cette autre
12. au Qu bec une d f rence l gard de tout ce qui arrive d Europe surtout quand les pi ces y ont t cr es Mais je pense que je suis fid le au projet de Brecht qui tait sans doute de secouer le th tre institutionnel de son poque et d en rire m chamment T es tu appuy sur des traductions existantes Je n ai pas vraiment consult de traductions fran aises qui me semblent trop aseptis es Je ne crois pas l id e d une langue mid Atlantic d un fran ais standard Et puis les traductions vieillissent le th tre et la langue changent J ai davantage eu acc s Brecht par les traductions anglaises Sans acc s direct la langue comment t es tu fabriqu ton propre acc s la langue de Brecht Je disposais du mot mot de St phane L pine Et j ai tout de m me regard la traduction r alis e par Gilbert Turp qui comprend parfaitement l Allemand et qui a rendu assez fid lement la langue de Brecht LES LANGUES DE BRECHT La langue de Brecht N y a t il pas plut t des langues de Brecht Effectivement c est ce que j ai retenu de mes changes avec St phane Il y a clairement des niveaux de langue diff rents Les putes n ont pas le m me langage que celui qu on trouve dans les chansons par exemple Dans les traductions fran aises tout est uniformis d habitude a amoindrit l impact de ces dramaturgies o l id e d unit notamment de la langue n est pas rec
13. aventure de cette envergure le spectacle a imperceptiblement trouv son trac Les jours ont pass et un enjeu s est fait de plus en plus pressant comme l a dit un jour Brigitte nommer le taureau qu on a peint dans la grotte L entreprise s est av r e souvent ardue car comment nommer en cours de route quand le sens n apparait qu apr s coup L entreprise n en a pas moins t n cessaire parce que quand a n a pas t dessin dans l obscurit tu n claires rien C est par ces impressions que Brigitte Haentjens amoureuse d une noirceur qu elle aime percer de lueurs r pond Thomas Mann Reste pourtant savoir comment faire mentir les craintes de Thomas Mann sans d florer l opaque myst re de la cr ation Ce cahier n entend en rien faire toute la lumi re sur un ph nom ne qui par nature n existe qu en se d robant Il se contentera d voquer comment cette mise en sc ne a tent de d ployer le texte indocile de Brecht dans un espace et des sons des femmes et des hommes Il nous a sembl que donner entendre une parole plurielle tait une fa on d y parvenir entrelac e des propos tenus par Brecht ce sera celle des artistes qui ont mis leur nergie faire ce spectacle et qui dans une s rie de dialogues men s fin d cembre 2011 offrent autant de points de vue au c ur du volcan Ne prenons ces paroles ardentes et fragiles que pour ce qu elles sont des r
14. bandits Mes exp riences et mon ancrage culturel impr gnent cette traduction Propos recueillis par Florent Siaud le 21 d cembre 2011 39 Jacques Michon introduction son dition de John Gay The Beggar s Opera Paris Aubier 1983 p 39 PAGE 43 EXTRAIT DE TEXTE les classiques ne produisent plus l effet qu ils produisaient Je dois imm diatement ajouter que les classiques ne sont pas les seuls responsables et qu il est possible que nous ayons notre part dans l affaire Le go t de la r flexion s est tiol de m me que celui de suivre la pens e des autres Mais notre intention est moins de parler de nous leur public que des classiques eux m mes et par cons quent de leur responsabilit quant leur perte d audience L int r t que leur portent nos th tres est d ordre conomique Mais qu est il advenu de l int r t pour les choses de l esprit Les partisans des classiques diront que justement il a disparu qu notre poque on ne s int resse plus du tout aux choses de l esprit Avouons que la chose est difficile r futer La bourgeoisie a d pratiquement liquider toutes ses pr occupations purement spirituelles une poque o le plaisir qu elle prouvait penser risquait de compromettre directement ses int r ts conomiques La o la pens e n a pas t totalement mise en sommeil elle est devenue de plus en plus culinaire Et c est cette seule fin il es
15. bois le m tal sorte de bouche de ventilation r f rence une esth tique industrielle peut tre PI CE MONT E Cela m voque la notion de montage que le r alisateur russe Eisenstein th orise pour le cin ma au d but des ann es 1920 Je me retrouve compl tement dans cette r f rence Assemblage d objets l espace de cet Op ra constitue une seule et m me forme qui a t disloqu e en autant d objets trottoir sur le pourtour pente bris e colline elle m me compos e de deux l ments diff rents C est une pi ce mont e Oui rires Dans la forme peut tre que c est assez unifi mais dans le fini c est quelque chose d assez h t rog ne qui ne fait r f rence rien de pr cis J aime bien l id e d une abstraction figurative C est comme les monstres les animaux all goriques Les chim res par exemple qui tenaient la fois du lion de la ch vre et du dragon Oui cet espace est une chim re Je fais parfois des chim res pas toujours mais souvent Le texte de Brecht sur l architecture de sc ne t a t il marqu e Ce qu il d crit est contemporain Conscient qu on ne per oit l espace que par fragments Brecht ne l appr hende pas avec une id e globalisante On ne conceptualise l espace dans lequel on vit que par association de fragments on ne l embrasse pas d un coup Si on est capable de le restituer mentalement c est qu on l a vu d un point
16. codes de Pop ra wagn rien du cabaret et de l op rette Nous nous sommes tr s t t pos la question des codes avec lesquels nous nous pouvions nous amuser dans un contexte culturel et g ographique diff rent Nous avons en quelque sorte tr s intuitivement trouv des codes qui font parfois r f rence des modes d expression Pour les Peachum il y aurait peut tre le cin ma expressionniste Pour les adieux de Polly et Mackie il y a ce mod le de Casablanca pour la fin du spectacle ces chor graphies grand spectacle des nouvelles stars de la chanson Ces moments d ironie me font rire en dedans me donnent du plaisir Par contre il faut qu ils soient jou s avec v rit quand Mackie dit adieu Polly en lui jurant fid lit je veux qu on y croit m me si on sait tous qu il ment comme il respire C est peut tre a la distanciation le rire en dedans 9 Bertolt Brecht Petit catalogue des opinions erron es les plus pris es les plus courantes et les plus banales sur le th tre pique Le Th tre pique in Ecrits sur le th tre Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 229 230 PAGE 12 ee ei Mant oo mn m rond ee ot ee Me Tan nt prate ke plus ee a LU Pac Let qe mme Par COLE LA eee dut aed eu l arme amp gun pates de rare r rair es wk Ta wees tnt vn zn veen ane mg et bau se gt ere Stee pn Oe Tew ae omens muet Com m
17. continuellement mais le spectacle fait ce qu il veut se d voile se r v le nous Ce que tu dis m voque le processus de l Histoire Raymond Aron disait Les hommes font leur histoire m me s ils ne savent pas l histoire qu ils font Oui c est vertigineux Ce serait comme travailler sur un casse t te sans conna tre l image reconstituer C est comme si apr s avoir beaucoup g n r et impuls le metteur en sc ne devenait un vigile Tr s juste Le metteur en sc ne serait un vigile parce qu il doit rester en veil guetter et en m me temps laisser vivre ce qui arrive Veiller c est regarder attentivement voir ce qui surgit tre attentif ce qui se passe Les acteurs aiment que tu veilles au grain Ce qui les ins curise c est de ne pas se sentir regard s Mon travail est de nommer ce qui est pr sent ce qui advient Dans la communication avec les acteurs les choses passent pourtant 98 dans le non verbal beaucoup de choses sont assimil es dans le non dit C est magnifique d ailleurs 10 Extrait d une lettre du po te John Keats Je suis s r de devoir crire Mais peut tre en ce moment n est ce pas moi qui parle plut t quelque autre cr ature dans l me de laquelle je vis in John Keats Lettre du 27 octobre 1818 John Woodhouse Correspondance trad Lucien Wolff Cahiers Libres Paris 1928 p 83 11 Pr sent en 2007 l Usine C et au C N A
18. dans un espace Comment l tre humain vit il l dedans Comment est on habit par le projet que l on est en train de construire Peu d artistes ou de sc nographes ont couch ce r cit par crit PARTENAIRES DE JEU Comment ton univers entre t il en dialogue avec celui du metteur en sc ne Chaque sc nographe a son univers Par contre chaque rencontre avec un metteur en sc ne forme un autre univers Je ne ferais pas les m mes choses avec d autres metteurs en sc ne que ce que je fais avec Brigitte Il y a eu quelque chose lors de notre rencontre On a continu a voluer dans ce rapport par la suite Nous sommes bonnes nous stimuler mutuellement nous respecter Nous passons par toutes sortes d humeurs qu il est complexe de partager avec quelqu un c est intime On a toujours r ussi rester dans certaines limites qui font qu on a toujours r ussi ne pas briser ce lien Brigitte est une partenaire de jeu extraordinaire Qui sont les autres voix qui au fil des ans ont particip ce jeu dont tu parles Notre directeur technique Jean Fran ois Landry qui a re u une formation d interpr te C est un technicien formidable mais c est surtout un artiste Il participe beaucoup de nos rencontres de conception Parfois c est lui qui apporte les id es les plus folles En quoi consiste votre fa on de travailler Je parle un langage qui accommode la technicit des projets Je dessine
19. de vue avant de le voir d un autre point de vue L espace est une r alit concr te l int rieur de laquelle vivent d autres espaces PAGE 19 LA DISLOCATION DU MONDE L espace que tu as dessin porte donc en lui m me une pluralit d espaces Oui On a d ailleurs franchi un cap important le jour o on a admis qu il n y avait pas qu une seule piste et qu on ne trouverait pas d id e f d ratrice pour L Op ra de quat sous Je me suis rendu compte que les productions que j avais vues de cette pi ce privil giaient une direction ce qui m emp chait peut tre de comprendre ce qui se passait sur sc ne En r union toutes les pistes se sont recoup es autour de l image du patchwork Dans mes images pour ce projet il y a toute une s rie de patchworks de mat riaux de ce qu on arrache d un mur jusqu l id e du patchwork du paysage On est dans un assemblage d l ments d pareill s qui finissent par donner un objet plus int ressant que les parties s par es Cette image s est retrouv e dans toutes les sph res du projet Brecht crivait La dislocation du monde voil le sujet de l art Impossible d affirmer que sans d sordre il n y aurait pas d art et pas davantage qu il pourrait y en avoir un nous ne connaissons pas de monde qui ne soit d sordre 5 C est loquent Ma sc nographie s est disloqu e toute seule Les premi res propositions
20. er un mouvement a n tait ni l chelle ni r aliste mais a m a permis de trouver une logique C est l quivalent d une esquisse mais en 3D Je recours souvent ce moyen un peu maladroit pour ne pas tomber tout de suite dans le r alisme Vouloir r pondre trop rapidement toutes les contraintes nous emp che de mener au bout la part de r ve que comporte tout projet Or le r ve se poursuit jusqu la fin jusqu la premi re PRINCIPE DE R ALIT Mais comment int gre t on au r ve le principe de r alit des entr es et sorties des passages des accessoires Le concret fait partie du r ve si j ose dire Ce que je fais ultimement c est tr s concret Les architectes ont deux cerveaux un cerveau de l imaginaire du r ve de la cr ativit de la recherche et un cerveau qui va poser ces questions est ce que a rentre dans l espace Est ce que c est agr able pour le corps humain Le deuxi me cerveau dont tu parles est il un surmoi Ce n est pas une censure toutefois L uvre du sc nographe c est la somme du r ve et de sa r alisation Il est d ailleurs dommage qu on ne puisse pas exposer v ritablement nos r cits de projets J aimerais raconter cette histoire l Il existe beaucoup de r cits qui racontent les productions ou des r cits de chercheurs sur des sc nographes Il n y est pas question de la fa on dont on entre dans ce jeu l comment assemble t on le sens de ces choses
21. et acteur force de faire ce m tier l j ai appris que ce qui se passe sur la sc ne en vient teinter la r alit des rapports entre les com diens Il y a une interp n tration de la fiction et de la vie de groupe On partage un secret le spectacle en train de se faire Un ph nom ne travaille te faire vivre ce que le personnage vit Mackie est quelqu un d insupportable il faut donc faire attention ne pas tre insupportable dans la vie r elle quel moment as tu senti que la dynamique collective s tait cr e parmi les acteurs Nous avons longtemps travaill les sc nes de fa on s par e Par exemple ce n est qu au premier enchainement que j ai d couvert les sc nes des Peachum Cette tape a scell la dynamique du groupe mais a aussi cr en moi une forme d ins curit j ai vu que leurs sc nes taient r gl es au quart de tour ce qui me renvoyait la figure le chaos de la sc ne des bandits Mais au lendemain de cet enchainement j ai r alis que Peachum repr sentait l ordre et la bien pensance J ai pris conscience que les bandits taient au contraire du c t du chaos et que la pi ce reposait en fait sur la confrontation de ces deux mondes l FAUVE AU BORD DE L AB ME Ce chaos de lunivers de Mackie se retrouve t il l int rieur de son personnage Parce qu il est un homme br l Mackie est un abime Il s agrippe la surface des choses pour cacher une noirceur et un c
22. gens bien habill s qui cachent des couches et des doubles vies Le costume de Mackie est ainsi un costume cran qui cache l identit alors que les costumes f minins ont lair d tre des costumes qui r v lent ce qu elles sont Oui m me si toutefois les costumes f minins gardent une part de myst re et ne r v lent pas tout Concernant les prostitu es comment ne pas tomber dans le clich Je mai rien cherch qui renvoie Moulin rouge Les formes de leurs sous v tements voquent d j les n tres J ai essay de surprendre en donnant un c t androgyne l une des prostitu es Dolly je l ai imagin e en pantalon et en bretelles Cela perturbe nos rep res 40 Walter Benjamin Sur le concept d histoire trad Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch in Oeuvres Ill Paris Gallimard 2000 p 439 PAGE 45 QUE PAGE 46 L HISTOIRE DES COSTUMES Est ce qu avant de relire L Op ra de quat sous tu avais des images pr con ues sur les costumes brechtiens J avais spontan ment en t te quelque chose de vieillot appartenant un monde cabaret et marqu par la pr sence de l alcool Mais j avais aussi des impressions plus diffuses Pour moi la d marche de Brecht a quelque chose de cru j aime qu il s int resse plusieurs couches de la soci t y compris les plus secr tes Brecht me fait penser Toulouse Lautrec qui cr e en comprenant un milieu dans lequel il vi
