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César doit mourir

1. GENESE Le r cit d une rencontre artistique Proposer des d tenus de s investir dans un travail d acteur est une exp rience assez r pandue en Italie en 2013 on d nombre 110 troupes de th tre dans les prisons On pense aussi au r alisateur Matteo Garrone qui dans Reality 2012 fit jouer un pri sonnier Aniello Arena Le metteur en sc ne Fabio Cavalli organise depuis dix ans des repr sentations th trales avec des d tenus L engagement est artistique mais surtout social En moyenne 65 de prisonniers italiens r cidivent quand ils sont remis en libert mais pour ceux qui ont jou dans une pi ce c est proche de z ro l l tat du syst me carc ral italien est pr occupant en 2011 l Italie se classait au troisi me rang europ en derri re la Serbie et la Gr ce en termes de surpopulation carc rale avec un taux d occupation de 147 2 Le 8 janvier 2013 la Cour europ enne des droits de l homme a d ailleurs con damn l Italie dans le cadre d une plainte d pos e par des d tenus au sujet du manque d espace d la surpopulation carc rale Plus de 700 suicides se sont produits depuis 2000 Dix ans apr s le d but du travail de Cavalli Rebibbia la plus grande pri son d Italie qui inclut un groupe de d linquants sexuels d informateurs de la police et d officiers de police corrompus est d sormais une vitrine pour le programme th tral en milieu carc ral Depuis 2
2. th trale sera galement un retour la premi re s quence et au r el il invitera le spectateur porter un nouveau regard sur la sc ne initiale et accom pagner le prisonnier dans l intimit de sa cellule 1 Entretien avec Jean Gili Positif octobre 2012 La question du genre se pose avec acuit pour l tude de C sar doit mourir Le film semble d abord premi re vue poss der les caract ristiques d un documentaire tourn en milieu carc ral et t moi gnant d une exp rience th trale qui a r ellement eu lieu La sc narisation du r el les correspon dances du texte avec le quotidien des prisonniers et la proposition concomitante d une adaptation cin matographique de la pi ce d origine vont pourtant troubler notre perception du film Faut il au vu de cette hybridation consid rer le long m trage des fr res Taviani comme un v ritable docufiction Si le mot valise indique bien au cin ma l imbrication du r el et de l imaginaire pour des uvres dont le montage juxtapose s quen ces documentaires et fictionnelles la nature du film appara t de fait beaucoup plus complexe Un documentaire en milieu carc ral Le rapport au r el de C sar doit mourir ne fait aucun doute Il semble m me figurer dans un pacte de lecture que les r alisateurs proposent au specta teur d s la premi re s quence du film Lancrage dans une r alit sociale la m
3. En fermer R cit Du th tre la vie Mise en sc ne Filmer l affranchissement S quence Glissements dans la biblioth que Motif Figures du manque Parall les Contes tavianiens Critique Cin philie politique consulter 10 12 14 16 18 19 20 FICHE TECENIQUE C sar doit mourir Cesare deve morire C SAR DOIT MOURIR Italie 2012 R alisation Sc nario Image Montage Son Musique Production Productrice Distribution France Dur e cin ma Format Tournage Sortie France Paolo et Vittorio Taviani Paolo et Vittorio Taviani Fabio Cavalli librement adapt de Jules C sar de William Shakespeare Simone Zampagni Roberto Perpignani Andrea Lancia Giuliano Taviani et Carmelo Travia Kaos cinematografica Grazia Volpi Bellissima films 1h16 1 85 Noir et blanc et couleur 2011 17 octobre 2012 Ours d Or 2012 au festival de Berlin Prix Jean Renoir des lyc ens 2012 Interpr tation Cassius Brutus C sar Marc Antoine D cius Lucius M tellus Tr bonius Cinna Casca Straton Octavius Le metteur en sc ne Cosimo Rega Salvatore Striano Giovanni Arcuri Antonio Frasca Juan Dario Bonetti Vincenzo Gallo Rosario Majorana Francesco De Masi Gennaro Solito Vittorio Parrella Fabio Rizzuto Maurilio Giaffreda Fabio Cavalli SYNOPSIS Prison de Rebibbia Rome La repr sentation de Jules C
4. PAOLO amp VITTORIO TAVIANI MODE D EMPLOI Ce livret se propose de partir des contextes de la cr ation du film pour aboutir la proposition d exercices ou de pistes de travail que l enseignant pourra prouver avec ses classes Il ne s agit donc pas tant d une tude que d un parcours qui doit permettre l appropriation de l uvre par l enseignant et son exploitation en cours Des pictogrammes indiqueront le renvoi des rubriques compl mentaires pr sentes sur le site wWww transmettrelecinema com sultat One O ve Directrice de la publication Fr d rique Bredin Propri t Centre National du Cin ma et de limage anim e 12 rue de L beck 75784 Paris Cedex 16 T l 01 44 34 34 40 R dacteur en chef Thierry M ranger R dactrice du livret Carole Balti ri Iconographie Carolina Lucibello R vision Sophie Charlin Conception graphique Thierry C lestine Conception printemps 2014 Cahiers du cin ma 18 20 rue Claude Tillier 75012 Paris T l 01 53 44 75 75 www cahiersducinema com Achev d imprimer par l Imprimerie Moderne de l Est septembre 2014 SOMMAIRE Synopsis et fiche technique R alisateurs Un cin ma quatre mains Acteurs Prisonniers et com diens Gen se Le r cit d une rencontre artistique D coupage narratif D cor Le plan comme espace sc nique du docufiction Genre Au de S quence Ouvrir
5. av rer tre une anticipation de la fin de son r cit Il appartiendra plus tard au spectateur de mettre en rapport ce prologue avec la conclusion du film laquelle il se superpose presque totalement mais il est int ressant de constater d embl e qu il corres pond en lui m me une fin Fin d une repr senta tion th trale film e en couleur avant un passage au noir et blanc d abord Fin d une parenth se de libert ensuite puisque chacun des acteurs apr s la communion de l exp rience artistique revient la solitude et l enfermement En trois tapes succes sives les cin astes vont malgr tout parvenir pr senter le contexte du film et surtout poser les pierres avec lesquelles ils vont b tir leur difice narratif Premier mouvement plans 1 19 00 01 07 00 04 05 l occasion du g n rique le th me musical avec sa m lodie m lancolique au saxophone solo dont la gravit est prolong e par un effet de r verb ration a d j donn le ton La premi re image du film est le gros plan du visage d un personnage en proie une forte motion Le plan serr de cette entr e en mati re indique d embl e l intention du film resti tuer l motion transmise par la performance d acteurs qui interpr tent une pi ce Le visage de l homme occupe l cran sur un fond noir 1 Il a le souffle court Il tourne l g rement vers sa droite l ve le bras La cam r
6. elle proposait aux d tenus un texte qui allait avoir du sens pour eux Or y regarder de plus pr s l aspira tion des d tenus et des citoyens romains la libert pourrait bien d signer la lutte contre un Cavaliere d sormais en fin de course On rappellera que dans la pi ce de Shakespeare devant le cadavre de C sar Brutus posait clairement les enjeux Si alors cet ami demande pourquoi Brutus s est lev contre C sar voici ma r ponse ce n est pas que j aimasse moins C sar mais j aimais Rome davantage Eussiez vous pr f r voir C sar vivant et mourir tous esclaves plut t que de voir C sar mort et de vivre tous libres C sar m aimait et je le pleure il fut fortun et je men r jouis il fut vaillant et je len admire mais il fut ambitieux et je l ai tu Ainsi pour son amiti des larmes pour sa fortune de la joie pour sa vaillance de ladmi ration et pour son ambition la mort Quel est ici l homme assez bas pour vouloir tre esclave Jules C sar Il 2 traduction Fran ois Victor Hugo La question est bien de savoir quel moment les abus des gouvernants l gitiment leur destitution Vu sous cet angle le choix de la pi ce par les cin astes trouve dans l actualit contemporaine de l Italie un cho tout particulier Filiations Il y a comme dans le dernier film de Resnais un dispositif con u pour que quelque chose le fasse clater le d borde L aspect dis pos
7. Le public ne s y trompe pas et se l ve les acteurs exultent face la standing ovation 16 et 18 Le spectateur reste impr gn par l motion presque palpable de la pre mi re sc ne qu on lui livre rien ne signale alors la particularit de la troupe si ce n est le caract re rudimentaire des d cors et des costumes qui indique sa modestie Par ailleurs en filmant le d nouement tragique de la pi ce dans son intensit et en le pla ant au d but du film les r alisateurs donnent envie de conna tre le chemin qui y a conduit Le dernier plan du premier mouvement s attarde sur les si ges vides de la salle 19 les spectateurs sont partis Il mat rialise la transition vers le retour la vie r elle L absence de commentaires renforce l impression de prise de vues directe et inscrit les images dans le genre documentaire puisque le film a d abord t la captation d un spectacle Deuxi me mouvement plans 20 24 00 04 06 00 05 09 Apr s l motion du spectacle les cin astes posent la deuxi me pierre Le vide de la salle est suivi par celui de l espace sc nique que quittent les acteurs qui en se rhabillant troquent leurs costumes de personnages contre ceux prisonniers qu ils redeviennent sous les ordres des policiers qui les pressent Les spectateurs d couvrent alors que les acteurs sont des d tenus 20 Le plan suivant nous montre de dos les spec tateurs qui sortent sous la surveillance des gar
8. de base essentiel nonc par Fabio Cavalli Chacun doit s exprimer dans son dialecte Le parti pris est tonnant et va rebours de lattente suppos e du public cens voir la personnalit de lacteur s effacer devant celle de son per sonnage On sait aussi que dans le travail de sc nario c est Cavalli lui m me qui s est charg de l adaptation des sc nes choisies par les Taviani dans les dif f rents idiomes Il n est pas indiff rent de souligner qu il a fallu pour la version originale italienne du film sous titrer les dialogues de certains com diens Au del de la facilitation de l apprentissage du texte par les d tenus le recours aux dialectes est donc embl matique de la d marche d un film au sein duquel l interpr tation de la pi ce choisie ne vise jamais entretenir une quelconque illusion comique au sens utilis par Corneille dans la pi ce ponyme de 1635 d illusion th trale Au contraire il est frappant de constater qu au fur et mesure du d roulement du film qui retrace globalement le processus de cr ation th trale en choisissant parall lement de respecter la chronologie de l intrigue de la pi ce le metteur en sc ne qu est Cavalli s efface progressive ment derri re les hommes qu il fait jouer S il est pr sent dans plusieurs sc nes il devient au fil du r cit une sorte d accompagnateur du travail d acteur qui s accomplit Il se montrera m me un t moin impuissant
9. diation th trale en milieu carc ral est pos comme un cadre de d part et les premiers plans s imposent comme la captation d un v nement qui a r ellement eu lieu Les premi res images du film tout en multipliant les points de vue donnent donc un sentiment de saisie du r el utilisation de la couleur absence de y 0 mt T m 5 commentaires Le parti est pris de donner au spectateur l impression qu on lui livre des images brutes du r el sans autre intervention des cin astes que les choix de cadrage cf p 10 Le plan g om trique et presque abstrait de la fa ade aux hautes fen tres grillag es en contre plong e accompagn du th me m lancolique et du passage au noir et blanc signale pourtant tr s vite 00 05 56 un changement temporel et c est un retour sur l laboration du projet que nous propose l incrusta tion six mois plus t t qui s inscrit sur le plan de la fa ade de la prison Ce choix narratif oriente le regard du spectateur commencer par l aboutis sement du travail que l on filme c est assur ment inviter d embl e une r trospection D s lors le ton est donn le spectateur est convi partager le regard r organisateur des r alisateurs sur le pro cessus qui a men la sc ne inaugurale Le film s affiche ainsi comme une reconstruction Il convient d ailleurs de noter que la reconstruction docu mentaire n est pas incompatible ave
10. rentes la vie en vase clos Contrepoints Pour mettre en lumi re le travail du texte sur les d tenus les cin astes proc dent donc des allers retours entre le texte shakespearien et les propos des prisonniers Ce d but de s quence en particulier a permis de comprendre comment la signification du film est tiss e partir d l ments propos s en contre point C est ainsi qu en r ponse la demande pres sante de reprendre le travail faite par Fabio Cavalli Cosima Rega a r pliqu 5 Je suis enferm ici depuis vingt ans et tu me parles de temps et que la question de l enfermement a t ensuite mise en r sonance avec la porte ouverte franchie par D cius 6a au moment o a red marr le jeu th tral de Jules C sar On remarquera que la r alit des rivalit s au sein de la prison est aussi li e au travail d appropriation du texte est ce la qualit du jeu de Juan qui a rendu ses r pliques insupportables Giovanni Ou ce dernier a t il pens subitement qu il pouvait prendre la libert de laisser C sar exprimer la grandeur et la lucidit qu il venait d admirer en lisant le De bello Gallico et en cons quence remettre D cius Juan sa place Le r sultat n en est pas moins grave pour les d tenus qui risquent l isolement et mettent le projet en danger P ril sur la pi ce La querelle suscite chez les autres d tenus une r elle panique 36 Vincenzo Gallo s inqui te ainsi
