Le rêve champêtre de Voltaire dans ses lettres à Madame du Deffand
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1. en d pit du climat qu il ne cesse de d plorer allant jusqu parler le 11 f vrier 1771 de son s pulcre blanc Il crit le 4 octobre 1772 la marquise Quand je vous dis Madame que j ai b ti une petite ville assez jolie cela est tr s ridicule mais cela est vrai Cette ville m me faisait un commerce assez consid rable mais si on continue me chicaner tout p rira Le th me agricole reste toutefois fondamental parce qu il a rendu les autres possibles Le 28 juillet 1774 il redit son amie parisienne Je fais mes moissons je plante je b tis j tablis une colonie qu on va peut tre d truire Voil des occupations graves En d pit du poids de l ge il en tire bien plus que de la satisfaction un v ritable orgueil J ai eu l insolence de cr er une esp ce de petite ville dans mon d sert et d y tablir des manufactures qui demandent ma pr sence et mes soins continuels Mes travaux de campagne sont encore des cha nes que je ne puis rompre Je me tra ne en carrosse aupr s de mes charrues mes laboureurs n exi gent point que j aie de la sant et de l esprit et que je leur fasse des vers pour tre mis dans le Mercure 12 ao t 1774 193 Le r ve champ tre de Voltaire dans ses lettres Madame du Deffand Roland Mortier 194 Lultime occurrence de cette th matique en sera la d n gation La lassitude et la vieillesse l emportent Il crit le 172. est un secret infaillible On le voit l enthousiasme du propri taire rural est retomb Ses activit s sont devenues des fardeaux Du moins se les est il librement impos s Petit petit la correspondance s espace entre Voltaire et la marquise L crivain lui recommande d essayer de supporter la vie 19 ao t 1763 elle lui oppose sa conviction que le seul bonheur serait de n tre pas n 16 mai 1764 Peut tre le climat joue t 1il un r le dans cette volution car Voltaire se plaint plusieurs reprises du froid de l hiver Ferney Le 7 mars 1764 il dit ne pas comprendre que Madame du Deffand puisse s ennuyer Paris Je voudrais vous amuser davantage et plus souvent Mais songez que vous tes dans le tourbillon de Paris et que je suis au milieu de quatre rangs de montagnes couvertes de neige Les j suites les remontrances les r quisitions l histoire du jour servent vous distraire et moi je suis dans la Sib rie Il faut attendre le 22 mai 1764 pour voir le th me repris apr s une surprenante introduction o la pens e du philosophe semble attir e par un d terminisme rigoureux nous ne sommes pas plus ma tres de nos id es que de la circulation des veines dans notre sang En finale il s excuse de la raret de ses lettres J cris rarement parce que je suis agriculteur Vous ne vous doutez pas de ce m tier l c est pourtant celui de nos p res Les consid ratio
3. on est Paris Madame du Deffand ayant affirm dans une lettre perdue ne pas avoir un moment de libre Voltaire lui r torque aussit t le 15 janvier 1761 Il vous appartient bien de parler ainsi un pauvre homme qui a cent ouvriers et cent b ufs conduire occup du devoir de tourner en ridicule les j suites et les jans nistes frappant droite et gauche sur saint Ignace et sur Calvin Il n est pas indiff rent que les responsabilit s du patron local qu il est devenu soient mentionn es en t te de ce passage Il y reviendra un peu plus loin en g n ralisant le propos Vous ne savez pas Madame ce que c est que le plaisir de gouverner des terres un peu tendues vous ne connaissez pas la vie libre et patriarcale c est une esp ce d exis tence nouvelle Dans une lettre du 22 juillet 1761 Voltaire r sume sa conception de l existence Je joue avec la vie Madame elle n est bonne qu cela Les lettres de 1761 tendent de plus en plus contenir des vues philosophiques formul es sur un ton apodictique La mort n est rien du tout L id e seule en est triste n y songeons donc jamais et vivons au jour la journ e 18 novembre 1761 Il s empresse d ailleurs de pr ciser le mode d emploi de cette philo sophie J ai une douzaine de fardeaux porter je me suis impos tous ces travaux pour n avoir pas un instant d s uvr et triste Je crois que c