23. indulgence Bertolt Brecht PAGE 51 Fond e en 1997 et dirig e par Brigitte Haentjens Sibyllines privil gie une d marche artistique o la libert se traduit dans les choix dramaturgiques et dans les m thodes de production Sibyllines a cr jusqu ce jour quatorze spectacles L Op ra de quat sous 2012 DE Bertolt Brecht Kurt Weill TRADUCTION ET ADAPTATION DE Jean Marc Dalp UNE CREATION DE Productions Sibyllines z 8 oO co 2 S z Le 20 novembre 2011 DE Lars Nor n UNE CR ATION DE Sibyllines Angelo Barsetti La nuit juste avant les for ts 2010 DE Bernard Marie Kolt s UNE CR ATION DE Sibyllines Angelo Barsetti Douleur exquise 2009 D APR S UN TEXTE DE Sophie Calle UNE PRODUCTION DE Sibyllines ET DU Th tre de Quat Sous EN COPRODUCTION AVEC LE Festival TransAm riques Angelo Barsetti Woyzeck 2009 DE Georg B chner UNE CR ATION DE Sibyllines Angelo Barsetti CHANTIER DRAMATURGIQUE PAGE 52 Angelo Barsetti Angelo Barsetti Angelo Barsetti Angelo Barsetti B 3 a 2 3 amp Blast 2008 DE Sarah Kane traduction de Jean Marc Dalp UNE CREATION DE Sibyllines Vivre 2007 D APR S L UVRE DE Virginia Woolf UNE CREATION DE Sibyllines EN COPRODUCTION AVEC Usine C Tout comme elle 2006 D APRES UN TEXTE POETIQUE DE Louise Dupr UNE CREATION DE Sibyllines EN COPRODUCTION A
24. ist mann Sa mise en sc ne percutante et physique clairait le texte de fa on crue En fait Ostermeier m a permis de saisir autre chose chez Brecht sa noirceur virulente Quand apr s avoir relu les principales pi ces du c l bre dramaturge jai finalement d cid de monter L Op ra de quat sous il y a plus de trois ans alors que j tais en plein travail sur Woyzeck j avais oubli que je l avais d j adapt et mis en sc ne en 1982 Sudbury C tait un spectacle communautaire intitul L Op ra du gros 5 cennes fabriqu dans l inconscience et la joie Cette fois ci le travail de conception s est r v l ardu long angoissant parfois douloureux Car contrairement aux critures po tiques ou fragmentaires que j ai fr quent es qui laissent beaucoup de place un langage sc nique celle de Brecht impose sa loi elle s ancre dans le r el et dans le concret elle dicte ses r gles De plus L Op ra de quat sous r siste une vision unifiante L uvre est paradoxale elle fait coexister les points de vue et les styles Elle contient probablement les tensions et le chaos de sa cr ation qui fut collective voire anarchique Le fait par exemple que la ma tresse de Brecht Elisabeth Hauptmann ait contribu l criture explique peut tre pourquoi les comportements f minins sont si surprenants C est ce qui est irritant dans notre culture jetable On produit de la litt rature de l art
25. je lui ai apport une mati re des r flexions des gags dont elle pouvait se servir ou pas Elle reste tr s ouverte mes notes Mais de fa on g n rale j aborde chaque projet de traduction en songeant la sc ne sans vouloir r aliser une traduction qui serait au plus pr s de l uvre originale La traduction est un art d interpr tation En perdant un cho ici on en gagne souvent d autres ailleurs 36 Bertolt Brecht Entretien sur les classiques Berlin 1929 in Werner Hecht Entretiens avec Brecht trad Fr de Fran ois et R gine Mathieu Paris Editions Messidor 1988 Suhrkamp Verlag Francfort sur le Main RFA 1975 p 29 31 PAGE 40 CHIRURGIE Donc tu n as jamais mauvaise conscience Non vraiment pas rires Je pense qu un traducteur doit faire des choix efficaces pour son public et ses acteurs Je veux que ce qui se passe dans la salle ressemble autant que possible ce qui s est pass dans la salle la cr ation originale Ma devise est surtout n ennuyer personne avec mes mots Il y a forc ment un cart entre le public berlinois de 1928 et le public montr alais de 2012 Je fais en sorte que mes choix soient percutants dans ma culture Qu as tu rajout J ai rajout plusieurs gags comme par exemple l allusion la mandoline apr s le clavecin dans la sc ne des bandits Je d cide que c est a que veut Brecht et je le respecte rires M
26. jeune veuve retourne Berlin o elle d couvre les coups de ciseaux port s a sa partie Furieuse elle m ne la vie dure a Engel Aufricht et Brecht qui consent d velopper le r le Mais rien n y fait Neher persiste dans la mauvaise humeur et finit par abandonner le spectacle Elle est aussit t remplac e par la plantureuse Roma Bahn donnant au personnage de Polly une nouvelle inflexion Comme si cela ne suffisait pas l interpr te de Madame de Peachum doit son tour d serter les r p titions de L Op ra de quat sous une crise d appendicite l emp che de jouer davantage Priv e d Helene Weigel l quipe s affaire pour lui trouver une rempla ante Par chance Rosa Valetti est libre cette artiste de cabaret accepte de lui succ der mais condition qu on lui pargne la trop explicite chanson de la d pendance sexuelle Nouvelle anecdote mais aussi nouvelle incidence sur un texte qui dans les ann es qui suivront sa cr ation r int grera heureusement cette m lodie dangereusement langoureuse Go tant manifestement le d bat et la pol mique c est enfin toute l quipe qui se d chire sur le sort r server au choral final certains plaident pour sa disparition pendant que d autres militent pour sa conservation ni me sympt me d une pi ce dont la construction n arrive d cid ment pas se stabiliser Partout la m fiance est d ailleurs de mise Weill veille jalousement sa musi
27. l espace a t tr s difficile laborer Ce qui est si dur c est de pouvoir reconna tre ce qui fonctionne dans le syst me qu on a g n r C est pareil dans le jeu des acteurs un langage se cr e en cours de route et forme un vocabulaire propre au spectacle INNUTRITION Pendant les laboratoires du mois d ao t il y avait plein de livres ouverts sur la table Les acteurs venaient spontan ment les feuilleter Cela m voquait Montaigne quand il crit dans ses Essais qu il aime lire sans ordre et sans dessein a pi ces d cousues et d crit un processus d innutrition qui serait semblable celui de I abeille Quand tu es en cr ation tout nourrit les lectures les images les articles les films Mais aussi la vie La vie fait partie de l uvre Quand on entre en cr ation il y a une forme d asc se de retraite d espace m ditatif qui s installe Notre regard sur les choses sur les gens change Et qu est ce que nourrir un acteur Chaque acteur a son mode de fonctionnement son rythme sa fa on de construire mais aussi sa relation au metteur en sc ne On ne se nourrit pas tous de la m me fa on C est comme en botanique chaque plante a besoin a besoin de ceci ou de cela Mais on conna t le r gime d une plante la quantit d eau lengrais Alors qu il me semble qu en cr ation on a aucune id e l avance de ce qui peut tre nourrissant ou pas Entre re
28. l ext rieur D s qu on r alise une repr sentation de notre id e on en devient le spectateur On dit d ailleurs repr senter re pr senter Mais cela veut aussi dire qu il n y a pas de pr sentation possible Je suis toujours arriv e a communiquer ce que je voulais communiquer Mais c est vrai que pour le b n fice de mes coll gues j ai d parfois faire des repr sentations Je n ai pas alors eu le sentiment d avancer dans mon travail J avais le sentiment d illustrer quelque chose Mais cela fait partie du jeu du travail en quipe il faut rendre intelligible Quelle est la diff rence entre repr senter et illustrer Repr senter c est construire et illustrer c est rendre Quand je fais une maquette de pr sentation je rends donc j illustre je prends mes dessins et je les monte en 3D en carton Je suis en tous cas moins dans la repr sentation Il y a des gens qui ne con oivent que comme qa PAGE 24 Tu nous as dit que tu avais d couvert le nouveau principe du d cor de L Op ra en pliant du papier Dans ce cas de figure est on dans le papier ou dans le volume C est de l ordre du bricolage J imagine que les acteurs ne projetteraient rien l dedans C est plus conceptualisant que r aliste Concernant L Op ra de quat sous j avais une heure tuer dans un caf et j essayais de dessiner cette chose l J ai pris une pile de journaux et je me suis mise plier du papier pour cr
29. les femmes et les hommes Ta relation Brown est assez particuli re Je crois qu on a trouv quelque chose a doit tenir l interpr tation de Marc La relation de Mackie et de Brown vient de loin Le bandit et le policier ont une relation quasiment amoureuse Brecht avait des amants et a crit des po mes homo rotiques C est assez trouble oui Dans le chant des canons a sent le vestiaire de hockey avec tous ces hommes qui prennent leur douche ensemble rires Mais a n est pas seulement physique a tient sans doute au charisme de Brecht sa voix aussi qui n tait pas tr s belle mais envo tait PAGE 38 Un t moin de l poque raconte Un soir une fois de plus toute la bande tait par les rues Dans mon souvenir je vois encore Neher et Pfanzelt et naturellement Brecht en t te Pour finir nous d barquons dans B ckergasse aux Sept Li vres o vivaient les prostitu es une de ces dames de plaisir grimpe sur la table et sous les applaudissements entonne des chansons grivoises Brecht prit la guitare et a l intention des filles et de leurs h tes il chanta de Goethe Le Dieu et la bayad re Plus il progressait dans le destin de la danseuse du temple hindou avec sa voix irritante et criarde et son rythme singulier plus le silence se faisait dans le troquet Ils taient tous plant s l comme dans une chapelle ardente et ils coutaient chanter Brecht Lorsq
30. page les m mes architectes ont fait une tude sur les courants telluriques qui viennent du sol et d forment le sol plat dans une g ographie accident e Ces montages rapprochent des images par analogie Cela fait me fait penser l Atlas Mn monsyme d Aby Warburg Il r unissait ensemble des images d poques et de pays diff rents pour faire appara tre leur similarit et nous permettre de relire le monde Le processus est tellement tonnant Je ne peux pas dire que je dessine avec ces images sur les genoux Tr s souvent je replie mes dossiers et j oublie Il m est arriv plusieurs fois dans la salle de r aliser Mon dieu cette image est dans le spectacle Je n ai pas l impression de composer un espace qui serait le fruit de la vision de l ensemble des collaborateurs J essaie de traduire visuellement et spatialement ce qu on me raconte d habiter leurs espaces puis de le laisser d canter C est tout a qui donne le projet parfois mon insu Propos recueillis par Florent Siaud le 16 d cembre 2011 21 Voir ce sujet Georges Didi Huberman Atlas ou le gai savoir inquiet L oeil de l histoire 3 Paris Editions de Minuit 2011 PAGE 27 EXTRAIT DE TEXTE Comme les images de la pellicule d un film le th tre pique progresse par coups Sa forme de base est celle du choc entre les diff rentes situations bien distinctes de la pi ce Les songs les l gendes l
31. par des costumes historiques J essaie de penser comme un designer de l poque et d imaginer de nouveaux mod les de costumes Je ne cherche pas r aliser une robe pr cise que j aurais trouv e sur une photographie de ces ann es l La part d invention est incontournable GALERIE DE PORTRAITS Comment as tu d termin les couleurs et les formes des costumes pour chaque personnage de L Op ra Prenons Lucie et Polly La premi re est la fille de Tiger Brown un policier qui doit probablement bien gagner sa vie l poque j ai donc imagin qu elle vivait dans un milieu ais d faut d tre bourgeois et qu elle tait peut tre plus r serv e et d apparence vestimentaire plus sage Polly est d un milieu plus modeste elle a un temp rament plus effront et insolent que Lucie Ses couleurs sont donc plus vives sa jupe est cintr e avec des formes plus os es et des volumes plus importants Est ce que la rivalit des deux femmes de Mackie telle qu elle se r v le l acte Il pourrait tre r sum e par un d tail de costume Oui par les cols J ai imagin un d collet pour Polly qui est davantage dans la sensualit et un col Claudine pour Lucie qui lui donne l air d avoir une vie plus respectable et rang e Quel est ton parti pris concernant Mackie Je l ai habill en gentleman Pour incarner le diable j ai d cid de ne pas le faire effrayant Dans la soci t ce sont souvent les
32. pendant qu Emilie Laforest r alisait les chansons Travailler avec Brigitte est tr s agr able car elle responsabilise les concepteurs en leur laissant une tr s grande place Qu elle demande un guitariste lectrique de s occuper de la partie musicale de cet Op ra de quat sous est tr s tonnant Brecht a crit que la musique pour rester musique doit conserver totalement et le d raisonnable et la discipline Cette citation fait elle cho ton travail sur ce projet La discipline a serait ici de respecter le syst me harmonique utilis par Weill et plus globalement la partition originale Je suis rest fid le aux changements de plans orchestraux si la pi ce change trois fois de type d orchestration pour accompagner une m lodie je respecte cette volution en choisissant moi m me trois types d orchestration successifs Le d raisonnable Il r side peut tre dans la charge motive et le c t presque sale que j essaie de trouver avec tout le monde dans l interpr tation Par exemple j ai orchestr le deuxi me finale en recherchant une certaine distorsion pour donner la musique un c t rugueux j ai choisi de combiner un orgue au son d form un saxophone baryton et une batterie terrestre J ai aussi essay de salir l introduction du troisi me finale en rajoutant une grosse partie de batterie qui donne une intention presque symphonique notre groupe restreint d instrume
33. que j avais faites taient assez homog nes et proc daient d une seule id e grande et directe Ce que j ai litt ralement fait c est disloquer les trois plateaux parall les et frontaux de la premi re version en les tordant en les comprimant et en les tirant HABITER UN PAYSAGE J ai remarqu qu en r union de conception tu appelais la pente principale la colline C est le sympt me que cette sc nographie est un paysage notion difficile d finir car lorsque je l utilise tout le monde semble comprendre de quoi il s agit alors que quand il s agit de la d crire c est plus compliqu C est de l ordre de la g ographie cela se sent travers les pieds des acteurs et porte leur corps diff rents niveaux Je suis une amoureuse des chaussures Je sais que porter des chaussures sur un sol x ou y change la nature du corps qui le parcourt Tu as galement employ les expressions de sculpture et d installation Ces trois formes m habitent Le paysage a une chelle la sculpture peut tre con ue ind pendamment du corps humain qui va l habiter l installation est ph m re Brecht crit justement Il faut des d cors qui s ils repr sentent par exemple une ville donnent l impression d une ville construite seulement pour durer deux heures 5 Je suis compl tement d accord Le th tre est un v nement la repr sentation une performance On n oublie jamais qu