11. sar de William Shakespeare se termine sous les applaudissements du public qui quitte la salle puis la prison Les acteurs d tenus retournent dans le quartier de haute s curit Six mois plus t t le directeur de la prison et le metteur en sc ne pr sentent le projet aux d tenus Le film suit le processus de cr ation de la pi ce Ce sont d abord les auditions puis la d cou verte et l appropriation des r les et du texte Les premi res r p titions sont consacr es aux questions des acteurs et aux indica tions de jeu du metteur en sc ne Progressivement le travail de mise en sc ne s efface La salle de th tre tant en travaux la troupe investit diff rents espaces de la prison qui devient la sc ne o se joue la trag die De la naissance du complot l assassinat de C sar le film s attache la fois au jeu des acteurs amateurs et l action de la pi ce interpr t e par les prisonniers qui semblent s identifier leurs personnages Le d nouement de la trag die la bataille de Philippes et la mort de Cassius et Brutus est pr sent l occasion de la repr sentation publique Les derni res images renvoient au prologue fin de la pi ce sortie de la foule retour en cellule Le film s ach ve sur une phrase de Cosimo Rega interpr te de Cassius Depuis que j ai connu l art cette cellule est devenue une prison FILMOGRAPHIE S LECTIVE Paolo amp Vittorio Taviani 1962 Un homme
12. un autre au moment o les deux acteurs trouvent le ton juste On peut galement proposer le rep rage des r p titions au sens th tral de sc nes ou de r pliques par les acteurs si le fil de la pi ce est interrompu par de courtes images de la vie carc rale par l h sitation d un personnage ou par des conflits entre les d tenus il l est moins par les r p titions qu on ne voit que rare ment l uvre Par ailleurs la composi tion du film tr s labor e avec sa cons truction circulaire les images du d but et de la fin se superposent t moigne elle aussi de ce travail cin matogra phique La sc narisation du r el appara t ainsi clairement lorsqu on compare les s quences d ouverture et de fermeture du film comme y invite galement la fiche l ve Enfin il est possible de demander la classe d tre attentive aux proc d s qui r v lent l entreprise de brouillage des r alisateurs il en va ainsi par exemple du choix de montage qui permet l inser tion d un plan montrant la stup faction des autres acteurs 00 35 24 lorsque Giovanni passe de l interpr tation de son r le de C sar un r glement de comptes personnel 10 S QUENCE Ouvrir En fermer Si la s quence ouverture d un film tient habituel lement lieu d exposition celle de C sar doit mourir chapitres 1 et 2 00 01 07 00 05 55 constitue une sorte d accroche paradoxale puisqu elle va s
13. Brutus l homme juste par tag entre son aversion pour la monarchie et son affection pour C sar Grandi par les valeurs morales lacte des conjur s est un geste de n cessit et non de haine D COUPAGE NARRATIEF La mention des chapitres et le minutage renvoient au DVD dit par France T l visions distribution A Prologue G n rique 00 00 00 00 01 06 Lettrage rouge sur fond blanc chapitre 1 Le th me musical du film d bute avec quelques lentes notes de saxophone Fin de pi ce 00 01 07 00 05 55 L ouverture se fait in medias res sur une repr sen tation th trale C est le dernier acte de Jules C sar de William Shakespeare Sur la sc ne Brutus se jette sur l p e de Stratone Les autres person nages lui rendent hommage Voici un homme La pi ce s ach ve sur une standing ovation La salle est vide d sormais chapitre 2 Les acteurs se changent et sortent de sc ne pendant que le public quitte la prison Les d tenus rejoignent leurs cellules dans le quartier de haute s curit de la prison de Rebibbia B Mise en place Le projet 00 05 56 00 07 23 Six mois plus t t Un plan en noir et blanc et en contre plong e montre la fa ade de la prison Les d tenus sont rassembl s dans une salle face une tag re couverte de livres Deux hommes entrent Le directeur pr sente le laboratoire th tral Le metteur en sc ne Fabio Cavalli expose le pro jet auditoir
14. Il sera facile de lui opposer l Actors Studio de New York dont l enseigne ment repose depuis 1947 sur la m thode de Lee Strasberg lui m me ouvertement inspir des th ories du russe Constantin Stanislavski sur la construction du personnage On fera d abord une recherche sur les notions capitales de m moire affective et de v cu propre de l acteur avant de se demander en quoi elles permet tent de rendre compte de certaines s quences du film des Taviani L exp rience des acteurs du film autorisera enfin un rapprochement avec la trag die baroque de Jean de Rotrou Le V ritable Saint Genest 1647 qui joue sur la mise en abyme en mettant en sc ne un protagoniste qui Rome devient chr tien puis martyr en inter pr tant le r le d un converti 13 14 Paolo et Vittorio Taviani se sont beaucoup expri m s sur les intentions de leur projet et ont indiqu leur dessein s interroger sur le contraste entre la r clusion des prisonniers et la libert de l acteur Ainsi bien que leur objectif ne soit pas de propo ser un documentaire sur la prison leur film m lu de pas la question de l enfermement qui est m me cruciale en tant que postulat de d part La mise en sc ne de C sar doit mourir fait donc le pari par des moyens proprement cin matographiques de rendre compte de la puissance mancipatrice de l art tout en sugg rant en permanence le poids de la claus tr
15. Plut t tourn s vers le r cit histo rique ou l adaptation cin matographique ils s efforcent souvent de replacer le destin de leurs personnages dans le cours de l Histoire cf p 2 C sar doit mourir ancre a priori ses personnages dans une r alit contemporaine sans faire des d tenus qui en sont les h ros les acteurs ni les victimes d v nements qui d passent leur destin e Pourtant le film s inscrit bien dans le travail d investigation cin mato graphique auquel se sont livr s les cin astes depuis leurs d buts Il reprend ainsi une de leurs th matiques favorites celle de l manci pation par art qu ils avaient d j abord e par ailleurs en particulier dans leur film Padre padrone prim par le jury de Roberto Rossellini Cannes en 1977 Ce film qui les r v lait au monde entier utilisait d j une forme qu ils affectionnent tout particuli rement celle du r cit r trospectif Fen tres sur le monde La premi re partie de Padre padrone dont le titre signifie le p re patron revient sur les ann es d isolement et de brutalit qui ont constitu l apprentissage du jeune Gavino Ledda La s quence o transport par un air d accord on il fait l acquisition de cet instru ment est centrale Elle constitue apr s 32 minutes de film la ren contre d terminante avec l art qui va permettre au h ros d chapper sa condition l analyse du passage est clairante Le personnage principal vient
16. Positif n 620 octobre 2012 Serge Kaganski C sar doit mourir Les Inrockuptibles 16 octobre 2012 http www lesinrocks com cinema films a l affiche cesar doit mourir Vincent Malausa C sar doit mourir des fr res Taviani un lixir de jouvence Le Nouvel Observateur Le Plus 17 octobre 2012 http leplus nouvelobs com contribution 659552 cesar doit mourir des freres taviani un elixir de jouvence html Tom Kington In Italy prisons conditions are poor but theater is thriving Los Angeles Times 10 f vrier 2013 http articles latimes com 2013 feb 10 world la fg italy prison theater 20130210 Sophie Torlotin C sar doit mourir des fr res Taviani c est tout vrai et tout faux rfi fr 19 oc tobre 2012 http www rfi fr france 20121019 cesar doit mourir freres taviani tout vrai tout faux Sitographie La pi ce de Shakespeare en ligne dans la traduction de Fran ois Victor Hugo http fr wikisource org wiki Jules_C sar_ Shakes peare Traduction_Hugo _1872 La notice de Fran ois Victor Hugo sur la pi ce en 1862 http www mediterranees net histoire_romaine cesar shakespeare preface html Un riche entretien avec les Taviani r alis par Fr d ric Strauss et illustr d extraits de films figure sur le site T l rama fr http www telerama fr cinema deux cineastes au fond des yeux 1 16 les freres taviani realisateurs de cesar doit mourir 88144 php La page consac
17. aupr s du metteur en sc ne 37 Ils ont int r t se cal mer ou on va devoir tout arr ter Ils vont annuler la repr sentation Et moi je ne veux pas renoncer a l attitude du d tenu condamn perp tuit et tr s affect par la situation r v le son attachement au projet On comprend que pour lui l exp rience artistique est cruciale La musique prend des accents dramatiques lorsque limpuissance du metteur en sc ne est montr e alors que tous se tournent vers lui 38 car la pi ce ne doit pas s arr ter il semble totalement atterr 39 Il leur tourne le dos les lais sant sortir apaiser la querelle Tour tour les plans d voilent les visages graves la musique stridente accompagne la mont e en puissance du suspense la pi ce va t elle s arr ter Finalement les acteurs reviennent Cosimo Rega en t te il fait un geste d apaisement La pi ce peut reprendre Giovanni et Juan entrent nouveau dans la biblioth que La reprise du travail est mat rialis e l cran par le gros plan sur le tabouret qui est accessoire de la sc ne 48 Le plan suivant revient sur Vincenzo Gallo adoss la biblioth que 49 Il l ve les yeux son visage exprime une forme de soulagement Son regard se porte alors sur le poster qui couvre le mur de la biblioth que Au loin 50a l horizon se confond avec le ciel Le retour la couleur signale une nou velle rupture de ton Le regard de Vincenzo est en
18. d avoir vingt ans Assis dans une fosse les yeux clos il semble dormir Cependant alors que d marre en son extradi g tique la valse de Strauss La Chauve souris le personnage ouvre les yeux soudain absorb par le hors champ Le contrechamp r v le qu il est en train de scruter le paysage et le panoramique finit par montrer deux personnages qui s avancent vers lui Le son d un accord on cette fois di g tique vient alors se m ler la valse et en reprendre la m lodie Les deux personnages sont des saltimbanques qui arrivent en jouant de la musique l acquisition de l instrument et l appropriation de ce langage qui transforme le regard qu il porte sur le monde bouleversent son existence Plus tard la musique deviendra l instrument de son opposition au p re dans la derni re confrontation entre le fils et le p re celui ci jette dans l eau de l vier la radio qu il tait en train d couter Ce dernier sursaut de toute puissance pater nelle d clenche une bagarre et le d part de Gavino La d couverte de l art lib re le personnage en lui donnant la force de quitter le monde rural et archa que qui l a vu grandir ainsi que l emprise de son p re On retrouve dans C sar doit mourir le m me processus que celui d crit par Lorenzo Cuccu dans son essai consacr aux cin astes L instrument du processus de lib ration des conditions inhu maines d isolement physique et mental dans lequel le jeune ber ger
19. en lumi re cette humanisation D s la premi re s quence qui se cl t sur une image en contre plong e sugg rant derri re les fen tres align es une sorte de Babel carc rale l accent est mis sur le groupe Dans la derni re en revanche la cam ra p n tre dans la cellule de l acteur qui joue Cassius Le retour l indi vidu exprime la fois la solitude humaine d un quotidien retrouv rendu plus sombre encore par l blouissement collectif pass et une foi en l art que va confirmer le destin exemplaire de trois des com diens dont la destin e s inscrit en pr g n rique Refusant aussi bien la d sillusion que l illusion le film nous ram ne au plus pr s de l humaine mati re oscillant entre d sespoir et espoir tre et jouer L exemple de l exp rience des com diens d tenus de C sar doit mourir et la question de l identification de l acteur son r le peuvent tre l occasion d une r flexion sur le travail d interpr tation et sur la qu te de la justesse du jeu L acteur doit il puiser dans son v cu et chercher prouver les motions du personnage ou doit il s appuyer sur une technique qui lui permet d expri mer ce qu il ne ressent pas On vo quera ainsi parmi les rep res impor tants le Diderot du Paradoxe sur le com dien 1777 qui d fend comme plus convaincant un jeu d intelligen ce qui dispense l acteur d essayer de ressentir ce qu il exprime sur sc ne
20. en 1954 un pisode sanglant de la Deuxi me Guerre mondiale dans leur village natal mais le film ne sort pas cause du contexte politique Le sujet sera repris bien plus tard dans La Nuit de San Lorenzo D abord journalistes les Taviani dirigent en 1960 avec Joris Ivens L Italie n est pas un pays pauvre avant de r aliser neuf autres docu mentaires dans le cadre d une coop rative de production avec leur ami Valentino Orsini Ils tournent avec lui en 1962 un premier long m trage de fic tion Un homme br ler qui relate le meurtre d un syndicaliste par la mafia en 1955 en Sicile puis Les Hors la loi du mariage en 1963 Tout aussi engag s leurs films suivants des Subversifs Allonsanfan abordent la question de la r volution Les Taviani se signalent aussi parall lement pour leur habilet adapter des textes litt raires qu il s agisse de ceux de Tolsto pour Saint Michel avait un coq Le Soleil m me la nuit et R surrection de Gavino Ledda pour Padre padrone de Goethe pour Les Affinit s lectives ou de Pirandello pour Kaos et Kaos II Les grands festivals internationaux leur apportent la cons cration les deux fr res qui n ont jamais cess de travailler ensemble re oivent Cannes la Palme d or pour Padre padrone en 1977 et un Prix sp cial du Jury pour La Nuit de San Lorenzo en 1982 Berlin r compense C sar doit mourir d un Ours d or en 2012 Des cin astes po tes Souvent qualifi s de ci
