Lire un extrait - Ghislain Gagnon
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1. Plus tard la conversation a d vi sur le sujet de pr di lection de mon p re sa nouvelle Cadillac Deville Une occasion en or Propre comme un char de cur qui aurait servi que pour les extr mes onctions T as pas inqui ter pour ma sant chu en pleine forme La preuve pas plus tard qu hier j ai pass trois heures couch sous mon char d monter les freins pour les nettoyer Une maudite d job de fou Fallait voir le bonhomme tendu su l dos une cl dans une main pi une lampe de poche dans Paur Si a c du travail de canc reux mon nom cochon Pi pas un mot en plus me sus pas nerv une minute J ai pas sacr une seule fois M me pas l ch un p tit viatge Pi tu connais pas l pire un coup qu j ai eu termin jme sus ferm le capot su un pouce Fendu en deux jusqu Pos M me la j ai rien dit Pai juste serr les dents tellement javais mal Tu imagines tu C ti croyable Pen r viens pas comme on peut chan ger en vieillissant 14 Je me suis alors rendu compte que mon p re me pat lait Je veux dire me parlait vraiment Tout coup m est apparu le visage de sa col re Mon p re c tait vident pensait la m me chose que moi ce jour de novembre 1963 Jamais il n en avait t question entre nous Jamais la plus petite allusion Comme si cette journ e n avait tout simplement pas exist 15 environ quatre kilom tres du2. dire Et personne part bien s r ceux qui complo taient cet assassinat personne en tous les cas dans notre petit village moins reconnaissable sur une carte que la route qui le traverse n aurait pu imaginer que dans quelques jours John Fitzgerald Kennedy serait mort assassin Il n y avait aucune place dans notre imaginaire dans notre quotidien de Nord Am ricains rabais pour une pens e aussi improbable aussi al a toire et si peu catholique Ce matin de novembre 1963 je m appr tais vivre la journ e la plus sombre de mon existence Une journ e o allait tomber sur Terre sur la terre intime de mon tre une effroyable bord e de neige noire Un mur de givre sale sur lequel j aurais le loisir plus tard de crucifier mon enfance J ai eu comme bien des fils de ma g n ration un con flit ouvert avec mon pere Pendant des ann es nous nous sommes peine adress la parole J ai hai mon pere Je Pai tr s franchement d test Je lui reprochais quantit de choses D abord de ne pas m avoir com pris Ensuite d avoir quitt ma m re D avoir quitt ma m re apr s des ann es de triche d tre revenu seule ment parce qu il tait coinc puis d tre reparti d s que a allait mieux Je lui en voulais de ne pas m avoir accept tel que j tais de ne pas m avoir aim pas vraiment J avais beau faire effort de me souvenir pas le moindre c lin aucune caresse et si peu de mots qui soie
3. 40 de fi vre Hospitalis d urgence on l avait soign pendant plusieurs jours et on avait cru un certain moment qu il y resterait Mais le vieil homme s tait finalement remis sur pied et avait d sert l h pital par la porte de service faisant peu de cas de lavis du m decin qui pr tendait avoir d couvert une tumeur importante sur un poumon Comment veux tu que fl z coute a fait soixante ans qui m disent que j ai l cancer J dou r n avec Si j l laisse me jouer d dans j chus mort dans six mois Mon p re paraissait d excellente humeur et pour ma part je m amusais en pensant que sans le savoir mon vieux surfait sur Pune des plus majestueuses d fer lantes de la litt rature du vingti me si cle J aurais en effet pu encore me trouver pour plusieurs semaines h pital s javais cout les m decins et si j tais rest mais j ai brusquement cess d couter les m decins souvent dans ma vie j ai t sauv pour avoir un ins tant soudain cess d couter les m decins et vraisem blablement je ne serais absolument plus rest en vie si je n avais cess de les couter l instant d cisif Corrections Thomas Berhnard Mon p re p dalait 13 p dalait fond Vas y papa Allez fonce P dale Surtout ne te trompe pas d changeur Evite les em bouteillages Vise bien le pont papa Ne t arr te pas Ne te retourne jamais Y a la mort tes trousses
4. Ghislain Gagnon Dans la nuit bleue de l me Imaginer Sisyphe heureux Le site de l auteur http hislaingagnon com TOUS DROITS DE TRADUCTON DE REPRODUCTION ET D ADAPTATION RESERVES O Ghislain Gagnon 2014 ISBN 978 2 8399 1477 2 Pour Helen et Guillaume Avec toute mon affection Nous sommes natifs de nos ruines surgissantes Henri BAUCHAU Volet noir La neige le diable mon p re et moi Se souvenir de son p re exige parfois de l endu tance De l audace Du sang ftoid De la compas sion Ce n est pas gagn d avance que de vouloir projeter son regard d homme m r sur l enfant qu on a t Car la blessure cligne des yeux Elle racole ratisse large Comme si elle seule pouvait encore tenir chaud Un p re Un fils Un d fi escalader la falaise enneig e pour arracher la barbe du vent fou un minuscule flocon d ternit Le pardon Combien de dizaines combien de centaines de m tres de neige sont ils tomb s puis ont fondu depuis ce jour de novembre 1963 Sur ce chemin sur cette cam pagne sur ces champs cette rivi re ce pont cette pente ou cette c te o d une certaine mani re je reste suspendu hagard paralys de peur puis tout coup atterr par Paudace inou e nouvelle tranger ce qui m arrive et m arrive encore au point m me d en venir implorer le diable Cette histoire ne se d roule pas Dallas USA Mais au nord du Qu bec Un jour de Toussaint pour tout