4. efforce d int resser le premier ministre son nouveau projet de cr ation d une petite colonie vocation industrielle qui serait tablie en territoire fran ais Versoix L activit horlog re s y doublerait de la fabrica tion de soieries Voltaire a envoy la duchesse une paire de bas de soie titre d chantillon Cette paire de bas crit il le 6 septembre 1769 la marquise c est moi qui l ai faite j y ai travaill avec un fils de Calas J ai trouv le secret d avoir des vers soie dans un pays tout couvert de neige sept mois de l ann e et ma soie dans mon climat barbare est meilleure que celle d Italie L emploi du possessif t moigne de sa fiert et de son enthousiasme on peut donc tre la fois crivain philosophe cultivateur et entre preneur audacieux La disgr ce et l exil en province de Choiseul en 1771 frapperont Voltaire dans ses r ves les plus chers Il en sera d autant plus amer qu il anticipait d s 1769 en voyant son projet d j fond dans son voisinage Du moins l activit agricole reste t elle le meilleur recours dans les heures p nibles Ma consolation est dans la lecture dans la vue des arbres que j ai plant s et du bl que j ai sem Si cela m chappe il sera temps de finir ma vie qui a t assez longue 1 novembre 1769 Alors que la colonie de Versoix est rest e une chim re celle de Ferney prosp re sa grande fiert
5. s et de mes p turages mais ma destin e tait de finir entre un semoir des vaches et des Genevois Voil ma vie madame telle que vous l avez devin e tranquille et occup e opulente et philosophique et surtout enti re ment libre L allusion l abondance de ses richesses mat rielles associ e son travail philosophique en dit long sur l tat euphorique o le plonge la red couverte de la libert Cette p riode pourrait bien avoir t la plus heureuse de sa vie Ce sentiment de pl nitude l emporte m me momentan ment sur les r alisations litt raires Quand Voltaire voque un semoir il ne s agit nullement d un symbole Deux t moignages au moins nous montrent tr s concr te ment la place que l agriculture avait prise dans la vie quotidienne du philosophe laboureur Ainsi la fin de 1758 un de ses admira teurs le savant j suite italien Saverio Bettinelli vient lui pr senter ses respects aux D lices et s avoue fort surpris d entendre Voltaire s crier Quoi Un Italien un j suite un Botticelli C est trop d honneur pour ma cabane Je ne suis qu un paysan comme vous voyez ajouta t 1l en me montrant son b ton qui avait un hoyau l un des bouts et une serpette l autre c est avec ces outils que je s me mon bl comme ma salade grain grain mais ma r colte est plus abondante que celle que je s me dans les livres pour le bien de l humanit En 177
6. tre retir la campagne depuis quinze ans Heureux qui jouit agr ablement du monde plus heureux qui s en moque et qui le fuit 20 janvier 1769 Voltaire prend conscience progressivement de la transforma tion de son r le Il vient de lire le po me de Saint Lambert Les Saisons et il confie Madame du Deffand le 8 mars 1769 alors que les neiges commencent fondre La campagne m appelle deux cents bras travaillent sous mes yeux je b tis je plante je s me je fais vivre tout ce qui m environne Les Saisons de Saint Lambert m ont rendu la campagne encore plus pr cieuse Si je ne craignais d tre un fat je vous dirais que je m ne une vie d licieuse La po sie est venue conforter une fois de plus l id e qu il se fait de son mode de vie mais elle l a largie et socialement approfondie L agriculteur est devenu b tisseur fondateur de manufactures cr ateur d emploi et de bonheur pour le petit monde qui l entoure Le philosophe s est panoui en bienfaiteur social ancr dans le r el Certes les dol ances sur le climat n ont pas cess et il se plaint encore le 3 avril 1769 de rester au milieu des neiges de l pouvan table cha ne des Alpes mais il ne s agit plus l que d un poncif et son int r t se porte ailleurs L agriculteur et manufacturier a dor navant de plus hautes ambitions Par l interm diaire de Madame du Deffand amie de la duchesse de Choiseul il s