21. est contraint de vivre et des r gles d une soci t archa que domin e par les imp ratifs de la nature est la conqu te du langage tout d abord celui de la musique avec le son de l accord on projet dans le paysage qu il parvient presque transfigurer et qui devient aussi instrument de communication et de compr hension des mo tions et des pens es Si dans Padre padrone c est le langage musical qui permet Gavino Ledda de s arracher la solitude et la rudesse d une vie qu il n avait pas choisie c est le langage th tral et cin ma tographique dans C sar doit mourir qui en procurant un moyen d expression et de communication des hommes mis en marge de la soci t leur offre dans le m me temps une fen tre sur le monde R cits r trospectifs On observe aussi dans la construction de nombreux films des Taviani l utilisation r currente du r cit r trospectif Le proc d est ainsi analys par G rard Legrand propos de Kaos contes siciliens 1984 Chaque pisode est construit de mani re identique Nous La Nuit de San Lorenzo 1982 RA T Ager Cinematografica sommes mis en face d une situation plut t nigmatique mergeant en quelque sorte avec l insidieuse douceur de quelques br ves phrases de la r alit visuelle Cette situation de d part d ve lopp e sans h te trouve son explication dans un flash back plus ou moins bref qui pr c de la conclusio
22. face la rage que l in carnation du r le suscite chez certains cf p 16 Dans le m me temps alors que la question de la mise en sc ne du spectacle dispara t presque totalement du propos du film les d tenus semblent s affranchir de leur statut de com diens pour gagner une dignit d tres humains part enti re R sonnances Ainsi au fil des s quences le Jules C sar de Shakespeare semble se d rouler sous les yeux du spectateur sans interruption si l on excepte les commentaires des gardiens qui retardent la rentr e en cellule parce que pris par la sc ne qui se d roule sous leurs yeux 00 46 07 ils veulent savoir si Antoine est vrai ment arrangeant M me eux finissent pourtant par dispara tre comme s ils taient de simples spectateurs amen s commenter la pi ce en direct sans pouvoir intervenir bien que l heure de faire rentrer les prisonniers soit d pas s e la suite de l action va continuer malgr tout se d rouler La sc ne du discours de Brutus 00 47 52 constitue quant elle l aboutissement m me du travail d acteur puisque litt ralement habit par son personnage il retourne l opinion des prisonniers qui quelques sc nes auparavant le traitaient de bouffon Derri re la grille des fen tres de la prison tout coup c est le peuple de Rome qui lui r pond Ainsi la faveur de ce glissement qui s est produit devant nos yeux ce n est plus Brutus qui s
23. g n rique de fin sur fond de bataille de Philippes D COR sultar co 107 TAGI ood Le plan comme espace sc nique utilisation du noir et blanc par les cin astes rel ve certes d un choix esth tique et narratif le noir et blanc renvoie traditionnellement au pass et l analepse mais il t moigne surtout d un parti pris plus symbolique pour Paolo et Vittorio Taviani le noir et blanc est irr aliste Pour autant ils reconnaissent le paradoxe de leur choix Le film est r el mais le plateau est irr aliste 1 il s agit donc aussi d entretenir une ambigu t per mettant le glissement entre les niveaux d noncia tion et le rapprochement intime entre ces hommes et les r les qu ils sont en train de jouer La prison comme d cor La premi re sc ne de r p tition se passe dans un lieu o le metteur en sc ne s attache reconsti tuer un v ritable espace sc nique L occultation des fen tres et l utilisation de projecteurs permet encore de donner l illusion d une mise en sc ne th trale C est progressivement que la prison devient l espace o va se d rouler l action de la pi ce La deuxi me s ance a lieu dans le m me cadre que la premi re pourtant cette fois les pace sc nique n est pas mat rialis et la pi ce se joue avec les ressources du lieu Elle va se pour suivre dans diff rents lieux jusqu l assassinat de C sar n ud tragique qui se passe d
24. impossibilit d assigner un statut artistique pr d termin aux d tenus qu on voit dans le film la fois com diens de th tre et acteurs d une fiction cin matographique dans laquelle ils jouent leur propre r le ils sont en m me temps sujets et objets d une exp rience film e dont la teneur documentaire ne fait aucun doute tant le r el affich comme tel demeure pr minent Ainsi au d but du film la d signation des d tenus choisis par le metteur en sc ne Fabio Cavalli qui lui aussi joue son propre r le pour interpr ter les six r les principaux est suivie d une galerie de portraits filmiques de ces m mes prisonniers en noir et blanc Ces d tenus Arcuri Rega Striano Frasca Bonetti et Gallo font d sor mais partie de la distribution de la pi ce et sont successivement film s comme des acteurs posant en studio face cam ra et en plan fixe si l on excepte le zoom qui vient recadrer le premier d entre eux aux paules En surimpression vient pourtant s inscrire leur peine d em prisonnement de quatorze ans la perp tuit et le motif de leur condamnation de l association mafieuse l homicide cette pr sen tation r pond un pr g n rique final qui nous montre une derni re fois en action successivement douze des acteurs parmi lesquels les six initialement montr s En plus de la mention des diff rents noms le spectateur apprend que deux d entre eux Giovanni Arcuri e
25. les accents viennent renforcer la tension dramatique dans certains passages de la pi ce La premi re sc ne qui signale clairement le deuxi me niveau d nonciation le pas sage l histoire racont e dans la pi ce de Shakespeare est le dialogue de cellule cellule entre Cassius et Brutus 00 16 50 La difficult dans le passage du th tre au cin ma repose sur le chan gement d chelle Le drame se joue au th tre sur l espace sc nique Les r ali sateurs travaillent l chelle du plan Les plans rapproch s concentrent la tension dramatique ce ne sont pas tant les corps que les visages et les regards qui sont sollicit s pour le jeu Ces proc d s per mettent d clairer ce qui met le film dis tance du th tre En termes de grammai re cin matographique le recours au gros plan insiste sur l int riorit des person nages sentiments ou pens es lci il ne met pas directement en lumi re la rela tion des personnages avec le travail de mise en sc ne mais les montre habit s par leur personnage Ce n est pas le pro cessus qui est film mais le r sultat Ce n est pas l int riorit de l acteur qui est recherch e mais celle du personnage qu il incarne Le montage altern des r pliques abolit la sc ne et construit la repr senta tion de la pi ce L analyse de la s quence propos e par la fiche l ve illustre la fa on dont les cin astes glissent d un niveau
26. leurs femmes depuis longtemps pas pu les cares ser et ils racontaient chacun dans leur dialecte comparant l occasion le texte et leur vie et nous tions tr s mus C est l que nous avons d cid qu il nous fallait faire un film pour communiquer cette motion JULIUS C SAR don NMENPE ARE ro VE ne AN INTRODUCTION ies NOTES DUIT CAL EN ELLEETEATEYE bit sitt br rr AUTUDEN a as DRAMATIC C MBOR TUE MECEEN EDITOR dition du XVIII si cle de Jules C sar de William Shakespeare Newberry Digital Collections for the Classroom L id e de d part tait l Restait fa onner la forme Paolo et Vittorio Taviani refusent d embl e l id e de tourner le film comme un documentaire sur une exp rience artistique en milieu carc ral Les cin astes ajoutent Faire du th tre film c est tout ce que nous d testons Le c t film dans le film s est donc impos naturellement eux Nous tions convaincus que le cadre de la prison donnerait de la force la pi ce autant qu il aiderait les prisonniers s approprier les enjeux du texte Filmer en milieu carc ral Les Taviani proposent leur projet au directeur dont ils obtiennent l accord sans probl me Il aime le cin ma il a t enthousiasm par le projet comme il trouve bon de faire du th tre en prison Cet enthousiasme va faciliter la r alisation Le film a pu se faire en q
27. r v le le titre du livre De bello Gallico et De bello civili ce sont les deux ouvrages r dig s par C sar pour rapporter sa campagne en Gaule et la premi re guerre civile qui l opposa Pomp e La cam ra remonte sur le visage de Giovanni qui l ve les yeux elle recule l g rement la musique d cro t et le d tenu prend la parole Et dire qu au lyc e je trouvais a ennuyeux C est un grand ce Jules C sar Les cin astes se sont expliqu s sur ce moment qui rompt avec le d roule ment de la trag die de Shakespeare C est une id e nous Nous avons d couvert que celui qui joue C sar Giovanni Arcuri a fait des tudes sup rieures il vient d une famille bourgeoise puis devenu trafi quant de drogue il a t condamn de nombreuses ann es de prison Un dealer d envergure il fait mou rir C est donc consid r comme un homicide Par ailleurs ce d tenu a crit un livre En g n ral on a cette repr sentation ce mythe qu en prison il ny a que des malheureux qui seraient issus des classes populaires des bas fonds Alors on s est dit d mentons ce clich du paup risme puisqu il a fait des tudes donnons lui le De bello Gallico Il dit donc la r plique qui est de nous mais qui est inspir e de sa personne car elle est plausible dans sa bouche 1 En r alit l effet pr te sourire et contribue rendre Giovanni Arcuri plus sympathique par le clin d il offer
28. sur les crimes commis par ces hommes contrastant avec le c ur et l nergie que mettent les prisonniers se pr senter r v lant ainsi leur d sir et leur joie de participer au projet Ainsi dans C sar doit mourir la reconstitution document e qui t moigne de la fa on dont ces hommes en marge de la soci t et de la vie deviennent acteurs ne constitue qu un premier niveau de lecture Car il appara t tr s vite que ce n est pas le message social qui prime dans le film m me si la justesse du ton de l interpr tation de ces acteurs amateurs force l admiration du spectateur Au del d une simple reconstruction la force du propos r sulte de l entrecroisement de deux sys t mes nonciatifs dont l un rend compte du r sultat du processus expos dans l autre Dans un premier temps donc nous assistons bien au travail du texte comment dire retenir le texte quelles motions exprimer comment se placer dans l espace Si les cin astes montrent bien au spectateur comment ces hommes s appliquent l exercice ils choisissent en m me temps en lieu et place d une captation de la repr sentation dans un espace th tral une mise en sc ne cin matographique de la pi ce cf p 14 Le drame politique shakespearien n est pas jou pour un public dans un th tre mais uni quement pour le spectateur du film dans le cadre du plan C est ainsi que Putilisation du gros plan permet de saisir au plus pr
29. 006 Fabio Cavalli a attir 30 000 spectateurs au th tre de la prison de Rebibbia Cela place la prison dans le top 10 des th tres de Rome s amuse t il pr ciser Les Taviani en prison Paolo et Vittorio Taviani ont relat les circonstances de la naissance du film dans de nombreux entre tiens Leur derni re uvre Le Mas des alouettes adaptation d un roman d Antonia Arslan avait t r alis e en 2007 plus de 80 ans les deux r alisa teurs n avaient rien perdu de leur capacit inter roger le monde mais souhaitaient renouveler leur cin ma en changeant d chelle et de cadre Avec C sar doit mourir ils vont trouver un nouveau souffle qui s il les loigne premi re vue des pay sages ouverts et des vocations historiques qu ils affectionnent leur permettra de poursuivre le r cit des forces et des faiblesses humaines Sur la suggestion d une amie les cin astes assistent la repr sentation d une pi ce mont e Rebibbia avec les d tenus du quartier de haute s curit Nous y avons t stup faits par ce que nous y avons vu et entendu Une vingtaine de condamn s dont certains perp tuit s exprimaient C tait la trag die de Paolo et Francesca dans l Enfer qui se trouve dans La Divine Com die de Dante Vous avez entendu sans doute les vers mais sans les comprendre Maintenant l enfer c est leur prison Ils sont en plein d sespoir seuls ils n ont pas vu
30. Porte ferm e au centre de l cran 25 arriv e du prisonnier du gardien ouverture entr e fermeture La musique s arr te lorsque le gar dien verrouille la premi re porte et le son intradi g tique reprend On entend les bruits m talliques les claquements des verrous et le grincement des gonds La r p tition de ces plans qui ne diff rent gu re d un d tenu un autre donne l impression d une action m canique monotone comme peut l tre le quotidien d un prisonnier scand par un emploi du temps contraint et minut la fin de cette s quence les spectateurs restent devant ces portes closes l ext rieur des cellules 27 et leur regard est ainsi d tourn de l orientation sociale que le film semblait prendre ce n est pas la repr sentation du pr sent qui int resse les cin astes mais son interrogation par le r cit r trospectif comme l annoncera le premier plan de la s quence suivante 28 en contre plong e sur la fa ade La rupture de ton sera imm diate Jusqu ici le r el semblait se d voi ler devant la cam ra Le recours au noir et blanc va contraster avec la saturation color e des plans pr c dents rouges ou bleus pour le th tre jaunes pour la prison Se manifeste d sormais la prise en charge du r el par les cin astes qui vont revendiquer sa mise nu en le reconstruisant l indication six mois plus t t appara t en surimpression Ainsi si cette premi re s que
