01 Som/Edito-RFG160 HS - Revue Française de Gestion
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1. elles taient toutes scientifiques mais ce que nous appellerons leurs mani res incom mensurables de voir le monde et d y pratiquer la science et il ajoute Un l ment apparemment arbitraire r sultant de hasards personnels et historiques est toujours l un des l ments formatifs des croyances adopt es par un groupe scientifique un moment donn la fin des ann es 1970 deux sp cialistes des sciences des organisations Gibson Burrell et Gareth Morgan entreprennent de cartographier les diff rentes mani res d tudier les organisations Ils le font en empruntant Kuhn plusieurs de ses th ses et notamment l id e que le travail quotidien du scientifique est disciplin par la mani re de voir et d tudier le monde adopt e par sa communaut d appartenance Comme lui ils affirment que des communaut s scientifiques qui adh rent des para digmes diff rents n ont rien se dire b tis sur des pr suppos s radicalement diff rents leurs productions sont incommensurables Burrell et Morgan s cartent toute 14 Revue fran aise de gestion N 160 2006 fois de Thomas Kuhn sur un point important Selon eux la diversit des coles de pens e ne caract rise pas une tape du d veloppement des tudes organisationnelles mais leur tat normal Burrell 1996 Du fait que l tude des organisations s inscrit dans les sciences sociales Burrell et Morgan d duisent qu en cette mati2. SOMMAIRE 31 47 67 81 109 139 159 177 191 num ro 160 janvier 2006 TH ORIES MODE D EMPLOI Coordonn par G rard Koenig Th ories mode d emploi G rard Koenig I Penser un monde complexe Strat gie et pens e complexe Alain Charles Martinet La dialectique de l ordre et du chaos dans les organisations Raymond Alain Thi tart Bernard Forgues Objets de gestion et objet de la th orie conomique Olivier Favereau L approche cognitive de la strat gie d entreprise Herv Laroche Jean Pierre Nioche II Les figures de l efficience Th orie financi re et strat gie financi re G rard Charreaux Th orie applications et limites de la mesure de cr ation de valeur Michel Albouy Le management strat gique face la th orie des options Rodolphe Durand Pierre Yves Gomez Philippe Monin propos de l mergence de la th orie des incitations Jean Jacques Laffont Oliver Williamson et la th orie des co ts de transaction Michel Ghertman 8 217 241 261 293 307 329 331 Revue fran aise de gestion N 160 2006 II Les dynamiques de la cr ation Information et conventions Le cadre du mod le g n ral Pierre Yves Gomez Analyse Resource Based et identification des actifs strat giques Jean Luc Arr gle L alchimie de la comp tence Thomas Durand L apprentissage organisationnel rep rage des lieux G rard K nig De la strat gie aux p
3. exploration Les sciences des organisations s tendent sur un domaine extraordinairement vaste d une grande diversit et en perp tuelle transformation Il est donc illusoire m me pour le sp cialiste de vouloir en conna tre toutes les contr es Cela vaut a fortiori pour le praticien L important pour ce dernier consiste donc tirer le meilleur parti des rencontres qu il est amen faire Pour cela nous lui proposons trois r gles de conduite La premi re l invite ne pas opposer description et explica tion mais y voir au contraire comme les deux faces de la th orie La seconde r gle lui prescrit de ne pas se laisser s duire par des r gularit s n cessairement pr caires et de s int resser davantage aux m canismes susceptibles d en rendre compte La troi si me l encourage v rifier les th ories qu il aborde 1 Ne pas opposer description et explication ce sont les deux faces de la th orie Dans The conduct of Inquiry Kaplan d finit ainsi les r les respectifs de la th o rie et des donn es les donn es d crivent les formes empiriques observ es et la th o rie explique pourquoi elles sont observ es ou nonce les raisons pour lesquelles on doit s attendre les observer Cette id e semble tellement aller de soi que dans un article souvent cit Sutton et Staw 1995 n envisagent pas un instant de la discuter et s tonnent bien plut t de la confusion qu ils observent jusque dans les t
4. nes nouveaux deuxi mement elle proc de de la dynamique propre la connaissance scientifique qui consiste pr cis ment dans le d veloppement de nouvelles mani res de poser les probl mes Consid rons tout d abord la diversit de ce qui fait le quotidien des organisations Faut il s tonner que pour clairer des ph nom nes de nature ou de niveaux diff rents il faille recourir des th ories distinctes Doit on tre surpris dans le premier cas que des ph nom nes aussi dissemblables qu une catastrophe Weick 1990 ou le devenir d une technologie Arthur 1989 donnent lieu des explications de natures diff rentes De m me est il choquant que dans le cas de d cisions individuelles la notion d intentionnalit soit fr quemment appel e jouer un r le central Joule Beauvois 1987 p 79 et que l on accorde la suite de R K Merton davantage d attention aux effets de composition inattendus lorsque l on saisit la d cision un niveau plus macroscopique Enfin faut il d plo rer que s int ressant des r alit s in dites comme l incidence des nouvelles tech niques de communication sur la vie des organisations les chercheurs en viennent d velopper de nouvelles explications Motiv par la diversit et l volution du Monde le foisonnement th orique est galement chevill la dimension inventive de la science ce qu elle comporte de d couverte et d imagination Lorsque
5. observation de configurations singuli res jamais r p t es dans leur int gralit mais surtout jamais analysables par une liste finie de variables dont la pertinence pourrait tre exp rimentalement tablie ou au moins progressive ment stabilis e Comme le montre l exemple des fonctions score d Altman le pro bl me ne se pose pas exactement de la m me mani re dans toutes les disciplines dans 4 La technique mise au point n a pas la rigueur de valeur pr dictive elle se d finit davantage comme une m thode de classification dont les r sultats sont utilis s des fins pr dictives Th ories mode d emploi 21 un contexte donn par exemple les tats Unis des ann es 1960 les entreprises vuln rables pr sentent certaines caract ristiques qui permettent de les identifier Dit en d autres termes dans des domaines comme l conomie ou la gestion 1l est possible d observer certaines r gularit s l int rieur d un cadre spatiotemporel d termin Il n en demeure pas moins que le probl me se pose en cas de changement de contexte c est dire lorsqu un m canisme de causalit jusqu alors peu ou non op rant le devient ou qu l inverse un m canisme op rant d cline ou dispara t Afin de d ter miner la possibilit de transposer une situation donn e un r sultat ou une m thode valides dans une autre situation il est n cessaire de porter un jugement sur la parent des context