7. Voltaire tout comme il crit le m me jour Madame du Bocage Conservez vos bont s pour l habitant des Alpes Les montagnes et le lac sont encore les lieux de l imagi naire o il aime se situer Il semble bien qu il ait attendu 1759 pour devenir dans sa corres pondance le Voltaire laboureur qu voque son savant biographe Ren Pomeau Et c est encore dans une lettre Madame du Deffand crite aux D lices le 12 janvier et qui s ouvre sur un po me d di Formont l ami disparu Le ton est d abord celui de la tristesse et du d clin Les fleurs que je jette madame sur le tombeau de notre ami Formont sont s ches et fan es comme moi Le talent s en va l ge d truit tout Que pouvez vous attendre d un campagnard qui ne sait plus que planter et semer dans la saison Mais ce ton va changer d s le moment o il r fl chit sa situation pr sente Si j osais je me croirais sage tant je suis heureux Je n ai v cu que du jour o j ai choisi ma retraite tout autre genre de vie me serait insupportable Paris vous est n cessaire il me serait mortel il faut que chacun reste dans son l ment Vous avez voulu essayer de la campagne mais elle ne vous convenait pas Le go t de la propri t et du travail est d ailleurs absolument n cessaire dans des terres J ai de tr s vastes possessions que je cultive Je fais plus de cas de votre appartement que de mes bl
8. mai 1775 une de ses derni res lettres la marquise C est en peu de mots le triste bilan d une vie Ma colonie demande continuellement ma pr sence r elle C est un fardeau qu il faut porter Il est p nible Ne soyez jamais fondatrice si vous voulez avoir du temps vous Encore une fois Madame avalons la lie de nos derniers jours aussi doucement que les premiers verres du tonneau Il n y a point pour nous d autre philosophie Le r ve agricole s tait r v l d cevant en d finitive comme bien d autres Mais n tait ce pas en r alit d un retour Paris qu il r vait d s 1775
9. votre conversation Le compli ment est trop hyperbolique pour tre pris au s rieux Lorsque le 18 f vrier 1760 Voltaire reprend sa correspondance avec la marquise c est pour parler de l ennui dont elle fait souvent tat et pour lui opposer ses doubles activit s d agriculteur et de penseur Vous avez Paris la consolation de l histoire du jour et surtout la soci t de vos amis Moi j ai ma charrue et des livres anglais On ne peut tre plus clair Madame du Deffand attend avidement l envoi des publications r centes de l crivain et elle se vexe du retard qu il met la satis faire Envoyez moi quelques articles de votre Dictionnaire je vous le demande deux genoux ayez soin de mon amusement souvenez vous que je suis votre plus vieille connaissance lui crit elle le 24 mars Avec un brin d agacement il lui r pond le 12 avril qu il manque de temps pour lui faire tenir un de ces bagages dont vous daignez vous amuser un instant J ai rompu avec le genre humain pendant plus de six semaines je me suis enterr dans mon imagination ensuite sont venus les ouvrages de campagne et puis la fi vre Au cours de l abondant change de correspondance de l ann e 1760 Voltaire est tr s soucieux de la v ritable pers cution dont sont victimes ses amis et lui m me Il se sent trahi par certains amis dont la marquise elle m me Le bruit de sa mort ayant couru elle dit se
10. vous auriez p ri de chagrin la campagne et moi je ne peux plus vivre que dans la retraite o je suis soyez s re que le bord du lac L man n est pas l endroit de la terre o vous tes le moins ch rie et respect e L installation en novembre 1758 Ferney situ en territoire fran ais courte distance de celui de la cit r publique va changer les donn es du probl me Voltaire est devenu un seigneur et bient t un ch telain qui va assumer la fois les privil ges et les obligations de son tat Ce statut lui a t reconnu par un acte officiel Apr s ses longues errances l tranger et en province il se sent enfin vraiment libre capable d organiser sa vie autour d un grand projet philosophique tout en consacrant une partie de son temps la gestion de ses biens et leur d veloppement Il en fait part sa correspondante le 27 d cembre 1758 dans une lettre encore crite aux D lices Elle est suscit e par la mort de leur ami commun Formont et l id e de la mort y pr vaut L auteur s y r f re pour expliquer son long silence Je ne vous cris presque jamais madame parce que je suis mort et enterr entre les Alpes et le mont Jura mais du fond de mon tombeau je m int resse vous comme si je vous voyais tous les jours Je ne vous reverrai jamais madame j ai achet des terres consid rables autour de ma retraite j ai agrandi mon s pulcre Et il signe le suisse