31. a suit son geste et suit l p e qu il pointe vers le bas Elle s arr te sur le poing serr La main tremble Le personnage g mit doucement La cam ra suit le mouvement de son bras C est d abord le r sultat du travail des acteurs et de la mise en sc ne qui est pr sent La cam ra s attarde sur les visages tendus les corps tressaillent sous l effet de l agonie les sanglots s teignent doucement dans la p nombre Il s agit de la fin d une pi ce de th tre dont le titre nous a t donn par celui du film m me si on comprend d s les premiers mots prononc s que celui qui va mourir n est pourtant pas C sar qui est d j mort mais Brutus qui va finir par se jeter sur l p e tendue par Straton 11 Marc Antoine et Octave rendent ensuite hommage celui qui est le vrai h ros de la pi ce et du film Les cadrages lors de l oraison fun bre faite Brutus permettent d appro cher l int riorit des personnages 13 Les cin astes font alterner des gros plans souvent avec une l g re amorce sur l interlocuteur 6 pour inviter le spectateur partager l motion exprim e par le personnage avec des plans plus larges moyens situant les interlocuteurs l un par rapport l autre dans le cadre 3 4 5 la fin de la repr sentation les acteurs saluent le public Ils crient et brandissent poings et p es dans un mouvement de joie collec tive rythm par le son du tambour 17
32. a t te de tout le monde Certains d tenus ont t transf r s y compris Cosimo Rega et ces changements ont apport un renouvelle ment au sein de la troupe et des relations l int rieur de la prison Mais il a fallu discuter avec les d tenus du travail d interpr tation car beaucoup jouent d sormais en croyant qu tre des gangsters suffit faire deux de bons acteurs 1 Roberto Cavalli propos recueillis par Tom Kington Los Angeles Times 10 f vrier 2013 2 Rapport 2011 du Conseil de l Europe sur l tat des prisons en Europe 3 Entretien r alis par Jean Roy L Humanit 17 octobre 2012 4 Entretien r alis par Guillaume Loison T l obs 18 octobre 2012 5 Entretien r alis par Jean Pierre Lacomme Le Journal du dimanche 14 octobre 2012 6 Entretien radiophonique r alis par Sophie Torlotin RFI 19 octobre 2012 7 Entretien r alis par Jean Gili Positif octobre 2012 8 Entretien r alis par Nicolas Johary Allocin octobre 2012 9 Paolo Taviani cit par Gustave Sha mi courte focale fr mars 2012 D un C sar l autre Pourquoi la vision d un homme poignard de vingt trois coups au c ur de l espace sacr de la Curie romaine le 15 mars 44 avant J sus Christ a t elle travers les si cles et continue t elle impressionner La classe pourra d abord tre invit e r fl chir partir de recherches person nelles la destin e de ce g n ral romain fi
33. adresse au peuple romain mais un homme qui sacrifie son c ur ses valeurs Le texte est alors volon tairement d contextualis sans v ritable d cor et sans costume antique le discours de ce Brutus l ne nous parle plus de C sar mais d une lutte contre la tyrannie et pour la libert Le r cit atteint alors une dimension intemporelle qui tout en renfor ant la port e universelle de la pi ce prend un sens parti culier dans le contexte de la ge le romaine Car le forum n est autre que la cour de la prison d limit e par des murs de b ton Le costume des conjur s Brutus et Marc Antoine semblent d ailleurs v tus l identique de fa on moderne alors que C sar est mort drap dans une toge est celui des d tenus que sont Salvatore et Antonio La suite joue davantage encore sur la confusion des niveaux d nonciation Apr s une ellipse 00 54 29 on p n tre dans la cellule o Salvatore raconte la suite de l histoire ses cod tenus Le retour au premier niveau de narration renvoie l image de la promiscuit trois prison niers s appr tant dormir dans la m me cellule Pour autant l image n est pas mis rabiliste et une certaine fraternit se d gage d ailleurs de la s quence lorsque Vincenzo Gallo exhorte ses compagnons en disant Allegria Un peu de joie avant de se mettre jouer de harmonica La sc ne pourtant ne se limite pas l vocation du cadre de vie des prisonniers
34. ans un endroit clos de dalles de b ton et de grilles de m tal L aust rit et le choix de la composition du plan offrent cet instant crucial un d cor pur qui concentre toute la tension sur le jeu des acteurs La force de la s quence qui se poursuit jusqu la fin du discours de Marc Antoine se situe bien dans la justesse de l interpr tation Or c est pr cis ment ce moment que la mise en sc ne des Taviani prend tout son sens Car si l ex pression hommes d honneur se teinte d une signification particuli re dans la bouche des acteurs elle r v le dans le m me temps sa port e universelle Toute l efficacit des cin astes se situe dans le choix des d cors et le placement de la cam ra Ils offrent ainsi aux d tenus au sein m me de leur univers quotidien et restreint un d cor la hauteur de leur interpr tation alors que dans le m me temps leur jeu vient incarner l cran la chute d un tyran et le conflit des valeurs L abstraction des plans Qu ils filment en plong e des d tenus courant dans un couloir surplomb par des motifs g om triques 00 42 55 ou qu ils surcadrent la sc ne o le devin vient pr venir C sar 00 39 26 qu ils disposent sym triquement les conjur s de part et d autre de leur victime 00 41 51 ou qu ils jouent sur le contraste du noir et du blanc les Taviani par l esth tique de leurs cadres cherchent extraire le d cor d un contexte spatio tempore
35. ans un premier temps entravent ou menacent les mouvements des person nages qu il convient de relever en reve nant sur quelques plans ou quelques s quences significatifs Il sera possible galement de commenter en ce sens la dimension circulaire du film qui d bute et se cl t sur un retour en cellule La com paraison entre la premi re et la derni re s quence du film peut pourtant consti tuer une seconde tape dans l analyse En effet si les plans o les personnages rentrent en cellule apr s la repr sentation sont d abord identiques au d but et la fin du film cf p 10 les cin astes invitent le spectateur en guise d pilogue p n trer dans la cellule de Cosimo Rega Le regard que nous portons sur lui a alors chang En distinguant dans sa d clara tion un avant et un apr s l exp rience artistique il r v le la fois le changement profond de regard sur le monde qu elle lui a procur et la vraie nature de l enferme ment qu il subit On pourra pour terminer tudier le plan charni re 00 24 54 00 25 10 o la d cision d liminer C sar est prise par Brutus Alors que l acteur nonce le titre du film et que Le complot s inscrit au centre de l cran l arriv e inopin e dans la cellule de Lucius annon ant le jour des Ides de mars r v le au del du symbole de la porte ouverte que la circulation est d sormais possible l int rieur de la prison Prisons de ci
36. ar Et c est de la m me mani re librement qu on circule du d te nu l homme de l homme l acteur et de l acteur au personnage Lorsqu la fin les r alisateurs filment l entr e des spectateurs ceux ci passent par une sorte de sas o ils pr sentent leurs papiers d identit les portes s ouvrent ils entrent la porte arri re est referm e Au plan suivant plus rapproch une foule de per sonnes entre et la porte arri re est ouverte l image continue tisser le motif de la circulation du monde ext rieur vers la prison Trait d union entre les pri sonniers et le monde l art contribue ainsi leur donner visibilit et humanit Les cin astes ont cit en entretien cette motivation des d tenus faire de la pi ce une m taphore de leur d sespoir Cette fois ce n est pas comme le spectacle que nous faisons d habitude et que tr s peu de gens voient L ce sera un film vous tes de grands r alisateurs ce film sortira et sera visible dans toute l Italie nous voulons crier notre nom ceux qui nous ont oubli s et qu on entende notre d sespoir 1 Echapp e Par ailleurs au del de l image il convient de reve nir la nature du texte choisi par les cin astes Il parle ces prisonniers puisqu il y est question de combat et de sacrifice pour la libert Les Taviani reviendront apr s le tournage sur ce qui constitue leur sens le propos de Jules C sar Au fond la pi ce
37. ation et les souffrances qu elle engendre C est aussi ce questionnement qui va permettre une repr sen tation de l homme avec ses faiblesses et ses forces Enfermement D s la fin du prologue avec les regards vers l arri re de spectateurs qui quittent la prison puis le retour en cellule des acteurs o la multiplication des portes des grilles et des verrous pose le statut des personnages les figures de l enfermement sont pr sentes dans le film Ainsi si le d pouillement du d cor avec ses murs nus et son espace g om trique contribue l abstraction des plans cf p 7 il est n cessaire de constater qu il est en fait une caract ristique essentielle de l habitat carc ral On remarque aussi d s que le noir et blanc s empare du film l importance toute expressionniste des ombres Leur permanence l cran est une sorte de fil conducteur qui rappelle au spectateur la nature NE Filmer l affranchissement sultar Oman CN VW 1e du lieu un des exemples les plus frappants est la pr sence d une ombre grillag e en arri re plan lors de l audition des aspirants acteurs 00 07 29 et lors de la d signation des lus On remarquera aussi en plus des effets de surcadrage qui tendent assi gner des cases aux personnages une propension filmer les d tenus souvent en plong e au travers des grilles ou des ouvertures grillag es Il en va ainsi apr s la mort de C sar l
38. br ler Un uomo da bruciare 1963 Les Hors la loi du mariage I fuorilegge del matrimonio 1967 Les Subversifs I sovversivi 1969 Sous le signe du scorpion Sotto il segno dello scorpione 1971 Saint Michel avait un coq San Michele aveva un gallo 1974 Allonsanfan 1977 Padre padrone 1982 La Nuit de San Lorenzo La notte di San Lorenzo 1984 Kaos contes siciliens 1987 Good Morning Babilonia 1989 Le Soleil m me la nuit Il sole anche di notte 1992 Fiorile 1996 Les Affinit s lectives Le affinit elettive 1998 Kaos II Tu ridi 2001 R surrection Resurrezione 2007 Le Mas des alouettes La masseria delle allodole 2012 C sar doit mourir Cesare deve morire RFALISATEURS Un cin ma quatre mains La Toscane est leur berceau n s d un p re avocat San Miniato pr s de Pise Vittorio le 20 septembre 1929 et Paolo le 8 novembre 1931 les fr res Taviani se d couvrent une vocation musicale apr s avoir assist la c l bre manifes tation des Mais de Florence Ils s int ressent au cin ma apr s la guerre et le film Pa sa de Rossellini qu ils rencontreront en 1953 est pour eux un choc artis tique Ils bauchent ensemble des sc narios mais commencent par le spectacle vivant en cr ant Pise et Livourne des spectacles proches de l agit prop Du documentaire aux adaptations litt raires Leur premier court m trage San Miniato iuglio 44 voque
39. c les principes du cin ma du r el L hybridation est m me inscrite d s les d buts de ce genre par Flaherty consid r comme le p re du documentaire qui introduit dans Nanouk l Esquimau 1922 des ressorts roma nesques et sc narise des sc nes avec les Inuits On la retrouve galement c t fiction chez Rossellini dont le film Pa sa 1946 d clencha la vocation cin matographique des fr res Taviani Le film s inscrit dans cette filiation dans la mesure o les acteurs d tenus qui en sont les h ros sont amen s au del de leur interpr tation des personnages de Shakespeare jouer leur propre r le de com diens et reconstituer pour la cam ra les tapes de leur d marche artistique La sc narisation du r el D s lors en reconstituant le travail qui a men la repr sentation les Taviani s appliquent conden ser le parcours des personnages et en choisir les motifs essentiels et significatifs l abandon de la couleur apr s le retour en cellule des prisonniers instaure ainsi une mise distance du r el et signale le passage de la captation la reconstruction en m me temps qu il marque le d but de l analepse le flash back cin matographique qui constitue l essentiel du film Subdivis e en une s rie de por traits la pr sentation des personnages qui suit affiche un semblant de neutralit contredit par les choix des cin astes qui distillent des informations brutales
40. des Cahiers du cin ma Agr g de lettres modernes et concepteur de documents p dagogiques il enseigne en sec tion cin ma audiovisuel au lyc e Rotrou de Dreux et dans le cadre du Master Pro Sc nario r alisation et production de l Universit Paris Panth on Sorbonne Il est galement d l gu g n ral du Festival Regards d Ailleurs de Dreux R DACTRICE DU LIVRET Carole Balti ri est professeur de lettres clas siques Charg e de mission cin ma dans l Acad mie de Toulouse elle a en particulier accompagn le dispositif Lyc ens et apprentis au cin ma en ani mant des formations autour du Silence de Lorna de Tous les autres s appellent Ali et d Entre nos mains Elle a galement r alis plusieurs dossiers p dagogiques sur des films pour le site de la D l gation acad mique l action culturelle de Toulouse Avec le soutien du Conseil r gional E Libert Egalit Fraternit CAHIERS fpa CINEMA