34. rang des fascinations pour les ceuvres anciennes on remarque que les deux derni res chansons solo de L Op ra reposent sur des textes m di vaux de Villon Ce sont des mots emprunt s Mackie tant d pass par les v nements il n est plus capable de s exprimer autrement qu en empruntant S bastien est en train de trouver son chemin dans ces deux chansons en trouvant un chant parl int ressant ce sujet je me suis toujours pos une question j ai remarqu que dans la partition de Kurt Weill les m lodies de voix sont presque syst matiquement doubl es par des instruments les voix taient elles doubl es parce que les chanteurs de la cr ation taient fragiles ou est ce que la doublure instrumentale permettait aux acteurs de se lib rer de la m lodie pour parler certains moments des chansons ON CONNA T LA CHANSON J ai l impression que c est parce que les chanteurs taient fragiles Un critique crit qu au d but des r p titions de L Op ra en 1928 la musique de Weill est trop difficile pour les com diens engag s par Aufricht et Brecht 7 C est vrai que Weill touche une limite Ces chansons sont tranges parce qu elles finissent par devenir famili res au point qu on peut les fredonner Mais au premier abord elles ne rentrent pas naturellement dans l esprit elles changent souvent de tonalit Toutes les parties ne sont pas crites de la m me fa on la partie de Mackie est c
35. rences a changer images dessins Puis le chef d orchestre qu est Brigitte privil gie une direction parmi les possibilit s ce qui n emp che pas de changer de voie en cours de route Par la suite elle continue d tre chef d orchestre en signalant les l ments qui ne font pas sens ou qui manquent d harmonie elle ne me dicte pas quoi faire et m invite implicitement m ajuster C est un privil ge de b n ficier d un tel rapport de confiance Que signifie pour toi l tape du rendu des premi res maquettes L id e de base est de permettre l quipe de visualiser les silhouettes et les coiffures Rien ne sert que j aille trop dans le d tail elles ont pour fonction de donner une id e de ma premi re lecture Ces maquettes t moignent de ce que je peux concevoir avant de voir les acteurs en r p tition Mes maquettes sont donc par nature provisoires Tant que je n ai pas fait d essayage avec les acteurs je consid re que rien n est fix Une fois sur la sc ne il se peut que des l ments de costumes ne fonctionnent pas Je sais par exemple que je vais devoir m adapter la fa on dont l acte Ill Lucie enl vera le petit coussin qu elle utilisait pour faire croire qu elle tait enceinte 41 Matthias Langhoff Au Berliner avec Brecht in Georges Banu dir Les R p titions de Stanislavski aujourd hui Arles Actes Sud 1 dition dans Alternatives th trales 1997 2
36. vive comme un animal en chasse Mais est ce que le fait d aller au bordel tout en sachant qu il est recherch ne rel ve pas de la pulsion suicidaire Je pense qu il est habit par la mort Il a fait la guerre c est une exp rience incommunicable qui reste en lui La noirceur et la b ance sont toujours l 30 John Fuegi Brecht amp Cie trad d Emmanuel Dauzat et ric Diacon Paris Fayard 1995 p 256 31 Bertolt Brecht crits sur le th tre Paris L Arche 1972 p 53 PAGE 34 JE EST UN AUTRE La noirceur de sa conscience n est elle pas aussi le reflet de l poque min e par le d clin de l Occident le spectre des guerres et les incertitudes du climat politico conomique On a l impression que la conscience individuelle de plusieurs intellectuels de l entre deux guerres Aby Warburg Walter Benjamin avait absorb la morosit cette p riode C est juste a parle de l entre deux guerres europ en Mais on pourrait sans doute dire la m me chose de l entre deux guerres ici Il suffit d ailleurs de voir combien notre actualit politique et conomique teinte notre propre moral aujourd hui c est un m canisme identique Jusque dans son humeur Mackie incarnerait son poque Ou la fin d une poque peut tre On a le sentiment qu il assiste la fin d un monde Oui a me parle beaucoup Mais Mackie est quelqu un qui ne luttera pas contre a
37. 00 000 marks et compte bien les investir dans la location d une HEURES TRANGES Il est bon assur ment que le monde ne connaisse que le chef d uvre et non ses origines non les conditions et les circonstances de sa gen se souvent la connaissance des sources o l artiste a puis l inspiration pourrait d concerter et d tourner son public et annuler ainsi les effets de la perfection Heures tranges trange et f cond accouplement de l esprit avec un corps Thomas Mann La Mort Venise salle qui deviendra quelques d cennies plus tard le fameux Berliner Ensemble D sesp r de ne pas trouver de pi ce son go t il rencontre l excentrique Bertolt Brecht qui essaie de lui vendre son Joe Fleischhacker Devant le peu d app tence de son interlocuteur notre auteur abat alors une carte qu il avait jusqu ici gard e dans sa manche une adaptation de la pi ce succ s de John Gay Une nuit passe et d j Brecht met entre les mains d Aufricht quelques pages traduites de l original anglais cette fois l impresario est conquis C est d cid une adaptation de l Op ra des gueux sera repr sent e Berlin le 31 ao t 1928 Une aventure hasardeuse commence Habitu ne pas respecter les dates de livraison indiqu es sur ses contrats d auteur Brecht est fid le lui m me il tra ne les pieds Au moins peut il compter sur la complicit d Erich Engel la mise en sc ne d Elisabeth Hauptma
38. 005 1997 p 114 PAGE 47 DES COSTUMES DANS L ESPACE Le fait de venir aux r p titions t a t il aid te familiariser avec le corps des acteurs de cet Op ra de quat sous D finitivement Ce qui a t d cisif c est que j ai pu voir les corps en mouvement et me faire une id e de l amplitude de leurs gestes de leur gueule de leur fa on d tre de leurs cheveux Cela m a permis de voir comment l emmanchure pourrait bouger avec le bras comment la robe pourrait tomber comment un geste peut tre appuy Dans cette situation je regarde comment le volume d une robe peut alimenter la beaut d un geste Voir r p ter les acteurs me permet de voir les personnages de la pi ce Plusieurs acteurs font m me des propositions qui m aident dans cette d marche Marc Tiger Brown a demand avoir un pied bot tandis que Jacques Monsieur Peachum est arriv avec une bourrure pour donner un ventre son personnage L entr e en salle et les enchainements avec costumes font sans doute basculer ton processus cr atif de la divagation imaginaire des r alit s plus concr tes partir de l encha nement avec costumes on entre dans les d tails J ai remarqu que l un des gros changements concernait souvent les chaussures dans le v ritable espace sc nique les actrices ont parfois de la difficult marcher dans des chaussures qui leur convenaient pourtant en salles de r p titions
39. ANCE L pret de ce processus de cr ation semble avoir d pos son empreinte au c ur m me de l criture de la pi ce Pendant les discussions autour de la traduction de cette production de Sibyllines combien de fois avons nous relev de bizarreries dans enchainement des r pliques ou le d roulement des v nements On sait que Brecht a fait a posteriori de son Op ra le produit d une th orie qu il n a explicit e qu ensuite dans le Petit organon pour le th tre et dans une nu e de textes pars la fameuse distanciation qui vise ter un processus ou un caract re tout ce qu il a d vident de connu de patent pour faire na tre son endroit tonnement et curiosit Brecht travailla habilement faire de ce succ s presque accidentel un tendard de son th tre pique ce syst me r volutionnaire qui fuyait comme la peste l illusion que le com dien serait le personnage et l illusion que le spectacle serait r alit On pourrait d ailleurs attribuer bien des incongruit s du texte l esth tique du montage et du discontinu dont se r clame cette conception du th tre Reste que la th orie ne suffit pas tout expliquer et que certains d tails ne semblent pas toujours la cons quence d une intention s re d elle m me il a donc fallu faire quelques choix pour redonner au texte l efficacit et l acidit qu il porte parfois davantage dans son esprit que dans sa
40. Le d cor peut tre une m taphore mais ne l est pas toujours C est une des formes que la sc nographie peut prendre Il peut aussi tre all gorie fragment de r el citation r duction figuration d autre chose Quel rapport au r el la sc nographie de L op ra de quat sous entretient elle C est un lieu qui n est pas unique mais qui est la somme de plusieurs lieux la fois C est un paysage qu on peut embrasser du regard qui peut tre investi dans le temps et l espace de plusieurs fa ons Un paysage c est quelque chose qui supporte le mouvement du temps et des corps mais qui reste toujours l comme une fondation PAGE 21 ESPACES RYTHMIQUES Comment inscrit on le mouvement dans un d cor unique L architecture est soumise la gravit Elle est donc minemment statique Et pourtant comme l envisageait Appia ce qui doit g n rer le mouvement c est bien l espace En 1909 1910 Adolphe Appia inventait les espaces rythmiques Est ce une notion qui t inspire Tout fait Pour Appia c tait le support au mouvement du corps de l acteur et du chanteur ou du danseur sur sc ne qui lui m me portait la musique Le corps de l homme incarnait la musique dans son mouvement L espace venait alors en quelque sorte soutenir ce mouvement l Dans notre cas je n ai pas vu de r p titions avant de le concevoir pour des raisons d horaire L espace rythmique a donc t con u av
41. VEC Usine C M d e mat riau 2004 Rivage l abandon Mat riau M d e Paysage avec Argonautes DE Heiner M ller UNE CREATION DE Sibyllines EN COPRODUCTION AVEC Usine C La cloche de verre 2004 DE Sylvia Plath UNE COPRODUCTION DU Th atre de Quat Sous ET DE Sibyllines Angelo Barsetti Angelo Barsetti Lydia Pawelak Brigitte Haentjens Brigitte Haentjens de Conseil des Arts Canada Council 5 du canada for the Arts L den cin ma 2003 DE Marguerite Duras UNE CREATION DU Th atre frangais du Centre national des Arts EN COPRODUCTION AVEC Sibyllines ET LE Festival de th atre des Am riques ET EN COLLABORATION AVEC LE Mus e d art contemporain Hamlet machine 2001 DE Heiner M ller UNE CREATION DE Sibyllines EN COLLABORATION AVEC LE Goethe Institut de Montr al Malina 2000 LIBREMENT INSPIR E DE L UVRE DE Ingeborg Bachmann UNE CREATION DE Sibyllines EN COPRODUCTION AVEC LE Festival de th atre des Am riques La nuit juste avant les for ts 1999 DE Bernard Marie Kolt s UNE CREATION DE Sibyllines Je ne sais plus qui je suis 1998 Collectif UNE CREATION DE Sibyllines Conseil des arts CE mes We Qu bec mm A LEQUIPE DE SIBYLLINES Brigitte Haentjens directrice artistique et g n rale Robert Gagn Directeur administratif Jean S bastien Rousseau responsable des relations de presse Le conseil d administration Brig
42. Vivre tait une adaptation de textes de Virginia Woolf Cr en 2000 l Espace Go le spectacle Malina tait quant lui une adaptation du roman d Ingeborg Bachmann 12 Lors d un enchainement toutes les sc nes du spectacle sont jou es sans interruption Les Fran ais utilisent galement le mot filage PAGE 13 PAROLES DE CR ATION En r union de conception tu as dit plusieurs reprises que les id es n arrivaient vraiment que dans le dialogue dans l change Est ce que l change permet de se visiter soi m me S rement La parole est action Le verbe r v le Le projet que j avais inconsciemment s est r v l travers tous les changes qu on a eus Si on ne se parle pas rien ne peut se faire Un spectacle n existe pas sans cette parole chang e En r union j ai remarqu que toute soumission d une id e tait souvent accompagn e de l une de ces formules je parle pour parler je dis n importe quoi J ai l impression que le mode de parole qu on adopte en r union n est pas du m me ordre que la parole du monde r el C est certain La parole de cr ation est vivante et libre C est du chaos des voix que la v rit peut sortir M me si on pr vient que l on va dire n importe quoi dans les faits tout ce qui se dit est important car cela permet de construire au fond nous le savons tous tr s bien C est une parole typique de la
43. a compr hension de ce qu elle recherche ll me semble que Brigitte poss de justement cet instinct de la langue essentiel mon avis au metteur en sc ne lui qui doit parler le plus justement possible tant de gens diff rents acteurs concepteurs etc Au fil du temps elle a forg un lexique que j ai appris ces derni res ann es pendant lesquelles nous avons beaucoup collabor ensemble Lorsqu elle parle de verticalit par exemple un mot qui lui vient de Jacques Lecog je sais de quoi elle parle je sens ce qu elle appelle Propos recueillis par Florent Siaud le 20 d cembre 2011 35 Dictionnaire Le Fureti re Paris dition de 1702 PAGE 39 SURTOUT N ENNUYER PERSONNE AVEC MES MOTS Entretien avec Jean Marc Dalp traducteur D F RENCE Depuis sa cr ation en 1928 L Op ra de quat sous est devenu une uvre de r pertoire Brecht d clarait propos des classiques Cette attitude de d f rence les classiques l ont pay e cher force de politesse on les a esquint s et noircis force d encens Ils s en seraient mieux sortis si l on avait adopt leur gard une attitude plus libre Je suis enti rement d accord avec Brecht D s lors que les uvres passent de leur poque au patrimoine de la culture dominante on a tendance gommer ce qu elles ont de gringant de provoquant et de contestataire cela s ajoute une couche qui nous est propre ici
44. ace Brigitte a d clar pendant une r p tition les chansons disent le fond de l me C est tr s int ressant La musique exprime des choses indicibles Quelqu un qui chante r v le d autres facettes de son tre C est assez clair dans la fianc e du pirate Au d but de la sc ne on pourrait imaginer que le personnage de Polly est une guidoune comme le dit d elle Lucie l acte Il Mais cette chanson r v le un potentiel de m chancet qui est inqui tant et qui se confirme par la suite Mackie devrait tre inqui t par cette chanson Concernant Mackie je dirais que les seuls moments o il est honn te c est dans ses deux derni res chansons Ayez piti l pitaphe Il n est vuln rable que dans la musique c est donc par la musique qu on d couvre ce visage l En dehors de cet effet de r v lation l criture par num ro fragmente l action coupe l effet de suspense et doit probablement aider emp cher l identification du spectateur aux personnages 24 Brecht Petit organon pour le th tre trad Bernard Lortholary Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 382 383 PAGE 30 LOGE DE LA RUGOSIT Brecht liait cette fragmentation sa th orie du th tre pique C est avec la repr sentation de L Op ra de quat sous en 1928 que le th tre pique fit sa d monstration la plus clatante On put voir l une premi re utilisation d