6. testation mutuelle Moldoveanu Baum 2002 Un tel climat a de quoi surprendre le profane Il vient de ce que le principe d incommensurabilit n a pas qu un fondement pist mologique il r pond aussi des motifs politiques Affirmer l incommensurabilit permet en effet d viter le dialogue qui serait selon Gibson Burrell 1996 une arme aux mains de ceux qui ont le pouvoir Elle permet de faire pi ce aux tentatives de r cup ration par le Th ories mode d emploi 15 fonctionnalisme de ce que les autres courants ont de profond ment original Burrell 1996 p 652 La typologie de Burell et Morgan a donn lieu de multiples critiques Alvesson Deetz 1996 Celle d velopp e ici touche au fait que la dimension objectivisme subjectivisme entend rendre compte des options touchant la fois la nature de la r alit et celle de la science C est ce que montre le tableau 1 ci apr s adapt de G Burrell 1996 p 650 Tableau 1 APPROCHES SUBJECTIVISTE OBJECTIVISTE Les sciences sociales Approche subjectiviste Approche objectiviste Ontologie Nominalismel R alisme pist mologie Anti positivisme Positivisme Le fait de distinguer les questions touchant la nature de la r alit et celle touchant au fondement de la connaissance permet de poser en termes nouveaux la question de l incommensurabilit des paradigmes D un point de vue ontologique il est souhai table de
7. discordantes quand elles ne sont pas acrimonieuses L objectif de cette premi re partie consiste redon ner de la th orie des organisations une image plus positive Deux arguments sont d velopp s en ce sens Il est tout d abord d fendu l id e que ce foisonnement corres pond dans une large mesure une n cessit Il est ensuite propos d aborder le domaine avec une nouvelle carte Jusqu une poque r cente la carte la plus fr quemment utilis e tait celle tablie en 1979 par Burrell et Morgan qui d finissait des territoires pist mologiquement et politiquement distincts et en r putait infranchis sables les fronti res Celle qui est propos e esquisse la possibilit d largir consid rablement l espace du d bat acad mique 1 Voir dans le foisonnement th orique l expression d une vari t requise Confront une production th orique exub rante le praticien peut d autant plus l gitimement s interroger que certains chercheurs n h sitent pas parler de jungle Koontz 1980 tandis que d autres partageant le diagnostic plaident avec vigueur pour davantage de discipline et sont pr ts tracer les plans d un jardin la fran aise Donaldson 1992 Pfeffer 1993 Ce foisonnement th orique est la r sultante de plu sieurs facteurs Certains ont voir avec les normes en usage au sein de la commu naut scientifique mais les facteurs essentiels touchent d une part la diver
8. distinguer la suite de McKelvey 2002 p 896 entre r alisme et relativisme Pour les r alistes premi rement le Monde est peupl d entit s r elles dont l existence est ind pendante de la perception de l exp rience ou de la connaissance que l on peut en avoir et ces entit s poss dent des propri t s et entretiennent des relations qui sont ind pendantes des concepts ou des langages que nous utilisons pour les d crire Deuxi mement il est possible de d velopper une connaissance de ce monde et la vali dit de nos propositions est au moins en partie d termin e par cette r alit Pour le relativiste le Monde ne poss de aucune caract ristiques intrins ques il y a seulement diff rentes mani res de l interpr ter D un point de vue pist mologique il est utile de distinguer entre fondamentalistes et anti fondamentalistes Les premiers pensent qu il est possible de donner un fondement certain la connaissance tandis qu l instar de Popper les seconds consid rent que cette qu te est vaine et que ni la raison ni l ob servation ne sont en mesure d assurer ce fondement En croisant les dimensions onto logique et pist mologique il est possible de dresser la carte suivante tableau 2 1 L accent est mis ici sur le r le actif du mot qui en omettant certains caract res de la chose est un fac teur d attitude mentale abstractive Une science se pr sente selon une formule de Condillac comme u
9. le scientifique met jour un ph nom ne pass jusqu alors inaper u il est g n ralement conduit proposer des explications nouvelles et contribuer de la sorte au foisonnement th orique S effor ant de trou ver une explication l existence des firmes lots de coordination consciente qui n ont pas de raison d tre si l on fait l hypoth se que la coordination effectu e de fa on inconsciente par le m canisme des prix est efficiente Coase en vient l id e de co t de transaction qu elle soit op r e au sein de l entreprise ou sur le march toute transaction implique des co ts contractuels distincts des co ts de produc tion ou de transport Coase en d duit que le choix de faire soi m me ou de recou rir un tiers devrait tenir compte de la difficult op rer la transaction dans l un ou l autre cas Avant que Ronald Coase ne les mette en vidence dans un article publi en 1937 les co ts des transactions sont ignor s de la th orie et ne font en pratique l objet d aucune valuation Les d cisions des acteurs s en trouvent faus s es L erreur est le fait tant des autorit s de contr le de la concurrence qui restrei gnent par trop les possibilit s de d veloppement des firmes que des chefs d entre prise qui se m prennent sur les m rites respectifs de l int gration et du recours au march Si elle consiste pour partie d couvrir l inaper u l activit scientif
10. re toute assertion repose n cessairement sur des hypoth ses quant la nature de la soci t d une part de la science d autre part La typologie qu ils proposent vise rendre compte de la structuration du champ des sciences sociales autour de ces deux dimensions La premi re oppose les approches objectivistes et subjectivistes tandis que la seconde oppose les d marches qui privi l gient le changement radical celles qui mettent l accent sur la r gulation Figure 1 LES QUATRE PARADIGMES DES SCIENCES SOCIALES SELON BURRELL ET MORGAN Changement radical ns Humanisme radical Structuralisme radical biectivi Subjectivisme Objectivisme Interpr tativisme Fonctionnalisme R gulation Selon les auteurs ces quatre paradigmes reposent sur des principes tellement diff rents qu il est vain de chercher traduire ou rapprocher les concepts et les m thodes propres chacun L id e fera son chemin Elle d bouchera au d but des ann es 1990 sur la guerre des paradigmes qui pour faire simple opposa les chercheurs qui adh raient l id e de Durkheim que les faits sociaux devaient tre trait s comme des choses ceux qui estimaient la suite de Weber que l tude des organisations implique de saisir le sens que les acteurs donnent leur conduite Les premiers qui se r clamaient du positivisme tenaient les seconds pour des relativistes et tous entretenaient incompr hension et d