41. diens Il fait jour La cam ra laisse d filer le public qui quit te la prison Un homme et une femme se retour nent l homme revient sur ses pas et quitte le champ derri re la cam ra par la droite 23 Les longs plans fixes d nu s de commentaires le th me musical qui par le sentiment qu il d gage appelle empathie contribuent sugg rer l orientation sociale du docu mentaire La r signation accompagne le retour en cellule calme et ordonn qui contraste avec l explosion motion nelle pr sente quelques instants auparavant sur la sc ne Il contraste galement avec louverture du plan pr c dent o les spectateurs se coulaient dou cement dans un mouvement de sortie de cadre sui vant la ligne de fuite de la rampe gauche de l cran qui se perd dans le petit carr de ciel p le 22 D sormais la cam ra suit en panoramique lat ral le d fil des prisonniers qui se dirigent vers leurs cellules Le mouvement de gauche droite de l cran est cl tur par les grilles que les prisonniers fran chissent 24 Le lieu est alors nomm prison de Rebibbia et la pr cision quartier de haute s cu rit ne fait qu accentuer l effet de claustration Troisi me mouvement plans 25 28 00 05 10 00 05 55 Le spectateur est invit suivre les d tenus jusqu au seuil de leurs cellules La premi re s quence du film se termine avec des plans fixes sur trois enferme ments individuels
42. e est concentr Le casting 00 07 24 00 13 32 La pr sentation des acteurs et de leurs r les se fait en trois temps Ce sont d abord les auditions le metteur en sc ne demande aux candidats de se pr senter en exprimant deux motions diff rentes Vient ensuite l annonce de la distribution des r les chapitre 3 le groupe des acteurs rete nus fait face la cam ra Chacun s avance l ap pel de son nom Le dernier joue un air d harmo nica qui se poursuit sur le troisi me temps qui est la pr sentation des acteurs Un portrait de six d entre eux est propos pendant que s inscrivent les motifs de leur condamnation et les peines aux quelles ils sont condamn s L espace sc nique et le texte 00 13 33 00 16 49 Le metteur en sc ne reconstruit dans une salle un espace sc nique car le th tre de la prison est en cours de restauration Il dirige le groupe Les acteurs sont autoris s jouer dans leurs dialectes respec tifs Des personnalit s s affirment Plusieurs ques tions li es au jeu d acteur sont abord es Fabio Cavalli indique Salvatore Striano et Cosimo Rega que leur dialogue est crucial au d but de la pi ce C Exposition Dialogue entre Brutus et Cassius 00 16 50 00 18 05 Cosimo dans sa cellule est en train de relire son texte Il te ses lunettes et r cite Le ton est trouv D une cellule l autre Salvatore r pond Cosimo Le dialogue entre Brutus et Cassiu
43. e film r sulte du travail d entrecroisements entre le th tre et le cin ma Si les th mes et le traitement en sont diff rents le rapprochement des cin astes demeure d autant plus pertinent qu ils se sont galement int ress s dans leur parcours artistique la question de la m moire et de la reconstruction du pass travers Hiroshima mon amour ou La Nuit de San Lorenzo par exemple Par ailleurs l article cite l Iranien Abbas Kiarostami dont le travail entre fiction et r alisme documentaire Close Up a souvent recours des acteurs non professionnels comme dans C sar doit mourir Enfin se r f rer directement Conrad et indirectement Coppola avec la citation de C ur des t n bres devenu Apocalypse Now au cin ma revient tablir une autre filiation th matique cette fois sur le questionnement de la violence inh rente l homme 1 http wwwartcinema org spip php article160 CONSULTER wj M Filmographie Parmi les films des fr res Taviani disponibles Sous le signe du scorpion DVD Les grands clas siques du cin ma italien 2008 Padre padrone DVD MK2 2008 La Nuit de San Lorenzo DVD MK2 2004 Kaos DVD MK2 2008 Good Morning Babilonia DVD MK2 20009 Fiorile DVD Les grands classiques du cin ma ita lien 2008 C sar doit mourir DVD France T l visions distribu tion 2013 Pour prolonger l tude Roberto Rossellini Pa sa DVD Films sans fronti
44. e volont de mettre en avant l inter pr te de ce r le et plus globalement le travail de ces acteurs bien particuliers que sont les d tenus du quartier de haute s curit de la prison de Rebibbia Le film des fr res Taviani dans son d sir de mettre en lumi re le cheminement d un groupe d hommes via leur travail th tral vers une dignit retrouv e joue en effet constam ment de la superposition des niveaux de lecture et d interpr tation Si les acteurs de C sar doit mourir sont essentiellement des non pro fessionnels qui jouent une trag die sur sc ne le film ne se contente pas d tre une captation ni m me une adaptation cin matographique ou un making of du spectacle th tral qu ils ont cr Au del du prologue nous nous apercevons bien vite que chaque d tenu est aussi et surtout son propre interpr te C est ainsi par exemple que Giovanni Arcuri le com dien amateur qui incarne C sar sur les planches joue d abord son propre r le celui d un d tenu condamn dix sept ans de prison pour trafic de stup fiants et qui dans la prison o il est captif participe une entreprise artistique singuli re Le cas de Salvatore Striano est en revanche quelque peu diff rent Prisonnier lib r devenu acteur il a jou dans le film de Matteo Garrone Gomorra 2008 il a accept de retrouver la prison pour jouer le r le de Brutus S impr gner du r el On con oit d s lors l
45. ent entre eux Le film va ainsi plusieurs reprises glisser insensiblement de la trag die historique au drame intime et contem porain Il en va ainsi par exemple lorsque d bordant de son r le shakespearien l interpr te de C sar r gle un compte personnel avec le d tenu qui joue D cius cf p 16 Le texte et les r les crits par Shakespeare contaminent ainsi l existence des com diens alors m me que les cin astes choisissaient de faire dispara tre progressivement l cran le travail technique de mise en sc ne th trale cf p 12 Un personnage collectif c t des grands r les la foule anonyme des prisonniers appara t plusieurs reprises dans le film Elle est d abord hors champ repr sent e par des bruits de voix assourdis ou les cris des prisonniers en promenade qui montent vers la salle de r p tition Lors de l assassinat de C sar les d tenus deviennent le peuple de Rome et r pondent depuis les barreaux de leurs cellules aux discours de Brutus et de Marc Antoine On les voit aussi dans la sc ne de bataille finale puis dans le salut o ils laissent exploser leur joie l issue de la repr sentation Notons enfin que quelques prisonniers servent de contre point la fiction en ramenant la r alit de la condition carc rale Personnages transitionnels ils men sont pas moins essentiels car ce sont eux qui accentuent le contraste entre la libert de l acteur et l enfermement du d tenu
46. espectivement Brutus et Antoine s adressant au peuple romain Le temps est alors suspendu le pouvoir du verbe est l uvre Cette s quence cruciale condense le n ud tragique C sar m ri tait il de mourir car il mena ait la libert du peuple ou tait il un homme juste soucieux de l int r t de Rome Ainsi si C sar doit mourir s ins crit bien dans la lign e du cin ma du r el dans le sens o il s attache rendre compte du d roule ment d une exp rience tout en montrant la r alit carc rale il est aussi une lecture de la pi ce de Shakespeare dont la chronologie est respect e et sert de fil conducteur au r cit toute une partie du film s affranchit de la sc ne et par l m me de la mise distance du jeu des acteurs pour nous pro poser une v ritable adaptation cin matographique de la pi ce Jules C sar transpos e dans l univers carc ral Le montage et la mise en sc ne jouent de ce glissement cf p 14 Une uvre hors cadre Si dans C sar doit mourir la reconstruction du r el invite le spectateur s interroger sur l identifica tion des d tenus de grandes figures tragiques c est bien au del de ce processus qu un jeu de miroirs s installe conduit par la figure de la sym trie motif r current dans le film travers lequel le spectateur est invit relire l exp rience Toute la force du film se situe ainsi dans la d monstra tion presque math matique que
47. esquelles nous avons eu envie de faire le film cette phrase est dans le texte de quatre pages que nous avions crit au d but car Cosimo Rega nous avait dit a quand nous l avions ren contr la premi re fois On avait compris que le fait de d couvrir l art je crois qu il avait dit th tre la premi re fois fait prouver une dou leur d couvrir ce monde qu ils ne connaissaient pas la possibilit de se r aliser travers un spec tacle l art ce que cela signifie Le th tre leur d voilait des possibilit s de l existence que leur vie malchanceuse ne leur avait pas offertes et qu elle ne leur offrira plus parce qu ils ont encore des ann es passer en prison On peut imaginer que c est douloureux D un autre c t cette exp rience forme une conscience de soi qui les aidera m me s ils continueront se pr parer le caf tout seuls 3 Cette lib ration mettre au compte de l art et qui s exerce au fur et mesure de l appropriation d une uvre source constitue la fois le propos et le trajet du film 1 Entretien avec Jean Gili Positif octobre 2012 2 Ibid 3 Entretien avec Guillaume Loison T l obs 18 octobre 2012 mancipations Il est possible de faire rep rer aux l ves les principales figures de l enfermement observables dans C sar doit mourir C est d abord la pr sence constante de serrures fen tres grilles murs rambardes et portes qui d
48. et de l ambiance dans la cellule Au del de l apport informatif qui permet au spectateur de comprendre la suite de l intrigue de la pi ce les propos de Salvatore Striano sont particuli rement r v lateurs Un de ces bordels Moi enfin Brutus et Cassius nous avons ils ont d fuir Le double lapsus est loquent la confusion entre moi nous et Brutus ils montre d abord bien enten du quel point il est difficile de retourner en cellule apr s avoir jou Brutus et combien l identification du com dien son r le est forte Mais cette sc ne marque surtout l attachement des cin astes entretenir le croisement des exp riences la violence des guerres de clans r pond celle d un d tenu nig rian qui voque son pays en proie des violences interconfessionnelles Encore ici dans la cellule Jules C sar continue de r sonner d autant qu la trag die de la pi ce r pond celle de l enfermement Lecon d humanit La le on d humanit que nous offrent les Taviani repose ainsi sur le chemine ment vers une dignit retrouv e dans le travail th tral Au ton donn par la premi re s quence et son Voici un homme inaugural cf p 3 le spec tateur comprend que ces acteurs sont capables de puiser au plus profond de leur condition les motions n cessaires pour incarner le doute la col re la d termination La comparaison entre l incipit et l excipit du film met
49. et tous les soirs un jeune d tenu de faire partager son compagnon les fantasmes qu il tire de P vocation de vieux films Inspir des exp riences d criture en prison de sa r alisatrice Brigitte Sy Les Mains libres 2010 voque pour sa part l histoire d amour d une cin aste travaillant avec des d tenus la cr ation d un film 15 16 S QUENCE Glissements dans la biblioth que Situ e approximativement au milieu du film la s quence de la biblioth que chapitre 6 00 32 02 00 37 42 concentre plusieurs caract ristiques de la mise en sc ne et r v le la fois les enjeux de l exp rience artistique des d tenus et le propos du film Elle peut tre en particulier loccasion d un rep rage sur le glissement d un niveau d nonciation l autre et sur le recours des Taviani au contrepoint Joutes verbales La sc ne s ouvre sur un paysage maritime 1 Le th me musical m lancolique du film se fait entendre cf p 10 Au premier plan figurent des pins cro chets au second plan une le rocheuse Ce d cor et sa v g tation voquent un paysage m diterran en Les raccords du poster indiquent qu il ne s agit que d une image coll e au mur il ne s agit pas du r el mais de sa repr sentation La cam ra glisse en pano ramique sur la gauche et Giovanni Arcuri appara t dans le champ concentr sur la lecture d un livre La cam ra s arr te sur lui Le gros plan 2 suivant
50. fonctionnement extr mement codifi des organisations mafieuses et leurs valeurs propres les r alisateurs soulignent la parent de deux univers mascu lins et mettent finalement nu partir d une r flexion sur le statut de l acteur toute la port e de la pi ce Affirmations et effacements Le rep rage des tapes du travail de ces acteurs au d but du film peut permettre de comprendre comment apr s le prologue prolepse qui ressort du th tre film les r alisateurs s loignent tr s rapidement de la captation d une exp rience de cr ation th trale pour proposer une r flexion proprement cin mato graphique sur l appropriation d une pi ce par ses acteurs cf p 8 On consta tera ainsi d abord que l enthousiasme jouer la pi ce qui s exprime dans le d but du film lorsque chacun s vertue avec rage exprimer les sentiments demand s par le metteur en sc ne se mue progressivement en une forme de gravit attentive et concentr e Au d but le travail de mise en sc ne est d ailleurs nettement soulign les acteurs auditionnent r p tent le texte h sitent ven tuellement sur le jeu ou le ton adopter La s quence cl de la premi re r p tition 00 13 33 suit imm diatement les portraits de six d tenus com diens qui ont t pr sent s avec l nonc de la peine de r clusion qu ils purgent ce d sir de ne pas laisser oublier ce que sont ces hommes s adjoint un principe