45. ais les coupures sont plus abondantes que les rajouts Nous avons respect la structure de la pi ce tout en assumant d y faire des coupes La coupe peut venir tardivement apr s que j ai vu la mise en sc ne de Brigitte en r p tition il arrive que la mise en sc ne ait clarifi ce qui se passe et rende certaines phrases descriptives inutiles Si je constate qu il y a une redondance entre l action et la r plique alors je propose qu on fasse l conomie de la r plique Quand en prison le gardien Smith dit Mac qu il y en a pour toutes les bourses j ai ressenti l encha nement de lundi dernier qu on tait dans une redite inutile S bastien sort son ch quier et cela suffit comprendre qu avec de l argent un prisonnier peut corrompre un policier et s pargner les menottes La clart de la mise en place de Brigitte l gitime une coupure ce moment l sans qu on y perde rien Mais les coupures ont toutefois t majoritairement faites en amont dans le temps de l criture de l adaptation Oui Je trouve qu on gagne presque syst matiquement en impact et en efficacit th trale couper L essentiel en ressort davantage l chelle de la pi ce l efficacit th trale consiste maintenir la tension dramatique et l int r t du spectateur en coupant tout ce qui retarde inutilement et emp che qu on se rende la prochaine station de l histoire chelle d une sc ne l efficaci
46. ant que le corps de l acteur ne l investisse Comment pense t on le rythme ind pendamment du corps r el des acteurs Le corps humain reste la mesure de toute chose J ai commenc par faire la maquette en y disposant les vingt quatre corps dans l espace Je me suis demand quel type d espace il y avait autour de ces corps l une fois que je les disposais dans l Usine C Ensuite jai discrimin certains corps ceux des musiciens par exemple sont distincts de ceux des acteurs par leur absence de mouvement sc nique Les musiciens demeurent dans un p rim tre restreint alors que les acteurs vont prendre plusieurs formes groupes lignes enfilades Parce que je connais la pente de l Usine C j ai travaill mettre en valeur ces enfilades de corps pour pouvoir projeter ces mouvements de corps jusqu au dernier rang des gradins RAPPORT SC NE SALLE L espace de la sc ne est donc pens en rapport avec l espace des spectateurs Le th tre consiste cr er une relation entre un acteur et un spectateur La dynamique doit fonctionner dans les deux sens Si ce rest pas le cas alors il n y a rien qui marche partir du moment o l on dispose de vingt quatre interpr tes il faut qu ils s adressent tous aux quatre cents personnes qui les regardent depuis la salle Le fait que tu aies mis les musiciens tout en haut participe t il de cette volont d insuffler une dynamique la sc ne Ce choix s est fa
47. appara tre une construction extr mement concr te partir de quelque chose d abstrait l espace Mais quand l apparition a t elle lieu Je pense qu il y a plusieurs apparitions On s est souvent pos la question en architecture Qu est ce que le projet architectural Est ce la premi re esquisse que l architecte fait sur une serviette alors qu il r ve au projet Est ce le projet qu il transcrit sur les plans d ex cution Est ce le projet r alis Ce sont autant d incarnations diff rentes d une seule et m me chose qui volue dans le temps comme un t tard devient une grenouille La gen se d un projet ne consisterait elle pas en une histoire des apparitions Je pense que oui Tout ce qu un architecte ou un sc nographe fait c est repr senter l apparition avec diff rents moyens le croquis la peinture les trois dimensions les maquettes Ces repr sentations ne sont pas la chose en soi Elles ne sont qu une incarnation de quelque chose qui n existe pas encore et qui est venir C est pour cela que a s appelle un projet c est projet dans le temps et dans l espace Comment communique t on l apparition autrui Comment fait on pour repr senter notre sph re et se faire comprendre C est la question qui sous tend le m tier de sc nographe et d architecte Avoir des id es et des images visiter un espace mentalement c est recourir un muscle Comment exprimer des choses fragmentaires vane
48. aud le 20 d cembre 2011 Vraiment je vis en de sombres temps Un langage sans malice est signe De sottise un front lisse D insensibilit Celui qui rit N a pas encore re u la terrible nouvelle Que sont donc ces temps o Parler des arbres est presque un crime Puisque c est faire silence sur tant de forfaits Celui qui l bas traverse tranquillement la rue N est il donc plus accessible ses amis Qui sont dans la d tresse PAGE 50 EXTRAIT DE TEXTE C est vrai je gagne encore de quoi vivre Mais croyez moi c est pur hasard Manger a ma faim Rien de ce que je fais ne m en donne le droit Par hasard je suis pargn Que ma chance me quitte et je suis perdu On me dit mange toi et bois Sois heureux d avoir ce que tu as Mais comment puis je manger et boire alors Que j enl ve ce que je mange l affam Que mon verre d eau manque celui qui meurt de soif Et pourtant je mange et je bois J aimerais aussi tre un sage Dans les livres anciens il est dit ce qu est la sagesse Se tenir l cart des querelles du monde Et sans crainte passer son peu de temps sur terre Aller son chemin sans violence Rendre le bien pour le mal Ne pas satisfaire ses d sirs mais les oublier Est aussi tenu pour sage Tout cela est impossible Vraiment je vis en de sombres temps Je vins dans les villes au temps du d sordre Quand la famine y r gnait
49. beaucoup car le dessin est une langue Il dessine ensuite partir de mes dessins qu il interroge en les agrandissant ou en en d veloppant un d tail On ne trouve pas souvent ce niveau de complicit Je ne construis pas les uvres que je dessine J explique quelqu un d autre ce que je veux voir appara tre Ma limite c est la limite de cette personne ou de ce groupe de personnes avec qui je travaille Mais quand tu travailles au T N M tu ne travailles pas forc ment avec lui chaque projet jai de nouvelles mains avec qui je dois communiquer travailler en qui je dois trouver un souffle Le souffle c est cette esp ce de capacit se projeter soi m me dans le projet d passer la partition relancer la collaboration prendre possession de la collaboration Le lyrisme c est l amour du d tail LE SC NOGRAPHE EN R P TITIONS Neher assistait souvent aux r p titions de Brecht Quel est ton rapport la r p tition ll est variable En fait c est Brigitte qui d cide Elle a besoin de ne pas partager son espace avec d autres personnes que les acteurs Son travail avec les acteurs est intime Mais il y avait des spectacles pour lesquels elle avait envie qu on s immisce Selon le t moigne de Matthias Langhoff qui travaillait au Berliner Ensemble tout partait du corps du com dien comme lieu de mouvement dans le travail de Neher Pour M d e mat riau j ai comme Neher devait le faire assi
50. cherche de fond et simple anecdote il n y a pas d automatismes Oui effectivement Ce ne doit pas tre simple d accompagner un cr ateur comme tu l as fait toi m me tout au long de L Op ra On peut lire un tas de livres sans que cela n allume rien alors qu un simple article dans Les Inrockuptibles sur un patron de firme de disques allume l imaginaire Cela d pend du moment aussi Le texte que tu as crit pour le C N A par exemple a t tr s nourrissant pour moi au moment o il est arriv Tu as formul des choses que je savais d j mais qui ne m int ressaient pas consciemment au moment o je les avais lues LENTEUR DYNAMIQUE a dit combien le temps est un param tre essentiel dans la cr ation Oui Dans la conception dans la r p tition le temps c est tout C est pour a que je n aime pas trop que d autres personnes interviennent dans la gestion du temps en r p tition Quand est ce que le temps file Quand est ce qu il est utile de le perdre Longtemps assistant au Berliner Ensemble Matthias Langhoff dit qu en r p titions Brecht n avait pas de syst me mais qu en g n ral c tait lent Les r p titions sur le plateau duraient de quatre cinq mois alors qu l poque on ne r p tait d habitude que cinq semaines Je suis plut t lente aussi Le temps de r p tition c est une lenteur dynamique C est une lenteur pleine de tonus C est un temps my
51. costume le faux le toc et le brillant lls cherchaient donc ce que les costumes aient d j v cu avant d entrer en sc ne Je suis dans une d marche semblable dans le sens o je cherche liminer l impression de neuf des costumes du spectacle notamment en les lavant plusieurs fois avant que les acteurs ne les enfilent Mais avant d tre un historien du costume tu restes avant tout un cr ateur de mode En quoi le fait de venir de ce milieu te donne t il une approche originale du costume th tral J am ne peut tre une l g ret dans la fa on de doubler les tissus par exemple Je ne choisis pas de coton ou de tissus lourds Je peux tr s bien opter pour de la soie parce que la tomb e du costume est alors plus l gante et fluide la diff rence de la plupart des costumiers form s dans les coles de th tre je coupe souvent mes costumes moi m me pour rester dans un mode de travail organique et tre au plus pr s de la concr tude du r sultat Mon travail est un work in progress J ai beau dessiner des choses les tissus et formes peuvent voluer en cours de route Finalement il n y aurait qu un mot retenir de cet entretien Organique Comment communique t on avec le metteur en sc ne quand le costume n existe pas encore et que tout se joue dans un mode de cr ation aussi intuitif Comme dans n importe quel projet il faut se stimuler mutuellement Chacun arrive avec des r f
52. cr ation C est pour a que j adore le th tre et que j ai tant de difficult sortir de la salle de r p tition J aime tra ner sur le lieu du crime PAGE 14 LE MONDE DES R P TITIONS Comment d finirais tu le monde des r p titions Est ce d ailleurs un monde C est un monde en soi part C est un monde primitif quasiment foetal un monde de la fusion possible de l attachement irraisonn D une certaine fa on tout y est humainement permis Il y a un c t quasiment pr historique C est comme des oursons qui se r veillent se roulent en boule et jouent ensemble Un monde organique dans lequel il y a tout de m me des lois ll y a des lois oui Bien s r Mais elles sont souvent transgress es La seule loi valable pour moi est celle de l art th tral le sentiment de cr er quelque chose ensemble Anick me disait que ce qui importe c est d tre fid le la v rit du projet Ce qui est le plus trange c est qu on d couvre cette v rit du projet si tant est qu elle existe ind pendamment de la salle de r p titions alors que tout se passe l C est tr s paradoxal L id e d une v rit du projet veut peut tre dire que ce qu on fait ne pourrait pas tre autre chose et que a se passerait diff remment avec quelqu un d autre En cr ant un spectacle on cr e presque un syst me Ce syst me passe entre autres par l espace Dans le cas de L Op ra
53. d Le fameux syst me du th tre pique a t formul apr s la cr ation de L Op ra de quat sous Brecht disait de sa th orie elle est le fruit d une pratique de plusieurs ann es L criture de L Op ra de quat sous n illustre pas une th orie pr existante elle est d sob issante chaotique Je suis certaine que sa cr ation le spectacle a d faire trembler le bourgeois consommateur d art Il y avait quelque chose dans ce th tre qui touchait le peuple qui le rejoignait probablement parce que Brecht ironisait sur l art en vogue ses pompes J aimerais qu on ressente la m me chose aujourd hui que le spectacle cr e un effet de dislocation tout en produisant un sentiment de joie cause de l explosion Ce qui me frappe c est que certains des gestes communs des Peachum interviennent un moment pr cis mais condensent aussi ce qu ils sont leur condition sociale leur identit familiale Ga m voque le gestus chez Brecht Il s agit non d un mouvement des mains venant souligner ou expliquer ce qui est dit mais d une attitude globale Un geste voque souvent beaucoup de choses Quand dans la sc ne finale S bastien est port par la foule les couches se superposent C est Mackie qui est port bien s r Mais c est aussi Batlam de Loco Locass Et c est l acteur S bastien Ricard qui a jou le r le d Andr Fortin En 1928 L Op ra de quat sous s amusait avec les
54. d conversation du 24 juin 1954 Berlin retranscription in M thodes de travail au Berliner Ensemble in Werner Hecht Entretiens avec Brecht trad Fr de Fran ois et R gine Mathieu Paris Editions Messidor 1988 Suhrkamp Verlag Francfort sur le Main RFA 1975 p 168 29 Bertolt Brecht Sur la musique Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 705 CHANTIER DRAMATURGIQUE PAGE 32 EXTRAIT DE TEXTE Ces morceaux de musique o la forme de la ballade dominait taient des sortes de r flexions et de commentaires moralisants L uvre montrait la parent troite existant entre le sentiment des bourgeois et ceux des voleurs de grand chemin Ces derniers montraient galement par l interm diaire de la musique que leurs sensations leurs r actions et leurs pr jug s taient les m mes que ceux du bourgeois et du spectateur moyen Ainsi l une de ces chansons entreprenait de d montrer que seule l aisance rend la vie agr able m me si elle oblige renoncer plus d une chose sup rieure Un duo d amour expliquait que des facteurs ext rieurs comme l origine sociale des partenaires ou leur diff rence de fortune ne devraient jouer aucun r le dans le choix du conjoint Un trio exprimait le regret que l ins curit qui r gne sur notre plan te ne permit pas l homme de s abandonner son penchant naturel pour la bont et l honn tet Le plus tendre et le plus ardent chant d amour de