11. se laisser impressionner par la violence des revendications et des invectives car suivre ces tribus ennemies sur leurs terrains de chasse on s aper oit que leurs pratiques diff rent moins qu elles ne le disent Instruit sur l tat du territoire qu il s appr te d couvrir le lecteur n est pas n cessairement outill pour tirer le meilleur parti de son exp dition La seconde partie nonce trois r gles de conduite qui devraient lui permettre de profiter pleine ment de l aventure La premi re l invite ne pas opposer description et explication mais y voir au contraire comme les deux faces de la th orie La seconde r gle lui prescrit de ne pas se laisser s duire par des r gularit s n cessairement pr caires et de s int resser davantage aux m canismes susceptibles d en rendre compte La troi si me l invite v rifier les th ories qu on lui propose comme l explorateur se doit de le faire de son quipement S il suit ces trois r gles il se pourrait bien que le lec 10 Revue fran aise de gestion N 160 2006 teur en vienne partager le jugement de Kurt Lewin qu il n y a rien de plus utile qu une bonne th orie I Positiver la jungle Touffue et broussailleuse la th orie des organisations est volontiers pr sent e comme un domaine o il est ais de se perdre et de perdre son temps Le risque serait d autant plus important que les indig nes y font entendre des voix
12. 2006 vables et mesurables du ph nom ne Koyr 1966 p 84 et sq Pour utile qu elle soit cette connaissance ne le satisfait pas il souhaiterait pouvoir la d duire d un principe fondamental On pourrait dire avec Koyr qu il n a aucune confiance en une obser vation non v rifi e th oriquement Cette conception de la science s oppose celle qu Auguste Comte d fendra quelque deux si cles plus tard dans son Cours de philo sophie positive Le caract re fondamental de la philosophie positive est de regarder tous les ph nom nes comme assujettis des lois naturelles invariables dont la d cou verte pr cise et la r duction au moindre nombre possible sont le but de tous nos efforts en consid rant comme absolument inaccessible et vide de sens pour nous la recherche de ce qu on appelle les causes soit premi res soit finales puisque nous ne ferions jamais alors que reculer la difficult Comte 1972 p 134 135 S il est vrai que Newton n explique pas la chute des corps son travail permet de remon ter d un cran dans l ordre des causes et de pr voir que les corps ne tombent pas de la m me fa on sur la lune que sur la terre D j utile dans les sciences de la nature la remont e dans l ordre des causes l est plus encore pour les sciences humaines parce que les ph nom nes qui nous int ressent se situent dans des contextes qui sans cesse se transforment Les m thodes d analyse statistiq
13. alitative analysis for social scientists Cambridge Cambridge Uni versity Press 1987 Van Maanen John The fact of fiction in organizational ethnography Administra tive Science Quarterly 24 1979 p 539 550 Weick K E The Social Psychology of Organizing New York Random House 1979 Weick K E The Vulnerable System An Analysis of the Tenerife Air Disaster Journal of Management vol 16 n 3 1990 p 571 593
14. ble quand elle r siste l preuve de l exp rience nous permet de faire des pr dictions et de provoquer ou au contraire d viter suivant le cas des Th ories mode d emploi 17 ph nom nes 1988 p 26 De ce point de vue la proximit avec les th ses de l pis t mologie volutionniste est patente Ayant fait le choix d une ontologie r aliste et d une pist mologie anti fonda mentaliste les tenants du r alisme scientifique consid rent que notre connaissance est faillible que l erreur est in vitable mais qu il est possible de progresser en li minant nos erreurs Autrement dit l observation et l exp rience peuvent et doivent r duire impitoyablement l ventail des croyances scientifiques admissibles autre ment il n y aurait pas de science Mais elles seules elles ne peuvent pas d terminer un ensemble particulier de ces croyances Cette section avait pour objectif de proposer une r valuation de la situation pr valant dans les sciences des organisations et de montrer le caract re inad quat d une repr sentation manich enne du champ Certes des diff rences existent qui conduisent s int resser des objets distincts partir de th ories diff rentes mais elles ne suf fisent pas tayer au plan pist mologique la revendication largement politique d une incommensurabilit des paradigmes IL Trois r gles de conduite pour tirer le meilleur parti de l
15. chnologies increasing returns and lock in by historical events Economic Journal 99 1989 p 116 131 Burrell G Paradigms metaphors discourses genealogies Handbook of Organi zation Studies S R Clegg C Hardy and W R Nord eds Thousand Oaks Sage 1996 p 647 648 Child J Organization guide to problems and practice London Harper amp Row 1997 Daft R L Management Fort Worth Dryden 1997 DiMaggio Paul J What Theory is Not Administrative Science Quarterly 40 1995 p 391 397 Donaldson L The Weick Stuff Managing Beyond Games Organization Science vol 3 n 4 1992 p 461 466 Ghoshal S Moran P Bad for practise a critique of the transaction cost theory Academy of Management Review vol 21 n 1 1996 p 13 47 Glaser B G Strauss A L The Discovery of Grounded Theory Strategies for Qua litative Research Chicago Aldine Publishing Company 1967 Glasersfeld Ernst von Introduction un constructivisme radical L invention de la r alit Contributions au constructivisme P Watzlawick dirig par Paris Seuil 1988 Granger G G La v rification Paris Odile Jacob 1992 Hassard J Multiple Paradigms and Organizational Analysis A case study Orga nization Studies vol 12 n 2 1991 p 275 299 Th ories mode d emploi 27 Holton G L invention scientifique Paris PUF 1982 Joule R V Beauvois J L Petit
16. d compte et qui parfois nous permet d en pr voir la dissolution Prenons un exemple emprunt la strat gie d entreprise Le fait d observer une corr lation entre taille et comp titivit n a gu re d int r t si l on ignore par quels m canismes la taille produit ses effets Selon les secteurs les diff rentes fonctions R amp D production distribution ne sont pas sensibles la taille de la m me mani re ou avec la m me intensit et c est pr cis ment l exploitation de ces diff rences qui distingue les strat gies pertinentes de celles qui ne le sont pas C est pour cette raison que nous invitons le praticien s int resser davantage aux m canismes cens s produire les r sultats qu aux r sultats eux m mes 3 V rifier les th ories Les th ories susceptibles d int resser les praticiens sont celles qui sont en mesure d clairer leur action Pour que la th orie puisse jouer ce r le il faut qu elle apporte 5 Le lecteur int ress par le devenir des r gularit s conomiques comme celles que d crivent les courbes de Phillips ou de Laffer consultera avec profit l ouvrage de Claude Mouchot 2003 p 162 et sq 22 Revue fran aise de gestion N 160 2006 des informations et par cons quent qu elle se prononce sur la possibilit ou la proba bilit de certaines situations En d autres termes il faut qu elle coure le risque d tre infirm e La confiance qu on lui accorde