11. 3 le professeur su dois de physique J J Bjoernsthal constatera en arrivant Ferney que son h te s est r serv aupr s de son ch teau un champ d sign comme le champ de M de Voltaire qu il entretient de ses propres mains l instar 187 Le r ve champ tre de Voltaire dans ses lettres Madame du Deffand Roland Mortier 188 de l empereur de Chine Mais Voltaire mettra quelque temps faire entrer cette image agreste dans ses confidences crites Les codes pistolaires de l poque ne favorisaient pas ce genre de libert s Le 17 septembre 1759 il reprend le m me argument sur le mode po tique Je me suis avis de devenir un tre enti rement libre J ai joint mon petit ermitage des D lices des terres sur la fronti re de France qui avaient autrefois le beau privil ge de ne d pendre de personne j ai eu l insolence de faire b tir un ch teau dans le go t italien J ai fait dans un autre une salle de com die j ai trouv de bons acteurs et malgr tout cela je me suis aper u la fin que le plus grand plaisir consiste tre journellement et utilement occup Je vois que tous les po tes ont eu raison de faire l loge de la vie pastorale que le bonheur attach aux soins champ tres n est point une chim re et je trouve m me plus de plaisir labourer semer planter recueillir qu faire des trag dies et les jouer Voltaire est rarement all aussi l
12. Le Bulletin DE L ACAD MIE ROYALE DE LANGUE ET DE LITT RATURE FRAN AISES DE BELGIQUE Tome LXXXVII N 1 2 3 4 Ann e 2009 S ance publique R ception de Marie Jos B guelin et Gabriel Ringlet Marc Wilmet Marie Jos B guelin Yves Namur Gabriel Ringlet Communications Lise Gauvin l crivain francophone et ses publics Vers une nouvelle pratique romanesque Marc Wilmet Les mots bien ou mal n s vivaient parqu s en castes Victor Hugo Contemplations 7 R flexion sur les classes grammaticales Roland Beyen De La Balade du Grand Macabre de Ghelderode l op ra Le Grand Macabre de Ligeti Georges Henri Dumont Souvenirs des d buts d une politique culturelle 1965 1973 Yves Namur Ernest Del ve un po te dans la secr te vidence G rard de Cortanze M G Le Cl zio une litt rature de l envahissement Hubert Nyssen La maison commence par le toit capriccio Yves Namur La nouvelle po sie fran aise de Belgique R flexions autour d une publication r cente Roland Mortier Le r ve champ tre de Voltaire dans ses lettres Madame du Deffand Jacques Charles Lemaire Originalit s th matiques et textuelles du Romanz du reis Yder circa 1210 Prix de l Acad mie en 2008 Ceux qui nous quittent Lucien Guissard par Gabriel Ringlet Fernand Verhesen par Pierre Yves Soucy A Acad mie royale de langue et de litt rature fran aises de Belgique Palais des Aca
13. d mies Rue Ducale 1 1000 Bruxelles www arllfb be Le r ve champ tre de Voltaire dans ses lettres Madame du Deffand Communication de M Roland Mortier la s ance mensuelle du 14 novembre 2009 Authentique Parisien de souche dans une France aux go ts peu bucoliques o la province est synonyme d ennui voire de rel ga tion quand le gouvernement veut s vir Voltaire semblait pr dispos passer sa vie dans les salons et les milieux litt raires de la capitale Les v nements et la vivacit de son caract re en disposeront autrement Apr s l exil en Angleterre son premier long s jour loin de Paris est l installation Cirey en terre lorraine Voltaire ne s y d couvre pas une me rustique Il vit au ch teau de Monsieur et Madame du Ch telet en qualit d amant attitr de la belle milie et y fait m me construire une aile suppl mentaire mais les journ es se passent l int rieur la ch telaine tant f rue de science et d exp ri mentations On y lit la Bible pour la d cortiquer et en faire la critique On y re oit beaucoup d amis et d attach s la cour de Lorraine L agriculture locale n int resse gu re ces privil gi s dont le regard est tourn vers Paris et vers le monde qu il r sume La mort pr coce de Madame du Ch telet force Voltaire reprendre ses p r grinations toujours la recherche d un tablissement qui le mette l abri de la m fiance des auto