55. e Ce qui est troublant c est que dans le th tre de Brecht on a l impression de jouer et de se regarder jouer sans savoir o l on va LA M FIANCE VIS VIS DES MOTS N est ce pas le r sultat de la fameuse distanciation voulue par Brecht y compris dans le jeu d acteur Sans doute L acteur a toujours un regard int rieur sur ce qu il fait Peut tre que c est a la distanciation dans notre cas L acteur se fait spectateur de son jeu La premi re fois qu on a r p t la sc ne 4 avec Polly je me souviens que l id e du sourire int rieur a merg Et en m me temps une sc ne comme celle ci ne supporte pas de mise distance factice Elle r clame de l interpr te qu il soit capable de faire croire une intimit Stanislavski disait qu un grand acteur est celui qui est capable d tre intime en public tre intime et avoir en m me temps ce sourire c est toute la difficult Je ressens encore un malaise permanent Je ne sais pas s il appartient l acteur qui cherche ses marques ou si ce malaise est propre au r le Mais avec le temps j ai appris m en servir pour nourrir le personnage Avant je remplissais des carnets de notes entiers Puis je me suis dit qu il fallait arriver libre dans l espace de r p tition et r fl chir aux choses depuis ce lieu 32 Lettre du 6 mai 1883 Voir pr face de Pierre Brunel Rimbaud uvres compl tes Paris La Pochoth que 1999 p 7 33 Bertolt B
56. e la musique de sc ne dans des perspectives modernes L innovation la plus frappante tait le strict isolement des num ros musicaux 2 Il s agit de rappeler en permanence au spectateur qu on est en spectacle J aime aussi que Brecht parle de perspectives modernes Il y a quelque chose dans la composition qui est pre et qui influence encore beaucoup de musiciens d aujourd hui Les gens me disent parfois tu vas arranger Kurt Weill la Tom Waits Je leur r ponds qu en fait c est Tom Waits qui emprunte Kurt Weill son c t rugueux Mais certains morceaux comme le choral du matin de Monsieur Peachum par exemple semblent chapper cette rugosit C est sans doute parce que c est la seule chanson qui vienne directement de L Op ra des gueux de John Gay C est une criture de choral protestant qui rappelle le choral qui cl t le spectacle On est ici dans un style liturgique Brecht rit non seulement de l op ra mais aussi de la religion L criture de la pi ce est d ailleurs travers e par des r f rences insolentes la Bible un livre qui fascinait Brecht pour sa puissance mais aussi sa m chancet Il crit dans son Journal Je lis la Bible Je la lis 4 haute voix par chapitre mais en continuit Job et les Rois Elle est incomparablement belle forte mais c est un livre m chant 2 Dire salaud sur un air de musique sacr e est en effet tr s irr v rencieux Au
57. egards d plac s sur un objet qui n a t construit que pour un regard ultime et nombreux Celui du spectateur dont Brecht n exigeait pas seulement de l veil et de la r flexion mais aussi du plaisir et de la jouissance Le th tre doit en tant que th tre acqu rir cette r alit fascinante qu a le Palais des sports quand on y boxe 6 Bertolt Brecht Sur le th tre exp rimental La Dramaturgie non aristot licienne in Ecrits sur le th tre Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 314 315 7 Bertolt Brecht Sur le d clin du vieux th tre Les d cors in Ecrits sur le th tre traduits par J Tailleur et G Delfel B Perregaux et J Jourdheuil Paris L Arche 1972 t 1 p 182 PAGE 7 MOT DE MISE EN SC NE Brigitte Haentjens Sur la ligne invisible qui relie B chner M ller Brecht occupe une position centrale Il est le pont entre un th tre fragmentaire politique en rupture avec le naturalisme et la refonte violemment po tique de certains classiques op r e par M ller L criture de ce dernier ancr e dans une vision du monde pessimiste tr s proche en cela de celle de Brecht jette les bases d un th tre contemporain dont il sera difficile de se remettre Fascin e par M ller et les critures subversives je r de autour de Brecht depuis longtemps Il y a une quinzaine d ann es j ai t blouie par le travail de Thomas Ostermeier sur Mann
58. erbe Souvenons nous en lorsqu il crit L Op ra de quat sous Brecht est encore la cr ature certes frondeuse d Erwin Piscator chantre d un th tre politique qui r vait d avoir la fonction de centre culturel au sein de la soci t 5 Erwin Piscator Le th tre politique Paris Arche 1962 p 10 CHANTIER DRAM Si L Op ra de quat sous est ce point corrosif c est aussi qu il mord pleines dents dans la folie de l argent qui embrase son poque et qui force de sp culation allait conduire au jeudi noir du 24 octobre 1929 la bourse de New York Soyons prudents toutefois L Op ra de quat sous a beau tre d crit par Brecht comme une parabole visant d molir une id ologies il n ass ne aucun dogme il fait imploser le monde sur le mode ludique sans nous fournir de recette pour survivre au milieu des ruines Par moments on serait m me tent d affirmer qu au dela de la lutte des classes sa pi ce enqu te parall lement sur un autre sujet les d r glements furieux de la chair Trahi par ses d sirs irr pressibles Mackie est l image des s ducteurs inv t r s que furent Brecht et son double th tral l anarchiste et h doniste dieu Baal personnage ponyme de sa toute premi re pi ce Et si l on regarde les choses plus large chelle encore notre bandit enj leur est l picentre d une galaxie o gravitent discr tement les figu
59. es conventions gestuelles distinguent chaque situation des autres Les intervalles qui en r sultent ne favorisent pas l illusion du public Ils paralysent sa volont de s identifier Ces intervalles sont r serv s sa prise de position critique par rapport au comportement des personnages et la mani re dont il est pr sent En ce qui concerne le mode de pr sentation la t che de l acteur consiste dans le th tre pique montrer par son jeu qu il garde la t te froide Lui non plus n a gu re d usage pour l identification Walter Benjamin Qu est ce que le th tre pique VII L acteur trad Rainer Rochlitz in uvres ill Paris Gallimard 2000 p 326 PAGE 28 LE D RAISONNABLE ET LA DISCIPLINE Entretien avec Bernard Falaise directeur musical RUPTURES ET CONTINUIT S Pendant les ann es 1920 Brecht rencontre un certain nombre de musiciens professionnels Berlin Parmi eux Kurt Weill en mars 1927 De ton c t comment as tu t amen travailler avec Brigitte J ai d j travaill plusieurs reprises avec Brigitte La premi re fois c tait sur Je ne sais plus qui je suis Avec Michel F C t nous avions con u quelque chose d assez rock de presque techno Par la suite j ai compos une musique minimale et bruitiste pour une chor graphie qu elle a faite l intention d Anne Le Beau J ai galement r alis l environnement de Tout comme elle
60. ge J en ai discut avec Brigitte Autant dans La Nuit juste avant les for ts de Kolt s j tais clairement ancr dans une langue autant il y a ici un faisceau de focus et d enjeux Il s adresse au public d une certaine fa on ses gars d une autre ses femmes d une autre encore J ai parfois l impression qu il est parl par plusieurs langues qu il n est pas dans une conscience de ces niveaux Ce n est pas conscient Tout fait Il a v cu dans plusieurs milieux sociaux il a connu la guerre Toutes ces exp riences le traversent peut tre jusque dans sa bouche Absolument Puis c est peut tre a aussi qui fait son charisme En toutes circonstances il a la langue qui convient Il a ce talent qu ont les grands hommes d affaires Une sorte d instinct de la langue Oui exactement Il est tr s conscient de la puissance de a C est un jongleur de tous les instants Pas seulement sur la langue d ailleurs Dans le filage d hier je voyais encore combien ce spectacle me demande d nergie Je sue beaucoup dans cette pi ce Heureusement que Brigitte est l incroyablement pr sente Sinon j aurais parfois l impression de sombrer rires Sa pers v rance et son exigence sont formidables Elle tient toujours construire chaque fois elle voit ce qui s est pass ce qui a avanc et a t b ti sur cette base En quoi ta collaboration au long cours avec elle t aide t elle dans l
61. herch e Le fait d avoir pr serv cette pluralit de langues t a fait opter pour plusieurs registres Comment les pr senterais tu Il y a une langue proche de celle de la rue que l on trouve dans les sc nes de bandits des putes des Peachum Elle est tr s pr sente dans les dialogues parl s Il y a ensuite un niveau de langue pour les personnages Peachum Mackie qui s adressent directement au public c est une langue claire directe articul e concise Il y a enfin un niveau de jeu plus m lodramatique qui parodie les clich s du vieux th tre de l op ra et du m lodrame C est un style dans lequel on imite l accent des autres a travers lequel on fabrique une langue th trale d connect e Les niveaux de langue que tu mentionnes recoupent autant de niveaux de jeu et donc de mise en sc ne Absolument Toutes les traductions de th tre que j ai faites ont toujours t li es des productions donc des enjeux de mise en sc ne Ma collaboration de plus de vingt cinq ans avec Brigitte repose sur cette conscience et sur une tr s bonne entente Elle est le capitaine du bateau c est son spectacle elle c est donc elle que revient le dernier mot car elle a le lien avec les acteurs Pour L Op ra de quat sous le dialogue a commenc avant le travail d adaptation proprement parler pour questionner les grands enjeux Une fois qu on s est entendu sur lunivers du projet
62. herche consiste t elle rendre des objets habitables Mais un objet c est une chose ferm e Je ne sais si dans ma sc nographie pour L Op ra il y a quelque chose de l objet la limite oui dans le sens o c est un bloc un iceberg Je ne t ai jamais entendue prononcer le mot d cor Peut tre parce que par ma formation d architecte je le trouve p joratif Dans mon esprit le d cor est vain et n a pas de sens particulier alors que la sc nographie est indissociable du sens Elle est polyphonique car elle produit une multiplicit de sens Elle vite par cons quent le superflu C est un espace dans lequel on a enlev un maximum de choses jusqu la limite du sens o l essence de chaque l ment a t trouv e ON Cible CU hh CAVE Olt utr NF me LLC aur Worte VA At 1 Der si on ARC ful di a dog _o da LS ww f ek A ns RAPPORT AU R EL Qu est ce que tu cr es De la po sie J essaie de rendre le monde plus lyrique en le contractant ou en le condensant ce qui ne veut pas n cessairement dire le rendre plus beau On est proche des m canismes du r ve chez Freud C est ce que j allais dire le jour o je l ai compris je suis devenue architecte C tait en dessinant Tu parlais de sens d espace et de mouvement Or dans une r union tu as parl de m taphore qui veut dire transport en grec Un d cor est il une m taphore
63. ier ministre anglais Walpole et se gausse des clich s qui prosp rent dans les op ras italiens du flamboyant Haendel En 1928 Brecht et Weill puisent dans la s ve des cabarets allemands tout en attaquant ouvertement le mod le de l uvre d art totale de Wagner Mais dans le Canada d aujourd hui ces r f rences ne sont plus pr sentes Ce sont d autres codes qui m diatisent notre rapport aux passions au politique et la finance t moin de l av nement fulgurant du cin ma parlant et de la radio Brecht avait d ailleurs d j d velopp une intuition aigu du filtre que ces media mergeants imposaient au r el La d cision de Brigitte Haentjens et de Jean Marc Dalp d ancrer L Op ra dans le Montr al de 1939 r sulte d une volont de le rapprocher de nous tout en le maintenant pourtant distance vue de l esprit autant que r alit historique ce Montr al l parle une langue directe et crue mais reste lointain et stylis Voil on l esp re un ancrage qui donne une couleur et engendre un rythme mais qui ne ferme rien Saine quidistance ll a galement fallu trouver des solutions qui vitent L Op ra de quat sous de nous appara tre comme une com die musicale pittoresque le risque est grand tant les m lodies de Weill impr gnent d sormais l inconscient collectif La joliesse est d ailleurs l p e de Damocl s qui en permanence menace de fondre sur une uvre pourtant fondamentalement ac
64. it pour des raisons pratiques Il ne fallait pas s parer les musiciens il tait impossible de faire une fosse d orchestre l Usine C et au C N A On a aussi envisag d encastrer les musiciens dans le sol au centre de la sc ne Mais on en est vite venu la conclusion que c tait trop contraignant pour la dynamique de groupe Walter Benjamin a parl de comblement de la fosse d orchestre pour d signer chez Brecht une volont de d passer le gouffre qui s pare les acteurs du public comme les vivants sont s par s des morts 18 Dans ma volont de cr er une relation entre la sc ne et la salle il y a quelque chose de ce comblement Le th tre de Brigitte supporterait mal cette distance car son d sir est d tre au plus proche du spectateur 17 Adolphe Appia 1862 1928 d corateur et metteur en sc ne d origine suisse 18 Walter Benjamin Gesammelte Schriften dit s par Rolf Tiedemann et Hermann Schweppenh user tome Il 2 p 519 cit in G nter Berg et Wolfgang Jeske Bertolt Brecht L Homme et son oeuvre trad Bernard Banoun Paris L Arche 1999 p 125 PAGE 22 PALAIS MENTAL Tu parlais tout l heure d espace mental qui t habitait ou que tu habitais Oui on ne sait plus qui habite quoi Etre habit par autre chose que ce que l on voit c est un tat n cessaire pour faire ce m tier l Ga m voque L Art de la m moire de Frances Yates qui raconte
65. itte Haentjens Jacinthe Bergevin St phan P pin H l ne Dumas Jacques Bouchard Robert Gagn Sibyllines 1002 24 avenue du Mont Royal Ouest Montr al Qu bec H2T 252 T l phone 514 844 1799 www sibyllines com info sibyllines com Sibyllines re oit le soutien du Conseil des Arts du Canada du Conseil des arts et des lettres du Qu bec et du Conseil des Arts de Montr al ainsi que de nombreux donateurs DIRECTION DE LA PUBLICATION Florent Siaud PHOTOS DE LA PAGE COUVERTURE ET DE R P TITIONS Angelo Barsetti PHOTOS DE R P TITIONS Florent Siaud GRAPHISME Folio et Garetti GRAPHISME DE L AFFICHE T Bone Qu bec Cr dit d imp t spectacles Sonic BMO O Groupe financier PAGE 53
66. jetable apr s usage et ainsi le plaisir dispara t de la production artistique Ca se consomme sans plaisir et il n y a pas non plus de plaisir le faire Les th tres sont comme un trou un vide qu il faut remplir Heiner M ller Fautes d impression contradictoires tant t traditionnels la d pendance le pi ge du sentiment amoureux tant t transgressifs Polly qui semblait si prise de Mackie finit par le voler lui d robant son commerce J ai beaucoup discut de ces paradoxes au cours du processus de cr ation en compagnie de complices de longue date dont la tr s brillante sc nographe Anick La Bissonni re et du jeune et talentueux dramaturge Florent Siaud Nous nous sommes longuement interrog s sur les codes de la repr sentation Comment peut r sonner aujourd hui apr s les r volutions que Bob Wilson et Robert Lepage ont inflig es au th tre la satire d un certain mode de spectacle en vigueur dans les ann es 30 Que peut signifier le cabaret allemand pour un spectateur qu b cois contemporain Quel peut tre l espace le lieu unique d une telle vari t de sc nes La d cision de traduire L Op ra de quat sous dans une langue d ici avec les cassures de niveaux de langue pr sentes dans le texte original et de situer l action dans le Montr al d avant guerre au moment de la visite du Roi Georges VI nous a offert un ancrage un milieu un parler populaire plein de truculence et de co