17. de dis tinguer description et explication il importe de reconna tre que ces deux op rations constituent les deux faces indissociables de la th orie Cette id e peut tre d velop p e dans une perspective dynamique celle de la th orie en train de se faire ou dans la perspective statique de la th orie constitu e Le fait de mener l analyse de ce double point de vue permet de d velopper des arguments susceptibles de convaincre aussi bien les lecteurs qui s duits par les approches ethnographiques auraient ten dance privil gier la description sur l explication que ceux qui l instar de Sutton et Staw assimilent th orie et explication la fin des ann es 1960 deux sociologues am ricains Barney G Glaser et Anselm L Strauss publient un manifeste visant redonner des couleurs la cr ation th orique Estimant que les ph nom nes micro sociologiques qui les int ressent peu vent difficilement tre clair s par les grandes th ories qu elles soient d inspiration conflictualiste K Marx ou fonctionnaliste T Parsons Glaser et Strauss 1967 encouragent la communaut scientifique r duire le temps consacr tester des conjectures tir es de ces grands syst mes et accro tre ses efforts pour d velopper des th ories plus ad quates et donc insistent ils enracin es dans des donn es de ter rain Strauss 1987 p 11 12 r sume cette intention de trois mots induction d duc tion et v rificatio
18. e penser l impact des processus d internationalisation sur les processus tant op rationnels gestion des relations commerciales management d quipes multicultu relles que strat giques collaborations internationales La recherche en gestion a galement besoin de vari t parce que comme toute science elle rel ve d un proces sus que l on peut qualifier d cologique Des explications nouvelles sans cesse appa raissent beaucoup sont ph m res toutes sont en sursis Certaines sont retenues plus longtemps que d autres avant qu elles ne se voient leur tour pr f rer de nouvelles explications Pour que ce processus ait lieu un niveau de vari t suffisant est requis En r sum si le r le des scientifiques est d inventer des explications il ne faut pas Th ories mode d emploi 13 s tonner que des explications rivales voient le jour contribuant par l m me au sen timent d une prolif ration mal ma tris e Ceci n est en rien g nant pour autant que le d bat permettant d appr cier collectivement et raisonnablement les m rites respectifs des explications en concurrence puisse avoir lieu 2 Ne pas se laisser d concerter par les oppositions affich es elles masquent une connivence des pratiques Les d veloppements pr c dents peuvent tre lus comme un plaidoyer en faveur d une recherche inventive et plurielle Dans ce qui suit l id e que cette diversit ne pourrait exister qu a
19. ent et provisoirement d gag es Guid es par l expli cation en train d tre labor e les comparaisons syst matiques la font voluer jus qu au moment o le cadre d analyse se stabilise Cette conception que Glaser et Strauss illustrent par leurs propres travaux montre comment dans une d marche qua litative et compr hensive description et explication s entre tayent de fa on dyna mique pour produire la th orie Il est probable que le paragraphe pr c dent n aura pas r ussi convaincre ceux qui adh rent une conception hypoth tico d ductive de la science C est donc en me situant dans cette perspective que je vais maintenant tenter de montrer le r le essen tiel que la description joue d un point de vue th orique Comme l indique Gilles Gas ton Granger 1992 chaque th orie exploite une mani re bien particuli re de repr senter et par cons quent de d crire certains ph nom nes La m canique de Galil e d crit les mouvements en indiquant des positions et des vitesses la m canique aris tot licienne les d crit aussi mais dans un tout autre langage o apparaissaient des variations de qualit et des inclinations naturelles se mouvoir Chaque th orie pr sente donc une face descriptive Ses hypoth ses et ses r gles doivent permettre de d couper et de repr senter un aspect de l empirie selon des patrons coh rents et de mani re suffisamment exhaustive dans les bornes assign
20. entre sens et non sens selon qu il tait ou non possible de v rifier une proposition par une exp rience imm diate de nos sens or il a t montr que ce principe de v rification tait logiquement inte nable Autrement dit ceux que l on d signe comme des positivistes n en sont pas tout simplement parce que c est impossible Baum 2002 p 737 Ce sont des r alistes Deuxi mement parmi les chercheurs que l on compte aux rangs des anti positi vistes une large part ne souscrit pas l id e relativiste qu il n existe aucun standard ou crit re sup rieur l individu permettant de d cider des revendications ayant trait la v rit ou la connaissance McKelvey 2002b p 896 C est le cas des construc tivistes comme en t moigne la citation suivante tir e du texte souvent cit d Ernst Von Glasersfeld Introduction un constructivime radical Glasersfeld 1988 Pour cet auteur le point principal qui distingue radicalement le constructivisme des conceptualisations traditionnelles concerne la relation entre connaissance et r alit Alors que l pist mologie traditionnelle comme la psychologie cognitive consid re cette relation comme une correspondance plus ou moins figurative iconique le constructivisme radical la con oit comme une adaptation au sens fonctionnel 1988 p 22 23 Il poursuit d une mani re g n rale notre connaissance est utile pertinente et via
21. es au type d objet vis Granger 1992 p 254 S il n est pas contestable que la fonction explicative des th ories est bien celle par laquelle les sciences exercent leur mission fondamentale la dimension descriptive des th ories ne saurait tre consid r e comme secondaire La th orie ne peut se saisir des faits bruts et touffus du monde r el elle ne peut travailler que sur des faits pur s que l on peut apr s G G Granger qualifier de virtuels La transformation qui permet de passer du fait brut au fait virtuel consiste d crire les ph nom nes dans un r f rentiel pr alablement construit Cette description consiste faire correspondre l exp rience un ensemble de positions d termin es sur les diff rentes dimensions de la grille pr tablie Ce n est qu une fois r alis e cette traduction qu il devient possible de produire une explication c est dire de d duire conform ment aux r gles de la th orie d un sous ensemble de faits virtuels et d hypoth ses une nouvelle image virtuelle Granger 1992 p 36 2 S int resser davantage aux m canismes explicatifs qu aux r gularit s M me s il en ignore la raison Galil e observe que les corps tombent Il sait que leur mouvement s acc l re et que l espace parcouru par le mobile est proportionnel au carr des temps et il conna t la formule qui permet de calculer les grandeurs obser 20 Revue fran aise de gestion N 160