5. e je pouvais tre cruche Mon p re n en revenait pas Il avait rai son J tais d une gaucherie ph nom nale Quelque part cela devait tre douloureux je veux bien en con venir pour ce p re si habile de ses deux mains qui avait construit des maisons des ponts et tir des plans sur la com te pour avoir un fils qui lui ressemblerait La peur de me tromper de gaffer de d plaire de sus citer peut tre P nervement la mauvaise humeur ou les railleries de mon p re me rendait encore plus mala droit Ce n tait pas jour f ri pour tout le monde on Paura compris Je n tais pas Penfant que mon p re avait esp r Il aurait tant voulu un fils exactement l image qu il s en faisait un ptit homme un mod le r duit de lui m me 17 un mini Mou qui il aurait pu apprendre ce qu il savait c est dire clouer fendre abattre b tir d faire refaire Mais au lieu de a sans m me songer mettre dans le berceau le mode demploi qui e t t si n ces saire on lui avait livr un nergum ne Un r veur Un po te Pun de ces oiseaux braques qui survolent en planant de mani re nostalgique les terres sauvages o broutent des bisons magnifiques au regard fou et ami cal Sacrement Qu est ce que tu veux faire d un pareil sans g nie
6. nt vraiment tendres N anmoins il y a longtemps que ma ranc ur affiche au grand jour un avis de prescription J ai fait la paix avec mon p re J ai pardonn Tout Ses absences Ses col res Ses taloches Sa violence Ses coups de pied au derri re J ai tout effac comme au grand tableau noir 10 Comme si j avais tous les pouvoirs Comme si je m tais autoproclam Pr sident de la Banque Mon diale des Bons Sentiments La dette Quelle dette Effac e la dette Mon p re est aujourd hui un jeune homme de 80 ans qui pour garder la forme passe plus d une heure chaque jour sur son v lo d appartement Il cherche sans doute retarder le plus possible le moment de rejoindre ses fr res au fond du caveau familial Car a risque de chauffer c taient des durs et il y a certains litiges qui n ont pas t r gl s Mon pere a plac son v lo devant la baie vitr e ce qui lui permet du septi me tage o il habite de jouir d une vue imprenable sur les changeurs et bretelles d autoroutes menant au majes tueux pont Pierre Laporte de Qu bec C est un en droit o la circulation est souvent tr s dense et ce spectacle a le don de rassurer mon p re qui a toujours t tr s bagnole La preuve durant toute son exis tence mon p re a franchement d test se faire photo graphier sauf debout devant son char Des Ca dillac des Chrysler des Plymouth toujours des grosses cylindr es des carro
7. sseries superbes au de meurant dont il savait prendre soin et aupr s des quelles il posait a se voyait avec une fiert qui n tait 11 pas toujours aussi vidente lorsqu on le prenait en compagnie des siens Quand je lui t l phone de Gen ve principalement pour m enqu rir de sa sant et lui donner quelques nouvelles de son petit fils et de moi m me il est sou vent en train de p daler ferme mais a ne Pindispose pas du tout pour faire la conversation Je lui dis je te rappelle plus tard Mais non mais non r pond il tou jours pas de probl me Il parle raconte rit p dale et jamais son souffle ne semble s acc l rer Comme s il tait install tranquillement dans son fauteuil bascule une cigarette au bec Cela m impressionne Je serais incapable d une pareille performance et pourtant j ai cess de fumer depuis longtemps une certaine poque cette attitude m eut paru blessante J eus pens qu une fois encore mon p re me narguait cherchant dominer voulant m abaisser Aujourd hui je l coute et jai presque envie de rire Mon p re m amuse Je n en ai plus rien foutre Je parle de la blessure Pautre jour je me suis inform de son tat de sant avec un peu plus d insistance Les nouvelles re ues de la famille m avaient paru alarmantes Mon p re sortait d une m chante pneumonie Mon fr re Pavait retrouv 12 inconscient dans son appartement avec plus de
8. village o nous habi tions Por e d une paisse for t de conif res et sur le bord d un charmant petit lac truites nous avions depuis quelques ann es un chalet Une b tisse fort modeste mais dont mon p re tait fier il avait cons truite de ses propres mains Avec le temps gels et d gels r p tition le toit s tait un peu ab m et mon p re avait d cid de consacrer ce jour f ri cette r paration qui d ailleurs devenait urgente car l hiver tait la porte depuis la veille toutes les radios annon aient des pr cipitations importantes les premi res de la saison froide et lan aient m me un avis de temp te pour la nuit suivante et les jours venir Nous avons donc pris la route du chalet t t le matin mon p re et moi J tais Pain d une famille de six enfants et le seul a avoir le droit ou le privilege de Paccompagner J avais dix ans 16 Ma pr sence cette exp dition tait tout sauf indis pensable Mon p re le savait Moi aussi J tais n an moins suppos tenir compagnie et apporter Poccasion une aide en tant qu accessoiriste Instrumen tiste Passe moi P querre Passe moi le marteau Passe moi un clou Lequel Il y en avait trente six mille sortes Pas celui l l autre idiot Je n avais jamais choisi le bon videmment Alors que c tait l vidence m me Passe moi les jumelles que j regarde le ciel Une ta loche derri re le bol Qu est ce qu
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