67. lairement destin e un t nor par exemple Un chanteur donc Harold Paulsen tait clairement un chanteur C tait une star de l op rette Dans la distribution de 1928 il y avait aussi des chanteurs de cabaret Rosa Valetti rempla ante de derni re minute de Helene Weigel dans le r le de Madame Peachum tait par exemple habitu e la sc ne des cabarets de Berlin On ressent nettement cette influence du cabaret C tait dans l air du temps Sch nberg avait fait sensation avec son Pierrot Lunaire o il avait exp riment le sprechgesang une sorte de parler chanter 25 Bertolt Brecht Sur la musique Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 702 26 Bertolt Brecht Journal note 20 octobre 1916 27 G nter Berg et Wolfgang Jeske Bertolt Brecht L Homme et son oeuvre trad Bernard Banoun Paris LArche 1999 p 100 PAGE 31 PARLER OU CHANTER Mais ce qui est curieux c est que Brecht lui r cusait tout m lange du chant et du parl dans l interpr tation de ses songs Les songs ne peuvent tre dits Ce sont des chansons On peut leur mettre une autre musique comme c est arriv l tranger cause de la traduction Mais il faut les chanter sinon autant les supprimer 2 Ce n est pas la voie qu on a emprunt e ici Je trouve int ressant d explorer cette fronti re du chant et du parl a participe de la force motive que j voquais tout l heure Le fai
68. lettre Tout en essayant d viter les raccourcis simplificateurs Comme le rappelle 3 Brecht crit en substance C est avec la repr sentation de L Op ra de quat sous en 1928 que le th tre pique fit sa d monstration la plus clatante Sur la musique Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 702 703 4 Bertolt Brecht Petit organon pour le th tre Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 372 PAGE 5 Brigitte Haentjens dans son mot de mise en sc ne il est d ailleurs presque impossible de pr tendre une vision unifiante de L Op ra de quat sous L id e m me d adopter une approche univoque de cette pi ce n est pas seulement proscrite par le syst me de pens e de Brecht qui pr f re les paradoxes aux solutions elle est en permanence d jou e par les ressorts internes de l criture choisir une direction pour certaines sc nes c est risquer de passer c t des autres Equation p rilleuse perp tuellement reconduite Le salut viendrait il de la distanciation Rien n est moins s r Loin d tre un mode d emploi ce concept constitue parfois un cran de fum e sur lequel on projette bien des fantasmes qui ne donnent pas toujours d assises la d marche de mise en sc ne Si l on peut bien s accorder sur l id e qu il s agit de mettre des codes distance encore faudrait il s entendre sur les codes que l on vise En 1728 John Gay s amuse de la sph re du prem
69. mann PAROLES DES CHANSONS Bertolt Brecht MUSIQUE Kurt Weill TRADUCTION ET ADAPTATION Jean Marc Dalp D APR S LE MOT A MOT DE St phane L pine MISE EN SCENE Brigitte Haentjens AVEC S bastien Ricard Eve Gadouas Jacques Girard Kathleen Fortin Marc B land C line Bonnier Eve Pressault Pierre Luc Brillant Xenia Chernyshova Larissa Corriveau Jean Derome Francis Ducharme Bernard Falaise Maxim Gaudette Alexandre Grogg Sharon James Emilie Laforest Nicolas Letarte Marika Lhoumeau Nicolas Michon Fr d ric Millaire Zouvi lannicko N Doua Mani Soleymanlou ASSISTANCE A LA MISE EN SCENE ET REGIE Dominique Cuerrier DRAMATURGIE ET ASSISTANCE A LA MISE EN SCENE Florent Siaud SCENOGRAPHIE Anick La Bissonni re COSTUMES YSO LUMIERE Guy Simard MAQUILLAGE ET COIFFURES Angelo Barsetti CONCEPTION SONORE Fr d ric Auger CONCEPTION DES ACCESSOIRES Julie Measroch DIRECTION TECHNIQUE Jean Fran ois Landry DIRECTION DE PRODUCTION S bastien B land COLLABORATION AU MOUVEMENT Veronica Melis DIRECTION DU CHANT ET DES CHOEURS Emilie Laforest PIANISTE DE REPETITIONS Alexandre Grogg UNE CREATION DE Production Sibyllines PRESENTEE A Montr al EN CODIFFUSION AVEC LUsine C ET A Ottawa EN COLLABORATION AVEC LE Th tre fran ais du Centre national des Arts PAGE 3 L ENVERS DE LA PI CE INTRODUCTION Florent Siaud Voici comment Thomas Mann d crit l un des acc s d criture de son personnage Gusta
70. me pan vm Bd Tem tee pn eaat iad oe ee gr comme de de mn LT de Te PEUT TRE N EST CE PAS MOI QUI PARLE Tu disais que le metteur en sc ne tait habit par l uvre au point qu il aurait pu l crire Est ce que mettre en sc ne c est s approcher du geste d criture La mise en sc ne n est pas loin de l criture Il y a des uvres qui te laissent plus de place pour l criture sc nique car elles sont de nature plus po tique et fragmentaire ou parce que tu les cris toi m me je pense Vivre ou a Malina par exemple Dans le cas de Brecht j ai l impression qu on dispose de relativement peu d espace On ing re on dig re on jecte Rires Y a t il un moment pr cis o l uvre cesse d habiter le metteur en sc ne pour en quelque sorte devenir ext rieure lui partir du premier encha nement un processus de deuil commence Ce qui me frappe c est quel point tout est irr m diable d s le d but des r p titions On ne peut arr ter le mouvement Le spectacle devient vite un cheval lanc au grand galop et rien ne peut plus le contrer La mise en sc ne s autonomiserait du metteur en sc ne Je le per ois tr s clairement Le metteur en sc ne c est le pantin du spectacle rires Le spectacle lui dit quoi faire Je suis le porte voix de la mise en sc ne On s embarque dans une histoire on ne sait pas ce que va devenir ce qu on initie On r fl chit
71. nn la collaboration artistique et de Kurt Weill la musique La joyeuse quipe part dans la commune fran aise du Lavandou au bord de la M diterran e pour faire avancer le projet dans des conditions obscures qui emp chent de d terminer pr cis ment qui a eu l id e de quoi La pi ce ne sera toutefois achev e que le jour de la premi re D ici l une suite de crises vont contribuer faire l histoire foisonnante d une uvre singuli re qui ne doit m me pas son titre Brecht Distribu e dans le r le de Polly Carola Neher doit par exemple quitter les r p titions pour aller retrouver son mari qui agonise en Suisse L v nement a une incidence dramaturgique pendant l absence de 1 Thomas Mann La Mort Venise in Romans et nouvelles tome II Paris Le Livre de Poche La Pochoth que 1995 p 150 151 2 Nous ne faisons allusion qu certains d tails fascinants que rapportent John Fuegi Brecht amp Cie trad fr d Emmanuel Dauzat et Eric Diacon Paris Fayard 1995 G nter Berg et Wolfgang Jeske Bertolt Brecht L Homme et son uvre trad Bernard Banoun Paris L Arche 1999 et les contributeurs de Kurt Weill The three penny opera dir Stephen Hinton Cambridge University Press Cambridge opera handbooks 1990 PAGE 4 Neher l quipe artistique estime n cessaire de confier certaines des r pliques de Polly d autres membres de la troupe Son poux mis en terre la
72. ntes C est parce qu il y a ces paisseurs que le sourire est possible Quand John Gay a crit L Op ra des gueux dans les ann es 1720 un moment o l attraction qu exergait la vie des bas fonds sur la population de Londres au XVIlle si cle tait puissante Est ce que l id e d ancrer l histoire dans un milieu concret ta servi pour ton adaptation ll m a sembl important que toutes les r f rences pr sentes dans la pi ce de Brecht parlent au public C est pour a que j ai choisi de nommer des quartiers de Montr al connus de tous le Plateau Westmont Outremont le Vieux Montr al la prison de Bordeaux Je voulais qu on croie cet univers la tout en respectant l id e qu on n est pas du tout dans un th tre r aliste Il n est pas n cessaire de jeter des voiles inutiles sur la repr sentation J ai essay de laisser parler ce qu on est ce qu on conna t Quand dans l pitaphe j ai entendu que S bastien Ricard s adressait ces chiens sales ces policiers qui se moquaient de moi soir et matin j ai tout de suite pens Michel Charbonneau le d tenu avec qui j ai crit la t l s rie Temps dur j ai pass deux ans le voir r guli rement en prison o il m a introduit au vrai monde criminel Je pense qu ce moment l Mackie c est Michel Charbonneau J ai vu des gang de m chants gar ons avec chacun leur caract re on le ressent probablement dans les sc nes de
73. ntistes LE SENS DES STYLES On retrouve d ailleurs des traces de sa Premi re Symphonie crite en 1921 dans L pitaphe L criture de Kurt Weill a t elle une dimension symphonique Dans L Op ra de quat sous tout fait Hormis les rares parties de violoncelle et de contrebasse il n y a pas de cordes Cela devrait donc davantage voquer les fanfares Et pourtant la musique sonne de fa on presque symphonique probablement gr ce la richesse de la composition qui agence de nombreux motifs ensemble N est ce pas aussi la bigarrure des styles musicaux qui font la richesse de cette partition Oui Kurt Weill a puis dans la culture populaire am ricaine et le jazz La ballade de la vie agr able est crite dans un esprit de ragtime assez clair la ballade du souteneur est un tango le chant d amour est compos comme une valse On ressent l influence afro am ricaine dans le style de Weill ainsi que le mod le de l criture polytonale de Darius Milhaud L impact de Stravinski me semble galement tr s important Avec ses quintes superpos es le chant des canons me rappelle Le Sacre du printemps Le Sacre du printemps 1913 est un ballet ruptif et violent Cela fait envisager le chant des canons sous un angle plus inqui tant qui est parfois occult par le style foxtrot de cette chanson Effectivement a permet de voir les choses diff remment Les chansons sont
74. on peut le faire au cin ma Une uvre nous habite au point qu on aurait pu l crire a n est pas forc ment une cohabitation ais e Il y a des auteurs avec lesquels ce rapport est plus tendre la voix de Kolt s par exemple est pour moi celle d un petit fr re En revanche ma relation l criture de Brecht a t plus conflictuelle Dans une r union de production tu as justement d clar ce texte travaille contre toi Qu entendais tu par l L Op ra de quat sous est un texte qui me heurte dans le sens o il m oblige me d passer Il m aura violent e tout en me faisant avancer J ai parfois l impression qu il repose sur une criture paternaliste qui veut me r duire son syst me en essayant de brider ma libert Rires Je ne parle pas ici du contenu mais de l criture m me Je me suis sentie contrainte au d but du processus de cr ation Nous avons beaucoup travaill beaucoup cherch les fa ons de r inventer L Op ra Ma grande joie travers les r p titions c est d avoir trouv finalement malgr les obstacles une grande libert PAGE 11 TH TRE PIQUE Est ce que le syst me th orique qui entoure le th tre de Brecht est un poids Oui Mais c est un poids factice Je pense que le th tre de Brecht a beaucoup t th oris apr s coup En fait L Op ra est tr s r volutionnaire et b tard en m me temps R volutionnaire parce que b tar
75. ouvertes il se tient la disposition des grandes masses de ceux qui produisent beaucoup et vivent mal afin qu ils trouvent un amusement se pencher utilement sur leurs grands probl mes Il se peut qu ils prouvent des difficult s payer notre art et qu ils ne saisissent pas d embl e ce nouveau genre d amusement et sur bien des points il nous faudra apprendre d couvrir de quoi ils ont besoin et sous quelle forme mais nous pouvons tre assur s de leur int r t Car ces gens auxquels les sciences de la nature sont en apparence si trang res n en sont pas si loign s que parce qu on les en carte et ils doivent d abord pour se les approprier d velopper et pratiquer eux m mes une nouvelle science de la soci t en v ritables enfants de l ge scientifique et le th tre de celui ci ne pourra pas se mettre en mouvement si ce n est pas eux qui le font bouger Un th tre qui fait de la productivit la source principale de l amusement doit aussi faire d elle son sujet et ce avec un z le tout particulier une poque o l homme est de toutes parts emp ch par l homme de se produire lui m me c est dire de gagner de quoi vivre de s amuser et d amuser les autres Le th tre doit tre engag dans la r alit s il veut avoir la possibilit et le droit de fabriquer des images efficaces de la r alit Bertolt Brecht Petit organon pour le th tre trad Bernard Lortholary Paris
76. plus noires qu on ne le pense J adore Stravinski dont j aime particuli rement la premi re p riode Il tait un orchestrateur hors pair 22 Spectacle con u et mis en sc ne par Brigitte Haentjens Je ne sais plus qui je suis a t pr sent en 1998 au Th tre Les Deux Mondes 23 Bertolt Brecht Sur la musique Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 700 PAGE 29 OPERA DE QUAT SOUS S il est travers d influences L Op ra de quat sous se nourrit aussi de rejets celui d une certaine conception l op ra par exemple C est clair Je me demande d ailleurs parfois si ce rejet vient de Weill ou de Brecht Le troisi me finale est un pastiche d op ra italien tout comme le duo de la jalousie a l acte Il Tu parles d op ra italien La chanson du pirate voque cet gard un passage de Madame Butterfly de Puccini sur un plan musical mais aussi th matique dans les deux partitions il est question de port de navire de femme Oui je pense que cette r sonance se sent dans le refrain de la chanson du pirate l poque de Weill Madame Butterfly est d j un classique de l op ra Ce qui est intrigant c est que cette m me chanson serait aussi inspir e d une chanson que Brecht aurait compos e et que Carola Neher la future Polly aurait interpr t e la radio de Berlin le 31 d cembre 1926 Oui Brecht a r utilis des compositions ant rieure