22. es consid r s La d cision d apparenter des contextes permet de raisonner toutes choses gales par ailleurs mais la valeur des transpositions qu elle autorise d pend troitement de la qualit du raisonnement naturel qui argumente cet apparen tement Passeron 1991 p 376 Ajoutons que le changement de contexte ne saute pas n cessairement aux yeux un m canisme op rant de fa on stable a toutes les chances de passer inaper u jusqu au moment o il conna t une variation d intensit De m me il est facile d ignorer l effet d un m canisme nouveau jusqu ce qu il devienne fla grant Il n en demeure pas moins qu il est judicieux de suivre la r gle m thodologique propos e par Karl Popper 1984 p 59 selon laquelle nous ne devons jamais renon cer nos essais d expliquer par un lien causal toute esp ce d v nement que nous pou vons d crire La recherche des causes est une qu te sans fin et nos connaissances sont vou es rester sans fondement assur 1l n en demeure pas moins qu une expli cation th orique comme celle que Newton fournit pour la chute des corps permet de comprendre pourquoi le principe suivant lequel l espace parcouru est proportionnel au carr des temps s exprime diff remment la surface de la terre et de la lune Autre ment dit contrairement ce que pense Auguste Comte ce n est jamais la r gularit qui est int ressante mais l explication qui en ren
23. es inconv nients d une perte de contr le ceux d un engoncement bureaucratique Il se peut cela d pend de la nature de l activit et du contexte qu il aboutisse la conclusion que la th orie value correctement le premier risque et sous estime le second Un exemple emprunt K nig et Thi tart 1995 permet d illustrer ce point la fin des ann es 1980 et pour la premi re fois de son histoire T L TechniX est attaqu e par des concurrents de poids ayant une strat gie coh rente et cr dible de 6 L expression anglaise est span of control La notion correspond au nombre de subordonn s directs qu un responsable a sous son autorit 7 T L TechniX est un nom d emprunt 24 Revue fran aise de gestion N 160 2006 conqu te de march En r ponse ces volutions la structure organisationnelle est profond ment transform e Situ es entre les services centraux et la centaine d uni t s op rationnelles que compte l entreprise les directions de zone sont supprim es Chaque directeur de zone avait la responsabilit de piloter et de suivre une demi douzaine d unit s op rationnelles il disposait pour cela d une centaine de collabo rateurs Ce sont les vice pr sidents au nombre d une dizaine qui assument d sor mais ce r le Membres part enti re du comit de direction ils partagent leur temps de fa on gale entre dossiers strat giques et contr le des unit s op rationnelle
24. ique est ga lement affaire d imagination L inventivit qui plonge ses racines dans les profon 12 Revue fran aise de gestion N 160 2006 deurs de la personnalit constitue un facteur de diversit dont l importance ne sau rait tre surestim e car elle est au c ur de la dynamique de la connaissance Repre nons l exemple des co ts de transaction Tout le monde s accorde aujourd hui sur l existence du ph nom ne en revanche le consensus est loin d tre tabli en ce qui concerne ses causes ou l importance qu il convient de lui accorder Ainsi la th se d Oliver Williamson que les co ts de transaction trouvent leur origine dans l op portunisme de quelques uns est contest e par Coase lui m me Ce dernier estime en effet que les ph nom nes de r putation et la r p tition des transactions entre par tenaires sont de nature endiguer efficacement la propension des individus pour suivre leur int r t personnel par des moyens ressortant la ruse et la tricherie Parall lement d autres chercheurs critiquent l importance accord e par Williamson l opportunisme et expriment leur pr f rence pour une th orie de la firme mettant en avant la confiance et la cr ation de valeur plut t que la m fiance et les co ts aff rents Ghoshal Moran 1996 Que l invention soit marqu e au coin des pr f rences individuelles peut surprendre toutefois ce n est en rien une caract ristique prop
25. ment des lignes de commandement entra ne des distorsions dans la communication et des lenteurs dans la d cision il vient que la seule option restante consiste changer de type d organisation Pourtant ici encore il n est pas certain que le th oricien soit le mieux plac pour appr cier si la limite l empan hi rarchique a t atteinte Il faut en effet se souvenir qu au d but du si cle pr c dent les classiques d battent pour savoir s il convient de limiter 3 ou 6 le nombre de subordonn s que dans les ann es soixante on estime que ce chiffre doit se situer entre 4 et 11 Barkdull cit par Child 1977 p 64 et que l on observe aujourd hui des empans de 30 ou 40 voire davantage Daft 1997 p 323 En cons quence il appa ra t que le praticien sera souvent mieux m me que le th oricien de savoir si pour maintenir un certain niveau de contr le il vaut mieux tendre l empan de comman dement ou abandonner la forme U pour une structure multidivisionnelle Le troisi me volet de la v rification consiste pour le praticien valuer la perti nence de la th orie en question Autrement dit apr s avoir v rifi la r alit des m ca nismes vis s par la th orie il faut encore juger de l importance relative de ces der niers au regard du probl me pos Si l on poursuit avec le m me exemple des effets manag riaux de la taille le dirigeant ressentira probablement le besoin de comparer l
26. n L induction fait r f rence aux actions qui conduisent la d cou verte d une hypoth se avoir une id e la transformer en une hypoth se et appr cier si elle peut provisoirement fonctionner comme une condition partielle pour un type d v nement ou de comportement La d duction consiste tirer les implications d hy poth ses ou de syst mes d hypoth ses des fins de v rification Ce dernier terme fait r f rence aux proc dures qui permettent de dire si les hypoth ses doivent tre rejet es ou au moins en partie retenues Selon Strauss ces trois processus sont actifs ensemble tout au long du projet de recherche et se serait une erreur de croire qu ils interviennent l un la suite de l autre Parce que Glaser et Strauss 1967 s en sont pris aux th ories sans enracinement empirique leur approche a t volontiers carica Th ories mode d emploi 19 tur e comme une d marche inductiviste visant tablir des nonc s universels par une accumulation d nonc s particuliers Le processus de recherche qu ils proposent est en fait tout autre Il part d une interrogation concernant un ph nom ne particulier Observ en gros plan ce dernier est soumis une analyse intensive qui va lui donner forme Les cat gories et hypoth ses tr s provisoires qui mergent de ce travail vont guider le choix des observations ult rieures qui seront vari es de fa on syst matique suivant les dimensions initialem