51. itif Cest que les d tenus interpr tent chacun un r le du Jules C sar de Shakespeare mais aussi continuent de jouer hors texte pour la cam ra pendant les r p titions qui sont film es en tant que telles et un pas de plus mettent en sc ne l irruption explosive de Vous n avez encore rien vu Resnais 2012 Arnaud Borrel F Comme Film Coll CDC leur propre pass la faveur d interstices inattendus dans le texte On peut inclure dans le dispositif la prison elle m me utilis e comme sc nographie part enti re sous le pr texte cousu de fil blanc de travaux n cessaires dans la salle de th tre Comme dans le Kiarostami de la grande poque le spectateur n est pas invit conclure que tout cela n est que fake car l cran rend visible une extraordinaire performance r alis e par des hommes litt ralement touch s par l art Il y a ainsi deux composantes passives et actives si on veut qu il est impossible de d m ler la fois une habitation par le texte shakespearien comme on ne l a jamais vue et une illustration exceptionnelle de la phrase de Marlow dans C ur des t n bres l homme est capable de tout car il contient tout Les nombreuses r f rences mentionn es dans le texte de Daniel Fischer sont particuli rement pertinentes Car chez Alain Resnais dans Vous navez encore rien vu dont l article fait mention comme dans C sar doit mourir l
52. l art au del de la libert somme toute illusoire que procure l acte de cr ation bouleverse l homme dans son rapport au r el en modifiant sa vision du monde Dans cette perspective le recours stimulant l hybridation t moigne d un affranchissement des codes et des genres pr tablis au point de rendre caduque toute tentative de classification et renvoie lui m me la libert artistique revendiqu e par les cr ateurs du film Au total C sar doit mourir se place dans la droite ligne des formes et des th mes qu affection nent les Taviani en permettant l exp rience film e de s acheminer vers la fable cf p 19 Travail du cin ma La question du genre trouve dans ce film en particulier une importance pour appuyer son propos car elle permet de comprendre qu au del d un v nement ponctuel la mise en sc ne en milieu carc ral d une pi ce de Shakespeare il s agit surtout de trouver la meilleure fa on de rendre compte du travail du texte par et sur les acteurs L hybridation de C sar doit mourir correspond donc l intention des auteurs faire partager au spectateur motion d une interpr tation Pour aborder cette question il peut tre int ressant de faire remarquer aux l ves les proc d s sp cifiquement cin mato graphiques pr sents dans le film le recours au gros plan par exemple et l exploitation de l arri re plan ou encore l utilisation de la musique dont
53. l donn Si leurs cadres traduisent bel et bien l enfer mement cf p 14 ils tirent profit de l architecture brute de la prison et de la g om trie qu elle dessine pour r aliser des plans proches de l abstraction Il en va ainsi avec le d p t du corps de C sar sur le large dallage de la cour int rieure 00 47 31 Le destin des conjur s devient alors la fois singulier puisqu il r v le le d sir de lib ration des d tenus et universel offrant le spectacle plus g n ral d une lutte pour la libert cf p 15 Retours sur sc nes Avant m me le retour la couleur et la s quence inaugurale d cors et costumes retrouvent un aspect plus th tral l image des draperies et de la cape de Brutus la troupe r p te une derni re fois sur sc ne Cependant lutilisation de la cam ra subjective renvoie encore une mise en sc ne de cin ma Assis de dos la petite table o br le une chandelle Brutus porte le poids de sa culpabilit la cam ra s approche et il s adresse elle juste derri re lui Dans cette s quence les Taviani bien qu ils utilisent le d cor pr vu pour la repr senta tion annon ant ainsi dans le plan la fin de la pi ce et du r cit r trospectif en font un usage proprement cin matographique en jouant sur le point de vue Apr s les adieux en ext rieur de Brutus et Cassius le spectateur retrouvera la prison l heure de la repr sentation Le retour la sc ne
54. les autres conjur s un symbole qui permet de f d rer le complot L histoire relate la suite la condamnation des con jur s par Octave en 43 alors que l ann e pr c dente sous la pression de Cic ron Marc Antoine les avait amnisti s la bataille de Philippes en 42 apr s laquelle Cassius et Brutus d faits se donnent la mort quinze ann es de guerre civile la lutte entre Marc Antoine et Octave qui se terminera par le suicide de Marc Antoine et de Cl op tre devenus amants En 27 l Empire romain s tend tr s largement sur tout le bassin m diterran en et Octave s impose comme l homme fort capable d en prendre le commandement Il devient empereur en recevant du S nat les pleins pouvoirs et le titre d Augustus C est dans la perspective de la transfor mation du personnage historique en per sonnage tragique qu on s interrogera sur la pi ce William Shakespeare de 1599 Si la mort est bien le ressort tragique de la pi ce le dramaturge d voile en C sar un personnage qui reste sourd la r alit et aveugle sa propre perte emport par la confiance d mesur e dans sa puissance Mais si C sar paie le prix d une forme d hybris ce ne sont pas les dieux qui le ch tient mais les hommes On constate ra avec int r t pour l analyse du film des Taviani que le personnage ponyme ne tient paradoxalement qu un r le secon daire dans la pi ce la pr f rence du dra maturge va
55. llules ouvertes les d placements dans la prison sont possibles La d cision est prise Salvatore est boulevers par une r plique qui le renvoie son existence pass e L acte se termine dans la cellule o Brutus regarde dormir Lucius Une exp rience fondamentale 00 32 02 00 37 42 Devant la photo d un paysage c tier chapitre 6 Giovanni Arcuri lit C sar la r p tition a lieu dans la biblioth que D cius vient persuader C sar de se rendre au S nat Le dialogue entre C sar et D cius d g n re Giovanni r gle ses comptes avec Juan Bonetti Ils sortent de la biblioth que Vincenzo s inqui te des cons quences de l alter cation Le metteur en sc ne semble d sempar Les autres acteurs partent leur tour Cosimo revient et fait un geste d apaisement La sc ne reprend Le regard de Vincenzo se perd dans le paysage du mur Bref retour la couleur chapitre 7 La vie carc rale 00 37 43 00 39 04 Un panoramique en vue a rienne sur le b timent et les commentaires en voix off des d tenus dans leurs cellules soulignent la promiscuit et l enfermement L assassinat de C sar 00 39 05 00 54 29 Les conjur s assassinent C sar La foule fuit chapitre 8 Antoine arrive Tous conviennent de s adresser au peuple Les gardiens observent la sc ne mais attendent la fin pour faire entrer les d tenus dans leurs cellules Le corps de C sar est expos sur le forum chapitre 9 Discours de Br
56. n On passe nos journ es regarder en haut depuis notre lit Si tu as la chance d avoir le lit du dessus tu vois m me le plafond Tu peux le regarder le toucher lui parler Une autre exprime un manque affectif d chirant Francesco mon fils j essaie de voir ton visage sur le plafond Mais jy arrive pas aujourd hui Pourtant j essaie J essaie Une autre voix anonyme se plaint ensuite de ne plus supporter la promiscuit Je ne sais pas ce que je vais faire s ils me refusent une cellule simple C est mon droit La musique se fait alors dramatique et la voix fait surgir la r alit de la vie carc rale dans ce qu elle a de plus trivial Cinq lits cinq diarrh es La s quence se cl t sur un panoramique a rien de la prison avec des chuchotements inaudibles qui se rejoignent et cr ent une ambiance fantastique et anxiog ne qui annonce l arriv e de C sar et l imminence de sa mort La s quence t moigne donc bien de l art du contrepoint mis en uvre par les cin astes 1 Les Taviani rappellent dans le dossier de presse que Fabio Cavalli consid rait la sc ne entre Brutus et sa femme comme la plus belle de la pi ce 2 Entretien avec Jean Gili Positif octobre 2012 PARALLELES Contes tavianiens Images ci dessus et suivantes Padre padrone 1977 RAI 2 premi re vue C sar doit mourir peut sembler une uvre tr s diff rente des autres films des Taviani
57. n astes po tes les Taviani d veloppent depuis plus de cinquante ans une uvre unique tant au regard de leur inspiration que de leurs m thodes de travail C est ainsi que leur cin ma se nourrit des autres Paolo et Vittorio Taviani sur le tournage de C sar doit mourir Umberto Montiroli Bellissima Films formes artistiques pour proposer au spectateur une repr sentation singuli re du monde Selon Luigi Chiarini pour les cin astes le film est narration mais non pas roman spectacle visuel mais non pas peinture il a des rythmes mar qu s par le temps mais il n est pas musique C est pourtant de toutes ces formes qu il a tir sa nourriture et son enseignement l Par ailleurs c est bien l id e d artisanat qui pr side l acte de cr ation pour des cin astes qui revendiquent le travail d quipe dans la r alisation d un film En t moigne Gian Piero Brunetta qui insiste sur leur d fense orgueilleuse du travail artisanal de la manualit du faire leur mani re de suivre le cin ma jus tement comme une pratique de ma tres artisans qui sont conscients que c est toute une tradition de travail s culaire qui passe sur leur corps Ainsi le cin ma appara t comme une variante une m tamorphose d une tradition de travail qui va bien plus loin 2 Une uvre humaniste Enfin force est de constater que film apr s film les cin astes parach vent une uvre singuli re et humaniste dont les motifs
58. n ma Le film des Taviani entre en r sonance avec d autres uvres cin matographiques qui se d roulent en milieu carc ral Si les films de prison sont nombreux peu abordent pourtant l incarc ration autre ment qu travers la th matique de l va sion souvent pr texte au d veloppement de sc nes d action ou de l erreur judi ciaire Il sera d autant plus int ressant de confronter C sar doit mourir des titres d crivant sans concessions les syst mes carc raux tels que le terrible documen taire Titicut Follies de Frederick Wiseman 1967 En fiction on convoquera Scum du Britannique Alan Clarke 1979 qui montre la violence dans un centre pour mineurs ou Hunger de Steve McQueen 2008 qui voque l emprisonnement du leader irlandais Bobby Sands En 2009 Jacques Audiard avec Un proph te s attache d crire les luttes de pouvoir dans une prison o r gne un clan mafieux il sera int ressant de comparer son C sar nomm Luciani et jou par Niels Arestrup celui qu interpr te pour les Taviani Giovanni Arcuri Plus rares encore sont les films mettant en avant la fonction mancipatrice de l art Au del du spec tacle offert par les militaires d tenus dans La Grande Illusion de Jean Renoir 1937 qui devient une manifestation patriotique en faveur de la libert il pourra tre utile de red couvrir Le Baiser de la femme araign e de H ctor Babenco 1985 dont le huis clos perm
59. n strat ge qui soumit la Gaule mais aussi crivain qui relata lui m me le r cit de ses exploits militaires et devint lamant de Cl op tre reine d gypte Pourtant si le personnage fascine par ses qualit s poli tiques et sa personnalit impressionne surtout l image ironique d un puissant qui s effondre au pied de la statue de Pomp e qu il avait affront et dont Ptol m e fr re et mari de Cl op tre lui avait offert la t te dans un panier La mort de C sar soup onn de pr tendre la royaut fut relat e par plusieurs his toriens dont la lecture met en avant les motivations des conjur s on la trouve chez Plutarque Vies des hommes illustres LX LXIX Su tone Les Douze C sar LXXXII et Appien d Alexandrie Guerres civiles 11 Selon Su tone lorsque C sar revient victorieux Rome une couronne de lauriers est pos e sur la t te d une statue le repr sentant D autres tentatives de couronnement direct ont lieu mais la foule proteste chaque fois La rumeur circule un s nateur proposerait d attri buer C sar le titre de dictator le jour des Ides de mars Cassius est l origine du complot C sar vient de le nommer pr teur pour l ann e 44 alors qu il d sirait le consulat II persuade Brutus son beau fr re et ami d entrer dans la conjura tion Descendant du Brutus qui a chass le dernier roi de Rome et tabli la R publique en 509 av J C il est pour
60. n sur un temps gal 3 Cette r flexion peut s appliquer d autres films Dans Padre padrone les Taviani font intervenir la figure de Gavino Ledda en introduction pour pr senter le film et de cette fa on le relier une r alit contemporaine la vie rurale en Sardaigne dans les ann es 40 Il r appara t en conclusion pour en donner la cl Autre film c l bre des cin astes La Nuit de San Lorenzo 1982 uti lise galement cette composition circulaire Le film d bute sur une fen tre ouverte sur un ciel toil et on entend une voix de femme qui raconte un pisode de son enfance un drame qui s est d roul dans son village pendant la Deuxi me Guerre mondiale L encore l introduction ancre le film dans un contexte spatio temporel iden tifi tout en laissant des questions en suspens On ne saura qui est le destinataire du r cit elle s adresse un tre cher lorsqu elle com mence raconter qu la fin du film quand la cam ra se d tour nera de la fen tre ouverte et d voilera l enfant qui se trouve ses c t s La derni re sc ne oriente ainsi une lecture finale celle de la transfiguration du pass par le r cit d abord oral et ensuite filmique Il en va de m me dans C sar doit mourir De mani re nigmatique sans commentaires les cin astes introduisent une situation Le retour en arri re vient clairer la situation de d part et propose une conclu sion qui apporte l ultime mes