77. que que Brecht voudrait all ger de plusieurs num ros Linterpr te de Peachum menace son tour de quitter le navire si l on sabre la moindre de ses r pliques celui de Mackie alors au faite de sa gloire dans le monde clinquant de l op rette pr vient galement qu il s en ira si on ne le laisse pas se costumer selon son bon vouloir Au d sespoir d Aufricht il va donc se faire tailler un l gant costume qui lui conf re l apparence d un grand bourgeois Anecdote Non p rip tie artistique N est ce pas ce caprice de coquet qui a l gu a la post rit le mythe d un bandit aux allures vestimentaires de gentleman Personne n osait y croire et pourtant le 31 ao t la repr sentation a bel et bien lieu De justesse on dit que la complainte de Mackie qui ouvre le spectacle fut crite par Brecht et Weill le jour m me de la premi re Peu importe que le cheval du messager de l acte III soit en panne l essentiel est l l un des plus grands succ s du th tre du XX si cle est pr sent pour la premi re fois sur sc ne Il aura vu le jour en d pit des obstacles ou plut t gr ce eux Car les accidents les d parts les menaces comme les rapports de force entre les cr ateurs ont assur ment contribu forger L Op ra de quat sous tel que nous le connaissons aujourd hui fi vreux insolent souvent trangement cousu et non exempt de contradictions mais toujours percutant SAINE QUIDIST
78. r sents comme des traces travers l chelle qu emprunte Mackie par exemple On a aussi envisag de recr er l univers d un cabaret Cette hypoth se n est pas visible dans l tat actuel du spectacle I n y a que des traces de cabaret Ce qui peut voquer ce monde la c est la sc ne du bordel M me si les corps sont cass s La cassure des corps vient peut tre du fait qu on a visit l exposition Otto Dix qu on a vu les corps bris s de Grosz qu on a parl des gueules cass es Oui c est vrai a doit venir de l aussi Si je n avais pas vu L Apollonide le film de Bertand Bonello je n aurais probablement pas dirig la sc ne du bordel de cette fa on Ce film m a profond ment boulevers e habit e perturb e MATURGIQUE PAGE 18 Nous avions aussi parl de petits tabourets que tu avais remarqu s en Turquie dans les rues avec ces corps recroquevill s dans la ville jouant aux cartes La position de ces corps te donnait l impression de corps en train de comploter Cette image t a accompagn e pour mettre en sc ne les deals du prologue rires Ah oui ces petits si ges Ils ont disparu mais ils sont rest s dans les corps Il y a toujours une petite chaise dans mes mises en sc ne je ne sais pas pourquoi Propos recueillis par Florent Siaud le 18 d cembre 2011 CET ESPACE EST UNE CHIM RE Entretien avec Anick La Bissonni
79. r j ai vu beaucoup de ses pi ces au cours de ma vie Certaines productions t ont elles marqu e plus que d autres Ce que j ai trouv de plus int ressant c est le travail rigoureux de Thomas Ostermeier la Baracke de Berlin Je me souviens aussi d avoir vu Arturo Ui mis en sc ne par Heiner M ller au Berliner Ensemble un spectacle hallucinant d autant plus que l acteur principal commen ait la pi ce en chien quatre pattes pour lentement se tenir sur ses jambes et se m tamorphoser en Hitler On applaudissait tout rompre et lorsqu on sortait de l difice on entendait un discours d Hitler r sonner l ext rieur sur toute la place L effet produit tait gla ant Par contre j ai souvent trouv que les productions des pi ces de Brecht font un peu vieux th tre Cela m voque des v tements pleins de poussi re Il est vrai que la pauvret est toujours difficile repr senter au th tre Elle me semble tre plus facile rendre au cin ma Au cin ma le spectateur s immerge dans l image Avec des vrais corps de th tre c est trange on n a pas le m me sentiment de r alit CE TEXTE TRAVAILLE CONTRE TOI Qu est ce qui pourtant ta conduit privil gier le th tre comme moyen d expression artistique Au th tre on s approprie l uvre de fa on personnelle et charnelle on la prend en soi sans forc ment essayer de la restituer dans une poque comme
80. rangement aujourd hui alors que les pays arabes se r voltent que les Etats europ ens vacillent et que diff rents mouvements populaires tentent d occuper la cit Un des aspects de l uvre que je n avais pas saisi auparavant et qui m a passionn e est le rapport des personnages au plaisir et la mort En cours de travail nous nous sommes bien aper u que Mackie comme Peachum portent une sorte de fatigue une lassitude du r le qu ils doivent exercer Il est trange que Mackie aille au bordel alors qu il est menac de pendaison Est ce le seul endroit o il n a pas de responsabilit s Est ce parce qu il ne ma trise pas ses besoins charnels et qu il ne parvient pas les assouvir dans une relation conjugale Il semble que Mackie est aussi anim de pulsions suicidaires ce qui est certainement un trait germanique Heiner M ller pense m me que ces pulsions de mort ont aliment le fascisme et l esprit guerrier de la Wehrmacht Ici elles signifieraient plut t la faillite ou la d mission Parall lement ce d sespoir Brecht exprime dans L Op ra comme dans plusieurs de ses uvres une fascination et un d go t du vice Cette tension agit maints endroits et notamment dans le song de Madame Peachum La d pendance sexuelle La sexualit appara t ici comme une activit de transgression et cela va de pair avec la commercialisation et l industrialisation du plaisir L ivresse qu elle soit guerri re ou rotiq
81. recht notes sur L Op ra de quat sous in crits sur le th tre Il trad Jean Tailleur Edith Winckler Paris L Arche 1979 34 ldem PAGE 36 quoi te servaient tes carnets de notes lls me servaient mettre en mots des impressions Tout l enjeu est de ne pas jouer ce qu on a trouv en soi Avec le temps j essaie de me dire je passe quatre heures ici en r p tition et c est ici que les choses doivent se passer La p riode de r p tition sert r unir dans l espace de jeu final toutes les conditions pour que la repr sentation puisse avoir lieu J cris de moins en moins Je me m fie des mots d sormais Ou plut t je les aime mais en po sie qui est probablement le genre que je pr f re parce qu il essaie de parler de quelque chose d indicible Les mots sont forc ment approximatifs c est leur assemblage po tique qui produit l tincelle PAGE 37 PO TES DISPARUS Mackie est hant par les fant mes d au moins deux po tes Brecht et Villon On a souvent voqu l hypoth se d une proximit entre Brecht et Mackie Son charisme en d pit d un physique trange son rapport l argent et aux femmes Oui absolument Je me souviens d ailleurs que vous m aviez montr une photo de lui tout dent avec ses lunettes noires De toute fa on il faut faire attention ne pas tomber dans le clich du beau Mackie Il repousse autant qu il s duit
82. res sulfureuses sans qu on y prenne garde Peachum glisse le nom de S miramis Jenny celui de Cl op tre deux souveraines habit es par Eros que Dante enferma dans le deuxi me cercle de son Enfer le cercle de la luxure Loin d tre le br lot anticapitaliste auquel on la r duit souvent l uvre de Brecht est donc plus insaisissable qu il n y para t Avec une subtilit presque sournoise elle renvoie dos dos les grands et les petits pour nous confronter la f rocit de la nature humaine qui n est que concupiscence et d sir de pouvoir L homme est un loup pour l homme Brecht ajoute son nom longue liste des penseurs qui de Plaute Freud en passant par Montaigne et Hobbes ont fond leur vision du monde sur la conscience de cette anthropophagie fondamentale LE TAUREAU DANS LA GROTTE Farouche et acharn e la r sistance que ce texte sauvage oppose qui s attelle sa mise en sc ne a marqu plus d un artiste au cours des derni res d cennies Confront e cette dramaturgie de la contradiction Brigitte Haentjens ne s est laiss e distraire par aucune sir ne Elle a men son bateau dans la nuit tumultueuse de la cr ation en r p titions avec ses acteurs ou plus en amont dans ces moments informels fragiles et cependant rigoureux o elle a chang avec ses concepteurs les intuitions se sont creus es et les convictions ont pris corps Malgr les emb ches in vitables dans une
83. s On a vu que d autres chansons avaient t crites avant la composition de L Op ra proprement parler Barbara song et Le chant des canons Pour en revenir l id e de rejet Brecht et Weill avaient aussi quelque chose r gler avec Wagner et avec son concept d uvre d art totale Brecht crivait justement Que soient ainsi convoqu s tous les arts fr res de l art dramatique non pour produire une uvre d art totale dans laquelle tous se renieraient et se perdraient mais afin qu avec l art dramatique ils concourent chacun a sa fa on la t che commune leur commerce consistant se distancier mutuellement lire cette citation Weill et Brecht iraient donc rebours de la fusion voulue par Wagner Mais au fond est ce que cette th orie n am ne pas au m me r sultat que Wagner La musique et le jeu sont s par s mais me semblent fondus dans un m me mouvement Malgr tout Wagner a invent une sorte de fondu encha n musical alors que Weill opte pour des num ros isol s Oui c est vrai Et dans ce sens c est crit la mani re d un cabaret ll y a une interruption syst matique du dialogue par la musique qui fait que les chansons sont autant de parenth ses Certains num ros sont int gr s l action mais d autres fois on a l impression qu travers la chanson les personnages apportent un regard diff rent sur un m me ph nom ne le regard se d pl
84. scentes et impalpables On finit par avoir des probl mes de peintre Quel est ton moyen le plus spontan Le dessin d finitivement En raison de mes tudes en architecture j ai appris le dessin la main Le dessin est pour moi un contact direct avec mon cerveau Cela passe directement de mon espace imaginaire ma main Je dessine sur du calque ou sur mes petits cahiers Avec mes crayons de bois mes feutres noirs mes couleurs favorites 19 Frances Yates L art de la m moire trad Daniel Arasse Paris Gallimard 1987 PAGE 23 L ESPACE DU PAPIER Le fait de changer de medium cahier plan maquette modifie t il l objet lui m me Constamment Le jeu c est de ne pas rester dans une repr sentation trop longtemps car le projet n est pas l objet Nous ne sommes que face sa repr sentation Une fois qu on a repr sent cet espace l sous une forme on a dit des choses sur notre espace mental que ce medium l nous permettait de dire En changeant de medium on dit d autres choses plus on change de medium et d chelle plus on d range notre il et notre cerveau Il est n cessaire de cr er des accidents Une fois que la chose est sortie du n ant elle est sur la table Je peux la regarder reculer la contempler d un il nouveau et voir des choses que je n avais pas n cessairement en t te Une fois qu on a cr cet objet dans l espace cet objet l est distinct de soi et r side
85. st beaucoup de r p titions Hamlet machine aussi Je faisais des croquis des acteurs pendant qu ils r p taient Le processus de cr ation de L Op ra de quat sous a t diff rent principalement cause du calendrier J aime beaucoup le travail en r p tition car les acteurs habitent l espace o ils r p tent Si je peux importer une partie de cet espace l sur sc ne on y gagne Tu cherches transporter une partie de l espace de r p tition dans l espace du d cor Les acteurs d Hamlet Machine ont r p t avant qu on ne trouve l espace o le spectacle allait tre donn On s est mis chercher des espaces avec Brigitte jusqu ce qu on se rende compte que nous cherchions en fait l espace des r p titions qui tait troit et long 20 Matthias Langhoff Au Berliner avec Brecht in Georges Banu dir Les R p titions de Stanislavski aujourd hui Arles Actes Sud 1 dition en Alternatives th trales 1997 2005 1997 p 114 PAGE 25 ATLAS MNEMOSYME Une sc nographie porte l empreinte de l espace mental de plusieurs personnes le tien celui du metteur en sc ne des autres concepteurs Comment arrive t on b tir un espace collectif alors que cet espace est pr cis ment int rieur Comme architecte je suis habitu e la commande Je me nourris de l imaginaire de mes coll gues Mon travail c est de traduire travers mon univers ce que j
86. st rieux compos de plusieurs temps Il m voque ces halls d h tel o les horloges donnent voir plusieurs fuseaux horaires Elles nous donnent acc s plusieurs heures celles de Paris Tokyo de New York Le temps des r p titions est aussi vou l interruption jour apr s jour par exemple Mais l interruption peut parfois durer plusieurs semaines Oui l interruption d une r p tition ressemble la fracture qui se cr e la fin d une s ance d analyse Le temps est suspendu Les interruptions de plusieurs semaines m ont toujours sembl dures C est comme si l on tait arrach du projet Mais cela permet que le spectacle fasse son chemin dans les corps int rieurement sans interaction sans dialogue Je l ai vu quand on a fait la reprise de Woyzeck un an apr s a avait vieilli dans les corps comme un bon vin 13 Les abeilles pillotent de del les fleurs mais elles en font apr s le miel qui est tout leur ce n est plus thin ny marjolaine ainsi les pieces emprunt es d autruy il les transformera et confondera pour en faire un ouvrage tout sien s avoir son jugement Montaigne Les Essais 26 d Villey Saulnier Paris P U F 2004 p 152 14 Matthias Langhoff Au Berliner avec Brecht in Georges Banu dir Les R p titions de Stanislavski aujourd hui Arles Actes Sud 1 e dition dans Alternatives th trales 1997 2005 1997 p 115 PAGE 15
87. t concerne le rythme On peut ainsi couper un adjectif sans modifier le sens d une ligne Mais toute la r flexion dramaturgique de Brecht ne visait elle pas remettre en question l id e d une efficacit de l action th trale Je peux tr s bien comprendre qu il ait pens cela son poque par rapport une certaine dramaturgie et des conceptions alors dominantes de la dramaturgie Mais aujourd hui la d construction de l efficacit et de l intrigue n a plus rien de r volutionnaire J assume enti rement mon pragmatisme nord am ricain Je suis allergique l ennui au th tre Je n aime pas qu on me redise une deuxi me fois ce que j ai d j compris Et j ai parfois l impression que le public d aujourd hui a une compr hension plus rapide des situations dramatiques probablement gr ce aux media au cin ma la radio aux s ries TV Notre travail nous est de les surprendre en les stimulant PAGE 41 IMPERTINENCE la cr ation Rosa Valetti refuse de chanter la ballade de l esclavage sexuel dont elle n aime pas le c t pornographique En accusant la crudit des r f rences sexuelles tu es finalement revenu l originalit du projet de Brecht Peut tre que oui Je me suis donn la permission de souligner cette dimension l Quand Brecht a crit L Op ra de quat sous il avait trente ans Malgr mon grand ge j ai eu envie de renouer avec esprit de cet