27. ne langue bien faite Puisqu il faut la faire l attention est attir e sur l initiative des hommes 2 Entendu ici comme une doctrine affirmant que des entit s r elles existent ind pendamment de la per ception de l exp rience ou de la connaissance que l on peut en avoir et qu elles poss dent des propri t s et entretiennent des relations galement ind pendantes des concepts ou du langage que l on utilise pour les d crire 16 Revue fran aise de gestion N 160 2006 Tableau 2 OPTIONS ONTOLOGIQUE PIST MOLOGIQUE Options ontologiques Une r alit ext rieure et ind pendante permet de s lectionner nos th ories PR Non Oui SR Relativisme R alisme Il est possible Non Anti positivisme R alisme scientifique de donner Anti fondamentalisme un fondement certain Oui Positivisme la connaissance Fondamentalisme Ce que l on a appel la guerre des paradigmes a oppos deux communaut s de chercheurs respectivement tiquet s de positivistes Donaldson Pfeffer et d anti positivistes Van Maanen Burrell la suite de Moldoveanu et Baum 2002 il est loisible de penser que ce clivage a quelque chose de tr s excessif Pre mi rement m me s ils ont revendiqu cette tiquette il y a tout lieu de penser que les positivistes sont en fait des r alistes qui s ignorent En effet la marque dis tinctive du positivisme consistait distinguer
28. pper sa capacit d interpr tation en cela la recherche th orique peut l aider C est dans cette perspective que s inscrit Th ories mode d emploi qui regroupe une quinzaine d articles d j publi s dans la Revue fran aise de gestion Intitul e Penser un monde complexe la premi re partie est construite autour du paradoxe consistant faire face la complexit avec des moyens somme toute modestes d un c t un monde quivoque touffu et dynamique de l autre une ratio nalit tr s limit e Pour penser la complexit l acteur besoin d heuristiques m me de le fourvoyer et de simplifications qui toujours menacent de laisser l essentiel de c t Le paradoxe en question n est pas de ceux que l on dissout et puisqu il faut l af fronter sans doute est il pr f rable d en prendre la mesure Tel est l objet du premier groupe d articles propos s dans ce num ro Sous le titre Les figures de l efficience la seconde partie explore l id e que le manager confront un monde turbulent a comme le marin besoin d amers de points fixes qui lui permettent d valuer les alternatives qu il discerne Les candidats cette fonction ne sont pas l gion et la norme d efficience est sans doute un des rep res les plus en vue Ceci tient pour partie la diversit des situations auxquelles ce crit re trouve s appliquer On peut en effet l employer aussi bien pour trancher en
29. ra d pendra en partie de la s v rit des tests auxquels elle aura t soumise mais ces tests n ont bien s r de valeur que pour des contextes parents Le jugement de parent est un exercice d licat et toujours ris qu cf supra mais on retiendra surtout ici que la comparaison entre deux contextes n est possible qu condition de les bien conna tre Or le praticien s il est au fait de la situation qui est la sienne ignorera g n ralement tout ou presque des contextes dans lesquels la th orie en question aura t test e Il n est pas pour autant d muni car faute de pouvoir disposer d une th orie ayant t test e dans un contexte parent il est en mesure de v rifier toute th orie qu il envisage de mobiliser au sens o on v rifie un quipement avant de l utiliser Afin d viter de rester trop abstrait prenons l exemple d un dirigeant qui s inter roge sur l opportunit d un changement organisationnel en raison de la taille atteinte par son organisation Supposons en outre qu en ayant eu connaissance il se demande ce que peut lui apporter la th se d Oliver E Williamson qu une fa on de rem dier la perte de contr le induite par la croissance d une organisation jusqu alors unitaire c est dire structur e par grandes fonctions production ventes finance etc consiste d composer l organisation en plusieurs entit s autonomes autrement dit opter pour la forme multidi
30. ravaux d au teurs r put s entre th orie et description 3 Comme le montre John Hassard 1991 en analysant une m me tude de cas partir des quatre points de vue identifi s par Burrell et Morgan 1979 18 Revue fran aise de gestion N 160 2006 John Van Maanen 1979 oppose lui aussi donn es et th ories mais la diff rence de Sutton et Staw 1995 qui consid rent la th orie comme une bonne chose ce tenant de l approche ethnographique accorde aux faits la pr s ance que Sutton et Staw reconnaissent la th orie Reprenant Sherlock Holmes son compte Van Maanen met en garde ses coll gues contre ce qu il estime tre la plaie de la profession savoir la tentation d laborer sur la base de donn es insuffisantes des th ories pr matu r es et il enfonce l id e d un aphorisme less theory better facts more facts bet ter theory Cette conviction fonde la proposition qu il fera la communaut des chercheurs en organisation quelques ann es plus tard de suspendre pendant une d cennie toute production th orique et m thodologique et de se consacrer l criture de r cits organisationnels soigneusement labor s Si Sutton et Staw s opposent Van Maanen sur la valeur de la th orie tous s ac cordent sur un point la description n est pas la th orie C est pr cis ment ce refus d accorder un statut th orique la description qui fait probl me S il est utile
31. re aux sciences sociales En 1926 Heisenberg n crivait il pas Pauli plus je r fl chis la partie physique de Schr dinger et plus elle me d go te Sur ce plan Schr dinger n tait d ailleurs pas en reste puisqu peu pr s la m me poque il crivait de l approche de Heisenberg J en tais effray sinon repouss Holton 1982 p 94 96 Certains chercheurs Donaldson 1992 Pfeffer 1993 pensent que la cr dibilit des sciences des organisations profiterait grandement d un peu plus de discipline et invitent contenir l exub rante croissance des th ories organisationnelles d autres au contraire l instar de Van Maanen 1995 s insurgent contre toute vis e normalisa trice et rejettent m me avec Burrell HandBook tout cum nisme le d bat entre glises n a pas lieu d tre car elles n ont rien se dire cf la section suivante La position d fendue dans cette section renvoie les protagonistes dos dos D un c t c est le besoin de vari t qui est affirm Celui ci est sp cifique aux sciences de ges tion en raison du rythme auquel leur objet se transforme Certes bon nombre des changements qui retiennent l attention au quotidien n appellent pas d aggiornamento th orique mais il est clair que certaines volutions travaillent en profondeur les situa tions que les sciences de gestion s attachent clairer Il suffit pour s en convaincre d
32. rocessus strat giques Philippe Lorino Jean Claude Tarondeau Note aux auteurs Comit de lecture 2005 remerciements El G rard Koenig Th ories mode d emploi Le pr sent volume regroupe une quinzaine d articles qui chacun pr sente une th orie c est dire une explication de certains aspects de la vie des affaires L tude des organisations donne lieu une activit scientifique tellement vigoureuse qu il n aurait pas t difficile de multiplier par trois ou par quatre le nombre des contri butions propos es Cette exub rance est telle et il est parfois tellement difficile d y faire son chemin que certains n h sitent pas parler de jungle Apparemment imp n trable et par cons quent inhospitali re la th orie des organisations est en outre cultiv e par des tribus qui se disent en guerre les unes contre les autres qui donc ne se parlent pas et qui plus est disent ne pas pouvoir communiquer tant leurs cultures seraient diff rentes Les ethnographes qui ont tudi la question parlent ce propos d incommunicabilit et de guerre des paradigmes Il y a l de quoi d concerter le praticien m me le mieux dispos l gard de la recherche et le dissuader d aller plus avant La pr sente introduction vise d abord le rassurer sur deux points Pre mi rement le foisonnement th orique est certes r el mais il pr sente plus d avan tages que d inconv nients deuxi mement il ne faut pas trop