61. nce qui contraste avec la suite du film semble amener le spectateur sur la voie du documentaire il demeure possible de l appr hender comme une pr sentation du contexte et des th mes qui vont tre abord s Mais le prologue appa ra t surtout comme une invitation partager une exp rience artistique en s cartant des normes habi tuellement emprunt es par le cin ma pour rendre compte de ce type de sujet 1 Il est l uvre de Giuliano Taviani le fils de Vittorio musicien reconnu qui cosigne les th mes du film avec le pianiste Carmelo Travia ANT WA m k jt 11 12 Du th tre la vie Lorsque leur choix s est port sur le drame ambitieux d un personnage histo rique de l Antiquit romaine Paolo et Vittorio Taviani ont paradoxalement fait mouche quant l cho qu il allait susciter chez les d tenus de Rebibbia Jules C sar met en effet en sc ne le dilemme tragique d un homme Brutus tiraill entre son affection pour un homme qu il admire et une trahison qu il juge n cessaire car fond e sur le respect de valeurs et d id aux d mocratiques cf p 5 Si cette dimension morale para t premi re vue oppos e l id e qu on se fait du milieu dans lequel voluent ou ont volu les d tenus le paradoxe n est qu apparent En r alit en choisissant de faire repr senter une lutte de pouvoir entre deux clans qui s affrontent des hommes rompus au
62. ne certaine libert aux acteurs dans leur appropriation du texte Par exemple quand notre Brutus dit Cette sc ne je lai d j v cue C est un acteur extraordinaire en r alit cela ne lui est pas arriv lui mais en prison on entend beaucoup de r cits et d histoires On a crit cette sc ne on la lui a donn e pour qu il se lapproprie quitte changer un peu le dialogue et il ajout des choses pour arriver sa v rit 7 Pourtant si la question de la forme hybridation du r el et de la fiction interroge le spectateur elle n est pas essentielle pour les cin astes Nous ne nous sommes pas pos la question de savoir si c tait un documentaire ou une fiction Nous nous sommes simplement rappel la grande motion que nous avions eue en voyant ces prisonniers jouer 8 Enfin cette libert formelle permet aux cin astes de mettre en sc ne le propos de leur film de s inter roger sur le contraste entre la libert absolue de l acteur et la vie r prim e de l homme reclus Apr s l exp rience En f vrier 2013 un article paru dans le Los Angeles Times revient sur l exp rience avec quelques mois de recul Fabio Cavalli propose alors aux prisonniers de jouer une pi ce de X nophon ou d Aristophane ou une com die fran aise du XVIIe si cle Fabio Cavalli confie que la tension dans le groupe a augment depuis le film et sa m diatisation Le succ s est un peu mont l
63. orsque les conjur s parais sent d j punis pour le crime qu ils viennent de commettre 00 43 32 Les cin astes proc dent ainsi dans un m me plan l vocation de la vie des prisonniers tout en poursuivant l adaptation du r cit shakespearien C est pourtant le plus souvent l chelle de la s quence que se produit l alter nance ou la superposition de l interpr tation de Jules C sar et de la restitution du quotidien car c ral On remarquera enfin que la mise en sc ne de lenfermement repose en partie sur leffet de boucle qu induit la structure du film le d but de C sar doit mourir se replie sur sa fin ce qui peut signifier que l exp rience th trale n est qu une parenth se dans la vie des d tenus Circulation La mise en sc ne des Taviani ne se limite pourtant pas l vocation de lenfermement D autres l ments sugg rent la possibilit dy chapper Ainsi il est progressivement possible de remarquer que les d tenus s affranchissent de l espace clos l occasion de leur travail th tral Dans la premi re r p tition de la pi ce le lieu qui reconstitue un espace sc nique demeure confin mais le recours un clai rage qui d tache les visages pour laisser dans l ombre le reste du d cor et les autres personnages donne une dimension irr elle la sc ne Dans la s quence suivante 00 16 50 la cam ra s empare bel et bien du r cit L alternance des plans rapp
64. perdus dans le nihilisme mafieux une attention qui distribue la grandeur sur chacun Cette quasi r surrection d un cin ma qui nous a tous beaucoup marqu s je pense op re comme une le on au pr sent les ressources subjectives notre disposition sont bien l pour peu que comme dans ce film on sache tresser une profondeur historique qui troue en un point le semblant de notre actualit Dans ce film linfini potentiel du point o se fait la perc e concentre quatre strates historiques celle de la Rome r publicaine d cadente celle de Shakespeare celle du cin ma italien de l apr s guerre et celle de l Italie de maintenant En rappelant travers les quatre strates historiques quels mat riaux les cin astes ont utilis s pour composer leur film Fran ois Nicolas voque un dispositif qui est au c ur de leur cin ma Car s ils ont eu souvent recours au r cit r trospectif cf p 19 le proc d est d abord l occasion de faire entrer en r sonance le pr sent et le pass L vocation de l Italie de maintenant permet ainsi fort opportun ment de rappeler le contexte politique de la r alisation du film tourn en 2011 et sorti le 2 mars 2012 en novembre 2011 Silvio Berlusconi d missionnait de son troisi me mandat de pr si dent du Conseil des ministres apr s une carri re politique entach e de scandales et de soup ons de corruption Les Taviani ont affirm avoir choisi la pi ce parce qu
65. que Fabio Cavalli visite le th tre en r fection 00 21 29 un d tenu s assoit sur un fauteuil et caresse le si ge voisin Le th me musical m lancolique sugg re une distance avec l action Raccord dans laxe et gros plan sur la main du personnage dont la voix off d clare Peut tre qu une femme va s asseoir ici Au plan rapproch suivant le personnage les yeux mi clos esquisse un sourire avant de frotter son visage et de secouer la t te pour revenir la r alit L art du contrepoint Par ailleurs plusieurs s quences r v lent l univers onirique des d tenus Apr s la r p tition dans la biblioth que les cin astes jouent encore du contrepoint en p n trant dans la d tresse intime des pri sonniers l vasion mentale d un des d tenus qui s ab me dans la contemplation du poster marin d corant le mur au point qu il retrouve bri vement la couleur r pond une autre s quence qui commence par un plan a rien sur la prison 00 37 43 Une voix off chuchote On est des scruteurs de plafonds pas des d tenus elle permet le raccord de l image de la prison avec le plan suivant plan rapproch sur un personnage couch qui fixe le plafond La cam ra semble ainsi passer de couchette en couchette et couter les derni res pens es de ces prisonniers avant l endormissement La voix off sou ligne la vacuit de leur quotidien en m me temps qu elle voque leur aspiration l vasio
66. r e au film par son distributeur Bellissima Films permet de t l charger dossier de presse affiche photos extraits et bande annonce http www bellissima films com catalogue 19 Www transmettrelecinema com Plus d informations de liens de dossiers en ligne de vid os p dagogiques d ex traits de films sur le site de r f rence des dispositifs d ducation au cin ma De la prison l art et de l art l humain C sar doit mourir est une uvre puissante et formellement auda cieuse dont le spectateur d abord convi porter un regard sur le travail des d tenus d une prison romaine devenus acteurs d une tra g die de Shakespeare mesure peu peu la port e universelle Alors que la cam ra des fr res Taviani glisse d une cellule l autre et d un personnage l autre le r cit confondant com diens et personnages refuse de s astreindre un seul genre et un seul niveau et propose le spectacle dune humanit en qu te de libert Au del du r cit d une exp rience hors normes v cue dans un trange d cor brut de b ton et de m tal les fr res cin astes parviennent r v ler la puis sance mancipatrice de l art sans pour autant c der un optimisme na f ne Pee e i 4 zs J P m x DE ee NN 1 Pt T R DACTEUR EN CHEF Thierry M ranger est depuis 2004 critique et membre du comit de r daction
67. raconte surtout avec force le d sir de libert la fin du spectacle il y a la sc ne o ils crient Libert libert on sentait qu ils donnaient tout d eux m mes parce que dans une prison ce mot a un sens particulier C tait leur rage qu ils criaient ils devenaient fous 2 De fait le montage du film accorde une importance particu li re la restitution de ce moment et la r p tition de Pour la libert 01 01 41 qui semble jus tifier elle seule le combat perdu d avance par les conjur s tout en soulignant l enjeu d une exp rience th trale v cue comme lib ratoire Il importe d s lors de revenir sur la toute derni re phrase du film prononc e par Cosimo Rega com dien et d tenu Depuis que j ai connu l art cette cellule est devenue une prison Si la formule peut tre interpr t e n gativement puisqu elle voque ind niablement la difficult de son retour au statut de prisonnier elle tablit clairement que les activit s artistiques sont v cues par ceux qui les ont prati qu es comme la seule chappatoire possible a fortiori pour des d tenus condamn s perp tuit Il n est donc pas indiff rent que ces propos aient t r ellement tenus par l un d eux Les Taviani pr cisent ainsi Le film est la fois crit car c est Shakespeare et non crit car cette r plique ce sont les mots du d tenu C est m me une des rai sons pour l
68. re 1990 Abbas Kiarostami Close Up DVD ditions Montparnasse 2010 Alain Resnais Vous navez encore rien vu DVD Studiocanal 2013 Frederick Wiseman Titicut Follies DVD Zipporah Films 2007 Alan Clarke Scum DVD Potemkine Films 2011 H ctor Babenco Le Baiser de la femme araign e DVD Carlotta Films 2011 Steve McQueen Hunger DVD MK2 2012 Jacques Audiard Un proph te DVD UGC vid o 2010 Brigitte Sy Les Mains libres DVD Chrysalis Films 2010 Pour revenir la pi ce de Shakespeare Joseph Mankiewicz Jules C sar DVD Collection FNAC cin ma 2009 Herbert Wise Jules C sar DVD adaptation pour la BBC disponible dans le coffret Trag dies de Shakespeare volume 1 ditions Montparnasse 2012 Bibliographie Ouvrages consacr s aux Taviani G rard Legrand Paolo et Vittorio Taviani Cahiers du Cin ma ditions de l toile 1990 Jean A Gili Paolo et Vittorio Taviani entretien au pluriel Actes Sud Institut Lumi re 1993 Lorenzo Cuccu Le Cin ma des fr res Taviani cul ture et histoire dans les films des deux r alisateurs toscans Gremese 2003 Riccardo Ferrucci et Patrizia Turini avec la collabo ration de Ilario Luperini Paolo et Vittorio Taviani la po sie du paysage Gremese 2004 Articles consacr s au film Ariel Schweitzer C sar doit mourir Cahiers du cin ma n 682 octobre 2012 Jean Dominique Nuttens Des hommes d hon neur
69. ro ch s sur les com diens qui dans leurs cellules res pectives s approprient leur texte et leurs person nages fait dispara tre les murs l unit de lieu est r tablie par le montage Survient ensuite lint rieur de la prison l abolition des fronti res annon c e par deux s quences celle o Salvatore sous le regard de deux gardiens croise deux d tenus m prisants alors qu il m morise son texte 00 24 15 puis celle o il nettoie le couloir 00 24 38 Les corps se mettent circuler et l ouverture des portes permet aux prisonniers de commencer se d pla cer leur guise au moment m me o Brutus prend la d cision de s affranchir et d cide la mort de C sar en pronon ant le titre du film C sar doit mourir tout de suite 00 24 55 L espace restreint et contraint qui sert de cadre la mise en sc ne du film d multiplie alors les lieux Il offre une vision fragment e et kal idoscopique de la prison que renforce le choix des cadrages jouant sur la sym trie la g om trie et la r p tition Dans cet espace communiquent les prisonniers et les personnages dans un jeu de brouillage entretenu par le choix du noir et blanc C sar doit mourir devient ainsi un lieu de circulation en vase clos on passe d un niveau d nonciation un autre d une cellule au couloir et du couloir la cour on franchit les portes ouvertes jusqu l espace d cou vert o sera expos le corps de C s
70. s entrecroisent l histoire la duret des paysages et la rudesse des hommes du sud de l Italie font cho des th mes tels que la g mellit ou la violence tandis que la r flexion sur l art et sur les diff rentes formes de repr sentation parcourt leur cin ma Le r alisa teur Robert Altman rend ainsi hommage la force des deux Toscans Leurs films parlent d tres humains ils parlent de l Italie simplement parce que c est leur culture comme moi je parle de l Am rique Nous donnons notre point de vue sur la condition humaine sur notre monde sur notre culture sur notre soci t Et c est seulement l dessus que nous pouvons tre jug s Les Taviani et Fellini sont de grands artistes et je pense eux de la m me mani re que je pense Van Gogh Rembrandt ou Francis Bacon et Picasso 3 1 Cit par Ilario Luperini in Riccardo Ferrucci et Patrizia Turini Paolo et Vittorio Taviani la po sie du paysage Gremese 2004 2 Gian Piero Brunetta Paolo e Vittorio Taviani E T R 1986 3 L Espresso 6 mai 1990 propos recueillis par Silvia Bizio ACTEURS Prisonniers et com diens Questo un uomo Voici un homme Ces derniers mots prononc s sur sc ne lors de la repr sentation en milieu carc ral de Jules C sar qui ouvre le film sont r v lateurs bien des gards Il est ais d y percevoir au del de hommage au personnage de la pi ce de Shakespeare qu est Brutus un