14. ns ult rieures tournent autour de l actualit inqui tante pour lui et pour les philosophes et de l tat de la culture Dans une lettre du 22 avril 1765 il reprend sa plainte propos du climat Le fait est que je suis dans un climat singulier qui ne ressemble rien de ce que vous avez vu Il y a dans une vaste enceinte de quatre vingts lieues un horizon bord de montagnes couvertes d une neige ternelle Il part quelquefois de cet Olympe de neige un vent terrible qui aveugle les hommes et les animaux Mes yeux ont t deux ulc res pendant pr s de deux ans Une bonne femme m a gu ri peu pr s mais quand je m expose ce maudit vent adieu la vue Il revient sur ce th me le 6 novembre 1765 en parlant des fluxions horribles qui lui tent la vue d s que la neige est au dessus de nos montagnes Deux semaines plus tard son moral est remont et c est avec le sourire qu il crit la marquise Je m occupe b tir et planter comme si j tais jeune chacun a ses illusions Le th me que l on pourrait qualifier de constructiviste n appa ra t plus dans la correspondance de 1766 et ne resurgit que le 18 mai 91 Le r ve champ tre de Voltaire dans ses lettres Madame du Deffand Roland Mortier 192 1767 pour c l brer le retour du beau temps Je renais au printemps et je passe de la Sib rie Naples sans changer de lieu Voltaire ne recule pas devant ce
15. oin dans ses ferveurs bucoliques La marquise a d en tre fort surprise voire m me choqu e Aussi lui r pond elle deux semaines plus tard le 1 octobre 1759 sur un ton sarcastique qui d po tise l enthousiasme de l agriculteur heureux Je con ois le go t que vous avez pour les soins domes tiques il y a du plaisir voir cro tre ses choux Est ce que la basse cour ne vous occupe pas Je l aimerais Mais en voil assez il ne faut pas mettre votre patience bout Voltaire dans sa r ponse du 13 octobre lude la perfide question pos e par son amie Il lui expose au contraire ses grandes id es sur l histoire universelle et trace un bilan tr s n gatif de l tat de la culture contemporaine en France Comme il expose la marquise sa conception de la lecture celle ci lui r pond le 28 octobre en traitant cette mati re en termes tr s personnels mais passe avec d sinvolture un sujet plus mat riel N avez vous pas eu envie monsieur d acheter une terre en Lorraine Voltaire s en explique dans une lettre du 3 d cembre Il voque l hostilit qui r gne son gard dans l entourage du roi Stanislas et vante la libert dont il jouit dans son enceinte des Alpes et du mont Jura Il conc de pourtant avec courtoisie que les charrues qui fendent la terre les troupeaux qui l engraissent les greniers et les pressoirs les prairies qui bordent les for ts ne valent pas un moment de
16. r jouir de le savoir vivant Il l en remercie le 25 avril tout en ayant soin d ajouter Je n ai jamais t moins mort que je le suis pr sent Je n ai pas un moment de libre Les b ufs les vaches les moutons les prairies les b timents les jardins m occupent le matin l apr s din e est pour l tude et apr s souper on r p te les pi ces de th tre qu on joue dans ma petite salle de com die dans le fond je suis un bon homme mes cur s mes vassaux mes voisins sont tr s contents de moi Le ch telain de Ferney se sent heureux m me si la reine de France le tient pour un impie et il peut conclure cette lettre en bon philo sophe Il ne s agit apr s tout que de finir doucement sa carri re L agitation cr e par la com die cruellement satirique Les Philosophes viendra bient t dissiper ce climat serein Voltaire se sent vis en sa qualit de chef d un parti pers cut par le pouvoir et il n h site pas se servir de ce terme compromettant Cette prise de position va radicalement l encontre du point de vue de la marquise Elle n aime pas les philosophes et elle bl me Voltaire qu elle voudrait voir renoncer un engagement qui heurte ses principes L image du Voltaire agriculteur heureux n est plus de mise et on sent les deux correspondants au bord d une rupture Mais ils ont vraiment trop besoin l un de l autre pour en arriver l et ils d cident de faire la pai