33. s Pour suivre le double d unit s ils disposent de moiti moins de temps et de dix fois moins de personnel Au m me moment les directions fonctionnelles se voient inter dire toute intervention directe aupr s des unit s op rationnelles La rupture avec les pratiques ant rieures est on ne peut plus radicale Jusqu alors en effet les d cisions les plus importantes pour l unit gestion des relations sociales investissement par exemple taient prises au sein des fili res fonctionnelles dans le respect des r gles des proc dures et des politiques dict es par les services centraux et relay es par les directions de zone leurs correspondants au sein des unit s Les unit s taient en cons quence morcel es en plusieurs domaines fonctionnels Ceux ci entrete naient avec leur fili re d appartenance des relations plus troites qu avec les autres services de l unit et chappaient de fait au contr le d un responsable d unit sans r el pouvoir All g d un niveau pr serv de l interventionnisme des services cen traux le nouveau syst me tourne autour de la relation manag riale et du m ca nisme de contractualisation institu s entre le centre les vice pr sidents et la p ri ph rie les directions des unit s op rationnelles Dans le vocabulaire de Williamson 1975 p 152 153 cette volution pourrait tre d crite comme le passage d une forme M alt r e une structure v ritablemen
34. sit des objets d autre part la nature inventive de l activit de recherche Le premier d terminant de ce foisonnement est institutionnel La production scientifique ne se fait pas en dehors de la soci t Le chercheur s il veut disposer des ressources n cessaires son travail et tre publi dans les bonnes revues doit satis faire aux normes qui r glent la vie de la communaut scientifique laquelle il appar tient Kuhn 1962 De ce point de vue l tude des organisations n chappe pas au principe d gag il y a longtemps d j par Murray S Davis 1971 l endroit des sciences sociales un auteur n est pas appr ci parce que ses th ories sont vraies mais parce qu elles sont int ressantes or il est malheureusement fr quent que les m canismes causaux les plus int ressants ne soient pas ceux qui importent le plus DiMaggio 1995 La prime institutionnelle accord e l originalit pousse l infla tion th orique et tend d valoriser une autre activit tout aussi essentielle celle qui consiste faire le tri parmi des explications rivales Th ories mode d emploi 11 Si la prolif ration th orique r sulte pour partie des normes instaur es par les communaut s savantes elle est galement due deux autres facteurs moins contin gents Premi rement elle tient la vari t des objets la multiplicit des facettes que chacun pr sente et l apparition continue de ph nom
35. t des acteurs appr cier la pertinence des th ories qui leur sont propos es et m me contribuer leur d veloppement 4 Th ories et pratiques des foisonnements compl mentaires Une situation de gestion est toujours le produit de multiples dynamiques Chacun des m canismes l uvre peut tre th oris Toutefois parce que le propre de la science est d tre drastique aucune th orie n est en mesure d appr hender la riche complexit des situations pratiques et le foisonnement th orique est donc in vitable troites dans leurs vis es toujours en sursis de r futation et constamment menac es de sortir de leur domaine de d finition les th ories offrent pourtant en raison m me d une diversit parfois d concertante les moyens de comprendre ce qui se joue dans les situations concr tes clair par les th ories le management n est pas pour autant une science Les situations r elles pr sentent trop de facettes dans des configurations trop souvent sin guli res et dans des contextes trop changeant pour qu il puisse en aller diff remment l instar du pr visionniste Granger 1992 p 285 le manager doit sans autres res sources que celles du sens commun d signer les facteurs qu il consid re comme stra t giques choisir les th ories qu il tient pour ad quates et courir le risque de se trom per Le management est donc un art mais l artiste a int r t enrichir son regard et d velo
36. t multidivisionnelle Mais il est int ressant de souligner que la solution mise en uvre ne peut s appr cier en termes de plus ou moins de contr le D un c t les unit s op rationnelles sont affranchies du contr le des directions fonctionnelles et les moyens rigoureusement limit s dont disposent les vice pr sidents pour les suivre emp chent la r surgence du contr le a priori Il s ensuit que l asym trie d information entre l unit et le niveau sup rieur va s accro tre en ce qui concerne le fonctionnement au quotidien D un autre c t et dans le m me temps la contractualisation entre les uni t s et le niveau national entend r duire la divergence des int r ts et des objectifs Il est clair que les promoteurs de la r forme ne se sont pas d sint ress s du contr le mais ils ne l ont pas abord de mani re unidimensionnelle en termes simplement de plus ou de moins Ils se sont attach s en d placer le lieu en changer la forme et en modifier la vis e Le contr le de conformit a fait place un dispositif qui ouvre des plages d autonomie aux unit s et qui assure la direction g n rale que les ini tiatives de celles ci contribuent la r g n ration de l entreprise sans emp cher de boucler sur quelques param tres jug s cruciaux Cet exemple t moigne de la r flexion d velopp e par une quipe de direction Il atteste si besoin tait de la capa Th ories mode d emploi 25 ci
37. trait de manipulation l usage des honn tes gens Grenoble PUG 1987 Kaplan A The conduct of Inquiry New York Chandler 1964 K nig G Thi tart R A Contr le limit et changement dans les organisations multi divisionnelles Perspectives in Management strat gique tome III Paris Eco nomica 1995 p 57 85 Koontz H The management theory jungle revisited Academy of Management Review 5 1980 p 175 188 Kuhn Th La structure des r volutions scientifiques seconde dition Paris Flamma rion 1983 McKelvey B Glossary of epistemology terms Companion to organizations J A C Baum ed Oxford Blackwell 1997 p 889 898 Moldoveanu M C Baum J A C Contemporary debates in organizational episte mology Companion to organizations J A C Baum ed Oxford Blackwell 2002 p 733 751 Mouchot C M thodologie conomique Paris ditions du Seuil 2003 Murray S Davis That s interesting Philosophy of Social Sciences 1 p 309 344 cit par K E Weick 1979 p 51 1971 Passeron J C Le raisonnement sociologique L espace non popp rien du raisonne ment naturel Essais et recherches Paris Nathan 1991 Pfeffer J Barriers to the Advance of Organizational Science Development as a Dependent Variable Academy of Management Review 18 1993 p 599 620 Popper K R La logique de la d couverte scientifique Paris Payot 1984 Strauss A L Qu