71. s des visages de ces hommes l appropriation de leur r le Les tensions dramatiques de la pi ce sont soulign es par la pr sence de la musique qui tient parfois de l habillage sonore L enjeu n est donc pas le spectacle en lui m me Au del de la mise en sc ne les cin astes donnent voir la fa on dont l art fa onne l humaine mati re en m me temps qu il s en nourrit De la contamination l adaptation En tablissant des correspondances entre la pi ce et la vie des prisonniers le r cit transcende son sujet Jules C sar exprime des valeurs universelles auxquelles ces hommes adh rent et la pi ce va progressivement contaminer leur existence Les ressorts dramatiques trouvent ainsi des chos dans le r el Un cod tenu r pond la r plique de Brutus Il ne faut pas faire confiance J ai fait confiance Et regarde o cela ma men le face face entre C sar et D cius ravive des ten sions entre Giovanni Arcuri et Juan Bonetti les d tenus r pondent Marc Antoine qui s adresse au peuple de Rome Si au d but de l analepse en noir et blanc le metteur en sc ne donne encore des indications si on voit se jouer et se rejouer les bal butiements de ces acteurs amateurs le travail de mise en sc ne dispara t peu peu pour laisser appara tre nu la pi ce qui se joue cf p 12 Ainsi l espace carc ral devient l espace sc nique o Salvatore Striano et Antonio Frasca incarnent r
72. s se joue devant le spectateur Le commentaire du cod tenu cl ture la s quence en ramenant Cosimo dans l espace de sa cellule La prison comme espace sc nique 00 18 06 00 21 28 La fen tre de la salle de travail est int gr e la sc ne chapitre 4 et la rumeur ext rieure devient le bruit du peuple qui acclame C sar Cassius s approche de la fen tre rejoint par Brutus Le met teur en sc ne intervient pour rectifier une position La sc ne reprend Cassius expose Brutus les enjeux du complot Brutus h site C sar fait part Antoine de ses soup ons sur Cassius D Appropriation L espace th tral 00 21 29 00 22 18 La salle de spectacle est en travaux Fabio Cavelli s inqui te et sagace de l tat du chantier la troupe est oblig e d investir la prison pour r p ter Un d te nu s assoit sur un fauteuil et caresse le si ge voisin C sar doit mourir 00 22 19 00 32 01 Tirade de Brutus dans la cellule de Salvatore Striano et Vincenzo Gallo chapitre 5 Brutus est partag entre son affection pour C sar et son amour de la libert Salvatore s approprie le texte en travaillant Des d tenus qu il croise critiquent son investissement Le monologue s ach ve dans la cellule alors que Lucius appara t dans lenca drement de la porte ouverte Le titre La congiura le complot appara t Les autres acteurs entrent en sc ne Les corps sont affranchis des limites les portes des ce
73. sage du film l Padre padrone adapt du roman autobiographique ponyme de Gavino Ledda 1975 raconte comment contraint de quitter l cole six ans pour s occuper des brebis le h ros a grandi dans la solitude et la violence d un p re rustre et despotique il est cependant parvenu devenir linguiste 2 Lorenzo Cuccu Le Cin ma des fr res Taviani Gremese 2003 3 G rard Legrand Paolo et Vittorio Taviani Cahiers du Cin ma ditions de l toile 1990 19 20 AIT Cin philie politique Ours d or lors de la Berlinale 2012 C sar doit mourir a re u un accueil critique particuli rement enthousiaste Le travail virtuose des Taviani suscite globalement l admiration m me si quelques nuances sont par fois apport es en particulier sur sa capacit r v ler l homme sous l acteur Compl mentaires deux lectures clairantes et tr s favorables au film sign es Fran ois Nicolas et Daniel Fischer sont propos es sur le site Internet de la revue L Art du cin ma Strates Un point m a frapp la mani re dont ce film renoue magistrale ment avec le cin ma italien de l apr s guerre singuli rement celui de Rossellini et Pasolini Ce n est pas tant par l usage du noir et blanc qui pourrait seulement faire r tro mais c est surtout par l attention port e et transmise aux visages et aux corps d hommes du peuple fussent ils en l occurrence ceux de gens qui se sont un moment de leur vie
74. t Cosimo Rega ont chacun publi un livre depuis le tournage du film et que Salvatore Striano a t graci l absence d information quant au destin des autres d tenus semble indiquer que leur situation de prisonniers reste inchang e au moment de la sortie du film La confusion des r les L imbrication du jeu d acteur et du r el a d autres cons quences En t moigne une nouvelle fois la s quence o s affiche la condamnation des d tenus La fa on dont chacun rel ve les yeux pour fixer la cam ra exprime la volont de se pr senter en toute sinc rit au spectateur Il n est donc pas question pour les Taviani de dissimuler dans le film la nature violente de ces hommes criminels ou assassins mais plut t d utiliser des l ments de leur vie pass e pour incarner des personnages avec lesquels ils vont se trouver des affinit s au point certains moments de para tre s identifier eux Rien d tonnant d s lors pour le spectateur du film prouver au fur et mesure de la projection un sentiment de confusion accentu par le fait que les r p titions de la pi ce se d roulent non pas dans une salle d di e au th tre mais dans les lieux qui renvoient au quotidien des d tenus Face ce qui devient une transposition de Jules C sar dans lunivers carc ral il est facile de constater que travers Shakespeare les d te nus voquent leur exp rience intime de la prison et les relations qu ils entretienn
75. t par l acteur qui se f licite de son personnage Le plan suivant au prix d un faux raccord regard volontaire situe la sc ne Fabio Cavalli prend des notes et remet les acteurs au travail Le premier niveau d nonciation est pos celui de la r p tition L entr e soudaine de Juan Bonetti 6a qui intervient en tant que D cius s adressant C sar d clenche le passage au deuxi me niveau nous sommes bien nouveau dans une adaptation de Shakespeare D cius vient chercher C sar qui lui annonce qu il renonce se rendre au S nat 6b La joute verbale entre les deux personnages se joue dans une alternance de champs et contrechamps des personnages en gros plan Se lit alors sur les visages la toute puissance de C sar 7 et la rouerie de D cius renforc e par le choix du cadrage en contre plong e et de la mise en sc ne avec C sar assis qui oblige son partenaire se courber vers lui 8 Cependant brutalement Giovanni insulte Juan 20 On revient ainsi au pre mier niveau d nonciation Il serait pourtant difficile d en avoir une parfaite certitude sans la pr sence de plans sur les autres d tenus perplexes 21 La confir mation viendra peu apr s de la bouche m me des deux acteurs avec Tu tes tromp de r plique ou Je ne joue plus Juan Les deux d tenus s affron tent verbalement 28 29 puis quittent la pi ce 34 On est revenu la r alit du quotidien carc ral avec les rivalit s inh
76. tion de criminels et de prisonniers Ainsi si le projet ne consiste pas directement faire un film militant sur les d tenus des quartiers de haute s curit il importe de relever les sc nes ou les r pliques du film qui en contrepoint d voilent les blessures et les souffrances les plus intimes li es la vie en captivit L absence des femmes La premi re caract ristique de cette communaut est d tre exclusi vement compos e dhommes La trag die de Shakespeare semble avoir t choisie dessein pour pouvoir tre jou e par une troupe masculine les pouses de Brutus et de C sar seuls personnages f minins de la pi ce sont physiquement absentes de l adaptation propos e aux d tenus Rien d tonnant donc ce que le film voque en filigrane le manque des femmesl Lors de la repr senta tion de l adaptation de Dante laquelle avaient assist les cin astes cf p 4 un d tenu mentionnant toute cette souffrance de ne pas pouvoir caresser nos femmes s tait ainsi adress au public l histoire de Paolo et Francesca raconte l enfer et moi je vous parle depuis un autre enfer la prison o nous ne pouvons pas coucher avec nos femmes Nous les voyons travers une vitre au parloir parfois elles nous quittent ou alors elles attendent et c est presque pire parce qu on doit purger une peine de vingt ans 2 Ce manque alors exprim par les prisonniers a t int gr au film Ainsi lors
77. train de se perdre dans cette image de libert et d infini les Taviani sugg rent cette vasion mentale 50b par le zoom qui fait entrer le spectateur dans un pay sage maritime qu accompagne nouveau le th me musical du film Enfin l imbrication des niveaux d nonciation rend plus lisible l engagement des acteurs dans leurs r les et permet d introduire un temps de suspense dans le r cit r trospectif Il est int ressant que ce suspense survienne au moment de la pi ce o C sar fait part de sa d cision de ne pas se rendre au S nat l issue de l intrigue repose alors pr cis ment sur la capacit de persuasion de D cius Lorsque Giovanni s oppose soudain Juan il met donc en p ril l aboutissement du projet th tral tout en perturbant le bon d roule ment de l action de la pi ce S quence centrale la r p tition dans la biblioth que r v le au spectateur le v ritable enjeu de l exp rience pour les d tenus la sc ne n est en r alit qu un pr texte pour offrir l image de l attitude de Vincenzo qui s vade par la pens e vers cette le m diterran enne une nouvelle dimension au film 1 Entretien avec Jean Gili Positif octobre 2012 17 18 MOT Figures du manque C sar doit mourir n est pas un film documentaire sur une exp rience artistique en milieu carc ral Cependant le projet des cin astes repose sur le contraste entre le travail des acteurs et leur condi
78. uatre semaines de tournage deux mois de montage et une semaine de mixage dans une grande innocence et en ne travaillant pas les samedis et dimanches Pour autant le travail avec les d tenus n a pas t une ligne droite Les metteurs en sc ne ont d composer avec les d sespoirs soudains de ces hommes en peine de libert Parfois sans que l on sache exactement pourquoi un des prison niers tait compl tement d sesp r il ne pouvait plus travailler a arrivait souvent quand les d te nus revenaient d une visite de quelqu un de leur famille Les cin astes ont d aussi s affirmer face des hommes rompus l art des rapports de force Dans le r le d Octavius nous avions choisi quelqu un de pr cis Entre eux les d tenus avaient d sign quelqu un d autre Personne ne voulait c der Nous avons fini par leur dire Nous ne savons pas comment a se passe dans la mafia mais au cin ma le chef c est le metteur en sc ne Quand nous sommes revenus au bout de quelques jours ils nous ont accueillis en nous applaudissant On vous fait confiance parce que pendant toute la discussion vous nous avez toujours regard s dans les yeux nous a d clar leur porte parole 5 L homme derri re le prisonnier Filmer en milieu carc ral le travail de mise en sc ne d une pi ce qui parle de libert de trahison de faute et de ch timent c est assur ment propo ser aux acteurs d tenus
79. un texte qui trouve en eux une r sonance Aussi le travail d appropriation des r les en est il trouv facilit Paolo Taviani voque une sc ne embl matiques celle o Marc Antoine pour accuser Brutus dit Brutus tu es un homme d honneur Brutus tu es un homme d honneur Il le r p te quatre fois Effectivement cette appellation d homme d honneur est l appel lation que revendiquent les membres de la mafia de la camorra dont font partie les d tenus qui sont dans ce quartier de haute s curit Il y a aussi tous ces th mes du crime de la conjuration de l amiti trahie qui ram nent un ensemble de choses qu ils ont connues avant d tre incarc r s Inter rog sur la part de fiction dans le film Paolo Taviani poursuit en expliquant C est la fois tout vrai et tout faux Nous avons tourn en prison nous avons entendu beaucoup d histoires Par exemple la sc ne de deux prisonniers qui sont sur le point d en venir aux mains Ce ne sont pas des sc nes qu on a film es v ritablement au moment m me mais des sc nes qu on nous a racont es et qu on a demand aux d tenus de rejouer d une certaine mani re Quant la part d improvisation laiss e aux d te nus les cin astes affirment la pr minence du sc nario De nombreuses choses taient pr vues car nous y avions assist pr c demment et nous les avons reconstitu es Ils conviennent n anmoins qu ils laissaient u
80. utus et d Antoine face aux d tenus Je enfin Brutus 00 54 30 00 55 03 Salvatore dans sa cellule raconte la suite de l histoire chapitre 10 Un d tenu ivoirien la compare avec celle de son pays d origine Vincenzo Gallo joue un air d harmonica E Repr sentation Filage dans la salle de th tre 00 55 04 00 56 54 Le d cor se construit Un nouvel acteur appara t dans le r le d Octavius Fabio Cavalli explique son r le et annonce la bataille Antonio Frasca reste l cart il a eu de la visite et semble boule vers Un carton indique la plaine de Philippes Avant la bataille 00 56 55 00 59 55 Monologue de Brutus sous sa tente Le fant me de C sar s adresse lui en cam ra subjective Cassius et Brutus se font leurs adieux sur le champ de bataille Per la liberta 00 59 56 01 07 48 Entr e s curis e du public chapitre 11 Sur sc ne se d roule la fin de la pi ce Exhortation finale l unisson Per la liberta Cassius se suicide Retour la sc ne du prologue mort de Brutus salut des acteurs et enthousiasme du public E pilogue Retour en cellule 01 07 49 01 09 34 Cosimo Rega se tient face la cam ra dans son quotidien carc ral Il conclut l aventure Depuis que j ai connu l art cette cellule est devenue une prison G n rique de fin 01 09 35 01 13 37 Portraits en mouvement et en noir et blanc de douze acteurs chapitre 12 et

César doit mourir

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