88. t J ai l impression qu il est dans une construction non pas fantasmatique mais r elle du bordel Voit on des traces de Toulouse Lautrec dans les costumes que tu as con us pour le spectacle Oui dans les bas ils d coulent ici d un m lange de plusieurs styles En 1939 les bas couleur chair se sont impos s tandis qu l poque de Toulouse Lautrec les prostitu es portaient des bas noirs opaques De mon c t j ai opt pour des bas noirs mais transparents Par ailleurs la fin des ann es 1930 les femmes modestes se dessinaient au crayon une ligne noire imitant la couture des bas m me la chair pour faire croire qu elles avaient les moyens d en porter J ai d cid de po tiser cette pratique en optant pour une ligne rouge allusion discr te aux couleurs du bordel Et ces sources d inspiration visuelle se sont mat rialis es travers les images que tu as placard es en salle de r p tition Je crois qu elles ont aid les acteurs nourrir leur personnage Avec ces images historiques ils ont peut tre pu se faire une id e des v tements qui circulaient l poque Montr al de la fa on dont on les portait de la mani re dont on vivait avec Georges Banu crit propos des costumes dans le syst me de r flexion de Brecht le travail sur les costumes et l usure de leur v cu a t un fait r volutionnaire l poque o r gnaient pour reprendre un terme de Barthes les maladies du
89. t que certaines chansons soient entr es dans l inconscient collectif repr sente t il une difficult Elles se sont autonomis es de l intrigue Je m ai rien contre le fait qu on ait adapt la complainte de Mackie en jazz bien s r Mais quand on pr sente la pi ce il ne faut pas l interpr ter comme un hit et lui rendre sa place au c ur de l histoire Le rythme de la complainte de Mackie par exemple il faut le faire dans un esprit allemand et non nord am ricain travers L Op ra de quat sous Brecht et Weill voulaient poser un jalon d cisif dans l histoire du th tre musical Brecht crit que les chansons repr sentent les d buts encore tr s timides d un autre th tre le th tre des temps nouveaux lls ont cr une forme qui marche Le fait d avoir introduit de la musique populaire dans de la musique dite s rieuse et d avoir appel cela op ra est novateur Ils sont arriv s ce paradoxe ils ont cr des chansons populaires mais d criture relativement savante Mais je ne vois pas forc ment de cons quence directe sur l histoire de l op ra proprement parler Ce sont peut tre les com dies musicales am ricaines qui sont un d veloppement de L Op ra de quat sous Propos recueillis par Florent Siaud le 21 d cembre 2011 28 Bertolt Brecht Claus K chenmeister Professeur Bruno Mackwardt et des tudiants de l universit de Greifswal
90. t vrai que les classiques ont fini par tre utilis s Bertolt Brecht Entretien sur les classiques Berlin 1929 in Werner Hecht Entretiens avec Brecht trad fr de Fran ois et R gine Mathieu Paris Editions Messidor 1988 Suhrkamp Verlag Francfort sur le Main RFA 1975 p 29 30 PAGE 44 ORGANIQUE Entretien avec Yso costumier 1939 2012 Comment es tu rentr dans l imaginaire des ann es 1930 a ne m a pas paru difficile car je travaille dans la mode Walter Benjamin crivait La mode sait flairer l actuel si profond ment qu il se niche dans les fourr s de l autrefois Elle est le saut du tigre dans le pass Tous les designers parcourent les ann es travers leurs propres cr ations Le choix de 1939 est stimulant pour moi car Montr al avait alors une place tr s enviable dans le monde de la mode Ville situ e en Am rique du Nord elle avait aussi une touche fran aise qui attirait de clients riches en provenance des tats Unis Plusieurs marques de haute couture taient import es ici Quelle a t ta r action spontan e apr s ta premi re lecture du texte J ai tout de suite eu h te de m attaquer la robe de mari e rires En apprenant que le spectacle tait situ en 1939 Montr al je me suis dit que j allais travailler sur les motifs les imprim s et les couleurs Comment fait on pour sugg rer une poque sans la reconstituer
91. te jeunesse impertinente rires Cette uvre porte irr m diablement l empreinte des circonstances de sa gen se des propositions des uns des caprices ou du refus des autres Elle est travers e d une pluralit de paroles aux fronti res poreuses tel point qu un critique allemand Alfred Kerr fait para tre dans le Berliner Tageblatt du 3 mai 1929 un article accusant Brecht d avoir plagi la traduction de Villon par K L Ammer sans le mentionner Il y a plusieurs voix d auteur qui parlent dans ce texte Je l ai per u tout de suite Il y a un c t anarchique dans cette criture jeune On est presque dans un cas de cr ation collective Mais cela dit quelque chose de fondamental sur l art th tral qui est un art de groupe En juin 2010 tu as dit que l art de Brecht consistait faire d sirer quelque chose qu il interrompt Pourrais tu expliciter cette intuition Brecht voulait d construire la pi ce bien faite reposant sur des ressorts psychologiques les motivations notamment Finalement il r invente ce qu avait trouv Shakespeare Lune des grandes inventions des lisab thains est par exemple l interruption des sc nes on coupe on se d place ailleurs puis on revient la sc ne interrompue On est loin de l unit d action des classiques fran ais qui rejetaient l id e de manipuler plusieurs trames en m me temps La fin incongrue de L Op ra de quat sous est symptomatiq
92. toute la pi ce taient une peinture de la constante et indestructible inclination qu prouvent l un pour l autre un souteneur et sa fianc e Les deux amants chantaient non sans motion leur petit chez soi le bordel De cette fa on justement parce qu elle ne cessait d tre exclusivement sentimentale et ne renongait aucun de ses effets narcotiques habituels la musique contribuait mettre nu les id ologies bourgeoises Elle se mettait pour ainsi dire remuer la boue provoquer et d noncer Bertolt Brecht Sur la musique Paris Gallimard La Pl iade 2000 p 703 PAGE 33 ENTRE LE CAPRICE ET L AB ME Entretien avec S bastien Ricard acteur LE PERSONNAGE AU MIROIR DE L ACTEUR Contre la promesse de ne pas quitter la production le cr ateur du r le de Mackie Harold Paulsen obtint le droit de se faire tailler une tenue de soir e typique de la haute bourgeoisie berlinoise Est ce que ce caprice d acteur te dit quelque chose de ton propre personnage Un homme comme Mackie a des sautes d humeur et des envies contradictoires Le mot caprice me parle donc beaucoup Ce personnage me fait penser ces gens l qui veulent quand ils veulent et interrompent leurs interlocuteurs quand bon leur semble c est ce qu il fait dans la premi re sc ne des bandits Ce r le a t marqu par cet artiste mais il me renvoie aussi moi m me en tant qu homme
93. u il eut fini sous les cris d approbation spontan ment un homme prit son chapeau et fit la qu te pour le chanteur tous se pr cipit rent sur Brecht et il dut bisser son num ro Quand Brecht chantait c est comme si lhorloge du temps tait suspendue Tu as raison de parler de l horloge du temps Je trouve que la pi ce parle de la roue de l histoire mais c est comme si les chansons arr taient tout La musique c est ce qui sauve les hommes dans cette pi ce Quand Polly chante j ai l intuition que Mac est vraiment mu Il aime la musique C est presque la seule chose qui le purifie dans la pi ce L arriv e de la chanson est presque cathartique Elle permet un d foulement Il y a quelque chose de cet ordre oui Par la m lodie la m lodie lib re des mots qui sont faux toujours c t La musique affranchit L INSTINCT DE LA LANGUE Nous parlions de Fran ois Villon 1431 1463 dont la vie a t marqu e par la pauvret le crime et des relations houleuses avec la justice Ce qui est tonnant c est que certains dictionnaires anciens portent trace du verbe villonner qui veut dire tromper payer en fausse monnaie On est pas loin de L Op ra de quat sous Villon avait aussi un rapport particulier la langue populaire puisqu il utilisait l argot dans ses po mes As tu trouv la langue de Mackie l heure qu il est je la cherche encore On a beaucoup parl des niveaux de langa
94. ue de cette dramaturgie qui refuse l unit d action Bernard Dort crit Ici nul apaisement d finitif ne cl t l uvre il n y a ni r tablissement d un ordre ancien ni tablissement d un ordre nouveau ni r alisation du rationnel et du vrai en soi Tout s ach ve sur un trange ni ni Tout avance in luctablement vers la pendaison de Mackie Mais une fois qu on arrive cette conclusion Brecht suspend son histoire tragique pour faire un number C est un moyen d appuyer le mat rialisme historique de son th tre 37 Brecht r agira cet article intitul Le copyright de Brecht en invoquant son laxisme en mati re de propri t intellectuelle 38 Bernard Dort Lecture de Brecht Paris Seuil Points 1960 p 195 PAGE 42 MALICE Au del n y a t il pas une simple part de malice dans ce choix dramaturgique mais aussi plus largement dans l criture Brecht crit dans un po me Vraiment je vis en de sombres temps Un langage sans malice est signe De sottise un front lisse D insensibilit Celui qui rit N a pas encore re u la terrible nouvelle rires J aime beaucoup cette citation Mais j ai impression d tre un peu plus optimiste que Brecht du moins dans ce que j cris Je dirais que me concernant cette malice r side moins dans le langage que dans les situations o j essaie de cr er plusieurs couches de sens diff re
95. ue lib re l homme de son exploitation et des liens sociaux qui le maintiennent dans une certaine morale Mais que vaut la morale quand il n y a rien manger Travailler une uvre aussi connue connot e m a tout au long du processus donn des vertiges la peur de n avoir rien dire de plus effroi de ne pouvoir r pondre aux questionnements qu elle ouvre Il m a bien fallu c der Brecht accepter ses contraintes pour tre en mesure de les traverser Il m a bien fallu plonger dans la caverne cet endroit o les masques tombent et la r volte gronde Et faire face aux gouffres que L Op ra de quat sous claire et qui composeront peut tre le paysage venir Cette plong e est au bout du compte la seule fa on de convoquer le plaisir Toute mon immense gratitude l quipe de cr ateurs et d interpr tes qui m ont si puissamment appuy e PAGE 9 EXTRAIT DE TEXTE 23 Le th tre ne saurait vrai dire adopter une attitude aussi libre qu condition de se laisser porter par les courants les plus violents qui agitent la soci t et de faire cause commune avec ceux qui sont n cessairement les plus impatients d y op rer de grands changements M me d faut d autres raisons le simple d sir de d velopper notre art conform ment notre poque suffit lui seul transplanter imm diatement notre th tre de l ge scientifique dans les faubourgs o quasiment toutes portes
96. uleur Ah la musicalit le rythme de Jean Marc Dalp Cela n a pas pour autant r solu toutes les questions que nous nous posions Comment s infiltrer dans une criture qui impose des contraintes indispensables la progression de l histoire et composer avec le r alisme de l action Comment conjuguer l acerbit des sc nes leur style parfois parodique ou vaudevillesque avec la v rit humaine la profondeur l motion que v hiculent les chansons Comment s amuser avec une telle noirceur de fond ou r v ler la noirceur quand on est par moments presque chez Feydeau 8 Pi ce crite par Brecht en 1925 dont la traduction fran aise est Homme pour homme PAGE 8 ll a bien fallu me heurter de plein fouet cette criture nerveuse parfois sauvage Cette bataille est la seule fa on pour moi d appr hender vraiment un texte Le combat fut sanglant car la plume de Brecht est m chante La soif d argent et de pouvoir est ce qui anime les personnages de L Op ra Riches ou pauvres vrais mendiants ou faux paralytiques bandits et commer ants tous sont pr ts tuer trahir par app t du gain Brecht insinue t il par l que nous sommes parvenus la fin du politique Que nos tats ayant commis plus de meurtres de tortures que toutes les organisations criminelles nos lus ne nous seraient plus d aucun secours Ces questions qui annongaient la venue du fascisme en Allemagne r sonnent t
97. v von Aschenbach Qu aurait pens le lecteur de cet auteur fictif s il avait t mis dans la confidence de cette transe aussi voluptueuse que violente Aurait il pr f r n en rien savoir pour ne scruter dans le livre que la puret surnaturelle d une forme surgie de nulle part C est ce qu on est tent de comprendre travers ces lignes de La Mort Venise Et pourtant on peut d autant plus admirer une uvre que les circonstances de sa gen se ne semblaient gu re la pr disposer sa perfection derni re lui seul L Op ra de quat sous de Brecht en est la preuve Tout commence presque par hasard et contre c ur En 1928 le Royaume Uni f te le bicentenaire de la cr ation de L Op ra des gueux de John Gay S duite par cette satire mordante de la Londres de 1728 une proche collaboratrice de Brecht Elisabeth Hauptmann d cide de la traduire en allemand Dans cette critique d une soci t d vor e par la cupidit et la corruption elle trouve sans doute de quoi faire cho aux travers de son propre temps Mais ce qui attise la flamme d Hauptmann peine curieusement allumer celle de Brecht Occup terminer des textes promis de longue date Erwin Piscator le dramaturge d tourne le regard Il faut attendre l entr e en sc ne impromptue d un impresario berlinois au printemps 1928 pour qu un coup de th tre survienne Nouveau dans le monde du spectacle Ernst Josef Aufricht vient d h riter de 1
98. ynisme qui s enracinent dans son exp rience de la guerre Il y a dans ce personnage un puisement physique une lassitude morale Il faut d ailleurs se rappeler qu il y a un cart d ge consid rable entre lui et ses deux femmes ce qui a une cons quence sur le corps un homme de quarante ans qui se retrouve avec une femme de vingt ans ne soutient pas la cadence de la m me mani re que lorsqu il tait plus jeune C est un homme qui lutte contre une certaine d vitalisation mais qui n en est pas moins extraordinairement vivant tes yeux fait il le deuil de sa puissance un moment de la pi ce Quand il fait les comptes avec Brown dans la derni re sc ne a t il d missionn Pour moi il continue Une fois que les solutions sont puis es avec Jakob et Maurice puis Polly et Smith il essaie par toutes sortes de moyens de conduire Brown se sentir extr mement coupable Brigitte disait que son dernier discours tenait du baroud d honneur M me l il n abandonne pas II a un instinct de survie presque animal Brecht disait de lui m me Je suis un fauve et me conduis au th tre comme dans la jungle Si Mackie a quelque chose de a c est par sa capacit marquer son territoire tr s rapidement Les sc nes de prison sont tr s r v latrices M me coinc entre Polly et Lucie et enferm dans une cellule il arrive a se cr er de l espace et le faire respecter Il est toujours aux aguets sur le qui

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