38. tre diff rentes pos sibilit s d allocation de ressources que pour comparer des structures de gouvernance alternatives Ceci tient galement la capacit du crit re d efficience fournir un fon dement l gitime aux d cisions prises Ces caract ristiques expliquent le r le jou par cette norme dans les sciences de gestion et la place qui lui est accord e dans ce num ro 26 Revue fran aise de gestion N 160 2006 Alors que la deuxi me partie insiste sur l int r t de fonder les d cisions de ges tion sur des crit res universels la troisi me intitul e Les dynamiques de la cr a tion tudie les processus qui pr sident la construction des r alit s organisation nelles que celles ci prennent la forme de conventions de ressources ou de comp tences Elle fournit des indications utiles pour rep rer les m canismes l uvre qu ils proc dent d intentions ou qu ils op rent l insu des acteurs et pour comprendre leur combinaison Bibliographie Altman E I Financial ratios discriminant analysis and the prediction of corporate bankruptcy Journal of Finance vol 23 n 4 1968 Alvesson M Deetz S Critical Theory and Posmodernism Approaches to Organi zational Studies Handbook of Organization Studies S R Clegg C Hardy and W R Nord eds Thousand Oaks Sage 1996 p 191 217 Armengaud F Paradigme Encyclop dia Universalis Arthur B W Competing te
39. u prix d un cloisonnement de l espace scientifique et d un repli d fensif de chacun sur ses positions est d battue et une autre issue est propos e L analyse de cette alternative est conduite autour de deux cartes La premi re que l on doit Burrell et Morgan est l origine de ce qu il est convenu d appeler la guerre des paradigmes la seconde qui emprunte McKelvey Moldoveanu et Baum remet en cause sinon l id e du moins la port e de la th se de l incommensurabilit des paradigmes Dans la tradition philosophique le paradigme est selon Fran oise Armengaud ce que l on montre titre d exemple ce quoi on se r f re comme ce qui exemplifie une r gle et peut donc servir de mod le pour guider l activit Dans La structure des r volutions scientifiques l historien et philosophe des sciences Thomas Kuhn uti lise le terme de paradigme dans une acception nouvelle et s en sert pour rendre compte de la dimension sociologique de toute production scientifique Selon Thomas Kuhn 1983 p 21 les stades primitifs du d veloppement de la plupart des sciences ont t caract ris s par une concurrence continuelle entre un certain nombre de conceptions oppos es de la nature dont chacune tait partiellement dict e par la m thode et l observation scientifiques et en gros compatible avec elles Ce qui dif f renciait ces diverses coles ce n tait pas telle ou telle erreur de m thode
40. ues et financi res dont l objectif consiste appr cier le risque de d faillance permettent d illustrer ce point la fin des ann es soixante E Altman 1968 labore sur la base de ratios financiers une fonction discriminante qui permet de mesurer la vuln rabilit des entreprises Cette fonction n a pas de fondement th orique Il ne s agit que d un instrument b ti sur un gros chantillon d entreprises et ensuite test sur un autre chantillon de la popula tion d origine mais c est un instrument utile pour les banques car il facilite la d ci sion de pr t en ce qui concerne les entreprises qui se situent aux deux bouts de la dis tribution et permet de se concentrer sur les cas interm diaires Lorsque quelques ann es plus tard Altman tentera de l appliquer des chantillons d entreprises fran aises l instrument se r v lera incapable de jouer son r le la distance institutionnelle et le d calage conjoncturel avaient eu raison de son efficacit Le probl me est qu en l absence de tout fondement th orique l utilisateur comme d ailleurs le chercheur est incapable de d terminer a priori le domaine de d finition de l outil il ignore donc o et quel moment il doit cesser d en faire usage La recherche des m canismes causaux ne r gle pas tout J C Passeron 1991 p 358 359 soutient avec justesse que les sciences sociales comme l histoire ne peu vent tre fond es que sur l
41. vergences entre les objectifs des protagonistes dans le second Williamson 1975 p 15 M me si l tape suivante qui consiste traduire sous forme d observables les composantes de la notion de perte de contr le n est en rien vidente il y a tout lieu de penser que le dirigeant sera par fois plus l aise que le chercheur pour faire ce travail Il y a l quelque chose de para Th ories mode d emploi 23 doxal si l on consid re que la th orie est l affaire du chercheur avant que d tre celle du praticien mais celui ci entretient avec la situation une familiarit qui devrait lui permettre de faire preuve de davantage de finesse dans ce travail de traduction qui va du concept l observable Une fois pr cis e la port e empirique des concepts en jeu le praticien doit s as surer de la coh rence syntaxique de la th orie Au cas pr sent il s agira de v rifier l existence de relations effectives entre le choix d une structure unitaire ou multidi visionnelle et la capacit de contr le telle qu appr ci dans ses composantes infor mationnelle et motivationnelle Le raisonnement de Williamson 1975 p 126 est en substance le suivant les limites de la rationalit humaine fixent une borne l empan de contr lef par cons quent l expansion de l organisation implique une augmenta tion du nombre de niveaux hi rarchiques Si l on admet ce qui est raisonnablement document que l allonge
42. visionnelle Dans une situation de ce type la th orie se pr te une v rification o il est possible m me si le distinguo rev t un caract re quelque peu artificiel Granger 1966 p 177 de discerner trois volets le contr le de la s mantique celui de la syntaxe et l appr ciation de la pertinence de la th se par rapport la situation Le premier volet de la v rification consiste contr ler la s mantique ce qui revient se demander si les concepts mis en avant sont interpr tables en termes empi riques Dans l exemple propos ce sont notamment les notions de croissance et de perte de contr le qui devront retenir l attention du dirigeant L enjeu tant le contr le exerc sur l organisation le chiffre d affaires ou la part de march ne semblent pas des indicateurs ad quats de la taille L effectif le nombre de sites et leur dispersion g ographique paraissent plus appropri s Child 1977 p 66 La notion de perte de contr le est probablement plus d licate traduire en termes empiriques Si l on se place dans une perspective williamsonnienne toujours cette notion peut s analyser sous un double point de vue celui de l information dont disposent les acteurs d une part celui de leurs motifs d autre part La perte de contr le du dirigeant correspond un accroissement de l asym trie informationnelle en faveur des responsables op rationnels dans le premier cas un accroissement des di
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