17. rit s et des ennuis administratifs L pisode de Potsdam s ach ve dans la d sillusion puis dans la fuite Un arr t Colmar lui permet de souffler mais il constate qu on y parle allemand et que la vie intellectuelle n y est pas fort 185 Le r ve champ tre de Voltaire dans ses lettres Madame du Deffand Roland Mortier 186 brillante L installation Gen ve aux D lices lui apportera la stabi lit souhait e et la proximit d une ville qui brille par ses diteurs ses libraires et par la qualit de ses m decins argument de poids pour un crivain grotant La propri t de la maison se doublant de celle de quelques terres le nouveau propri taire commence s int resser leur valeur et leur exploitation Malheureusement les rapports de Voltaire avec le milieu genevois ne tardent pas se brouiller l crivain ayant le mauvais esprit de se m ler de politique locale tout en professant des id es peu conformes celles qui r gnent dans la Rome protestante Le 5 novembre 1756 alors qu il reprend sa correspondance avec Madame du Deffand apr s son installation aux D lices il n est pas encore question de campagne mais seulement de retraite Voltaire se dit d tach de Paris o seule la pr sence de son amie pourrait l attirer Vous tes faite pour la soci t la v tre doit tre recher ch e par tous ceux qui sont dignes de vivre avec vous Il vous fallait absolument Paris
18. rtains exc s rh toriques quand il s agit d impressionner sa correspondante Il en est parfaitement conscient puisqv il crit quelques lignes plus loin Quand je vous dis que j enrage c est un peu exag rer cela veut dire seulement que j ai de quoi enrager Madame du Deffand le savait depuis longtemps La plainte du laboureur victime d un climat p nible et vou la solitude repara t dans une lettre du 30 mars 1768 o elle justifie le d part de Madame Denis pour Paris Il lui fallait des f tes conti nuelles pour lui faire supporter l horreur de mes d serts qui de l aveu des Russes sont pires que la Sib rie pendant cinq mois de l ann e On voit de sa fen tre trente lieues de pays mais ce sont trente lieues de montagnes de neiges et de pr cipices C est Naples en t et la Laponie en hiver L t n apaise pas sa mauvaise humeur comme le prouve une lettre du 13 juillet 1768 Je suis un solitaire un cultivateur enterr dans un pays barbare Beaucoup d hommes Paris ressemblent des singes Ici ils sont des ours J vite autant que je peux les uns et les autres Deux semaines plus tard le 30 juillet 1768 il parle plus sereinement de ses doubles activit s Je ne fais rien que mes moissons et le Si cle de Louis XIV que je pousse jusqu 1764 L hiver de 1768 1769 l incite une r flexion g n rale sur son choix de vie Je m applaudis tous les jours de m
19. x sans pour autant se d dire Je vous aime 189 Le r ve champ tre de Voltaire dans ses lettres Madame du Deffand Roland Mortier 90 beaucoup crit la marquise le 25 juillet 1760 parce que personne en v rit ne me pla t autant que vous Voltaire se sent d bord par ses nombreuses activit s et il s en plaint dans une lettre du 10 octobre 1760 o il voque son cher petit th tre Comme je fais le th tre les pi ces et les acteurs qu en outre je b tis une glise et un ch teau et que je gouverne par moi m me tous ces tripots l et que pour m achever de peindre il faut finir l Histoire de Pierre le Grand et que j ai dix douze lettres crire par jour tout cela fait que vous devez me pardonner madame si je ne vous cris pas aussi souvent que je le voudrais J aime passionn ment votre esprit Deux semaines plus tard le 27 octobre il revient sur le m me th me Je veux vous crire j ai pourtant bien des affaires un laboureur qui b tit une glise et un th tre qui fait des pi ces et des acteurs et qui visite ses champs n est pas un homme oisif Tout en d non ant la barbarie qui lui semble envahir la France il se d tache du monde Je vais voir mes greniers et mes granges et je vous aime encore plus que mon bl et mon vin J ai fait pourtant d assez bon vin et beaucoup je parie madame que vous ne vous en souciez gu re Voil comme l
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